Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue - Page 420

  • Violence et "doux commerce"...

    Nous reproduisons ici un article de Dominique Venner, intitulé "Violence et « doux commerce »", publié initialement dans la Nouvelle Revue d'Histoire et récemment mis en ligne sur le site personnel de son auteur.

    Voitures brûlées.jpg

     

    Violence et « doux commerce »

    La violence n’est pas seulement celle des armes. Depuis un demi-siècle, s’est imposé un système mondial, celui du « doux commerce ». Doux comme les bombes. Il domine les peuples sous les apparences de la démocratie, brisant les coutumes les plus sacrées. Décryptage d’une nouvelle violence qui règne grâce à la drogue de la consommation et à la repentance. Elle rencontre pourtant des résistances.

     

    Georges Sorel est célèbre pour avoir publié en 1906 des Réflexions sur la violence (Librairie Marcel Rivière), souvent rééditées (1). Partisan du socialisme révolutionnaire, lu par Lénine et Mussolini, Sorel se faisait l’apologiste de la violence comme moteur de l’histoire.

     

    Dans son essai, il s’inquiétait d’une anémie de la violence sociale qu’il croyait observer en Europe occidentale et aux Etats-Unis : «L’éducation est dirigée en vue d’atténuer tellement nos tendances à la violence que nous sommes conduits instinctivement à penser que tout acte de violence est une manifestation d’une régression vers la barbarie. […] On peut se demander s’il n’y a pas quelque niaiserie dans l’admiration de nos contemporains pour la douceur.» Ces remarques, datant d’un siècle, pourraient sembler d’aujourd’hui. Cela retient l’attention et intrigue.

     

    Moins de dix ans après le constat morose de Sorel, commençait une Grande Guerre qui manifesta bien autre chose qu’un penchant général pour la douceur. Cette guerre fut suivie en Russie et en Europe d’une série de révolutions et de guerres civiles, dont le trait dominant ne fut pas la tranquillité. Et la Seconde Guerre mondiale qui se déchaina ensuite, assortie de séquelles comme la généralisation du terrorisme, ne fut pas non plus la manifestation de tendances paisibles.

     

    L’Europe en dormition et en repentance

    Cela pour dire que l’on s’égare souvent dans les prévisions en imaginant l’avenir comme le prolongement du présent. Sous l’effet d’émotions ou de commotions collectives inattendues, la douceur ou la mollesse d’une époque peuvent se muer soudain en violence irrésistible. L’histoire des peuples et des sociétés n’est pas régie par une loi de continuité, mais par d’imprévisibles accidents.

     

    Dans l’Europe actuelle (mais pas ailleurs), tout laisserait supposer qu’a été mis un terme définitif à l’histoire, à ses violences et au politique. Ceux qui ont lu notre Siècle de 1914 savent que nous avons interprété l’époque qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, comme une entrée en dormition de l’Europe après un demi-siècle de folies violentes. Cette dormition n’est pas étrangère à une entreprise de culpabilisation et de démoralisation sans précédent. Avec courage et lucidité, cela fut analysé en 2003 par des intellectuels qu’inquiétait la montée en France de l’antisémitisme dans l’immigration maghrébine. Selon ces auteurs, l’immigration avait été favorisée par certains Juifs qui, « faisant un contresens tragique, ont cru à une alliance possible entre l’affirmation identitaire juive et la célébration des minorités et des localismes, bref, de “l’Autre” contre la nation (2) ». C’était reconnaître que l’intense propagande immigrationniste avait été une erreur. Mais, disaient les auteurs, il fallait remonter aux années soixante, pour chercher les racines de la démoralisation française et européenne, quand le souvenir de la « Shoah s’est imposé comme […] repère décisif d’une culpabilité qui ne concerne pas seulement les nazis mais […] un peu tout le monde en Europe, les peuples dans leur ensemble. » Depuis, « la Shoah barre aux peuples d’Europe toute espérance historique et les enferme dans le remord. » Inquiétant constat. Cinquante ans après, les Européens sommeillent toujours, écrasés de remords, comme « interdits d’histoire ». Pour combien de temps ? Voilà ce que nous ignorons. Mais cela ne saurait être éternel.

     

    Rêves de bonheur, « doux commerce » et violence

    En Europe, la fin provisoire de l’histoire et les rêves hédonistes ne peuvent être isolés d’une discours public nourri par le mythe du «doux commerce» inventé jadis par Adam Smith.

     

    Quels ont été ses effets pratiques sur l’histoire vécue ? L’expérience des deux derniers siècles montre que le « doux commerce » est rarement une garantie contre la violence. Il l’est d’autant moins qu’il a remplacé le politique (la raison) par la morale (l’émotion). L’émotion fait vendre plus que la raison. Mais, au-delà des rêveries, elle est souvent pourvoyeuse de tueries, comme on l’a vu lors des guerres de Religion, puis des guerres idéologiques du XXe siècle.

     

    En dépit des promesses d’Adam Smith, l’exercice intensif du « doux commerce » à l’échelle mondiale s’est ainsi accompagné de violences peu modérées. Si l’on adopte comme repère le XIXe siècle, on pensera entre autres aux guerres de l’Opium (1840-1842, 1858, 1860) qui associèrent la France et la Grande-Bretagne dans la volonté de forcer les frontières de la Chine. Il fallait ouvrir celle-ci à la morale biblique et à quelques bienfaits tels que le trafic de l’extrait de pavot ou la destruction de traditions millénaires. Réalisées au profit du « doux commerce », les interventions armées franco-britanniques conduisirent, par voie de conséquences, à ces nouveautés que furent, pour la Chine, les révolutions en chaîne, préludes aux grandes tueries du maoïsme (3).

     

    Au bénéfice du « doux commerce » on peut encore inscrire nombre d’autres conflits coloniaux ou interétatiques. Y figurent en bonne place les deux guerres mondiales, dont les mobiles économiques ne furent pas minces (4). Etendre au monde entier l’exigence anglo-américaine du « free market » ne s’est pas fait sans un peu de casse… L’un des plus récents épisodes de ces dégâts, masqué de justifications morales et démocratiques (pléonasme), est la guerre d’Irak qui se poursuit depuis 2003. Le contrôle d’une source importante d’hydrocarbures nécessaire au « doux commerce » justifiait probablement que l’on mette à feu et à sang un pays, peut-être assez rugueux (il y en a d’autres), mais stable.

