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Points de vue - Page 417

  • Sarko l’Américain, ou les fausses confidences de Wikileaks...

    Nous reproduisons ici un excellent point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, mis en ligne par De Defensa, consacré à l'américanolâtrie de notre président et à sa politique d'alignement sur les Etats-Unis... Auteur d'un Sarko l'Américain (Bourin, 2007) particulièrement clairvoyant, Jean-Philippe Immarigeon a aussi écrit deux essais critiques sur les Etats-Unis, American Parano (Bourin, 2006) et L'imposture américaine (Bourin, 2009), qui méritent tout particulièrement d'être lus ! 

     

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    Sarko l’Américain, ou les fausses confidences de Wikileaks

    On savait la fascination du président français pour une Amérique qu’il connaît d’ailleurs bien peu, et le peu qu’il connaît bien mal, représentation de clichés éculés et désormais dépassés, quand ils n’ont pas été toujours faux. De ce point de vue Wikileaks ne nous apprend pas grand chose. Le Monde vient de faire une synthèse instructive de ces fausses confidences. Par delà le portrait limpide d’un bonhomme d’un simplisme consternant qui voit dans l’Amérique autoritaire et paternaliste (ce en quoi il n’a pas tort, et c’est ce qui est intéressant dans son américanolâtrie) le substitut freudien d’un père parti quand il avait quatre ans et qui ne lui a jamais dit ni d’aller ranger sa chambre ni d’aller finir ses devoirs, il y a la confirmation que l’alignement de la France sur les Etats-Unis relève au mieux d’un parti-pris idéologique, au pire d’un caprice d’adolescent immature préoccupé à mettre bas, pour exister, un héritage gaullien trop grand pour lui.

    Passons sur les considérations peu amènes sur la vie privée cascadante de Nicolas, qui lui aurait barré toute carrière politique outre-Atlantique. Sur le fond et des sujets plus essentiels pour la nation, on a confirmation que, quelque soient ses protestations ultérieures, nous aurions eu Sarkozy président de la République dès 2003, l’armée française se rejouerait un remake de la Bataille d’Alger à Sadr City et dans les faubourgs de Bagdad. L’opposition résolue de nos généraux, au diapason de l’opinion publique, aura dissuadé le nouvel élu de trop insister par la suite. Mais ses visites aux Etats-Unis et ses entretiens avec les cercles les plus néoconservateurs, notamment à l’automne 2006 où il taxa d’arrogant le refus de la France et se répandit contre son pays et sa diplomatie, n’étaient ni innocentes ni protocolaires. Cela n’empêchait pas le candidat Sarkozy d’affirmer crânement le 14 janvier 2007 que «Jacques Chirac a fait honneur à la France quand il s’est opposé à la guerre en Irak, qui était une faute», puis, une fois élu, que «La France était, grâce à Jacques Chirac, et demeure hostile à cette guerre.»

    Mais il y a la guerre d’Afghanistan, qu’un chef d’état-major français qualifiait de merdier dans lequel la France n’avait rien à faire, quelques semaines à peine avant que Sarkozy ne nous y replonge. Et il a décidé cela en négation de son engagement vis-à-vis des électeurs, pris entre les deux tours de l’élection présidentielle, là où les paroles comptent. Souvenons-nous, c’était le 26 avril 2007 sur France 2 : «La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisif. – (Arlette Chabot) Même s’il faut poursuivre une présence pour empêcher les Talibans de revenir au pouvoir… ? – Je vous ai dit qu’elle était ma réponse […] Le président de la République (Chirac) a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. C’est une politique que je poursuivrai. Et de toute manière si vous regardez l’histoire du monde, aucune armée étrangère n’a réussi dans un pays qui n’était pas le sien. Aucune, quelque soit l’époque, quel que soit le lieu.» Il ne s’agissait pas seulement de poursuivre la politique de son prédécesseur, il s’agissait d’expliquer pourquoi cette guerre est historiquement une ânerie.

    Or ce qu’indiquent les documents diplomatiques américains, c’est que Nicolas Sarkozy nous mentait effrontément pour être élu, et avait déjà pris la décision de faire au moins cette guerre-là pour plaire à Washington. Si nous étions adeptes des grands mots, celui de forfaiture s’imposerait. Et concernant l’Iran, dossier dans lequel la France joue les va-t’en-guerre avec d’autant plus d’aisance qu’elle n’a plus les moyens nécessaires à une participation, même symbolique, à une action contre la Perse, le mot duplicité s’impose. Qui affirmait le 26 février 2007 sur BFM TV son opposition à une intervention, précisant que : «quand on voit ce qui se passe avec l’Irak, qui peut croire que c’est une perspective crédible ?», ajoutant que les Etats-Unis étaient dans une « impasse » ?

    Concernant l’OTAN, les militaires français, qui ne cachaient pas leur perplexité devant la perspective d’une réintégration, peuvent désormais s’épargner le ridicule de trouver, a posteriori et sur ordre, des justifications controuvées. Les documents américains montrent que Nicolas Sarkozy l’avait décidée avant même son élection, qu’il n’était même pas question pour lui d’en discuter. La conséquence, bien visible, est double : d’une part aucune contrepartie n’a été obtenue puisque les Américains, à qui le candidat avait fait cette promesse, n’ont rien lâché, le fait étant par avance acquis. Mais les dictateurs chinois, libyens et autres, qui profitent des piètres talents de négociateur du président français, agissent de même depuis mai 2007. D’autre part, Nicolas Sarkozy n’a même pas fait semblant d’ouvrir un débat sur la question, et il ne faut pas s’étonner qu’aujourd’hui les Français cherchent les raisons de leur retour dans l’OTAN.

    Ce n’est pas tant que nos troupes soient sous commandement US, sans que notre président n’ait son mot à dire lorsqu’il s’agit de virer et remplacer celui qui commande à nos troupes en Afghanistan, qui est grave : c’est l’adoption inutile et à contretemps des standards américains, technologiques bien sûr malgré leur échec après 30 ans de RMA et de TransformationD>, mais aussi bureaucratiques qui assèchent nos forces d’un millier d’officiers désormais ronds-de-cuirs qui font défaut sur le terrain.

