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Points de vue - Page 208

  • Européanité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Richard Dessens, cueilli sur Eurolibertés, le site de l réinformation européenne, et consacré à la construction d'une véritable Europe... Docteur en droit et professeur en classes préparatoires, Richard Dessens a notamment publié La démocratie travestie par les mots (L'Æncre, 2010).

     

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    Européanité

    L’article 49 du TUE (Traité de l’Union Européenne) de 1993 énonce les critères nécessaires pour faire partie de l’Europe. Le premier est d’être un État, c’est-à-dire posséder une organisation institutionnelle avec souveraineté. Le second est d’être « européen », sans plus de précision, mais dont l’esprit est géographique, avec les ambiguïtés qu’il recouvre tout de même à l’est et au sud-est de l’Europe, ambiguïtés souvent plus politiques que géographiques en réalité. D’ailleurs, certains prétendent (cf infra Rapport du Sénat) que la prétendue « culture européenne » est en réalité universaliste et s’étend à de nombreux autres États dans le monde.

    Le troisième critère repose sur l’attachement aux valeurs visées à l’article 2 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

    En fait, cette condition recouvre un ensemble de valeurs très généralistes, copie conforme de la DUDH (Déclaration universelle des droits de l’homme) de 1948, sans aucune spécificité européenne. Ce critère est d’ailleurs significatif du refus d’une identité européenne et en même temps d’un œcuménisme universaliste et mondialiste sans consistance mobilisatrice ni rattachement à une civilisation originale. Sans aucune démarcation avec d’autres cultures ou civilisations, ce critère fait de l’Europe une sorte d’attrape-tout de toutes les mixités en détruisant toute velléité de différenciation. L’esprit du TUE est celui du renoncement, son inspiration, la repentance.

    Le quatrième critère, postérieur au TUE, dit « critères de Copenhague », concerne des mesures qui sont essentiellement économiques et financières avec obligation de se plier aux exigences politiques, économiques et monétaires de l’Union européenne. Voilà le dernier clou du cercueil européen dont le contenu est donc uniquement constitué des vagues valeurs généreuses et cosmopolites des « droits de l’homme », complétées du seul enjeu de notre modernité : la financiarisation d’une économie mondialisée. L’idéal est splendide, le vivre-ensemble magnifié !

    Par ailleurs, le rapport Fauchon, de la Commission des Affaires Européennes du Sénat, en juin 2010, fait des États les seuls acteurs de l’Union en balayant toute possibilité d’une Europe des régions considérée comme une utopie et sans consistance. On comprend le poids des lobbies financiers dans de telles assertions. D’autant que les NUTS (nomenclature des unités territoriales) déterminées par l’Union recensent officiellement 98 régions de niveau 1 (grandes régions) et 274 de niveau 2 (sous-divisions du niveau 1), afin de décrédibiliser toute idée régionaliste européenne.

    En fait, les 98 régions recensées en NUTS 1 délimitent parfaitement les contours d’une organisation européenne fondée sur des grandes régions souveraines équilibrées. L’idée entêtante et récente des États-Nations reste contraire au principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » tant développée à la chute des Empires en 1918. Ces Empires européens qui avaient su créer un embryon d’Europe moderne en rassemblant des nationalités diverses en leur sein. Leur échec final pour de nombreuses raisons ne doit pas pour autant faire dédaigner le concept d’un nouvel « empire européen » unifié, sur fond d’identités régionales et d’une nouvelle européanité fédératrice. Les disparités des peuples européens sont une richesse qui constitue l’âme européenne, et non une entrave supposée. Avant de vouloir étendre l’Europe à la Méditerranée, à Israël ou à la Turquie, commençons par fédérer les peuples européens… Ce que l’Union est déjà incapable de réaliser sans idéal, sans objectif, sans contenu charnel, sans vision civilisationnelle.

    Ceux (conclusion du rapport Fauchon) qui considèrent que l’Europe est à la fois un espace et une puissance qui a vocation à s’étendre au-delà de ses contours géographiques, entraînent l’Europe vers une dislocation inéluctable et la fin de sa civilisation, dans une envolée de modernité mondialiste suicidaire.

    Rappelons que la « ligne de l’Oural » a été définie par le géographe de Pierre Le Grand, Vassili Tatichtchev, afin de faire apparaître la Russie comme une puissance européenne, en situant pour cela en Europe une partie importante du territoire et largement majoritaire de la population de l’Empire. Choix politique, la « ligne Tatichtchev » correspond aussi à une rupture culturelle au sein de la Russie entre les peuples d’Asie à l’Est et européens à l’Ouest.

    Les Varègues, descendant de Scandinavie, fondent Kiev au IXe siècle et essaiment dans toute la zone de la future « Russie blanche » dont l’Oural est bien symboliquement la limite. Les Russes sont le rempart de l’Europe contre les Mongols aux XIIIe et XIVe siècles, comme Vienne stoppera la déferlante musulmane de l’Empire Ottoman pour la seconde fois, en 1683, grâce à une armée de secours composée de Polonais, d’Allemands et d’Autrichiens.

    L’avenir de la Russie est en Europe. Mais dans une Europe unifiée et puissante de 500 millions d’habitants face aux 130 millions de Russes, et capable de traiter un projet commun d’Europe « dilatée ».

    Mais, pour cela, il faut donner l’idéal d’une « nouvelle frontière » à l’Europe. Pas l’idéal économico-financier de l’Union européenne, mais une nouvelle frontière comme celle que Kennedy sut impulser en 1961 aux Américains, en lançant son « Go to the Moon », et montrant qu’aucun défi n’était insurmontable pour un pays qui se fabrique son devenir et sa puissance.

    Notre nouvelle frontière est certes d’abord géographique et repose sur une volonté politique de solidarité européenne et de nos intérêts communs. Que les États sans convictions autres que les profits de la manne financière européenne, quittent l’Europe, ou en soient éjectés. Le cordon sanitaire de nos frontières doit ensuite être assuré par une armée européenne et non par les seuls moyens inefficaces des États-frontière actuels.

