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Points de vue - Page 14

  • 2025, année de la clarification douloureuse ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré aux probables clarifications qui vont intervenir au cours de l'année 2025 dans les relations entre les puissances, et notamment dans le conflit russo-ukrainien.

     

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    2025, année de la clarification douloureuse

    Pour chacun, dans le cercle de nos amis et connaissances, ces premiers jours de l’année nouvelle sont ceux des vœux, des pensées amènes, des espérances et des bonnes résolutions.

    Pour le monde occidental, dont la France est partie (même si notre pays a tant renoncé à lui-même depuis des décennies qu’il n’a rien su faire de ses atouts ni su adopter une position non alignée et médiatrice qui aurait été très utile à la paix en Europe sur le dossier ukrainien), ce devrait être l’occasion de revenir sur les erreurs passées, de tenter enfin autre chose que la surenchère guerrière, d’infléchir une trajectoire qui sinon nous promet un enfermement de plus en plus douloureux et dangereux dans les ornières du passé.

    Encore faudrait-il oser identifier les mauvais chemins empruntés, les raisonnements abscons, les postures bravaches si nuisibles aux intérêts des peuples que l’on prétend guider ou représenter ; des peuples in fine toujours victimes, notamment économiquement et socialement dans le cas des Européens, de décisions prises sous l’empire du déni, de la rage, de la haine ou de la prétention.

     Et de ce point de vue, 2024 fut un must, une année perdue et sanglante, une année de trop dans la poursuite effrénée, paniquée même, d’illusions de toute puissance et de maintien d’une domination minée par ses propres flagrants excès.

    Où que se tourne le regard, il contemple donc des champs de ruines et de cadavres innocents livrés sans réfléchir à la lutte implacable que nous livrons à un monde nouveau, récalcitrant à notre férule. Un monde qui n’a pas plié et n’a pas plus l’intention de plier cette année.

    L’Ukraine est le plus proche de ces buchers de nos vanités. Notre « soutien » borné à un régime dévoyé qui n’est que l’instrument de notre indécrottable volonté d’affaiblissement de la Russie, n’a abouti qu’à une situation bien plus dommageable pour ce malheureux pays qu’il y a encore un an ou deux. Si la paix avait été notre préoccupation, nous aurions depuis déjà longtemps recherché les bases d’un accord avec Moscou permettant le retour de la sécurité en Europe. Mais la paix n’est pas notre problème. Nous voulons la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, même si nous finissions par y laisser bien plus que des plumes et demain des soldats s’il le fallait. C’est délirant, c’est parfaitement inutile mais c’est ainsi. Une question de « principes » et de « valeurs » parait-il.  Le comble du cynisme.

    Quand je dis si « nous » recherchions la paix, je pense naturellement à Washington, puisque l’Europe ne comprend rien à ses propres intérêts et se contente de donner dans la surenchère belliqueuse pour complaire à la volonté de l’Administration américaine. Donald Trump, qui sera officiellement président dans quelques jours, pourra-t-il changer la donne, mettre au pas l’État profond, purger les abcès de corruption qui gangrènent l’appareil décisionnel américain et proposer les bases pourtant évidentes depuis très longtemps d’un accord à son homologue russe ? Ce n’est pas du tout certain, tant tout est fait pour le désinformer sur la réalité militaire du conflit et l’enfermer dans des logiques guerrières. Il semble néanmoins avoir compris que sa posture initiale consistant à menacer Moscou de faire pleuvoir les armes et l’argent sur Kiev si le président Poutine n’acceptait pas un gel des combats et une force otano-européenne de surveillance, n’avait strictement aucune chance d’engager la Russie aux moindres pourparlers. Moscou néanmoins, connait par le menu la violence de la scène politique américaine et tempère le rythme de ses gains militaires (mais jusqu’à quand ?) pour donner une chance à un dialogue sérieux, même si les pressions internes sont de plus en plus fortes pour pousser le Kremlin à accélérer le rythme de la SMO au premier semestre 2025.

    Il faut souhaiter que les avancées russes actuelles constantes dans le Donbass et les très lourdes pertes ukrainiennes depuis plusieurs mois poussent la nouvelle Maison blanche au réalisme, même si le déni demeure très lourd et la volonté de saboter la nouvelle présidence de Donald Trump profonde. On peut donc craindre, si ce dernier ne part pas sur des bases pragmatiques et raisonnables avec Moscou, que la prophétie autoréalisatrice ressassée à Bruxelles, Paris, Londres et (de moins en moins) Berlin ne finisse par advenir : On verrait alors Moscou sevré de ses dernières illusions, finir par avancer vers la Pologne ou les pays baltes alors que cela n’était clairement pas son intention initiale. On serait même capables de s’en réjouir et de dire « qu’on le savait bien ».

    Les USA ont tout intérêt pourtant à trouver une issue en Ukraine et les Russes à leur laisser sauver la face. Washington doit choisir ses combats en fonction de la réalité de ses moyens militaires, de sa relation avec la Chine et de l’état du rapport de force mondial qui n’est plus en sa faveur. Le problème est que même cette évidence ne parvient pas à franchir le front du déni et à atteindre les cerveaux embrumés de nos dirigeants sans expérience ni culture. Ils sont intoxiqués par leur propre propagande délirante depuis trop longtemps et même le pragmatique Trump semble actuellement vouloir s’entourer d’un nombre conséquent de faucons qui risquent de ne pas saisir ce moment historique qui permettrait à l’Amérique d’entamer le sauvetage stratégique mais aussi moral et politique de l’Occident.

