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Points de vue - Page 10

  • J. D. Vance, colistier de Trump et figure de proue des nationaux-populistes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gabriel Piniés, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à J. D. Vance, le sénateur choisi par Donald Trump pour l'accompagner dans la course à la Maison Blanche en tant que candidat au poste de vice-président. Un personnage qui, manifestement, ne correspond pas au format classique des politiciens américains...

     

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    J. D. Vance, colistier de Trump et figure de proue des nationaux-populistes

    Qui est J. D. Vance, le sénateur de l’Ohio choisi par Donald Trump pour être son vice-président lors de la campagne présidentielle de 2024 ? Cet intellectuel entré en politique sur le tard cristallise des réactions opposées. Surtout connu pour son essai à succès « Hillbilly Elegy », la presse de gauche voit en lui une personnalité politique incompatible avec la démocratie. L’universitaire française Maya Kandel, spécialiste des États-Unis à la Sorbonne Nouvelle, une faculté résolument située à gauche, range J. D. Vance parmi les « stratèges de la colère » développant « une rhétorique apocalyptique et fascisante ». De son côté, l’« alt-right » (par l’entremise de Nick Fuentes et consorts) a également réagi, toujours avec hostilité, sur les réseaux sociaux, reprochant à Vance tantôt son soutien à Israël, tantôt l’origine indienne de son épouse, pourtant diplômée de Yale et de Cambridge, avocate issue de la riche caste Kamma qui domine l’État de l’Andhra Pradesh, dans le sud de l’Inde, arguant qu’il ne serait pas assez dur sur l’immigration. Alors, qui est-il vraiment ?

    James David Vance est né en 1984 à Middletown, dans l’Ohio, dans une famille modeste rongée par les maux de l’Amérique blanche rurale des Appalaches : un père absent, une mère toxico-dépendante aux opioïdes et instable affectivement. Rien ne le prédisposait à sa carrière future. À 18 ans, il s’engage dans les Marines peu avant le déploiement en Irak en 2003, servant de correspondant de combat au sein de la 2nd Marine Aircraft Wing. De retour aux États-Unis, il effectue des études de sciences politiques, philosophies, à l’université d’État d’Ohio, avant d’entamer un cursus de droit à Yale, où il a rencontré sa femme. En 2016, il rejoint Mithril Capital Management, société de capital-risque cofondée par Peter Thiel, milliardaire américain soutien de Trump, membre de la « Mafia Paypal » avec Elon Musk et proche du courant dit NRx, les néo-réactionnaires autour de l’intellectuel Curtis Yarvin. C’est Peter Thiel qui l’a réconcilié avec Trump, Vance ayant commencé la politique en tant que « Never Trump », ces Républicains refusant de soutenir Donald Trump, et c’est aussi Thiel qui a financé sa campagne victorieuse aux sénatoriales de 2022.

    Quelles sont ses vues ? C’est la politique étrangère qui aurait été l’élément déterminant de la conversion de J. D. Vance au trumpisme. Le 31 janvier 2023, il écrivait un billet d’opinion dans le Wall Street Journal pour soutenir Trump quand la mode était à Ron DeSantis. Son argument principal portant sur la politique étrangère et l’isolationnisme de l’ex-président. Il fait partie de ces Républicains se qualifiant « Asia First », dans le sillage du « pivot vers l’Asie », une ligne initiée par Barack Obama lors de son premier mandat et approfondie de manière plus brutale par Donald J. Trump dans son bras de fer avec Xi Jinping. Pour Vance comme pour les trumpistes, les États-Unis doivent se désengager de l’Europe pour se tourner vers l’Asie, une politique en réalité dans la lignée des dernières administrations tant démocrates que républicaines.

    L’obsession chinoise

    Au Sénat, il était le chef de file des sénateurs souhaitant réduire l’aide à l’Ukraine, appelant les alliés européens à augmenter leurs dépenses. Il déclarait même début 2022, peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ne pas se soucier de ce qui pouvait arriver à l’Ukraine. Dans un discours à la Heritage Foundation, il qualifiait la Chine de seul « real enemy » des États-Unis. Il faut dire que c’est à la Chine que les États-Unis sont directement confrontés au quotidien, tant dans les affaires de vol de propriété intellectuelle que dans la rude concurrence technologique que lui mène le pays asiatique. Une ligne transpartisane.

    Actuellement, c’est Jake Sullivan qui est l’architecte et l’idéologue de la politique étrangère de Joe Biden. Cet ancien de l’administration Obama, qui avait été un des maillons du rééquilibrage stratégique vers l’Asie, est l’actuel conseiller à la Sécurité nationale (National Security Advisor, poste clé de toute administration américaine, qui synthétise la vision des intérêts stratégiques des différents départements). Une continuité est donc à prévoir en politique étrangère sur le dossier chinois. Il a qualifié de « great piece of legislation » le CHIPS and Science Act de Joe Biden visant à stimuler la production de semi-conducteurs aux États-Unis pour sortir de la dépendance technologique vis-à-vis de la Chine et de Taïwan.

    La galaxie conservatrice

    Quel type de conservateur est-il ? La nomination de J. D. Vance approfondit la rupture de Donald Trump avec l’establishment classique du Parti républicain pour forger un conservatisme plus populiste, anti-immigration et rompant avec le néo-conservatisme. Il est la figure de proue du mouvement des NatCons, les « nationaux-conservateurs », un courant créé par l’intellectuel israélo-américain Yoram Hazony à partir de son ouvrage The virtue of nationalism, paru en 2018 et élu livre conservateur de l’année en 2019. Ce courant théorise a posteriori le trumpisme et constitue un large renouveau de la doctrine du Parti républicain, développant une critique de la mondialisation, un fort patriotisme économique et un refus de l’immigration. À la dernière conférence des NatCons ce mois de juillet 2024, peu avant la tentative d’assassinat de Trump, Stephen Miller, le conseiller immigration de Trump durant sa présidence, a été une des stars, s’illustrant par un discours d’une grande fermeté. Lors de cette conférence, J. D. Vance a affirmé porter un nationalisme fondé sur « la terre natale, pas sur des idées ». Ce courant, organisant chaque année une conférence sous la houlette de l’Edmund Burke Foundation, think tank dirigé par Yoram Hazony, a pour particularité d’être très « européen », cherchant à mettre en lien nationaux-conservateurs européens et américains. Tucker Carlson, mais aussi Giorgia Meloni, Viktor Orbán, le gouverneur de Floride Ron DeSantis ont figuré parmi les invités. À Londres en 2023, Suella Braverman, ancienne Home Secretary en 2022 et 2023, connue pour ses positions anti-immigration, était intervenue, tout comme le député conservateur d’alors Jacob Rees-Mogg.

    Mais Vance a un profil intellectuel plus original. Tout indique qu’il rassemble toutes les sensibilités conservatrices et radicales américaines actuelles. Kevin Roberts, le président de la Heritage Foundation, think tank conservateur qui s’est largement développé sous l’ère Reagan, portant la voix de la droite chrétienne, voit en lui le leader du mouvement de la « nouvelle droite » américaine, tandis que Tucker Carlson dit de lui qu’il est aujourd’hui le plus intelligent et plus profond des sénateurs américains. Au Sénat, il côtoie Josh Hawley et Tom Cotton, partageant avec eux un national-populisme tout en étant issu des meilleures universités américaines.