    Notre nouvelle frontière, c’est la conscience de la richesse de notre civilisation occidentale et de la modernité de nos racines. C’est être fier de nos identités, de notre histoire, de nos combats pour survivre jusqu’à aujourd’hui. Que ceux qui ne sont pas prêts à donner leur sang, comme leurs ancêtres l’ont fait partout en Europe, pour que vive notre civilisation, quittent l’Europe où ils n’ont rien à faire. C’est être fier de nos différences pour mieux respecter celles des autres civilisations. Les enjeux géopolitiques modernes peuvent se traiter de puissances à puissances, dans le respect plutôt que dans la confusion des genres et la volonté d’uniformiser le monde… à notre image délétère. Mais il y faut une volonté politique radicale et révolutionnaire pour inverser un système de pensée et de valeurs qui nous mène dans le sillage des intérêts des USA pour conserver leur leadership mondial, à notre déclin définitif.

    Notre nouvelle frontière n’est pas de nous renfermer sur nos États moribonds, mais d’avoir une ambition pour l’Europe, plus vaste, plus unie, plus puissante, et enfin respectée. Cette nouvelle frontière est celle des valeurs de notre immense Europe, Eurussie, qui refusent celles de la mondialisation telle que celle qu’on veut nous imposer, et son uniformisation destructrice, au profit des peuples nombreux qui, eux, ont encore conscience de leurs identités et de leurs systèmes de valeurs.

    Les horreurs de la déstabilisation des Proche et Moyen Orient auraient-elles pu atteindre un tel paroxysme avec ses déclinaisons terroristes, avec une Europe unifiée, fière de ses convictions, puissante et déterminée, et des USA isolés ? D’autres horreurs nous attendent si l’Europe persiste dans sa mollesse épicurienne, sans but ni idéal, et en plus sans même apporter l’aisance économique à ses peuples désarmés et appauvris.

    Richard Dessens (Eurolibertés, 26 et 27 décembre 2016)

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  • Mauvaise année à tous les salopards !...

    Nous reproduisons ci-dessous les mauvais vœux de Michel Geoffroy, cueillis sur Polémia et adressés à tous les nuisibles !... A chacun d'entre nous d'apporter sa contribution pour permettre leur réalisation...

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    Pour 2017 innovons : souhaitons-leur une mauvaise année !

    Souhaitons une mauvaise année à la classe médiatique, payée à prix d’or pour nous désinformer et manipuler notre « temps de cerveau disponible ». En 2017 faisons-lui perdre encore plus d’audience, donc de recettes publicitaires. Et pour cela fermons nos télévisions et réinformons-nous ailleurs !

    Souhaitons une mauvaise année à tous les sondeurs qui nous trompent « scientifiquement » pour promouvoir les candidats du Système. En 2017 souhaitons-leur plein de nouveaux « résultats surprenants » en répondant systématiquement n’importe quoi à leurs enquêtes !

    Souhaitons une mauvaise année à tous ceux qui nous expliquent que les « réfugiés » sont une chance pour la France. En 2017, militons pour que l’on installe vite un nouveau camp de « migrants » juste à côté de leur domicile ou de l’école de leurs enfants !

    Souhaitons une mauvaise année à tous ces patrons du CAC 40 grands donneurs de leçons au nom de la mondialisation heureuse et de la diversité. En 2017 réclamons la publication de leurs rémunérations et de tous leurs avantages en nature. Et préférons acheter des produits locaux fabriqués en France par des Français, plutôt que des produits chinois vendus dans les centres commerciaux par des multinationales !

    Souhaitons une mauvaise année à tous les soixante-huitards, fauteurs de guerre et amateurs de révolutions orange ou de printemps arabes. En 2017, organisons donc la révolution chez nous, c’est-à-dire déconstruisons l’oligarchie des déconstructeurs !

    Souhaitons une mauvaise année à tous les djihadistes et à leurs protecteurs des pétromonarchies. En 2017, consommons donc moins de pétrole en provenance du Moyen-Orient !

    Souhaitons une mauvaise année à tous ces eurocrates qui détruisent l’Europe. En 2017 exigeons l’organisation de référendums populaires partout en Europe !

    Souhaitons une mauvaise année à tous ces prétendus laïcs qui font la chasse aux crèches de Noël mais qui encouragent l’islamisation de l’espace public. En 2017 affirmons notre identité européenne avec fierté et installons des sapins et des crèches partout !

    Souhaitons une mauvaise année à tous les censeurs du politiquement correct . En 2017, osons appeler les choses par leur nom !

    Souhaitons une mauvaise année au ministre de la Rééducation Nationale. En 2017, apprenons nous-mêmes à nos enfants à lire, à écrire et à connaître l’histoire de leur pays !

    Souhaitons enfin une mauvaise année à tous ces politiciens corrompus qui nous conduisent au désastre en habillant leur impuissance de valeurs frelatées. En 2017 offrons-leur, grâce à notre bulletin de vote, une retraite bien méritée !

    Michel Geoffroy (Polémia, 22 décembre 2016)

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  • Complotisme et post-vérité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de analyse de François-Bernard Huyghe, cueillie sur son blog Huyghe.fr et consacrée au complotisme et à son instrumentalisation... Auteur de nombreux essais sur la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe a coordonné le dossier du dernier numéro de la revue Médium (n°49, octobre -décembre 2016), dirigée par Régis Debray.

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    Complotisme et post-vérité

    Qui ne dénonce le complotisme ? L'auteur de ces lignes lui a consacré des articles depuis longtemps, démarche qui ne prétend nullement être originale. Donc le complotisme, c'est mal, c'est sot, et c'est surtout le délire de l'autre (car nous, n'est-ce pas, nous sommes critiques mais pas paranoïaques...). Certes.
    Le problème est que les thèses complotistes gagnent ce dont témoignent aussi bien les sondages officiels que les tests que chacun peut faire dans son entourage ou sur les réseaux sociaux. Si bien que complotiste est devenu une catégorie commode qui sert à disqualifier le discours présumé populiste, djihadiste, poutinien, anti-système, etc. Ou un moyen de clore le bec à un opposant dans un débat télévisé.

