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Textes - Page 19

  • Chronique de la modernité tardive...

    Sur L'avant-blog, Eric Werner poursuit l'oeuvre entreprise dans son ouvrage Ne vous approchez pas des fenêtres (Xenia, 2008). Dans de courts dialogues, ses personnages emblématiques commentent l'actualité, discutent sur l'air du temps et « résistent à mi-voix à la pression de la "pensée unique" ».

    Pour vous engager à suivre cette chronique forte et subtile de la modernité tardive, nous reproduisons ici deux des derniers dialogues.

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    Contradictions

    Au fait, que pensez-vous de l'Usurpateur, dit le Visiteur? Il est pris dans ses propres contradictions, dit l'Ethnologue. D'un côté il veut maintenir les frontières, de l'autre il est pour la liberté des marchés. C'est soit l'un, soit l'autre. Soit on croit au marché, soit au maintien des frontières. A mon avis, l'Usurpateur croit surtout au marché. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs qu'il participe aux séances du groupe de Bilderberg, un des hauts-lieux du pouvoir mondialisé. Ah bon, dit le Visiteur? Oui, tout fait, dit l'Ethnologue. C'est l'Editeur qui a levé ce lièvre. L'Usurpateur est également très faible en matière sociale, écologique, etc. En fait c'est un néolibéral, mais un néolibéral incohérent. Il ne va pas pas jusqu'au bout de ses propres principes. Il critique certaines retombées de l'idéologie dérégulatrice, en aucune manière cette idéologie elle-même.
    23 novembre 2010

    En reste

    Les autres, ceux d'en face, ne sont pas en reste, dit l'Ethnologue. Tous, on le sait, sont pour l'ouverture des frontières (aux personnes, aux capitaux, aux marchandises, etc.), inconditionnellement pour. A leur goût, les frontières ne seront jamais assez ouvertes. Plus on les ouvre, mieux c'est. En même temps ils se disent héritiers de l'ancienne social-démocratie européenne, celle qui, au lendemain de la dernière guerre, a construit l'Etat-providence. Or ne me dis pas que l'ouverture des frontières reste sans effet sur l'Etat-providence. Sans effet, évidemment non. Eux-mêmes le savent très bien. Mais ils ne veulent pas le reconnaître. Et donc, dit le Visiteur? Ils maintiennent une façade d'Etat-providence tout en s'employant à le vider insensiblement de sa substance, au gré de réformes successives que les gens acceptent en maugréant, mais acceptent quand même.
    24 novembre 2010
     
    Eric Werner
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  • La bataille contre le système

    Nous reproduisons ici un texte de Pierre Vaudan, intitulé La bataille contre le système, publié par le site De Defensa, animé par Philippe Grasset. Nous vous recommendons vivement sa lecture. 

     

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    La bataille contre le Système

    Récemment, un ami ulcéré par une situation dont j’ignore encore aujourd’hui le détail, s’était plongé dans La Guerre de guérilla du Che avec une énergie combattante. Je lui avais alors humblement fait remarquer que l’hyper-puissance technologique et communicationnelle du Système rendait désormais impossible toute révolution par des moyens classiques, fussent-ils aussi honorablement inspirés que ceux du Che, et qu’il fallait plutôt réfléchir à la rédaction d’un nouveau manuel de guérilla qui viserait non plus à l’affrontement armé, mais à un travail de termites en quelque sorte, avec pour objectif l’effondrement du Système sur lui-même, sa dissolution. Pragmatique, il me demanda de lui donner l’ABC de ce nouveau manuel, ce dont je fus bien incapable. Mais cela devait amorcer le texte ci-dessous, où figurent quelques pistes.

    La narrative

    1. Les démocraties libérales représentent la forme la plus élevée et indépassable des formes possibles d’organisation sociale. Il n’y a pas d’alternative.

    2. Les valeurs occidentales sont le fruit d’un héritage historique obtenu de haute lutte après des siècles de barbarie. Ces valeurs sont les plus élevées qui soient, les plus respectueuses et bénéfiques pour les collectivités et les individus.

    3. L’Occident est soucieux de permettre à tous les peuples de la terre de sortir de la pauvreté et d’accéder à la liberté grâce à la promotion de son modèle démocratique.

    4. L’Occident œuvre pour la paix dans le monde.

    5. L’évolution de notre civilisation tend toujours vers le mieux.

    6. Le capitalisme et son économie de marché ne sont pas parfait, mais ils sont perfectibles et sont de toute façon le seul modèle viable, il n’y a pas d’alternative.

    Les quelques énoncés ci-dessus sont a priori indiscutables. Ils résument à peu de chose près le regard que portent sur eux-mêmes les Occidentaux. L’homos-occidentalus moyen adhère à ces “évidences” avec l’intime conviction d’être le dépositaire d’un héritage glorieux, convaincu que “sa” civilisation est lumière dans les ténèbres du monde.

    Il est persuadé que cette conviction est le fruit de sa raison, d’une libre pensée nourrie de sa propre observation et de son analyse.

    Or ces énoncés sont au mieux contestables, au pire faussaires.

    Car si le glorieux héritage invoqué ici n’est bien sûr pas sans fondement, l’Occident est aujourd’hui prisonnier d’un Système (américaniste, occidentaliste, anglo-saxon comme on voudra, mais que par commodité nous ne nommeront ici que par le terme générique de « Système ») qui instrumentalise désormais ses idéaux dont il ne conserve que les slogans après en avoir détruit la substance.

    Passage en revue.

    La narrative à l’épreuve du réel

    • La démocratie-libérale, modèle indépassable

    Dans l’écrasante majorité des démocraties occidentales, le régime en place, idéal sur le papier, est un leurre où deux ailes d’un parti unique simulent l’affrontement des idées. Le peuple est donc l’otage d’un simulacre de démocratie. Dans les faits, chaque camp gouverne sous la dictature des marchés, se pliant aux lois d’un Système régi par les seules lois darwiniennes de l’économie.

    • Les valeurs occidentales sont les plus élevées qui soient

    C’est faire peu de cas des ravages de la colonisation et de l’esclavagisme, ces deux sanglantes mamelles qui ont permis hier à l’Occident de financer son industrialisation et qui lui permettent, aujourd’hui encore, de financer son train de vie puisque toutes deux n’ont fait qu’évoluer sans disparaître. Grâce à la globalisation, le Système permet en effet aujourd’hui à l’Occident de faire travailler ses esclaves dans leur pays d’origine, et l’OMC, le FMI ou la BM assurent la poursuite d’une colonisation sans faille des pays en voie de développement par un mécanisme d’endettement forcé.

    • L’Occident soucieux de la pauvreté et de la liberté des peuples

    Là encore, les faits démentent la narrative puisque l’Occident continue à piller les richesses naturelles des pays pauvres tout en leur refusant un commerce équitable, ce qui a pour effet premier de bloquer leur développement et d’accroître leur pauvreté. Les multinationales ont fait main-basse sur “l’agro-business”, affamant des régions entières pour maximaliser leur profit (prise en otage des paysans grâce aux OGM, monocultures intensives, rachat de concessions d’eau qu’on laisse à l’abandon pour forcer l’achat d’eau en bouteilles etc. etc Notons encore que l’essentiel des capitaux qui tournent autour de l’agro-business sont spéculatifs.). Le Système maintient ainsi artificiellement et à dessein l’essentiel de la planète dans la pauvreté pour garantir sa richesse. De plus, puisqu’il se pense universaliste, le Système est un formidable destructeur de cultures. Il assimile, nivelle, dissous les identités et les spécificités culturelles, les dilue, les absorbe, les digère, les uniformise, les reformate.

