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Points de vue - Page 421

  • L'école à l'heure de l'inégalité réelle...

    Nous reproduisons ici un bon article de l'écrivain Jérôme Leroy, mis en en ligne sur Causeur, excellent site de débat, suite à la publication du classement international Pisa sur les résultats scolaires.

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    Pisa, le classement qui gêne

    L'école à l'heure de l'inégalité réelle

    Comme tous les trois ans, Pisa s’est abattu sur la France. L’acronyme sent bon la technocratie orwellienne et la tyrannie, partout présente désormais, de l’expertocratie autoproclamée : programme international pour le suivi des acquis des élèves. Traduit simplement, cela signifie que Pisa est là pour évaluer les écoles de 65 pays et établir un classement. Autant on peut souhaiter rétablir le classement dans l’école, autant on peut trouver beaucoup plus discutable le classement des écoles. Nous avons déjà, par exemple, exprimé dans ces colonnes le léger agacement que nous inspirait le classement annuel des lycées, publié sans précautions d’usage par les news magazines. On s’appuie pourtant essentiellement sur les résultats au baccalauréat, comme si le réussir dans le 93 signifiait la même chose que le réussir dans le Cinquième arrondissement. Ce qui est absurde, à moins d’admettre qu’un parcours du combattant et une promenade de santé soient du même ordre.

    Pragmatisme à toute épreuve

    Le classement Pisa procède de même, au niveau international. On est très heureux pour la Corée du Sud et la Finlande qui sont régulièrement placées en tête mais on se demande ce que la réalité française a de commun avec celle de cinq millions de finno-ougriens qui construisent des téléphones portables entre lacs et forêts ou celle d’un pays asiatique de tradition bouddhiste où l’industrialisation rapide s’est accommodée jusque dans les années 80 d’une dictature militaire.

    En plus, quand on vous met un thermomètre dans le fondement, il est toujours utile de savoir qui le tient et pourquoi. Pisa est une émanation de l’OCDE. L’OCDE est une de ces organisations supranationales dont les dogmes de la Foi sont la concurrence et le libre échange.
    Avec Pisa, l’OCDE fait d’ailleurs preuve de son pragmatisme à toute épreuve en se limitant à la compréhension de l’écrit, à la culture mathématique et à la culture scientifique. De quel écrit au juste, allez savoir…On peut penser que le classement Pisa, comme finalement n’importe quel penseur pédagogiste bien de chez nous, doit trouver plus utile que l’élève saisisse le sens d’un texte qu’il sera amené à lire assez vite dans son existence (annonces de Pôle Emploi, lettres de licenciement, avis d’expulsion) plutôt que celui de l’Odyssée qui est tout de même au programme de nos classes de sixième dans le cadre d’une approche des textes fondateurs.

    Les résultats de la France à ce Pisa label 2009 sont donc en baisse par rapport au classement précédent. Pas de grand chose, mais en baisse. Bon, en même temps, qui l’eût cru , ces feignasses assistées de Grecs avec leur Etat hydrocéphale que l’UE-FMI réduit à la schlague, ont fait un bond de vingt points sur la même période 2006-2009. Ne dites pas à Strauss-Kahn et Barroso que toutes les dépenses publiques hellènes n’étaient peut-être pas totalement infondées, ils vont nous faire une crise de nerfs…

    Promptitude passionnelle

    Chez nous, quand on sait la promptitude passionnelle dont le Français, et votre serviteur n’échappe pas à la règle, fait preuve dès qu’il s’agit de la question scolaire, on est un peu étonné par la relative modération qui entoure ces résultats. Les gazettes oscillent entre le « En baisse cette année », le « Peut mieux faire », le « Ensemble décevant. Doit réagir au plus vite. », mais elles n’y mettent pas plus de conviction que ça.
    Sans doute parce que, quelle que soit leur obédience partisane, dans la mesure où elles ont décidé sans barguigner d’accepter la légitimité de ce classement d’essence libérale, les résultats sont gênants pour tout le monde.