    Converti au catholicisme en 2019, il est proche de Patrick Deneen, philosophe catholique avec qui il a participé à une conférence en 2023, et de Rod Dreher, autre intellectuel conservateur converti au catholicisme (aujourd’hui immigré en Hongrie, séduit par Viktor Orbán) qui avait précisé les contours des « Crunchy Conservatives », ces conservateurs modernes, cools et sensibles à l’écologie.

    Vers l’illibéralisme ?

    Vance est aussi inspiré par le courant NRx, appelés parfois « droite tech », un courant néoréactionnaire né dans une partie des élites de la Silicon Valley autour de Curtis Yarvin. J. D. Vance a cité ce blogueur à l’origine de l’expression RAGE (« Retire All Government Employees ») à propos de son idée de faire marcher à plein régime le « spoil system » américain (ce système permet à tout nouveau président de remplacer un certain nombre de postes dans l’administration) et de chasser jusqu’aux employés d’échelon inférieur, quitte à aller à l’encontre de la Cour suprême, si jamais elle devait s’y opposer. Ce courant, qui compte parmi ses soutiens des gens comme Elon Musk et Peter Thiel, est très critique de la démocratie libérale et prône un retour de l’ordre (pour certains de la monarchie), parle ouvertement des différences biologiques entre groupes humains. J. D. Vance se dit lui-même tenant d’une « post-liberal right », ce qui peut être synonyme d’illibéral. La gauche est effrayée par ce cocktail original préparant de manière assumée l’après-Trump.

    Gabriel Piniés (Site de la revue Éléments, 19 juillet 2024)

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  • Ariane 6, l'Europe et l'espace...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Mousis, professeur d'astrophysique, et une tribune de Clarisse Angelier et de l'Association Nationale de la Recherche et de la Technologie, cueillis sur Figaro Vox et consacrés au décollage de la fusée Ariane 6 et à la politique spatiale européenne.

     

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    Espace : « En dépit du succès d’Ariane 6, l'Europe est en passe d'appartenir à l'histoire »

    FIGAROVOX. – Avant le lancement d'Ariane 6, l'Agence spatiale européenne (ESA) ne disposait plus d'aucun accès à l'espace depuis un an. Quels étaient les freins de l'Europe dans le domaine spatial ?Olivier MOUSIS. – Le projet Ariane 6 n'est pas tout à fait un succès : les problèmes techniques et l'organisation à Kourou en Guyane, ont retardé le lancement. C'est une bonne nouvelle si l'Europe détient son propre lanceur, mais il ne faut pas en tirer un fait de gloire. Cet événement a permis de démontrer la complexité de la machine européenne. En effet, du côté américain et du côté chinois, les avancées en matière spatiale sont majeures. Selon moi, si elle continue ainsi, l'Europe est en passe d'appartenir à l'histoire. Pour conjurer le sort, il nous faudrait une vision et de la volonté, afin d'entraîner les jeunes générations. Malheureusement, elles ne s'intéressent plus au domaine spatial.

    Le lancement d'Ariane 6 en Guyane, ce mardi 9 juillet, a été un succès. Cette réussite permet-elle à l'Europe de retrouver une forme de souveraineté spatiale ?

    Le lanceur Ariane 6 représente un outil d'indépendance, mais ne nous permet pas de retrouver notre souveraineté spatiale. L'hégémonie de la France date des années 1990-2000, avec le lanceur Ariane 5. Mais le déclin commence lors de l'échec du programme Hermès (ce projet de navette spatiale européenne abandonné). Et le lancement d'Ariane 6 ne change pas la donne. Thomas Pesquet n'a pas été lancé par une Ariane 6, mais par l'entreprise SpaceX. Tout est dit. Le lancement d'Ariane 6 arrête simplement et brièvement l'hémorragie, mais ne met pas un terme au problème européen d'indépendance dans le domaine spatial. Pour ce faire, il faudrait un sursaut supranational, c'est-à-dire un sursaut européen.

    Le contexte géopolitique a-t-il accentué les vœux d'indépendance de l'Europe dans ce domaine ?

    En effet, la guerre en Ukraine a bouleversé le continent européen, et sa stratégie en matière spatiale. Le soutien au pays envahi a nécessité des fonds. Je ne remets pas du tout en cause l'aide française et européenne à l'Ukraine, je la soutiens. Mais le contexte géopolitique complexifie et affaiblit les ambitions spatiales européennes, vis-à-vis de nos concurrents, c'est-à-dire les États-Unis et la Chine.La concurrence américaine, en la personne d'Elon Musk et de son entreprise SpaceX, peut-elle limiter les aspirations européennes ? Est-elle la seule ?

    SpaceX écrase tout le marché. Cette année, l'entreprise d'Elon Musk doit réaliser près de 150 lancements, soit près de trois par semaine. De plus, grâce au recul que nous avons aujourd'hui, nous savons que leurs lanceurs fonctionnent et qu'ils sont d'une grande fiabilité. De l'autre côté de la planète, la Chine organise sa stratégie spatiale sur le long terme : ils élaborent des feuilles de route, et présentent des plans quinquennaux. La Chine a décidé de faire du spatial un enjeu stratégique. Selon moi, elle pourrait potentiellement se rendre sur la lune avant les États-Unis. Au-delà des concurrents extra-européens, la France subit aussi une compétition à l'intérieur de l'Europe. L'Allemagne en est le meilleur exemple : elle n'a jamais joué un rôle très clair avec la France.

    Il y a trois ans, vous disiez dans nos colonnes : «La stratégie des Européens se résume à un rôle de second couteau, de bon suiveur ». La réussite du lancement d'Ariane 6 a-t-elle fait évoluer votre jugement ?

    Non, mon jugement n'a pas changé. Ariane 6 a seulement permis à l'Europe de maintenir son écosystème et d'alimenter les entreprises afin de préserver leurs expertises. Mais le système français reste complexe : la surcharge administrative étouffe les ambitions et décourage les petites entreprises qui souhaiteraient se lancer dans l'aventure spatiale. De plus, il existe aussi un problème de latence. En Europe, entre une décision stratégique et sa réalisation, le temps passe trop lentement.

    La France et l'Europe manquent d'ambition. À l'époque, Hubert Curien, ministre l'Enseignement supérieur et de la Recherche de France de 1988 à 1993, avait largement contribué à pousser les projets spatiaux français et européens. Aujourd'hui, la France manque d'hommes de cette envergure. La recherche est un enjeu stratégique, or l'insuffisant investissement dans la recherche contribue à l'insuffisance de la France et de l'Europe en matière spatiale. Nous obtiendrons l'indépendance spatiale lorsque nous enverrons un astronaute européen dans l'espace par nos propres moyens. Alors, nous parlerons d'égal à égal avec les Américains et les Chinois. L'espoir n'est pas mort, mais il dépend d'investissements financiers importants et d'une vision à long terme qui n'est plus présente dans notre paysage politique. En l'absence d'un tel sursaut, la France et l'Europe appartiendront au passé.