    Que peut-on réellement reprocher aux théories du complot ? Ils nous semble qu'elles pèchent par trois aspects (d'ailleurs inhérent à leur caractère globalisant) :

    Faute méthodologique. Les complotistes appliquent un double standard. Dans le discours officiel, ou dans l'information des mass médias, ils trouvent tout bizarre : drôles de coïncidences, choses qui servent trop les intérêts de X pour tomber par hasard, contradictions dans les faits ou les probabilités, syllogismes et imprécisions des experts interrogés, sources suspectes et engagées, etc. Sur ce point les complotistes ont raison : il ne faut rien tenir pour assuré de ce que l'on vous dit et vérifier, confronter, analyser... Les choses se gâtent quand ils n'appliquent plus du tout les mêmes critères à leurs propres théories alternatives : un photo floue, une vague déclaration d'un expert supposé, et, hop, on conclut que l'autre explication (par le pouvoir des Illuminati, les ordres d'un groupe de financier, ou les manœuvres de la CIA...) est, elle, avérée...

    Faute philosophique pour ne pas dire métaphysique : croire que le réel est si rationnel que tout est intentionnel. Imaginer qu'il y a un lieu unique et caché du pouvoir. Attribuer à une poignée d'hommes la capacité de tromper et de manœuvrer le reste du monde, sans se faire prendre (sauf par quelques esprits lucides qui décryptent) et surtout sans se tromper, se contredire ou jamais échouer. Or le pouvoir (et a fortiori une sorte de pouvoir suprême) n'est pas un logiciel que l'on fait fonctionner avec un bouton depuis un poste de commandement unique. Le pouvoir est la résultante de rapports multiples et complexes entre des centres dispersés (d'autorité, d'influence, de contrainte, etc.). Et la caractéristique des plans machiavéliens (car il y en a de vrais) est de souvent échouer à cause de la friction ou du brouillard du réel, et surtout du fait de l'imperfection humaine. Ces serait trop simple. Et peut-être trop beau : il suffirait de s'emparer de ce centre du pouvoir pour libérer les hommes.

    Faute psychologique. Le complotisme tend à tout réduire à la lutte de deux représentations du réel. La fausse, celle qu'imposeraient les puissants avec leurs complices, les médias, par exemple, et la vraie à laquelle seuls peuvent atteindre les esprits les plus affutés. Ou plutôt, l'erreur des complotistes est de croire a) que presque tout le monde adhère sans hésitation ni recul au discours idéologique et trompeur et b) qu'il suffirait de l'exposer en pleine lumière ce qui était dissimulé pour convaincre et libérer. Affaire de secret à lever, en somme.

    Mais si donc il faut lutter contre le complotisme et les dommages qu'il fait sur les esprits de nos contemporains, encore faut-il le faire de façon non complotiste, et sans reproduire en miroir ses défauts.

     Confusionnisme: le complotisme est une théorie, donc une grille qui prétend donner une cohérence apparente à des des événements passés et surtout à venir ; il explique (beaucoup trop d'ailleurs) et cette explication doit être jugé ou vraie ou fausse en fonction des faits. Elle doit surtout être évaluée en fonction des événements qui permettent de la réfuter. Par exemple la thèse selon laquelle le gouvernement du pays X est infiltré par les services du pays Y, est réfutée par le fait que gouvernement X prend des mesures défavorables au pays Y. Mais le complotisme ne s'appuie pas obligatoirement sur des faits imaginaires ou sur des mensonges flagrants. Démontrer que les partisans, d'un camp dans une guerre ou une élection par exemple, font de la propagande, s'appuient sur des documents truqués ou douteux, ou sont prêts à croire n'importe quoi sur leurs adversaires, c'est juste rappeler que la nature humaine est constante ou que l'idéologie existe.

    Méta-complotisme ou complotisme au carré. Même en prenant "complotisme" au sens le plus large, c'est-à-dire comme la conviction vague que tout est de la faute de... - de la finance, des services impérialistes, d'une poignée d'hommes se coordonnant secrètement, rayez la mention inutile-, il ne faut pas attribuer aux dits complotistes des pouvoirs imaginaires, ce serait reproduire leurs pires défauts. Ainsi l'idée que les service russes aient pu truquer l'élection américaine, en aidant Wikileaks à accéder à des mails privés du camp Clinton, est d'une niaiserie qui fait presque regretter les fines analyses des macarthystes pendant la guerre froide. Pas de causalité diabolique, svp.

    Auto-légitimation idéologique. Voir des complotistes, des intoxicateurs ou des paranoïaques derrière chaque mouvement d'opinion anti-système, réduire la critique à la jobardise, et l'opposition des valeurs à l'effet de la désinformation, c'est s'accorder à bon compte le monopole de la réalité et de la raison. Il n'y aurait pas d'alternative aux interprétations dominantes sauf à se faire manipuler par des délirants. Or cette façon de distinguer un parti de la vérité et un parti de l'irrationnel équivaut à dire qu'il n'y a qu'une interprétation - ou des variations rationnellement admissibles - et que l'adversaire ne peut agir que par sottise ou méchanceté. Donc c'est la meilleure manière de ne rien comprendre au fait pourtant aveuglant que, si des millions de gens croient aux explications "alternatives", c'est que le discours des élites ou des médias que l'on aurait autrefois dit dominants se heurte au scepticisme de masse croissant. S'il y a tant gens qui vivent dans la post-vérité, comme disent avec mépris les médias anglo-saxons c'est parce que les dispositifs d'information qui, par leur omniprésence, leur technicité et leur ampleur devraient nous garantir une vision de la réalité sous tous ses angles, fonctionnent de façon postdémocratique. Si bien que la cacophonie délirante des dévoileurs de secrets en lignes et interprètes des plans secret ne fait sans doute qu'offrir une image inversée de l'unanimité de ceux d'en haut.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 25 décembre 2016)

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  • De Nice à Berlin, scènes du terrorisme ordinaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur Figaro Vox dans lequel il dénonce l'irénisme multiculturel de nos sociétés qui les empêche de répondre efficacement à la menace du terrorisme islamique. Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et vient de publier en France Le multiculturalisme comme religion politique aux éditions du Cerf.

