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Points de vue - Page 9

  • Le règne des nouveaux bigots n’est pas éternel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Eric Schoettl cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la dictature des bigots bien-pensants. Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl a été directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel de 1989 à 1992.

     

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    Jean-Éric Schoettl : «Arcom, néoprogressistes... Le règne des nouveaux bigots n’est pas éternel»

    En Occident, l’objectif des néoprogressistes n’est plus tant de transformer le monde réel (par la voie réformiste ou révolutionnaire) que de lui substituer un monde virtuel, conforme aux axiomes du politiquement correct. Son but est d’édifier une réalité parallèle dans les esprits. Ses moyens sont le contrôle de l’enseignement, des institutions et des médias, la tutelle du langage et la mise à l’index de ceux qui ne tiennent pas les propos convenus. Ce dernier objectif est essentiel, car, comme dans la fable du Roi nu, l’énoncé brutal de la réalité (je vois ce que je vois et je le dis) brise le postulat sur lequel repose toute l’imposture (le roi est vêtu d’un tissu ineffable).

    Nombreux sont les postulats progressistes qui ne peuvent être contestés ou nuancés sans dommage. Les « n’y-a-quismes » marxistes ont toujours cours, comme en atteste la plateforme du Nouveau Front populaire : l’inégalité des patrimoines doit être combattue par le plafonnement des fortunes ; la maîtrise par l’État des prix et des loyers mettre les plus démunis à l’abri de l’inflation ; l’âge de la retraite revenir à 60 ans ; le RSA ouvrir droit à pension ; les problèmes de finances publiques se régler par la taxation des riches. Toute colère s’exprimant dans la rue est respectable et, en la réprimant, l’État montre qu’il est au service des exploiteurs. Les inégalités étant le fruit de rapports de domination, la liquidation des seconds mettra fin aux premières.

    Le camp du bien et le monopole dans le discours public

    S’y ajoutent aujourd’hui de nouvelles vérités révélées dans le domaine environnemental, éducatif, sociétal ou géopolitique : nos besoins en énergie peuvent être entièrement couverts par les énergies renouvelables pour peu que nous apprenions à être sobres ; il ne faut plus construire d’autoroutes ; le sexe est une construction sociale ; il n’y a aucun rapport entre immigration et délinquance, ni entre immigration et baisse du niveau scolaire ; la société ne s’ensauvage pas, c’est notre sensibilité à la violence qui s’aiguise parce que les médias d’extrême droite exploitent les faits divers ; l’enseignement doit répondre aux besoins exprimés par l’enfant et non lui être unilatéralement imparti par un maître ; les frontières nationales portent atteinte à la paix et aux droits humains ; plus l’État est contenu dans sa composante répressive, mieux sont protégées les libertés ; l’existence d’Israël prolonge le colonialisme occidental ; le racisme anti-Blancs n’existe pas.

    Les disparités de niveau académique, de statut professionnel et de rémunération observées selon le sexe ou l’origine ethnico-religieuse attestent de la persistance de discriminations systémiques ; l’incarcération étant criminogène, il ne faut pas prononcer de peines de prison ; pour se prémunir des « contrôles au faciès », il faut renoncer aux contrôles d’identité ; pour prévenir le renouvellement de drames comme celui de Nahel, il faut désarmer la police ; les restrictions écologiques en matière agricole protègent l’environnement et les consommateurs, tout en servant l’intérêt bien compris des producteurs ; le fascisme ne peut être que de droite et la droite ne peut être que tentée par le fascisme ; la gauche a emporté les législatives de 2024, mais sa victoire lui a été volée par les forces réactionnaires…

    Questionner ces postulats - en invoquant les faits, l’expérience, la rationalité ou la nécessité, pour une démocratie, de tenir compte des aspirations populaires - fait de vous un dangereux hérétique. Comme Copernic questionnant la cosmogonie de son époque, les modernes esprits forts pourraient saper les piliers de la nouvelle foi. Le péril existentiel qu’ils font courir à celle-ci ne peut être conjuré qu’en les réduisant au silence. Le camp du bien ne doit donc pas seulement avoir l’ascendant dans le discours public : il doit en avoir le monopole. Aussi faut-il interdire à Sylviane Agacinski de faire une conférence universitaire sur la dualité des sexes, poursuivre Georges Bensoussan pour avoir expliqué que la judéophobie faisait partie de la culture arabo-musulmane, exclure Pascal Perrineau de l'éméritat de Sciences Po pour excès de lucidité sur les questions d'autorité et retirer sa chaire à Gilles Kepel, à l'École normale supérieure, pour trop parler d'islamisme.

    Une obsession de contrôler les plateformes numériques

    Aussi faut-il rayer C8 de la TNT pour le réalisme sans-gêne de « Touche pas à mon poste » et, en attendant d’en faire autant avec la fréquence de CNews (pour son obstination perverse à voir des faits de société dans les faits divers), la châtier lorsque, sur son antenne, Geoffroy Lejeune rapproche afflux migratoire et surpopulation carcérale. Mieux encore : il ne faut pas permettre à l’appareil statistique public de collecter les données qui permettraient de valider les corrélations établies par l’intuition populaire entre croissance des flux migratoires, échec de l’intégration et perte de cohésion sociale. L’éviction de l’hérétique devient ainsi non seulement le but ultime de la secte woko-écolo-décoloniale, mais aussi la solution de confort de toute une bien-pensance qui, par pusillanimité, conformisme, calcul ou connivence, a fait allégeance à la nouvelle religion, tel Constantin embrassant officiellement le christianisme.