    • L’Occident œuvre pour la paix dans le monde

    Rien n’est plus faux. Les seules boucheries de masse perpétrées depuis 20 ans sur cette planète (Irak-Afghanistan) l’on été et le sont encore au nom de la démocratie et des droits de l’homme par les armées occidentales, du Système donc. Dans des pays d’Afrique sub-saharienne où le sous-sol est riche en hydrocarbures, le Système et ses groupes pétroliers fomentent ou entretiennent des guerres pour endetter et donc asservir les pays concernés et empêcher par tous les moyens un scénario de type bolivien. Au Proche-Orient, la tête de pont occidentale en territoire barbare, Israël donc, est soutenue dans toutes ses boucheries depuis 60 ans par le Système. Dans sa nouvelle doctrine nucléaire, Washington menace même les pays qu’il jugera “proliférateurs” de frappes nucléaires préventives, même si ces derniers ne disposent pas de l’arme atomique (1). En clair, puisque la menace nucléaire iranienne est un conte, le Système est désormais théoriquement prêt à faire usage de l’arme atomique pour imposer son modèle aux récalcitrants trop turbulents.

    • L’évolution de notre civilisation tend toujours vers le mieux

    Certes, à l’intérieur de la civilisation occidentale, on ne torture plus physiquement, on n’emprisonne plus les gens pour leurs idées (José Bové soutiendrait toutefois le contraire). Mais le Système opère un contrôle de plus en plus inquisiteur sur les individus sous couvert de sécurité, et l’on voit les prémices d’une répression soft mais grandissante de toute pensée non-conformiste à mesure que les contradictions du Système apparaissent. L’illusion de la liberté, et finalement de la vie pourrait-on dire, ne provient essentiellement que de l’accès d’apparence libre mais en réalité imposé (comment y échapper ?) à toutes les formes de saturations sensorielles. Simulacre d’exaltation par une sur-stimulation des sens donc, mais qui ne s’adresse toutefois jamais qu’à “nos passions tristes”. Ce qui caractérise le mieux la civilisation occidentale aujourd’hui, est le constat de la perte complète du sens. Intuitivement, on pourrait avancer que la raison n’a finalement jamais réussi à combler le vide laissé par le meurtre de Dieu (1789 : naissance de la seconde civilisation occidentale). Dans le Système occidentaliste, l’individu lutte en permanence contre une sensation de vertige, de vide, qu’il est sensé combler par un acte d’achat répété jusqu’à l’hystérie et/ou la nausée (Ô mon Dieu, mais quand va donc enfin sortir la nouvelle version du dernier MacdoPhoooone ?). En définitive, l’homo-occidentalus ne sait plus vraiment pourquoi il vit.

    • Le capitalisme n’est pas parfait, mais il est perfectible et de toute façon, il n’y a pas d’alternative.

    Arrivé désormais à sa pleine maturité, le système capitaliste dans sa version néo-libérale se révèle une machine monstrueuse, nihiliste à l'extrême, anthropophage dans sa nature profonde. Les licenciements de masse font s’envoler les actions des entreprises; les catastrophes naturelles sont considérées comme des aubaines pour relancer l'économie; le principe de précaution est sacrifié aux exigences du profit immédiat; c’est le règne du court terme ; la privatisation et la manipulation du vivant n'est qu'une perspective de plus d'enrichissement ; on préfère laisser crever des millions d’Africains plutôt que de baisser le prix des trithérapies. Au final, le capitalisme dans sa version ultime corrompt tout ce qu'il embrasse, de l’esprit à la biosphère, se dévorant finalement lui-même à coups d’OPA agressives, imposant aux sociétés qui lui sont soumises la décadence des mœurs, le desséchement de la pensée et de l'âme, le meurtre de l’environnement. Comme l’écrit Esther Vivas, «Le capitalisme a démontré son incapacité de satisfaire les besoins fondamentaux de la majorité de la population mondiale (un accès à la nourriture, un logement digne, des services publics d’éducation et de santé de bonne qualité) tout comme son incompatibilité absolue avec la préservation de l’écosystème (destruction de la biodiversité, changement climatique en cours).» En ce sens, le capitalisme est tout simplement une dynamique destructrice du vivant. Même dans sa “zone de privilège”, l’Occident donc, le capitalisme ne gouverne que par la violence : docilisation des masses par la précarisation ; paupérisation ; enfermement des individus dans les dettes pour achever de verrouiller leur dépendance au Système. Mais le capitalisme s’avère aussi incapable de résoudre ses contradictions (à qui vendre mes voitures puisque je mets mes acheteurs potentiels au chômage pour délocaliser et produire à moindre coûts etc…). Là encore, la narrative se fait d’autant plus agressive qu’il faut masquer une impasse de plus en plus visible.

    La manipulation des psychologies

    Et pourtant, l’Occident ne se pense qu’au travers de l’image parfaite et honorable dont il s’est doté comme une entreprise se dote d’une identité visuelle, de ce masque de vertu dessiné par sa machine de communication et qui est si prompt à se sentir outragé par la barbarie de l’“autre”.

    Comment est-ce possible ?

    C’est là qu’entre en jeu la fantastique puissance communicationnelle du Système. Un machine non pas de propagande (le propagandiste sait qu’il trompe), mais de création d’une réalité virtuelle.

    La distinction est importante. Car le Système ne peut fonctionner que sous certaines conditions, dont l’une des principales est la sujétion volontaire des masses au Système. En l’absence de cette sujétion volontaire, le Système serait en effet contraint de révéler sa nature profonde, qui est totalitaire, et s’exposerait alors à être contesté, puis combattu, ce qui serait contre-productif, donc contraire aux buts du Système.

    Or, là où la propagande s’attaque à la pensée et tente d’asséner des mensonges mille fois répétés pour en faire des vérités (cf Goebbels), la machine à réalité virtuelle du Système manipule la psychologie. C'est-à-dire le point de contact le plus intime entre le Système et l’individu. L’élément subtil par lequel l’individu perçoit, ressent le Système, et par lequel le Système touche au plus profond de l’individu.

    Et seule la manipulation de la psychologie peut susciter la sujétion volontaire recherchée.

    C’est pourquoi nonobstant une poignée de marionnettistes, tout ce qui fait la communication du Système, c'est-à-dire l’élite politique mais aussi, bien sûr, la presse-Pravda, les plumitifs du prêt-à-penser, le tout Hollywood et ses avatars, croit généralement au caractère indiscutable des énoncés cités en préambule, croit en la pureté intrinsèque du Système (n’est pas meilleur menteur que celui qui croit dire la vérité…).