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    Mathieu Bock-Côté : de Nice à Berlin, scènes du terrorisme ordinaire

    La scène avait quelque chose d'atroce et, en même temps, de terriblement banale. À quelques jours du 25 décembre, un camion se lance sur un marché de Noël de Berlin, tue une douzaine de personnes et en blesse une cinquantaine. On croit revivre les événements de Nice quand Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait frappé le soir du 14 juillet. Là aussi, il s'agissait de semer la terreur dans un moment de réjouissance et de traumatiser la population. On peut imaginer la suite médiatique: certains diront que l'événement demeure un incident isolé. On chantera en chœur «pas d'amalgame». D'autres se demanderont encore une fois si l'Occident ne l'a pas cherché, bien qu'on se demandera de quelle manière l'Allemagne a bien pu se rendre coupable d'une forme plus ou moins intransigeante de laïcité néocoloniale, pour emprunter le jargon à la mode. Le système médiatique, devant l'islamisme, cultive l'art du déni. Il déréalise les événements, les égrène en mille faits divers et empêche de nommer la guerre faite à l'Occident.

    Il faudra quand même réinscrire l'événement dans la séquence terroriste associée aux événements du Bataclan. Le terrorisme islamiste veut montrer qu'il peut frapper partout. Il ne vise plus seulement des «institutions», comme c'était le cas avec Charlie Hebdo, mais entend imposer sa loi n'importe où, en transformant un simple camion en bélier . N'importe qui peut être ciblé dans ces frappes aveugles. Dans la guerre totale menée contre la civilisation occidentale, il suffit d'appartenir à cette dernière pour être jugé coupable et condamné à mort. À Berlin, nous venons en fait d'assister à une scène de terrorisme ordinaire. Encore une fois, l'État islamique a revendiqué l'attentat. Qu'il ait été programmé de loin ou qu'il soit le fruit d'une initiative plus ou moins spontanée, on peut être certain d'une chose: la propagande islamiste hante la civilisation européenne et est capable d'exciter les passions mortifères des uns et des autres.

    Et pourtant, cette attaque n'est pas absolument aveugle. La frappe d'un marché de Noël ramène l'Europe à une part d'elle-même dont elle ne sait que faire: sa part chrétienne. C'est dans son identité la plus intime qu'on veut la frapper, ce sont ses racines les plus profondes qu'on veut toucher. Les symboles chrétiens sont de plus en plus souvent visés. On se rappellera que le communiqué de l'État islamique qui avait suivi les attentats du 13 novembre mentionnait que les Français étaient visés en tant que «croisés». De même, l'assassinat rituel du père Hamel, en juillet 2016, ne laissait pas d'ambiguïté sur sa signification. Pour reprendre une formule convenue, c'est moins pour ce qu'ils font que ce qu'ils sont que les Européens sont mitraillés, égorgés ou écrasés. Sauf qu'ils ne sont plus trop conscients de cette part d'eux-mêmes. Ou du moins, lorsqu'ils en sont conscients, on le leur reproche et on les accuse de s'enfermer dans une identité étriquée, inadaptée à la diversité. Nos élites médiatiques ne tolèrent le procès de l'islamisme qu'à condition de le mener en parallèle avec celui de l'islamophobie.

    Car le monde occidental veut croire qu'on l'attaque parce qu'il est démocratique, moderne et libéral. Il s'empêche de comprendre ainsi qu'il existe une telle chose qu'une tension entre les cultures, entre les civilisations et même entre les religions: elles ne sont pas toutes faites pour cohabiter dans une même communauté politique. Le rôle du politique, dans ce monde, n'est pas de verser dans un irénisme multiculturel où tous devraient se réconcilier sous le signe d'une diversité heureuse mais bien de bâtir, de conserver et de protéger les frontières protectrices permettant aux peuples de persévérer dans leur être historique sans pour autant s'empêcher de multiplier les interactions fécondes entre eux. Avec raison, on refusera de réduire les affrontements du monde actuel à un choc de civilisation. À tort, on refusera de voir qu'ils relèvent au moins partiellement de cette logique. Ceux qui cherchent à penser à nouveaux frais la pertinence des frontières ne sont pas des vautours ou des démagogues instrumentalisant le malheur des peuples pour les replier sur eux-mêmes.

    L'Allemagne voit se retourner contre elle-même les conséquences prévisibles d'un humanitarisme débridé. On s'est moqué, au moment de la crise des réfugiés, de ceux qui redoutaient que parmi les convois de malheureux, ne se glissent des djihadistes attendant ensuite le bon moment pour frapper. Ce moment est peut-être arrivé. Mais les dérives de la politique des portes ouvertes ne sauraient se laisser définir uniquement par le terrorisme islamiste. Il suffit de garder en mémoire les événements de Cologne, en début d'année, pour qu'on comprenne les nombreuses dimensions d'une crise qui n'est pas à la veille de se résorber. L'époque des grandes invasions militaires a beau être terminée, il n'en demeure pas moins que les islamistes sont habités par un sentiment de conquête et croient pouvoir miser sur l'immigration massive pour s'imposer en Europe. Comment la civilisation européenne peut-elle réagir à cette mutation imposée si elle en relativise la portée?

    Il ne sert à rien d'imaginer en un paragraphe ce que pourrait être une riposte à ce terrorisme ordinaire appelé à durer. Mais le monde occidental aurait tort de croire qu'il saura résister à sa dissolution culturelle ou politique en se contentant de répéter de manière rituelle ses prières pour chanter la gloire de la diversité. Manifestement, elle n'est pas qu'une richesse. Toutes les différences ne sont pas également appréciables. En fait, c'est peut-être en assumant ce qu'on pourrait appeler leur identité de civilisation que les nations européennes seront à même de trouver la force de mener cette guerre pendant les longues années qu'elle durera. Il n'est pas insensé de penser que c'est en se tournant justement vers la part d'elle-même qui est attaquée que la civilisation européenne trouvera peut-être la force de mener la bataille.

    Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 21 décembre 2016)

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  • La Chute de la Maison Juppé...

    Nous reproduisons ci-dessous une bonne analyse de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique sur les causes identifiables de la défaite d'Alain Juppé aux primaires de la droite, dont il était le favori annoncé depuis près de deux ans.

