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Points de vue - Page 18

  • Halte à la compassion dévoyée !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Laurent Lemasson cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'incapacité de l'état à neutraliser durablement les individus dangereux et violents qui multiplient les agressions et les méfaits dans les rues des villes de notre pays.

    Laurent Lemasson est docteur en droit public et sciences politiques.

     

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    Bordeaux : «L'agresseur présumé, multirécidiviste, n'avait aucune raison d'être en liberté»

    Les images sont à la fois terribles et banales. Terriblement banales serait-on tenté de dire. On voit une septuagénaire et sa petite fille rentrer chez elles. Elles jettent des regards dans la rue, vers un homme qui semble les suivre. Au moment où la femme et l'enfant tentent de refermer la porte d'entrée de l'immeuble, l'homme la repousse violemment, rentre dans le hall puis jette brutalement les deux malheureuses sur le trottoir. La septuagénaire reste étendue à terre tandis que l'homme semble chercher quelque chose, ramasse un petit objet puis s'enfuit. Le tout a duré à peine une vingtaine de secondes.

    Cette scène a été filmée par une caméra de surveillance ce lundi en fin d'après-midi, Cours de la Martinique, à Bordeaux. Elle a bien sûr immédiatement enflammé les réseaux sociaux.

    L'agresseur présumé a été très rapidement interpellé. Il s'agirait, selon les informations de Sud Ouest, d'un certain Brahim D., un sans domicile fixe de nationalité française âgé de 29 ans. Il ne surprendra personne d'apprendre que l'homme est «très défavorablement connu des services de police», selon la formule consacrée. Il a déjà été condamné une quinzaine de fois pour délit routier ou trafic de stupéfiants et aurait une vingtaine de mentions au traitement des antécédents judiciaires (TAJ : un fichier de police qui contient notamment des informations sur les personnes mises en cause comme auteur ou complice d'un crime ou de certaines contraventions de 5ème classe.) Aussi peu surprenant est le fait que l'agresseur présenterait des troubles psychiatriques importants.

    Les faits étant très récents, nous ne disposons sans doute pas encore de toutes les informations pertinentes, mais il est très peu probable que ce que nous apprenions par la suite vienne modifier l'appréciation globale que l'on peut porter sur cette agression, hélas si caractéristique de cette « violence gratuite » qui semble monter inexorablement partout en France.

    Le point saillant, évident, impossible à nier sans se discréditer totalement, est que les autorités publiques ne traitent absolument pas les individus comme celui-ci comme elles le devraient. Il est clair comme le jour que le suspect, avant cette dernière agression, a commis d'innombrables délits, petits ou grands, et que ceux pour lesquels il est connu de la police et de la justice ne sont qu'une petite partie de son palmarès.

    Certainement, n'importe qui habitant dans le ou les quartiers que fréquentait le suspect comprenait que celui-ci était dangereux, car imprévisible et désinhibé, et qu'il était une source permanente de troubles à la tranquillité publique. Il ne faut pas beaucoup d'individus de ce genre errant librement dans les espaces publics pour transformer un quartier paisible en une jungle inhospitalière, dans lequel la plupart des habitants ne sortent plus de chez eux qu'avec la peur au ventre.

    La mission première, fondamentale, indiscutable, des pouvoirs publics est d'assurer l'ordre public et la sécurité. Comparée à cette exigence primordiale toutes les autres sont secondaires. Et sur cette exigence primordiale, les pouvoirs publics français échouent aussi lamentablement que quotidiennement. L'agresseur présumé de Bordeaux n'est malheureusement qu'un cas d'école, parmi d'innombrables autres.

    Disons-le très simplement : les individus comme celui-ci ne devraient pas être libres. Rien ne peut justifier qu'un individu à la dangerosité évidente soit laissé libre de poursuivre ses déprédations et de dérober la tranquillité d'esprit des gens ordinaires qui ont le malheur de croiser sa route.

    Nous ignorons à l'heure actuelle la gravité exacte des blessures des victimes de lundi. Elles semblent être légères, ce qui est heureux, et presque miraculeux, car une chute violente sur le trottoir peut parfaitement tuer et souvent provoque des fractures, notamment chez les personnes plus âgées. Mais la gravité des atteintes physiques est parfois sans rapport avec la gravité des atteintes psychiques et il n'est pas besoin d'être un grand psychologue pour comprendre qu'une agression de ce genre peut vous marquer jusqu'à la fin de vos jours.

    Aujourd'hui, l'opinion autorisée est que la prison est l'école du crime et que les courtes peines ne servent à rien, à part « désocialiser » et donc rendre la réinsertion plus difficile. Combinées à la sous-dotation carcérale chronique, ces «raisons» ont abouti à ce que les très courtes peines fermes disparaissent de l'arsenal de la justice et à ce que les courtes peines aient vocation à être «aménagées», c'est-à-dire transformées en autre chose que de la prison.

