Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue - Page 226

  • La raison du plus fort...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Lauri Volpi, cueilli dans la nouvelle lettre d'information Centurie News et consacré, en s'appuyant sur l'exemple corse, à la nécessaire résistance identitaire face à l'immigration de masse...

     

    Corse_Identité.jpg

    La raison du plus fort

     

    Après avoir laissé se constituer un bidonville de plus de 12 000 migrants aux abords de Calais, l’Etat a décidé d’agir à l’approche des élections.  Près de 12 000 personnes seront donc ventilées dans toutes les régions françaises. Toutes ? Non, pas en Corse. Le gouvernement ne s’y risquera pas pour éviter de nouveaux incidents, qu’il ne craint visiblement pas dans d’autres parties du territoire. Peut-être n’est-il pas inutile d’évoquer les ressorts de la spécificité corse pour mieux comprendre sa capacité de résilience à la politique de population du gouvernement français et de l’UE. 

     

    La Corse n’a pas d’Etat propre. C’est un peuple et une terre. Une île belle et rude sur laquelle se maintient une population aux caractéristiques génétiquement stables depuis presque 20 000 ans (lire CenturieNews N°1). Comme d’autres peuples restés sans Etat pendant des siècles (Kurdes et autres), les Corses assurent encore au niveau local les fonctions qui permettent de maintenir une harmonie fondée sur des normes communes. Edward Goldsmith, pour évoquer cette capacité des communautés à maintenir leur cohésion, évoquait le « contrôle social par le potin méchant ». Comme d'autres peuples, les Corses maintiennent eux-mêmes des règles et coutumes qui ne dépendent pas de lois ou des institutions, échappant encore un peu aux capacités d’influence des médias de masse. C’est bien cette particularité de fonctionnement qui leur a permis de maintenir une personnalité collective propre. C’est la raison pour laquelle, les petits ayatollahs de banlieues se heurtent là-bas à des réactions spontanées.

     

    En effet, les Corses ne se demandent pas s'il est légal, ou conforme à la morale médiatique de réagir à ce qui heurte leurs réflexes territoriaux, leurs coutumes ou leur sens de la justice. Les Corses réagissent encore parce qu’ils n’ont pas laissé à un Etat le soin de réglementer ou baliser leur vie quotidienne. Et ce, bien avant que cet Etat ne confie cette tâche à encore plus éloigné et plus malfaisant que lui ; l’Union Européenne et les transnationales.  « In terra chè tù vai, fà usu chè tù trovi ». (Lorsque tu arrives dans une autre terre, conforme-toi aux usages que tu y trouves). Voilà ce que savent les Corses et tous les peuples qui n’ont pas perdu la tête.

     

    De plus, malgré le passif « anti-impérialiste » des têtes de gondoles politiques du «nationalisme Corse», mécaniquement pro-immigration par archaïsme, reliquat d’un temps où les revendications ethniques étaient réinterprétées en vue de la lutte de classe, ceux-ci, à l’instar d’un Jean-Guy Talamoni ou d’un Gilles Simeoni, ont dû faire profil bas devant la pression populaire, lors des rixes de Sisco.

     

    Alors, les événements de Sisco de cet été sont-ils les signes de tensions  intercommunautaires susceptibles de déboucher tôt ou tard sur une guerre civile ? C’est malheureusement probable et voici pourquoi.

     

    Sous l’effet des inévitables souffrances provoquées par l’histoire (crise économique, guerres, désordres sociaux graves, épidémies etc.) les communautés humaines cherchent instinctivement à reformer leur cohésion interne pour réagir et s’adapter. A l’instar des rassemblements de masse après les attentats, à l’image d’un Renaud en cure, étreignant un « flic » dans une manif « Je suis Charlie ».

     

    Or il existe trois façons de maintenir l’unité d’un groupe humain. La première est d’intégrer ses parties à un principe unitaire surplombant. L’idée nationale a joué ce rôle dans le passé. On ne voit guère poindre de principe supérieur, susceptible de rassembler un pays déchiré comme la France et les incantations aux valeurs de la République n’y pourront plus grand-chose. La deuxième, est d’assimiler les populations  en imposant à tous, non seulement des règles, mais aussi une culture et une langue commune, pour fondre ces différences dans un moule unique. C’est d’ailleurs le point de vue  défendu par le journaliste Eric Zemmour et aussi celle du Front National de Marine Le Pen et Florian Philippot. Il suffit pourtant d’un instant pour mesurer à quel point ce projet politique n’est pas tenable. Car enfin, quel Etat  - au surplus renouvelable tous les cinq ans - aura la force d’appliquer une politique suffisamment vigoureuse pour réduire les gouffres de sensibilités, de cultures, de valeurs, de coutumes, créés par l'immigration de masse extra-européenne ? Il ne faut pas être grand-prêtre pour deviner quelles tempêtes déchaineraient une telle politique au regard des difficultés à surmonter. Elle déboucherait probablement sur l'option suivante.

     

    Car la dernière option pour reformer l’unité des communautés humaines dans l’histoire est celle de l’exclusion des corps étrangers inassimilables. Ce processus s’impose toujours quand les deux autres ont échoué. Et si l’Etat n’engage pas lui-même cette mise à distance des populations qui restent étrangères, par l’expulsion ou la partition, la guerre civile survient, comme le déclenchement intempestif d’un processus d’exclusion réciproque. Les politiques s’effacent alors pour laisser la place aux nervis.

     

    Pour l’instant,  les élites cherchent la réduction des antagonismes fabriqués par le multiculturalisme et l’immigration de masse en affaiblissant la culture et les normes de la population autochtone et temporairement encore, majoritaire. A la manœuvre, la sainte alliance des utopistes de gauche et de la finance transnationale apparaît évidente. Le milliardaire George Soros,  finançant simultanément les Femens (ultra-féministes) et le CCIF (communautaristes musulmans), est emblématique de cette convergence d’intérêts. Cette stratégie fonctionne mais provoque une montée de la colère de la population contre les institutions et le personnel politique, mais aussi contre les populations soutenues préférentiellement et systématiquement par le complexe médiatico-politique.

     

    On a vu pourquoi les Corses résistaient mieux que d’autres au reformatage civilisationnel. Voilà pourquoi il est probable que la Corse, ou une population qui a échappé au rouleau compresseur jacobin, sera le lieu où les premières étincelles se produiront. On pourra encore quelques temps ignorer les leçons de l’histoire. Mais sur les terres insoumises, les feux se propagent vite et deviennent rapidement incontrôlables et violents. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a soigneusement oublié la Corse, dans son projet de ventilation du bidonville de Calais.

     

    Lauri Volpi ( Centurie News n°2, 15 septembre 2016 )

    Lien permanent Catégories : Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Quand le système judiciaire français coule à pic...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du criminologue  Xavier Raufer, cueilli sur Atlantico et consacré à la déliquescence de la justice française... 