    Chacun des hérauts du Système défend donc la réalité virtuelle ainsi créée avec d’autant plus de hargne qu’il lui est vital d’y croire pour son équilibre psychologique justement, au point qu’on peut même soutenir qu’il désire intensément être trompé, par paresse, conformisme et peur de l’inconnu bien sûr, par crainte de perdre ses privilèges sûrement, par angoisse du vide sans doute.

    On constate d’ailleurs que ces dociles communicateurs ne combattent jamais avec autant de rage toute contestation de Leur Vérité, que lorsqu’ils en suspectent tout à coup malgré eux l’éventuelle fausseté (l’exemple nous est donné ici par la violence avec laquelle sont traités ceux qui contestent la version officielle des attentats du 11 Septembre.)

    L’individu sous perfusion permanente

    A l’heure de l’hyper-technologie, la puissance du flux communicationnel du Système est désormais telle qu’il est bien difficile d’y résister, et impossible d’y échapper.

    La télévision est bien sûr le principal vecteur des valeurs du Système, de sa réalité virtuelle donc. Là où l’on fait globalement sans cesse l’éloge des valeurs de l’Occident, de la justesse de ses croisades, des bienfaits du libre-marché, et c’est là aussi que directement ou implicitement on désigne l’ennemi, on caricature l’autre et les valeurs de l’autre, le barbus fanatique, l’insondable et menaçant bridé, le nègre sauvage et sanguinaire.

    Or un français de plus de 4 ans passe, par exemple, en moyenne 3,36 heures devant sa télévision chaque jour. C'est-à-dire qu’en un an, il reste assis à fixer une petite boîte diffusant les messages du Système durant…. 54 jours sans discontinuer, soit presque… deux mois jours et nuits par an.

    Dans la presse, considérée généralement comme plus critique, les valeurs citées en préambule ne sont jamais fondamentalement remises en question (sauf éditos alibis s’entend). Ajoutons donc à cela le temps de lecture. Et puis les messages publicitaires qui jonchent les rues et célèbrent les vertus du consumérisme, de la joie de posséder, c'est-à-dire qui célèbrent la plus haute vertu proposée par le Système, l’orgasme marchand : l’achat.

    Bref, l’individu moyen est quotidiennement soumis aux stimuli du Système et à sa réalité virtuelle. Il est sous perfusion quasi permanente.

    L’avantage de la réalité virtuelle sur la propagande, c'est-à-dire l’avantage de manipuler les psychologies plutôt que la pensée est donc évident. Car au lieu d’avoir des individus qui ânonnent sans y croire les vertus d’un système en le honnissant (cf ex-URSS), l’homo-occidentalus fait l’apologie du Système en étant persuadé de le faire de son plein gré en fonction d’un raisonnement libre, juste et bon.

    L’individu se confond avec le Système qui a pénétré sa psychologie (2).

    La liberté dans les interstices des rouages

    Reste que cette manipulation en profondeur, malgré son caractère apparemment soft puisqu’elle vise une sujétion non contrainte, reste d’une violence terrible pour les psychologies. Difficile en effet de faire croire sans conséquences sur le long terme que le noir est blanc, que le bas est en haut, que la bassesse puisse être vertu.

    Instinctivement, nombreux sont donc ceux qui ressentent intuitivement un malaise au spectacle de cette réalité virtuelle : “on sent bien que quelque chose cloche, mais quoi…”

    C’est que le réel, un peu comme lorsque l’image d’une télévision est secouée par des parasites, fait régulièrement irruption dans la narrative du Système, sans que celui-ci puisse l’empêcher.

    Crise économique majeure qui oblige le Système à se sauver lui-même en reportant la dette des spéculateurs sur les peuples ; boucherie puis débandade militaires masquées en opération de libération et en victoire (Irak), manipulations trop grossières sur les buts de guerre (cf. la fable des armes de destructions massives irakiennes) ; le réel entre parfois trop brutalement en contradiction avec la narrative du Système et en démasque au moins brièvement la supercherie.

    Nombreux sont donc ceux qui, en proie à ce malaise, y cherchent une explication et sont donc réceptifs à d’autres informations, dissidentes ou alternatives comme on voudra, que le Système, et c’est là sa principale faiblesse, ne peut pas filtrer sans se désavouer lui-même puisqu’il s’affirme comme un espace de liberté. En ce sens, on constate que la narrative du Système est en même temps sa prison.

    L’on pourrait donc caricaturer en disant que la vraie liberté se situe aujourd’hui dans les interstices des rouages du Système, dans ces espaces que le Système est contraint de laisser ouverts s’il veut lui-même fonctionner.

    Internet est truffé de ces espaces là. Il est bien sûr un outil formidable de communication au Service du Système, mais sa nature ubuesque a aussi ouvert une faille béante dans sa narrative car, pour la première fois, l’information échappe au contrôle du Système.

    De plus en plus de sites dissidents gagnent ainsi en audience et jouent un rôle “d’éveilleur” que le Système ne peut combattre frontalement. La presse-Pravda tente bien sûr désespérément de jouer l’opposition entre le mythe d’une info vérifiée, professionnelle, sérieuse contre le tout et n’importe-quoi qu’Internet produirait essentiellement. Mais c’est un baroud d’honneur.

    Vers l’esprit de résistance

    Et c’est là que l’on discerne les premières clés d’un nouveau manuel de guérilla possible, qui obéit grosso modo aux règles de la guerre de 4ème génération, c'est-à-dire ce que l’on appelle la guerre du faible au fort. Une guerre de harcèlement donc où, passez-moi l’expression, une poignée de moustiques peut efficacement s’employer à piquer le cul de l’éléphant jusqu’à le pousser à la faute, ou à le rendre fou. Les principes sont anciens (retourner les armes de l’adversaire contre lui, exploiter les failles dans sa défense, susciter la discorde chez l’ennemi), mais les moyens nouveaux.

    Il s’agit d’attaquer le Système dans sa narrative, de le marquer à la culotte, de le démasquer, d’en révéler au jour le jour les supercheries, les sophismes, les manipulations. L’objectif étant bien sûr de discréditer le Système et ses zélateurs par la mise en concurrence acharnée de sa réalité virtuelle et du réel.

    Ce combat en est au stade embryonnaire pour l’instant, et il est prévisible que le Système cherchera la parade par des astuces technologiques ou législatives.

    Mais au final, le combat est engagé. Et l’on pourrait dire que le champ de bataille se situe aujourd’hui dans cet espace infime et gigantesque à la fois que constitue le doute, la malaise que fait ressentir aux psychologies la manipulation du Système. Ce malaise est comme une faille qu’il faut élargir pour que s’y engouffre le réel. Ensuite, il appartiendra au dormeur de se réveiller en acceptant le vertige du réel, pour que puisse naître en lui l’esprit de résistance, le désir du combat.

    En attendant le coup de pouce de l’Histoire

    Aujourd’hui, le Système est profondément malade de ses contradictions. La supercherie est de plus en plus difficile à masquer. Les crises se multiplient et les seuls remèdes que sont capables de proposer les élites du Système sont de nature cosmétique bien sûr. Car le Système ne peut ni ne veut être réformé en profondeur, car ce serait admettre sa faiblesse, son inadéquation au réel. La seule préoccupation du Système est donc de protéger sa narrative, d’imposer à tous le déni du réel. Alors une crise succède à une autre crise, qui en abrite elle-même cent autres. Car le réel est là, comme un volcan, qui couve sous la cendre.