    Si le théâtre ukrainien va donc malheureusement rester encore un bon moment actif, le Moyen-Orient n’est pas non plus près de s’apaiser tout au contraire. L’affaissement de la Syrie sur elle-même, tombée d’épuisement et victime de ses illusions de réhabilitation internationale, livrée aux pires djihadistes, l’avancée turque qui pourrait finir par heurter les ambitions américano-israéliennes et se retourner contre Erdogan, celle toute relative d’Israël sur les ruines de la Palestine et du Liban qui ne rêve que de pousser Trump à lancer les hostilités avec l’Iran, tout cela augure une année de violence sectaire et souffrances indicibles pour les Palestiniens, les Syriens et les Libanais, mais aussi de  probables tentatives de déstabilisation redoublées à l’échelle régionale.

    Je pourrais encore évoquer le renforcement de la dynamique des BRICS, la consolidation de la position chinoise au plan diplomatique et stratégique en dépit de ses difficultés économiques conjoncturelles, l’empreinte de plus en plus profonde de la Russie en Afrique sur les ruines notamment de notre politique anachronique, la dureté des affrontements énergétiques, l’Amérique latine et ses incertitudes. Ces sujets ont tous un point commun : ils illustrent, chacun à leur façon, la formidable opposition qui n’est ni « civilisationnelle » ni religieuse, mais bien idéologique et économique, entre d’une part un « vieux monde » longtemps dominant qui ne veut pas reconnaitre sa perte d’influence et de crédit, qui croit encore pouvoir faire la leçon au reste de la planète et régner par le mensonge, la guerre des perceptions, la communication et la propagande, et d’autre part,  lui faisant face avec sérénité et détermination, un « jeune monde » dirigé paradoxalement par de vieilles puissances et des hommes d’État chevronnés qui recherchent la légitimité populaire au lieu de s’en défier, prisent la souveraineté, la tradition, l’égalité internationale, le long terme et la cohérence.

    C’est bien un combat de titans qui se déploie sous nos yeux, dangereux et passionnant.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 6 janvier 2025)

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  • Désoccidentaliser l’Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Walter Aubrig et Olivier Eichenlaub, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré à la question de la désoccidentalisation de l'Europe.

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    Désoccidentaliser l’Europe

    Au sortir de la Première Guerre mondiale, en 1922, parut en Allemagne le second volume d’un livre à la destinée particulière, et à la postérité paradoxale : Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler. Un siècle plus tard, en 2022, Michel Onfray intitulait « Fin de l’Occident ? » un numéro spécial de sa revue Front populaire, alors qu’Emmanuel Todd publiait en 2023 La Défaite de l’Occident. Le mot d’Occident est aujourd’hui plus que jamais dans toutes les bouches, accusant les accents dramatiques d’une fin de règne. Pourtant, sa signification a subi des revirements considérables.

    Ce qui a longtemps été l’acception commune de l’Occident, c’est ce qu’outre-Rhin, on appelle Abendland, le pays du couchant. Le terme porte en lui toute la charge romantique d’un temps où le monde était divisé en deux moitiés — l’Occident chrétien d’une part, héritier de l’Empire romain du même nom, l’Orient d’autre part, qui commençait à Byzance et s’étendait dans un continent asiatique encore mal connu. Cependant, cet Occident s’est peu à peu effacé au profit de l’idée d’Europe avec l’entrée dans la modernité, à la Renaissance. C’était l’âge des grandes découvertes, le début du nomos de la terre, pour parler avec Carl Schmitt. Dès lors, les Européens se sont définis non plus par rapport à un axe est-ouest, mais par rapport à un territoire : le continent européen dans sa confrontation avec le reste du monde. Ce n’est qu’au cours du XXe siècle, et singulièrement dans le face-à-face des grands blocs durant la guerre froide que le terme d’Occident a été remobilisé pour désigner une réalité aux implications toutes différentes : le grand Ouest, the Western World.

    Pour autant, et malgré cette rupture qui est à bien des égards pour l’Europe le synonyme d’une dépossession, la mobilisation de l’Occident comme notion de référence persiste, tout particulièrement auprès de ceux qui se veulent les défenseurs de l’identité européenne. Cet Occident n’est plus véritablement chrétien, et il prend de plus en plus les traits d’un « monde blanc » — une projection qui, au vu de la réalité ethnique de la société américaine, par exemple, pose évidemment des questions. La résurgence du terme suggère néanmoins l’idée qu’Occidentaux, Européens et « Blancs » sont unis dans leurs modes de vie et dans leurs relations avec le reste du monde du fait d’une matrice culturelle commune. L’entrée des troupes russes en Ukraine en 2022 ou de l’attaque d’Israël par le Hamas en 2023 ont encore favorisé la revendication du vocable, transposant ainsi un désir de reconnaissance identitaire dans le domaine des réalités géostratégiques. Son invocation semble d’abord avoir une valeur performative — on espère quelque chose de cet ensemble d’appartenance, on se cherche des alliés, voire des frères, au moment où les confrontations communautaires se font de plus en plus vives. Et comment, après tout, ne pas le comprendre ? Dans ce contexte, au regard de la situation géopolitique du XXIe siècle plus encore qu’avant l’effondrement du rideau de fer, il nous semble néanmoins que soutenir l’attachement de l’Europe à « bannière occidentale » relève d’une erreur historique fondamentale.

    Elle se fonde sur l’idée fallacieuse selon laquelle l’Occident pourrait aujourd’hui fournir l’occasion de fonder un nouvel équilibre géopolitique, en s’appuyant exclusivement sur la solidarité entre populations d’origine européenne, dont la « dispersion » est le résultat d’aventures coloniales anciennes. Cette opportunité offrirait des perspectives de salut inattendues, grâce au soutien d’une « diaspora européenne » homogène et bienveillante, répartie pour l’essentiel en Amérique du Nord, dans certains pays d’Amérique du Sud, en Afrique du Sud, ainsi qu’en Israël, et confrontée à des défis démographiques et des menaces civilisationnelles similaires à ceux qu’affrontent aujourd’hui les Européens. S’il est manifeste que des convergences se font jour en vertu de ces racines communes, et s’il est éminemment souhaitable que ces convergences aboutissent à des synergies fructueuses, rappelons néanmoins que la réalité des logiques géopolitiques propres à chaque continent est susceptible de compromettre considérablement, à terme, ces perspectives de cohésion. À moins qu’on ne se contente ici de simples discours susceptibles de légitimer ponctuellement la coïncidence des intérêts particuliers et de la générosité du cœur.