     

    hollande_urvoas_justice.png

     

    Justice, ruine et délires : quand le système judiciaire français coule à pic

    Tribunaux surchargés, gardiens de prison débordés, laxisme généralisé : l'institution judiciaire, clé de voûte de la République française, est aujourd'hui dans un triste et inquiétant état.

    • A l'intention des persécuteurs stipendiés "Décryptage", "Décodeurs" & co., membres du Taubira-fan-club : tous les faits et chiffres ici mentionnés sont dûment sourcés et bien sûr, à leur entière et inquisitrice disposition.

    1) La ruine

    Une justice de qualité est-elle encore rendue dans la France de l'automne 2016 ? On peut en douter car le (fort pâle) garde des Sceaux lui-même parle d'une justice "exsangue". Situation d'autant plus grave que, bien sûr, la justice est la clé de voûte de tout Etat de droit.

    Commençons par une - affligeante - visite du domaine judiciaire. Déjà, il est bien sous-dimensionné : par rapport à la moyenne de l'Union européenne, la France compte quatre fois moins de procureurs et deux fois moins de juges.

    En France même et à l'automne 2015, le président de la conférence des procureurs dénonce "la faillite du service public de la justice" et - fait rarissime - les forts mutiques procureurs généraux élèvent désormais la voix. Tous dénoncent "des retards persistants d'exécution des décisions" et des "difficultés croissantes à faire fonctionner les chambres et fixer les audiences". Ainsi, en juin 2016 "au tribunal de Bobigny, 7 300 peines attendent d'être appliquées".

    Avocats d'un côté, syndicalistes de la pénitentiaire de l'autre, tous dénoncent des "juridictions françaises en ruine". Bobigny, on l'a vu, mais aussi Créteil, Nanterre, Brest, Agen, Nantes : postes vacants, exécrables conditions de travail, piètres qualités des jugements ; encore et toujours, énormes délais d'audiencement.

    Côté syndical, on constate que les détenus deviennent maîtres des prisons - bandits, islamistes, hybrides (les deux ensemble, type Kouachi-Abdeslam-Coulibaly). Résultat : mutineries et émeutes à répétition, gardiens agressés dans des maisons (d'arrêt ou centrales), où la discipline se perd. Le patron du principal syndicat pénitentiaire parle de "déliquescence du système" et d'"autorité en fuite". Dans les prisons, désormais, "presque chaque détenu possède un portable. Certains en ont plusieurs" - quand c'est bien sûr formellement interdit.

    Autre symptôme d'effondrement, les cafouillages dans l'appareil judiciaire ; d'abord, les "libérations intempestives". "Toujours plus de détenus relâchés devant l'impossibilité de s'expliquer devant un juge". Faute d'escortes, des multirécidivistes sont ainsi purement et simplement libérés. Au-delà, des couacs judiciaires en rafales (parmi vingt autres ces derniers mois) :

    "Le receleur remis en liberté après une erreur du tribunal"... "Prison : une faute d'orthographe lui permet de sortir et de s'évader"... "Une figure du milieu marseillais libéré pour délai judiciaire dépassé", ainsi de suite.

    Autre couac, financier celui-ci. "Victime" d'un premier imbroglio judiciaire, un islamiste de gros calibre reçoit du ministère de la Justice... un chèque de 20 000 euros de dédommagement. L'Obs' - qui n'est pas exactement un brûlot sécuritaire - dénonce une "erreur judiciaire grossière".

    A Montargis, des documents de justice confidentiels sont mis à la poubelle et jonchent le trottoir.

    Bien sûr, il y a eu les ravages-Taubira, ses expériences libertaires conclues par un bide intégral. Son diaphane successeur finit ainsi par reconnaître l'échec de la "contrainte pénale" (seul acte notable de l'ère Taubira), un "outil peu utilisé par les juridictions". Dit en clair : les magistrats se tapent des inventions de la camarilla-Taubira. S'ajoute à cela le foutoir qui règne depuis lors dans le (pourtant crucial) suivi des condamnés. Dispositif que la Cour des comptes, qui peut avoir la litote cruelle, dénonce en mai 2016 comme "empilement de nombreux acteurs qui peinent à s'organiser et coopérer".

    L'idéologie libertaire est bien sûr en cause, mais aussi, une vaste incompétence. Ici, le récent et triste exemple donné par Mme Adeline Hazan, "contrôleuse générale des lieux de privation de liberté" (Inspecteur des prisons, en novlangue socialo). A l'été 2016, la "contrôleuse" déclare ainsi que "plus on construira de places de prison, plus elles seront occupées" - pathétique ânerie sur un banal effet d'optique-statistique, que l'on explique, pour le corriger, aux étudiants en criminologie de première année, vers le deuxième ou troisième cours...

    Bazar, idéologie, incompétence... Là-dessus, les bobards de journalistes naïfs ou complices. Après un braquage, combien de fois lit-on dans le journal que "le vol avec usage ou menace d'une arme est puni, au maximum, de vingt ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d'amende". Bon, se dit le lecteur : au moins, un malfaiteur paiera pour ses crimes. Tu parles.

    Car sous Taubira & succession, voici comment passe la justice, la vraie, celle du quotidien. Août 2016 : lisons "Le Phare dunkerquois", de ces petits hebdos de province où affleure encore le réel criminel. Omar B. est toxicomane. 27 inscriptions au casier judiciaire. Enième affaire de vol en flagrant délit. Tribunal et sentence : "Le condamné n'est pas maintenu en détention (il sort donc libre)... Sa peine de neuf mois fermes est aménagée (en français, annulée) pour qu'il puisse entrer en post-cure et être opéré du genou". Vous avez bien lu. La justice Taubira & co., désormais appendice de la Sécu.

    De telles affaires, chaque semaine.

    2) Les délires

    Dans les décombres de notre justice, les aberrations se succèdent, le burlesque un jour, l'effrayant le lendemain - le scandaleux, toujours - sur un rythme accéléré.

    De ces aberrations, voici la dernière (à ce jour) : Nancy, un criminel incarcéré, en prime, proche d'un "dangereux détenu radicalisé", reçoit par erreur (on l'espère...) les noms des agents pénitentiaires ayant rédigé un rapport sur lui.

    Peu auparavant, un autre bandit incarcéré profite d'une "sortie à vélo" pour s'évader et sauter dans la voiture où l'attend son frère, un islamiste fiché.

    Et Reda B.

    (17 condamnations dont 7 pour braquage) dont on lit qu'il s'est évadé (en 2012) de la prison du Pontet (Vaucluse) "à l'occasion d'un tournoi d'échecs".

    Et ces évasions de la prison d'Amiens - deux en quelques mois ! - où des détenus scient les barreaux de leur cellule... Les draps de lit le long de la façade... Le complice dehors qui jette la corde... A l'ancienne, façon Fanfan la Tulipe ! La direction du lieu-dit, par antiphrase, "de privation de liberté", se demande "comment des lames de scie ont pu parvenir jusqu'à eux" - judicieuse question, vraiment.