    Nous l’avons dit, la narrative du Système est en même temps sa prison. Sa force est donc sa faiblesse. Il est contraint de sauver les apparences, et sauver les apparences, c'est-à-dire la réalité virtuelle, lui impose des limitations terribles de ses capacités. Par exemple, sa machine de guerre, capable de renvoyer n’importe quel pays à l’âge de pierre, peut être réduite à l’impuissance à cause de cette narrative justement. En Afghanistan, on observe ainsi que les bavures, dès qu’elles sont connues, ont pour premier effet de compromettre les opérations en cours en obligeant le Système à clouer son aviation au sol, au moins le temps de faire oublier les crimes, de rétablir la narrative. S’en suit une suite interminable de surge qui ont tous ont la prétention d’être “la grande opération finale” et qui s’achèvent systématiquement en fantastiques ratages. De par les contraintes de la narrative, l’hyper-puissance militaire devient donc souvent impuissance avec, là encore, un désordre permanent qui s’installe. La hiérarchie militaire du Système se retrouve alors à hésiter sans cesse entre le désir d’atomiser les talibans, ou celui de les intégrer au gouvernement.

    C’est que le Système s’avère désormais lui aussi incapable de résoudre ses contradictions. Le Système est en crise car la structure même du Système le conduit inéluctablement vers la crise.

    Toutes les conditions sont donc réunies pour l’effondrement final. Mais à notre avis, seul un événement majeur pourra permettre aux peuples d’Occident de se libérer définitivement du Système. Un événement qui ne peut être qu’une fracture, un schisme, coup d’envoi de la dernière phase de l’effondrement attendu, à l’implosion, à la dissolution.

    Or il se trouve que la crise du Système rencontre aujourd’hui une autre crise, celle des Etats-Unis, matrice du Système justement. C’est là en effet que le monstre a été conçu, nourri, là où il a pris son envol, a déployé ses ailes.

    Notre thèse est donc que cet événement majeur tant attendu, le schisme, la fracture, pourrait prendre la forme d’une fracture transatlantique à la faveur de l’effondrement en cours de la puissance américaine.

    L’effondrement du Système américaniste et/ou occidentaliste qui enchaîne les esprits et les nations depuis la fin de la Seconde guerre mondiale pourrait donc être, pour l’Europe et l’Occident en général, le moment tant attendu de sa vraie libération, de sa renaissance.

    Encore faudra-t-il que suffisamment de dormeurs se soient réveillés d’ici là pour prendre les commandes de ce nouveau départ, et éviter que l’Histoire ne bégaie.

    C’est à notre sens l’enjeu du combat d’aujourd’hui.

     

    Pierre Vaudan (De Defensa, 26 novembre 2010)

     

    Notes

    (1) «J’estime que le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) contient un message très ferme tant pour l’Iran que la Corée du Nord, a déclaré le secrétaire à la Défense américain, Robert Gates en présentant la nouvelle doctrine nucléaire américaine. Ce qui signifie que si vous acceptez de jouer selon les règles nous entreprendrons la mise en œuvre de certaines obligations envers vous; si vous devenez des “proliférateurs”, alors toutes les options sont sur la table.»

    (2) On sait que la CIA a expérimenté (faut-il parler au passé ?) des techniques de torture psychologique qui consistent à asséner de manière répétée des chocs sensoriels aux individus pour “laver leur psychologie”. Non pas pour y inscrire des messages nouveaux (ça c’était la technique obsolète du lavage de cerveau), mais pour en faire en quelque sorte une page blanche qui puisse être dès lors ouverte et réceptive à de nouvelles perceptions (cf Naomi Klein, La Stratégie du choc).

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  • Je me souviens du Général...

    Nous reproduisons ici un beau texte de Jérôme Leroy, mis en ligne sur Causeur, et consacré au général De Gaulle.

    De Gaulle figurine.jpg

    Je me souviens du Général

    Je me souviens d’un petit garçon au cours préparatoire. Il rentre chez lui tout seul. L’école n’est pas loin de son domicile et, dans ces années du monde d’avant, les enfants peuvent encore se promener seuls. C’est en novembre 1970. Deux hommes discutent gravement près d’une voiture (une Simca Aronde ? Des pneus bicolores, en tout cas…), garée sur le parking en face de chez lui
    – Alors, comme ça, Il est mort ?
    Le petit garçon ne comprend pas de qui il s’agit au juste mais il a l’impression bizarre d’entendre une majuscule mise au pronom personnel. Il me semble bien que le petit garçon, c’est moi.

    Je me souviens de la phrase mystérieuse de Malraux, parlant des gaullistes : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien. » Que voulait-il dire ? Il y a trois possibilités.
    a)Entre les communistes et nous, il n’ y a rien de commun. Difficile à admettre, quand on pense à la Résistance et au CNR.
    b) Entre les communistes et nous, il n’y a aucune force politique digne de ce nom. C’est possible : la droite française qui n’était pas gaulliste, elle n’était pas franchement très nette. Se souvenir du temps, très long, mis par Giscard, Barre et Poniatowski, à réagir à l’attentat de la rue Copernic, par exemple. Et puis les socialistes, on sait ce que c’est. Vouloir vaseliner le capitalisme, ça n’a jamais donné un destin à un pays.
    c) Entre les communistes et nous, il n’y a rien qui nous oppose sur le fond. Quand je vois ce qu’est devenu le paysage politique aujourd’hui, je me dis que c’est sans doute cela que Malraux, l’ancien combattant des Brigades internationales, voulait dire. Il prévoyait sans doute l’époque où gaullistes et communistes seraient les derniers dinosaures républicains dans cette atmosphère ethnolibérale qui est, en France et en Europe, de plus en plus irrespirable aujourd’hui.

    Je me souviens en ayant lu De quoi Sarkozy est-il le nom ? de Badiou et de ses analyses sur le « transcendantal pétainiste » qui couraient à travers l’histoire de France de Thiers à nos jours, et m’être dit que c’était trop facile. Qu’il y avait aussi un transcendantal gaulliste qui consistait à être capable d’ouvrir le feu, même en position défavorable, au nom d’une idée supérieure qu’on se fait de la nation et de ce qu’elle suppose comme modèle de civilisation.
    Exemples de transcendantal gaulliste, hors son incarnation archétypale du 18 juin 40 : Vercingétorix à Gergovie, Jeanne d’Arc sous les murs d’Orléans, les soldats de l’an II encadrés par une poignée d’officiers aristocrates à l’assaut du moulin de Valmy, le colonel Rossel restant fidèle jusqu’à la mort au gouvernement de la Commune, le discours de Villepin à l’ONU de 2003, le référendum de 2005 sur la Constitution Européenne, le mouvement social de 2010. Le transcendantal gaulliste, ou le refus de la fatalité et du diktat des experts autoproclamés. Ils lui auraient donné assez peu de chances de réussir, à la bergère lorraine ou au général rebelle condamné à mort, tous nos spécialistes, analystes et commentateurs si brillamment médiatiques.