    Pourquoi alors ces racines communes ne priment-elles pas ? La plupart des nations « occidentales » situées sur d’autres continents sont issues d’un mouvement de colonisation ayant amené des populations originaires d’Europe à s’installer durablement au-delà des mers pour exploiter des terres qui semblaient à leurs yeux peu mises en valeur jusqu’alors, selon un processus comparable à celui qui conduisit sous l’Antiquité à la fondation de cités grecques sur le pourtour méditerranéen ou à l’expansion territoriale de l’Empire romain. Mais les nations anglo-saxonnes fondées jadis par des colons européens, à l’image des colonies grecques qui ont peu à peu échappé à la koinè qui les unissait à leur cité mère, se sont depuis longtemps émancipées de la tutelle du Vieux Monde, pour poursuivre légitimement la satisfaction de leurs intérêts propres, sur un territoire neuf permettant de démultiplier les possibles.

    Les États-Unis, auxquels on a d’abord tendance à se référer lorsqu’il est question de l’ensemble occidental, n’ont jamais cessé de revendiquer une « destinée manifeste », justifiant ainsi leur profonde rupture avec la tradition européenne, même si les élites américaines et anglaises ont continué de tisser depuis deux siècles des liens personnels et familiaux étroits. Cette rupture procède de l’idéologie des « pères pèlerins », du rêve messianique des communautés fondamentalistes protestantes qui quittèrent l’Europe pour vivre dans une société purifiée de la corruption du « vieux monde », aristocratique et monarchique. En dépit de références récurrentes à l’Antiquité grecque ou romaine, permettant de revendiquer, de manière plus ou moins légitime, l’héritage de la démocratie athénienne et celui de la mission « civilisatrice » de l’Empire romain, la « ville sur la colline » s’est dès ses débuts pensée comme une refondation de Jérusalem, pour laquelle le long détour historique par l’Europe n’avait plus guère de signification. Par ailleurs, l’histoire de l’Amérique s’est fondée sur un épisode anomique en rupture volontaire et totale avec les institutions alors en place en Europe : c’est le Far West, en tant que système d’organisation de la conquête territoriale et du peuplement, puis la guerre de Sécession qui ont servi d’acte fondateur à un Nouveau Monde et qui en constituent aujourd’hui encore la mythologie dans l’imaginaire collectif américain.

    Il en ressort qu’à bien des égards, la seule acception valable d’une « civilisation occidentale » est celle d’un canon de valeurs qui s’est diffusé de manière à peu près uniforme à la fin du XVIIIe siècle, par la cristallisation de ce que les historiens ont pu qualifier de « révolutions atlantiques », et dont les exemples américains puis français ne sont que les plus emblématiques. Un corpus philosophique projetant la fondation ex nihilo d’une société meilleure et d’un homme nouveau a ainsi pu emprunter les réseaux de puissance établis dans ce qui était alors encore la sphère d’influence de l’Europe triomphante. Les principes de liberté et d’émancipation individuelles, de démocratie, d’égalité devant la loi et de progrès devaient servir de socle à pères fondateurs des États-Unis, tandis qu’en Europe ils se manifestèrent comme le produit tardif d’une civilisation qui possédait sa dynamique propre, orientée par des traditions vives qui en avaient tracé la trame de fond, génératrice de structures politiques et sociales éprouvées par les siècles. Là encore, il s’agit donc d’un paradigme ancré dans le temps, et qui, justement parce que les Américains ont pu se délester du poids de l’héritage civilisationnel européen, a trouvé son expression dans des formes tout à fait différentes de part et d’autre de l’Atlantique.

    Ainsi, le rapprochement institutionnel de l’Amérique du Nord et de l’Europe sur fond d’adhésion commune aux valeurs de la démocratie libérale doit précisément être compris comme le symptôme d’une asymétrie des rapports de dépendance, voire de domination. Il s’est réalisé au profit de la « colonie », au détriment des nations européennes d’origine. Au cours des Trente Glorieuses et la Guerre froide, profitant de l’affaiblissement des puissances européennes dans le cataclysme des guerres mondiales, c’est bien le Soft power des États-Unis qui a permis à la puissance américaine de se prémunir contre une potentielle récession de son influence en consolidant sa domination culturelle, idéologique, économique et militaire sur l’ensemble du territoire européen dit « occidental ». En d’autres termes, si l’Amérique du Nord n’a jamais été pensée par ses fondateurs comme une colonie européenne, c’est l’Europe qui aujourd’hui, sous de nombreux aspects, est bel et bien spirituellement colonisée par les États-Unis, dont la stratégie d’expansion impériale porte de fait le nom d’Occident.

    Les nations et les peuples européens se voient aujourd’hui plongés dans une grande recomposition des équilibres géopolitiques. Ce contexte risqué pour les États d’Europe, à plus forte raison après l’élection de Donald Trump en novembre 2024, confronte désormais ses dirigeants au défi considérable du retour à la puissance.  Et ce défi ne pourra être relevé qu’au prix d’une désoccidentalisation de l’intérieur, d’un dépassement d’un ordre orienté par l’idéal illusoire des démocraties libérales. C’est dans sa tradition politique la plus pérenne qu’elle trouvera les ressources nécessaires pour insuffler une dynamique nouvelle à son destin civilisationnel, à la hauteur des enjeux à venir.