    Que dire alors du Livre Blanc de 2008 rédigé par une commission Mallet dont les membres furent sélectionnés en proportion de leur allégeance atlantiste, commande du prince où l’on invente un concept stratégique de résilience tiré de la psychanalyse de salon ? Discours dont on réalise la vacuité et l’inanité malgré une littérature acrobatique qui tente d’y mettre de la consistance, qui a rouvert la voie à une résurgence de l’extrême droite, mélangeant délibérément guerre étrangère et sécurité intérieure, voyant derrière chaque Beur des quartiers un Taliban en puissance ; discours que l’armée ne peut accepter sans devoir un jour intervenir sur le territoire national, alors qu’elle sait que, historiquement et constitutionnellement, elle ne le peut pas.

    Ceci étant dit, ou plutôt redit, et comme je l’avais écrit il y a trois ans dans mon Sarko l’Américain, l’avantage du personnage est sa consternante prévisibilité, à l’image de tous ceux qui se coulent dans le déterministe le plus étriqué. Il en avait donné un avant-goût six mois avant son élection, dans un retentissant entretien paru dans Philosophie Magazine, où il définissait la liberté uniquement sous l’angle de la transgression (ce en quoi il n’est finalement qu’un gamin de banlieue…) : il vient de récidiver la semaine dernière, en faisant du « non » systématique le signe du caractère responsable. Dès lors que la politique d’une vieille nation millénaire semble être rabaissée au rang de travaux pratiques du premier cours de première année de psychanalyse appliquée, l’étape suivante de cet homme qui se cherche encore la soixantaine venant sera, après la recherche du géniteur, celle du meurtre du père. « Ce sera le jour où Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy-Bocsa trouvera la force et le courage de dire en notre nom à tous : Merde à l’Amérique ! ». Dans l’intervalle, Wikileaks aura été utile, non pour nous apprendre quoique ce soit que nous ne sachions déjà, mais pour nous confirmer que, depuis mai 2007, la France perd du temps, et que dans ce monde qui bouge trop vite, ce retard risque de lui être fatal.

    Jean-Philippe Immarigeon (De Defensa, 3 décembre 2010) 

     

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  • Des hommes, des dieux et des commentaires...

    La publication du texte de Marie-Thérèse Bouchard, Des mous et des dieux, consacré au film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, n'a pas laissé certains de nos lecteurs indifférents !... Nous publions ci-dessous une belle réponse de Claude Bourrinet.

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    Evidemment, aimer un film que le grand public semble consacrer n’est pas de bon aloi. Des navets récoltent trop souvent les lauriers d’une notoriété frauduleuse. Mais cette fois-ci, le bon goût est au rendez-vous, et, beaucoup plus rare, la spiritualité la plus exigeante. Et ce qui en résulte, c’est une émotion exempte de démagogie, de facilités cynique, de ce machiavélisme qui fait pleurer Margot. Qu’en aurait fait Hollywood ? L’art du cinéma authentique consiste à nous confronter à la vérité. Par le mensonge de l’art, précisément, mais à condition qu’il soit aussi généreux qu’un conteur qui dit le conte, qui entre dans l’âme en respectant les yeux et les oreilles.

    Là, nous sommes vraiment face à Dieu, et avec les hommes.

    Xavier Beauvois avait fait un pari, très risqué. Celui d’être lui-même, de rendre franchement la réalité vécue d’une tragédie. C’était un défi presque irréalisable, car, de fraîche mémoire, le sacrifice consenti de moines cisterciens-trappistes dans un pays qui reste encore si douloureusement présent dans notre Histoire, aurait pu clapoter dans le docu-fiction, le facsimilé de reportage racoleur, l’enquête réaliste mensongère, qui cache autant de roublardise qu’un journaliste du petit écran. Là, on est en plein dans le monde, tel qu’il est, et largement au-delà, dans l’éternité, qui est peut-être la seule réalité.

    L’image est une éthique, en effet, et ses mouvements, son rythme, son cadrage. Quelques panoramiques sur les âpres collines du Nord Atlas, paysages filmés, nous dit-on, au Maroc, mais si semblables à ceux de l’Algérie, violente terre qui reste comme une boule au creux du ventre. On partage le regard, le sublime, l’extase. Et puis ce sont les interstices misérables de maisons jamais finies, les ruelles boueuses, les escaliers ruinés, les murs effrités, et la chaude communauté nord africaine, si massive, dans le Bien comme dans le Mal.

    Et ce sont encore des couloirs fuligineux, des cellules en désordre, la pauvreté assumée, une existence vouée au travail qui rapproche des hommes, à la prière qui offre à Dieu.

    L’art subtil du film est d’interpénétrer les deux, insensiblement, par touches successives, comme autant de tableaux d’un chemin de croix, avec la fin prévisible, l’holocauste accepté. On suit, on partage, on comprend ces hommes dont la chair hésite face aux couteaux. La sauvage tuerie du début, l’égorgement de Croates sur un chantier, comme les moutons qu’on saigne à l’Aïd, nous rappelle à la réalité nue, celle de la mort annoncée. Les hommes sont des êtres pour la mort. C’est dire que l’horizon de tout être, peu ou prou, reste la disparition irrémédiable, et la fin d’un corps qui nous est toujours à nous-mêmes présent, même s’il nous est parfois source d’embarras. Car de lui naît le désir, et d’abord de vivre, de voir la lumière du jour, l’appel de l’aube, la fermeture du soir. Et y compris le ronflement en est le souvenir lors même que le sommeil semble nous en éloigner.

    Toute notre société nous conseille de le sauvegarder, ce corps. Ses plaisirs, ses sophismes, ses vérités mêmes persuadent qu’il n’est pas de plus grand bien que la vie. Et c’est bien sûr vrai. Mais qu’est une vie qui se prend comme centre ?