    Cette approche est erronée. S'il est vrai que des courtes peines infligées à des délinquants endurcis n'ont que peu d'effets mesurables sur eux, des courtes peines appliquées à des primo-condamnés peuvent en revanche avoir un effet de choc salutaire et interrompre précocement les trajectoires délinquantes.

    Si ce premier choc ne suffit pas, la récidive devrait rapidement conduire à des peines de plus en plus lourdes. Si le délinquant n'est pas susceptible d'être dissuadé par les peines qui lui sont infligées (cela arrive), qu'au moins il soit neutralisé pour longtemps.

    Le suspect (au vu de ce que nous connaissons de son parcours) aurait dû faire connaissance beaucoup plus tôt avec la prison et, en supposant que cela n’ait pas suffi, son palmarès actuel aurait déjà dû lui valoir un long séjour derrière les barreaux.

    Le fait qu'il souffre peut-être de psychose ne change pas fondamentalement les termes du problème. D'abord parce que les troubles psychotiques peuvent parfaitement être la conséquence d'un mode de vie marginal et non sa cause. La vie dans la rue s'accompagne presque toujours d'une forte polytoxicomanie et n'est certes pas faite pour améliorer l'équilibre psychique de qui que ce soit. Elle peut aboutir à des épisodes psychotiques chez des personnes qui n'en avaient jamais fait et contribue toujours à dégrader l'état de ceux qui étaient déjà malades.

    Ensuite parce qu'un individu à la dangerosité avérée ne devrait pas traîner dans les rues, quand bien même il ne serait pas responsable de ses actes. La tranquillité publique est un état objectif. Lorsqu'elle est troublée, il importe peu de savoir si elle l'est volontairement ou involontairement : elle doit être rétablie en enlevant des rues les fauteurs de troubles.

    Que cela soit pour le protéger de lui-même ou pour protéger les autres de lui, un individu comme l'agresseur présumé de Bordeaux devrait donc être pris en charge de manière coercitive, soit par la justice soit par les services de santé. Il est bien évident que le «traitement» ne sera pas le même aux mains de la justice et aux mains de la médecine. Mais il devrait être coercitif. Nous y répugnons pourtant, par une compassion dévoyée qui est la source de beaucoup de maux.

    «La clémence n'en est pas qui souvent prétend l'être. Le pardon chaque fois nouveau malheur fait naître.» (Shakespeare, Mesure pour mesure, Acte II scène 1).

    Laurent Lemasson (Figaro Vox, 21 juin 2023)

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  • Métaphysique de Silvio Berlusconi...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxence Smaniotto cueilli sur le site de la revue Rébellion et consacré à Silvio Berlusconi.

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    Métaphysique de Silvio Berlusconi

    Un métaphysicien de la politique internationale ?

    Silvio Berlusconi, quatre fois premier ministre d’Italie, n’est plus. Avec lui s’en va une certaine façon de « far politica » à l’italienne. Il n’était guère un disciple de Machiavel, et nous pouvons affirmer avec une certaine exactitude qu’il ne fut, au fond, même pas un vrai homme politique. La preuve : il ne lâchait jamais tomber ses amis (même ceux qui étaient condamnés). Un homme politique n’a pas d’amis – Berlusconi, lui, en avait. Des salopards, diront certains. En particulier Vladimir Poutine ; Berlusconi et le Russe étaient tellement proches qu’ils passaient les vacances ensemble. Cette proximité, que certains confondent avec de la finesse géopolitique, préoccupe profondément l’Union Européenne, c’est-à-dire les USA. Les Russes investissent un peu trop en Italie, et l’Italie fait de même en Russie. Alors, Silvio Berlusconi, homme aux quarante procès pour tout et pour rien, se fit éjecter en parfait style états-unien : des histoires de cul. 

    Berlusconi était en effet un queutard, un hédoniste, mais au moins un queutard assumé, loin, très loin de ces inquiétants politiciens lisses, asexués, politically correct qui menacent nos existences : Macron, Trudeau, Renzi, Michel, Merkel… Rendez-nous Berlusconi, Chirac et Trump ! 

    Homme dépourvu de toute transcendance, Berlusconi fut néanmoins, grâce à ses pitreries, un excellent révélateur de l’essence de l’ignoble théâtre grisonnant des politicards internationaux, ceux des sourires photoshopés et des postures balai-dans-le-cul. On le vit faire « buh ! » à Angela Merkel lors d’un sommet Italie-Allemagne en 2008, appeler publiquement « kapo’ » l’insupportable Martin Schulz en plein Parlement européen, saluer la victoire de Barack Obama avec un « il est jeune, beau et bronzé », et la liste pourrait être encore longue. 

    En jouant au guignol, Berlusconi révèle la dimension faussement sérieuse des hommes et des femmes d’État. En cela, Berlusconi fut un vrai métaphysicien de la politique internationale : il en révéla les constantes les plus profondes, les plus fausses. « Ils sont des pitres comme moi, mais moi, je le montre. Eux, non » semblait-il nous dire. 