    Olivier Mousis, propos recueillis par Gilbert Clarisse (Figaro Vox, 12 juillet 2024)

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    Espace : «Disposer d'un lanceur, c'est bien, restaurer l’unité européenne, c'est mieux !»

    Avec le lancement réussi d'Ariane 6 en ce 9 juillet, notre continent accède de nouveau à l'espace de façon autonome et sort enfin d'une période de fébrilité, marquée par l'absence de lanceurs. Cette dizaine de mois a laissé l'Europe spatiale dans un état de crispation, tendant le dialogue entre partenaires. Pourtant, les signes de fragmentation sont autant de vecteurs de fragilisation, alors qu'il est urgent de restaurer l'unité européenne pour garantir son avenir extra-atmosphérique.

    Ses capacités de lancement recouvrées, l'Europe peut à nouveau se projeter et remettre sur le métier l'élaboration urgente d'une stratégie continentale pour l'espace. Disposer d'un lanceur, c'est bien ; définir une stratégie pour son usage au-delà de cette décennie, c'est mieux.

    Ces dernières années, de nombreux États européens se sont dotés de stratégies spatiales nationales précises (Italie en 2020, Allemagne en 2023), à l'inverse de la France où l'élaboration d'un tel document est toujours en chantier, ainsi que le soulignait récemment le rapport du sénateur Jean-François Rapin sur le financement de la recherche spatiale. Or, pour le citer encore, les stratégies spatiales sont des outils à même de «renforcer l'engagement public vis-à-vis des citoyens, des pays partenaires et des investisseurs privés» dont il serait présomptueux de se passer, à l'heure d'une compétition spatiale accrue. Aux États-Unis, la planification stratégique en matière d'espace est un effort constant, auquel s'est même jointe la US Space Force qui vient de publier sa stratégie commerciale. En Chine, les ambitions spatiales sont réglées sur le métronome des plans quinquennaux et l'Inde a présenté sa stratégie courant 2023.

    Du côté de l'Europe, cet effort de planification existe. L'Union européenne dispose par exemple d'une stratégie pour le spatial de défense, et l'Agence spatiale européenne (ESA) avait missionné en 2022-2023 un comité de haut niveau sur le thème de l'exploration spatiale. Mais il manque par-dessus tout cette stratégie d'ensemble, lisible et claire d'une Europe réellement engagée vers l'avenir spatial ; la ligne de conduite d'une Europe qui ne s'excuse pas de pouvoir devenir une puissance spatiale et qui le manifeste dans un document coordonné et officiel qui engage les parties prenantes. Cette coordination devra harmoniser les forces composites d'une Europe spatiale, riche d'un tissu industriel et scientifique reconnu ; challengée par la dualité ESA-UE.

    Pour être efficace, une stratégie spatiale européenne doit se déployer pleinement sur quatre piliers : l'accès à l'espace, fondamental pour l'autonomie ; les télécommunications stratégiques et les données spatiales, nécessaires à la souveraineté économique ; l'exploration de l'espace dont la Lune, outil de coopération et de diplomatie scientifique ; et enfin, la présence active dans les instances multilatérales élaborant l'avenir du droit et de la gouvernance spatiale. Les accords Artémis initiés par les États-Unis ont démontré que la fabrique de la norme était un domaine stratégique à part entière. En s'engageant sur ces quatre fronts, l'Europe peut redevenir pleinement le troisième pôle de la coopération spatiale internationale, en parallèle des États-Unis et de la Chine. Car il faut bien avoir en tête ce mouvement de rebipolarisation du spatial mondial, ce dont témoigne la constitution de deux blocs autour des programmes lunaires Artémis de la NASA d'un côté, et ILRS de la Chine de l'autre. L'Europe spatiale du XXIe siècle doit être la troisième voie, jouant sur un tissu de coopérations agiles regardant vers les deux blocs dominants mais aussi vers les États non alignés. C'est aussi sur le socle d'une autonomie stratégique solide que notre continent pourra déployer ses ambitions dans le domaine de l'exploration spatiale, et en particulier vers la Lune.

    Mais la réalisation des ambitions européennes, au-delà du ciel, a besoin d'une indéfectible coopération continentale, car un simple appel à la mobilisation solidaire ne suffit pas. L'unité européo-spatiale se disperse et se délite dangereusement, dès lors qu'il s'agit de lanceurs, mais aussi d'autres applications spatiales, notamment satellitaires. On apprenait en effet, il y a quelques jours, qu'Eumetsat a choisi, pour lancer son prochain satellite météo, une fusée SpaceX. Un choix étonnant et déstabilisant tandis qu'Ariane 6 s'apprêtait à quitter la Guyane. Ce revirement est un signal inquiétant de plus pour l'unité spatiale européenne, manifestement déjà menacée lors du dernier Sommet de Séville. Dans la capitale espagnole de l'exploration, les partenaires européens avaient eu des échanges plus que tendus sur l'avenir de la filière des lanceurs, marchandant les contributions et les coûts, au détriment d'une vision stratégique de long terme, au-delà de la fin de la décennie.

    Or tandis qu'aux États-Unis, en Chine et en Inde, l'espace est plus que jamais facteur de puissance, monnaie d'échange et de négociation diplomatique, l'Europe doit prendre position et jouer son rôle dans le deuxième acte de la conquête spatiale. Le risque est grand de ne pas faire front uni : en matière spatiale, comme dans d'autres domaines à haute intensité technologique, le passage par une stratégie européenne est la garantie de la viabilité budgétaire et de la solidité technique.

    Alors, il faut rejouer pleinement la carte continentale : privilégier les développements européens, consacrer une préférence européenne pour la passation de marchés publics, ne pas oublier les rôles clés d'une politique spatiale fondée sur des besoins stratégiques spécifiques et correctement financés, diluer les logiques exclusivement nationales pour favoriser un développement réellement européen, faire primer l'autonomie stratégique et l'innovation au service de l'intérêt général sur la seule rentabilité. Notre continent a su le faire et il peut le faire à nouveau. Le sommet ministériel de l'Agence spatiale européenne, qui aura lieu en Allemagne en 2025, sera crucial pour l'avenir continental au-delà du ciel. À nous, Européens, d'en faire le sommet le plus restructurant de ces dernières deux décennies.

    Clarisse Angelier et Alban Guyomarc'h (Figaro Vox, 15 juillet 2024)

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  • Rassemblement national : « brebis galeuses » et poules mouillées ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de Jean-Yves Le Gallou, cueilli sur le site de Polémia et consacré à la faiblesse du RN face aux ukases médiatiques.

    Ancien haut-fonctionnaire, président de la Fondation Polémia, Jean-Yves Le Gallou a, notamment, publié La tyrannie médiatique (Via Romana, 2013),  Immigration : la catastrophe - Que faire ? (Via Romana, 2016), Européen d'abord - Essai sur la préférence de civilisation (Via Romana, 2018) et Manuel de lutte contre la diabolisation (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    Rassemblement national : « brebis galeuses » et poules mouillées

    Pour les intervenants politiques, les soirées électorales se suivent et ne se ressemblent pas. Il est facile d’être bon quand tout va bien. Plus difficile quand les résultats sont décevants. Pourtant, dimanche 7 juillet, Laure Lavalette, Laurent Jacobelli et Marion Maréchal, intervenant pour l’Union nationale, furent bons, mettant leur déception à la suite du second tour des élections législatives en perspective et rappelant l’évidence : une amélioration des résultats en nombre de voix comme en sièges ; 2 sièges en 2012, 8 en 2017, 89 en 2022, 143 en 2024. Curieusement, cette ligne a été abandonnée dès le lendemain pour se caler sur le discours des médias.