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    La Chute de la Maison Juppé

    Décidément, depuis quelques mois, les « séismes » électoraux s’enchainent, à croire qu’en Occident, les plaques tectoniques de l’opinion se déplacent avec fracas. L’image peut sembler d’autant plus pertinente que nous nous trouvons à la fois devant un déplacement de l’opinion majoritaire de nos pays, et devant un déphasage entre ce déplacement profond et l’horizon inamovible d’une pensée unique tenant tous les moyens d’information officiels, mais ne régnant plus qu’en surface. Cette dernière séquence-surprise qui vit s’effondrer les pronostics les mieux établis et les plus martelés, nous donne l’occasion de faire un point sur le phénomène. Comment le candidat des médias a été déchu par les suffrages ? Et surtout quelles sont les nouvelles forces qui s’affrontent, directes ou indirectes, officielles et officieuses, mainstream ou alternatives, en France, sur le plan de l’opinion ? Voici les questions auxquelles ce nouveau dossier tentera de répondre.

    Une nouvelle cartographie

    Les articles et dossiers de l’OJIM l’ont suffisamment répété, ce qui frappe lorsqu’on observe les médias français du début du XXIe siècle, c’est qu’ils ont fortement dévié de leur mission initiale. Passant du statut de principal contre-pouvoir à celui de principal pouvoir idéologique ; d’une fonction d’information à une fonction de propagande insidieuse ; de reflet des opinions s’affrontant au sein d’une démocratie au martèlement de la doxa libérale-libertaire de l’oligarchie mondialisée ; leur rôle et leur poids, mais aussi, à terme, leur crédibilité, ont grandement varié au cours de ce dernier demi-siècle. En conséquence, ce contre-pouvoir perverti a fini par susciter lui-même de nombreux contre-pouvoirs ou d’importantes réactions de rejet, lesquelles réactions se montrent, ces derniers temps, toujours plus spectaculaires. Aussi, il n’y a plus d’adéquation entre la presse et l’opinion, mais une configuration inédite, paradoxale et éclatée, comprenant de nombreux acteurs, que cette primaire de droite a permis de mettre exemplairement en lumière. À côté, ou contre, ou sous, les médias mainstream, on trouve ainsi les sondeurs, les humoristes, les intellectuels dissidents, la « fachosphère » qui n’est souvent que la « réinfosphère » stigmatisée par les obsédés du stigmate, ou encore l’influence des réseaux sociaux. Observons comme chacun de ces acteurs a joué son rôle, à plein ou à contre-emploi, pour faire émerger et couronner, à la surprise de tous, la figure de l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy.

    « Juppémania »

    C’est en novembre 2014, soit deux ans exactement avant cette primaire pré-présidentielle, qu’Alain Juppé s’est vu recevoir l’onction des médias à travers une couverture surréaliste des Inrocks, qui faisait de ce vieux chiraquien ringard, compromis, soporifique, libéral et de droite, l’icône improbable des branchouilles de gauche… Il se trouve que quelques jours plus tôt, en ce même mois de novembre, les sondages de mi-mandat révélèrent une cote de popularité du président Hollande en-dessous des lignes de flottaison de la crédibilité minimale (12%), et que le bobo commençait à comprendre que les prochaines élections présidentielles annonçaient de plus en plus inéluctablement le scénario d’un nouveau 21 avril. Aussi, prévoyant et stratège, le magazine le plus à la page des années Mitterrand se chercha-t-il un candidat à droite, désigna « Le moins pire d’entre eux », et titra, dans un espoir performatif un rien mégalo : « Juppémania », tout en livrant un entretien qui attestait de la bonne correction politique d’Alain Juppé (il se montrait favorable à l’adoption pour les couples homosexuels). Cette tentative d’influencer l’opinion par l’éloge paradoxal du « moins pire » et dans une perspective de détournement, donnait quand même l’impression cocasse d’une jeune fille qui, pour pallier son absence de cavalier, tenterait de glamouriser papy avant qu’il l’accompagne au bal. Cette stratégie, aussi biscornue que voyante, pouvait-elle se révéler efficace ? Déjà à l’époque, Loïc Le Clerc, lucide, dans Marianne, prévient : la lèche des Inrocks risque surtout d’avoir l’effet contraire à celui recherché en faisant d’Alain Juppé le « candidat des médias ».

    L’Anti-Finkielkraut

    Le 13 septembre dernier à Strasbourg, Juppé dévoilait l’axe de sa campagne, celui-ci se fondait sur le concept d’ « identité heureuse ». « Je porte une idée, presque un idéal, celui de l’identité heureuse », clamait-il en prenant ainsi le parfait contrepied du Gaulois Sarkozyx, mais surtout en s’opposant frontalement au philosophe Alain Finkielkraut, puisque c’est du détournement du titre d’un de ses livres les mieux vendus, L’Identité malheureuse (Stock, 2013), que le candidat tenait son « concept ». « Je persiste et je signe : oui, l’identité de la France, l’identité heureuse, c’est ce vers quoi je veux conduire le pays », a-t-il lancé devant près de deux mille personnes, réunies dans le palais des congrès de la ville, en disant : « non au pessimisme, au déclinisme ou au renoncement. » Bien sûr, cette phrase ne veut à peu près rien dire puisque soit la France a une identité, soit elle n’en a pas. Si elle en a une, elle en hérite, si bien qu’on ne conduit pas la France vers son identité, mais on prolonge, développe, déploie, l’identité que la France porte déjà en elle. Ou alors, la France n’a pas d’identité, ce qui signifie que la France n’existe pas, et en ce cas, on conduit en effet ce néant malheureux vers quelque chose de plus sympathique, fût-ce n’importe quoi. De la même manière, est-ce bien raisonnable de dire « non au pessimisme et au déclinisme », plutôt que de s’opposer aux causes de ce pessimisme et aux raisons du déclin ? Non, mais ce n’est pas le problème, il s’agit alors, pour Alain Juppé, ni de parler français (ce qui est une habitude fort discriminante), ni d’exprimer des choses intelligentes, mais de continuer de faire jouir Les Inrocks et les autres médias mainstream qui, en effet, conspuent l’académicien Finkielkraut pour son « déclinisme » et déplorent son influence, une stratégie que jusque là, les sondages encouragent, puisqu’à la fin du mois, Juppé est donné gagnant de la primaire avec près de 60% des voix.