    Une géopolitique berlusconienne 

    Aujourd’hui, certains prêtent à l’ancien premier ministre italien des compétences en géopolitique. Les photos le montrant en train de serrer la main à Kadhafi, Chavez, Poutine et Bachar al-Assad seraient, selon des eurasistes peu renseignés et des dissidents un peu trop épidermiques, des preuves de sa prévoyance dans les questions internationales. 

    Or, Berlusconi ne comprenait rien à la géopolitique. Pour lui, les États étaient des entreprises dirigées par des hommes forts ou faibles avec qui il était possible ou pas de s’entendre. Il y avait certes un certain réalisme en tout ça, une volonté de multiplier les accords avec des partenaires différents sans tenir en compte leurs idéologies, mais certainement pas de vision stratégique. Il n’était pas un Karl Haushofer, ni un Samuel Huntington ou un Zbigniew Brzezinski, il n’avait jamais entendu parler de « monde multipolaire ». Sa géopolitique était faite d’affaires et de relations personnelles. Il était d’accord avec Poutine, Bush, Loukachenko, les princes des monarchies du Golfe et bien d’autres, c’est tout. Si on prend une carte du monde et on divise la planète selon la vision soi-disant stratégique de Berlusconi, on n’y voit pas beaucoup de cohérence ; il a serré la main à Kadhafi et puis il a laissé l’Italie devenir un porte-avions de l’OTAN contre la Libye en 2011. Et que dire de l’Irak ? L’Italie participe à sa destruction et à son occupation en 2003 alors que Vladimir Poutine, déjà grand ami de Berlusconi, s’y opposait fermement avec la France et l’Allemagne. 

    Signalons également que depuis 2015, date à laquelle Berlusconi alla rendre visite à Poutine en Crimée, il fut déclaré « ennemi de l’État » sur le tristement célèbre site ukrainien Myrotvorets. Depuis son décès, sa photo est agrémentée d’un « liquidé ». 

    En définitive, Berlusconi fut à la politique étrangère ce que Chirac fut à la politique interne française – médiocre, déconnecté. Chirac avait des réelles compétences en géopolitique mais était incompétent en politique interne. Berlusconi, en revanche, comprenait très bien les Italiens et la politique italienne. Pour le meilleur comme pour le pire. Preuve en est qu’il a, à quatre-vingt-cinq ans, fait gagner les élections à l’atlantiste pro-européenne Giorgia Meloni en 2022.

    Une politique personnalisée

    Homme dans la politique mais pas politique, Berlusconi balaya une certaine façon de penser l’Italie républicaine, avec ses entreprises d’État, son welfare, ses services publics. Contrairement à ses prédécesseurs, il personnifia les institutions républicaines, et ce, jusqu’à faire voter des lois ad hoc pour sa personne, qu’il cachait derrière sa fonction de premier ministre (ses successeurs, de gauche comme de droite, ne sont jamais revenus sur cela). Sa vision de l’État comme entreprise à diriger consacre une nouvelle façon de faire la politique en Europe – Emmanuel Macron n’en dit pas moins lorsqu’il eut l’idée ridicule de définir la France une start-up nation

    Berlusconi voyait des communistes partout, c’est-à-dire des parasites sociaux qui veulent mettre des impôts, mais il est toujours resté un grand admirateur du socialiste Bettino Craxi. Ses adversaires étaient régulièrement taclés de « communistes », surtout quand ils étaient des juges et qu’ils enquêtent pour fraude fiscale. Son irruption dans la politique redéfinit les contours de la droite italienne, accouchement aux forceps une droite libérale et hédoniste de l’ancienne démocratie chrétienne, bourgeoise, conservatrice et sociale, toute en retenue et en secrets, celle qui avait fait construire des logements sociaux pour ouvriers. Avec Berlusconi, tout le monde s’endetta pour devenir propriétaire et créer son entreprise, et ses gouvernements haussent les retraites.

    Il opéra une autre révolution, néolibérale aussi. Un golpe domestique en quelque sorte. Oligarque ayant démarré d’en bas (la petite bourgeoisie milanaise), il s’invita chez les Italiens avec ses chaînes de télévision et ses magazines. Mondadori, la plus importante maison d’édition italienne, est dirigée par sa fille Marina. Mediaset, le groupe qui rassemble ses chaînes TV, est dirigé par son fils Pier Silvio, qui en est le directeur général. 

    Ses chaînes TV gerbèrent un flot incessant de bêtises faites de « veline » (les soubrettes italiennes), de programmes sur les joueurs de foot les plus idiots, de journaux télévisés tellement  a ses bottes qu’à côté LCI passe pour une chaîne neutre, de programmes humoristiques abrutissants et ainsi de suite, faisant bien attention à éliminer les programmes culturels. 

    Il participe ainsi à façonner son propre électorat. 

    Berlusconi ne fut pas le pire. Il fut, comme le souligne pertinemment le journaliste italien Luca Bagatin dans ses articles, le moins pire. Certainement, meilleur que les loques qui infestent la politique italienne actuelle. Au moins, il avait de la personnalité, et il fut en quelque sorte le dernier à tenter de conserver un minimum de souveraineté italienne en critiquant ouvertement l’Union Européenne et en gardant de solides relations économiques et diplomatiques avec la Russie, l’Egypte et la Libye pour faire contrepoids à la toute-puissance états-unienne. 

