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Géopolitique - Page 10

  • Mer de Chine du Sud : le nouveau centre du monde ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Martin, cueilli sur le site du Nouveau Conservateur et consacré à la Mer de Chine comme nouveau centre des tensions entre les deux grandes puissances mondiales...

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    Le porte-avions chinois « Liaoning », entouré d’autres navires militaires, en mer de Chine

     

    Mer de Chine du Sud : le centre du monde

    Si demain un conflit ouvert se produit entre la Chine et les USA, il y a tout lieu de croire que ce sera dans la zone maritime qui sépare la Chine, le Vietnam, la Malaisie, les Philippines et Taïwan, la mer de Chine du Sud. Cette zone est en effet totalement stratégique pour la Chine comme pour les USA.

    C’est le politologue américain Graham T. Allison qui a inventé et popularisé le concept du «Piègede Thucydide» et qui a remis à l’honneur le célèbre historien grec de l’Antiquité.

    Il s’agit d’une «situation historique qui voit une puissance dominante entrer en guerre avec une puissance émergente poussée par la peur que suscite chez la première le surgissement de la seconde».

    Comment fonctionne le Piège de Thucydide ?

    On peut dire que cette constatation relève du bon sens, qu’elle a été extrêmement courante au cours de l’Histoire, et qu’elle caractérise parfaitement les relations actuelles entre les USA et la Chine. En soi, elle n’est donc pas très intéressante ni originale. Ce qui est plus utile à analyser, par contre, ce sont les péripéties possibles de l’évolution des belligérants à l’intérieur de ce piège, et les raisons qui pourraient conduire à ce qu’une «montée aux extrêmes» se produise, où, quand et pourquoi.

    Pour ce qui est de l’évolution des acteurs du conflit, tout comme aux premiers rounds d’un match de boxe, on constate qu’il existe souvent entre eux, à partir du moment où l’un comme l’autre se rend compte qu’un affrontement politique (mais pas nécessairement militaire) sera inévitable, une sorte de «période d’observation». Chacun tente d’abord de jauger l’autre, de l’amadouer ou au contraire (ou en même temps) de l’intimider, pour savoir comment il va réagir, s’il va finalement se soumettre ou si on va pouvoir le vaincre sans combattre. De même, on va tenter de se mesurer à lui sur des théâtres secondaires, où des «tests» – victoires ou défaites – seront possibles sans que les egos des protagonistes ne soient directement affectés.

    Ces périodes peuvent durer très longtemps. Elles peuvent se conclure soit par un partage du monde (USA/URSS dans un premier temps), soit par la soumission totale de l’un des deux (USA/Japon après la Deuxième Guerre mondiale), soit par la chute de l’un des deux sans affrontement direct (ainsi en fut-il tout au long de la guerre froide entre les USA et l’URSS, jusqu’à la victoire finale des USA, en 1991), soit par une victoire militaire (chute du nazisme en 1945).

    La «montée aux extrêmes» se produit souvent sans que les belligérants (s’ils préfèrent se jauger plutôt que se battre) ne l’aient expressément souhaité, mais de telle sorte qu’ils ne puissent l’éviter, soit parce que leur ego (et donc leur image) est directement touché, soit parce que la question est ultra-stratégique, soit parce que la friction, à cet endroit, est permanente. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, tout laisse à penser, même si par ce fait même les belligérants vont y focaliser toute leur attention, que c’est là que l’explosion a le plus de chances de se produire.

    La tentative de coup de force de la Chine

    Par rapport à la Chine, après une longue période où les USA ont semblé ne pas se rendre compte du danger, c’est aujourd’hui dans la phase de jauge et d’intimidation, de déclarations fortes, voire belliqueuses 2, que la relation s’est installée, 3 on ne sait pas pour combien de temps. Mais, en même temps, les conditions d’une «montée aux extrêmes» existent déjà, et toutes les conditions décrites plus haut y sont présentes.

    Un article remarquable du Général Daniel Schaeffer, paru sur le site Asie21, nous donne, à ce titre, de précieuses indications. Il détaille la situation en mer de Chine du Sud, où la Chine tente aujourd’hui un coup de force, en se basant sur un tracé de partage des eaux datant de 1947 et défini unilatéralement (et juridiquement condamné), pour «privatiser» la quasi-totalité de cette mer, y compris les îles qui s’y trouvent 4 îles, pour certaines, déjà occupées et militarisées. Il y a évidemment, dans cette démarche, un fort intérêt de contrôle des routes maritimes et de sécurisation de ses exportations vers le détroit de Malacca et les marchés de l’Ouest. Il y a aussi la captation des ressources halieutiques et, bien sûr, celles des hydrocarbures qui s’y trouvent. Mais cela n’est que la surface des choses.

    Ce que montre Daniel Schaeffer, c’est que se trouve, en plein dans cette mer, sur l’île de Hainan, la principale base militaire de sous-marins chinoise, dans le port de Sanya. Or les Chinois ont un problème de la plus haute importance : leurs missiles Julang-2, tirés depuis leurs sous-marins Jin, ne sont aujourd’hui pas suffisamment puissants pour frapper directement, en cas de riposte nucléaire, le territoire des USA. Ils auraient besoin pour cela de s’aventurer largemet dans le Pacifique, au moins jusqu’à Hawaï. Or la profondeur de la mer, en sortie de Sanya et jusqu’au détroit de Bashi, entre les Philippines et Taïwan, n’est pas suffisante pour que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins puissent s’y fondre immédiatement dans la mer profonde. Lorsqu’ils quittent leur base, ils sont immédiatement repérés par tous les autres, y compris par les navires US qui patrouillent dans la zone et, on peut le penser, suivis ensuite à la trace. Il est donc pour eux tout à fait essentiel de chasser toute présence étrangère de la zone, ou du moins de la contrôler entièrement, de façon à sécuriser la sortie de leurs sous-marins vers le Pacifique.