    Médias, sondeurs, intellectuels

    La stratégie de Juppé se présente donc, en début de campagne, comme une stratégie efficace, et on voit qu’elle sollicite différents acteurs devenus décisifs dans l’opinion, mais dont l’effet n’est pas forcément celui qu’on escompte. La figure de l’intellectuel dissident, qu’il s’agisse d’Éric Zemmour ou d’Alain Finkielkraut, à la fois plébiscités par un peuple de l’ombre et conspués par les médias officiels ou satanisés par les humoristes du service public, cristallise sur elle de puissants enjeux. S’afficher anti-Zemmour ou anti-Finkielkraut, c’est se concilier illico toute la presse officielle, en retournant à son bénéfice leur effet répulsif. Quant aux sondages, ils semblent avoir tendance, dans un premier temps, à confirmer les signaux produits par les médias qui les commandent, un peu comme si les sondés témoignaient d’abord du fait qu’ils avaient bien compris ce qu’on attendait d’eux. Voici donc la première « boucle » qu’enclenche le candidat Juppé : 1- attaquer l’intellectuel répulsif ; 2 – s’agréger les médias mainstream ; 3 – valider le bénéfice de ce soutien par les sondages. Cela semble implacable, sauf qu’à terme, cette boucle s’avérera surtout le circuit d’une prophétie auto-réalisatrice par laquelle le système médiatique tente de se faire croire et de convaincre tout le monde que ses désirs sont des ordres, procédé qui finit même, dans la France comme dans l’Amérique de 2016, par produire un effet de retournement.

    Le « bad buzz » d’Ali Juppé

    Il y a d’autres acteurs, à côté des médias traditionnels, qui, aujourd’hui, influencent l’opinion de manière décisive, Internet en premier lieu. Le candidat Juppé ne l’ignore pas, d’ailleurs, et s’il semble croire que les magasins Prisunic existent encore, cela ne l’empêche pas de tweeter depuis plus longtemps que ses rivaux. « Dans sa volonté d’occuper tous les terrains, et viser au-delà des simples adhérents des Républicains, Alain Juppé s’est aussi investi dans le volet numérique de sa campagne. » lit-on dans Les Inrocks début novembre. Sauf que la Toile développe un écosystème idéologique très différent de celui des médias émergés. Des sites d’informations alternatifs y jouissent d’une audience importante et produisent parfois des messages viraux. C’est ce qui arrivera avec la caricature du candidat des médias en « Ali Juppé » lancée par le site pour le moins islamosceptique « Riposte laïque ». Le 23 octobre, Romain Herreros, dans le Huffington Post, fait un historique et une interprétation de ce « bad buzz ». Selon lui, les fachos font de l’intox. Il s’appuie notamment, pour démontrer cela, sur la rumeur de financement d’une grande mosquée à Bordeaux grâce à son maire – rumeur fausse -, ou encore en expliquant que l’imam Tareq Oubrou, l’ami gênant d’Alain Juppé, étant menacé par Daech, ne peut-être que compatible avec la République. Ce dernier n’en est pas moins issu des rangs de l’UOIF, et à ce titre, relais de l’idéologie conquérante des Frères musulmans en France. Ensuite, l’islamophilie d’Alain Juppé ne fait mystère pour personne, et lui-même est capable d’expliquer dans une lettre aux catholiques, auxquels il s’adresse en tant que « chrétien agnostique » (encore une expression strictement aberrante) : « Je pense que le christianisme est, par construction, « une invitation et une source », pour mieux dialoguer avec les musulmans », formule que même La Croix qualifiera de « surprenante ». En somme, l’intérêt du christianisme, c’est de nous ouvrir à l’islam… Rien que cette déclaration valait légitimement à Juppé son surnom.

    Influence et effets comparés d’internet et des médias classiques

    Plutôt qu’une intox diffusée par des fachos, on pourrait donc très bien traduire cette campagne « Ali Juppé » comme une légitime mise en garde réalisée par des lanceurs d’alerte quant aux compromissions d’un impétrant à la présidence de la République avec l’islam, dans un contexte de guerre, de conquête ou de colonisation insidieuse a minima, menée par cette religion sur le sol français. Ce qui expliquerait d’ailleurs la remarquable efficacité d’une telle campagne à laquelle Alain Juppé associera son soudain décrochage en la qualifiant de « dégueulasse ». Mais alors cela signifierait qu’il est plus dommageable d’être attaqué par un site internet laïciste qu’il est avantageux de faire une « Une » énamourée des Inrocks ? Voilà qui en dit beaucoup sur le nouvel écosystème médiatique… Mais à vrai dire, les deux événements jouaient en fait contre le maire de Bordeaux, puisqu’être le « candidat des médias », comme l’avait annoncé Loïc Le Clerc, et encore davantage à l’ère de Trump et du Brexit, cela revient à n’être pas le candidat du peuple qui perçoit toujours plus, à raison, les médias comme l’officine de propagande déguisée des intérêts de l’oligarchie.

    Fillon contre l’humoriste

    L’une des séquences les plus révélatrices de cette campagne des primaires, et qui sera probablement décisive pour le triomphe de François Fillon, c’est sa confrontation avec l’humoriste Charline Vanhoenacker dans « L’Émission politique » de France 2, le 27 octobre. Quand Léa Salamé et Charline Vanhoenacker n’occupent pas les créneaux principaux de France Inter, elles occupent en effet les créneaux principaux de France 2, sans doute parce que le service public audiovisuel, en France, est une « grande » famille de dix personnes de gauche. Comme l’a montré le magazine Causeur dans son numéro de novembre titré « France Inter aux Français ! », quand, sur cette station, la pensée unique n’est pas divulguée par des journalistes, elle est bombardée par des comiques. Au lieu d’une diversité d’opinion qui conviendrait à une radio financée par le contribuable, on a une diversité de tons pour la même seule et unique opinion autorisée. Placée entre Vanhoenacker et Salamé, le candidat Fillon se retrouve, symboliquement, comme au centre du système Inter, entre la journaliste de gauche et l’humoriste de gauche, entre le sérieux de gauche et le comique de gauche, entre le bon flic de la Pensée Unique et le mauvais flic de la Pensée Unique. À sa place, Nicolas Sarkozy est resté de marbre, Bruno Le Maire a ri. François Fillon va faire infiniment mieux : il va recadrer tout le monde et révéler le chantage obscène et très insidieusement totalitaire sur lequel fonctionne la propagande des médias officiels. Ce n’est pas au clown de conclure. Parce qu’alors c’est le dispositif lui-même qui est vicié. Tout fini dans la dérision, la dérision liquide tout, sauf la moraline de gauche, bien sûr, qui est sauve, et condamne ainsi tout ce qui lui échappe. Alors que l’humoriste mettait un cierge au troisième homme, elle venait de lui offrir l’opportunité de devenir le premier en sabotant un dispositif vécu comme tyrannique. C’est bien ce que confirmera d’ailleurs l’un des conseillers du candidat : « C’est ce blasphème contre « l’infotainment » qui a déclenché, selon un conseiller de François Fillon, l’incroyable dynamique qui l’a mené où l’on sait », peut-on lire un mois plus tard dans Le Figaro.