    Pour le camp pédagogiste, bien sûr, puisque c’est lui qui est encore largement aux commandes dans la définition de plus en plus délirante de programmes qui fixent des objectifs aussi ambitieux sur le papier qu’inapplicables sur le terrain tant que les horaires hebdomadaires de matières aussi secondaires que les maths, le français, l’histoire géo, la philo, les langues vivantes seront en baisse constante, masquant mal la logique comptable derrière le clinquant des intentions.
    Mais la logique comptable, pour le coup, elle n’est pas imputable aux pédagogistes et elle n’a jamais été aussi pesante que depuis 2007, quand l’Education Nationale a vu, au nom de la RGPP et de son sacro-saint principe du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la disparition de plus de 50 000 postes d’enseignants depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, sans préjuger des 32000 suppressions supplémentaires programmées en 2011-2012.

    Il y a pourtant une chose simple à comprendre. Autant, même si ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable, il est possible de faire cours dans un collège ou lycée de centre ville à une trentaine d’élèves, autant cela relève de la mission impossible quand on se retrouve dans un quartier difficile. Il ne faut pas s’étonner que l’expert Pisa pour la France, monsieur Charbonnier, s’indigne d’une école qui fabrique de plus en plus d’inégalités. Là où on aurait besoin de plus de profs, on vous donne surtout plus de sigles qui renvoie à des dispositifs qui sont autant d’usines à gaz servant à gérer la pénurie de personnel.
    Vous avez aimé les ZEP (zones d’éducation prioritaire), les REP (réseaux d’éducation prioritaire), vous avez à peine eu le temps de goûter les RAR (réseau ambition réussite) que voilà déjà les CLAIR (collèges et lycées pour l’ambition, la réussite et l’innovation) en vigueur depuis la rentrée 2010. Evidemment, à chaque fois, cela concerne quelques centaines d’établissements, toujours les mêmes, c’est à dire les plus défavorisés du pays, où l’on s’obstine à ne pas voir que ce qui manque, pour cesser que ne se creusent les inégalités, c’est que l’on mette plus de monde devant moins d’élèves.

    Mais non, on préfère les partenariats avec le privé et pendant que l’élève de troisième du centre ville fait encore du grec et du latin, celui qui en aurait autant besoin, sinon plus, se retrouve à faire des stages en entreprise sous prétexte d’orientation. Comme s’il était condamné d’avance à servir de main d’œuvre précaire, peu ou pas diplômée, à des employeurs qui n’ont plus qu’à se servir dans une population acculturée par un système qui oscille entre le rôle d’idiot utile et de complice objectif. On se retrouve ainsi avec un phénomène proche de celui décrit par Naomi Klein dans No Logo à propos des USA1 où Mc Do et Coca Cola sont devenus les partenaires privilégiés des écoles de pauvres et vont jusqu’à sponsoriser les programmes pour suppléer le manque d’investissements publics.

    On est toujours trahi par les siens

    Quand le classement Pisa insiste sur cette fabrique d’inégalité qu’est devenue l’école française, la droite qui aurait rêvé de remettre en question la compétence des enseignants et leur statut par la même occasion, se retrouve face à ses contradictions. On est toujours trahi par les siens : c’est l’OCDE qui insiste sur l’importance de la « préscolarisation » quand Xavier Darcos a cru bon de moquer les enseignants de maternelle sur l’air de « pas besoin d’être bac plus cinq pour torcher les mômes »
    C’est l’OCDE, encore, qui parle de la nécessité d’une mixité sociale quand le pouvoir rêve d’internats d’excellence.
    C’est l’OCDE, toujours, qui insiste sur les dispositifs précoces d’aide aux enfants en difficulté quand le gouvernement a fait la peau à 3000 postes de Rased, un dispositif d’aide spécifique à l’école primaire qui lui fonctionnait plutôt bien.
    C’est l’OCDE enfin qui remarque que les pays où les professeurs sont les mieux payés ont les meilleurs résultats quand chez nous les augmentations de salaire dans la fonction publique ne sont pas franchement à l’ordre du jour.
    Je répète que je ne suis pas du tout convaincu par la pureté des intentions de l’OCDE, qui a finalement elle aussi un côté pédagogiste et bourdivin, mais je ne peux m’empêcher de goûter avec un certain plaisir le spectacle d’un Luc Chatel un rien désorienté par ce classement Pisa qu’il manipule comme un flacon de nitroglycérine, tout surpris, alors qu’il se croyait dans le sens du vent dérégulateur, de pouvoir être rendu premier responsable en cas d’explosion inopinée.