    Et ce tribunal de Grenoble qui, d'abord, prend comme caution d'un caïd de la drogue 500 000 euros en espèces, 1 000 billets de 500 euros "dégageant une forte odeur d'alcool... pour dissiper les traces suspectes".

    Parfois, ces foirades confinent au burlesque : "Oise : un cours d'art martial pour les détenus, les surveillants indignés"... "Haute-Garonne : le détenu cachait une piscine gonflable dans sa cellule"... Registre happening, toujours : "Un styliste sans-papiers organise un défilé [de mode] clandestin au Palais de justice de Paris".

    Les sportifs maintenant : "Nantes : à peine condamné, un détenu s'évade du tribunal en pleine audience". Le multirécidiviste "bondit hors du box et s'échappe". Les magistrats, bras ballants. Sans doute, ce bondissant "nantais" a-t-il été inspiré par un "collègue" de Colmar qui, plus balèze encore, "A peine condamné, s'évade par la fenêtre du tribunal".

    Telle est aujourd'hui la justice, Taubira ou post-Taubira. Car, cette dernière partie jouer les idoles pour médias subventionnés - elle dont, à l'automne 2015, l'action était rejetée par 71% des Français - ça ne va pas mieux.

    Un exemple, là encore pris entre dix autres analogues. Février 2016, gare de Lyon : un policier est massacré (triple fracture de la mâchoire, etc.) par un colosse de 110 kilos connu pour trafic de stupéfiants, vols de voiture, rébellion, etc. Arrêtée, la brute épaisse est laissée libre "sous contrôle judiciaire".

    A chaque désastre, le transparent garde des Sceaux promet - que faire d'autre ? Tout va s'arranger... Les contrôles seront renforcés... Puis attend, résigné, que le suffrage universel abrège son calvaire.

    Voici les dernières convulsions. Au gouvernement, incompétents, idéologues et pragmatiques-largués se déchirent. Suite à une pique du Premier ministre sur la modestie de son bilan effectif, Mme Taubira montre les dents et déclare "Je peux devenir méchante".

    Enfin ! Un point sur lequel on peut lui faire pleinement confiance.

    Xavier Raufer (Atlantico, 28 septembre 2016)

     

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Donald Trump, héritier de la gauche républicaine et patriote des années 30 ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 27 septembre 2016 et consacrée au programme de Donald Trump, rarement évoqué dans les médias français...

     

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Syrie : un martyre sans fin

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à la guerre de Syrie. Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et publie régulièrement ses analyses sur le site du Point.

     

    Damas_Ruines.jpg

    Un quartier de Damas en ruines

     

    Syrie : un martyre sans fin

    Le storytelling fait rage depuis 2011 en Syrie. Il brouille les sens et l'entendement. Les Bons et les Méchants sont là, devant nous, Blancs et Noirs, chacun dans leur boîte, crimes de guerre et atrocités contre « rebellitude » armée, sur les victimes de laquelle on s'attarde beaucoup moins, surtout à l'OSDH (Observatoire syrien des droits de l'homme, une ONG basée à Londres)… Le jusqu'au-boutisme des uns et des autres tend l'affrontement vers son paroxysme et semble rendre toute évolution politique pragmatique impossible. Chacun pense encore, du fond de son tunnel mental, pouvoir venir à bout de l'adversaire en faisant assaut de sauvagerie et de résilience. En menant une guerre d'usure de l'horreur et de l'absurdité. L'enchaînement cynique des provocations et des représailles paraît sans fin.

    Il est très difficile de continuer à raisonner politiquement devant un tel désastre humain, de ne pas s'abandonner à l'écœurement devant les images insoutenables. Difficile de ne pas juste s'insurger contre ce régime, et contre lui seul, qui résiste si brutalement à l'anéantissement, aux dépens d'une partie de son peuple, pour le sortir des griffes des islamistes ultra-radicaux que l'on nous présente inlassablement comme des rebelles démocrates. Alors, au risque de paraître insensible et précisément au nom de toutes ces victimes innocentes, il faut malgré tout renvoyer à l'enchaînement du drame et faire apparaître sous les gravats les inspirateurs sinistres d'une telle déconstruction humaine et nationale. Car les acteurs locaux de ce carnage planifié, que ce soit le régime syrien ou les innombrables mouvements islamistes qui ont fondu sur le pays depuis 2011, demeurent largement des marionnettes – actionnées avec une habileté fluctuante. Et il est devient chaque jour plus indécent de feindre de croire que ces poupées de chiffon enragées décideront seules du sort du conflit.

    Un cessez-le-feu mort-né

    La simili-trêve signée à Genève par messieurs Kerry et Lavrov le 9 septembre dernier a volé en éclats. Évidemment. L'administration Obama et les faucons « libéraux » qui l'environnent paraissent en effet de plus en plus tentés d'en finir avec Assad pour gonfler le bilan du président sortant. Quant à la Russie, elle n'a pas d'alternative à la sécurisation d'une « Syrie utile » la plus élargie possible, qui lui assure la part du lion d'un règlement politique ultime. Alors on joue à se faire peur, de plus en plus peur. Moscou accuse Washington d'avoir pavé la voie à une contre-offensive de l'organisation État islamique à Deir ez-Zor (est du pays) en bombardant les forces du régime, tuant plus de 80 militaires syriens. Washington accuse les forces syriennes et russes (incriminant tour à tour la chasse syrienne, puis les hélicoptères russes et enfin des Sukhoï Su-24 qui auraient frappé le convoi deux heures durant) d'avoir bombardé un convoi humanitaire aux portes d'Alep assiégée. Impossible de savoir ce qu'il en est réellement. On peut juste constater que les dommages sur les camions semblent avoir été causés par le feu et par des obus, sans grosse frappe directe ; se souvenir que les rebelles ont rejeté le cessez-le-feu depuis son entrée en vigueur officielle, manifesté contre l'acheminement d'aide humanitaire au profit des populations qu'ils retiennent sous leur contrôle à l'est de la ville, et avaient même accusé l'ONU de partialité. Quel intérêt les forces syriennes auraient-elles eu à attaquer, dans une atmosphère hautement inflammable, un convoi du Croissant rouge islamique avec lequel elles sont en bons termes et dont elles savaient qu'il ne transportait pas de contrebande ?