    C’est du côté des réseaux sociaux que la vérité révélée court le plus grand risque d’être confrontée à la vérité observée. En raison de leur nature très difficilement régulable (et parce que, dans cette mesure, ils sont, malgré tous leurs vices, des espaces de liberté), les réseaux sociaux menacent les certitudes convenues. Les réseaux sociaux colportent des fake news, certes ; ils nourrissent le complotisme, sans doute ; ils charrient des discours de haine, c’est vrai. Ils n’en permettent pas moins à chacun de partager des constats factuels que la plupart des médias et des institutions répugnent à traiter. C’est là que la nudité du roi a le plus de chances d’être révélée, car c’est là que les gens ordinaires (l’équivalent de l’enfant du conte) disent ce qu’ils voient plutôt que ce qu’il convient de voir (et de ne pas voir).

    D’où l’obsession qu’a le néoprogressisme de contrôler les plateformes numériques et même, comme le propose Najat Vallaud-Belkacem, d’en rationner l’usage, afin de fermer le robinet des mauvaises pensées. Mais c’est difficile. Il est plus aisé de déclarer persona non grata les chercheurs indépendants ; ou de bâillonner des médias hétérodoxes ; ou de diaboliser les formations politiques dont l’agenda heurte la bien-pensance. Il suffit pour cela de prononcer le vade retro contemporain : extrême droite. Mais l’exorcisme est inopérant contre cette extension foisonnante des conversations privées que sont les réseaux sociaux. L’histoire montre heureusement que la tyrannie des bigots n’est pas éternelle. Arrive en effet un moment où le mensonge meurt d’épuisement. C’est ainsi que Copernic a eu finalement gain de cause au tribunal de l’histoire des idées. C’est ainsi que l’imposture communiste s’est effondrée sur elle-même, sans intervention extérieure. Tôt ou tard, la patience des lucides aura raison de la folie des « éveillés ».

    Jean-Eric Schoettl (Figaro Vox, 7 août 2024)

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  • Pourquoi le Rassemblement national ne livre-t-il pas la bataille culturelle ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la guerre culturelle, combat abandonné par le RN/FN depuis plus de vint ans...

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

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    Pourquoi le Rassemblement national ne livre-t-il pas la bataille culturelle ?

    «C'est la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen.» On se souvient de la petite phrase, assurément maladroite, d'Éric Zemmour après l'échec de Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2022. Le 7 juillet dernier, Zemmour aurait pu ajouter à cet étrange palmarès une neuvième défaite. La question de savoir si le Rassemblement national vaincra le signe indien de l'élection n'en reste pas moins ouverte. Deux hypothèses se font face ici : celle du plafond de verre et celle du palier. La première postule qu'il y a un seuil incompressible au-dessus duquel le RN ne peut s'élever ; la seconde, au contraire, que ce n'est qu'une question de temps et de gains marginaux pour obtenir une majorité. Pourquoi pas ? Imaginons donc, comme dans les problèmes pour écoliers, que le RN accède aux responsabilités, que se passera-t-il alors ? Pourra-t-il réellement exercer le pouvoir ? Les corps d'État, petits et grands, accepteront-ils d'obéir à un exécutif «bleu Marine» ?Tout le monde a vu, entre les deux tours des législatives, comment la dynamique électorale du RN, qui semblait jusque-là irrésistible, s'est brisée face à un infranchissable tir de barrage «républicain». L'UMPS s'est spontanément reformée, une sorte d'UMPS+++ agrégeant les voix du Nouveau Front populaire avec le concours quasi unanime de la société civile. Qu'adviendra-t-il de ce front, même fissuré, si le RN parvient aux manettes ? S'activera-t-il de nouveau et sous quelles formes ? L'extrême gauche dans la rue ? La désobéissance civile débouchant sur une situation de chaos institutionnel ? Il est trop tôt pour le dire.

    Libre à chacun d'épiloguer sur la nature et la légitimité de ce barrage républicain. Ce sont plutôt ses conditions de possibilité qu'il faudrait interroger. La vérité, c'est qu'il en va de la nature politique comme du reste : elle a horreur du vide. Jamais ce front n'aurait atteint une telle intensité s'il n'avait pu tirer parti de l'isolement du RN et de son incapacité à s'appuyer sur de larges pans de la société civile pour en contrebalancer les effets. Or, c'est à la société civile qu'il appartient de fabriquer du «consensus-consentement», selon le mot d'Antonio Gramsci, le grand théoricien du combat culturel. Comment ? En produisant les énoncés de référence, assurant de ce fait la direction des esprits par le truchement de ce que Gramsci désignait sous le terme d'«appareils d'hégémonie», l'hégémonie n'étant rien d'autre que la faculté à transformer l'idéologie d'un groupe social en croyances universellement reçues et acceptées sans examen par tous.

    C'est ce pouvoir, le pouvoir culturel, qui commande les autres pouvoirs. Pas de victoire politique durable sans hégémonie idéologique. Que serait en effet un pouvoir politique orphelin du pouvoir culturel ? Un pouvoir frappé d'hémiplégie et d'impuissance, singulièrement dans les vieilles démocraties libérales, où la société civile est solidement implantée et coproductrice du pouvoir politique depuis le XVIIIe siècle.

    Depuis quelques années, on voit fleurir des articles soulignant la victoire idéologique du RN. C'est aller un peu vite. Exception faite du campus Héméra, l'école de formation et de culture politique du RN lancée en 2023, le parti de Marine Le Pen n'a pas fait une priorité du combat culturel, au moins depuis le départ de Bruno Mégret, en 1998, imaginant sûrement que l'intendance intellectuelle suivrait. Elle tarde. Où sont les Sartre, les Aragon, les Yves Montand, les Jean Ferrat du RN ? En son temps, le PCF avait su les attirer.