    Walter Aubrig et Olivier Eichenlaub (Institut Iliade, 6 janvier 2025)

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  • Face à Donald Trump, raison garder...

    Nous reproduisons ci-dessous une excellente mise au point de Michel Geoffroy, cueillie sur Polémia et consacrée à la fascination exercée par Trump sur une partie de la droite française...

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, ainsi que plusieurs essais, dont La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021), Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021), Bienvenue dans le meilleur des mondes (La Nouvelle Librairie, 2023) et, dernièrement Occident go home ! - Plaidoyer pour une Europe libre (Via Romana, 2024).

     

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    Face à Donald Trump, raison garder

    À lire certains commentaires, on a l’impression qu’en 2024 la droite en France – la plus bête du monde, disait déjà le socialiste Guy Mollet en 1957 – a trouvé son leader, sinon son messie : il s’appelle… Donald Trump. Et Elon Musk est son prophète. Malheureusement, cette droite ne semble pas s’être aperçue que son héros n’était ni français ni européen mais américain : un malentendu de taille !

    Ne pas s’illusionner

    Certes on peut saluer l’allant, la superbe et le courage personnel du futur président américain, qui tranchent avec la triste médiocrité de nos homoncules politiciens.
    Comme on peut approuver son rejet du politiquement correct, de la classe médiatique, des juges politisés ou du wokisme, fléaux qui nous touchent également.
    Et que la gauche l’exècre au moins autant que Poutine ne peut que nous le rendre sympathique.

    Mais ce n’est pas une raison pour prendre les vessies trumpistes pour des lanternes européennes ni, a fortiori, françaises.

    Un inquiétant refus du monde qui vient

    D’abord, le mot d’ordre du trumpisme, c’est MAGA : Make America Great Again ; et non pas make Europe great again ni make France great again. Nuance.

    En outre, vouloir rendre aux États-Unis leur (sur)puissance d’antan ne constitue nullement un objectif anodin à l’âge multipolaire : c’est en réalité une déclaration de guerre implicite contre les États-civilisationnels émergents qui rejettent justement le principe d’une direction américaine du monde. Ce mot d’ordre traduit donc un inquiétant refus du monde qui vient.

    D’ailleurs, Donald Trump promet déjà une avalanche de droits de douane contre la Chine et contre tous ceux qui refuseraient l’hégémonie du dollar dans le commerce mondial. Sans même évoquer ses récents propos sur la nécessité d’annexer le Groenland et Panama ou sur le rattachement du Canada aux États-Unis ! Comme si le suzerain voulait rassembler ses vassaux en vue de la lutte finale.
    Voilà une perspective peu rassurante pour nous.

    Achetez… américain

    De même, s’agissant de l’OTAN, Trump semble n’avoir rien appris, ni rien oublié : il ne remet nullement en cause l’alliance comme instrument politique de la domination américaine sur l’Europe ; il veut seulement que les Européens payent plus, fassent ce que le Pentagone veut, et qu’ils achètent encore plus de matériel américain.

    Mme Lagarde, la très atlantiste directrice générale de la BCE, ne nous dit pas autre chose : il faudrait que les Européens achètent plus de produits américains pour se prémunir d’une guerre commerciale avec l’Amérique [1] ! Il est vrai que Donald Trump assimile l’UE – pourtant totalement libre-échangiste – à une « mini-Chine » qui concurrencerait, évidemment indûment, les États-Unis…

    Voilà qui augure mal de la future diplomatie à notre égard du messie Trump.

    Ukraine : stop ou encore ?

    À droite on compte aussi beaucoup sur le fait que Trump ait promis d’arrêter « tout de suite » la guerre en Ukraine : un discours qui nous change agréablement, certes, de celui des démocrates.
    Mais, justement, on semble oublier chez nous que les promesses électorales n’engagent jamais que ceux qui les écoutent, et cela des deux côtés de l’Atlantique. Roosevelt ne s’était-il pas fait élire sur un programme isolationniste, pour ensuite engager les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale ?

    En réalité personne ne sait ce qu’envisage vraiment le futur président américain pour mettre fin au conflit russo-ukrainien qui, faut-il le rappeler, profite quand même avant tout aux États-Unis et notamment à son complexe militaro-industriel et à son industrie gazière.

    Et, si l’on prend la peine d’écouter ce que disent vraiment les responsables ukrainiens et russes, on peut sérieusement douter désormais d’une issue rapide au conflit : parce que l’Ukraine ne veut négocier qu’en position de force – ce qui se comprend –, et parce que la Russie n’entend pas revenir sur ses buts de guerre initiaux : neutralisation, dénazification et restructuration de l’Ukraine.

    Bref, pour les miracles, il faudra certainement attendre un peu.

    Un bon prétexte pour la gauche

    Certains à droite comptent aussi beaucoup sur le fait que Trump se soit prononcé contre le wokisme. Alors que la plupart de nos folies idéologiques nous viennent d’outre-Atlantique, on ne peut que se féliciter en effet de ces nobles intentions.
    Cependant, on ne peut ignorer aussi que la gauche européenne tire justement argument de ce qui peut se passer outre-Atlantique pour radicaliser les réformes sociétales chez nous, comme on l’a vu en France avec la constitutionnalisation de l’IVG, par exemple, censée protéger ce « droit » de toute remise en cause future.
    Alors, ne nous réjouissons pas trop vite.

    Trump reste un Américain

    Si d’aventure Donald Trump met en œuvre dans le cadre de son court mandat ce qu’il a promis, il peut remédier en partie au déclin nord-américain. Mais il n’est pas du tout certain que cela nous soit profitable.

    En effet, l’Europe n’existe pas dans la rhétorique trumpienne, sinon comme un marché captif. Et il ne voit la France que comme un parc d’attractions.