    L’intérêt du film provient en effet de la découverte progressive de l’inanité d’une existence qui se suffirait à elle-même. La lâcheté, la réticence à mourir, la peur de la douleur, la frayeur devant des hommes en armes, redoutables guerriers sans pitié, d’une religion qui se veut ennemie, des tortionnaires, des terroristes enfin, tout cela ramène à l’humain tremblement des chairs, à l’angoisse qui serre la poitrine et fait vaciller la voix. Car ces moines ne sont pas des héros. Nulle faconde. Petit à petit, nous nous sentons comme eux, à leur place, et sans doute partisans de ceux qui veulent fuir. Et soudain, l’évidence : une vie ne vaut rien sans autre chose, qui la transfigure. Bien sûr, ce sont là des mots, et il faut être croyant pour placer Jésus Christ au centre du questionnement. La réponse aux questions n’est d’ailleurs jamais capturée, comme dans des filets, par de hardis pêcheurs sûrs de leur technique. Au contraire, elle vient d’elle-même, et ce n’est pas l’une des moindres surprises du film qu’elle surgit dans la joie. Après, tout peut arriver. L’existence paraît légère, la liberté rend fort.

    Philosopher, c’est apprendre à mourir, disait Socrate. Le film « Les hommes et les dieux » nous transporte en pleine Antiquité. Ou plutôt, c’est le problème éternel de l’homme qui se pose, de donner sens à sa vie.

    Par là peut naître la vraie fraternité. Non celle qui orne les plateaux télé, mais celle qui vient de l’épreuve, et d’une rencontre entre des hommes qui croient en quelque chose. On songe aux face à face homériques, aux échanges de dons entre héros. Le sang peut ainsi être ce don, pour que s’entrevoit, au moins, deux religions que d’aucuns voudraient qu’elles s’entretuent. Les Talibans sont d’un côté comme de l’autre, et trouvent leur bonheur dans le massacre. Trop de malentendus sont attisés pour des intérêts douteux. Les Islamistes, comme les fondamentalistes chrétiens, prospèrent sur des montagnes de morts. Les très belles images d’amitié entre chrétiens et musulmans plaident pour l’inverse. Je crois profondément que les civilisations, par leurs religions, leurs traditions, peuvent se retrouver par le haut. La contemplation, le sacré, la beauté, l’acceptation de l’humaine condition, exactement le contraire de la civilisation de consommation actuelle, sont les valeurs qui sauveront le monde.

    Claude Bourrinet (2 décembre 2010) 

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  • Des mous et des dieux...

    Juste pour casser l'ambiance et pour briser l'unanimisme, toujours un peu inquiétant, de la bonne presse à propos du film Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, nous reproduisons cette tribune de Marie-Thérèse Bouchard, signalée par Novopress.

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    Des mous et des dieux
     
    Pour ceux qui ne veulent plus jamais entendre Le Lac des Cygnes de la même manière, il y a Des Hommes et des Dieux. Ce film sublime, rythmé par un tempo plus lent qu'un larghetto esthétique, nous offre une splendide leçon de vie, aussi cruelle que les flammes de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. Où l'on apprend non sans un étonnement de païen christianisé de loin que le meilleur moyen de conserver sa vie est de la perdre sur terre pour la retrouver dans les Cieux. Où l'on décide donc de se rêver autrement que comme adorateur de la religion de la mort. Où le martyre de moines est donné comme un exemple à un peuple qui se déteste déjà. Où l'apologie de l'islam dépasse l'entendement, dans un contexte qui se veut un hommage à ceux qui ont choisi la disparition, espérant trouver la lumière dans un tombeau.

    Il y a dans Des Hommes et des Dieux, l'amour de la vie des autres mais un détachement complet concernant la sienne, ce à quoi on reconnaît les grands hommes, ceux qui ne craignent pas la mort, mais l'accueillent à bras ouverts après avoir réalisé une tâche qui les dépasse et qui dure après leur trépas. Les religieux, vaches à lait du bled, sont morts pour avoir refusé l'aide d'un Etat corrompu et se sont donc fait massacrer par des forces anarchistes tout aussi corrompues. On saisira la nuance chez saint Jean, qui lui, a assuré une réelle mission, contrairement à nos amis en soutane, fournisseurs officiels de godasses aux miséreux de l'Atlas et serreurs de paluches des terroristes venus gentiment dans un monde pacifique leur réclamer des médicaments la veille de la naissance d'Issa. Non pas que je remette une seconde en question la haute voltige spirituelle de ces gens, je ne suis qu'une salope mortelle, quand je suis en danger, je cours ; mais je me permets de me demander si mourir ainsi a pu servir à répandre le message du Christ en terre musulmane. Tendre la joue gauche peut impressionner des peuples déjà civilisés ; tendre la joue gauche devant des bourrins à kalache est une marque de faiblesse. Ici, point de christianisme civilisationnel, car la civilisation n'aurait pas même le temps d'éclore dans ce dolorisme mêlant beauté des chœurs et beauté de l'âme admirant la faucheuse. Le christianisme qu'il nous reste, ce christianisme identitaire auquel nos tripes se raccrochent est celui des cathédrales qui s'imposent, des chants grégoriens jaillissant des poitrines, faisant éclater le verre, des Stentor vainqueurs plutôt que des martyrs heureux de leur sort, heureux d'une mort cinégénique et inutile. Notre civilisation chrétienne a pu le rester grâce aux fracasseurs de crânes de Maures, nullement grâce aux moines tendant le rectum à Mahomet dans une logique d'amour de l'autre et de respect de sa domination. Le christianisme, c'est l'alliance du profane et du sacré en permanence, ici est sa seule voie de salut. L'église est belle quand, contre ses murs rebondissent les notes de Bach et de Haendel, jamais l'église n'est plus laide que lorsque retentissent les voix chevrotantes des textes débiles des chrétiens débordant d'amour pour quiconque, sauf pour le blanc qui fait la manche sur le parvis de « la maison de Dieu ».

    Cette religion, virile, pure comme le cristal, mystérieuse pour des générations d'étudiants en musicologie, philologie, philosophie, est devenue l'égérie de Télérama quand elle offre au monde des septuagénaires prêts à mourir par solidarité envers les blédards d'outre-Méditerrannée qui n'attendent d'eux que du Doliprane payé par la Versaillaise en quête de bonnes actions mensualisées.
     