    Jérôme Leroy (Causeur, 10 décembre 2010)

    1. USA qui sont dans le même peloton que nous…
    2. 
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  • Les corporatocraties dans la cyberguerre

    Nous reproduisons ici un article de Jean-Paul Baquiast, animateur du site Europe solidaire, ainsi que du remarquable site scientifique Automates intelligents, consacré à une réflexion sur l'affaire Wikileaks et ses implications.

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    Les corporatocraties dans la cyber-guerre

    Dans la guerre du faible (les cyber-citoyens) au fort (le Système politico-financier ) il serait très naïf de supposer que le fort ne pourra pas retourner contre le faible les armes utilisées par celui-ci.

    John Naughton, du Guardian est moins naïf. Il écrit le 6 décembre, à propos de ce que certains nomment la cyber-insurrection menaçant le Système politico-financier dans la suite de l 'affaire WikiLeaks  :
    «  Politicians now face an agonising dilemma. The old, mole-whacking approach won't work. WikiLeaks does not depend only on web technology. Thousands of copies of those secret cables – and probably of much else besides – are out there, distributed by peer-to-peer technologies like BitTorrent. Our rulers have a choice to make: either they learn to live in a WikiLeakable world, with all that implies in terms of their future behaviour; or they shut down the internet. Over to them.»

    La phrase importante est la dernière: « Ou bien nos dirigeants apprennent à vivre dans un monde rendu poreux par des fuites du type de celles réalisées par WikiLeaks (WikiLeakable) avec tout ce que ceci implique concernant la modification de leurs futurs comportements, ou bien ils ferment l'Internet »

    Il n'y a que les dirigeants un peu benêts ou attardés du cortex, comme les Chinois ou le gouvernement français, pour envisager encore de fermer ou simplement de réglementer Internet. Cet heureux événement ne surviendrait que dans une guerre faisant un large usage des bombes à neutrons ou dans la perspective peu probable dans l'immédiat (mais pas impossible) d'un flash électromagnétique d'origine solaire.

    Il leur reste donc à s'adapter au cyber-monde, afin de retourner contre les cyber-contestataires ou les cyber-adversaires, les armes dont disposent ces derniers. Il n'y a là rien que de très faisable pour qui dispose de l'argent et de l'influence. Le Corporate Power, ou plus exactement, pour élargir la définition, les Corporatocraties, qui associent la puissance des firmes à celle des Etats, disposent d'assez de moyens pour recruter des milliers de jeunes gens très avertis. Ils auront vite fait de saturer le cyber-espace de messages contradictoires, parlant au nom de n'importe qui et défendant n'importe quelle cause, si bien que les intelligences moyennes comme les nôtres ne sauront plus qui parle, ne feront plus confiance à personne et finiront par retourner à leurs méditations solitaires.

    Le procédé n'aura rien de nouveau. On sait très bien comment dans les dernières décennies, les corporatocraties ont retourné à leur profit, pour la propagande politique ou la publicité commerciale, la presse écrite, la radio et la télévision. Toutes pratiquent le « greenwashing » idéologique. Pour ma part, j'écoute encore la radio et regarde la télévision, à certaines heures et en choisissant certaines émissions. Mais même dans ces cas, je peux mesurer, en faisant le compte des messages communicationnels toxiques ou pourris que j'identifie, le nombre infiniment plus grand de ceux que je n'identifie pas et qui formatent en permanence mon pauvre cerveau. Je suis immergé dans ce que les spécialistes pourraient désigner du terme de Système anthropotechnique de la Communication globale.

    C'est de cette façon que les corporatocraties interpréteront la recommandation que leur fait John Naughton «  learn to live in a WikiLeakable world ». Rien ne leur sera plus facile à faire en ce sens: dépenser des millions en dollars et en intelligence mercenaire pour saturer l'Internet de messages non interprétables. Bien évidemment, elles n'ont d'ailleurs pas attendu. Si bien que moi-même, je l'avoue, je me suis demandé pour qui « roulait », comme l'on dit, Assange.