    Berlusconi mort, une page de la politique italienne se tourne définitivement. On verra ce que le « Bel Paese » nous réserve. 

    Maxence Smaniotto (Rébellion, 14 juin 2023)

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  • Sur la situation géopolitique dans le monde...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention d'Hervé Juvin au Cercle National des Armées dans laquelle il brosse un tableau de la situation géopolitique mondiale.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                              

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  • Les populismes européens : derniers spasmes des vieilles nations ou agents de transformation de l’UE ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Polémia et consacré au rôle que devraient se donner les populistes européens pour œuvrer à une renaissance européenne. 

    Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

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    Les populismes européens : derniers spasmes des vieilles nations ou agents de transformation de l’UE ?

    Quand on considère les crises présentes qui ne font que commencer, quand on observe la carence conceptuelle, stratégique et politique des États européens face à la guerre, et que l’on s’interroge sur la crédibilité politique des populismes européens sous un angle systémique, c’est-à-dire quant à leur raison d’être et quant à leur capacité à agir sur le système mondial dans lequel les peuples et les individus se retrouvent tous désormais inclus, la question se dédouble ainsi : sont-ils les derniers spasmes des vieilles nations européennes ? Pourraient-ils être les agents de la transformation, et de la renaissance, de l’Europe ?

    Il faut bien comprendre en effet, que les dernières vagues populistes en majorité souverainistes sont le produit d’une contrainte systémique multivariée, à la fois économique, sociale, démographique, culturelle. Ces mouvements sont les effets rétroactifs d’un système que les États ont construit qui, dans le même temps, limite leur action et leur capacité d’action politique. C’est bien pourquoi les partis populistes demeurent avant tout des forces protestataires ne sachant pas à qui véritablement s’adresser parce que leurs participants ont conscience que leurs propres États ont perdu toute prise sur le réel. Ils sont le témoignage d’un désarroi total qui conduit les plus nombreux, à droite, à entretenir jusqu’au bout l’illusion souverainiste, et les plus minoritaires, à gauche, à se perdre dans les divagations de la révolution sociale et écologique universelle.

    Les populismes, produits de la contrainte systémique des États et des peuples

    Une proportion plus ou moins élevée de citoyens européens ne s’y retrouve plus, aussi bien en termes de valeurs et de traditions que de niveaux de vie et de sécurité, dans un système mondial que bien entendu leurs gouvernants ne contrôlent pas, après avoir approuvé sa construction.

    La déstabilisation économique et sociale des sociétés européennes

    En France, la crise des Gilets Jaunes a été emblématique de cette déstabilisation ; elle est la révolte des victimes d’une insertion mondiale non préparée. Elle n’a pas eu d’équivalent dans les autres États européens, à la structure politique et sociale moins centralisée, moins rigide, et pour certains moins désindustrialisés que la France. En Allemagne, particulièrement performante à l’exportation en raison de sa remarquable spécialisation industrielle, la contestation y a été très limitée, dans les seuls Länder de l’Est. La situation pourrait changer maintenant que l’Allemagne « s’est tiré une balle dans le pied » en mettant fin, à cause de la question ukrainienne, au partenariat fructueux qu’elle avait établi avec la Russie.

    D’une manière générale en Europe, on constate, selon Peter Sloterdijk, un retour du pessimisme sociologique avec la « fin du temps de la gâterie » qu’il illustre ainsi : depuis trente ans, d’un rapport 80% de riches à 20% de pauvres on est passé au rapport inverse de 20% à 80%. La fin de l’opulence accentue la fracturation sociale qui fait l’objet d’une thématique maintenant rebattue, celle de la rupture entre élites et peuples. Elle est au fondement des populismes contemporains [1].

    Le sujet de l’économie est déterminant pour l’avenir parce que la « légitimité » du système mondial, qui est fondé sur le libre-échange, repose sur la croissance globale, et de préférence, sur la croissance partagée. Or, plusieurs économistes, avec en pointe Robert Gordon, s’attendent à ce que l’économie mondiale entre dans une ère de stagnation, même si la croissance de l’après covid connait un rebond. A cela, des causes économiques endogènes : endettement généralisé et baisse des investissements productifs, compétition accrue et acharnée sur l’énergie et les matières premières, retour de l’inflation. Mais aussi, des causes exogènes telles que le vieillissement des populations, consécutif à la dénatalité [2].  Ce que l’on ne veut pas comprendre en Europe, souverainistes compris, quand on privilégie son confort à sa descendance !