    Quoi qu'il en soit, le cessez-le-feu était de toute façon mort-né comme les précédents. Moscou ne pouvait réellement souhaiter la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne qui aurait cloué au sol l'aviation syrienne à l'orée de reconquêtes décisives. Surtout Washington, contrevenant aux termes de l'accord du 9 septembre, n'avait nullement l'intention de pousser ses alliés islamistes « rebelles » à se séparer des plus radicaux d'entre eux, le Front al-Nosra (Al-Qaïda) rebaptisé Fateh al-Sham. Logique d'ailleurs, puisqu'ils se servent depuis des années de ces groupuscules pour déstabiliser le régime. Enfin, les États-Unis auraient tout récemment déployé, sans le moindre accord ou consultation du régime de Damas, des forces spéciales et matériels divers dans sept bases militaires au nord-est de la Syrie (là où se trouvent des forces kurdes)... Une préparation dans la perspective d'une offensive générale sur Mossoul ou sur Raqqa, ou simplement dans celle d'un engagement plus décisif encore aux côtés des rebelles et des Kurdes contre les forces du régime syrien ? Bref, la pression monte, à Washington, pour un coup d'éclat, une salve de martialité sur les décombres d'un grand État laïque sciemment livré à une régression antédiluvienne, un fantasme punitif, une rapacité chronique. Tandis que la « coalition » se hâte lentement en Irak vers la reprise de Mossoul, mais doit encore gérer l'indocilité grandissante des Kurdes locaux jaloux de leur autonomie et de leur pétrole, et des milices chiites peu contrôlables qu'elle craint d'armer, on feint encore, en Syrie, de vouloir éradiquer Daech tout en laissant agir ses avatars islamistes les plus forcenés. Tout n'est que jeux d'ombres et de dupes.

    Une guerre d'intimidation

    Au-delà de cet imbroglio sanglant de plus en plus difficilement lisible, il est clair que le sort des Syriens et de leur splendide pays, partiellement réduit en cendres, est le cadet des soucis des protagonistes principaux qui se toisent et s'affrontent à ses dépens, et qui ont non seulement des intérêts divergents, mais des conceptions radicalement opposées de ce que peut et doit être son avenir.

    Les Américains voient en fait, dans les soi-disant « rebelles », des supplétifs commodes à un engagement au sol auquel ils se refusent. Des « terroristes » peut-être, mais surtout des islamistes sunnites anti Assad qui peuvent encore lui ravir le pouvoir et instaurer un équilibre local favorable à leurs intérêts face à l'Iran, et en lien avec la Turquie et l'Arabie saoudite qui demeurent des alliés de fond et de poids pour l'Amérique. À leurs yeux, le terrorisme n'est rien d'autre que l'arme d'un chantage politique s'exerçant contre Damas, mais visant aussi Moscou et Téhéran…

    Quant à la Russie, tout l'art de Vladimir Poutine consiste à s'engager suffisamment pour consolider son influence régionale et conserver sa base au Moyen-Orient, sans s'enliser ni devoir entrer dans une confrontation ouverte aérienne avec Washington dont il a de fortes chances de sortir humilié. Dans cette « guerre des perceptions », chaque capitale doit intimider, irriter, faire douter l'Autre, tout en contrôlant le cycle provocations-représailles pour éviter une « sortie de route » difficilement maîtrisable donc aucun ne souhaite encourir les conséquences. On frôle donc quotidiennement la catastrophe dans les airs, entre chasseurs des deux camps, tandis qu'au sol pullulent les missiles américains TOW livrés aux rebelles par les Saoudiens et les S-400 russes basés à Hmeimim… Depuis le chasseur russe abattu fin 2015 par la chasse turque (dûment renseignée sur le plan de vol des Sukhoï et probablement préparée à cette « mission »), et surtout depuis le bombardement russe, le 16 juin dernier, d'une base d'islamistes aux frontières jordaniennes, attaque jugée « hautement provocatrice » par Washington, la montée des tensions devient inquiétante. Et les pressions politiques à Washington pour en finir militairement avec Assad peuvent faire craindre une opération éclair US ouvrant sur une possible « montée aux extrêmes ». Pourrait-on alors tempérer les réactions d'un Kremlin acculé et humilié ? Moscou vient d'annoncer le déploiement prochain de son porte-avions amiral Kouznetzov au large de la Syrie. Une façon d'exprimer son exaspération croissante ? Sa détermination ? Ou de manifester une nouvelle « ligne rouge » ? L'issue de la bataille d'Alep sera géopolitiquement cruciale, au-delà même du martyre de sa population.

    Une tragédie où l'Occident tient le pire rôle

    La France, elle, parle de crimes de guerre (peut-être à raison) et, fort martialement, dit : « Ça suffit ! » À qui parle-t-elle ? Au régime ? Aux rebelles ? À Moscou ? Même en guise d'écho docile au discours américain, c'est un peu court. C'est d'un cynisme fou surtout, quand on songe à la politique de déstabilisation et de soutien aux islamistes soi-disant démocrates choisie par Paris dès le début de la crise syrienne, au nom de la nécessité d'en finir avec le régime honni et récalcitrant d'Assad. Mais, Dieu merci, notre influence sur le Grand jeu ne s'est exercée qu'à la marge. Même nos alliés américains nous ont lâchés en 2013, sur le point de lancer la curée, au prétexte de l'emploi d'armes chimiques par le régime qui n'a jamais été avéré. Mais les choses auraient, paraît-il, changé et nous serions désormais d'humeur plus lucide et pragmatique. La diplomatie française aurait enfin fait son aggiornamento et pris conscience de la réalité du monde, de certains faits, de son humiliante marginalisation sur la scène mondiale à force de mauvais calculs et de dogmatisme entêté, et en dépit de la valeur et de la compétence de ses armées dont l'excellence l'aurait trop longtemps dispensée d'une vision stratégique véritable. Cette mutation salutaire est encore loin de sauter aux yeux... Et le temps passe.

    Le plus tragique est peut-être que, nous (l'Occident) n'avons pas le beau rôle dans cette sombre affaire, mais le pire : celui de fossoyeurs naïfs d'États laïques complexes, certes répressifs et inégalitaires, mais aussi protecteurs d'une diversité religieuse et communautaire précieuse. Peut-être, en France, notre inhibition face à notre propre édifice régalien, notre engloutissement consenti dans le communautarisme, le renoncement à notre histoire et à notre avenir en tant que puissance structurée, inclusive et protectrice, n'y sont-ils pas pour rien.

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 27 septembre 2016)

    Lien permanent Catégories : Dans le monde, Géopolitique, Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • "Vivre-ensemble" : quand l'Etat dépossède la nation...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte , cueilli sur le site Idiocratie et consacré à une réflexion profonde sur la crise de la représentation et l'autonomisation de l'Etat par rapport à la communauté nationale qu'il est sensé servir...

     

    vivre-ensemble.jpg

    Le vivre-ensemble aux abords de la station Stalingrad à Paris

     

    "Vivre-ensemble" : quand l'Etat dépossède la nation

    Comme François Hollande s'est toujours plus intéressé à l'état de l'opinion qu'à celui de la France, il affirmait sans rire, pendant l'été 2015 : « on voit bien qu'il y a des sujets qui s'installent, comme le terrorisme, la question de l'immigration, l'islam, etc ». Des sujets qui s'installent ! Derrière ces sujets se sont sans doute installées, préalablement, certaines réalités dont il est permis de penser qu'elles ont contribué au délitement des liens profonds de la nation et à l'inquiétude des Français. Les effets de ce délitement souterrain apparaissent désormais au grand jour, mais nos dirigeants se souciant fort peu d'en prendre l'exacte mesure, ils persistent dans les mêmes discours. Ainsi nous assène-t-on plus que jamais les prétendus mérites du fameux « vivre-ensemble ».