    Des « brebis galeuses » au Rassemblement national ?

    Le directeur général du RN, Gilles Pennelle, a été dénoncé dans Le Monde par le back-office comme responsable du « fiasco » (sic) et démissionné brutalement. Jordan Bardella s’est excusé des « erreurs de casting » dans le choix de ses candidats et a déploré la présence de « brebis galeuses » (sic). Une formule fort mal choisie car, avec les nouvelles pratiques vétérinaires, quand il y a un seul animal malade, on abat tout le troupeau…

    Abattre le troupeau ? C’est ce que les électeurs ont été invités à faire par les médias de grand chemin qui ont joué un rôle déterminant dans la réussite du « front républicain » en délégitimant les candidats RN. Dire cela, ce n’est pas être paranoïaque, c’est constater une réalité d’évidence : élus du Nouveau Front populaire, Aurélien Rousseau et Clémentine Autain ont d’ailleurs félicité et remercié les médias, en particulier France 2, BFM TV, Libération et la presse quotidienne régionale. L’Institut national de l’audiovisuel (INA), qui reçoit une dotation publique versée par l’État de près de 100 millions, s’est d’ailleurs officiellement réjoui du rôle des journalistes d’extrême gauche dans la bataille électorale.

    La technique de diabolisation utilisée a été simple. On crible les candidats et on met en avant telle ou telle déclaration, selon la méthode suivante qu’on prête, selon les cas, à Richelieu, Fouquier-Tinville ou Staline : « Donnez-moi une seule phrase d’un homme et je me charge de le faire condamner. » C’est ainsi que les médias ont procédé en propageant nationalement une indignation de circonstance sur telle ou telle individualité et en faisant retomber l’opprobre sur l’ensemble de candidats RN et alliés. Bien joué.

    Ces campagnes de dénigrement ciblé se sont appuyées sur une double démarche d’ostracisme social et d’intolérance idéologique :

    • l’ostracisme social visait à briser certains candidats trop à l’image de leurs électeurs et employant des mots simples et facilement caricaturables dans leur expression ;
    • l’intolérance idéologique cherchait à traquer des personnalités intellectuelles structurées mais ayant – horresco referens – osé reconnaître la réalité du « grand remplacement », critiqué la dictature sanitaire, voire émis des réserves sur l’alarmisme climatique ou le discours de l’OTAN sur la guerre en Ukraine.

    La contre-diabolisation, l’arme que le Rassemblement national doit utiliser

    Face à ces attaques intellectuellement malhonnêtes ou socialement ignobles, les dirigeants du RN ont molli. De repli tactique en repli tactique, ils ont affaibli l’ensemble de leur dispositif. Au lieu de paraître reconnaître le bien-fondé de la diabolisation de leurs candidats, ils auraient dû engager une entreprise de contre-diabolisation de leurs adversaires politiques ET médiatiques.

    Du côté politique, la matière ne manquait pas :

    • contre les islamo-gauchistes de LFI ;
    • contre les écologistes saboteurs de l’énergie nucléaire (Tondelier, Voynet, Jadot) et donc responsables de la hausse du prix de l’énergie et de la baisse du pouvoir d’achat ;
    • contre les agents de l’étranger (Glucksmann, ancien agent de l’OTAN en Géorgie, Jadot menant des actions antifrançaises avec Greenpeace) ;
    • contre les endettors de l’extrême centre : Attal, Le Maire, Philippe qui ont conduit la France au bord de la faillite avec 3 200 milliards de dette.

    Il fallait aussi décrédibiliser et diaboliser les médias et mettre en cause des rédactions d’extrême gauche qui cachetonnent pour des oligarques milliardaires. La gauche parle des « médias Bolloré », alors pourquoi ne pas parler des « médias Saadé », des « médias Arnault », des « médias Kretinsky » ? L’argent du fuel lourd du transport maritime (Saadé), du charbon nourrissant les centrales allemandes (Kretinsky) et du luxe de la superclasse mondiale (Arnault) servant d’arbitre des élégances écologiques, sociétales et sociales.

    Lutter contre la diabolisation des candidats RN est aussi possible. Il suffit que chaque candidature soit incarnée :

    • soit par une personnalité brillante, au CV rassurant, et capable de faire face à toutes les attaques ;
    • soit par un homme de terrain ayant fait ses preuves, et ces hommes de terrain sont faciles à détecter : il suffit de lister ceux qui ont eu le talent et l’énergie de constituer des listes municipales et de se faire élire ou de se faire connaître de leurs concitoyens. À cet égard, l’exemple de la Côte d’Opale est éclairant : à Boulogne et Calais, des conseillers municipaux ont été investis comme candidats, ils ont été élus. À Dunkerque, les conseillers municipaux ont été écartés, l’un pour faire place à un parachuté ciottiste (cela peut se comprendre), l’autre (dans la meilleure circonscription) à un inconnu présenté comme un « souverainiste de gauche » (waouh !) : deux défaites.

     

    Sauf bouleversement possible (dissolution de l’Assemblée nationale ou démission du président), la prochaine échéance sera celle des municipales. Leur véritable enjeu : le tissu des villes moyennes et des gros bourgs. À méditer.

    Jean-Yves Le Gallou (Polémia, 13 juillet 2024)

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  • Guerre en Ukraine : Vers l’escalade ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Condé cueilli sur Geopragma et consacré à l'escalade de plus en plus ouvertement assumée des pays de l'OTAN à l'encontre de la Russie. Philippe Condé est docteur en économie et spécialiste de la Russie.

     

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    Guerre en Ukraine : Vers l’escalade ?

    Chaque jour qui passe, de nouveaux pays de l’OTAN autorisent les frappes sur le territoire russe avec leurs armes.

    Pourtant, le secrétaire général de l’OTAN assure que l’Organisation n’est pas en guerre contre la Russie et ne recherche pas l’escalade.

    A ce jour, dix pays européens ont donné l’autorisation de frapper le territoire russe avec leurs armes (Allemagne, Danemark, France, Pays Baltes, Pays-Bas, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni) ainsi que les Etats-Unis (utilisation de missiles à courte portée sur les régions russes frontalières de la région de Kharkov).

    Pour le Danemark et les Pays-Bas, leurs avions F-16, une fois livrés à l’Ukraine, pourront frapper le sol russe sans restriction.

    En réponse à ces autorisations, le 5 juin lors d’une Conférence de presse avec des journalistes étrangers, en ouverture du Forum économique international de St Petersburg, le président russe a annoncé que la Russie pourrait armer avec des missiles longue portée des pays en conflit avec l’Occident. On pourrait imaginer que Moscou livre des missiles à l’Iran ou aux rebelles Houthis afin de frapper les intérêts occidentaux au Proche Orient. Cela constituerait une réponse asymétrique de la part du Kremlin.