    D'aucuns vous confieront en «off» que s'afficher RN revient à se condamner à la mort sociale. Mais il y a des stratégies de contournement. La première d'entre elles passe par la création d'un écosystème militant. Du temps des mégrétistes, il y a 30 ans, ce qui était alors le FN s'était doté d'un Conseil scientifique. On pouvait y croiser des sociologues de haut vol comme Jules Monnerot et quantité d'universitaires de renom. Le bilan est maigre aujourd'hui, une fois qu'on a fait le tour de l'essayiste Hervé Juvin ou du politologue Jérôme Sainte-Marie. Où sont les intellectuels organiques du RN, ses avocats médiatiques, ses ambassadeurs culturels, ses conférenciers, ses appareils d'hégémonie, ses think-tanks, ses journaux, ses cercles de réflexion, ses maisons d'édition ?Ces structures ont pour mission de créer et d'organiser l'hégémonie culturelle, dont elles sont les médiateurs privilégiés, en faisant émerger une «intellectualité nouvelle», c'est-à-dire une contre-culture. Travail de longue haleine. En attendant, le RN aurait pu s'appuyer sur les «intellectuels traditionnels», conservateurs et catholiques. Ce qu'il n'a guère fait. Il suffit de songer à la fin de non-recevoir adressée aux zemmouriens et aux auteurs nés dans le sillage de la Manif pour tous. Pire qu'un crime, une faute.

    On a souvent cité l'interview que Nicolas Sarkozy a donnée au Figaro Magazine à la veille de la présidentielle de 2007, sous la dictée de Patrick Buisson, où le futur président de la République faisait sienne «l'analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. C'est la première fois qu'un homme de droite assume cette bataille-là.» Rien de tel du côté du RN. Résultat : il n'y a pas encore eu de moment gramscien pour le RN, parce que ce parti a cru pouvoir faire à l'économie d'un «gramscisme de droite», à la différence d'un Éric Zemmour ou d'une Marion Maréchal, qui, eux, ont toujours assumé cette dimension du combat politique.

    C'est une chose d'être tout-puissant sur TikTok, c'en est une autre d'être producteur d'idées. Nul ne nie la nécessité de communicants, mais ils ne sauraient à eux seuls écrire le scénario. Pour cela, il faut bien d'autres choses, et d'abord une théorie du combat culturel assortie à un dispositif opérationnel ad hoc. Ce dont ne semble pas être pourvue la boîte à outils du RN. Avoir des électeurs suffit à son bonheur, les lecteurs semblent de trop dans cette équation. Depuis ses premiers succès, le RN a fait le choix de passer par-dessus les corps intermédiaires pour s'adresser directement à son électeur, en faisant comme si la société civile n'existait pas. Or, la société civile est une réalité avec laquelle il faut compter et le langage qu'on lui tient est d'abord métapolitique, c'est-à-dire idéologique. Faute de posséder un tel outil, c'est le langage de l'adversaire que l'on est réduit à singer.

    À scruter les insuffisances du RN, on en vient à penser que la principale faiblesse de ses cadres semble tenir à la précarité de leur statut social, comme s'ils avaient intériorisé leur condition de dominés, à peu près dans tous les domaines, dans les médias, dans les hémicycles, dans les universités, etc. En faisant le choix de la furtivité et du profil bas (le «pas-de-vaguisme»), le RN consent à sa domination dans les discours, pareil en cela à son électorat, lui aussi dominé, stigmatisé et infériorisé, n'ayant en réserve aucun contre-récit à opposer au récit dominant.

    Pour comprendre la situation du RN et se donner les moyens de penser la condition historique de ses électeurs, il faudrait faire appel aux concepts développés par les sciences sociales, toutes acquises au wokisme et au gauchisme culturel – pour les retourner contre le wokisme et le gauchisme culturel. Les concepts de «domination», de «discrimination systémique», de «privilège», d'«invisibilité», de «politique de reconnaissance», d'«inclusion» sont taillés sur-mesure pour le RN. De fait, voter pour ce parti n'est associé à aucun prestige social. Ce qui domine au contraire, dans les représentations, c'est la condescendance, sinon le mépris, d'une large part de la société civile, qui regarde ce parti de haut, de loin et de travers.

    Le cœur sociologique de l'électorat du RN appartient aux classes «subalternes» (les «premiers de corvée»). Quel est le propre de ces classes ? Elles n'ont aucune légitimité culturelle tant et si bien qu'elles sont aussi inaudibles qu'invisibles. De la même manière qu'il y a des ondes lumineuses (les infrarouges par exemple) que l'œil humain ne perçoit pas, il y a des catégories sociales que l'œil social ne voit pas. C'est là comme une forme de «daltonisme» (autre concept des sciences humaines qui peut faire l'objet d'un détournement).

    Aucune série Netflix, aucun téléfilm de France Télévisions ne mettent en scène ces catégories sociales. La télévision les snobe avec une bonne conscience qui frise le racisme de classe. L'Arcom est la première à le savoir puisqu'elle diligente des études sur la représentativité des catégories socioprofessionnelles à la télévision (et pas seulement des minorités visibles, même si l'on ne parle que d'elles). Les cadres supérieurs, qui ne représentent que 10% de la population, constituent 65% des personnes qui s'expriment sur les chaînes de la TNT. Alors que les ouvriers, qui représentent pourtant 12% de la population, n'occupent que 2% du temps d'antenne. Les employés et les classes moyennes ne sont guère mieux lotis. On les voyait souvent au premier rang dans les émissions de Cyril Hanouna, mais l'Autorité de régulation a décidé de débrancher C8 et TPMP, non sans inconséquence, puisqu'elle est la première à convenir que «la télévision donne à voir une image très urbaine de la société». La cérémonie d'ouverture des JO nous l'a d'ailleurs amplement rappelé, même si aujourd'hui on ne coupe plus la tête de Marie-Antoinette, seulement son micro. Ce qui aboutit, volens nolens, au même résultat.