    Révolte

    Le triomphe impromptu de François Fillon n’avait été guère deviné, même si l’observation des dynamiques sur les réseaux sociaux, ce que les spécialistes appellent les « signaux faibles », s’est révélée plus pertinente que la seule écoute des sondages, comme dans les cas de Trump et du Brexit. Tous ces éléments sont les indices multipliés d’une nouvelle configuration et d’une nouvelle dynamique dans l’opinion, où chaque acteur peut avoir un effet insoupçonné. C’est l’anti-Vanhoenacker qui a écrasé l’anti-Finkielkraut. C’est le site internet militant Riposte laïque qui a eu une influence décisive sur le destin politique d’Alain Juppé, pas Les Inrocks. Surtout, c’est le candidat qui sabota le dispositif médiatique qui l’emporta sur le candidat promu par les médias, cette même promotion devenant, en 2016, une tare plutôt qu’un atout. Le pouvoir médiatique, en tant que contre-pouvoir perverti, est globalement vécu comme toujours plus illégitime par les populations occidentales. Si le pouvoir politique semble être devenu à peu près impuissant face à un pouvoir économique échappant à tout contrôle, les élections sont du moins l’occasion d’une révolte contre les médias officiels, alors que la sphère internet, comme nouveau contre-pouvoir médiatique, gagne quant à elle en influence et en légitimité. Tout semble donc indiquer que nous nous trouvons dans une phase transitoire et au début de l’effondrement d’un monopole idéologique. L’OJIM, bien sûr, sera en poste pour en chroniquer la chute.

    OJIM (Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, 5 décembre 2016)

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  • Le vrai rôle des médias de masse...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Slobodan Despot publié dans le numéro du 11 décembre 2016 de la Lettre Antipresse. Ecrivain et éditeur, collaborateur de la revue Éléments, Slobodan Despot est notamment l'auteur de recueils de chroniques mordantes comme Despotica (Xénia, 2010) et Nouvelleaks (Xénia, 2015) ainsi que d'un superbe petit roman intitulé Le miel.

     

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    Le vrai rôle des médias de masse

    La rumeur parcourt «l’antisphère» depuis l’élection de Trump: les médias officiels sont morts! Ils ont tout misé sur Hillary ils ont donc tous perdu et plus personne le leur accorde le moindre crédit. Circulez, y a plus rien à en tirer!

    C’est évidemment une vue de l’esprit. Les médias ne sont pas là pour dire le vrai, ils sont là pour organiser notre vie. Ils sont, dans un sens général (englobant donc aussi les « antimédias »), le filtre par où nous recevons les 95% de notre connaissance du monde qui nous entoure. Le paysan du XIXe siècle pouvait encore se prévaloir d’un rapport presque direct à la réalité, construit par une expérience immédiate patiemment accumulée tout au long de sa vie et validé par une tradition immémoriale. Le paysan d’aujourd’hui n’a, de ce lointain ancêtre, que le nom. Pour acquérir un bien agricole en UE, il doit franchir une vingtaine d’étapes administratives qui supposent davantage de familiarité avec la bureaucratie qu’avec les bêtes. Son contact avec la terre est lui-même médiatisé par les roues de son tracteur. De l’observation du ciel et des vents, il ne tire plus rien, ayant des applications météo gratuites dans son smartphone. Un smartphone sur lequel il tue le temps comme n’importe qui en labourant à la vitesse du pas les sillons interminables de ses champs de taille démesurée qu’impose l’agriculture industrielle.

    Supposez que les services de météorologie lui donnent de fausses informations, que la bureaucratie change soudain ses critères en fonction de la théorie du réchauffement climatique, qu’une vague de suspicion frappe la céréale qu’il produit en monoculture ou que son fournisseur lui vende des semences stériles qu’il devra racheter contre bon argent l’année suivante s’il veut semer à nouveau. Il est mort! Il est totalement dépendant, totalement démuni, lui dont l’aïeul, tout en n’ayant pas le sou, était seul maître dans son enclos après Dieu. Une inflexion du cours des denrées, une entourloupe de Monsanto peuvent entraîner des vagues de suicides parmi les paysans désespérés, comme cela se voit aujourd’hui en Inde et ailleurs.

    J’ai pris l’exemple du paysan comme un archétype de l’humain « archaïque » et antimédiatique — tout en sachant que c’était un faux exemple. Le paysan moderne est un technicien connecté, comme tout le monde dans notre société. Même des monastères régis par des règles de silence et d’isolation sévères dépendent la vente de leurs produits sur l’internet. Ils dépendent de leur médiatisation! Et il n’est pas un secteur d’activité dont la prospérité, et la survie même, ne dépendent de la pensée industrielle: de sa capacité de rationalisation, d’optimisation, de simplification. De la loi aveugle du nombre!

    L’altruisme obligé, ou la burqa de l’homme blanc

    C’est dans ce contexte de mécanisation et de déshumanisation systémiques qu’est née la civilisation la plus sentimentale de tous les temps. L’humain de l’ère industrielle — cœur dur et tripe molle selon Bernanos — vit avec une larme perpétuelle au coin de l’œil. Mais c’est le contexte médiatique qui va décider à quel moment, et à quel propos, sa larme va grossir en goutte et rouler sur sa joue. Téléthon: on récolte des millions pour le malheur médiatisé, mais on n’aura pas la moindre mansuétude pour le nécessiteux qu’on croise sur son palier. Migration: on met en scène la générosité de l’accueil, mais on n’a aucune pitié pour les parias qui se retrouvent à la rue pour n’avoir plus pu assumer les charges d’une société où une part croissante des taxes part justement… dans la générosité obligatoire!