    Mais le soupçon sera partout. N'a-t-on pas suggéré que le mot d'ordre lancé par le site ayant pris Eric Cantonna pour emblème avait fait le bonheur des spéculateurs sur les métaux précieux. Vu la bulle immédiate qui s'était produite sur le cours de l'or, certains ont du réaliser en une nuit de sympathiques bénéfices. La contestation du Système peut mener à tout.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 9 décembre 2010)

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  • Turquie, le rêve néo-ottoman ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une bonne analyse de Christian Bouchet, publié sur Voxnr, concernant la nouvelle orientation de la politique étrangère turque. La Turquie semble avoir enfin compris qu'elle se fourvoyait en voulant intégrer l'Union européenne. C'est une bonne chose pour l'Europe comme pour le monde multipolaire en train de naître.


     

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    Bye-bye l'Europe ! ou le rêve néo-ottoman de la Turquie

    Quatre vingt-dix ans après avoir perdu son empire quatre fois centenaire, il semble que la Turquie ait aujourd’hui renoué avec ses rêves ottomans, et qu’après avoir orienté ses choix géopolitiques vers le pantouranisme (1) puis vers l’Union européenne, elle ait maintenant décidé de construire un bloc régional de nature à peser fortement dans le futur. Cette « vision d’avenir » est l’œuvre d’Ahmet Davutoglu, un professeur de relations internationales à l’université d’Istanbul devenu ministre des Affaires étrangères de son pays, que certains médias présentent comme le « Kyssinger turc ».

    « L’Europe, c’est fini pour nous ! », telle semble bien être l’avis majoritaire sur les bords du Bosphore où, selon un récent sondage, les Turcs ne sont plus que 38 % à désirer rejoindre l’Union européenne alors qu'ils étaient 74 % à le souhaiter en 2004. Ce désintérêt de l’opinion publique, que le gouvernement ne fait pas le moindre geste pour contrer, explique que les diplomates chargés des négociations avec Bruxelles ne fassent rien pour faciliter leur aboutissement. La question chypriote est toujours pendante et sur les trente-cinq chapitres thématiques de négociation, seul un a été bouclé positivement. Quant aux autres, on y discute sans grand espoir de solution à court ou moyen terme.

    A défaut de progresser dans ses rapports avec l’Union européenne, Ankara a décidé de s’inspirer de son fonctionnement pour constituer une union économique et politique au Proche-Orient où elle promeut un Schengen régional et un nouveau pacte de Bagdad (2).

    Ainsi, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a proposé, le 25 novembre dernier, aux pays arabes de créer une zone analogue à celle qui a été formée au sein de l'Union européenne par les États Schengen. Après avoir rappelé qu'Ankara avait déjà aboli les visas avec la Syrie, le Liban, la Libye et la Jordanie, le chef du gouvernement turc, alors en visite à Beyrouth, a déclaré : « L'Union européenne se félicite d'avoir instauré la zone Schengen. Pourquoi ne pas faire la même chose entre nous ? » Dans le même discours, Erdogan a également fait part du projet prévoyant la création d'un conseil de coopération entre la Turquie, la Syrie, le Liban et la Jordanie, en résumant sa pensée d’une phrase : « Peut-il y avoir quelque chose de plus naturel ? ».

    Le 21 novembre, sur le site internet du Figaro, Georges Malbrunot a, quant à lui, longuement analysé « la reconstitution du pacte de Bagdad » qui s’effectue, trente ans après la volatilisation de ce bloc anti-soviétique, mais aujourd’hui sans les Etats-Unis et le Pakistan. Et d’expliquer comment la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran « dessinent à vive allure la matrice de leurs institutions communes, à l’instar, il y a cinquante ans, de l’Europe des Six » : les visas entre ces quatre pays sont désormais supprimés, un consortium vient d’être créé pour rendre compatibles les réseaux des oléoducs et des gazoducs existants et à venir, les ressources d’eau y sont administrées de concert, etc. Ce futur bloc territorial de 250 millions d’habitants - qui contrôle à lui seul le Bosphore, le détroit d’Ormuz et la plus grande part des routes du gaz et du pétrole - possède 35% des réserves d’hydrocarbures de la planète. A terme, c’est, aux yeux de Georges Malbrunot, une hyper puissance qui émergera.