    C'est donc la double peine pour les catégories populaires. Privées d'expression politique par le «barrage» républicain, elles se voient privées d'expression médiatique. Ainsi fonctionnent les castors du barrage politique et les Pollux du filtrage médiatique. Ce processus d'invisibilisation opère à tous les niveaux. Étonnamment, les dirigeants du RN y consentent et ne trouvent rien à lui opposer. C'est le revers de la stratégie de la normalisation : une forme de discrétion sociale, d'acquiescement involontaire, de moins-disant doctrinal, qui vient redoubler l'invisibilité subie de la France périphérique. Aucune chance de s'élever à la phase d'hégémonie culturelle dans ces conditions.

    Dans la «dialectique du maître et de l'esclave», le philosophe Hegel a montré que l'esclave peut retourner contre le maître la relation de domination, mais à une seule condition : en étant actif, en travaillant, en transformant le monde, en luttant pour la reconnaissance et la visibilité. Voilà qui recoupe les enjeux du combat culturel pour la droite. Être plus proactive, plus offensive, plus contre-offensive. D'autant que le front républicain finira par apparaître pour ce qu'il est : un affront démocratique, celui d'une caste à bout de souffle («les Français ne feront pas deux fois ce chèque», dixit Macron), qui est en train de brûler ses dernières cartouches. «Les forces réactionnaires au seuil de leur perte, disait Mao Zedong, se lancent nécessairement dans un ultime assaut contre les forces révolutionnaires. »

    François Bousquet (Figaro vox, 31 juillet 2024)

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  • JO : la grande distraction en attendant le naufrage ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et consacré aux Jeux Olympiques.

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021), Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021)  et dernièrement Bienvenue dans le meilleur des mondes (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

     

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    JO : la grande distraction en attendant le naufrage

    À en croire nos médias et nos « ministres démissionnaires », les Français ne vivraient plus qu’au rythme des JO. Ainsi les caméras officielles montrent-elles à l’envi des supporteurs enthousiastes qui agitent des drapeaux tricolores. Il y a même des journalistes qui en pleurent d’extase… Une France qui gagne, unie dans le « sport », l’inclusion et la diversité, quel beau spectacle ! Car il s’agit bien aussi d’un spectacle, qui nous cache malheureusement une réalité qui promet d’être nettement moins réjouissante. Une distraction utilisée sans vergogne pendant que l’oligarchie avance son agenda.

    Pendant les JO, les magouilles vont bon train

    Pendant qu’on compte nos médailles, Emmanuel Macron poursuit ses magouilles politiciennes en vue de confisquer les résultats des élections européennes et législatives.

    On a des médailles mais on a déjà aussi de nouveau Mme Braun-Pivet comme présidente de l’Assemblée nationale et Mme von der Leyen comme présidente de la Commission européenne. Et M. Attal est toujours Premier ministre de fait.
    Mais qui donc disait « élections piège à c… » dans les années 1960 ? Ceux qui aujourd’hui sont justement au pouvoir et n’entendent pas le lâcher.

    Après les JO, bientôt les vraies épreuves

    Pendant qu’on glose sur la pureté de l’eau de la Seine, la France fait l’objet, de la part de la Commission européenne, d’une procédure pour déficit excessif. Une procédure qui implique que notre pays présente en septembre un plan de redressement pour y remédier, d’autant que nous avons plus de 3 100 milliards d’endettement.
    Après la fête, on va donc vite nous présenter l’addition car ce sont les Français – c’est-à-dire la France périphérique et les classes moyennes – qui la paieront, pas les richissimes sponsors des JO. Le grand reset fiscal est pour bientôt et n’attend plus qu’un Premier ministre pour le mettre en œuvre.

    Pendant qu’on regarde les « épreuves » sportives, des épreuves nettement plus graves nous attendent donc, et la crise financière, nourrie de la récession aux États-Unis, se développe dans un profond silence médiatique.
    Mais il ne faut pas gâcher la magie des JO, n’est-ce pas ?

    La guerre nucléaire, mais pour nous seulement

    Pendant qu’on célèbre nos « Bleus », les États-Unis ont annoncé, à l’issue du dernier sommet de l’OTAN, l’implantation de missiles nucléaires à portée moyenne en Europe, enterrant définitivement l’accord signé en 1985 entre Reagan et Gorbatchev. L’Allemagne vassale a bien sûr donné son accord.

    Ainsi la guerre nucléaire redevient possible en Europe, mais épargnera les États-Unis, comme les sanctions contre la Russie… Pour mémoire, une guerre nucléaire en Europe ferait, selon l’université de Princeton, environ 90 millions de morts… Cela ferait beaucoup de sportifs en moins.

    Mais où sont passés les pacifistes d’autrefois qui refusaient les missiles Pershing en RFA ? Sans doute regardent-ils aussi les JO, pendant que les foyers d’affrontement se multiplient dans le monde.
    Mais, chut ! Ne jouons pas les « peine-à-jouir », comme dirait Mme Hidalgo.

    Vous allez adorer la France post-JO

    Pendant qu’on célèbre nos nageurs et nos judokas, la Commission européenne réclame une nouvelle censure des réseaux sociaux, et notre « ministre démissionnaire » de l’Intérieur promet que les leçons de la sécurisation de Paris pour les JO seront retenues pour la suite. Et tout le monde de saluer nos « forces de l’ordre » qui sont, il est vrai, le dernier soutien de la macronie.