    La prégnance de la question identitaire et de l’enjeu civilisationnel

    C’est là la cause, plus que le constat précèdent aujourd’hui, de la persistance et de l’enracinement des mouvements populistes les plus nombreux, c’est à dire ceux à tendance souverainiste. Comme on le constate en France, en Italie, en Europe de l’Est. Bien entendu, cette problématique relève aussi de la contrainte systémique mondiale que figurent, dans ce cas précis, les flux migratoires massifs. Sa résolution, qui peut comprendre différents stades allant du simple arrêt de l’invasion à la remigration, et qui peut se concevoir selon des modalités adaptées aux contextes nationaux, n’est envisageable, pour être efficace et définitive, qu’à l’échelle du continent.  A l’intérieur de celui-ci, il est impossible de rétablir des frontières compte tenu des interdépendances de toutes natures, et elles ne seraient de toutes les façons que trop poreuses. Tout dépend donc des dirigeants de l’Union et des États qui la composent, quand on considère les expériences en cours dans différents États européens en matière de politique migratoire : échec complet du Brexit (sauf l’arrêt de l’immigration d’origine européenne !), blocage des entrées et des séjours en Hongrie, résultats attendus au Danemark des lois très restrictives en matière d’immigration que son gouvernement de coalition vient d’adopter au nom de la survie de l’identité nationale. D’une façon générale, au niveau planétaire, les changements dans les rapports de force ont porté au premier plan l’enjeu civilisationnel. Constatons aussi qu’à ce contexte mondial anxiogène, les populistes verts ajoutent la terreur climatique.

    La confrontation au réel. Les populistes peuvent-ils transformer la politique et desserrer la contrainte systémique ?

    Face aux réalités du monde globalisé, la montée en puissance des populismes en Europe (divers scrutins électoraux nationaux ou régionaux la confirment de façon continue) pose la question de leur capacité à gouverner, mais surtout à influencer les politiques nationales et à faire adopter par leurs États respectifs et mieux encore par l’Union européenne, des mesures susceptibles de desserrer la contrainte systémique. Parce que c’est bien à son niveau à elle que l’essentiel se joue. La vraie question est alors de savoir si malgré leur dispersion idéologique, malgré l’incohérence politique qui les habite, certains mouvements populistes sont susceptibles de transformer l’UE et d’en faire, face au reste du monde, la forteresse dont les Européens vont avoir le plus grand besoin. Qu’en sera-t-il en 2024 et après ?

    L’échec des populistes aux élections parlementaires européennes de 2019

    Le bilan des populistes de la session 2019-2024 est négatif. D’une part, lors des élections au Parlement européen du 20 Mai 2019, les eurosceptiques n’ont pas remporté le succès escompté. Malgré leur progression, ils sont restés loin de la majorité de 367 députés nécessaire pour gouverner le Parlement européen. Le bloc pro-européen, ou europeo-atlantique à la mode libérale et américanophile, a reculé, mais il a conservé la majorité en cumulant les sièges du PPE (182), de Renew Europ (108) et des Socialistes et Démocrates (154). D’autre part, et c’est ce qui est le plus pathétique, les populistes n’ont pas été capables d’enclencher, ou seulement de penser, une dynamique transformatrice, restauratrice d’une Union au service des peuples, à partir de propositions réalistes et audacieuses et d’actions de communication de grande envergure. On peut faire deux constats qui sont deux explications à cet échec des populistes :

    1) L’attachement, sous-estimé par les souverainistes, des citoyens et d’une majorité d’électeurs européens à l’UE et à l’euro

    A la veille des élections de 2019, différents sondages dont ceux de l’institut britannique Yougov et d’Eurobaromètre indiquaient que si en 2014 un peu plus de la moitié des Européens (51%) approuvaient l’existence de l’euro et de l’EU, ils étaient 75% en 2019 à se prononcer pour l’UE et 62% à déclarer soutenir l’euro. A noter que 67% des Grecs eux-mêmes étaient favorables à l’Union malgré l’austérité que Bruxelles leur avait infligée pour les sortir de la crise financière profonde dans laquelle ils étaient plongés. Dans tous ces sondages, on constatait qu’une majorité de citoyens de l’UE souhaitent voir l’Europe devenir un acteur incontournable sur la scène internationale.

    2) L’hétéroclisme des populismes et leur manque de crédibilité

    Au sein du Parlement européen actuel, on distingue au moins trois courants qui sont incompatibles :