     

    Logique interne du « doux commerce »

    Depuis qu’il s’est mondialisé vers la fin du XXe siècle, on doit cependant reconnaître à l’avantage du « doux commerce » une plasticité et une capacité de survie que peu de systèmes sociaux ont possédé à ce point.

     

    On a compris que le « doux commerce » est l’enveloppe qui recouvre des notions abstraites telles que «capitalisme» ou «libéralisme». Mais comme celles-ci ont servi à beaucoup de cuisines indigestes, leur signification s’est épuisée. Une autre notion, plus récente, est celle de « cosmocratie ». Elle est due à des auteurs américains, et fut reprise par Samuel Huntington dans son ultime essai Que sommes-nous ? (5). J’en ai moi-même fait usage. Elle est explicite. Elle suggère le caractère d’oligarchie mondialiste acquis peu à peu par le système depuis les années soixante du XXe siècle (6).

     

    Mais restons-en pour le moment à la logique interne du « doux commerce ». Quel est son but ? C’est le profit individuel et financier de ses bénéficiaires, quel qu’en soit le prix pour les autres. Etant devenu dominant dans nos sociétés, cet objectif a été promu au rang de valeur suprême, apte à tout justifier, notamment ce qui était naguère condamné par le sens commun et la morale sociale la plus élémentaire. Dans son Manifeste de 1848, Karl Marx avait décrit avec pertinence l’aptitude destructrice illimitée du système qu’il assimilait à la « bourgeoisie », quand bien même le comportement personnel de maint bourgeois contredisait la thèse. Rappelons pour mémoire ses lignes célèbres : « Partout où elle a pris le pouvoir, la bourgeoisie a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt […]. Ce constant ébranlement de tout système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. »

     

    Karl Marx se réjouissait de cette agitation perpétuelle et de l’ébranlement de l’ancienne société européenne par le « doux commerce ». Ils annonçaient à ses yeux l’avènement de la société post-bourgeoise, c’est-à-dire de l’utopie communiste. Ils annonçaient l’homogénéisation mondiale et la fin de l’histoire avec un grand H. Marx ne se trompait pas de beaucoup. A cette nuance près que le «doux commerce» s’est révélé finalement plus résistant, bien que tout aussi pervers que l’utopie communiste dont il réalise certaines attentes par d’autres moyens.

     

    Convergence entre communisme et « doux commerce »

    La conjonction des deux systèmes a été remarquablement analysée par Flora Montcorbier dans un essai injustement oublié (7). Economiste et philosophe, avec une clarté vigoureuse, cette essayiste a délivré une clé d'interprétation convaincante du chaos organisé qui s'est substitué à nos anciennes sociétés.

     

    Nul avant elle ne s'était soucié de comprendre le curieux dénouement de la guerre froide, étape capitale du grand bouleversement. Qui était donc sorti vainqueur de cette fausse guerre ? Les Etats-Unis, bien entendu, et le « doux commerce ». Mais aussi leur religion commune, la religion de l'humanité (avec une majuscule), une, uniforme et universelle. Et ce n'était pas leur seule affinité.

     Que voulaient les communistes ? Ils voulaient une gestion planifiée des richesses de l'humanité. Ils voulaient aussi la création d'un homme nouveau , un homme rationnel et universel, délivré de toutes ces « entraves » que sont des racines, une nature et une culture. Ils voulaient enfin assouvir leur haine des hommes concrets, porteurs de différences, leur haine de la vieille Europe, multiple et tragique.

     

    Et le « doux commerce », autrement dit l’Occident américain (8), que voulait-il ? Eh bien, la même chose. La différence portait sur les méthodes. Récusant la planification et le collectivisme forcé (la terreur), le « doux commerce » voit dans le marché financier le facteur principal de la rationalité économique et des changements souhaités.

     

    Le « doux commerce », autre nom du mondialisme, ne partage pas seulement avec son ex frère ennemi soviétique la vision radieuse du but final. Pour changer le monde, lui aussi doit changer les hommes, fabriquer l'homo oeconomicus de l'avenir, le zombi, l'homme nouveau, homogène, vidé de contenu, possédé par l'esprit du marché universel et illimité. Le zombi est heureux. On lui souffle que le bonheur consiste à satisfaire tous ses désirs, puisque ses désirs sont ceux que suscite le marché.

     

    « Doux commerce » et immigration

    Il y a pourtant des résistances. Mais comme le dessein est grandiose, on ne lésine pas sur les moyens pour les abattre. Afin de «zombifier» les Européens, jadis si rebelles, on a découvert entre autres les avantages de l'immigration de masse. Celle-ci a permis d’importer de la main d’œuvre bon marché, tout en déstructurant les identités nationales. L'installation à demeure d’allogènes accélère aussi la prolétarisation des travailleurs européens. Privés de la protection d'une nation cohérente, ils deviennent des « prolétaires tout nus », des zombis en puissance, d’autant qu’ils sont culpabilisés par le rappel de la colonisation, et autres forfaits imputés à leurs aïeux.

     

    Une difficulté inattendue est venue cependant des immigrés eux-mêmes. Etrangers aux codes de conduite républicains, ils ont constitué dans les banlieues des communautés réislamisées, souvent rebelles au « doux commerce », hormis celui du shit. Dans leur univers, si l’on en croit les rapports officiels, la violence règne autant que le voile et la haine du policier. Une partie du territoire, jadis national, se trouve ainsi sous la menace d’émeutes endémiques. Celles-ci favorisent un transfert de la loi républicaine au profit de celle des « grands frères ».

     

    Quant à la cohabitation avec les « Gaulois », il n’y faut pas trop songer, sauf au cinéma. Ceux qui n’ont pu fuir vers des quartiers moins envahis, se terrent, manifestant leur souffrance par des votes de refus quand l’occasion leur est donnée (9). Une conséquence imprévue est que la lutte des classes cède devant le partage ethnique. Le résidu des anciens conflits sociaux n’est plus le fait des prolétaires, mais de fonctionnaires accrochés à leurs privilèges.

     

    Pourtant, il arrive que les indigènes en voie de « zombification » renâclent. Pour faire passer la pilule, le trait de génie du système a été d’utiliser les bons vieux staliniens et leurs pareils, tous plus ou moins recyclés dans la glorification du « doux commerce ». Ils fournissent l'important clergé inquisitorial de la religion de l'humanité, ce nouvel opium du peuple dont le foot est la grand-messe. Cette religion a ses tables de la loi avec les droits de l'homme, autrement dit les droits du zombi, lesquels sont les devoirs de l'homme. Elle a ses dogmes et son bras séculier, l’Otan et les tribunaux internationaux ou nationaux. Elle pourchasse le Mal, c'est-à-dire le fait d'être différent, individualisé, d'aimer la vie, la nature, le passé, de cultiver l'esprit critique, ne pas être dupe d’un écologisme de façade (réchauffement climatique), et ne pas sacrifier à la divinité humanitaire.