    Vous avez aimé les voies du périphérique fermées, les rues grillagées, les QR codes, les policiers armés dans les rues et les décisions de l’ARCOM ?
    Vous allez adorer la France post-JO.

    Les JO du Titanic

    Bien sûr, c’est l’été et, à défaut de vacances, puisque la fréquentation touristique est en baisse à peu près partout en France (ce qui n’intéresse pas non plus nos médias), nos concitoyens se délassent comme ils peuvent en soutenant leurs sportifs.
    On peut le comprendre même si cela ressemble un peu à l’orchestre du Titanic jouant jusqu’à la fin pour égayer l’inéluctable naufrage.
    Mais la façon dont le système politico-médiatique se sert des JO pour nous ahurir et nous endormir n’en est pas moins profondément perverse.

    Michel Geoffroy (Polémia, 10 août 2024)

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  • Comment peut-on être Hongrois ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Ghislain de Castelbajac cueilli sur Geopragma et consacré à la position originale et indépendante de la Hongrie...

    Membre fondateur de Geopragma , Ghislain de Castelbajac est spécialiste des questions d'intelligence économique et enseigne à l’École de Guerre Economique.

     

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    Comment peut-on être Hongrois ?

    Jouer aux échecs à Szechenyi, les jambes trempées dans un bouillon d’eau chaude, le reste du corps porté par les vents glaciaux d’un « Moscou express » hivernal sans pitié, et porter son flegme plus britannique qu’un lord victorien : le pragmatisme magyar semble faire fi des vicissitudes d’un pays qui a perdu 70% de sa superficie au traité de Trianon, fut occupé par l’armée rouge durant 45 ans, et avant par les turcs durant 150 ans.

    Le rôle de ce petit pays de 10 millions d’habitants intra-muros, auxquels il faut ajouter 5 millions de magyars dispersés en Slovaquie, Roumanie, Slovénie, Serbie, Croatie et Ukraine constitue un contre-exemple flagrant de l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes institué parfois avec hypocrisie par des puissances au mieux cyniques, au pire ignorantes de l’Histoire.

    Composée principalement d’une plaine pannonienne qui n’est pas sans rappeler les vastes étendus pontiques du sud de l’Ukraine, la Hongrie n’en finit pas d’étonner / d’affoler les capitales européennes qui ne savent prendre le train de l’Histoire.

    L’arrivée au pouvoir du parti FIDESZ en 2010, le parti du premier ministre actuel Viktor Orbán établit pour la Hongrie sa seconde révolution après la chute du communisme en 1989. Sa constitution adoptée en 2012 tranche avec celle héritée de l’immédiate après-guerre. Cette loi fondamentale traite en préambule de son engagement envers les Hongrois vivant à l’étranger, en affirmant que ces derniers sont des membres à part entière de la société hongroise, leur assurant protection linguistique, culturelle, et garantit que les Magyars de l’étranger ont le droit de retourner en leur mère-patrie à tout moment.

    Il convient de rappeler que tous les voisins de la Hongrie qui possèdent des minorités magyares sur leurs territoires leurs accordent des droits équivalents à ceux des autres citoyens, à l’exception de Kiev, qui a interdit l’usage de la langue hongroise dans la région transcarpatique, annexée par la R.A. Ukraine, composante de l’URSS, en 1945.

    Il est fondamental de lire la politique étrangère actuelle de la Hongrie à l’aune des nombreux articles constitutionnels de ce pays qui traitent les Magyars de l’étranger (határontúli magyarok) :

    Profitant de l’intermède estival post électoral au parlement européen qui coïncide avec la présidence tournante de Budapest au conseil de l’Union Européenne, Viktor Orbán fait feu de tout bois pour tenter un activisme qui sort les belligérants prota et deutéragonistes du sanglant conflit ukrainien de leur torpeur.

    Après une visite à Kiev le 2 juillet dernier pour une rencontre directe avec Volodymir Zelensky, Orbán s’est envolé pour Moscou, où il a rencontré Vladimir Poutine. Il a aussi été reçu le 8 juillet par Xi Jinping à Beijing.

    Le plan Orbán consiste principalement à valider auprès des forces en présence le principe d’un cessez-le-feu à durée limitée, qui permettrait la mise en place d’un accord de paix le moins inéquitable possible. Pour autant, il demeure assez réaliste et vise en préambule un état des lieux des volontés des belligérants qui, selon ses entretiens croisés avec MM. Zelensky et Poutine, n’avaient pas l’intention de stopper les combats.

    Le premier ministre hongrois dresse également un « audit » de la situation internationale en 2024 qui a vu les Européens voter sans qu’aucune voie commune pour un plan de paix concret ne sorte de la campagne électorale ni des urnes. Il admet également que la campagne électorale américaine en cours sera principalement dirigée vers les affaires domestiques, et que l’aide américaine à l’Ukraine tendra à baisser, ce qui par effet de balancier fera porter plus de poids aux européens pour soutenir Kiev.

    D’un constat réaliste et loin de l’idéologie et des caricatures d’une certaine presse, Viktor Orbàn prend acte des impasses actuelles, y compris de l’échec des discussions de Bürgenstock qui furent boudées par Moscou car l’Ukraine mettait en préalable l’évacuation de la Russie des oblasts qu’elle a annexé.