    • Les populistes souverainistes d’Identité et Démocratie (76 sièges et 10,9% de l’hémicycle) et de Conservateurs et Réformistes européens (62 sièges et 8,8%). Le premier groupe réunit la Lega italienne, le Rassemblement National français, l’AFD allemande (véritable nouveauté en 2019 parce que c’est le parti qui a le plus progressé ces dernières années), le FPÖ autrichien, et le Vlams Belang flamand qui est plus séparatiste qu’il n’est souverainiste. Au sein de cet ensemble l’unanimité ne règne pas, ni quant à la politique monétaire de la BCE, ni quant à la politique commerciale de l’UE, ni quant à une éventuelle défense européenne. On attend toujours un programme commun. Quant au second groupe, le CRE, il réunit les Polonais de Droit et Justice et les Italiens rivaux de la Lega de Fratellini d’Italia, aujourd’hui au pouvoir. La caractéristique majeure de ce groupe est de s’opposer à toute avancée vers plus de supranationalité. Il a montré ces derniers temps beaucoup d’empathie envers l’Otan.
    • Les populistes anticapitalistes (désignons les ainsi) regroupés dans la confédération formée par la Gauche Unitaire Europe et la Gauche Verte Nordique sont 40 députés issus de 14 Etats européens. Sans être hostiles à l’Union européenne en soi, ils lui reprochent son orientation libérale, mais en tant qu’internationalistes ils réfutent toute idée d’une Europe autocentrée et décidée à défendre ses identités.
    • Les populistes écologistes. Les verts constituent un groupe de 68 députés au Parlement. Favorables à la pérennisation de l’UE, ils se cantonnent à une position critique, cette dernière n’accédant pas encore à leurs revendications les plus extrêmes en matière de réglementation climatique et d’immigration. Contrairement à la certification scientifique dont ils se prévalent, Ils se comportent, à l’image de leur icône Greta Thunberg, comme des populistes tant ils font dans le catastrophisme et tant leurs propositions sont simplistes, manquent de rationalité.

     

    2024 et après : transformer l’Union pour desserrer la contrainte systémique et accéder à une souveraineté partagée ?

    Plutôt que de passer leur temps à dénigrer l’Union européenne, sans proposer la moindre alternative ou la moindre réforme en termes conceptuels, politiques et stratégiques, les leaders populistes devraient prendre la mesure de la force des interdépendances qui la caractérise. Afin de la mettre au service des intérêts communs dans le cadre d’une souveraineté partagée.

    C’est l’Union qui a permis, exemple des plus récents, aux pays partenaires de surmonter plus facilement qu’ils ne l’auraient fait de manière isolée, la crise de la covid 19. Le plan de relance européen de 1800 milliards d’euro n’est pas rien. Il permet à la France en faillite d’escamoter une partie de ses dettes ! Sur le plan financier et monétaire, précisément, les populistes souverainistes ont l’habitude de critiquer la BCE et ils se déclarent opposés à la supervision communautaire des dettes nationales, mais ils veulent ignorer que si plusieurs États du sud de l’Union prospèrent encore, c’est parce qu’ils se trouvent sous le « parapluie monétaire » de l’euro, pour ne pas dire de l’Allemagne. En ce sens que c’est la monnaie commune qui a permis à ces Etats pendant des années d’emprunter à des taux d’intérêt très bas. Les souverainistes sont, en réalité, sans solution de rechange, sauf à revenir à des monnaies nationales totalement dévalorisées et à accroitre la dépendance financière de leurs pays respectifs par rapport à des créanciers comme la Chine,  ou à accepter la dollarisation de leurs économies, perspective qui n’est pas du tout à écarter en cas de crise générale des monnaies (plausible en raison de l’endettement des principales économies) et d’une fusion imposée par Washington du dollar et de l’euro. Dans le contexte éminemment favorable du raffermissement du protectorat otanien.

    A la veille des élections européennes de 2024, de la désignation d’un Parlement européen qui a les moyens, si sa nouvelle majorité le voulait et le décidait, de modifier la politique menée jusqu’à maintenant par la Commission, d’en prendre le contrepied dans certains secteurs comme celui de la politique migratoire, les populistes les plus conséquents, ceux pour qui le priorité est la sécurité des identités et la prospérité des Européens, seraient bien inspirés de s’organiser en vertu d’un programme susceptible de changer le cours des choses, celui d’un régionalisme stratégique. Cette terminologie, empruntée à deux politologues canadiens, renvoie à trois objectifs : l’amélioration de la sécurité économique et énergétique de tous les partenaires grâce à une politique commune entièrement repensée ; la réorientation de l’Union vers plus d’autocentration en termes d’investissement, de productions et de consommations locales ou relocalisées ; l’achèvement de la zone euro en une véritable Zone Monétaire Optimale  (selon les critères de l’économiste canadien Robert Mundell). Objectifs essentiels auxquels l’urgence des temps impose que l’on en ajoute un quatrième, tout aussi vital : une politique migratoire très restrictive et très sélective.

    Conclusion

    L’inclusion des sociétés européennes dans le système mondial leur a imposé une contrainte extérieure anxiogène multiple (économique, sociale, démographique culturelle) qui est à l’origine des mouvements protestataires désignés sous le vocable de populistes. Si du fait de leur hétéroclisme, de leurs options politiques plus ou moins ouvertement nationalistes, ces mouvements populistes ne sont pas en mesure de desserrer la contrainte systémique, puisqu’ils se condamnent à l’impuissance du séparatisme, il faut s’attendre à ce qu’ils perdurent jusqu’au dépérissement complet des vieilles nations, dont ils seront les derniers spasmes alors qu’ils prétendaient vouloir les sauver. En revanche, s’ils sont enfin capables d’autocritique et s’ils parviennent, à l’occasion du prochain scrutin européen en particulier,  à faire émerger une conscience européenne identitaire, à s’organiser et à agir en conséquence, alors tout n’est pas perdu.