    En ces temps de novlangue triomphante, personne n'ignore le sens idéologique de cette expression, dont la neutralité première est passée à l'arrière-plan depuis belle lurette. Le « vivre-ensemble » renvoie ainsi à un type de rassemblement, censé être pacifique, d'individus et de groupes disparates, en lieu et place d'un mode de socialité reposant sur le partage d'une « chose commune ». De fait, c'est un slogan politique. On pourrait le croire emprunté à une publicité vantant la convivialité de surface ayant cours entre membres d'un vulgaire club de vacances, tant il est proche de l'imaginaire puéril contemporain. Toujours est-il qu'il a désormais du mal à convaincre. Il semblerait en effet que de plus en plus de gens ne veulent plus vivre ensemble. Ce que traduisent à leur manière les communautarismes en plein essor, mais aussi le rejet de ceux-ci exprimé dans les urnes, ou encore les tensions multiples au quotidien. Pour autant, envers et contre tout, nos élites ne cessent de promouvoir la coexistence de communautés hétérogènes, la grande juxtaposition blafarde. Les différents communautarismes ne sont d'ailleurs perçus par une partie de ces « élites » que sous la forme d'une velléité passagère, d'une simple étape. Dans l'esprit des Attali, manifestement inspirés par des horizons inconnus à l'homme ordinaire, c'est l'atomisation nécessairement pacifique du corps social qui doit ainsi l'emporter à terme sur toutes velléités contraires, celles-ci étant momentanément utiles cependant pour affaiblir le sentiment du partage d'une « chose commune ».

    Il est utile de le préciser, la notion de « chose commune », l'un des fondements du politique, n'est pas extensible à l'infini. N'en déplaise aux politiciens qui s'emparent parfois de l'expression dans le but étrange de justifier le mouvement vers l'universellement indifférencié, ce nivellement général dont les ravages s'étendent sous nos yeux. L'idée d'un ensemble humain indifférencié renvoie certes à un certain type de commun, de communauté, mais on peut se demander s’il s'agit là d'une communauté proprement humaine, c'est-à-dire dont les liens constitutifs sont d'une certaine qualité, ou si l’on n’est pas plutôt en présence d'un groupe d'individus dont les liens, à force d’être mécanisés, réifiés, relèvent en définitive d'un ordre infra-humain. Reconnaissons-le, loin de constituer un progrès, cette caricature du commun, son double parodique, nous ramène vers les temps les plus archaïques, vers cet état d'avant le devenir-homme tel que l'imaginait Vico au XVIIIe siècle : « l'infâme communauté des choses de l'âge bestial ». Pierre Manent, qui énonce cette citation dans « Les métamorphoses de la cité », prend soin d'ajouter : « quand tout était commun, rien n'était commun. » Le commun n'est possible que précédé par une activation du propre, du différencié, condition cruciale pour l'émergence, en chacun, des valeurs de l' « humanitas » selon les Anciens, autrement dit de l'humain parvenant à maturité. Il faut l'admettre en conséquence, le commun n'est possible que dans un cadre fini, doté de limites protégeant la naissance et l'essor de ce différencié.

     

    La diversité contre la variété

    Cela peut surprendre a priori, mais la marche actuelle vers l'indifférenciation générale est grandement servie par cette idée de diversité que martèlent à l'envi les tenants du « vivre-ensemble ». Pourtant, à l’examen, tout-à-fait cohérente s'avère la démarche des gens de Terra Nova, qui mettent en oeuvre, par leur rhétorique, une technique de fragmentation de la civilisation, un manuel de décomposition. Briser l'unité d'un ensemble vivant en ciblant la complexité de ses liens structurants. Puis, à partir des éléments épars et désormais perçus comme interchangeables, recréer d'autres liens, totalement artificiels. Car, il ne faut s'y tromper, ces déconstructeurs sont des constructivistes. C'est aussi le sens de l'incantation systématique de l' « autre » qui mène, au bout du compte, à la destruction de toute altérité et à la réorganisation implacable de tous sous une norme unique.

    Quasiment élevée au rang de dogme, cette idée de diversité constitue la contrefaçon d'une notion apparemment semblable mais qu'un abîme sépare, la « varietas », surgie dans le monde gréco-romain (poïkilia, en grec, déjà présente chez Homère). Utilisée surtout dans le domaine esthétique, parfois dans le domaine politique, cette dernière a constitué chez les Anciens l'une des toiles de fond cognitives sur laquelle a pu s'esquisser la notion de commun, qu'elle contient en germe. Sous le soleil antique, « varietas » et commun se répondent dans une féconde complémentarité. Ainsi, selon cette vision des choses qui doit beaucoup à l'observation du vivant, l'unité émane de la pluralité parce que la pluralité en question ne se conçoit elle-même qu'ordonnée de l'intérieur. Elle n'est pas chaotique mais intimement harmonique. La « varietas » recèle donc un ordre à la fois souple et ferme, riche et ouvert, mais non ouvert à tous les vents, comme c'est le cas avec la « diversité » propre au « vivre-ensemble ». Cet ordre intérieur, se situant à égale distance du chaos et de l'uniformité, échappe donc à ces deux fléaux, qui sont eux aussi complémentaires dans le système que nous subissons. A l'évidence, ce souci d'équilibre harmonique, pourtant au tréfonds de la psyché européenne, a fini par s'affaiblir au fil des siècles au profit de l'esprit de géométrie. La vigueur séculaire de la notion de commun en politique s’en est trouvée atteinte.

    De fait, le sentiment du commun dans la population diminue aujourd'hui à vue d'oeil, et comme l'esprit du « vivre-ensemble », censé le remplacer, suscite quelque résistance, le ciment réel de la société française consiste finalement en une situation passive de concorde générale. Par nature instable, ce simple état de non-conflictualité, de plus en plus relatif au demeurant, s'appuie surtout sur les intérêts à court terme des volontés individuelles, aveuglément réglées sur les multiples passions étroites qu'érigent en habitus les stimulations du système marchand. Constat désormais bien établi. Comment remédier alors au déséquilibre inhérent à un tel état de dissociété, avec sa dialectique entre concorde et discorde, la seconde venant sans cesse saper la part encore traditionnelle des bases de la première, c'est-à-dire les divers liens de solidarité fondés sur le temps long, un territoire donné et le consentement à une commune perception du monde ? Dès lors que l'on ne fait pas le choix de changer de paradigme en mettant l'accent sur ces liens sociaux véritables, il n'est d'autre voie que la fuite en avant idéologique.

    Solution d'une difficulté croissante pour les gouvernants, tant s'exacerbent sur le terrain le mouvement des atomes en concurrence et celui des groupes en voie de sécession culturelle. Acheter la paix civile par toutes sortes de concessions ne suffit plus. Il faut alors envisager les choses selon la perspective d'une véritable ingénierie sociale (et faire toute leur place aux idées de Terra Nova). De ce point de vue, la mise en oeuvre, sans cesse renouvelée, de la même idéologie, à chaque fois plus précise, constitue un choix moins absurde qu'il n'y paraît. Bien pesée et inscrite dans un projet cohérent de remodelage du corps social, telle se révèle à la longue cette injonction du « vivre-ensemble », lancée à une population qui la reçoit pourtant de moins en moins docilement, comprenant peut-être enfin qu'il s'agit là d'un commandement.