    L’idée d’un cessez-le-feu intégral et limité durant la tenue de réelles négociations de paix devrait être la norme pour tout conflit sanglant, telles que celles portées par le pape Benoit XV et l’officier belge Sixte de Bourbon-Parme, beau-frère de l’empereur d’Autriche-Hongrie, durant la première guerre mondiale.

    L’on pourra éternellement maugréer de l’injustice de valider une annexion par la force (Zaporija, Mariupol) ou par la ruse (Crimée, Donetsk, Luhansk) par la Russie, en échange de préserver le peu de vies humaines qui demeurent valides en Ukraine, dans la perspective d’une paix des braves.

    Il est aisé, du haut de notre confort d’une nation française repue dans ses confortables frontières, de critiquer l’initiative hongroise de tenter d’arracher un cessez-le-feu en Ukraine, mais n’oublions pas les efforts de Budapest d’avoir établi des relations apaisées avec ses voisins depuis la signature des accords du Pacte de Stabilité sur les frontières en Europe de mars 1995 qui permit à la Hongrie de faire le deuil de ses frontières récentes, tout en conservant et renforçant le lien avec les Magyars de l’étranger.

    Les relations très tendues que la Hongrie entretenait avec la Slovaquie avant la signature de ce Pacte sont un contraste avec la complicité actuelle entre les deux premiers ministres nationalistes Orbàn et Fico.

    En nommant ambassadeur de Hongrie à Paris Georges de Habsbourg-Lorraine, fils d’Otto et petit-fils de Charles, dernier empereur d’Autriche-Hongrie et son cousin Éduard, ambassadeur près le Saint-Siège, le gouvernement hongrois montre bien aux européens les plus avertis que Budapest et l’ensemble des Magyars ont une parole bien particulière à apporter dans la construction d’une Europe durable, apaisée, et n’ayant rien à prouver en terme de « vivre ensemble » des peuples qui composent notre continent, ni en résistance face à l’occupation soviétique.

    Sur le plan géopolitique, Budapest  tente également de se placer en clef-de-voûte centrale de l’édifice otano-européen qui rééquilibrerait le centre de gravité face à la nomination de l’estonienne Mme Kaja Kallas à la tête de la diplomatie européenne, qui concentre tous ses efforts à une confrontation frontale avec Moscou, et aussi à Mme Meloni à Rome qui souhaite recentrer la cause des européens vers la Méditerranée avec la lutte contre les trafics humains migratoires qui font de plus en plus de victimes des passeurs, et des ONG financées par des idéologues.  

    Loin des clichés vendus à l’opinion publique contre la Hongrie par des groupes aux visées souvent peu avouables dans la perpétuation sans fin d’un conflit sanglant, nous pourrions aussi rappeler leur double standard alors que nous nous souvenons qu’il y a tout juste cinquante ans, la Turquie envahissait la république de Chypre, un État aujourd’hui membre de l’UE, qui reste toujours occupé par une armée étrangère, sans que cela n’émeuve les caciques de nos grandes capitales si éprises de bien-pensance.

    Ghislain de Castelbajac (Geopragma, 28 juillet 2024)

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  • Ostracisme du RN : réaction nobiliaire à l'Assemblée nationale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Fabry cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'ostracisme dont est victime le Rassemblement national à l'Assemblée nationale. Philippe Fabry est historien des institutions et des idées politiques, et avocat. Il a publié entre autres Le Président absolu, la Ve République contre la démocratie (Scripta Manent, 2022).

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    «Ostracisme du RN : réaction nobiliaire à l'Assemblée nationale»

    Quoique spectaculaire, la grève de bienséance qu'on a pu observer à l'Assemblée nationale de la part des députés du Nouveau Front populaire ne fût guère surprenante : le théâtre antifasciste est un classique depuis quarante ans, et au-delà une tradition de la gauche française.

    Mais en vérité, cette récente progression est moins un argument de plus au soutien du droit du RN à disposer de postes qu'une raison supplémentaire pour Ensemble d'avoir fait ce choix de l'ostracisation ; c'est précisément la progression du RN qui est insupportable au centre macronien, non tant pour des raisons idéologiques – le passé récent montre, encore une fois, que ce n'était pas le problème – que pour des raisons sociologiques : cette irruption rapide d’un parti populiste dans les cercles de pouvoir est inadmissible pour les élites traditionnelles de la République.

    Plus étonnant a été de voir se prêter à cet exercice de mépris des bonnes manières républicaines une ministre sortante, pur produit du macronisme, Agnès Pannier-Runacher. L'anecdote serait sans doute de peu d'intérêt si elle n'illustrait la vraie surprise de ces deux journées de session de la nouvelle Assemblée : la décision par Ensemble de poursuivre au sein du Parlement la politique du «cordon sanitaire» en excluant le Rassemblement national de tous les postes-clés de l'Assemblée nationale.

    Cette soudaine crispation des centristes face à la montée rapide du Rassemblement national évoque la réaction nobiliaire qui marqua les dernières années de l'Ancien Régime, et qui fut une des multiples causes de la Révolution. Nul n'ignore combien, en construisant l'Etat royal, la monarchie s'était régulièrement appuyée sur les forces vives du royaume, les roturiers enrichis, les intégrant dans son système par l'anoblissement. Naturellement ce mouvement créait une concurrence toujours plus forte pour l'accès aux hautes fonctions de l'Etat, en particulier au détriment de la vieille et haute noblesse. Celle-ci, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et en particulier sous le règne de Louis XVI, joua de son influence politique pour tenter de restreindre l'accès des hommes nouveaux aux postes de pouvoir, notamment dans l'armée (édit de Ségur, 1781) en obligeant les candidats officiers à justifier de quatre générations d'appartenance à la noblesse. Crise identitaire d'une caste peinant à se distinguer encore des roturiers enrichis et éduqués, ce réflexe de repli sur soi provoqua une grave rupture sociologique et politique entre la bourgeoisie montante et la noblesse installée, alors que jusque-là elles avaient été reliées par une forme de continuité via les possibilités d'anoblissement et les mariages. Cette rupture favorisa l'émergence de la figure de l'aristocrate arrogant, désormais ennemi de la roture enrichie plutôt que partenaire éventuel de son ascension, et précipita la Révolution en donnant à la bourgeoisie le sentiment que la poursuite de cette ascension ne passait plus par la coopération, mais par la confrontation.