    Gérard Dussouy (Polémia, 10 juin 2023)

     

    Notes :   

    [1] Gérard Dussouy, Le pragmatisme méthodologique. Outil d’analyse d’un monde complexe, Amazon, 2023,p.288.
    [2] Ibidem, p. 322-325.

     

    Pour aller plus loin : Gérard Dussouy, « Les populismes européens : une approche systémique », dans Nathalie Blanc-Noël et Thibaut Dauphin, Vers un nouvel âge des extrêmes ? Populismes et transformations sociales, Paris, L’Harmattan, Collection Pensée politique, 2023, p.219-243.

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  • Et si nous prenions au sérieux la théorie du "déséquilibré" ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique de François Bousquet dans l'émission Ligne Droite sur Radio Courtoisie, datée du 14 juin 2023, dans laquelle il évoque, après l'attaque au couteau menée par un migrant syrien contre des enfants, la multiplication des déséquilibrés dans notre pays et les origines profondes de ce phénomène...

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020) et Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

                                              

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  • José Antonio Primo de Rivera, le politicien-poète du XXe siècle...

    Le gouvernement socialo-communiste espagnol, composé des successeurs de ceux-là mêmes qui, au début de la guerre civile espagnole, ont assassiné José Antonio Primo de Rivera (1903-1936), le fondateur de la Phalange, vient d'essayer de tuer symboliquement ce dernier une deuxième fois, quatre-vingt-sept ans plus tard, en retirant sa dépouille du mausolée du Valle de los Caídos, dédié à toutes les combattants tombés pendant la guerre civile. Face à cette ignominie, Javier Portella revient sur la figure exceptionnelle de José Antonio.

    Directeur d’El Manifiesto et essayiste, Javier Portella écrit régulièrement dans la revue Éléments ou sur les sites de Boulevard Voltaire et Polémia. Il est déjà l'auteur de  Les esclaves heureux de la liberté (David Reinarch, 2012) et N'y a-t-il qu'un dieu pour nous sauver ? (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    José Antonio Primo de Rivera, le politicien-poète du XXe siècle

    « En hissant notre drapeau, nous allons le défendre joyeusement, poétiquement. Parce qu’il y a des gens qui croient que pour unir les volontés […] il faut cacher tout ce qui peut susciter l’émotion ou indiquer une attitude énergique et extrême. Quelle erreur ! »

    Ce drapeau que José Antonio Primo de Rivera voulait hisser était évidemment un drapeau politique. En le levant, il ajoutait : « Les peuples n’ont jamais été conduits que par les poètes, et malheur à celui qui ne sait pas élever, face à la poésie qui détruit, la poésie qui promet. »

    Jamais de tels mots – la conjonction du poétique et du politique – n’avaient résonné avec autant de force dans l’espace public. On ne les avait même jamais entendus à des époques – polis grecque, res publica romaine, monarchie de droit divin – où une sorte de souffle sacré soufflait sur le politique.

    Mais qu’en est-il aujourd’hui, alors que la vie politique est devenue une prosaïque affaire de marchands ? Ces paroles – prononcées le 29 octobre 1933 lors de la cérémonie de fondation de la Phalange espagnole – paraissent à nos oreilles modernes aussi extravagantes que bizarres, et ce malgré le fait – ajoutera-t-on peut-être – qu’elles sont esthétiquement fort jolies. Oh oui, elles sont fort jolies, on peut le dire ! Et elles sont très bien dites, ajoutera-t-on sans doute aussi ! Et qu’il était beau, ce pauvre homme, vraiment ! Et cetera.

    La conciliation des contraires

    La conjonction du poétique et du politique – la tentative de mobiliser les masses en invoquant un souffle poétique ou spirituel – est, il est vrai, une contradiction dans les termes. Mais il y a contradiction et contradiction. Il y a, d’une part, les contradictions affreuses, les non-sens dépourvus de sens. Et il y a, d’autre part, la Grande Contradiction – l’« étreinte des contraires », comme je l’appelle – qui, comme Héraclite le savait déjà, conduit le monde et la vie : cette vie qui n’existerait jamais sans être aiguillonnée par la mort ; ou cet ordre de l’intelligible qui n’existerait jamais sans être entrelacé avec celui du sensible ou de l’émotion.

    Qu’est-ce que ce désir, qu’est-ce que ce combat ? Il s’agit d’une aspiration et d’une lutte – l’essence même du projet joséantonien – où s’entremêlent deux termes on ne peut plus contradictoires : révolution et conservation. La révolution qui conduit à rompre avec l’ancienne conception rétrograde du monde, tout en conservant tout ce que, de la tradition, il est impératif de préserver.

    C’est là, dans cet embrassement des contraires, que se situe la conjonction du politique et du poétique : dans le combat qui, nécessairement enlisé dans la boue de l’espace public, est animé d’une aspiration poétique ou spirituelle.