    Marie-Thérèse Bouchard ( Blog Marie-Thérèse Bouchard, 3 octobre 2010)
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  • Le grand désenchantement...

    Nous reproduisons ci-dessous des extraits de l'entretien accordé au Monde magazine par le philosophe Bernard Stiegler et publié le 26 novembre 2010. Il analyse le grand désenchantement qui accable notre société... 

     

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    "Nous vivons dans une société jetable. La jetabilité généralisée résulte d'une économie fondée sur ce que l'Autrichien Joseph Schumpeter appelait la« destruction créatrice» et qui a conduit à une obsolescence structurelle et chronique des marchandises - mais aussi des producteurs, des appareils de production et des consommateurs, qui se sentent jetables eux-mêmes et perdent le sentiment d'exister. Tout le système repose sur la fabrication de marchandises sans réelle valeur d'usage parce que sans durabilité. Pour que la consommation continue et que les usines tournent, on a voué tout ce qui constituait le monde à devenir déchet, êtres humains compris, produisant du même coup le sentiment que le monde est devenu, au sens propre, « immonde ». Les hommes, les employés, les contrats de travail, les conjoints, et jusqu'aux produits financiers, sont « poubellisés ». Ce modèle toxique, qui pollue les environnements aussi bien physiques que mentaux, a installé une infidélité systémique, c'est-à-dire un désengagement et un désinvestissement généralisés. Comme le consommateur jette le produit immédiatement passé de mode, le spéculateur jette l'entreprise sur laquelle, tel un pirate, il fait une« opération ». Le capitalisme, qui était fondé sur l'investissement, s'auto détruit par ce désinvestissement structurel et ruineux, c'est-à-dire producteur d'insolvabilité - ce qu'a rendu évident la crise des subprimes. Le problème est que l'autodestruction du capitalisme est aussi la destruction du monde lui-même."

    [...]  

    "La jetabilité résulte d'un devenir pulsionnel du consommateur et du spéculateur. Le consommateur pulsionnel voit toute son énergie libidinale (son désir) canalisée vers les objets obsolescents. Ces objets ne sont donc pas investis: ils sont détruits. L'objet d'un véritable désir est au contraire protégé, voire sanctifié - comme c'est le cas de l'objet de culte aussi bien que de l'objet de l'amour filial ou érotique et de tout processus d'idéalisation, c'est-à-dire de toutes les formes de savoir. Au contraire, la canalisation du désir par l'organisation de la consommation engendre de la déception et conduit à la destruction du désir. Le désir véritable, c'est ce qui transforme les pulsions par l'éducation, l'engagement affectif, la sublimation dans le travail, la création, les activités sociales et citoyennes. Dans les sociétés fondées sur le renouvellement constant de marchandises jetables, le désir ne doit plus s'investir dans ses objets: il doit être réduit à ses dimensions purement pulsionnelles. Ainsi se généralise l'infidélité. Tout est fait pour rendre obsolète le moindre objet sitôt apparu sur le marché. Un symbole effroyable de cette infidélité organisée par le tout-consommation est l'histoire dMem, un petit garçon de 8 ans adopté en Russie par une Américaine qui, . après quelques mois, ne l'ayant pas trouvé conforme à son fantasme, l'a abandonné seul dans un avion avec une lettre adressée aux autorités russes, disant qu'elle n'en voulait plus." 

     [...]

    "[La bêtise systémique est liée] à ce que j'appelle la« prolétarisation généralisée ». La prolétarisation, c'est historiquement la perte du savoir du travailleur face à la machine qui a absorbé ce savoir. Aujourd'hui, la prolétarisation, c'est la standardisation des comportements à travers le marketing et les services, et la mécanisation des esprits par l'extériorisation des savoirs dans des systèmes tels que ces « esprits» ne savent plus rien de ces appareils de traitement de l'information qu'ils ne font plus que paramétrer : c'est précisément ce que montre la mathématisation électronique de la décision financière. Or cela affecte tout le monde: employés, médecins, concepteurs, intellectuels, dirigeants. De plus en plus d'ingénieurs participent à des processus techniques dont ils ignorent le fonctionnement, mais qui ruinent le monde. Ainsi s'installe une véritable « bêtise systémique» qui règne aux plus hauts niveaux des Etats, des partis, des organisations internationales et des multinationales. Prenons l'exemple d'Alan Greenspan, ancien patron de la Réserve fédérale américaine (Fed), dont l'incurie a tant contribué à la crise de 2007. Il a expliqué benoîtement à la Chambre des représentants de Washington qu'il ne savait pas comment marchait le système. Il est très inquiétant de voir le plus haut responsable du secteur bancaire mondial reconnaître son ignorance et révéler son incompétence. Le même Greenspan a contribué à la désignation de Bernard Madoff - un des plus grands escrocs de l'histoire - à la tête du Nasdaq. Nous sommes là devant un exemple majeur de la« bêtise systémique », où la perte d'intelligence du système par ceux qui le dirigent induit une dilution des responsabilités."

    [...] 

    "Pour le psychanalyste Donald Winnicott, le soin que la mère consacre à son enfant vise essentiellement à donner à sa progéniture toutes les raisons de croire que « la vie vaut la peine d'être vécue ». Et il affirme que son propre métier de thérapeute consiste à rendre le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue aux personnes qui viennent le consulter, et dont il pose qu'elles ont « perdu le sentiment d'exister ». Or, relisant ces lignes en 2009,je me suis subitement souvenu que ce sont ces mêmes mots que Richard Durn avait écrits dans son journal intime en 2002, peu de temps avant d'assassiner huit conseillers municipaux de Nanterre: il annonçait qu'il allait devoir commettre quelque chose de mal pour « avoir au moins une fois dans [sa] vie le sentiment d'exister ».Aujourd'hui, ce sentiment d'inexistence, très largement répandu, se transforme en sentiment d'impuissance qui frappe des populations entières face à une sphère politique et managériale totalement décervelée. Cet extrême « désenchantement », pour reprendre un terme que Marcel Gauchet emprunte à Max Weber, est le résultat de la perte de savoirs induite par la prolétarisation généralisée: les travailleurs n'ont plus de savoir-faire, les consommateurs n'ont plus de savoir-vivre, les concepteurs et les décideurs n'ont plus de savoir théorique, c'est-à-dire critique - et ils sont les complices, volontaires ou non, d'escrocs et de mafieux qui exploitent cette situation d'incurie."