    Cela étant, la Syrie et l’Iran, sont en même temps des alliés de la Turquie mais aussi des rivaux dans la lutte pour le leadership du Proche-Orient et l’Iran joue sa propre partition tout particulièrement au Liban et à Gaza, par ses rapports privilégiés avec le Hezbollah et le Hamas, mais aussi sur sa frontière septentrionale.

    Ainsi, Téhéran entretient les meilleures relations avec l’Arménie qui est historiquement « en délicatesse » avec la Turquie, même si le gouvernement Erdogan tente de rapprocher les deux pays au grand déplaisir du très droitiste Parti nationaliste turc. Fait nouveau, l’Iran vient de signer des accords de coopération très importants avec deux de ses voisins du Nord : le Turkménistan et l’Ouzbékistan, qui vont permettre à ces deux pays enclavés, soucieux l’un et l’autre de ne pas dépendre de la seule Russie pour l’acheminement de leur commerce extérieur, d’utiliser le territoire iranien pour accéder à l’Océan Indien. Pour le Turkménistan en particulier, pays très peu peuplé mais qui dispose de réserves de gaz naturel parmi les plus importantes du monde, cette ouverture vers le Sud est un moyen d’échapper aux contraintes léonines que pouvait lui imposer Gazprom pour exporter son gaz. L’Iran, le Turkménistan et l’Ouzbékistan partagent de surcroît un souci commun de sécurité : celui de combattre la déstabilisation et les multiples influences souterraines qu’engendre l’immense trafic d’héroïne d’origine afghane. Par ailleurs, les diplomates iraniens viennent de connaître un autre succès en signant; en août dernier, un accord de coopération militaire avec le sultanat d’Oman. A eux deux, Oman et Iran contrôlent maintenant les deux rives du détroit d’Ormuz, l’un des détroits les plus stratégiques et les plus surveillés du monde en raison du flux pétrolier intense qui l’emprunte.

    Renonçant à ses illusions européennes pour l’une et affirmant sa fermeté à la face de tous pour l’autre, la Turquie et l’Iran, même si le "grand jeux" continue, sont en voie d’organiser un voisinage régional confiant et coopératif appelé à devenir un nouveau pôle du monde multipolaire en gestation sous nos yeux. Nous ne pouvons que nous en réjouir et dans le même temps nous en inquiéter. En effet, par les prises de position hystériques de Nicolas Sarkozy en matière de politique étrangère notre pays est sans influence dans cette région alors que, paradoxalement, comme le remarque Georges Malbrunot les yankees, moins naïfs, sont déjà à la manoeuvre pour prendre leur part du futur consortium pétrolier régional (3).

    Christian Bouchet (Voxnr, 9 décembre 2010)

    1 – Désir d’unir les peuples turcs dispersés de la Chine à la Roumanie.
    2 - Le Traité d'organisation du Moyen-Orient, plus communément appelé pacte de Bagdad, a été signé le 24 février 1955 par l'Irak, la Turquie, le Pakistan, l'Iran, les États-Unis et le Royaume-Uni. C’était le pendant régional de l’OTAN.
    3 - Cela malgré les manoeuvres des néo-cons qui désignent la Turquie comme un ennemi potentiel des USA encore plus dangereux que l'Iran (voir D. Pipes http://fr.danielpipes.org/9134/turquie-islamiste-iran-laique)

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  • Une bonne question...

    Nous reproduisons ici la chronique "télévision" de Franck Nouchi, publiée dans le Monde du 10 décembre 2010. L'auteur y pose honnêtement une bonne question...

     

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    Télé-empathie

    Le 6 novembre, sur le plateau d'"On n'est pas couché", Eric Zemmour s'interrogeait sur le "cas" Marine Le Pen : "Le problème aujourd'hui c'est que Marine Le Pen n'est pas antisémite, qu'elle ne fait pas de vanne à deux balles sur la seconde guerre mondiale, que sur la mondialisation, elle dit des choses pas très différentes de la gauche de la gauche. Et donc ça pose un vrai problème parce qu'elle est moins diabolisable que son père." "Pour l'instant, l'interrompit Laurent Ruquier, on a, j'ai choisi de ne pas recevoir Marine Le Pen. Et vous, Michel Drucker, vous la recevriez ?""Non, répondit l'animateur de "Vivement dimanche" présent, lui aussi, sur le plateau. Je n'ai pas reçu le père. La question ne se pose pas. Ce n'est pas d'actualité. On ne m'a rien demandé.""La question va se poser, Michel", prédit Eric Zemmour.