    La soudaine crispation du centre politique face à la montée en puissance parlementaire du Rassemblement national tient sans doute du même genre de réaction : désormais ce peuple qui avait été exclu du Parlement durant des décennies y est fortement présent, et sa présence n'est plus marginale ou seulement minoritaire : un moment, on a cru qu'il pourrait prendre le pouvoir. Aux postes à responsabilité à l'Assemblée ces deux dernières années, il ne s'est pas montré moins compétent que les élites habituelles, et a par conséquent largement effacé la distinction qui existait précédemment. Cela provoque chez les élites en place une crainte de la dépossession et une crise identitaire, et par conséquent un besoin de réaffirmer leur singularité et de poser les bornes de leur pré carré.

    Ce cordon sanitaire n'est donc plus idéologique, il est sociologique : il s'agit pour la noblesse de la République de refuser l'irruption du peuple dans son lieu de vie et de pouvoir.

    Dans ce cas, demandera-t-on, pourquoi ne pas faire preuve de la même rigidité avec le Front Populaire, voire, comme Agnès Pannier-Runacher, le rejoindre dans son refus du contact physique avec le RN ? C'est qu'il existe deux peuples pour la noblesse de la République, l'un acceptable, et l'autre inacceptable. Comme toute élite, elle considère noble ce qui lui est familier, et ignoble ce qui lui est étranger. L'idéologie de toute élite est avant tout une simple glorification de son mode de vie naturel, d'où ses multiples contradictions, déstabilisantes pour ceux qui prennent son discours au pied de la lettre, et pensent à tort la mettre en difficulté en les pointant ; le bobo écolo qui va travailler en vélo et prend l'avion pour partir loin en vacances ne souffre pas de la contradiction puisque les deux éléments soulignent sa supériorité sociale : il peut aller travailler en vélo parce qu'il a les moyens de vivre intra muros, et il peut prendre l'avion pour se rendre dans les îles. L'idéologie écologiste lui permet surtout de condamner le Français périphérique qui doit utiliser sa voiture pour aller travailler, c'est-à-dire a un mode de vie ignoble au sens premier du terme. La question des émissions de CO2 n'est qu'un vernis moral sur un mépris social.

    Ainsi, pour la noblesse de la République, le peuple acceptable est celui qu'elle fréquente usuellement et qui fait partie de son mode de vie : le prolétariat immigré ou d'origine immigrée qui lui sert de domesticité et sans lequel elle «serait dans la m… pour faire son ménage» (selon le mot de Dupond-Moretti à Zemmour). Elle n'est pas gênée par le «peuple de gauche», elle y est habituée : ce sont ses femmes de ménage, ses nounous issues de l'immigration, mais aussi les enseignants de ses enfants, les intermittents qui jouent dans les spectacles qu'elle va voir. Elle ne les considère certainement pas comme ses égaux, mais est accoutumée à leur présence, qui fait partie de son mode de vie ; leur présence familière est même un miroir de la supériorité morale nobiliaire : elle permet de se convaincre que l'on a une conscience sociale, de prétendre qu'on n'est pas déconnecté du peuple. Mais le Français de province, indépendant, le fils d'artisan, de commerçant ou d'ouvrier qui n'appartient à aucune domesticité bourgeoise de grande ville, lui est un corps à la fois radicalement étranger et d'une insolente autonomie puisque, ne lui étant pas subordonné dans son travail, il prétend encore à l'égalité civique.

    À travers le «barrage républicain», la noblesse de la République a utilisé le Nouveau Front populaire comme sa domesticité, sa clientèle. Tous deux ont fait ensemble, aux trois derniers scrutins, leurs meilleurs résultats dans les métropoles. Il demeure que la noblesse entend rester le vrai maître et a vite renvoyé, passé l'élection, la domesticité dans ses quartiers. Mais elle a pu compter sur elle pour l'aider à maintenir les gueux du RN, impudemment sortis de leur périphérie, hors du Bureau de l'Assemblée.

    Pour combien de temps ? Ce genre de crispation de classe est plutôt un comportement de fin de régime qu'un signe de bonne santé. La réaction nobiliaire, on s'en souviendra, n'a pas porté bonheur à l'aristocratie française : la roture ne trouvant plus chez elle le partenaire de son ascension opta par la suite pour son anéantissement.

    Pour l'heure, la première conséquence de cette manœuvre au Bureau de l'Assemblée est que la noblesse de la République s'y retrouve minoritaire, la domesticité ayant profité du désordre pour s'y installer. Cela n'annonce pas un destin beaucoup plus favorable que celui de son ancêtre d'Ancien Régime.

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  • La géopolitique, grande oubliée du récent épisode électoral...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à l'absence des questions géopolitiques dans les débats politiques des élections. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    La géopolitique, grande oubliée du récent épisode électoral

    Bien sûr on a parlé d’Europe : difficile de ne pas le faire quand on élit le Parlement européen.