    Car Trump reste un Américain qui regarde donc le monde au travers de ses lunettes déformantes : progressistes, capitalistes et puritaines.
    L’affaiblissement du suzerain nord-américain constituait une occasion pour nous de retrouver notre liberté d’action et notre identité de civilisation. Mais, si nous n’y prenons garde, une Amérique MAGA risque de nous éloigner, pour un temps, de cette perspective.

    Michel Geoffroy (Polémia, 3 janvier 2025)

     

    Note :

    [1] « Le Journal de l’Économie » du 29 novembre 2024.

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  • De l’eugénisme au transhumanisme : un futur déjà écrit ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Degroote cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux questions de l'eugénisme et du transhumanisme.

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    De l’eugénisme au transhumanisme : un futur déjà écrit ?

    L’eugénisme a été fréquent et ouvertement pratiqué dans la plupart des civilisations. L’Europe catholique – plus que protestante – fut une notable exception. Aussi n’est-il pas étonnant que la modernité sécularisée provoque un retour de l’eugénisme. Cependant, cet eugénisme moderne est très différent des eugénismes anciens. Utérus artificiels, bébés génétiquement modifiés, implants neuronaux, exosquelettes… Demain est déjà là.

    À partir du XVIIIe siècle réapparaissent en Europe des revendications eugénistes. Condorcet par exemple propose de perfectionner l’espèce humaine comme on améliore le bétail. Le mot lui-même n’apparaît qu’en 1883, forgé par Francis Galton, cousin de Darwin, du grec eu (« bien ») et gennaô (« engendrer »). L’idéologie eugénique se répand vite et on ne compte plus les scientifiques, les prix Nobel, les hommes d’État et les institutions le prônant et le mettant parfois en pratique, dans des campagnes de stérilisations forcées par exemple.

    Tout change lorsque les nazis appliquent brutalement ce programme. L’eugénisme fut alors très mal vu dans l’opinion publique. Pour sortir de cette impasse, Julian Huxley et Pierre Teilhard de Chardin proposèrent en 1957 de remplacer le mot eugénisme par celui de transhumanisme. Depuis, ce qu’on appelle transhumanisme est en réalité l’eugénisme moderne.

    L’eugénisme est d’abord négatif. Autrefois, on se débarrassait des enfants qui ne plaisaient pas après leur naissance : c’était l’exposition. Aujourd’hui, on se débarrasse également des enfants qui ne plaisent pas, mais avant la naissance. Les progrès des échographies ont permis d’éliminer 97 % des trisomiques. La procréation médicalement assistée (PMA) est au cœur de l’eugénisme. Pour faire une fécondation in vitro (FIV), on crée plusieurs embryons, en général cinq, parfois jusqu’à trente. Avant l’implantation dans l’utérus de la mère, on scanne tous ces embryons, c’est le diagnostic préimplantatoire qui permet de choisir l’embryon dont le profil génétique plaît le plus. Les embryons surnuméraires, les enfants à naître qui ne plaisent pas, sont éliminés. Certains sont utilisés pour faire des expériences. D’autres servent de matière première pour leurs cellules souches si convoitées par les bio-ingénieurs et l’industrie cosmétique.

    La FIV, c’est 3 % des naissances en France, ce qui est peu. Mais c’est en croissance de 10 % par an, ce qui est beaucoup. Les spécialistes situent le point de bascule vers 2045 : c’est alors que la majorité des enfants naîtra par PMA. La reproduction artificielle, donc le tri des embryons, va rapidement devenir la norme.

    Humains à la carte

    Ce qui va bientôt arriver, c’est l’ectogenèse, l’utérus artificiel. Les embryons fabriqués in vitro ne seront plus implantés dans le ventre d’une femme, mais dans une espèce de bocal où le fœtus se développera. La procréation n’impliquera plus la grossesse. Bientôt commencera le monde sans mères des enfants de la machine. L’ectogenèse est presque au point, la GPA est donc déjà obsolète. Si l’on ajoute qu’il est désormais possible de fabriquer les gamètes mâle et femelle nécessaires à la FIV à partir de cellules de la peau, alors on obtient la possibilité d’une procréation pour les homosexuels ou les célibataires. Enfanter n’est plus le monopole des couples hétérosexuels. Le wokisme est une des faces de l’eugénisme moderne.

    L’eugénisme n’est pas seulement négatif (on élimine), il est aussi positif. Autrefois, on tentait de réserver les femelles aux meilleurs reproducteurs, par exemple avec la polygamie qui prive de femmes beaucoup d’hommes inférieurs au bénéfice du sérail des mâles dominants. Désormais, la technologie permet d’aller beaucoup plus loin. On intervient dans le processus de procréation pour optimiser les bébés par des manipulations génétiques. L’invention révolutionnaire des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 permet tous les couper-copier-coller d’ADN que l’on souhaite. Il ne s’agit plus seulement de choisir la couleur des yeux, le sexe ou la taille du bébé, mais l’objectif est de déterminer toutes ses caractéristiques, y compris son QI. La loi de bioéthique de 2021 autorise même les recherches sur les chimères, les hybridations homme-animal.

    Les bébés génétiquement modifiés (BGM) ne sont pas de la science-fiction. Les premiers ont été fabriqués en Chine en 2018, modifiés pour échapper au SIDA. Passée une indignation de façade, les autres pays ont retroussé leurs manches pour ne pas prendre de retard. Les chimères existent déjà également. Entre autres monstres, on trouve la fleur de Kac avec du sang humain à la place de la sève, un lapin croisé avec une méduse pour être fluorescent, un rat avec une oreille humaine dans le dos.