    Un mois plus tard, sur Radio Classique, Marine Le Pen expliquait que ces propos sont un "véritable scandale". "Il (Michel Drucker), ajoutait-elle, se permet d'exclure de son émission le représentant, ou la représentante d'ailleurs, de millions d'électeurs (...). M. Drucker, comme l'ensemble des autres journalistes qui travaillent sur le service public, ont un devoir."

    Sur son blog, notre confrère de L'Express, Renaud Revel, a pris la défense de Michel Drucker. "Il faut, écrit-il, faire preuve d'un bien grand cynisme et feindre de méconnaître le destin pour le moins bouleversant des Drucker, pour réagir de la sorte." Rappelant ce qu'écrit l'animateur sur son père juif, persécuté par les nazis pendant la guerre, dans Rappelle-moi (éditions Robert Laffont), Revel ajoute : "On peut aisément pardonner à Michel Drucker de ne pas vouloir donner suite à la demande d'une responsable politique de premier plan, à la droite de la droite, qui n'a jamais cru bon contester, même du bout des lèvres, les propos infâmes d'un père, Jean-Marie Le Pen, sur la Shoah."

    Sur le site Causeur, Elisabeth Lévy défend un point de vue différent : "Drucker et Ruquier n'aiment pas Marine Le Pen, c'est leur droit. Mais je ne savais pas que les invités de leurs émissions étaient choisis en fonction du goût des animateurs. On fait du divertissement, on invite qui on veut, disent-ils. Ben voyons ! Sauf que, nous divertissant avec des politiques, ils participent au débat public et doivent en respecter les règles."

    A partir du moment où Michel Drucker reconnaît lui-même qu'il ne veut pas rendre Marine Le Pen "sympathique" en l'invitant, toute la question est de savoir s'il est légitime d'inviter des personnalités politiques dans des émissions de pur divertissement qui, de fait, sont devenues de véritables lieux de promotion d'image. Si l'on pense que oui, alors se pose la question de savoir à qui il revient de lancer les invitations pour participer à de telles émissions de "télé-empathie". Comme disait Zemmour, ces questions vont se poser. Elles se posent déjà.

    Franck Nouchi (Le Monde, 10 décembre 2010)

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  • Les doigts dans la marmite diplomatique...

    Nous reproduisons ci-dessous la chronique hebdomadaire de Philippe Randa consacrée à Wikileaks et publié sur son blog.

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    Les doigts dans la marmite diplomatique...