    Je me souviens de mon père qui me disait : « Le de Gaulle de 40 tant que tu veux, celui de 58 jamais. » Il avait voté non au référendum de 58. C’était même la première fois qu’il votait. Cette vieille dent des communistes contre la Cinquième République et l’élection du président au suffrage universel. Je n’ai jamais osé dire que le suffrage universel, c’était peut-être nous qui en profiterions un de ces jours. Ça s’était vu au Chili en 1971. Bon, ça s’était mal terminé deux ans plus tard, mais qui a dit que l’Histoire n’était pas tragique ? Pas De Gaulle en tout cas.

    Je me souviens d’avoir trouvé que l’exécution de Bastien Thiry, ça manquait de fair-play. On aurait bien aimé que général ait pour le lieutenant-colonel la clémence d’Auguste pour Cinna.

    Je souviens que le SAC, avant de devenir une banale milice électorale au service de la droite des années 1970 et de faire les beaux jours des films d’Yves Boisset, avait d’abord été une police parallèle de barbouzes républicaines, tous anciens résistants, pour protéger le Général des soldats perdus de l’OAS. Une époque de géants, tout de même, où il y avait comme l’écrit La Rochefoucauld : « des héros en Bien comme en Mal. »

    Je me souviens de La Boisserie, du champagne Drappier, des DS noires alors que j’espère assez vite oublier le cap Nègre, les Rolex et Carla Bruni.

    Je me souviens que De Gaulle à l’Elysée payait ses timbres de sa poche quand il envoyait ses vœux à ses proches. Ça fait sourire, non ? À moins que ça ne fasse pleurer.

    Je me souviens qu’en 1967, la France avait quitté l’OTAN depuis un an, s’apprêtait à rejoindre les non-alignés et que le général Ailleret était l’inspirateur de la doctrine « tous azimuts » qui consistait à pointer les missiles de notre dissuasion nucléaire vers l’Est ET vers l’Ouest. Je me souviens que le général Ailleret est mort dans un mystérieux accident d’avion à Tahiti en mars 68. Et que quelques semaines plus tard sont arrivés en Mai des événements qui ont arrangé tout le monde : les Américains, la droite affairiste pompidolienne qui ne voulait pas de la participation, les gauchistes qui voulaient la peau du PCF, les socialistes qui espéraient ramasser la mise.

    Je me souviens d’avoir acheté un CD avec les principaux discours de De Gaulle. Mon préféré : le discours de Phnom-Penh en 1966. Penser à donner le texte sans signature à quelques personnes pour faire une « dégustation à l’aveugle ». Et demander si c’est de Chavez, de Guevara ou de De Gaulle. Bien rigoler en entendant les réponses. Je me souviens que Frédéric Fajardie, ex du service d’ordre des Comités Viêt-Nam de Base, me racontait comment ils avaient eu, eux les maos, l’étrange impression d’être doublés sur leur gauche par le vieux général.

    Je me souviens du meeting lillois de la campagne de Chevènement en 2002, quand en première partie se sont succédé le député communiste du Pas de Calais qui était arrivé bleu de travail à l’Assemblée nationale quand il avait été élu député en 1997 et Pierre Lefranc, l’aide de camp du général de Gaulle. Le vieux cyrard et le prolo, ensemble contre l’Europe libérale.

    Je me souviens que j’ai toujours un petit coup au cœur quand je parcours la rubrique nécrologique des journaux et que je vois qu’un Compagnon de la Libération a encore tiré sa révérence.

    Je souviens d’avoir été tout de même un petit peu énervé quand j’ai vu et entendu les cris de cabris et les sauts d’orfraie, à moins que ce ne soit le contraire, de certains professeurs de lettres quand ils ont appris que Les Mémoires de Guerre étaient au programme des épreuves du bac de français. Ne pas voir qu’un incipit comme : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France » n’a rien à envier à Longtemps je me suis couché de bonne heure ou : « Aujourd’hui, maman est morte. », c’est à ces choses-là qu’on mesure les dégâts de décennies de pavlovisme pédagogiste.

    Je me souviens que les gens qui n’aiment pas De Gaulle (sauf ceux qui ont de bonnes raisons comme les Pieds Noirs et les Harkis) ont deux arguments : il a fait croire que toute la France était résistante. Quand bien même ce serait une fiction (mais il faudra l’expliquer aux derniers Français libres vivants), c’est une fiction qui a changé le réel et nous a évité de passer sous administration américaine. C’est donc une fiction qui a réussi. Ce qui est une bonne définition de la politique. Et aussi, qu’il aurait entretenu la France dans l’idée qu’elle était encore un grand pays alors que ce n’était plus qu’une puissance moyenne.
    Qu’ils se rassurent, ceux-là, qui aiment l’automutilation décliniste tant qu’elle ne gêne pas leur hédonisme libéral libertaire, ils finissent par avoir raison ces temps-ci. Plus le gaullisme disparaît comme force politique opérante, plus la France ressemble à une petite Autriche hargneuse et névrosée, à un pays de vieux et à une remorque atlantiste des USA, qui va bricoler ses nouvelles bombes avec le Royaume Uni, ce porte-avion de Washington.

    Je me souviens que Dominique de Roux écrivait dans L’écriture de Charles de Gaulle, en 67 : « La mission actuelle de la France, l’accomplissement final du destin gaulliste, c’est de faire que la troisième guerre mondiale se porte, non pas sur le plan de la dévastation, mais sur le plan du salut, non pas sur le plan d’un embrasement universel, mais sur celui de la pacification. »

    Je me souviens que si je n’avais pas été communiste, j’aurais été gaulliste.

    Jérôme Leroy (Causeur, 11 novembre 2010)

     

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  • Cet infracassable noyau de nuit...

    Dans notre rubrique Achives, nous reproduisons ici  un éditorial de la revue Eléments sous la plume de Robert de Herte (alias Alain de Benoist), qui introduisait un dossier consacré à la sexualité.

     

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    Cet infracassable noyau de nuit….

    De l’érotisme, qualité proprement humaine qui fait emprunter au désir sexuel le canal de l’inventivité mutuelle, il n’existe pas de définition véritablement satisfaisante. L’érotisme n’est pas le contraire de la pudeur, qui n’a de sens que pour autant qu’elle rend désirable. Il n’est pas non plus le contraire de la pornographie, qui ne redevient elle-même suggestive (c’est son grand avantage) que lorsque, montrant absolument tout, elle révèle du même coup qu’il n’y a rien à voir. Du reste, D.H. Lawrence avait déjà tout dit quand il dénonçait l’hypocrisie d’une société qui condamne la pornographie tout en restant aveugle sur sa propre obscénité. N’importe quel discours publicitaire, n’important quel discours relevant de la logique du marché, aujourd’hui, est assurément plus obscène qu’un vagin ouvert photographié en gros plan.