    Un commandement ? Au-delà de la surface rhétorique, c'est le rapport entre gouvernants et gouvernés, autrement dit la dialectique politique réellement existante aujourd'hui, qui sous-tend la politique du « vivre-ensemble ». Décidée au sommet pour maintenir artificiellement la concorde et imposée au pays sans énoncer clairement le choix radical dont elle procède, cette politique traduit avec force la dynamique de plus en plus unilatérale de l'Etat moderne. On sait que Tocqueville avait noté la nature « tutélaire » de ce dernier, et avec le temps, force est de constater la permanence de cette empreinte génétique. C’est là un point essentiel, qui fait néanmoins l'objet de malentendus. Il arrive en effet que le caractère unilatéral en question soit assimilé, à tort, avec la souveraineté et avec le principe vertical d'autorité assurant l'exercice des fonctions régaliennes. Sur les soubassements de cet unilatéralisme, quelques précisions s'imposent donc.

     

    Caractère hybride de l'Etat et unilatéralisme

    Il n'est évidemment pas question ici de définir ce qu'est l'Etat ni d'en tracer la généalogie, mais de clarifier quelques points élémentaires liés à notre sujet. Ainsi, on ne confondra pas la spécificité de l'Etat moderne avec les caractéristiques de la cité, cette dernière entendue dans notre propos au sens de forme politique traditionnelle (ou « Etat traditionnel ») et non, à la différence de Pierre Manent, au sens de forme politique historique (même si, par ailleurs, cette forme traditionnelle provient essentiellement de la « res publica » romaine). Distinction d'autant plus nécessaire que les deux structures sont étroitement imbriquées depuis des siècles et couramment prises l'une pour l'autre, bien que relevant de logiques différentes. Il faut en prendre acte, l'Etat en France a une nature hybride.

    Rappelons simplement que l'Etat moderne en tant que tel, fondé historiquement, entre autres notions juridiques, sur celle de « persona ficta » et adossé au principe de représentation politique, phagocyte le modèle de la cité. Ce dernier repose, quant à lui, sur le souci initial d'une « chose commune » et sur l'exigence de sa maîtrise par une communauté concrète (c'est-à-dire par une « gemeinschaft » et non par une « gesellschaft », selon les catégories de Tönnies). La cité naît même de l'exigence d'une telle maîtrise, comme l'indique Cicéron qui, dans une période troublée où le politique semblait privé de boussole, rappelait dans le « De republica » que « la cité est l'institution collective (con-stitutio) de la communauté (populus) ». C'est la communauté qui institue la cité et non l'inverse. Laissons de côté le fait qu'en pratique, la genèse de la cité et celle de la communauté qui en est l'assise sont des processus complexes qui interagissent. L'idée principale réside ici dans cette conscience vive, chez l'illustre sénateur, que la dynamique politique se déploie dans un sens précis, c'est-à-dire à partir des solides liens internes d'une communauté humaine donnée, avec son territoire, ses coutumes et ses représentations mentales collectives (toutes choses auxquelles renvoie la notion de « populus » dans le droit public romain) et que, dans les moments de crise institutionnelle, c'est sur cette base qu'il faut reprendre appui avant de procéder aux réformes nécessaires. Dans la cité, le rapport entre gouvernés et gouvernants est déterminé par la communauté politique qui, de ce fait, maîtrise ses choix. Sans que le régime soit nécessairement démocratique pour autant (de fait, il l'a peu été) et sans que fasse défaut la verticalité du principe d'autorité, bien au contraire.

    En ce qui le concerne, l'Etat moderne utilise, dès ses prémisses médiévales, des institutions héritées de la cité en les englobant dans une structure unilatérale qui les nie peu à peu, tant sa démarche est autre. Volonté d'imposer un ordre de l'extérieur, désir de symétrie forcée, cet unilatéralisme en mouvement se traduit lentement mais sûrement par un principe d'uniformité qui tourne le dos à la « varietas » traditionnelle. On le sait, le déroulement de ce processus historique n’a nullement été paisible. Les populations ont souvent résisté à ce qu'elles percevaient comme une atteinte à la chose commune, garantie alors par les principes coutumiers. D'où les appels incessants à la « reformatio » (littéralement, retour - de ce qui est devenu informe - à une forme). Depuis le XIVe siècle et la réaffirmation aristocratique des libertés normandes face aux audaces inédites de l'administration centrale, suivie des premières grandes révoltes populaires, nombre des secousses politiques de notre histoire ont été des réactions à ce phénomène, vivement ressenti à tous les échelons. Mais ce n'est que parvenu à un stade avancé de son évolution que l'Etat déploie toutes les conséquences de ce caractère unilatéral. Il faut d’ailleurs le noter, ce dernier n'a pas toujours été bien discerné, puisque, même après Hobbes, même après Hegel, observateurs conscients d'une telle évolution, nombreux sont les auteurs qui ont traité pertinemment des propriétés de l'Etat moderne sans avoir pris la mesure d'une telle singularité. Pour établir ce point avec un minimum de justesse, compte tenu de l'interpénétration des deux modèles d'Etat dans la réalité empirique, il est souhaitable d’user d'instruments d'analyse multiples et bien coordonnés. Retenons, à ce titre, l'intérêt du droit public romain, sur lequel nous reviendrons.

    En observant la structure politique globale de la nation à l’échelle du temps long, on constate donc que la dynamique unilatérale marque des points et l'emporte peu à peu sur la logique communautaire. Sous ce rapport, les fameux « légistes » médiévaux ont finalement gagné et, dans leur sillage, la Révolution et la centralisation napoléonienne ont constitué des jalons décisifs bien connus. A l'issue de ce long processus, il apparaît alors qu'un Etat moderne est ce que devient un Etat traditionnel qui ne s'appartient plus. De ce phénomène de dépossession, la situation actuelle est hélas riche en symptômes alarmants, parmi lesquels l'impuissance de l'Etat à maîtriser ses frontières et à garantir la sécurité intérieure de façon satisfaisante, autrement dit à assurer les premières de ses missions régaliennes. Le fait que cette impuissance se double par ailleurs d'un contrôle renforcé de la population, accentuant par là le hiatus entre l'institution étatique et la communauté nationale, est un indice significatif de la nature intrinsèque de cette étonnante dépossession des fonctions légitimes de l'Etat par l'Etat : une dépossession de volonté politique. Grave préjudice, s'il en est, dont il faut préciser qu'il s'est produit techniquement au niveau du mode de formation de la volonté commune nationale. Au terme d'un cycle séculaire, la nation s'est vu confisquer la maîtrise réelle des décisions qu'une communauté doit prendre pour persévérer dans son être. En matière de consentement, il ne lui reste plus, dès lors, que l'adhésion aux orientations décidées à l'extérieur de son être propre. Par ailleurs, l'effort constant déployé par le pouvoir et ses relais, pour formater l'esprit public en vue de cette adhésion, confirme l'unilatéralisme en cause. Il faut, d'une manière ou d'une autre, que le peuple consente aux choix d'en-haut et, un jour, rien n'empêchera peut-être que la mise en scène de cette adhésion puisse tenir lieu d'adhésion réelle.