     

    Le système se nourrit d’une opposition factice

    L’une des particularités du système est qu’il se nourrit de son opposition en apparence la plus extrême. Mais quand on s’étonne de ce fait surprenant, on oublie que l’opposition dite « de gauche » partage avec le système la religion de l’humanité et la fringale de la déconstruction, donc l’essentiel. Ainsi, sans que personne ne s’esclaffe, les papiers d’un rebelle de tout repos (Guy Debord) ont-ils pu être classés « Trésor national » par le directeur des Archives nationales en juin 2009. Explication : le « doux commerce » a besoin de la contre-culture et de sa contestation pour nourrir l’appétit illimité du « jouir sans entraves » qui alimente le marché. La rébellion factice du monde culturel (les « cultureux ») a de la sorte été récupérée et institutionnalisée. Ses formes expérimentales les plus loufoques renouvellent le langage de la pub et de la haute couture qui se nourrissent de la nouveauté, du happening. Les droits des minorités ethniques, sexuelles ou autres, sont également étendus sans limites puisqu’ils se concrétisent par des nouveaux marchés, offrant de surcroît une caution morale au système. L’illimité est l’horizon du « doux commerce ». Il se nourrit du travail des taupes à l’œuvre dans la culture, le spectacle, l’enseignement, l’université, la médecine, la justice ou les prisons. Les naïfs qui s’indignent de voir célébrer de délirantes ou répugnantes bouffonneries, n’ont pas compris qu’elles ont été promues au rang de marchandises, et sont de ce fait à la fois indispensables et anoblies.

     

    La seule contestation que le système ne peut absorber est celle qui récuse la religion de l’humanité, et campe sur le respect de la diversité identitaire. Ne sont pas solubles dans le « doux marché » les irréductibles qui sont attachés à leur cité, leur tribu, leur culture ou leur nation, et honorent aussi celles des autres. C’est pourquoi, en dépit de leur éventuelle représentativité électorale à l’échelle européenne, ces dissidents sont rejetés dans une inflexible ségrégation (sauf en Italie). Sort inconfortable qui pourrait les désigner comme seule alternative potentielle lorsque, devant l’urgence et l’inattendu, le politique reprendra ses droits (10). Dès lors, le « doux commerce » pourrait être ramené à la place subalterne et dépendante qui est la sienne dans un monde en ordre.

     

     

    Dominique Venner

     

    Notes

    1. L’un des apports de Georges Sorel (1847-1922) à la pensée politique fut la notion de mythe pour désigner les images mobilisatrices autour desquelles se constituent les grands mouvements historiques (NRH 13, p. 20-22).

    2.Article publié dans Le Monde du 30 décembre 2003, sous la signature de Gilles Bernheim, grand rabbin et philosophe, Elisabeth de Fontenay, professeur de philosophie, Philippe de Lara, professeur de philosophie, Alain Finkielkraut, écrivain et professeur, Philippe Raynaud, professeur de philosophie, Paul Thibaud, essayiste, Michel Zaoui, avocat.

    3. On peut se reporter sur ce point à notre dossier La Chine et l’Occident, NRH n° 19, juillet-août 2005.

    4. Georges-Henri Soutou, L’or et le sang. Les buts de guerre économiques de la Première Guerre mondiale, Fayard, 1989. Nous avons traité ce sujet dans plusieurs dossiers, notamment dans nos n° 14 et 32.

    5. Samuel P. Huntington, Que sommes-nous ? Indentité nationale et choc des cultures, Odile Jacob, 2004.

    6. Dominique Venner, Le Siècle de 1914, Pygmalion, 2006, chapitre 10.

    7. Flora Montcorbier, Le Communisme de marché, L’Age d’Homme, 2000.

    8. Nous ne confondons pas le « système occidental-américain » et les Américains pris individuellement, qui souvent en souffrent.

    9. L’analyse que nous avions faite de l’immigration de peuplement dans notre n° 22, janvier-février 2006, p. 29-32, conserve toute sa pertinence (dossier : De la colonisation à l’immigration).

    10. « Le » politique désigne les principes supérieurs du pouvoir (commander, juger, protéger). «La» politique désigne la pratique.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • "Pourquoi je me sens gaullien"

    Dans notre rubrique "Archives", nous reproduisons un superbe texte d'Alain de Benoist, inactuel, et donc terriblement actuel, intitulé "Pourquoi je me sens gaullien", publié initialement le 8 novembre 1980 dans le Figaro Magazine.

    De Gaulle irlande.jpg

     

    Pourquoi je me sens gaullien

    «Et le Général revint. J’avoue que moi-même, à cause des politiciens et des partis, je n’avais plus qu’une image brouillée et plutôt salie de ma France. Elle louchait. Elle se jetait dans les bras d’amants anglais ou américains. Elle buvait du vin rouge acheté aux négociants communistes. Elle avait un côté Gervaise, ma pauvre mère, qui ne me rendait pas fier. Et voilà qu’elle venait de se remarier avec un militaire un peu cinglé ! Qu’allait-il arriver ? Il arriva la France ».

    Dans Pourquoi la France (Table ronde, 1975), Jean Cau évoque le retour « aux affaires » du général de Gaulle. On connaît ces mots sur lesquels s’ouvrent les Mémoires du Général : «Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison ». De Gaulle se faisait en effet une certaine idée de la France. Il s’en faisait aussi une de lui-même, et jamais durant sa vie la conviction ne l’abandonna d’être voué à une « destinée éminente et exceptionnelle ». Les deux idées, a-t-on dit, tendaient à se confondre. Et pourquoi pas ? Les idées sont d’autant plus vraies qu’elles sont incarnées. «La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont rêvée », lisait-on déjà dans Vers l’armée de métier.