    C’est Ben Laden qui ne doit pas être content ! La vedette lui est désormais ravie par Julian Assange, fondateur du site Wikileaks qui défraie les médias du Monde entier. C’est lui qui fait désormais trembler l’"Empire du Bien”… Ses publications de documents font moins de morts – aucun à ce jour –, mais tout autant sinon plus de ravages, semble-t-il, que les sanglants attentats des barbus de l’Oumma (communauté des musulmans).
    Le bi-mensuel Flash infos magazine lui a consacré sa dernière une. Il n’est pas le seul. Aucun media n’a passé sous silence les “faits et méfaits” de monsieur Assange, reconnaissons-le. Mais peu on fait remarquer comme Nicolas Gauthier dans son éditorial, qu’on attend toujours ces fameuses révélations contre lesquelles les gouvernements du Monde entier mettent en garde tout à chacun.
    Elles vont peut-être venir… mais celles qui ont été publiées par les grands quotidiens sélectionnés par le fondateur de Wikileaks pour trier et commenter les 400 000 documents mis à leur disposition ne sont que l’aveu de ce dont on se doutait concernant entre autres les pratiques de l’American way of life en Irak : utilisation de la torture, morts de civils irakiens, bavures des milices privées, pouvoir d’influence de l’Iran (l’actuel Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, soutenu par Washington, ayant dû être adoubé à Téhéran avant de commencer à former un nouveau cabinet)…
    Plus nouveau, mais tout aussi évident, les jugements émis par la diplomatie américaine sur les dirigeants européens. Silvio Berlusconi aimerait la galante compagnie… et Nicolas Sarkozy serait un perpétuel excité. L’un et l’autre ne serait guère “crédibles” comme chef d’État. Si ce sont les Américains qui le disent !
    Plus cocasse sans doute est l’officialisation que l’Arabie Saoudite ait voulu pousser à la guerre contre l’Iran. C’est sans doute le plus grave pour l’Oncle Sam qui tente de convaincre que les musulmans formeraient un bloc uni, obsédés par l’éradication de toutes les autres religions. Nombre d’islamophobes de circonstances y ont trouvé l’espoir d’exister politiquement. Patatras ! Les musulmans sont aussi divisés que les chrétiens, les haines entre branches rivales sont aussi tenaces qu’entre catholiques et protestants autrefois, voire encore actuellement… et le mépris des unes pour les autres vaut bien souvent celui des askénazes pour les sépharades, n’en déplaisent aux obsédés du fumeux “complot juif”.
    D’où les pressions pour empêcher les hébergements du site Wikileaks dans chaque pays. Chassé des serveurs d’Amazon basés aux États-Unis, le nouveau ministre chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique Éric Besson a demandé l’expulsion du site web du territoire français.
    Dans la patrie auto-proclamée des Droits de l’homme, si prompte à dénoncer les atteintes à la liberté d’expression chez les autres, il fallait oser. Il a osé. Éric Besson est l’homme qui ose. Tout.
    Rappelons tout de même que personne ne met en doute l’authenticité des documents publiés par Julian Assange. Au contraire… et c’est même parce qu’ils sont vrais qu’ils font si peur à nos gouvernants, pris ainsi les doigts dans la marmite de leurs mensonges, exactions, bavures, stupidités, jugements à l’emporte-pièce et autres amabilités diplomatiques…
    Et plus encore de leur incompétence à protéger leurs vilains secrets. Car si un site internet peut se procurer ainsi de tels secrets d’État, nombre de services secrets en sont probablement tout aussi capables. Ce n’est donc pas cela qui est grave pour eux, c’est que ces secrets soient ainsi connus de leurs peuples, c’est-à-dire des électeurs.
    Quant à l’initiative d’Éric Besson, elle est pour le moins dangereuse pour sa respectabilité, si tant est qu’il lui en reste encore beaucoup… Et le danger d’un effet boomerang d’une telle initiative n’est pas à écarter.
    En effet, l’hébergeur français OVH, sommé d’expulser le site Wikileaks n’est pas officiellement son hébergeur, mais simplement “le prestataire technique de la solution technique que le client a demandé”. OVH a donc décidé de saisir le juge des référés “afin qu’il se prononce sur la légalité ou pas de ce site sur le territoire français”, rappelant, à cette occasion, que “ce n’est pas au monde politique ni à OVH de demander ou décider la fermeture, ou pas, d’un site, mais à la justice.
    Et chacun sait la Justice est indépendante du pouvoir politique qui n’a pas à lui donner d’ordre. Enfin, c’est que les gouvernements affirment, à moins que parmi les 400 000 documents de Wikileaks, on apprenne le contraire. Improbable, bien sûr.

     
    Philippe Randa (7 décembre 2010)



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  • Jean Parvulesco, l'inconnu séditieux

    Nous reproduisons ici l'article, publié par Causeur, que Ludovic Maubreuil, critique de cinéma de la revue Eléments et responsable du blog Cinématique, a consacré à l'écrivain Jean Parvulesco à l'occasion de sa disparition.