    Lors de son intervention du 6 juin, Emmanuel Macron a annoncé la formation de 4500 soldats ukrainiens sur le sol français ainsi que la livraison de cinq Mirages 2000-5 et la formation des pilotes ukrainiens. En outre, les Mirage 2000 pourront, une fois livrés à l’Ukraine, frapper le territoire russe. La mise en garde russe de la veille ne semble pas avoir été entendue.

    Une autre réponse asymétrique de la part de Moscou serait d’envoyer des bâtiments de guerre sur le continent américain, par exemple au Venezuela, au Nicaragua ou à Cuba. Ainsi du 12 au 17 juin, la frégate Amiral Gorshkov accompagnée du remorqueur Nikolaï Chiker, du pétrolier Akademik Pashin et du sous-marin à propulsion nucléaire Kazan pouvant embarquer des missiles hypersoniques, ont fait escale à La Havane. Les côtes de Floride ne sont qu’à 180 kilomètres.

    Le risque d’escalade devient chaque jour plus grand d’autant plus que les dirigeants occidentaux continuent de faire la sourde oreille aux propos de Moscou.

    Mais vu d’Occident, la Russie est l’ennemi à abattre. L’Ukraine n’est que l’instrument, l’arme de ce projet, ses soldats ne sont que des consommables.

    Cependant, Moscou se dit chaque jour prête à négocier en tenant compte de la réalité sur le terrain.

    Le 14 juin, lors d’un discours devant le corps diplomatique russe, soit la veille de la Conférence de paix qui se tiendra en Suisse, sans la Russie, Vladimir Poutine présente un Plan de paix en cinq points.

         1. Retrait total des troupes ukrainiennes du territoire administratif des régions de Lougansk (RPL), Donetsk (RPD), Zaparojié, Kherson. Le statut de ces régions russes, ainsi que de la Crimée et de Sébastopol devra être reconnu par des traités internationaux.

          2. Engagement de l’Ukraine à ne pas adhérer à l’OTAN.

          3. Statut neutre, non aligné et non nucléaire de l’Ukraine.

          4. Démilitarisation sur la base des accords d’Istanbul.

          5. Protection des droits des russes en Ukraine.

    Il ajoute que si ces conditions sont rejetées, la responsabilité de la continuation du bain de sang incombera à l’Occident.

    Sans surprise, ce plan de paix est aussitôt rejeté par le président ukrainien, le considérant comme un ultimatum mais aussi par l’OTAN, et les Etats-Unis, proclamant que cela ne ramènerait pas la paix et permettrait d’atteindre les objectifs russes.

    Or ce plan semble plutôt réaliste et reprend les principales demandes russes formulées en janvier 2022, soit un mois avant le lancement de l’Opération militaire spéciale. La principale différence se trouve dans le premier point, c’est-à-dire la reconnaissance de la souvenait russe sur les régions de RPL, RPD, Zaparojié et Kherson. Ces dernières ont adhéré par référendum (23-27 septembre 2022) à la Fédération de Russie. Cette consultation est considérée comme une annexion et donc non reconnue par l’Occident.  Etant donné le rapport des forces sur le terrain, où l’armée russe continue d’avancer sur l’ensemble du front, ces régions semblent perdues pour l’Ukraine.

    Pour Moscou, c’est un fait accompli d’autant plus que des investissements considérables sont réalisés comme la restauration des villes (Marioupol étant le symbole), la construction de nouvelles routes et de voies ferrées permettant d’intégrer ces nouveaux territoires au reste de la Fédération. La liaison ferroviaire, en voie d’achèvement, reliant Rostov sur le Don à Djankoi (Crimée) via Marioupol (RPD), Berdyansk et Melitopol (Zaparojié), constitue le plus grand symbole.         

    Ces régions, au même titre que la Crimée, ne sont donc plus négociables. Elles font partie intégrante de la Fédération de Russie. D’ailleurs, selon Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, c’est la dernière proposition de paix de la Russie. La prochaine proposition sera la capitulation.

    Sans surprise, la Conférence de paix qui s’est tenue en Suisse (15-16 juin) en l’absence de la Russie, mais aussi de la Chine, n’a apporté aucun élément nouveau permettant de mettre fin au conflit.

    Sur les 90 délégations, environ la moitié n’était pas constituée de membres de haut rang, notamment les pays du Sud global. Les Etats-Unis étaient représentés par la vice-présidente Kamala Harris et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan.

    Seuls 78 Etats ont signé la déclaration finale (l’Inde, le Brésil, l ‘Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, membres des BRICS, n’ont pas signé), qui apporte le soutien à la « souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale » ukrainienne mais reconnait aussi qu’il faudra inviter la Russie afin de parvenir « à une paix juste et durable ». Par ailleurs, le communiqué final appelle à garantir la liberté de navigation en Mer Noire et en Mer d’Azov (totalement contrôlée par Moscou) afin de sécuriser le commerce des produits alimentaires (notamment le blé). Enfin, les participants demandent que l’Ukraine reprenne le contrôle total de la centrale nucléaire d’Energodar (contrôlée par les russes depuis mars 2022) et exigent la libération de tous les prisonniers de guerre. Le communiqué n’appelle donc pas au retrait des forces russes ni au paiement de réparations, pourtant point clés du plan de paix Zelenski.

    En somme pour le président ukrainien, les conclusions de cette conférence constituent un échec, auquel s’ajoute l’absence de la Chine et de Joe Biden. Les hostilités sur le terrain continuent donc sans espoir de voir la fin prochaine.

    Pourtant, comme l’a affirmé, à plusieurs reprises déjà, le Haut représentant aux affaires étrangères européen, Josep Borell, il suffirait que l’Europe arrête de fournir des armes à l’Ukraine pour que la guerre se termine.  Aveuglés par une russophobie maladive, les européens et les occidentaux en général ne veulent (ne peuvent) reconnaître leurs erreurs…car ce conflit aurait pu être évité s’ils avaient accepté les Accords d’Istanbul début avril 2022.

    Mais l’arrogance Occidentale, anglo-saxonne en particulier (le fameux voyage du 1er Ministre britannique Boris Johnson le 9 avril 2022), décida que l’occasion était trop belle pour détruire une fois pour toutes la Russie.

    Cependant, deux plus tard, la Russie n’est pas détruite et tient fermement debout sur ses deux jambes en dépit des plus de 20 000 sanctions occidentales.

    Ainsi en 2023, son taux de croissance a atteint 3,2% et a dépassé 5% au premier trimestre 2024.

    La Russie est devenue la quatrième économie mondiale en 2023 en PIB PPA (parité de pouvoir d’achat), derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde mais devant le Japon. Le taux de chômage est inférieur à 3%, l’économie est en pénurie de main-d’oeuvre, ce qui constitue le principal problème aujourd’hui. Afin de résorber cette situation, il faudra augmenter la productivité du travail et/ou augmenter la robotisation des entreprises et/ou faire appel à de la main d’œuvre étrangère. Les autorités semblent privilégier les deux premiers facteurs.