    Pendant des siècles, l’érotisme a été dénoncé comme contraire aux « bonnes mœurs » parce qu’en excitant les passions sensuelles, il contredisait une morale fondée sur la dévalorisation de la chair. Contrairement à d’autres religions, le christianisme a toujours été incapable de produire une théorie de l’érotisme, non qu’il ait jamais ignoré le sexe, mais au contraire parce qu’il en a fait une obsession négative. Passé le temps des martyrs, l’abstinence devint la marque de la vie dévote et la sexualité le domaine d’élection du péché. L’activité sexuelle, regardée comme un pis-aller, n’était plus admise que dans le cadre conjugal. L’Eglise condamnait une sexualité déconnectée de la seule visée procréative, tout en cultivant l’idéal virginal d’une procréation sans sexualité. Raison pour laquelle, sans doute, le discours sur le sexe est si longtemps resté purement littéraire, médical ou simplement vulgaire – bien qu’il soit révélateur que, de tout temps, le nu ait servi de base à l’enseignement des beaux-arts, comme étant le plus approprié à former à la catégorie du beau.

    La modernité naissante a ensuite entrepris un vaste travail de désymbolisation, dont l’érotisme a été la victime. Se fondant sur une idée de l’être humain comme individu autosuffisant, elle s’interdisait déjà par là de penser une différence sexuelle qui, par définition, implique l’incomplétude et la complémentarité. La péjoration des passions et des émotions, supposées génératrices de « préjugés », a d’autre part accompagné la montée en puissance de l’individu au profit du rationalisme scientiste. L’intelligence sensible – celle du corps – s’est alors trouvée dévaluée, soit comme porteuse de pulsions « archaïques », soit comme émanant d’une « nature » dont l’homme, pour devenir proprement humain, était appelé à s’émanciper. La modernité, enfin, a systématiquement reconverti l’intérêt en besoin, et le besoin en désir. Sans voir que le désir ne se ramène précisément pas à l’intérêt.

    Auteur d’une belle Anthologie historique des lectures érotiques, Jean-Jacques Pauvert estime qu’« en l’an 2000, malgré les apparences, il n’y a plus guère – ou plus du tout – d’érotisme. Cette parole d’expert peut surprendre. Elle ne fait en réalité que constater que l’érotisme, hier bridé par une censure qui le vouait à la clandestinité et à l’interdit, est aujourd’hui très exactement menacé par son contraire.

    De même que la surabondance d’images empêche de voir, et que la grande ville est en fait un désert, le sexe assourdissant devient inaudible. L’omniprésence des représentations sexuelles enlève à la sexualité toute sa charge. Contrairement à ce que s’imaginent les réactionnaires pornophobes, héritiers du nouvel ordre mondial reagano-papiste, elle tue l’érotisme par excès, au lieu de le menacer par défaut. C’est là encore un effet de la modernité. Le procès moderne d’individualisation a en effet abouti, d’abord à la constitution de l’intimité, puis au renversement dialectique de l’intimité dans l’exhibition de soi au nom d’un idéal de transparence. Ce passage de l’intimité à l’exhibitionnisme (pris comme « témoignage », et donc critère de vérité) est parfaitement illustré par l’émission de « télé-réalité » Loft Story, image fidèle, concentré spéculaire (et crépusculaire) de la société actuelle, qui ne force le trait que pour mieux en faire apparaître les lignes de force : voyeurisme pauvre et niaiserie consensuelle, huis clos programmé par la loi de l’argent, exclusion interactive sur fond d’insignifiance absolue. Que les foules soient fascinées par ce miroir qu’on leur tend n’a rien pour surprendre : elles y voient en petit ce qu’elles vivent tous les jours en grand.

    Le sexe est aujourd’hui convié à se mettre au diapason de l’esprit du temps : humanitaire, hygiéniste et technicien. La normalisation sexuelle trouve des formes nouvelles, qui ne cherchent plus à réprimer le sexe mais à en faire une marchandise comme les autres. La séduction, trop compliquée, devient une perte de temps. La consommation sexuelle doit être pratique, performante et immédiate. Objet machinal, corps-machine, mécanique sexuelle : la sexualité n’est plus qu’un affaire de recettes « techniques » au service d’une pulsion scopique de la quantité. Dans le monde de la communication, le sexe doit cesser d’être ce qu’il a toujours été : semblance de communication d’autant plus délectable qu’elle s’inscrit sur fond d’incommunicabilité. Dans un monde allergique aux différences, qui à bien des égards a reconstruit socialement et culturellement le rapport des sexes sous l’horizon d’un dimorphisme sexuel atténué, et qui s’entête à voir dans les femmes des « hommes comme les autres », alors qu’elles sont en réalité l’autre de l’homme, il faut qu’il n’« aliène » plus, alors qu’il est un jeu d’aliénations volontaires. Le désir politiquement correct de supprimer le rapport de forces qui s’établit tantôt au bénéfice de l’un des sexes et tantôt de l’autre, dans une conversion mutuelle, tue ainsi l’érotisme, car il n’y a pas de rapport amoureux qui se déploie dans une plate égalité, mais seulement dans une joute, une instable inégalité qui permet le retournement de toutes les situations. Le sexe n’est que discrimination et passion, attirance ou rejet également excessifs, également arbitraires, également injustes. En ce sens, il n’est pas exagéré de dire que le véritable érotisme – sauvage ou raffiné, barbare ou ludique – reste plus que jamais un tabou.

    La volonté de supprimer la transgression tue pareillement l’érotisme. Car il y a bien des normes en matière sexuelle, comme il y en a en toutes choses. L’erreur est de croire que ce sont des normes morales, l’autre erreur étant de s’imaginer que n’importe quelle conduite peut être érigée en norme, ou que l’existence d’une norme délégitime du même coup ce qui est hors-normes. L’érotisme implique la transgression, pour autant que cette transgression reste possible sans cesser d’être transgression, c’est-à-dire sans être posée comme norme.

    Entre les « jeunes des cités » pour qui les femmes ne sont que des trous avec de la viande autour, les suceuses professionnelles aux formes siliconées et les magazines féminins transformés en manuels de sexologie pubo-coccygienne, l’érotisme apparaît ainsi verrouillé de toutes parts. Les jeunes, en particulier, doivent faire face à une société qui est à la fois beaucoup plus permissive et beaucoup moins tolérante que par le passé. De même que la domination débouche en général sur la dépossession, la prétendue libération sexuelle n’a finalement abouti qu’à de nouvelles formes d’aliénation. Mais le sexe, parce qu’il est avant tout le domaine de l’incertitude et du trouble, se dérobe toujours à la transparence. L’exhibitionnisme le rend plus opaque encore que la censure, car à ce désir de transparence il répond toujours par la métaphore. A la mise en lumière sous les projecteur, le monde du sexe oppose, heureusement, ce qu’André Breton appelait son « infracassable noyau de nuit ».

     

    Robert de Herte (Eléments 102, septembre 2001)

     

     

     

     

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  • Pour une Europe forteresse !

    L'excellent site Europe solidaire, que nous avons déjà cité à plusieurs reprises, vient de mettre en ligne un texte important intitulé Pour une Europe forteresse et signé Jean-Paul Baquiast. Nous reproduisons ci-dessous son introduction. 