    Dans un livre qu’il vient de faire paraître, Alain Griotteray énonce trois grands principes gaulliens : « 1) Réponds à la menace par la menace, à la volonté par la volonté. 2) Ne laisse plus à d’autres, même à des alliés, le soin de designer ton adversaire. 3) Aie toujours des ennemis, mais jamais d’ennemi absolu, aie toujours des alliés, mais jamais d’amis absolus » (Lettre aux giscardo-gaullistes sur une certaine idée de la France, Mengès, 1980). Ces trois principes pourraient se résumer en un seul : agir selon l’intérêt national, et rien d’autre. L’intérêt national, c’est-à-dire l’intérêt de la France et des Français. Non l’intérêt supposé d’un homme universel : de Gaulle aurait souri de cette « religion des droits de l’homme» qui nie la spécificité du politique, grignote les souverainetés nationales, ramène l’action historique aux bonnes oeuvres, et soumet les rapports internationaux aux critères de la démocratie biblique à l’anglo-saxonne. De Gaulle n’avait que méfiance pour les instances internationales qui prétendent se substituer aux États : l’ONU était pour lui au mieux un « forum utile », au pis un « machin ». Le rôle d’un chef d’État n’est pas de s’interroger sur ce qui, dans l’abstrait, est le plus moral ou le plus « vrai », mais de discerner ce qui est le plus conforme aux intérêts nationaux.

    C’est avec une puissance politique, fondée et garantie par la souveraineté nationale, que l’on peut réellement défendre les libertés. « L’indépendance est la condition de l’intégrité, écrit Stanley Hoffmann. L’intégrité est la substance de l’amour-propre. Et l’amour-propre, ou la dignité, valeur centrale, ne se trouve que dans la grandeur » (De Gaulle, artiste de la politique, Seuil, 1973). Qu’est-ce que la grandeur ? Alexandre Sanguinetti a répondu : «C’est être soi-même, exister, représenter son génie propre » (Une nouvelle résistance, Plon, 1976).

    De Gaulle savait que la politique n’était pas faite d’états d’âme, mais de volonté. Dans Vers l’armée de métier, il affirme : « Il faut que les maîtres aient une âme de maîtres ». Et encore : « L’épée est l’axe du monde et la grandeur ne se divise pas ». Plus tard, il dira : « Pour un ministre, le salut de l’État doit l’emporter sur tous les sentiments » (Mémoires, vol. 1). Il voulait que la France fût gouvernée, et non pas gérée. Il voulait une direction, non une régulation. Il n’avait pas de programme, mais un projet. La puissance, pensait-il encore, est aussi une condition du bonheur. Avec cela, une vision d’écrivain, et même d’artiste. La conviction que le contenu d’une politique n’est pas dissociable de son style. Pascal Ory fait de lui un «monarchiste de regret » (De Gaulle, Masson, 1978). Mais ce monarchiste égaré en démocratie sut aussi ne pas se nourrir d’illusions sur les prétendants ! « Charles de Gaulle est un Franc, écrit Sanguinetti, non pas salien mais ripuaire, élu par ses leudes, qu’il appelle compagnons, un officier des marches de l’Est [...] un homme du droit coutumier que ne convainc pas absolument le droit écrit – on le verra bien dans sa façon de concevoir et d’appliquer les institutions –, un homme du Nord qui se méfie des populations méridionales, qui le lui rendront bien, à l’exception de celles qui n’auront pas connu le catharisme ».

    Dans le dossier que la revue Histoire-Magazine consacre ce mois-ci à de Gaulle, Paul-Marie de La Gorce rappelle que le Général, revenant au pouvoir en 1958, s’était fixé trois objectifs : réformer profondément les institutions de la IVe République, entachées de partitocratisme et d’impuissance ; créer un système où la France et ses anciennes colonies se trouveraient associées par des rapports de coopération privilégiés ; enfin, renverser le système des relations internationales « dans lequel la France était enfermée par le jeu de l’intégration militaire dans l’organisation atlantique et la subordination politique qui en résultait ». Avec la Constitution de 1958, la France se trouve à nouveau gouvernée. L’élection du président de la République au suffrage universel devait s’y ajouter par la suite, afin que « le chef de l’État ne provienne d’aucun parti, qu’il soit désigné par le peuple ».

    Le peuple : autre mot-clé. De Gaulle a constamment répété qu’il ne pouvait mener sa mission sans le soutien du peuple. « La démocratie, déclare-t-il à Londres, se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple exerçant sa souveraineté sans entrave » (27 mai 1942). Renouant avec une antique tradition, il cherchera, à partir de 1958, à établir entre le pouvoir et le peuple un lien direct, passant au-dessus des notables, des assemblées et des partis. D’où le recours au référendum. En octobre 1962, quand le Général propose l’élection du président au suffrage universel, l’Assemblée nationale renverse le gouvernement. Mais le peuple, consulté, approuve. La nouvelle procédure sera ausstôt instaurée.

    On a décrit de Gaulle comme le « plus grand commun diviseur » des Français. Pourtant, nul n’a comme lui fait l’unanimité. « La Ve République naît autour d’un chef charismatique », observait Raymond Aron en février 1959. D’autres ont parlé d’« envoûtement des masses ». Mais l’étonnant est que cette emprise ait survécu aux départs de 1946 et de 1969. Selon un sondage, également publié par Histoire-Magazine, 81 % des Français estiment aujourd’hui que l’action du général de Gaulle fut positive. Ce chiffre ne fut jamais atteint du vivant du Général. Au vrai, si de Gaulle fut populaire, c’est d’abord parce qu’il ne chercha jamais à l’être. La France, pour lui, ne résultait pas seulement de l’addition des Français. Les Français peuvent être des héros ou des veaux, de l’or ou de la tourbe, cela ne change rien à la réalité de la France. De Gaulle fut accusé de mépriser les hommes. Pourquoi donc aurait-il dû les aimer ? Ce ne sont pas les hommes qu’il faut aimer, c’est ce qui les élève et les aide à grandir.

    Les passions nées de la guerre d’Algérie s’apaiseront un jour. Les plaies douloureuses qu’elles ont ouvertes finiront par cicatriser. Aujourd’hui déjà, on voit mieux que l’émancipation des anciennes possessions françaises, ouvrant la voie à une politique concernant l’ensemble du Tiers-monde, était impliquée dans l’affirmation du principe d’indépendance et de souveraineté nationale. Ayant donné l’indépendance à ses anciennes colonies, la France pouvait se faire le champion de toutes les indépendances, à commencer par la sienne. Elle devenait ainsi, et l’Europe avec elle, la partenaire naturelle de tous ceux qui, dans un monde bipolaire, récusent l’hégémonie des superpuissances et entendent restituer au jeu politique international sa nécessaire pluralité.