    Propos recueillis par Frédéric Joignot (Le Monde magazine, 27 novembre 2010)

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  • La bataille contre le système

    Nous reproduisons ici un texte de Pierre Vaudan, intitulé La bataille contre le système, publié par le site De Defensa, animé par Philippe Grasset. Nous vous recommendons vivement sa lecture. 

     

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    La bataille contre le Système

    Récemment, un ami ulcéré par une situation dont j’ignore encore aujourd’hui le détail, s’était plongé dans La Guerre de guérilla du Che avec une énergie combattante. Je lui avais alors humblement fait remarquer que l’hyper-puissance technologique et communicationnelle du Système rendait désormais impossible toute révolution par des moyens classiques, fussent-ils aussi honorablement inspirés que ceux du Che, et qu’il fallait plutôt réfléchir à la rédaction d’un nouveau manuel de guérilla qui viserait non plus à l’affrontement armé, mais à un travail de termites en quelque sorte, avec pour objectif l’effondrement du Système sur lui-même, sa dissolution. Pragmatique, il me demanda de lui donner l’ABC de ce nouveau manuel, ce dont je fus bien incapable. Mais cela devait amorcer le texte ci-dessous, où figurent quelques pistes.

    La narrative

    1. Les démocraties libérales représentent la forme la plus élevée et indépassable des formes possibles d’organisation sociale. Il n’y a pas d’alternative.

    2. Les valeurs occidentales sont le fruit d’un héritage historique obtenu de haute lutte après des siècles de barbarie. Ces valeurs sont les plus élevées qui soient, les plus respectueuses et bénéfiques pour les collectivités et les individus.

    3. L’Occident est soucieux de permettre à tous les peuples de la terre de sortir de la pauvreté et d’accéder à la liberté grâce à la promotion de son modèle démocratique.

    4. L’Occident œuvre pour la paix dans le monde.

    5. L’évolution de notre civilisation tend toujours vers le mieux.

    6. Le capitalisme et son économie de marché ne sont pas parfait, mais ils sont perfectibles et sont de toute façon le seul modèle viable, il n’y a pas d’alternative.

    Les quelques énoncés ci-dessus sont a priori indiscutables. Ils résument à peu de chose près le regard que portent sur eux-mêmes les Occidentaux. L’homos-occidentalus moyen adhère à ces “évidences” avec l’intime conviction d’être le dépositaire d’un héritage glorieux, convaincu que “sa” civilisation est lumière dans les ténèbres du monde.

    Il est persuadé que cette conviction est le fruit de sa raison, d’une libre pensée nourrie de sa propre observation et de son analyse.

    Or ces énoncés sont au mieux contestables, au pire faussaires.

    Car si le glorieux héritage invoqué ici n’est bien sûr pas sans fondement, l’Occident est aujourd’hui prisonnier d’un Système (américaniste, occidentaliste, anglo-saxon comme on voudra, mais que par commodité nous ne nommeront ici que par le terme générique de « Système ») qui instrumentalise désormais ses idéaux dont il ne conserve que les slogans après en avoir détruit la substance.

    Passage en revue.

    La narrative à l’épreuve du réel

    • La démocratie-libérale, modèle indépassable

    Dans l’écrasante majorité des démocraties occidentales, le régime en place, idéal sur le papier, est un leurre où deux ailes d’un parti unique simulent l’affrontement des idées. Le peuple est donc l’otage d’un simulacre de démocratie. Dans les faits, chaque camp gouverne sous la dictature des marchés, se pliant aux lois d’un Système régi par les seules lois darwiniennes de l’économie.

    • Les valeurs occidentales sont les plus élevées qui soient

    C’est faire peu de cas des ravages de la colonisation et de l’esclavagisme, ces deux sanglantes mamelles qui ont permis hier à l’Occident de financer son industrialisation et qui lui permettent, aujourd’hui encore, de financer son train de vie puisque toutes deux n’ont fait qu’évoluer sans disparaître. Grâce à la globalisation, le Système permet en effet aujourd’hui à l’Occident de faire travailler ses esclaves dans leur pays d’origine, et l’OMC, le FMI ou la BM assurent la poursuite d’une colonisation sans faille des pays en voie de développement par un mécanisme d’endettement forcé.

    • L’Occident soucieux de la pauvreté et de la liberté des peuples

    Là encore, les faits démentent la narrative puisque l’Occident continue à piller les richesses naturelles des pays pauvres tout en leur refusant un commerce équitable, ce qui a pour effet premier de bloquer leur développement et d’accroître leur pauvreté. Les multinationales ont fait main-basse sur “l’agro-business”, affamant des régions entières pour maximaliser leur profit (prise en otage des paysans grâce aux OGM, monocultures intensives, rachat de concessions d’eau qu’on laisse à l’abandon pour forcer l’achat d’eau en bouteilles etc. etc Notons encore que l’essentiel des capitaux qui tournent autour de l’agro-business sont spéculatifs.). Le Système maintient ainsi artificiellement et à dessein l’essentiel de la planète dans la pauvreté pour garantir sa richesse. De plus, puisqu’il se pense universaliste, le Système est un formidable destructeur de cultures. Il assimile, nivelle, dissous les identités et les spécificités culturelles, les dilue, les absorbe, les digère, les uniformise, les reformate.