    Mais on n’est guère allé au-delà de l’opposition facile entre une Europe-paradis et une Europe prison. On n’a guère discuté de la façon dont l’Europe peut stopper son affaiblissement économique et stratégique ; du rôle qu’une région dont le poids démographique diminue peut à l’avenir jouer dans le monde ; de ce que signifient pour les peuples extra-européens des « valeurs » que l’Europe revendique fièrement et voudrait universelles. Bref, on n’a guère débattu de ce que l’Europe veut faire d’une souveraineté qu’elle réclame sans relâche sans lui donner grand contenu.

    Bien sûr on a échangé des invectives à propos du caractère terroriste du Hamas, de la reconnaissance d’un Etat palestinien ou de la tragédie à Gaza. Mais on n’a guère discuté sérieusement des cheminements susceptibles de déboucher, sinon sur une paix durable au Moyen-Orient, du moins sur un apaisement salvateur en Palestine, et l’on ne s’est pas demandé ce que la France, au-delà de déclarations souvent grandiloquentes, pourrait faire concrètement pour y contribuer.

    La guerre en Ukraine n’a pas non plus suscité beaucoup de débats. On aurait pu s’attendre à ce que l’annonce par le Président Macron, fin février, de l’envoi officiel d’instructeurs français sur le sol ukrainien puis, plus récemment, l’autorisation donnée aux Ukrainiens d’utiliser des armes fournies par la France pour frapper le territoire russe, donnent lieu à des échanges nourris ; les frémissements de dialogue (ou d’esquisse de l’acceptation de l’éventualité d’un dialogue) constatés de la part des protagonistes et des pays qui leur sont proches et, à l’inverse, le souhait de certains membres de l’OTAN de faire en sorte que l’Ukraine soit traitée de facto comme un membre de l’organisation avant de l’être de jure, auraient aussi pu faire réfléchir à la façon dont la France doit se positionner.

    De même, n’aurait-il pas fallu, à quelques jours du 75ème anniversaire de la création de l’OTAN et à l’occasion du remplacement du secrétaire général de l’organisation, s’interroger sur l’avenir des relations transatlantiques ? N’aurait-il pas fallu débattre des évolutions possibles ou souhaitables compte tenu des déclarations du candidat Donald Trump ? Faut-il accepter que l’OTAN coordonne l’envoi des armes occidentales à l’Ukraine ? La France doit-elle continuer à se replier sur un Occident dominé par les Etats-Unis tout en voyant se renforcer un bloc de réprouvés (Chine, Russie, Iran…) dont le récent sommet du groupe de Shangaï et le déplacement du président Modi à Moscou montrent le pouvoir d’attraction sur le reste de la planète ?

    Les nombreuses questions que pose la montée des tensions en Asie n’ont, elles non plus, pas été débattues. Comment faire face à l’influence grandissante et aux revendications croissantes d’une Chine dont il est, du point de vue économique, difficile de négliger le marché ? La France doit-elle se contenter d’être un simple observateur entre, d’une part une Chine renforçant ses liens avec la Russie ou l’Inde et grignotant îlots ou archipels, et, d’autre part, une alliance des pays anglo-saxons associés au Japon ? Le fait que l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie ait été « oublié » pendant la campagne électorale signifie-t-il que la France se désintéresse du Pacifique, ou n’a plus les moyens de s’y intéresser ?

    Enfin, n’aurait-il pas été logique de se demander comment la France, après avoir tant investi, financièrement et militairement, pour aider les pays africains, doit agir aujourd’hui face à la déliquescence ou l’autoritarisme de certains régimes et face à la prise de contrôle, militaire ou financière, du continent par la Russie et la Chine ? Les déboires qu’Orano rencontre au Niger sont-ils un cas isolé ?

    Les interrogations, les inquiétudes et les décisions à prendre, on le voit, sont nombreuses. Pourtant, la géopolitique a été quasiment absente des débats électoraux de ces dernières semaines. Comment l’expliquer ?

    Ecartons bien sûr l’hypothèse selon laquelle la politique étrangère ferait l’objet, comme cela a parfois pu être le cas dans le passé, d’un consensus national : il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas.

    On peut aussi penser que les Français aimeraient pouvoir influer sur les choix mondiaux mais éprouvent un sentiment d’impuissance à l’égard des évolutions du monde et des décisions des pays proches ou lointains : il est malheureusement vrai que la France, à force d’additionner maladresses et erreurs stratégiques, joue un rôle de plus en plus limité dans le dialogue international.

    Reste l’hypothèse selon laquelle les Français ne sont pas conscients de ce que leur vie dépend étroitement de décisions prises, soit dans le cadre interétatique, soit à un niveau supranational. L’irréalisme des programmes économiques que les partis ont élaborés pour séduire les électeurs est une autre expression de cette erreur d’analyse ou de cette inconscience.

    A moins qu’il ne s’agisse d’un étrange sentiment de supériorité : la France, à qui l’on doit les Lumières et l’Idéal Révolutionnaire, personnifie la Raison, le Droit et le Bien, il lui suffit d’exprimer une opinion pour que la terre entière s’y rallie.

    Les désillusions succèdent toujours aux illusions ; reste à savoir si elles seront bénignes ou douloureuses.

    Tout cela, bien sûr, va changer dans quelques jours : la France va montrer à la planète entière sa capacité à organiser des JO « modernes, solidaires, engagés, responsables, inclusifs… » (mais pas très planet friendly). Reconnaissons toutefois que le message universel véhiculé par des compétitions sportives est un peu maigrichon par rapport à celui que portaient jadis les Lumières. Reconnaissons aussi qu’il serait plus enthousiasmant de former de futurs médaillés Fields que de fabriquer les médailles destinées à quelques athlètes méritants.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 15 juillet 2024)

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