    De fait, le refus de la politique des blocs fut l’aspect le plus important de la politique gaullienne. De Gaulle condamna Yalta dès le premier jour. Il fut, après la guerre, le seul chef d’État européen à refuser le duopole russo-américain et les menaces – de nature différente – que chaque hégémonie, tirant prétexte de l’existence de l’autre, faisait peser sur nous.

    De Gaulle n’a bien entendu jamais été hostile à l’Europe. Mais il ne voulait pas d’une Europe dépossédée d’elle-même. Il ne voulait pas de ce que Valéry a appelé le « gouvernement de l’Europe par une commission américaine ». De là son hostilité à la CED, son refus de l’entrée de la Grande-Bretagne – « commis voyageur » de l’Amérique – dans le Marché commun, sa guérilla monétaire contre le système de Bretton Woods et la prééminence du dollar. De Gaulle voulait une France française dans une Europe européenne – et une Europe entière, une Europe réunifiée, associant les patries des Gaulois, des Latins, des Germains et des Slaves, non une «Europe des Neuf », Europe-croupion réduite à n’être que l’«appendice occidental du monde atlantique », et qui abandonnerait pour toujours les peuples de l’Est à leur sort. Pour ce faire, il s’agissait qu’il y eût une politique de la France et qu’elle se fît à Paris. Il s’agissait ensuite que les deux moitiés de l’Europe fussent réunies et rejettent leur tutelle : «Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde ! » (Strasbourg, novembre 1959).

    Accomplissant ce que Carl Schmitt appelle le geste politique par excellence – la « désignation de l’ennemi » –, de Gaulle élabore ainsi une « stratégie tous azimuts ». Pour assurer son indépendance, la France doit pouvoir se défendre elle-même et se doter d’une force nucléaire de dissuasion. Il n’est plus possible, comme le dira Griotteray, que « trois cents millions d’Européens s’en remettent aux deux cents millions d’Américains pour se protéger de deux cents millions de Russes, eux-mêmes confrontés à neuf cents millions de Chinois ». Grâce à la force de frappe, il sera possible de rejeter les sujétions extérieures et de se passer du « parapluie troué »américain.

    Partout dans le monde, de Gaulle donna une impulsion. Celle-ci ne passa pas – ne pouvait pas passer – immédiatement dans les faits. Mais il fallait prendre date. Quand de Gaulle déclare à Varsovie, en 1967, que « la Pologne a repris vis-à-vis du dehors la totale disposition d’elle-même », il n’exprime qu’un voeu. Mais qui dira comment ces paroles ont germé dans l’esprit des travailleurs de Dantzig (Gdansk) ?

    Et le cri du 24 juillet 1967 : «Vive le Québec libre ! », qui dira de quelle manière il continue de résonner aujourd’hui ? La France entendait être souveraine. Au Québec et au Mexique, en Pologne et en Roumanie, de Gaulle dit aux pays satellites de suivre son exemple, de se libérer des influences étrangères et de redevenir eux-mêmes. Les idéologies passent, les peuples et les nations demeurent. Les dés lancés continuent de rouler.

    Vive-le-Quebec-libre-!.jpg

    C’est d’ailleurs cela le plus remarquable avec les initiatives gaulliennes : le fait qu’après avoir été critiquées de tous côtés, elles soient désormais admises par tout le monde. Lorsque la France entreprit d’assurer par elle-même sa défense nucléaire, Edgar Faure déclara : «Du point de vue militaire, la bombe ne présente aucun intérêt ». Qui souscrirait encore à cette opinion ? L’élection du président de la République au suffrage universel provoqua une levée de boucliers. Les partis, depuis, s’en sont tous accommodés. En 1964, la reconnaissance de la Chine populaire souleva la colère du département d’État, qui la jugea « inamicale ». Quelques années plus tard, Nixon était reçu en grande pompe à Pékin, et aujourd’hui, la politique chinoise de Washington bat son plein. Quant au départ du SHAPE, il provoqua des commentaires voisins de l’hystérie. Mais qui peut encore penser que les États-Unis prendraient le risque de se suicider pour défendre un continent européen dont les intérêts sont appelés à coïncider de moins en moins avec les leurs ?

    Avec l’« homme du passé » que fut de Gaulle, la France est entrée de plain-pied dans l’avenir. En l’espace de onze ans, de 1958 à 1969, elle est devenue la cinquième puissance industrielle du monde, la troisième puissance commerciale, la troisième puissance aéronautique et spatiale, la troisième puissance nucléaire. C’était l’époque des «Trente glorieuses ». Contrairement à la légende, de Gaulle n’a jamais dit : «L’intendance suivra », mais il croyait au « politique d’abord » : il savait que les experts ne sont pas là pour décider, mais pour trouver les meilleurs moyens d’exécuter les orientations qu’on leur donne. En 1962, au cours d’une conférence de presse, il déclare : «Nous avons choisi d’être une économie de compétition ». Et l’intendance suivit.

    On a parfois voulu se recommander d’une « doctrine » gaulliste. Or, de Gaulle était le contraire d’un idéologue. Dès 1925, citant Bugeaud, il constate : «A la guerre, il y a des principes, mais il y en a peu ». Comme tous les grands hommes, il avait le sens des situations. Pragmatique, et même « machiavélien », il ne fut jamais regardant sur le choix des tactiques ni sur celui des moyens. Par contre, il ne céda jamais sur les objectifs qu’il s’était fixés. «À propos de l’histoire, déclare-t-il en 1966 à André Passeron, je vais vous dire quelque chose : sachez que toutes les décisions que je prends, toutes les déclarations que je fais sont pour chaque domaine inspirées et guidées par une seule idée ; tout s’ordonne autour de cette idée claire et simple ». Le gaullisme, il ne faut pas l’oublier, n’est pas né d’une philosophie, mais d’un acte historique.

    Maurice Clavel s’est demandé s’il ne fallait pas chercher la source du prestige du Général dans un mythe quasiment jungien. Il en tirait la conclusion que l’opposition, en réduisant de Gaulle à ce mythe, perdait parfaitement son temps. « La légende gaullienne, écrit Pascal Ory, réalise le rêve de l’individu collectif moderne : la totale préméditation d’une vie dans la totale identification à un destin général ». Que cette légende contienne sa part de vérités et d’erreurs n’a plus guère d’importance. Seul compte le mythe, car ce sont les mythes qui inspirent la volonté des hommes et les poussent à se donner un destin.