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    Une Europe forteresse ?

    par Jean-Paul Baquiast

    Le terme d'Europe Forteresse ou de Forteresse Europe est généralement utilisé par les Européens partisans du libre-échange pour stigmatiser (on stigmatise beaucoup en ce moment) des compatriotes égoïstes, aveugles aux nécessités et contraintes de la mondialisation, voulant s'enfermer sur eux-mêmes en espérant ainsi échapper à la compétition avec le reste du monde. Faut-il préciser cependant que beaucoup de ceux qui raillent le concept de Forteresse Europe sont généralement les représentants d'entrepreneurs pour qui le libre-échange signifie délocaliser dans les pays pauvres toutes les activités industrielles et de service européennes. Ils emploient dans des conditions indignes une main-d'oeuvre locale à $1 par jour, pour revenir en Europe écouler 10 à 30 fois plus cher les produits de leurs activités. Ils se gardent bien de réinvestir en Europe les bénéfices ainsi réalisés. Le plus souvent ils les mettent à l'abri dans des paradis fiscaux afin de spéculer sur l'énergie, les matières premières, les produits alimentaires et les dettes des Etats.

    Nous pensons pour notre part que redonner toute sa légitimité au concept de Forteresse Europe serait au contraire indispensable aujourd'hui, alors que les opinions publiques européennes ne se perçoivent pas encore comme appartenant à une puissance géopolitique spécifique, en compétition avec d'autres puissances disposant d'atouts pouvant être supérieurs aux siens. Seules des populations assiégées peuvent être sensibles à la nécessité de bâtir une forteresse leur permettant de résister. Malheureusement les Européens ne se considèrent pas encore comme assiégés. Pourtant ils le sont. Non pas d'abord par d'autres populations, mais par des forces politiques, économiques, environnementales contre lesquelles ils ne savent comment se défendre.

    Cette prise de conscience des dangers s'impose pour que les opinions acceptent les changements permettant à l'Europe de valoriser ses propres avantages et se renforcer. Devrait-elle le faire sur le mode de la forteresse passive, enfermée dans ses murailles et incapables de résister aux agressions par la mobilité et l'offensive ? Certainement pas. Plutôt qu'évoquer la ligne Maginot, nous préférerions rappeler le vieux souvenir des forteresses volantes américaines de la 2e guerre mondiale (Flying Fortress) qui étaient à la fois bien défendues et capables d'actions offensive très efficaces.

    Les bonnes âmes feront valoir une autre objection, s'inspirant de la morale. Si les Européens prétendaient se barricader derrière des murs, à partir desquels ils pourraient lancer des offensives leur permettant de se défendre sur un mode plus actif, ne feraient-ils pas preuve d'un égoïsme odieux, au regard de tous les peuples misérables? Admettons qu'effectivement, avec le concept de Forteresse Europe, sous-entendant le passage à ne véritable économie de guerre, comme nous le verrons, les Européens voudraient d'abord se protéger de ceux qui veulent les assujettir et s'emparer de ce qui leur reste de ressources. Ce ne serait pas en se laissant dépouiller de tout, en gardant portes et fenêtres grandes ouvertes, comme c'est le cas actuellement, qu'ils pourraient contribuer à la survie de l'humanité. Mais rien n'interdirait à l'Europe, si elle devenait capable de se protéger elle-même, d'adopter des causes plus universelles, en y apportant des moyens renouvelés. Ceci avait d'ailleurs été esquissé avant la crise actuelle en matière de protection de l'environnement, d'aide à la lutte contre la faim et la maladie, de soutien aux droits de l'homme.

    Pour bien faire comprendre le sens que nous souhaitons donner au concept de Forteresse Europe, il faudrait l'enrichir des propriétés dont notre groupe (voir Jean-Claude Empereur, Pour une vision géopolitique européenne) a par ailleurs proposé de doter l'Europe: une Europe puissante, indépendante, souveraine et solidaire (solidaire d'abord en interne mais aussi, dans la limite du possible, à l'international). Aucune de ses propriétés n'est incompatible avec ce que devrait être selon nous la Forteresse Europe. Le concept serait totalement compatible avec celui d'Europe-puissance, que nous avons souvent évoqué dans d'autres écrits et conférences. Les Européens sont les seuls au monde à se méfier de la puissance, sans doute du fait qu'ils se souviennent encore des conflits du 20e siècle découlant d'affrontement entre puissances. Aujourd'hui pourtant, outre la superpuissance américaine qui fait tout pour le rester, les grands Etats ne se cachent pas de vouloir devenir ou redevenir des puissances. C'est notamment le cas de la Chine, de l'Inde du Brésil et de la Russie. Ces Etats se comportent tous, ouvertement ou de facto, pour devenir des forteresses – en plaidant cependant pour le libre-échange et la non-intervention, c'est-à-dire pour que les autres Etats ne puissent se fortifier.

    Compte tenu de ce qui précède, la présente note vise à préciser pourquoi l'Europe, associée dans de nombreux domaines la Russie, devrait s'affirmer comme une Forteresse en termes géopolitiques. Elle propose ensuite un certain nombre de moyens pour y parvenir.

    Lire le texte complet :

    Pour une Europe forteresse I

    Pour une Europe forteresse II

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  • DSK, une bulle politique...

    Nous reproduisons ici un point de vue ravageur consacré à DSK par le philosophe Jean-Pierre Dupuy, auteur, notamment, de La marque du sacré. Ce texte est paru dans le journal Le Monde, daté dimanche 24 - lundi 25 octobre 2010.  

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    DSK, une bulle politique

    La société française s'est trouvé un Sauveur, s'il faut en croire les sondages et les dires d'une armée de chroniqueurs. Ce Dieu caché présente pourtant des traits assez médiocres. Il est intéressant d'analyser ce cas, car il nous éclaire sur les rouages de la démocratie d'opinion. Un sondage IFOP du mois de juin, réalisé auprès d'un échantillon de sympathisants du Parti socialiste (PS), a produit des résultats étonnants. 

    Il s'agissait de comparer Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn ("DSK") selon quelques critères. Plus des deux tiers des sondés ont jugé que Martine Aubry l'emportait sur son partenaire-rival en ce qui concerne l'honnêteté, la fidélité aux valeurs de la gauche et la détermination à "changer les choses" ; mais presque les deux tiers des sondés ont jugé que DSK avait, davantage que sa partenaire-rivale, "l'étoffe d'un président de la République".

    La question de ce qui fait d'un homme ou d'une femme politique un "présidentiable" est ainsi brutalement posée. Ecartons l'idée que l'honnêteté et la fidélité à ses engagements seraient un passif, et inversement. La question est plutôt : qu'est-ce qui fait que le caractère présidentiable se conserve malgré de mauvais scores sur des valeurs aussi essentielles ?

    En économie, l'écart entre la valeur marchande d'un bien, appréciée par son prix, et sa valeur intrinsèque s'appelle une bulle. Le phénomène "DSK" serait-il une bulle ? L'interrogation est plaisante, s'agissant d'un économiste, qui, au moment de prendre les rênes du Fonds monétaire international (FMI), déclarait, en octobre 2007 : "La crise financière ne devrait pas avoir d'effet dramatique sur la croissance mondiale. La situation est maintenant sous contrôle." Qu'il ait passé son examen de passage avec succès s'explique sans doute par le fait que ses juges étaient encore plus aveugles que lui sur l'existence d'une bulle fantastique qui allait tout détruire en explosant.