    Le nœud de la révolution et de la conservation

    Ce qu’il faut rompre, selon José Antonio, ce sont les flagrantes injustices sociales du capitalisme libéral (non pas, bien sûr, pour les remplacer par les injustices bien pires du socialisme). Mais ce à quoi il faut mettre également fin, c’est au dépérissement des choses, à la perte de leur sève ou de leur substance : cette conséquence de l’individualisme et du matérialisme qui conduit, écrit-il, « non pas à la mort par catastrophe, mais à la stagnation dans une existence sans grâce ni espoir, où toutes les attitudes collectives naissent chétives […] et où la vie de la communauté s’aplatit, s’entrave, sombrant dans le mauvais goût et la médiocrité ».

    Face à cette vie médiocre et chétive, il s’agit d’élever son souffle poétique, de miser sur la renaissance spirituelle d’un monde gouverné aujourd’hui par des désirs matériels exclusifs et présidé par l’égalité et les libertés que, contrairement à ce que prétendent ses ennemis, José Antonio ne rejette nullement. Au contraire, tout en regrettant leur caractère purement formel, il cherche à les revitaliser, à leur donner un sens et un contenu réels.

    C’est pourquoi il écrit : « Lecteur, si tu vis dans un État libéral, essaie d’être millionnaire, beau, intelligent et fort. Alors, oui […], la vie est à toi. Tu auras la presse pour exercer ta liberté de pensée, des automobiles pour exercer ta liberté de mouvement. Si tu n’en as pas, si tu n’es pas au cœur du pouvoir économique, tu resteras dans le caniveau. »

    La nation au cœur

    Et avec tout cela, l’Espagne, la Nation : cette « unité de destin ».

    La nation, la patrie : le grand pilier de cet ordre substantiel et organique pour lequel José Antonio plaide et qui est aux antipodes de ce que Zygmunt Bauman appelle la « modernité liquide ».

    La nation, la patrie : le lieu de la tradition, des origines, du destin. De tout ce sans quoi nous ne serions rien ni ne dirions rien.

    La nation, l’histoire, la tradition : cette lave incandescente qui se déploie au fil des siècles, reliant les vivants aux morts et les projetant vers ceux qui viendront à l’avenir.

    La nation : la négation du nationalisme étroit, maussade, grossier, car la patrie, comprise comme elle doit l’être, représente la négation même du patriotisme grossier, plat, chauvin.

    La nation : cette unité de destin qui s’oppose au terroir, dont José Antonio combat farouchement l’étroitesse provinciale.

    Et le franquisme dans tout cela ?

    Quel rapport tout cela a-t-il avec le régime mis en place après la victoire du camp national dans la guerre civile ? Le franquisme a fait de José Antonio un saint et a porté la Phalange sur les autels ; mais ses idéaux n’avaient pas grand-chose à voir avec la réalité de ce régime prosaïque, gris, de plus en plus bourgeois, si éloigné du souffle poétique qui « conduit les peuples ».

    Qu’y avait-il de commun entre « l’Espagne joyeuse et en jupe courte » prônée par José Antonio et l’Espagne pudibonde, aux vêtements bienséants et à la pruderie dominante que l’on encourageait du haut des chaires ? La vérité, c’est qu’au-delà des apparences, au-delà de l’attirail de ceintures, d’escadrons et de chemises bleues, les deux n’ont pratiquement rien à voir.

    Quinze jours avant d’être fusillé, et alors qu’il se proposait comme médiateur pour essayer de faire cesser l’affrontement mortel entre les deux camps, José Antonio avait eu lui-même l’intuition de tout ce qui le séparait du franquisme naissant. En des termes sommaires – ce sont les notes d’un brouillon – mais profonds et durs, il avait analysé la nature sociale, politique et idéologique de ceux qui avaient pris les armes.

    La grandeur de José Antonio

    « Un groupe, écrit-il, de généraux d’une médiocrité politique désolante. De purs clichés élémentaires (ordre, pacification des esprits…). Derrière eux : 1) le vieux carlisme intransigeant, borné, inamical. 2) Les classes conservatrices, intéressées, myopes, paresseuses. 3) Le capitalisme agraire et financier, c’est-à-dire : […] l’absence d’un profond sens national ».

    Le profond sens national, la clairvoyance, le regard d’aigle : voilà ce qui caractérisait l’homme qui, par un de ces miracles qui ne se produisent que de loin en loin, réunissait deux traits extraordinaires : celui d’un combattant aguerri au combat acharné de l’arène politique, et celui d’un penseur profond et subtil, consacré aux grands défis de l’esprit.

    Mais ce miracle fut de courte durée, à peine cinq ans. La rafale d’un peloton de miliciens l’a tué. Ceux qui ont appuyé sur la détente sont pareils aux pilleurs de tombe qui s’imaginent aujourd’hui pouvoir effacer la présence de José Antonio. Vaine tentative ! Car ils ne peuvent rien contre la présence et la mémoire du seul politicien-poète, du seul politicien-philosophe de l’histoire espagnole.

    Javier Portella, traduction d’Arnaud Imatz (Site de la revue Éléments, 24 mai 2023)

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