     

    Vice du consentement politique

    Cette subversion du consentement qui aboutit aujourd'hui à l'impératif du « vivre-ensemble », sa phase la plus avancée, n'est donc possible, on le voit, que parce que la communauté nationale se trouve préalablement privée de la formation effective de sa volonté propre. Lorsqu'on parle de formation de volonté, on touche un point essentiel dont nous avons en partie perdu le sens. Aussi ne voyons-nous plus clairement que solliciter l'expression d'une volonté qui n'a pas pu se former vraiment, faute des conditions requises, relève d'un vice du consentement. Lequel est cause de nullité en droit privé. Les choses se présentent sous un jour spécifique en droit public, avec le procédé de la représentation. La formation de la volonté commune y est tenue pour acquise par le simple fait de son expression, réduite en l'occurrence à la désignation de représentants dont les décisions ne sont pas soumises à validation. Ce qui suscite depuis longtemps une interrogation devenue classique sur la nature réelle du débat démocratique. Devant la crise actuelle du concept de représentation, sans solution pour l'heure (la notion vague de démocratie participative étant plus un révélateur de cette crise qu'un début de solution), une partie de la doctrine parle d'un « blocage théorique ». Dans ce contexte, il est utile de prêter attention à la critique radicale de certains universitaires italiens spécialistes de droit romain, qui se livrent à une rigoureuse analyse des mécanismes en question.

    Les concepts du droit romain, produits d'une longue maturation qui a fait d'eux des outils « inactuels », au sens nietzschéen, s'avèrent en effet précieux. Ils permettent notamment de faire surgir l'alternative existant entre les grands types de processus décisionnels relatifs aux communautés, publiques ou privées, au-delà des modalités variant selon époques et contextes. Giovanni Lobrano oppose ainsi aux organisations humaines modernes régies par le principe de personnalité juridique (la « persona ficta » théorisée et mise en oeuvre à partir du XIIIe siècle, d'où est sortie la « persona artificialis » du Léviathan de Hobbes au XVIIe siècle) celles qui sont régies par le principe sociétaire, fondé quant à lui sur le très classique et très romain contrat de société (que l'on ne confondra évidemment pas avec l'idée moderne de contrat social). Il fait observer que le modèle sociétaire a le mérite d'être construit sur la nécessité d'une « communio » entre les membres de la « societas » concernée, c'est-à-dire sur des liens internes forts, conçus par analogie aux liens intrafamiliaux (mais sur un mode libre et volontaire permettant de constituer des consortiums gérant des biens, des organisations professionnelles, des sociétés commerciales). Ce modèle, étranger au contractualisme, s'enracine dans une réalité anthropologique, toute « relatio » tirant sa validité du « mos majorum » (les mœurs, l’éthique commune des ancêtres) et n’étant ainsi pas réduite au pur intérêt calculé des modernes. A l’opposé d’un tel enracinement surgit le principe de personne juridique, création artificielle de la loi.

    De cette différence cruciale, il résulte que, d'un modèle à l'autre, le rapport fondamental entre l'un et le multiple est quasiment inversé. Dans la communauté régie par le principe sociétaire, ce sont les liens internes, faits d'obligations réciproques, qui sont le ferment de l'unité rassemblant cette pluralité d'hommes et qui déterminent la formation de la volonté commune. Aussi les dirigeants issus de l'expression de cette volonté restent-ils subordonnés à cette dernière dans l'exercice de leur charge, tout en disposant de larges pouvoirs d'initiative et d'exécution. Quels que puissent être leur pouvoir et le prestige de leur titre, ils restent des délégués. L’administrateur d’une société privée, mais aussi le consul, l’empereur, le roi de France (bien que pris entre deux logiques) se considèrent comme des dépositaires. Au contraire, dans la communauté régie par le principe de personnalité juridique (ou fictive), l'unité de la pluralité d'hommes qui la constituent est assurée de l'extérieur. C'est la fonction de la « persona » comme structure englobante, avec ce qu'elle recèle d'irrémédiablement arbitraire et de malléable et qui, à son tour, détermine les conditions de formation de la volonté commune. Celle-ci peut alors se voir absorbée par le mécanisme de la représentation, issu d'une distorsion de la notion romaine de mandat, en l'occurrence d'une distorsion du lien entre mandant et mandataire. A cet égard, Lobrano montre, au moyen d'une analyse acérée, que représentation et personnalité fictive procèdent de la même matrice conceptuelle : ces principes ont été élaborés pour fonctionner ensemble. On constate que les dirigeants qui émanent de ce dispositif, véritable saut quantique par rapport à la conception ancienne en matière de gestion de toute affaire commune, bénéficient d'une autonomie inouïe, puisqu'en pratique, la volonté du représentant se substitue à celle du représenté (la communauté).

    Dans ce domaine, ce qui vaut en droit privé vaut aussi en droit public. Le passage du régime sociétaire au régime de la personnalité juridique-représentation bouleverse structure interne et mode de gestion, autant pour la communauté nationale que pour une simple entreprise. La nation a connu cette évolution complexe, prise dans la dynamique un Etat moderne (la « persona artificialis » et ses représentants) qui n'a désormais de cesse de liquider ce qui reste de l'ancestrale politique du bien commun : elle s'en trouve profondément affectée dans sa substance. En définitive, on doit tenir pour essentiel le phénomène suivant : les modes de formation de la volonté commune rétroagissent sur la nature des liens internes de la communauté. La réciproque est vraie, comme l'atteste le triste spectacle offert par la nation : son état de dissolution interne la rend toujours plus vulnérable et passive face aux politiques imposées, notamment celles qui travaillent au remodelage de la population et accentuent ainsi cette dissolution. Telle est la spirale infernale du « vivre-ensemble ». A ce titre, on s’aperçoit que ce processus aboutit finalement à l’inversion de l’ordonnancement que décrivait Cicéron. Ce n’est plus le peuple (la communauté politique) qui institue la cité, c’est l’Etat qui veut instituer le peuple, le recréer de toutes pièces.