    On se récriera, puisqu'on lit partout que DSK est un être "supérieurement intelligent", un économiste hors pair qui a déjà sauvé l'euro et l'Europe, qu'il est en marche pour "refonder" le capitalisme mondialisé, et qu'il est donc le mieux placé pour "sauver la France". Cette enflure, nourrie jusqu'à la nausée par des chroniqueurs qu'on croirait avoir été engagés comme fonctionnaires chez DSK, a quelque chose d'obscène. Quel manque de discernement de confondre l'intelligence et le brillant de celui qui en impose !

    Qu'en est-il de l'économiste ? Il y a plusieurs manières de l'être. L'économiste théoricien d'abord, que DSK n'a jamais été, à en juger par la liste de ses publications dans les revues qui comptent. Il détonne par rapport à des Ben Bernanke, des Larry Summers et bien d'autres, qui, quoi qu'on pense de leurs politiques, tentent de faire passer dans leurs actes le fruit de leurs travaux. Le technicien de l'économie, alors ? Tout jugement, ici, est discutable car la pratique reflète, en général, des choix politiques et idéologiques fondamentaux, forcément ouverts au débat. DSK a-t-il eu raison de concevoir les 35 heures, de choisir, lorsqu'il était ministre des finances, de ne pas réduire les déficits et la dette publique et, comme patron du FMI, d'étrangler la Grèce pour mieux la sauver ?

    Je ne me prononcerai pas là-dessus. Je me contenterai de pointer l'écart abyssal entre les jugements portés sur son action en France et à l'étranger - et, singulièrement, dans la presse de gauche anglaise et américaine. Celle-ci se déchaîne contre l'action du FMI. Quelques titres d'articles évocateurs : "Les avis du FMI sont-ils meilleurs que ceux d'un ivrogne dans la rue ?" (Dean Baker, codirecteur du Center for Economic and Policy Research à Washington, dans le Guardian du 29 juin) : la réponse est non et, au moins, ces derniers sont-ils honnêtes ; "Des cinglés aux commandes" (Paul Krugman, Prix Nobel d'économie, dans le New York Times du 7 juin) ; j'en passe et des meilleures.

    Mark Weisbrot, président du Just Foreign Policy à Washington, décortique l'étouffement délibéré de la Lettonie par le FMI. Le schéma est simple : ce pays ne peut pas dévaluer car sa monnaie est accrochée à l'euro. Pour l'aider à retrouver sa compétitivité sur le marché mondial, il faut donc le faire entrer en déflation afin que, les salaires s'effondrant, la dévaluation se fasse en termes réels.

    La crise de solvabilité de la Grèce : le FMI a écarté toute solution en termes de restructuration de la dette parce qu'elle aurait coûté trop cher aux banques créditrices, surtout européennes. On gratifie ceux-là mêmes, qui, par leurs paris irresponsables, ont privé des millions de gens de leur travail et de leur domicile en enfonçant encore plus le poignard dans la plaie.

    Chose remarquable quand on vit en France : DSK est le plus souvent épargné par ces critiques. C'est que, la plupart du temps, on ne cite même pas son nom, sinon en passant. On juge en effet que les véritables décideurs du FMI sont les ministres des finances des pays riches, le Trésor américain en tête, où grouillent d'anciens employés de la banque d'affaires américaine Goldman Sachs.

    Une fois, cependant, DSK a fait l'objet d'une accusation gravissime : sa politique, ou plutôt sa rhétorique, s'expliquerait par le désir de faire les gros titres dans son pays d'origine (New York Times du 11 mai). L'auteur de l'article s'appuie sur l'économiste de Berkeley Barry Eichengreen, un ancien du Fonds, et semble trouver évident que c'est en séduisant les banques plutôt que le "peuple de gauche" que DSK arrivera à ses fins électoralistes.

    DSK est-il le sauveur du capitalisme mondialisé ou bien le chef impuissant d'un organisme malfaisant ?

    Une question préjudicielle se pose. A supposer même que DSK fût un bon économiste, est-ce d'un économiste que la France a besoin ? C'est l'économie qui empoisonne la société et on appelle des économistes à son chevet ? Il faudrait un Molière pour faire rire du ridicule de cette conclusion. Le capitalisme a besoin de croire qu'un horizon de développement indéfini s'offre à son regard - ce qu'on appelle la "croissance". Or, il commence à douter que ce soit possible.

    Les capitalistes ont beau avoir des oeillères, obsédés qu'ils sont par le profit à court terme, ils n'ignorent pas l'inquiétude que manifestent les peuples riches au sujet de leur avenir. Les menaces climatiques, énergétiques, atomiques et technologiques travaillent les esprits et métamorphosent des consommateurs passifs en citoyens qui s'interrogent : à quoi bon continuer sur le même chemin s'il nous mène à l'abîme ?

    Ce doute n'est pas un problème que les techniciens des finances puissent résoudre. Les Trissotin de la macroéconomie, les Diafoirus du "retour à la croissance" n'ont pas encore compris que la question n'est pas de leur ressort. La civilisation matérielle étouffe de ses excès, c'est un problème anthropologique. Pragmatiques, les capitalistes se ruent sur les pays "émergents" au nom de la lutte contre la pauvreté. Cette moralisation de la quête éperdue de profit est indigne. Si les "miracles" brésilien et chinois se prolongent, nous sombrons tous ensemble.

    Si vraiment la France a besoin d'un chef, seul quelqu'un qui voit tout cela clairement pourra jouer ce rôle. Que le futur président ait une culture économique de base, cela est nécessaire. Que ce soit un économiste : non, merci !

    La bulle DSK s'est formée comme se forment toutes les bulles. L'ignorance et la manipulation ont joué leur rôle, mais aussi la mécanique spéculaire du désir et de la fascination. On prête à Pierre Mendès France la réflexion qu'une démocratie moderne n'est possible que si tout le monde accède au savoir économique. Nous en sommes loin et c'est pour cela qu'on peut prêter à un économiste qui n'en est pas vraiment un, et qui doit se taire pour raisons statutaires, un savoir fabuleux. Son mutisme même est le signe qu'il détient un secret sur notre destin. Il suffirait de lire la presse étrangère pour comprendre que le secret, c'est qu'il n'y a pas de secret.

    Si notre homme est expert en quelque chose, c'est dans l'art de manipuler les machines désirantes. Je ne fais pas allusion aux frasques, réelles ou supposées, de l'intéressé, qui ne nous regardent pas. Le désir est "panurgique", il le sait. Des désirs qui s'imitent deviennent rivaux. Tout l'art de celui qui veut se faire idole est de transformer le caractère "rivalitaire" du désir en sacre unanime.

    Deux femmes qui se disputent le même homme sont prêtes à s'écharper. Si elles sont des centaines, la concurrence laisse place à l'honneur du partage. Une fois constitué, le pôle fascinant le devient plus encore, selon un mécanisme d'autorenforcement quasi tautologique. Il peut dire : "Je suis Celui qui suis". Un chroniqueur exhortait récemment ses lecteurs à voter DSK parce qu'il allait gagner !

    Le philosophe allemand Max Scheler, fondateur de l'anthropologie philosophique, disait : "L'homme possède un Dieu ou une idole." A défaut de Dieu, les peuples ont les idoles qu'ils méritent.

    Jean-Pierre Dupuy (Le Monde, dimanche 24 octobre 2010) 

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