    Télécommander le vivant

    L’eugénisme technologique moderne n’est pas seulement négatif (le tri des embryons) et positif (les BGM), il est aussi continu. Ce n’est pas seulement lors de la conception mais pendant toute l’existence qu’on peut améliorer l’homme. Pour cela, on l’hybride avec la machine. C’est désormais possible grâce à la convergence NBIC qui combine les percées de quatre technologies révolutionnaires : les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives.

    Ce n’est pas de la plaisanterie. L’Europe a investi entre 2014 et 2020 pas moins de 79 milliards d’euros dans le programme de recherche NBIC dénommé KET, investissement évidemment très inférieur à ceux des Américains ou des Chinois. Les progrès sont fulgurants. Grâce à des implants cérébraux, un singe téléguide par la pensée un bras mécanique. Le lien cerveau-machine fonctionne également dans l’autre sens : il existe un rat télécommandé. En pianotant sur un ordinateur, on le fait aller et venir comme on veut. La société d’Elon Musk, Neuralink, a commencé d’implanter des humains et vient d’annoncer qu’un de ses cobayes était capable de manipuler par la pensée une souris d’ordinateur.

    L’eugénisme moderne, que l’on nomme désormais le transhumanisme, procède donc par le tri des embryons, les modifications génétiques et l’hybridation homme-machine. Un discours bienveillant prétend vouloir éliminer les maladies, mais en réalité c’est d’augmentation et non de thérapie qu’il s’agit. 15 % des FIV en France ont déjà lieu sans raison thérapeutique, uniquement pour bénéficier du tri des embryons. L’artificialisation de la procréation permet également sa marchandisation.

    Cette augmentation de l’homme n’a rien à voir avec les améliorations anciennes des arbres ou du bétail, qui procédaient par sélections et croisements. Le cheval et l’âne sont des espèces interfécondes, ce qui donne un mulet. Mais le lapin et la méduse, l’homme et la machine ne sont pas interféconds. La technique force la nature à sortir du cercle de son possible et contraint les cellules à produire ce qu’elles n’auraient jamais produit par elles-mêmes. L’homme est considéré comme une matière première muable, liquide, sans consistance, sans essence, sans nature et sans finalité, que l’on peut modifier à sa guise. L’homme n’est que pâte à modeler, indéfiniment manipulable. Tel est le credo cybernétique forgé dans les années 40 par Norbert Wiener et appliqué à la biologie depuis Schrödinger.

    Homo deus

    Le transhumaniste veut se créer lui-même, faire de lui tout ce qu’il voudra. Il se veut causa sui et rêve de se faire immortel, toujours jeune et beau, super-intelligent et doté de superpouvoirs. Il utilise la science pour faire de lui un dieu. C’est exactement le mensonge du serpent au jardin d’Éden : si vous goûtez du fruit de l’arbre de la connaissance, vous serez comme des dieux. Le transhumanisme est l’accomplissement du péché originel.

    L’eugénisme moderne a le même objectif que l’eugénisme archaïque, améliorer l’homme, mais de tout autres moyens technologiques qui lui permettent de l’améliorer en le modifiant. La conséquence est immense. Le transhumanisme mène à l’avènement d’une nouvelle espèce, un posthumain produit par la technique. Le transhumanisme, c’est le grand remplacement du naturel par l’artificiel, du spontané par le planifié, de l’homme par le cyborg. Évidemment, les progrès techniques rapides impliqueront pour les posthumains des mises à jour fréquentes. Le transhumanisme prétend nous libérer de la nature et de ses contraintes, mais au prix d’un asservissement à la technique et aux multinationales qui en disposent.

    On n’échappera pas à cette bascule anthropologique inouïe. D’abord parce que les ingénieurs ravis de procéder à l’ingénierie du vivant, les banquiers salivant devant d’immenses profits, les militaires et les hommes d’État avides de puissance font tout pour l’imposer. Un sondage en 2016 a révélé que 72 % des Français jugent le transhumanisme et l’homme augmenté comme une bonne chose. Ensuite parce que la fertilité masculine s’effondre en raison de la pollution industrielle. Elle a chuté de 60 % entre 1973 et 2011, chute qui s’accélère et se mondialise. Tout porte à croire qu’il deviendra dans quelques décennies difficile d’enfanter sans PMA. Enfin, le transhumanisme sera obligatoire, non parce qu’il sera imposé par des États totalitaires, mais parce qu’il sera imposé par le marché. Demain, qui trouvera un emploi s’il ne dispose de dispositif de cognition augmentée (pour les cadres) ou d’exosquelette (pour les ouvriers) ? Le transhumanisme aujourd’hui naissant est voué à s’imposer aussi inéluctablement que les smartphones. On ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher, sinon peut-être la fin du système technocapitaliste que provoquerait l’effondrement écologique.

    Les gueux ou les réfractaires qui ne s’augmenteront pas deviendront des sous-hommes superflus, menacés d’extinction si la fertilité continue de chuter. Cela fera les affaires des augmentés : le trognon de Terre restant n’a pas besoin de bouches inutiles. Ray Kurzweil, ponte du transhumanisme et responsable de l’IA chez Google, l’a clairement dit dans Libération : « Il y aura des gens implantés, hybridés, et ceux-ci domineront le monde. […] Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur. »

    Nous sommes les derniers des humains.

    Nicolas Degroote (Site de la revue Éléments, 27 décembre 2024)

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  • La liberté d'expression, une condition du progrès ?...

    Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non nous fait découvrir l'écrivain anglais du XVIIe siècle John Milton et sa défense de la liberté d'expression comme condition de tout essor intellectuel.

     

                                               

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  • Quel avenir pour le gouvernement Bayrou ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Camille Galic, cueilli sur le site de Polémia et consacré au gouvernement Bayrou, à ses orientations et à son devenir potentiel...

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    Quel avenir pour le gouvernement Bayrou ?