     

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    Jean Parvulesco, l'inconnu séditieux

    C’était au temps du train Corail entre Lille et Paris, plus de deux heures trente si ma mémoire est bonne, assez en tous cas pour faire en un aller-retour, un sort aux romans qui résistent et aux essais qui ne se laissent pas faire, à ces œuvres énigmatiques ne se livrant jamais au lecteur dilettante. Avec un certain orgueil, j’étais alors impatient de cerner la philosophie d’Abellio, si séduisante mais si difficile à saisir, et pour cela, pistais le moindre commentaire de texte. Chez un bouquiniste, j’avais déniché Le soleil rouge de Raymond Abellio d’un certain Jean Parvulesco, trouvé à l’intérieur d’un livre de cuisine ouvert par erreur. Un signe, à n’en pas douter. Hélas, ne comprenant pas un traître mot au verbiage que j’identifiai immédiatement comme une belle fumisterie, le livre rouge et bleu, par la fenêtre du compartiment, s’envola en rase campagne ; j’en ai encore honte aujourd’hui.

    Mystique et affabulateur de génie

    Il y a six ou sept ans pourtant, je suis revenu vers l’œuvre de Jean Parvulesco, cette fois avec un tout autre état d’esprit. Mon orgueil ayant subi pas mal de revers, je ne désirais plus de clés bien ouvragées, de solutions définitives ou d’exégèses réglées, mais déprimé par la morne bassesse de la vie littéraire, je cherchais une sorte d’antidote à ce qui me semblait irréversiblement mou, triste, banal et sans issue. À tout prendre, il me fallait revenir à ce qui m’avait toujours paru le moins lisible possible et Parvulesco faisait partie de ce cercle-là !
    En quelques romans, je fus conquis, c’est-à-dire sauvé. Même si tout ce que cet étonnant mystique roumain racontait dans ses singuliers romans eschatologiques était pure affabulation, si les complots auxquels il faisait allusion et les rites expiatoires dont il dressait méticuleusement la liste, n’existaient pas, cet univers me ravissait littérairement. Lui au moins offrait un verbe ardent, inespéré, royalement hors-sujet. Lui au moins permettait d’envisager, selon sa propre terminologie, la défaite du si puissant non-être, qui n’avait soumis qu’en apparence, ou du moins que temporairement, l’Etre.

    Dans un article paru en 2008 dans Spectacle du Monde, Michel Marmin observe que Parvulesco « pour dévoiler, à l’instar de Balzac, l’envers de l’histoire contemporaine, car c’est bien de quoi il est question, récapitule et précipite toutes les formes du roman occidental, du roman arthurien au roman d’espionnage, et ne s’interdit aucune divagation onirique, fantastique ou érotique. » Cette langue qui témoigne d’une absence insensée d’assujettissement aux règles en vigueur, cette langue tout en circonvolutions limpides qui donnent l’impression d’être enfin dans le secret des dieux tout en se perdant aux enfers, cette langue-là est en effet comme une sorte de réaction chimique qui dissout instantanément la compartimentation de la post-littérature, la rend caduque à tout jamais et permet enfin de dépasser son absence d’attaches comme ses ersatz d’audace, pour en rêver immédiatement une autre.

    Avec De Roux, Ronet, Melville, Rohmer

    Mais après tout, qui connaît aujourd’hui Jean Parvulesco, décédé ce 21 novembre, à part quelques révolutionnaires gaulliens, quelques occultistes guénoniens, quelques tantristes lecteurs de Julius Evola ? Si une brève notice bio-bibliographique vient de paraître sur le site du Magazine Littéraire, cette revue n’a jamais daigné rendre compte de ses travaux.
    Pourtant, la silhouette de cet inconnu séditieux se profile auprès de tout ce que le siècle dernier a compté d’individus hors du commun et d’œuvres subversives, auprès d’Heidegger et d’Evola, Dominique de Roux et Ezra Pound, Maurice Ronet et Paul Gégauff. C’est Jean-Pierre Melville lui-même qui joue son rôle dans À bout de souffle et plusieurs films de Rohmer, à certains moment-clés, le font apparaître…
    Aujourd’hui, j’ai enfin compris pourquoi j’ai jeté ce livre par la fenêtre d’un train Corail, il y a presque dix-huit ans de cela : pour que quelqu’un le trouve sur la berge d’un ruisseau ou au milieu d’un sentier perdu, et remonte la piste. Pour que cette écriture un jour ou l’autre l’électrise et que cette parole inouïe, au sens figuré comme au sens propre, lui fasse comprendre que rien n’est joué.

    Ludovic Maubreuil (Causeur, 5 décembre 2010) 

     

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