    • L’Occident œuvre pour la paix dans le monde

    Rien n’est plus faux. Les seules boucheries de masse perpétrées depuis 20 ans sur cette planète (Irak-Afghanistan) l’on été et le sont encore au nom de la démocratie et des droits de l’homme par les armées occidentales, du Système donc. Dans des pays d’Afrique sub-saharienne où le sous-sol est riche en hydrocarbures, le Système et ses groupes pétroliers fomentent ou entretiennent des guerres pour endetter et donc asservir les pays concernés et empêcher par tous les moyens un scénario de type bolivien. Au Proche-Orient, la tête de pont occidentale en territoire barbare, Israël donc, est soutenue dans toutes ses boucheries depuis 60 ans par le Système. Dans sa nouvelle doctrine nucléaire, Washington menace même les pays qu’il jugera “proliférateurs” de frappes nucléaires préventives, même si ces derniers ne disposent pas de l’arme atomique (1). En clair, puisque la menace nucléaire iranienne est un conte, le Système est désormais théoriquement prêt à faire usage de l’arme atomique pour imposer son modèle aux récalcitrants trop turbulents.

    • L’évolution de notre civilisation tend toujours vers le mieux

    Certes, à l’intérieur de la civilisation occidentale, on ne torture plus physiquement, on n’emprisonne plus les gens pour leurs idées (José Bové soutiendrait toutefois le contraire). Mais le Système opère un contrôle de plus en plus inquisiteur sur les individus sous couvert de sécurité, et l’on voit les prémices d’une répression soft mais grandissante de toute pensée non-conformiste à mesure que les contradictions du Système apparaissent. L’illusion de la liberté, et finalement de la vie pourrait-on dire, ne provient essentiellement que de l’accès d’apparence libre mais en réalité imposé (comment y échapper ?) à toutes les formes de saturations sensorielles. Simulacre d’exaltation par une sur-stimulation des sens donc, mais qui ne s’adresse toutefois jamais qu’à “nos passions tristes”. Ce qui caractérise le mieux la civilisation occidentale aujourd’hui, est le constat de la perte complète du sens. Intuitivement, on pourrait avancer que la raison n’a finalement jamais réussi à combler le vide laissé par le meurtre de Dieu (1789 : naissance de la seconde civilisation occidentale). Dans le Système occidentaliste, l’individu lutte en permanence contre une sensation de vertige, de vide, qu’il est sensé combler par un acte d’achat répété jusqu’à l’hystérie et/ou la nausée (Ô mon Dieu, mais quand va donc enfin sortir la nouvelle version du dernier MacdoPhoooone ?). En définitive, l’homo-occidentalus ne sait plus vraiment pourquoi il vit.

    • Le capitalisme n’est pas parfait, mais il est perfectible et de toute façon, il n’y a pas d’alternative.

    Arrivé désormais à sa pleine maturité, le système capitaliste dans sa version néo-libérale se révèle une machine monstrueuse, nihiliste à l'extrême, anthropophage dans sa nature profonde. Les licenciements de masse font s’envoler les actions des entreprises; les catastrophes naturelles sont considérées comme des aubaines pour relancer l'économie; le principe de précaution est sacrifié aux exigences du profit immédiat; c’est le règne du court terme ; la privatisation et la manipulation du vivant n'est qu'une perspective de plus d'enrichissement ; on préfère laisser crever des millions d’Africains plutôt que de baisser le prix des trithérapies. Au final, le capitalisme dans sa version ultime corrompt tout ce qu'il embrasse, de l’esprit à la biosphère, se dévorant finalement lui-même à coups d’OPA agressives, imposant aux sociétés qui lui sont soumises la décadence des mœurs, le desséchement de la pensée et de l'âme, le meurtre de l’environnement. Comme l’écrit Esther Vivas, «Le capitalisme a démontré son incapacité de satisfaire les besoins fondamentaux de la majorité de la population mondiale (un accès à la nourriture, un logement digne, des services publics d’éducation et de santé de bonne qualité) tout comme son incompatibilité absolue avec la préservation de l’écosystème (destruction de la biodiversité, changement climatique en cours).» En ce sens, le capitalisme est tout simplement une dynamique destructrice du vivant. Même dans sa “zone de privilège”, l’Occident donc, le capitalisme ne gouverne que par la violence : docilisation des masses par la précarisation ; paupérisation ; enfermement des individus dans les dettes pour achever de verrouiller leur dépendance au Système. Mais le capitalisme s’avère aussi incapable de résoudre ses contradictions (à qui vendre mes voitures puisque je mets mes acheteurs potentiels au chômage pour délocaliser et produire à moindre coûts etc…). Là encore, la narrative se fait d’autant plus agressive qu’il faut masquer une impasse de plus en plus visible.

    La manipulation des psychologies

    Et pourtant, l’Occident ne se pense qu’au travers de l’image parfaite et honorable dont il s’est doté comme une entreprise se dote d’une identité visuelle, de ce masque de vertu dessiné par sa machine de communication et qui est si prompt à se sentir outragé par la barbarie de l’“autre”.

    Comment est-ce possible ?

    C’est là qu’entre en jeu la fantastique puissance communicationnelle du Système. Un machine non pas de propagande (le propagandiste sait qu’il trompe), mais de création d’une réalité virtuelle.

    La distinction est importante. Car le Système ne peut fonctionner que sous certaines conditions, dont l’une des principales est la sujétion volontaire des masses au Système. En l’absence de cette sujétion volontaire, le Système serait en effet contraint de révéler sa nature profonde, qui est totalitaire, et s’exposerait alors à être contesté, puis combattu, ce qui serait contre-productif, donc contraire aux buts du Système.

    Or, là où la propagande s’attaque à la pensée et tente d’asséner des mensonges mille fois répétés pour en faire des vérités (cf Goebbels), la machine à réalité virtuelle du Système manipule la psychologie. C'est-à-dire le point de contact le plus intime entre le Système et l’individu. L’élément subtil par lequel l’individu perçoit, ressent le Système, et par lequel le Système touche au plus profond de l’individu.

    Et seule la manipulation de la psychologie peut susciter la sujétion volontaire recherchée.

    C’est pourquoi nonobstant une poignée de marionnettistes, tout ce qui fait la communication du Système, c'est-à-dire l’élite politique mais aussi, bien sûr, la presse-Pravda, les plumitifs du prêt-à-penser, le tout Hollywood et ses avatars, croit généralement au caractère indiscutable des énoncés cités en préambule, croit en la pureté intrinsèque du Système (n’est pas meilleur menteur que celui qui croit dire la vérité…).