    En somme, des performances économiques très honorables sous de très fortes contraintes, pour une station service déguisée en pays, selon les termes de l’ancien sénateur républicain et héros américain du Vietnam John Mc Cain.  

    Or, un certain embarras semble, tout de même, gagner les capitales occidentales puisque l’économie russe ne s’est pas effondrée comme l’avait très imprudemment prédit Bruno Lemaire, le 1er mars 2022.

    Que faire ? C’était la question que se posait Lénine dans son traité politique publié en 1902.

    Elle s’applique totalement à la Russie s’agissant de la politique actuelle des pays occidentaux

    Mais au lieu de se poser la bonne question comme Lénine à l’époque, les dirigeants occidentaux préfèrent la fuite en avant, l’escalade dans le conflit.

    Ainsi, on continue de ne pas prendre au sérieux les mises en garde du Kremlin concernant l’utilisation éventuelle de bombes nucléaires tactiques (la Russie en possède plus de 4000).

    La doctrine militaire russe est pourtant très claire : en cas de menace pour l’intégrité et la souveraineté du pays, la Russie se réserve le droitd’une frappe nucléaire.

    Comme l’a fait remarquer John Mearsheimer dès le mois de mai 2022 : on ne joue pas impunément avec une puissance nucléaire. Ajoutons que la Russie est la première (5889 ogives) devant les Etats-Unis (5244 ogives) et très loin devant la France (290 ogives).

    Pendant ce temps, l’Europe se perd, la France en tête. Le 31 mai, Standard and Poor’s a dégradé sa note de AA à AA-, en raison notamment de son taux élevé d’endettement (110,6% du PIB, soit plus de 3000 milliards d’euros) et de déficit budgétaire (5,5% du PIB en 2023, en hausse de 0,8 point par rapport à 2022). La croissance européenne reste inférieure à 1% par an, l’inflation reste supérieure à 2%, qui est la cible de la BCE. La désindustrialisation guette l’Allemagne puisqu’elle importe son énergie deux à trois fois plus chère que lorsqu’elle l’achetait à la Russie. La France ayant perdu son industrie depuis la crise de 2008.

    L’écart économique entre l’UE et les Etats-Unis ne cesse de se creuser depuis la crise des subprimes.

    Entre 2008 et 2022, le taux de croissance de l’UE a été de 2,8% contre 72% aux Etats-Unis.

    De ce fait, l’économie européenne ne représente plus que 65% de son homologue américaine alors qu’elles étaient équivalentes en 1990. 

    Dans les différents Etats membres, les campagnes pour les élections européennes n’ont pas été à la hauteur des enjeux. En France, on a vu beaucoup de listes (vingt-neuf) pour très peu d’Europe.

    Victor Hugo n’est plus qu’un lointain souvenir brumeux. Absence de vision, absence de projet fédérateur, alors que l’UE cumule les retards dans les domaines de l’intelligence artificielle ou de l’automobile électrique face à ses rivaux américain et chinois.

    Les résultats des élections européennes du 9 juin ont encore obscurci l’horizon du vieux continent.

    Les partis d’extrême droite ont gagné en France, en Belgique, en Autriche et se sont classés deuxième en Allemagne et aux Pays-Bas. Emmanuel Macron s’est résolu à dissoudre l’Assemblée nationale entrainant le pays dans une incertitude totale.

    Ces résultats constituent un signal aux pouvoirs en place : problèmes de pouvoir d’achat, avenir du système social, montée des inégalités, mais aussi la guerre en Ukraine qui est une situation perdante pour l’UE. Il y a donc urgence à prendre en compte ces problèmes lors des prochaines législatures française et européenne.

    Dans les prochains mois, l’Occident, et l’UE en particulier, devra revoir radicalement son agenda en Ukraine.

    La situation actuelle, après plus de deux ans de conflit, largement provoqué et alimenté par l’Occident, risque de conduire à une escalade et à un élargissement du théâtre des opérations. Le danger nucléaire n’est pas à exclure.

    L’UE devrait donc convoquer une Conférence de paix afin de mettre fin à cette tragédie. Car la paix, c’est la vocation de l’Europe !

    A défaut, la situation post-apocalyptique décrite par Dmitry Glukovsky dans le cadre de sa Trilogie Métro (2033, 2034, 2035) où les survivants d’une guerre nucléaire se terrent misérablement dans le métro de Moscou, depuis vingt ans, pourrait alors devenir réalité…

    Philippe Condé (Geopragma, 3 juillet 2024)

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  • La grande peur des clercs bien-pensants...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Idiocratie consacré à une tribune de juristes bien-pensants appelants à faire barrage au RN, comme il se doit...

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    La grande peur des clercs bien-pensants

    Visiblement indignés, rebutés, effrayés certainement, enhardis parfois, par la perspective d’une victoire électorale du Rassemblement National aux législatives du 30 juin 2024, plusieurs centaines d’« enseignants-chercheurs en droit » ont commis ces jours-ci une magnifique tribune, véritable condensé de politiquement correct, chef-d’œuvre de démonstration de bonne volonté qui vaudrait – nous l’espérons – un zéro pointé à tout dissertant en sciences politiques, en théorie de l’État ou même en philosophie du droit – tribune reproduite en fin d’article.

    C’est qu’on en frétille, on s’en gargarise avec un air grave de circonstances, de pouvoir draper son activisme de technicien de l’ordre juridique dans de belles considérations morales. On rajuste ses bésicles, on prend son air mi-sévère, mi-débonnaire de demi-sachant, et on lève l’index pour commenter doctement les commentaires du commentaire de l’agitation d’épouvantails politiciens.

    Cela nous change un peu d’aller trifouiller de la loi, du décret, des circulaires, de la norme, des recommandations, des rapports, de la décision, du jugement à n’en plus finir. On vibre, le pouls s’accélère, la poitrine se gonfle, il est temps de monter sur l’estrade, de revêtir l’habit d’officier de l’avant-garde éclairée.

    L’ennemi est désigné. Il ne devrait pas y avoir d’ennemi, comprenez, mais enfin l’ennemi est là tout de même, et c’est – coïncidence – précisément celui qui veut qu’il y en ait, des ennemis. Schmitt ressurgit (il y a toujours un autre qui est ennemi), l’essentiel est de lui donner raison tout en fondant ses prises de positions sur la prétention inverse. 

    Nous n’avons guère de sympathie pour le techno-populisme turbo-souverainiste sauce « french dream » du RN. Un intérêt d’ethnologue amateur et amusé, à la rigueur, et une forme de solidarité humaniste (oui, oui !) avec ceux qui croient encore pouvoir faire changer quelque chose, et qui nous sont rendus d’autant plus touchant que leur élan les distingue irrémédiablement de toute l’autorité et la fatuité recuites de ceux qui récitent un catéchisme devenu gnose mortifère.

    C’est que tout y passe dans cette tribune, ou presque, une bonne page (souvent la même, d’ailleurs) du catalogue des « libertés publiques », dont la remise en cause serait immédiatement corrélées (on n’ose dire « attribuées », tant la démonstration scientifique brille par son absence) à des faits arbitrairement relatés et généralisés.