    Révolutionnaire autant que conservateur, de Gaulle eut contre lui la droite, la gauche, les partis, l’Église, la bourgeoisie, les comités et les factions. Pour lui, il eut la France. Au vrai, rarement homme politique souleva autant de critiques passionnées, excessives, démesurées. Que n’a-t-on pas dit sur le « grand Charles » ? Les journaux satiriques se déchaînèrent contre lui. Il fut traité de « fasciste » et de « factieux » tout autant que de « communiste ». Voici quelques années, l’hebdomadaire anglais The Economist le taxa même d’avoir une conception « wagnérienne » de la politique – c’était apparemment pour ce journal le comble de l’horreur. De Gaulle, lui, restait indifférent. Indifférent à tout ce qui « grouille, grenouille et scribouille ». À Malraux, qui devait le rapporter plus tard (dans Les chênes qu’on abat, Gallimard, 1971), il déclare : «Voyez-vous, il y a quelque chose qui ne peut pas durer : l’irresponsabilité de l’intelligence. Ou bien elle cessera, ou bien la civilisation occidentale cessera ».

    Du vivant du Général, je ne fus pas gaulliste. Aujourd’hui, je me sens très fortement gaullien. Est-ce du fait de mon évolution propre ou de celle des événements ? Je ne sais. Mais c’est un fait que les hommes s’apprécient aussi par rapport à ce qui vient après eux. Quand il n’y a plus que des nains pour s’agiter, les défauts des géants sont vite oubliés. Aujourd’hui, plutôt que la grandeur, on vante la petitesse, la mesquinerie, la sécurité, le réalisme comptable et le manque d’ambition. Les grands hommes ont cédé la place aux hommes « compétents ». Les gestionnaires ont remplacé les visionnaires. Chef d’État véritable à une époque où l’on n’aime pas beaucoup les chefs, et encore moins l’État, de Gaulle disait vers 1921 : «Préparer la guerre, c’est préparer des chefs ». Où s’en prépare-t-il aujourd’hui ? À l’automne de 1979, un sondage a révélé que 57 % des Français ne seraient à aucun prix prêts à risquer la mort pour défendre leur patrie au cas où une puissance étrangère occuperait le sol national. (On peut en conclure que les mêmes s’interdisent de condamner la Collaboration des années 1940). Il est dommage que la France paraisse peuplée de vieillards – dont beaucoup n’ont pas plus de dix-huit ans.

    Dans sa Lettre aux giscardo-gaullistes, Alain Griotteray rompt des lances pour démontrer que Valéry Giscard d’Estaing poursuit aussi fidèlement que possible une politique gaullienne. J’admets volontiers avec lui que le gaullisme n’est plus aujourd’hui dans le gaullisme. Mais d’autres ont été plus sévères. Quand Giscard parle de « décrispation », ils rétorquent, avec Sanguinetti : « Le peuple français est tendu. L’histoire est tragique. On ne gouverne la France qu’en utilisant ses tensions ». Olivier Germain-Thomas, lui, dénonce Les rats-capitaines (Hallier, 1978). Et Pierre Lefranc, à propos de l’après-gaullisme, écrit : «On peut annoncer, sans risque d’indiscrétion, qu’il s’agit d’une fresque illustrant la petitesse des hommes » (...Avec qui vous savez, Plon, 1979).

    Les temps auraient-ils changé ? Les grands hommes font les grandes époques, mais les grandes époques font aussi les grands hommes. Quand on aspire à ce qu’il ne se passe plus grand-chose, il est facile de croire que l’histoire peut finir. Mais l’histoire ne finit pas. Elle s’arrête là où Atlas baisse les bras. Elle reprend là où d’autres forces se préparent. De Gaulle fut l’« homme des tempêtes ». Il y a encore des tempêtes à venir.

    Après l’échec du référendum du 27 avril 1969, le général de Gaulle s’envole vers l’Irlande. Je pense à une photo prise durant son voyage et qui, aujourd’hui, se trouve dans mon bureau. C’est presque une photo d’exil. Le Général y parcourt une grève déserte, au côté de sa femme, la canne au poing, vêtu d’un grand manteau noir. Il semble marcher à grandes enjambées, pensif et lointain. Le vent tourbillonne autour de lui. C’est là, en Irlande, qu’il dira : « J’ai confiance que les Français se souviennent de mon temps comme d’une époque digne, où on pensait d’abord à l’intérêt général et où on voyait les choses de haut ». Quelle gifle pour ceux qui ne voient les choses que d’en bas !

    Alain de Benoist

    (8 novembre 1980)

    Lien permanent Catégories : Archives, Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Retraites : pourtant d'autres pistes existent !

    Nous reproduisons ici un point de vue intéressant de Maurice Gendre, journaliste et agitateur d'idées sur la toile, sur la réforme des retraites, publié par le site Scriptoblog.

    Retraites-pas-de-consensus-sur-le-dos-des-salaries.jpg

    Retraites : pourtant d'autres pistes existent

    Alors que le vote définitif au Sénat devrait intervenir, après examen des 500 amendements, le jeudi 21 octobre dans la soirée (selon le philatéliste célèbre Gérard Longuet), le mouvement social ne cesse de se durcir.

    Pénurie d'essence, raffineries fermées, ports bloqués, lycées paralysés (1), trains annulés, grèves reconductibles, opérations escargots, cortèges de manifestants qui ne désemplissent pas, des sondages mettant une lumière crue sur le désaveu du gouvernement, tous les éléments sont là pour que ce projet de loi inique sur les retraites soit retiré comme le fut avant lui le SMIC-jeune balladurien, la « réforme » Juppé ou le CPE villepinien.

    Toutefois, si ce projet finissait par devenir une loi après publication au J.O, en raison de l'obstination du Narcisse pervers qui a posé ses valises à l'Elysée et/ou grâce à l'aide des racailles de banlieue (éternels idiots utiles), on peut douter de la volonté d'un gouvernement de « gauche », après un possible changement de majorité en 2012, de revenir sur cette contre-réforme. Surtout si l'on se base sur les précédents des réformes Balladur (1993) et Fillon (2003), qui semblent avoir été définitivement acceptées par la gauche de gouvernement.

     

    D'autant que la cacophonie régnant chez les sociaux-démocrates du PS laisse supposer une nouvelle félonie. Des déclarations du candidat préféré de l'oligarchie, le directeur du FMI, DSK, qui ne fait pas mystère que pour lui le "dogme" des 60 ans doit sauter, aux propos d'autres caciques PS qui veulent maintenir l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans tout en réclamant l'allongement de la durée de cotisation à 41,5 annuités... comprenne qui peut.