    Chacun des hérauts du Système défend donc la réalité virtuelle ainsi créée avec d’autant plus de hargne qu’il lui est vital d’y croire pour son équilibre psychologique justement, au point qu’on peut même soutenir qu’il désire intensément être trompé, par paresse, conformisme et peur de l’inconnu bien sûr, par crainte de perdre ses privilèges sûrement, par angoisse du vide sans doute.

    On constate d’ailleurs que ces dociles communicateurs ne combattent jamais avec autant de rage toute contestation de Leur Vérité, que lorsqu’ils en suspectent tout à coup malgré eux l’éventuelle fausseté (l’exemple nous est donné ici par la violence avec laquelle sont traités ceux qui contestent la version officielle des attentats du 11 Septembre.)

    L’individu sous perfusion permanente

    A l’heure de l’hyper-technologie, la puissance du flux communicationnel du Système est désormais telle qu’il est bien difficile d’y résister, et impossible d’y échapper.

    La télévision est bien sûr le principal vecteur des valeurs du Système, de sa réalité virtuelle donc. Là où l’on fait globalement sans cesse l’éloge des valeurs de l’Occident, de la justesse de ses croisades, des bienfaits du libre-marché, et c’est là aussi que directement ou implicitement on désigne l’ennemi, on caricature l’autre et les valeurs de l’autre, le barbus fanatique, l’insondable et menaçant bridé, le nègre sauvage et sanguinaire.

    Or un français de plus de 4 ans passe, par exemple, en moyenne 3,36 heures devant sa télévision chaque jour. C'est-à-dire qu’en un an, il reste assis à fixer une petite boîte diffusant les messages du Système durant…. 54 jours sans discontinuer, soit presque… deux mois jours et nuits par an.

    Dans la presse, considérée généralement comme plus critique, les valeurs citées en préambule ne sont jamais fondamentalement remises en question (sauf éditos alibis s’entend). Ajoutons donc à cela le temps de lecture. Et puis les messages publicitaires qui jonchent les rues et célèbrent les vertus du consumérisme, de la joie de posséder, c'est-à-dire qui célèbrent la plus haute vertu proposée par le Système, l’orgasme marchand : l’achat.

    Bref, l’individu moyen est quotidiennement soumis aux stimuli du Système et à sa réalité virtuelle. Il est sous perfusion quasi permanente.

    L’avantage de la réalité virtuelle sur la propagande, c'est-à-dire l’avantage de manipuler les psychologies plutôt que la pensée est donc évident. Car au lieu d’avoir des individus qui ânonnent sans y croire les vertus d’un système en le honnissant (cf ex-URSS), l’homo-occidentalus fait l’apologie du Système en étant persuadé de le faire de son plein gré en fonction d’un raisonnement libre, juste et bon.

    L’individu se confond avec le Système qui a pénétré sa psychologie (2).

    La liberté dans les interstices des rouages

    Reste que cette manipulation en profondeur, malgré son caractère apparemment soft puisqu’elle vise une sujétion non contrainte, reste d’une violence terrible pour les psychologies. Difficile en effet de faire croire sans conséquences sur le long terme que le noir est blanc, que le bas est en haut, que la bassesse puisse être vertu.

    Instinctivement, nombreux sont donc ceux qui ressentent intuitivement un malaise au spectacle de cette réalité virtuelle : “on sent bien que quelque chose cloche, mais quoi…”

    C’est que le réel, un peu comme lorsque l’image d’une télévision est secouée par des parasites, fait régulièrement irruption dans la narrative du Système, sans que celui-ci puisse l’empêcher.

    Crise économique majeure qui oblige le Système à se sauver lui-même en reportant la dette des spéculateurs sur les peuples ; boucherie puis débandade militaires masquées en opération de libération et en victoire (Irak), manipulations trop grossières sur les buts de guerre (cf. la fable des armes de destructions massives irakiennes) ; le réel entre parfois trop brutalement en contradiction avec la narrative du Système et en démasque au moins brièvement la supercherie.

    Nombreux sont donc ceux qui, en proie à ce malaise, y cherchent une explication et sont donc réceptifs à d’autres informations, dissidentes ou alternatives comme on voudra, que le Système, et c’est là sa principale faiblesse, ne peut pas filtrer sans se désavouer lui-même puisqu’il s’affirme comme un espace de liberté. En ce sens, on constate que la narrative du Système est en même temps sa prison.

    L’on pourrait donc caricaturer en disant que la vraie liberté se situe aujourd’hui dans les interstices des rouages du Système, dans ces espaces que le Système est contraint de laisser ouverts s’il veut lui-même fonctionner.

    Internet est truffé de ces espaces là. Il est bien sûr un outil formidable de communication au Service du Système, mais sa nature ubuesque a aussi ouvert une faille béante dans sa narrative car, pour la première fois, l’information échappe au contrôle du Système.

    De plus en plus de sites dissidents gagnent ainsi en audience et jouent un rôle “d’éveilleur” que le Système ne peut combattre frontalement. La presse-Pravda tente bien sûr désespérément de jouer l’opposition entre le mythe d’une info vérifiée, professionnelle, sérieuse contre le tout et n’importe-quoi qu’Internet produirait essentiellement. Mais c’est un baroud d’honneur.

    Vers l’esprit de résistance

    Et c’est là que l’on discerne les premières clés d’un nouveau manuel de guérilla possible, qui obéit grosso modo aux règles de la guerre de 4ème génération, c'est-à-dire ce que l’on appelle la guerre du faible au fort. Une guerre de harcèlement donc où, passez-moi l’expression, une poignée de moustiques peut efficacement s’employer à piquer le cul de l’éléphant jusqu’à le pousser à la faute, ou à le rendre fou. Les principes sont anciens (retourner les armes de l’adversaire contre lui, exploiter les failles dans sa défense, susciter la discorde chez l’ennemi), mais les moyens nouveaux.