    La critique est facile, sur un plan général. On peut aisément en faire un système de pensée. C’est le système de pensée qui fonde le discours de ces mouvements dits « populistes » voire d’« extrême droite » qui constituent essentiellement le lobby des gens sans lobbies. Lesquels mouvements risquent bien, une fois arrivés, de remplacer une inhumanité par une autre. Entretemps, comme les révolutionnaires de jadis dans la civilisation bourgeoise, ils renvoient à cette société l’image la plus cruelle et la plus juste. Et, tout au fond de cette critique, se niche le plus petit dénominateur commun qui, par-delà les intérêts politiques et économiques, rassemble prolos et bourgeois, fils d’immigrés et vieux aristos sous les mêmes bannières: la volonté d’être non pas fascistes ni blancs ni Français ni Allemands; la volonté de rester ce qu’ils sont. De rejeter le camouflage imposé. Autrement dit, de rejeter la médiatisation qui les force dans un moule d’idées et de comportements qui les dénature.

    A l’abri du sens

    En un mot, nous nous sommes accommodés à vivre dans une hypocrisie permanente et absolue du fond de laquelle nous dénonçons l’hypocrisie des autres milieux ou des autres époques. Le « fond » de notre pensée, nous l’exprimons à mi-voix et uniquement à des proches et plus personne n’est assez fou pour clamer tout haut les évidences les plus cuisantes. De temps à autre, des « fuites » impliquant des ministres bien-pensants ou des vedettes de show-biz (se souvient-on de John Galliano?) nous rappellent à quel point le langage public de leur caste doit être corseté pour qu’ils finissent, quand ils se croient « en cercle privé », par s’épancher en des grossièretés explosives. Un seul mot malheureux peut mettre fin à une carrière par ailleurs exemplaire. Le discours des responsables politiques ou économiques est soigneusement lissé par les spin doctors afin de ne jamais laisser dépasser le moindre coin de bois rugueux sous la nappe satinée des euphémismes et des platitudes. Il importe de ne rien dire qui fasse sens! Lorsque vous franchissez cette limite, lorsque vous exprimez du sens, vous tombez dans la marmite du « populisme », d’où que vous soyez parti (voir à ce sujet le scandale soulevé par le banquier socialiste Thilo Sarrazin, en Allemagne).

    Il importe de bien comprendre que cette terreur du « politiquement correct » n’est pas spécifiquement… politique. Comme le rappelle Angelo Codevilla), la correction politique passe avant l’exactitude factuelle parce que le Parti ou l’avant-garde éclairée (autrement dit le détenteur du monopole du langage public) incarne une réalité supérieure à la réalité elle-même. Une réalité « 2.0 », dirait-on aujourd’hui. Or depuis que nous sommes sortis du millénarisme marxiste et de ses illusions, plus aucun parti politique ne peut prétendre à une telle ambition: réécrire la réalité elle-même. La seule instance dotée des pouvoirs et des instruments d’un tel projet est le complexe académico-médiatique que les autorités publiques et l’économie entretiennent, mais qu’elles craignent plus que tout. L’université demeure aujourd’hui le dernier bastion des utopies collectivistes du XIXe siècle et en même temps le creuset des recherches de pointe en biotechnologie, cybernétique ou intelligence artificielle qui prétendent redéfinir concrètement l’être humain et son environnement. Sans l’assistance des médias (dont elle forme l’ensemble des cadres), l’université ne pourrait jamais justifier les crédits colossaux alloués à des recherches sans aucun intérêt ni écho pour les populations qui les financent, et encore moins s’assurer couverture et soutien pour des projets d’ingénierie humaine susceptibles d’accorder un droit de vie et de mort sur le «matériau humain» à une étroite et obscure avant-garde de technocrates. Il est aisé de voir que la théorie du genre elle-même ainsi que ses ramifications constitue une stratégie d’intimidation et de prise de pouvoir sociétale des milieux académiques, doublée d’un formidable désinhibiteur pour l’expérimentation la plus sacrilège: celle portant sur le sexe et la reproduction de notre espèce.

    L’altruisme des sangsues

    Au refaçonnage en laboratoire de la réalité biophysique correspond le remplacement de la réalité éprouvée par une réalité de synthèse au travers des médias. En ce sens, le processus est agnostique et apolitique. N’importe ce que vous pensez, pourvu que vous pensiez artificiel: c’est pourquoi, par exemple, le grotesque nazisme ukrainien ne dérange absolument pas les médias de grand chemin! N’importe ce que vous croyez voir, pourvu que vous le voyiez à travers nos lucarnes. Tout ce que nous sentons, tout ce que nous pensons est passé au crible des médias et des valeurs qu’ils colportent. Les contradictions ne leur font pas peur, au contraire. Elles contribuent à désorienter le cobaye — et donc à le rendre encore plus dépendant. Les médias ne servent pas à informer la meute, ils servent à la dresser.

    D’où cette insistance sur le culte de l’Autre en tant que négation du Même (de soi), couplée à la dérive émotionnelle qui court-circuite les garde-fous rationnels. Tandis qu’on nous intime d’être altruistes dans le contexte général, il nous est permis et recommandé d’être cupides comme des sangsues dans notre vie privée (« Vos intérêts », « Faire fructifier votre argent », « profiter de vos avantages », etc.). En couplant la générosité abstraite à la mesquinerie concrète, on façonne des masses d’humains écervelés, abreuvés de slogans de fraternité et de partage, mais mus par un égocentrisme strict excluant tout esprit de sacrifice et toute confiance en l’autre, conditions premières d’une identité collective.

    C’est pourquoi les mouvements identitaires (= défense du Même) sont proscrits, c’est pourquoi le réalisme politique, social ou éducatif est a priori décrié, c’est pourquoi les individus au langage franc et à l’engagement sacrificiel sont inévitablement poussés vers « l'extrême droite ». N’échappent à la mise au ban que les grégaires et les veules qui acceptent de brouter l’herbe entre leurs quatre pattes sans s’intéresser au destin du troupeau.

    Et c’est aussi pourquoi la faillite totale du système médiatique sur la victoire de Trump n’était pas une simple erreur d’appréciation. C’était littéralement une « erreur système »: la faillite momentanée d’une matrice informatique mise en place non pour rendre compte de la réalité, mais pour la remplacer.

    Slobodan Despot (Antipresse n°54, 11 décembre 2016)

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