    Mais tout de même, osons demander : la démocratie ne serait-elle donc pas la démocratie ? Ne peut-on plus, a minima, interroger la légitimité de la prophétie auto-réalisatrice de l’État de droit, de ses normes, de ses institutions ? De l’adéquation de leurs formes et de leurs contenus actuels aux aspirations majoritairement et récemment exprimées par l’universalité des citoyens français ? La « démocratie continue » est-elle à ce point sclérosée ?

    De quoi ont-ils peur, tous ces fieffés clercs de l’État de droit ? Que le Parlement, bicaméral, corseté par le parlementarisme rationalisé et la Constitution normative, se remette à effectuer un ou deux choix politiques ? Nos représentants élus ne sont-ils pas précisément là pour en débattre ?

    Faut-il donc qu’ils soient demeurés et inaptes, ces citoyens et électeurs pour qu’on ait tant besoin de leur tenir la main, de leur rappeler qu’en dehors d’un libéralisme hémiplégique du dernier homme, il n’y a rien qui vaille. Faut-il considérer que le gouvernement représentatif est devenu sans objet ? Sans sujet, sans contenu même ?

    Conjuguant à merveille le statisme à l’étatisme, ces apôtres du meilleur des présents nous expliquent donc (nous « décodons ») :

    - que la représentation nationale est devenue sans objet (« vouloir pour la nation »), puisque que sa réalisation est devenue inéluctable, automatique : l’État de droit est là, et il ne pourra que progresser vers sa propre perfection, vers un stade total, à savoir toujours plus de droits « à », pour toujours plus d’ayants-droits ;

    - que la représentation nationale est devenu sans sujet, puisque la force morale des préceptes constitutifs de cette doxa de l’État de droit et des libertés publiques fait des électeurs des êtres cybernétiques, dont la conscience comme la responsabilité (laquelle ? devant qui ?) ne peuvent conduire qu’à un certain nombre de choix, préprogrammés ;

    - que la représentation nationale, enfin, est désormais sans contenu propre, puisqu’elle ne peut qu’entériner le droit, les droits, le choix de société, dictés par les « valeurs » auxquelles il est fait référence, et qui les rendraient donc digne d’estime. Seule compte qu’elle fasse œuvre de « justice », qu’elle répète, toujours mieux, toujours plus et dans tous les domaines, les principes de l’État de droit, et surtout ceux que les enseignants-chercheurs en droit (sont-ils donc, ex officio, des représentants voire des constituants ?) estiment être les plus importants.

    Comprenne qui pourra : le droit, les droits, sont « des choix de société », des valeurs qui pourraient ne plus en être (si elles n’étaient plus « choisies » par la « société » ?) mais qui ne peuvent que le demeurer, au nom du fait qu’elles … existent ? Sont sanctionnées en droit ?

    En réalité, il y là un cas topique d’étalage sans vergogne d’épistocratie spéculaire (écrire « démocratie » n’aurait à ce stade plus aucun sens) : l’argumentation est insaisissable, le propos se dérobe, seul le miroir reste, et le reflet fugace de normativisme qu’il paraît nous renvoyer. La « société » désirée n’est pas présente, elle est montrée – instituée – mais de façon cléricale : elle n’accède à l’existence en tant que collectivité politique, ce qui est toujours une opération abstraite en soi, que grâce à l’enseignement de ses « représentants » de fait, qui lui donnent à voir ce qu’elle est et sera, ce qu’elle doit être et rester, et ce qu’elle ne peut pas être. Qu’on ne s’y trompe pas : l’existence même de leur cléricat est légitimée par la figure active (j’ergote donc je suis) de la « société » qu’ils produisent (l’État de droit, « le tas de droit »), et non pas par son mode de fonctionnement politique intrinsèque (le parlementarisme) ou l’origine de celui-ci (le gouvernement représentatif).

    Mais quel courage, quelle prise de risque ! Les revoilà les traîtres de clercs, qui s’érigent cette fois-ci, comme toutes les autres, en parangons de la « démocratie » cordicole. C’est qu’ils l’ont, eux, le monopole du cœur : comprenez, ils sont titulaires, fieffés pour ainsi dire. Une ligne après le patronyme suffit à témoigner de leur belle et bonne volonté, de leur expérience viscérale de l’inéluctabilité, pour ainsi dire historique et anthropologique, de la perpétuation des valeurs présentées (ne sont-il pas, pourtant, que juristes ?). Le Léviathan, la Gorgone, tournent tout seuls, mais remettons un peu d’huile, sait-on jamais ?

    Auraient-ils oublié que la « démocratie », même libérale, même présidentialisée, et même à l’âge de la donnée, des cabinets de conseil, et du numérique ubiquitaire, c’est avant tout l’organisation procédurale de l’incertitude, l’admission du faillibilisme du politique ? Adoptée au terme d’une confrontation organisée de points de vue, d’une démarche dialectique – donc rationnelle – de production du droit, la loi, produit d’une délibération qui est l’expression « de la diversité et de l'incertitude de nos opinions » se fait « le registre toujours plus fidèle de nos doutes » (P. Manent).

    Sont-ils à ce point gonflés d’orgueil pour oublier qu’une fois leur fonction professorale épuisée (enseigner les origines, le fonctionnement, les accomplissements, de notre système politique, idéalement avec une forme d’autonomie de la pensée savante), les apprenants en ayant bénéficié ne sont plus tenus de les écouter qu’en tant que simples citoyens comme les autres, voire plus tenus de les écouter du tout ?

    Des Idiots (Idiocratie, 1er juillet 2024)

     

     

     

    Tribune des enseignants-chercheurs en droit, 27 juin 2024

    Nous, enseignants-chercheurs en droit, attachés à l’État de droit et aux libertés publiques, sommes inquiets.

    Qu’enseignerons-nous à nos étudiants demain ?

    Que la devise de la France est « Liberté, Égalité, Fraternité » ? Ou que la fraternité s’arrête aux portes de l’hôpital où l’étranger doit présenter ses papiers avant d’être soigné ?

    Que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ? Ou que l’on peut être plus ou moins Français, à l’instar des binationaux exclus de certains emplois publics ?

    Qu’il existe une liberté d’expression et d’information en France ? Ou qu’une telle liberté existait autrefois, jusqu’à ce que le pluralisme disparaisse emporté par la privatisation des médias publics ?

    Que la justice est indépendante et garante des libertés ? Ou qu’elle n’est qu’un automate qui applique des peines planchers et présume que la violence des forces de l’ordre est en toute occasion légitime ?

    État de droit, égalité, libertés publiques, justice : toutes ces valeurs sont attaquées par le programme du Rassemblement national qui prône la fin de l’aide médicale d’Etat, la préférence nationale et l’hégémonie du droit du sang, la vente de l’audiovisuel public, les peines planchers et la présomption de légitime défense des forces de l’ordre.

    Deux modèles de société s’opposent, deux visions du droit et des droits. Nous sommes inquiets, mais ce qui sera enseigné demain dans nos amphithéâtres et nos salles de cours, c’est ce que les électeurs auront décidé le 30 juin et le 7 juillet prochain. Le choix appartient à chacune et chacun de ceux qui sont appelés à voter.