    Il s’agit d’attaquer le Système dans sa narrative, de le marquer à la culotte, de le démasquer, d’en révéler au jour le jour les supercheries, les sophismes, les manipulations. L’objectif étant bien sûr de discréditer le Système et ses zélateurs par la mise en concurrence acharnée de sa réalité virtuelle et du réel.

    Ce combat en est au stade embryonnaire pour l’instant, et il est prévisible que le Système cherchera la parade par des astuces technologiques ou législatives.

    Mais au final, le combat est engagé. Et l’on pourrait dire que le champ de bataille se situe aujourd’hui dans cet espace infime et gigantesque à la fois que constitue le doute, la malaise que fait ressentir aux psychologies la manipulation du Système. Ce malaise est comme une faille qu’il faut élargir pour que s’y engouffre le réel. Ensuite, il appartiendra au dormeur de se réveiller en acceptant le vertige du réel, pour que puisse naître en lui l’esprit de résistance, le désir du combat.

    En attendant le coup de pouce de l’Histoire

    Aujourd’hui, le Système est profondément malade de ses contradictions. La supercherie est de plus en plus difficile à masquer. Les crises se multiplient et les seuls remèdes que sont capables de proposer les élites du Système sont de nature cosmétique bien sûr. Car le Système ne peut ni ne veut être réformé en profondeur, car ce serait admettre sa faiblesse, son inadéquation au réel. La seule préoccupation du Système est donc de protéger sa narrative, d’imposer à tous le déni du réel. Alors une crise succède à une autre crise, qui en abrite elle-même cent autres. Car le réel est là, comme un volcan, qui couve sous la cendre.

    Nous l’avons dit, la narrative du Système est en même temps sa prison. Sa force est donc sa faiblesse. Il est contraint de sauver les apparences, et sauver les apparences, c'est-à-dire la réalité virtuelle, lui impose des limitations terribles de ses capacités. Par exemple, sa machine de guerre, capable de renvoyer n’importe quel pays à l’âge de pierre, peut être réduite à l’impuissance à cause de cette narrative justement. En Afghanistan, on observe ainsi que les bavures, dès qu’elles sont connues, ont pour premier effet de compromettre les opérations en cours en obligeant le Système à clouer son aviation au sol, au moins le temps de faire oublier les crimes, de rétablir la narrative. S’en suit une suite interminable de surge qui ont tous ont la prétention d’être “la grande opération finale” et qui s’achèvent systématiquement en fantastiques ratages. De par les contraintes de la narrative, l’hyper-puissance militaire devient donc souvent impuissance avec, là encore, un désordre permanent qui s’installe. La hiérarchie militaire du Système se retrouve alors à hésiter sans cesse entre le désir d’atomiser les talibans, ou celui de les intégrer au gouvernement.

    C’est que le Système s’avère désormais lui aussi incapable de résoudre ses contradictions. Le Système est en crise car la structure même du Système le conduit inéluctablement vers la crise.

    Toutes les conditions sont donc réunies pour l’effondrement final. Mais à notre avis, seul un événement majeur pourra permettre aux peuples d’Occident de se libérer définitivement du Système. Un événement qui ne peut être qu’une fracture, un schisme, coup d’envoi de la dernière phase de l’effondrement attendu, à l’implosion, à la dissolution.

    Or il se trouve que la crise du Système rencontre aujourd’hui une autre crise, celle des Etats-Unis, matrice du Système justement. C’est là en effet que le monstre a été conçu, nourri, là où il a pris son envol, a déployé ses ailes.

    Notre thèse est donc que cet événement majeur tant attendu, le schisme, la fracture, pourrait prendre la forme d’une fracture transatlantique à la faveur de l’effondrement en cours de la puissance américaine.

    L’effondrement du Système américaniste et/ou occidentaliste qui enchaîne les esprits et les nations depuis la fin de la Seconde guerre mondiale pourrait donc être, pour l’Europe et l’Occident en général, le moment tant attendu de sa vraie libération, de sa renaissance.

    Encore faudra-t-il que suffisamment de dormeurs se soient réveillés d’ici là pour prendre les commandes de ce nouveau départ, et éviter que l’Histoire ne bégaie.

    C’est à notre sens l’enjeu du combat d’aujourd’hui.

     

    Pierre Vaudan (De Defensa, 26 novembre 2010)

     

    Notes

    (1) «J’estime que le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) contient un message très ferme tant pour l’Iran que la Corée du Nord, a déclaré le secrétaire à la Défense américain, Robert Gates en présentant la nouvelle doctrine nucléaire américaine. Ce qui signifie que si vous acceptez de jouer selon les règles nous entreprendrons la mise en œuvre de certaines obligations envers vous; si vous devenez des “proliférateurs”, alors toutes les options sont sur la table.»

    (2) On sait que la CIA a expérimenté (faut-il parler au passé ?) des techniques de torture psychologique qui consistent à asséner de manière répétée des chocs sensoriels aux individus pour “laver leur psychologie”. Non pas pour y inscrire des messages nouveaux (ça c’était la technique obsolète du lavage de cerveau), mais pour en faire en quelque sorte une page blanche qui puisse être dès lors ouverte et réceptive à de nouvelles perceptions (cf Naomi Klein, La Stratégie du choc).

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  • La crise et ses responsables...

    Le film enquête de Charles FergusonInside job, actuellement sur les écrans, lève le voile sur la crise de 2008 et ses responsables directs. Evidemment, ce n'est qu'une mise en cause du fonctionnement du système et non pas du système libéral lui-même. Néanmoins, c'est efficace et instructif...

    Inside job.jpg

    "La dépression mondiale, dont le coût s'élève à plus de 20 000 milliards de dollars, a engendré pour des millions de personnes la perte de leur emploi et leur maison. Au travers d'enquêtes approfondies et d'entretiens avec des acteurs majeurs de la finance, des hommes politiques et des journalistes, le film retrace l'émergence d'une industrie scélérate et dévoile les relations nocives qui ont corrompu la politique, les autorités de régulation et le monde universitaire. Narré par l'acteur oscarisé Matt Damon, le film a été tourné entre les Etats-Unis, l'Islande, l'Angleterre, la France, Singapour et la Chine."


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