    D’un Béarnais aussi jeune qu’ambitieux, et chevelu comme un Beatle, Marie-France Garaud disait jadis qu’il ressemblait « de face à un pâtre grec et de profil à une tête de veau ». Il y a beau temps que François Bayrou, même féru d’hellénisme, n’évoque plus le berger Acis dont s’éprit Galatée. Mais si l’ambitieux n’a pas accédé à l’Élysée, le voici à Matignon malgré son calamiteux bilan des années 1993-1997 comme ministre de l’Éducation nationale, à la botte des syndicats.

    Équipe de choc ou Boulevard du Crépuscule ?

    Le gouvernement dont, comme son prédécesseur, il a accouché dans la douleur, sera-t-il plus pérenne que celui de Michel Barnier ? Il faut l’espérer, tant la dissolution de l’Assemblée voulue par Emmanuel Macron et ce qui s’ensuivit ont semé le chaos politique en France, déboussolé les entrepreneurs et fait fuir les investisseurs alors que nous avons déjà dépassé les 3300 milliards de dette publique et que notre commerce extérieur est en berne. Au profit notamment du Royaume-Uni post-Brexit, dont on nous prédisait pourtant la chute.

    Mais, Dieu, que ce gouvernement — le quatrième du second mandat de Macron en moins d’un an, un record digne de la IV° République tant honnie, — est décevant !

    La dissolution avait été présentée comme porteuse d’un nouveau souffle, et nous voici face au carrousel des chevaux de retour, dont trois parmi les ministres d’État, le quatrième, Bruno Retailleau, étant maintenu à l’Intérieur. Débarquée de Matignon le 9 janvier dernier, Elisabeth Borne nous revient chargée de l’Éducation nationale, Gérard Darmanin a obtenu la Justice et Manuel Valls un super-ministère des Outre-Mer, où il s’est illustré dès sa première prise de parole en situant l’île de la Réunion dans… le Pacifique !

    Il est vrai que don Manuel a été à bonne école, celle d’Emmanuel Macron soi-même qui, en 2017, avait clamé sa joie d’être dans la « belle île de Guyane ». Il est vrai aussi que, retournant à ses racines, Valls avait dit solennellement adieu le 25 septembre 2018 à la politique française pour briguer (avec l’éventuel financement d’une « société pétrolière congolaise », avance sa notice Wikipédia) la mairie de Barcelone, bien loin de nos DOM-TOM.

    Autres chevaux et juments de retour : Catherine Vautrin, qui a hérité du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, après avoir été, mêmement titrée, un fantomatique ministre dans le gouvernement Attal, l’indéracinable Rachida Dati qui conserve la Culture, François Rebsamen, 73 ans, ancien de la Ligue communiste révolutionnaire recyclé par son pote François Hollande ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social, et désormais ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation ; et une kyrielle de « marcheuses » macronistes de la première heure dotées, au nom de la parité entre les sexes, de portefeuilles aux intitulés aussi vagues que ronflants.

    Vive l’Ukraine… et Israël !

    Cependant que d’autres Excellences maintenues à leur poste telles Sébastien Le Cornu (Défense) et Jean-Noël Barrot (Affaires étrangères) se retrouvent respectivement huitième et dixième dans l’ordre protocolaire. Un comble alors que, dans la configuration géopolitique actuelle, leurs domaines de compétence sont déjà et seront de plus en plus exposés.

    Motif d’inquiétude supplémentaire : M. Barrot, dont le principal atout est d’être de fils de son père, l’eurocrate forcené Jacques Barrot, se trouve flanqué d’un coadjuteur redoutable en la personne du franco-tunisien Benjamin Haddad, tout dévoué aux intérêts de Washington où il œuvra plusieurs années dans des groupes de réflexion (Think tanks) et notamment au centre Europe de l’Atlantic Council. Chouchou de Macron qui le fit élire député, il déposa en 2022 un amendement pour augmenter le fonds d’aide à Kiev, plaidant « la nécessité pour l’Ukraine de se doter de missiles de longue portée capables de frapper le sol russe ». Membre à l’Assemblée nationale du Groupe amitié France-Ukraine, comme du Groupe amitié France-Israël, il se déclara en octobre 2023, totalement « opposé au cessez-le-feu » à Gaza, considérant qu’« Israël doit se défendre contre le terrorisme ».

    Non sans raisons, Libération écrivit alors que ses propos faisaient de lui l’un des « faucons » de la majorité présidentielle, qui « s’oppose à la diplomatie française ». Qu’Emmanuel Macron s’emploie avec constance à démanteler depuis son arrivée à l’Élysée, voyant dans le Quai d’Orsay un insupportable obstacle à son activisme. En tout cas, pour lui prêter main forte, Haddad pourra compter sur son collègue Valls qui, le 17 juin 2011, sur la radio Judaïca de Strasbourg, se disait « lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël » Un Valls qui comme député de l’Essonne avait auparavant manifesté son soutien à la lutte du… peuple palestinien ! (cf. Le Vrai Visage de Manuel Valls, par Emmanuel Ratier, éditions Facta, 2014).

    Darmanin, véritable tombeur de Xavier Bertrand

    Décidément décevant, le cabinet de François Bayrou — qui, nommé le 13 décembre, a constitué son équipe le 23 décembre et ne fera sa déclaration de politique générale que le 13 janvier, que de temps perdu ! — est donc, on le voit, surtout délétère.

    Il ne fallait évidemment s’attendre à aucun miracle avec la nomination d’un garde des Sceaux tel que Gérald Darmanin qui, Place Beauvau, montra surabondamment en quel mépris il tenait la justice, étant infiniment plus répressif contre les nationaux dont il s’acharna à dissoudre les associations et à interdire les manifestations, qu’envers les barons du narcotrafic qu’il prétend aujourd’hui « placer à l’isolement, comme les terroristes » dans une même prison (laquelle ?) afin de les couper de leurs petites mains.