    Comme toujours, il ne faudra donc pas compter sur cette formation de petits marquis manipulateurs et condescendants qu’est le parti socialiste pour mener une véritable réforme des retraites, une réforme qui serait juste, équitable et pérenne.

    Mais il n'est pas interdit d'espérer que le flambeau sera repris par un ou plusieurs candidats lors de la prochaine présidentielle…

    Quels pourraient alors être les axes de réflexion ? Est-il possible de faire autrement ?

    Des moyens existent. Il faut cependant faire preuve de courage et de volonté.

    Chaque année, ce sont des dizaines de milliards qui font défaut aux caisses de retraite au titre des baisses de cotisations patronales, des exonérations de charges et des conséquences funestes des licenciements massifs et de la politique des bas salaires (2).

    Depuis 1980, la part patronale des cotisations sociales a baissé de 4 points (passant de 34 à 30%), soit un manque à gagner annuel de 17 milliards pour la sécurité sociale.

    Si la cotisation patronale était relevée dans cette proportion, il n'y aurait plus de déficit dans les caisses de retraite du privé.

    De même, dans le budget de l'Etat, ce sont des dizaines de milliards de cadeaux fiscaux qui mettent en péril le financement des retraites, des rémunérations de fonctionnaires, de l'emploi et des services publics. A elle seule, la prise en charge par l'Etat des exonérations de charges sociales consenties au bénéfice des entreprises représente un coût pour le budget de l'Etat de 33 milliards d'euros chaque année.

    Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'argent ne manque pas : 212 milliards d'euros de bénéfices pour les entreprises françaises du CAC 40 entre 2007 et 2009.

    Pour ces sociétés, on estime que le taux réel d'imposition est inférieur à 10%.

    Il faut aussi signaler les 3 milliards par an de niches fiscales réservées aux 1% les plus fortunés. Également, les 36 milliards de dividendes distribués aux actionnaires des entreprises du CAC 40 en 2009.

    Entre 2004 et 2007, les 0,01% les plus aisés ont gagné 40% de plus. Ceux-là mêmes, parmi d'autres, qui jouissent du bouclier fiscal.

    Des solutions alternatives existent donc bel et bien.

    Mais on peut également réfléchir à beaucoup plus long terme.

    Le débat sur les retraites reviendra de façon lancinante tant qu'une réelle politique nataliste ne sera pas instaurée dans ce pays.

    La mise en place d'un vrai salaire parental, l'augmentation des allocations familiales, l'allongement du congé maternité (et paternité) sont des pistes essentielles à explorer.

    Autre point fondamental : la question des retraites est très étroitement liée à l'emploi.

    Ne pas aborder la question de la lutte contre le chômage dans cette affaire relève d'une malhonnêteté intellectuelle sans limite.

    Assurer la reprise en main économique de notre marché intérieur (application de droits de douane sur les produits importés), rompre avec la « chienlit laissez-fairiste » (dixit le regretté Maurice Allais), ainsi qu'assurer le lancement de grands projets de ré-industrialisation, de développement et d'équipement, sont des options qui s'avéreront très vite incontournables.

    Pour pouvoir mettre en place tout ceci, une sortie de l'Union européenne (UE) sera inévitable (3).
    Là encore, il s'agira donc d'une question de bravoure et de volontarisme politique.

    Maurice Gendre

    ( 1 ) Depuis plusieurs jours, on entend sempiternellement le même refrain : "En quoi les jeunes sont-ils concernés?". La réponse est fort simple. La jeunesse française subit un taux de chômage de l'ordre de 25%. Les différentes mesures de recul de l'âge de départ en retraite conduiront d'ici 2016 à ce qu'un million d'emplois ne soient plus disponibles pour les jeunes arrivant sur le marché du travail, auxquels s'ajouteront 300.000 emplois supprimés dans la fonction publique entre 2007 et 2013.

    ( 2 ) Entre 1981 et les années 2000, la part des salaires dans la valeur ajoutée a reculé de 10 points, la part du capital a augmenté d'autant, alimentant les marchés financiers et la spéculation. Certains experts avancent le chiffre de 100 milliards par an volés au monde du travail.

    ( 3 ) A ce propos, le plan Sarkozy-Woerth prétend s'inspirer des autres pays européens. Or, un observateur un tout petit peu attentif remarquera que la durée de cotisation est de seulement 30 ans en Grande-Bretagne, 35 ans en Allemagne, en Italie, en Belgique et en Espagne, 37 ans en Autriche et 40 ans en Suède. Certes, des modifications sont également en cours dans ces pays, et on recense de fortes disparités (hallucinant plan de régression social de Zapatero en Espagne, mise en place d'un système de pénalités en Allemagne à partir de 2012, minuscule retraite de base en Angleterre… de 116 euros par semaine). Mais on n’atteint tout de même pas les 41,5 ans que souhaite imposer le gouvernement français.

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Contre les gadgets de destruction massive !

    Nous reproduisons ici un point de vue de la revue Eléments, signé Aurélie Mouillard, sur le combat mené contre les « nécrotechnologies » par le groupe Pièces et Main d'Œuvre et les éditions de L'Échappée .

     Homme 2.0.jpg

     

    Contre les gadgets de destruction massive

     

    Comment la tentative d'emprise de l'être humain sur la nature a-t-elle abouti à une emprise de la science sur l'humain? C'est à cette question que cherchent à répondre les travaux du groupe Pièces et Main d'Œuvre (PMO), collectif grenoblois formé en 2003, qui a déjà publié sur son site de nombreux textes et tracts (désormais réunis en volumes), et qui les diffuse au gré de rassemblements et de happenings. Son dernier coup d'éclat, à la Cité des Sciences, avait notamment permis l'annulation des «débats publics et citoyens» sur les nanotechnologies. En choisissant comme angle d'attaque l'étude des innovations technologiques, sa critique du développement des sciences mortifères s'est approfondie avec les années, avec pour objectif de provoquer l' « élargissement de nos capacités de représentation » de la réalité transformée, ainsi devenue «réalité augmentée».