    Pour tenter de sortir de cette spirale, accordons quelque attention aux mécanismes de dépossession en jeu. L'édifice national menace ruine. Il est temps de s'occuper des murs porteurs et de la manière dont ils sont agencés. Plaider pour une politique du bien commun et pour une souveraineté digne de ce nom, sans se soucier de leurs conditions profondes, c'est en rester au stade des voeux. Une voie plus conséquente consisterait à puiser des forces dans une volonté commune réellement formée, non subvertie, pour renforcer, dans le même mouvement, les liens de la communauté nationale et les prérogatives régaliennes. Il ne s'agit pas de miser sur les prétendues vertus de la démocratie directe mais de libérer le consentement par la mise en œuvre réelle du principe de subsidiarité. Un tel changement est envisageable à faible coût, l’objectif étant de « désétatiser le bien commun » pour mieux assurer ce bien commun. A la fois souple et ferme comme un muscle puissant, l' « Etat subsidiaire », pour employer l'expression de Chantal Delsol, est de nature à offrir un cadre approprié au modèle sociétaire et à la décision vigoureuse qu’il permet. Il apparaît bien ainsi comme la condition d'un « hard power » qui serait enfin à la hauteur des enjeux présents. Il n'y a pas de remède miracle, seulement des données cruciales à prendre en compte si l'on pense qu'un redressement est possible. Le cadre et la structure de la volonté commune, conditionnant la qualité de la décision, comptent au nombre de ces données. Aussi, convient-il d’en être conscient pour pouvoir opposer un jour, avec succès, aux tenants du « vivre-ensemble » les exigences toujours vives de l'être-ensemble, ce rapport existentiel d'une population avec son passé et son territoire.

    Des idiots (Idiocratie, 20 septembre 2016)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Traités de libre-échange : bienvenue dans le monde d'Orwell...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur Figaro Vox et consacré à ce que recouvre la négociation, toujours en cours, du Traité transatlantique entre l'Union européenne et les Etats-Unis...

     

    TAFTA 2.jpg

    Traités de libre-échange : bienvenue dans le monde d'Orwell

    Nous sommes en guerre! On pense, bien sûr, à Daech et au terrorisme islamiste. Mais il y a aussi une autre guerre, plus sournoise, plus vicieuse, puisqu'elle nous oppose à des amis, des alliés. Je veux parler de la guerre avec les États-Unis, de la guerre entre l'Europe et les États-Unis, de la guerre aussi entre le modèle culturel anglo-saxon, un modèle communautarisme, et notre modèle républicain, laïc. Cette guerre a un champ de bataille: le marché, l'économie. Avec un objectif pour les États-Unis, ou plutôt pour les multinationales, en très grande majorité anglo-saxonnes: assurer un nouvel ordre mondial, où le rôle des États est réduit à la portion congrue, où les citoyens sont cantonnés à un rôle de consommateurs, où la politique s'efface devant les impératifs du marché et d'un libre-échange total, absolu.

    Cette bataille, elle se joue aussi sur les traités commerciaux, à travers le TAFTA, le TPP pour le Pacifique, le TISA pour les données. Sans oublier le traité entre l'Europe et le Canada qui a servi en quelque sorte de matrice aux négociations transatlantiques sur le TAFTA. Cette offensive américaine se déroule comme à la parade. Dans un premier temps, les autorités judiciaires d'outre-Atlantique ont mis en place un arsenal juridique pour imposer peu à peu l'extraterritorialité du droit américain. C'est ainsi qu'on a vu se multiplier, depuis des années, les amendes colossales contre les groupes européens. Amendes pour avoir obtenu des contrats dans divers pays du Tiers Monde avec des commissions. On pense, bien sûr à Alstom. Amendes pour avoir financé des opérations commerciales avec des pays frappés d'embargo par les États-Unis. On pense, bien sûr, à BNP Paribas. Amendes pour avoir bidouillé, comme Volkswagen, les moteurs Diesel vendus sur le marché américain, etc. À chaque fois ce sont des montants considérables. Des milliards, voire des dizaines de milliards de dollars.

    Pis, ces menaces pèsent sur le système bancaire européen qui n'ose plus financer les investissements des entreprises, françaises et autres, dans des pays sensibles. Ainsi, les banques françaises sont très frileuses sur l'Iran, sur la Russie. Nos entreprises ratent des contrats. Pour le plus grand profit… des Américains. Bref, tout se passe comme si cette menace subliminale que fait peser la justice américaine et Washington sur les banques et entreprises européennes était destinée à les paralyser, à les tétaniser. Parallèlement, le capitalisme américain a déployé sur une très grande échelle une forme moderne de corruption: l'influence, le trafic d'influence. Plus besoin de verser des bakchichs, il suffit d'offrir aux dirigeants politiques, aux élites européennes de belles et rémunératrices fins de carrière, ou de faciliter l'accès de leurs progénitures aux cercles restreints du pouvoir des multinationales.

    Aujourd'hui, les masques tombent. C'est un ancien président de la Commission européenne dont on savait qu'il était très proche des Américains qui pantoufle chez Goldmann Sachs. On découvre qu'une ancienne commissaire à la concurrence avait pris systématiquement des décisions nuisibles aux intérêts industriels européens tout en étant administrateur d'un fonds off shore aux Bahamas. Cerise sur le gâteau: elle a intégré Bank of America et, au printemps dernier, le groupe américain… Uber. Un autre commissaire, négociateur et thuriféraire de l'accord TAFTA, a, lui, rejoint les conseils d'administration de CVC Partners, un fonds américain et Merit Capital. Bref, les Américains savent remercier ceux qui ont œuvré pour eux. Mais ceux qui rechignent à intégrer ce nouvel ordre mondial sont frappés. Volkswagen, mais aussi Deutsche Bank et maintenant Airbus que l'on menace de dizaines de milliards d'amende, parce que le groupe aurait bénéficié de subventions européennes. Mais comment Boeing s'est-il développé sinon avec l'argent du département de la Défense? Comment la Silicon Valley est-elle devenue ce qu'elle est sinon avec les subsides sous diverses formes de l'État américain? Comment les GAFAM et autres NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) prospèrent-ils sinon en optimisant fiscalement aux États-Unis (les multinationales américaines ont exporté plus de 2 000 milliards de dollars dans les paradis fiscaux) et en ne payant pratiquement pas d'impôt en Europe? Et lorsque une commissaire européenne ose s'élever contre les avantages exorbitants accordés par l'Irlande à Apple, c'est le président Obama et 250 patrons américains qui volent au secours de la firme et somment l'Europe d'abandonner ses poursuites.

    Trop, c'est trop! Ou les Européens se couchent et nous allons collectivement basculer dans un monde où quelques monopoles régneront sur notre vie de tous les jours, géreront nos données… un monde digne de Big Brother. Ou l'Europe se réveille, refuse ces diktats, renvoie les accords TAFTA aux calendes grecques. On ne négocie pas dans une position de vassal. Voilà pourquoi la bataille du TAFTA est symbolique. Voilà pourquoi si nous voulons défendre nos valeurs, une certaine idée de la géopolitique, il faut dire non au TAFTA, relancer l'idée de la préférence communautaire, défendre nos banques et nos grandes entreprises. À condition, bien sûr, qu'elles veuillent être défendues et qu'elles n'aient pas déjà pactisé avec l'Oncle Sam… pour un plat de lentilles.

    Jean-Michel Quatrepoint (Figaro Vox, 23 septembre 2016)

    Lien permanent Catégories : Economie, Points de vue 1 commentaire Pin it!