    Nos lecteurs savent à quoi s’en tenir sur ce grand diseur mais très petit faiseur, sauf lorsqu’il s’agissait d’interdire manu militari une pacifique après-midi organisée par l’institut Iliade à la mémoire de Dominique Venner puisque, en trois ans, Polémia lui a consacré plus de trente articles. Par quel miracle est-il revenu au premier plan ?

    Dépité de ne pas avoir obtenu les Sceaux qu’il guignait (avant de conquérir l’Élysée), Xavier Bertrand s’en va clamant partout que Marine Le Pen, sa rivale dans les Hauts-de-France dont il préside le conseil régional, avait obtenu sa tête. Mais l’ancien secrétaire général de l’UMP, puis ministre du Travail sous Sarkozy, n’a-t-il pas un rival aussi dangereux en la personne de son ancien directeur de campagne, le nordiste islamophile Gérald Darmanin, plusieurs années vice-président UMP du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais et maire de Tourcoing où il fut élu réélu député le 7 juillet dernier contre le candidat RN Bastien Verbrugghe, et grâce d’ailleurs au désistement de la candidate LFI Leslie Mortreux ? Nul n’ignore que, comme son modèle Sarkozy, le cosmopolite Darmanin vise un destin national.

    Lombard aux Finances : péril en la demeure

    Ce qui ne l’en rend que plus redoutable. Comme la méfiance s’impose vis-à-vis de notre nouveau ministre de l’Économie et des Finances Eric Lombard, fils d’Annie Lévy, héritière du groupe textile troyen Devanlay, ancien banquier à Paribas passé par les cabinets des ministres socialistes Louis Le Pensec et Michel Sapin avant de décrocher le cocotier avec la direction générale de la Caisse des Dépôts et consignations. Un mastodonte, pièce maîtresse de l’« Etat profond » hexagonal puisque censé selon la loi être « au service de l’intérêt général et du développement économique du pays » pour remplir « des missions d’intérêt général [logement social, environnement, aide aux entreprises, etc…] en appui des politiques publiques conduites par l’État et les collectivités territoriales » et pouvant « exercer des activités concurrentielles » — pas toujours couronnées de succès, comme l’ont montré certains scandales comme celui de Vivendi.

    Héritière de la Caisse de garantie et d’amortissement créée par Napoléon Bonaparte en 1800 et prorogée depuis la Restauration, la CDC devenait en 1997 la première institution bancaire du monde en gérant plus de mille milliards de francs. En 2023, son bilan comptable la créditait de 1 360 milliards d’euros, largement dus aux livrets d’épargne des Français.

    Habitué à manier ces sommes pharamineuses, M. Lombard — déjà en délicatesse judiciaire pour cause de favoritisme financier en faveur de son successeur Olivier Sichel — sera-t-il l’homme idoine pour mettre fin à la gabegie ambiante et restaurer les finances françaises ? Il est permis d’en douter.

    Préférence fraternelle et guérilla Elysée-Matignon… en attendant l’Article 16 ?

    Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est, de Valls en Rebsamen et la protégée d’icelui, Juliette Méadel, bombardée ministre déléguée à la Ville et dont « la ligne rouge, c’est la préférence nationale » (ce qui signifie qu’à son poste, elle privilégiera la préférence étrangère), l‘imprégnation maçonnique au sein du gouvernement constitué par le démocrate-chrétien Bayrou. Lequel, d’ailleurs, s’est toujours bien gardé de caser une crèche de Noël dans sa chère mairie de Pau à laquelle il sacrifia Mayotte, ce qui lui valut sa première volée de bois vert, du reste injuste : comme celle de Macron, sa venue dans l’île dévastée par le cyclone Chido n’aurait qu’ajouté au désordre.

    En fait, cette bronca aurait été déclenchée en sous-main par le chef de l’État qui, lui, s’était précipité et en a été remercié par des huées. D’où sa réplique furieuse : « Vous seriez dix mille fois plus emmerdés s’il n’y avait pas la France ! » et de nouvelles clameurs indignées.

    Obligé — à la suite de quel chantage ? — de nommer le 13 décembre Bayrou auquel il avait justement annoncé par téléphone son élimination, le locataire de l’Élysée semble en effet bien décidé à torpiller son Premier ministre. Ainsi, à peine les associations spécialisées avaient-elles regretté l’absence d’un ministre au Droits de l’enfance (pourtant inclus dans le portefeuille de Catherine Vautrin, ministre de la Famille) que, pour reprendre la main, il annonçait le 29 décembre la création d’un Haut-Commissariat à l’enfance. Dont rien ne dit d’ailleurs qu’il sera plus efficace que le Haut-Commissariat au Plan qui, de 2017 à 2020, échut à un certain… François Bayrou pour le consoler de son éviction du premier gouvernement d’Edouard Philippe, départ dû à son implication dans l’affaire des assistants fantômes du MoDem au Parlement européen.

    On souhaite donc bien du plaisir au successeur de Barnier pour mener à bien sa mission, coincé qu’il est entre la gauche, enragée par l’arrivée des « renégats » Borne, Valls ou Rebsamen, le Rassemblement national qui refusera d’avaler trop de couleuvres alors qu’un sondage LCI plaçait le 29 décembre Marine Le Pen et Jordan Bardella en tête des personnalités auxquelles les Français font le plus confiance, et un chef de l’État guettant avec impatience la chute du nouveau gouvernement.

    Il se dit avec de plus en plus d’insistance qu’au cas où son Premier ministre serait mis en échec, l’Élyséen recourrait à l’Article 16 lui donnant les pleins pouvoirs. Est-ce ainsi que Macron-Néron réduira en cendres la nation française, sa souveraineté et sa civilisation?

    Camille Galic (Polémia, 30 décembre 2024)

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