    La mise à l'index d'une nuisance isolée ne peut évidemment se faire sans en retracer la généalogie, sans remonter â la racine du problème ni établir ses imbrications dans le monde contemporain. Les nouveaux «gadgets de destruction massive», passés du ludique au domestique, sont autant de reflets de bouleversements sociaux, économiques, politiques ou géostratégiques. C'est par exemple le cas du téléphone mobile, dont la fabrication nécessite entre autres l'extraction du coltan dans les mines du Congo-Kinshasa par les anciennes puissances coloniales ... C'est aussi ce qu'expose Jean Ornon dans son excellent documentaire Alerte à Babylone, ainsi que dans Un siècle de progrès sans merci, ouvrage tiré de son film du même nom qui confirme qu'une science pure ne saurait rester indéfiniment étanche à toute application pratique. Les « nécrotechnologies » s'avèrent ainsi le produit d'une idéologie. Et ce, quels qu'en soient les bons ou mauvais usages promis par des insurgés « citoyens et solidaires », et autres militants de «Sauvons la recherche».

    Un almanach des abjections contemporaines pourrait répertorier les possibilités, rationnelles et totales, déjà concrétisées en matière de «gestion des flux »: vidéosurveillance, Vigipirate, biométrie, bracelets électroniques, cartes de crédit, d'identité, de travail, de circulation, de stationnement, de communication, jusqu'aux puces RFID sous-cutanées. Sans oublier la liberty card (sic), qui divertit les foules et les recadre d'autant, à l'instar de la novlangue.

    Les accusations et calomnies n'ont pas manqué pour décrédibiliser les groupes écologistes et anti-industriels auxquels PMO peut être rattaché. S'y trouvent régulièrement des dénonciations d'activités terroristes ou de complots menaçant l'ordre public. À regarder de plus près la gestion aberrante des ressources matérielles et humaines de ces dernières décennies, il est bien compréhensible que les «autorités compétentes» préfèrent se défausser sur leurs contestataires! Le texte de la conférence À la recherche du nouvel ennemi s'ouvre sur ce constat, en stigmatisant notamment les divagations d'un Jean-Christophe Rufin, et surtout en analysant les rapports entre le monde scientifique et les tenants des pouvoirs politico-industriels. Les formules sont parfois expéditives, mais percutantes. Ainsi, à destination des apologistes technophiIes: «Est appelé aujourd'hui progrès technique tout ce qui vise à l'éradication du genre humain».

    À lire les productions de PMO, telles qu'elles sont disponibles sur son site ou dans la collection «Négatif » des éditions L'Échappée, on voit bien que la machine emballée, rendue autonome, a provoqué une fuite en avant qui ne peut s'achever que par l'emprise totale avant annihilation. Il est à cet égard révélateur que le dernier chapitre de Terreur et possession se concentre sur l'expansion des neurosciences, accusées d'aboutir à l' « avènement du pancraticon, de la société de contrainte par possession technologique » du cerveau! De tous ces symptômes de la démesure occidentale, on retient que «la vie n'est plus un don de Dieu, mais un matériau que l'on gère ». Le chapitre du livre de Ornon consacré à «La science comme ultime religion» aurait de ce point de vue mérité d'être approfondi davantage. Car, paradoxalement, il semble bien que l' « homme réduit en cendres» ne profite, in fine, à personne. Mais quels que soient ses défauts ou imperfections, la collection «Négatif» ne manque assurément pas de bonnes idées. On souhaiterait que les appels de PMO aux bonnes volontés ne restent pas qu'une formule, en dépit de vieilles méfiances difficilement blâmables. Mais ce serait oublier que, hors des «salons a1termondains», les «nouvelles convergences» ne se font bien souvent qu'au bord des précipices.

     

    Aurélie Mouillard (Eléments, juillet-septembre 2010)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Les contre-démocrates

    Un point de vue intéressant de Laurent Ozon sur les réactions au référendum suisse, publié sur le site de Novopress le 2 décembre 2009.

    Masques.jpg
     

    Les contre-démocrates

     

    « Je suis scandalisé, […] c’est une réaction d’intolérance. »
    Bernard Kouchner, lundi 30 novembre 2009, RTL

    « C’est un vote de violence. »
    Michel Rocard, lundi 30 novembre, Radio Classique

    Le référendum helvétique sur les minarets a, une fois de plus, fait ressurgir une opposition de plus en plus franche entre les partisans de deux légitimités contradictoires. Les démocrates, dont nous sommes, considèrent que la démocratie est une source de légitimité, certes imparfaite, mais incontournable. Les contre-démocrates pensent que leur idéologie est source de légitimité politique et prime sur le choix exprimé par le peuple.

    L’idéologie à la mode, celle qui prétend décréter le bien, le beau et le bon, c’est le « Oneworldisme », l’idéologie « Open », vecteur de la volonté de domination de la nouvelle classe mondiale. Le bras armé moral de cette idéologie, ce sont les droits de l’homme, un système de pensée qui prétend fonder la dignité humaine et ses modes d’expression sur la seule appartenance à une catégorie zoologique, « l’humanité », plutôt que sur l’histoire, la culture, les modalités d’expression de celle-ci. Cette idéologie s’attaque ainsi aux droits existants des hommes libres et enracinés, dont celui de choisir, en toute responsabilité et liberté, ce qui lui semble bon, pour lui et pour les siens. Bref, tout ce qui fait de l’être humain un sujet de droit concret.

    Comme l’écrivait Alain de Benoist : « Un régime démocratique tient […] sa légitimité du consentement du peuple, celui-ci étant généralement exprimé par le vote. En dernière analyse, la démocratie est le régime qui consacre la souveraineté du peuple. A l’inverse, le discours des droits de l’homme se donne d’emblée comme certitude morale universelle, censée s’imposer partout du seul fait de son universalité. Sa valeur de vérité ne dépend donc pas d’une ratification démocratique. Mieux encore, il peut s’y opposer. »

    Nous sommes donc bien à un tournant historique. La super-classe mondiale, la majorité des politiciens, médias et faiseurs d’opinions sont aujourd’hui tombés de toute évidence dans le camp de la contre-démocratie (1). Le peuple est dangereux, la démocratie est dangereuse ? Qu’à cela ne tienne, ils ont entrepris de changer le peuple en favorisant la colonisation de peuplement et ont entrepris de s’attaquer logiquement au dernier recours d’expression du peuple : la démocratie directe.

    Nous voulons rendre au peuple la maîtrise de son destin et son droit légitime à avoir prise sur les institutions qui prétendent avoir prise sur lui et sa famille. Ce n’est que justice. Le moment est venu de défendre la tradition démocratique en Europe face aux menées liberticides des contre-démocrates.

    Laurent Ozon, président de Maison commune

    (1) La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, par Pierre Rosanvallon, Seuil, 2006.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!