    Prenons toutes et tous la mesure des conséquences de notre vote.

    Nous, enseignants-chercheurs en droit, demandons aux citoyens de se rendre massivement aux urnes et de voter en conscience et en responsabilité.

    Source

    https://docs.google.com/documentd/1POAAgzBlDd_YmJnZVRvnK7nrleunq2Ie2cSg25YTAco/edit

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  • Les modifications de frontières par la force : une question de morale ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré au "principe" de l'intangibilité des frontières. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

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    Les modifications de frontières par la force: une question de morale ?

    Un des enjeux de la guerre russo-ukrainienne est évidemment la question des frontières. Au lendemain de l’offensive russe en Ukraine, le Conseil européen a d’ailleurs fait part de son indignation :  « l’usage de la force pour changer les frontières n’a pas sa place au XXIe siècle ». Que peut-on en penser ?

    Nous passerons sur le progressisme naïf à la base de cette formulation, laissant entendre que l’humanité irait sans cesse vers un plus haut niveau d’exigence morale et un comportement plus vertueux ou plus humain. On pouvait peut-être raconter cela en 1890. Mais les innombrables barbaries du siècle qui a suivi devraient semble-t-il avoir balayé une telle naïveté.

    En revanche, il peut être légitime de vouloir poser le principe d’un respect des frontières existantes, qui ne seraient pas modifiables sauf accord mutuel, et cela au nom de la paix. Changer les frontières est en effet une des motivations les plus fortes des guerres, et en amont, des conflits au sens large. Cela dit, l’exemple même de la guerre russo-ukrainienne montre que même sur cette base, on ne ferait nullement disparaître la possibilité de guerres. En l’espèce, au départ, la Russie a mis en avant des motivations d’un autre type pour son invasion : la menace pour sa sécurité que représenterait le passage de l’Ukraine dans le camp occidental, le caractère supposé "nazi" du régime de Kiev, ou le traitement des russophones. Elle ne parlait pas d’annexion avant, et cela n’est venu qu’après.

    Mais il reste que poser le principe de l’inviolabilité des frontières fait peser sur l’agresseur la menace d’une réprobation large et d’un statut juridique flou et désavantageux. Cela joue donc sans doute un rôle utile, y compris dans des zones comme l’Afrique où la plupart des frontières sont très artificielles.

    Cela dit, l’examen des précédents depuis 1945 montre que même s’il a servi de règle de base, le principe a connu une existence souvent chaotique. On a pu régulièrement s’assoir dessus, et même justifier son exact contraire, parfois par de grands arguments moralisants.

    La dissolution des empires

    Le changement de souveraineté le plus massif et le plus évident a été l’explosion des empires coloniaux, qui étaient après tout des réalités juridiques reconnues (avec parfois intégration dans la métropole comme en Algérie), et leurs frontières aussi. Dans ce processus, la violence a souvent joué un rôle important, parfois décisif, au moins comme menace contre le colonisateur (guerres dites de libération).

    On a alors tenté de maintenir le principe du respect des frontières héritées de la dislocation de ces empires, et cela a en général plutôt fonctionné jusqu’ici, même si elles étaient et restent artificielles. Cela dit, la violence est régulièrement intervenue ici ou là pour les redéfinir : pour imposer une partition (Empire des Indes, puis Pakistan et Bengladesh, Soudan), ou au contraire pour l’empêcher (réunification du Vietnam), ou encore pour annexer un territoire (Rio de Oro, Nouvelle-Guinée occidentale). En Somalie, successivement on a rassemblé deux colonies, puis elles se sont séparées.

    Dans un autre cas, celui des empires communistes, soviétique et yougoslave, le principe n’a pas empêché la terrible guerre qui a déchiré une Bosnie Herzégovine artificielle, avec son issue bancale. Et surtout on a joyeusement promu l’indépendance du Kosovo, pourtant partie intégrante de la Serbie. Certes, en ex-URSS, la reprise des frontières intra-soviétiques s’était faite dans l’ensemble sans guerre. Mais c’était sur des bases assez friables, notamment au vu des importantes minorités notamment russophones, comme la guerre en cours le rappelle (après le précédent en Ossétie et Abkhazie).

    Un principe qui reste imparfait

    Par ailleurs la mise en œuvre du principe peut aboutir à des résultats embarrassants. Prenons le cas de Taiwan, reconnue comme partie intégrante de la Chine par la plupart des Etats. Le respect des frontières reconnues, compris littéralement, va ici manifestement dans le sens de Pékin. Ce qui choque. Et donc on cherche à moduler le principe. Mais on ne peut prendre une position contraire que de deux manières, qui posent toutes deux problème.

    Soit en considérant qu’une frontière même contestable au départ devient légitime avec le temps, ce qu’en pratique on fait assez largement, et c’est après tout en général prudent. Mais aller dans ce sens donne une prime à la modification de fait d’une frontière, si celui qui l’opère arrive à la tenir assez longtemps : d’où naguère le nettoyage ethnique dans le nord de Chypre. Sauf obstacle militaire, le Venezuela pourra dès lors s’emparer de l’Essequibo et le peupler de Vénézuéliens : à la longue, cela passera.

    Soit en se calant sur des procédures d’autodétermination ; et de fait il y aurait bien des motifs pour modifier des frontières qui ici ou là sont contraires à la réalité des populations. Mais si on retient ce critère, on risque justement de conduire à des remises en causes nombreuses des frontières existantes par toutes sortes de séparatistes, ou d’intervenant extérieur, du plus souple au plus violent.

    Ceci met en lumière une autre limite du principe, qui est qu’en un sens il repose, dans une majorité de cas, sur une tautologie : si en effet on est d’accord sur l’endroit où se situe la frontière, de façon générale elle n’est pas remise en cause, et le principe n’apporte rien. Il ne sert finalement que pour tenter de geler les situations contestées, mais existant de fait. Or en soi il n’y a pas de raison de choisir toujours le statu quo, et moralement cela peut même être choquant. En outre, par un paradoxe apparent, la fétichisation des frontières peut parfois conduire à ce que soient menées des opérations révoltantes afin d’aligner les populations sur les frontières, comme les épurations ethniques à Chypre, en Yougoslavie, et encore récemment au Haut Karabakh.

    Que dire enfin des frontières maritimes, là où il n’y a pas de critère de population et où les droits historiques sont bien plus flous ? Où est la juste frontière en Mer de Chine méridionale, que la Chine occupe pour l’essentiel à l’indignation des autres riverains ? Et que vaudront les autres droits historiques, actuellement respectés, lorsque les enjeux deviendront réellement importants, soit en termes de sécurité ou de contrôle des routes maritimes, soit au vu des richesses sous-marines ?  La France a peut-être ici quelques soucis à se faire…

    En conclusion, ce "principe" a rendu de réels services ici ou là. C’est un moyen de calmer le jeu. Comme on l’a dit, ce n’est pas à mépriser. Mais à condition de ne pas le voir comme le grand principe moral qu’on tend à en faire ; c’est simplement une règle pratique, pragmatique, permettant de maintenir la paix dans bien des cas. Ni plus, ni moins.

    Pierre de Lauzun (Geopragma , 1er juillet 2024)

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