    Et le Général Schaeffer va même plus loin. En effet, le meilleur endroit, pour les Chinois, pour avoir accès directement aux grands fonds dès la sortie de leur base se situerait… sur la côte Est de Taïwan ! Là, en effet, ils pourraient disposer, à sept kilomètres des plages, de profondeurs de 1 300 m. Une configuration idéale pour menacer directement les USA. On comprend à quel point la conquête de la mer de Chine est pour eux essentielle, et celle de Taïwan bien plus encore.

    • 1 -Pour les Américains, la problématique est rigoureusement inverse. Tant que la menace des sous-marins chinois reste limitée à la mer de Chine du Sud, ils sont moins en danger.
    • 2 – Le Président chinois a demandé à plusieurs reprises à l’armée (en octobre 2018 et en octobre 2020, notamment) de se préparer à la guerre avec les USA.
    • 3 – De par l’accélération hégémonique chinoise conduite par Xi Jinping depuis 2013 et la réaction de Donald Trump pendant son mandat, de 2017 à 2021, une politique apparemment poursuivie par Joe Biden.
    • 4 – Du nord au sud : les Pratas, les Paracels, les Zhongsha Qundao, les Spratleys.
    • 5 – Et pour autant que les Chinois ne développent pas d’autres missiles plus puissants, ce qu’ils sont évidemment en train de faire avec les Julang
    • Deux géants politiques, dont l’un est hégémonique et l’autre ne pense qu’à lui ravir la place, s’affrontent dans une petite mer semi-fermée, où fourmillent une multitude de protagonistes, qui se côtoient avec des frictions permanentes, et où prédominent des intérêts stratégiques majeurs. Une «faille de San Andreas» politique, pourrait-on dire. La tension y augmentera, inévitablement, d’année en année. Si une éruption se produit un jour, il y a tout lieu de croire que ce sera là. La mer de Chine du Sud est, aujourd’hui et pour longtemps, le centre du monde.

    François Martin (Le nouveau Conservateur, 24 février 2023)

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  • Halte au Feu ! (et mort aux c.. !)

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré au durcissement du conflit russo-ukrainien.

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Halte au Feu ! (et mort aux c.. !)

    Il ne s’agit plus d’une « Opération militaire spéciale » mais d’une véritable guerre. Les objectifs en sont étendus et les moyens aussi. Considérablement. Moscou a pris le mors aux dents devant l’ampleur du soutien occidental au malheureux proxy ukrainien dont le Kremlin a aussi sous-estimé l’héroïsme des troupes et le nationalisme de la population au printemps dernier.

    La leçon a été vite apprise, et l’armée russe a connu en quelques mois une véritable remontée en puissance et efficacité dans tous les domaines. Désormais, Vladimir Poutine, pragmatique fataliste exaspéré par les mensonges de « l’Occident collectif » n’a d’autre choix pour sauver la face que d’aller au bout de l’aventure. D’autant qu’il gagne sur le terrain. Les Américains le savent mais préfèrent sacrifier sans vergogne les Ukrainiens jusqu’au moment où ils pourront leur dire qu’ils ont tout essayé mais qu’il leur faut en rabattre et négocier. Plus on attend plus cette négociation sera douloureuse et l’amputation territoriale importante. On peut continuer à le nier, à s’en indigner, à trouver cela inadmissible, à préférer la fuite en avant mais c’est ainsi. Peut-être aurait-on dû, le 17 décembre 2021, lorsque Vladimir Poutine adressa à Washington, l’Otan et l’UE, des projets de traité sur la refondation de la sécurité en Europe, prendre la peine de les lire au lieu de les lui jeter à la figure.

    Dans cette affaire, un an plus tard, ce n’est pas l’ours russe qui est blessé mais l’aigle américain et les moineaux européens. L’Ukraine a perdu depuis des mois déjà ce conflit et, à moins d’engager l’OTAN (avec tous les aléas politiques et militaires que cela comporte) dans un affrontement ouvert avec la Russie, Kiev ne pourra, pour de multiples raisons et d’abord pour des questions d’effectifs et d’armements, renverser le rapport de force.

    Il faut donc sortir du mensonge irresponsable dans lequel nous entretenons, notamment en France, les peuples européens sur « la victoire ukrainienne » et « la débâcle russe » et commencer à traiter le drame à hauteur du réel et du possible. Les Mediaş Main Stream mais aussi des figures militaires il est vrai de second ordre, portent à cet égard dans notre pays une très lourde responsabilité. Ce n’est pas seulement de l’indigence informationnelle, c’est de la propagande pure et dure. Tout cela pour complaire, dans ce qu’ils s’imaginent être une unité nationale contre la barbarie russe, à des pouvoirs politiques eux-mêmes en plein déni de réalité et bien peu familiers de ce que signifie la guerre. Volontairement sourds et aveugles aussi, devant ce que la Russie et une bonne partie du monde pensent de l’impérialisme occidental à l’heure des nouveaux équilibres de puissance et d’influence : obsolète, illégitime et stupidement belliqueux face à la multipolarité du monde.

    Au lieu de crier à « l’esprit de Munich », aux « réseaux du Kremlin en Europe », à « la Cinquième colonne complotiste », et même carrément d’appeler à une chasse aux sorcières de l’Etat digne du pire maccarthysme, quand des voix de tous bords politiques s’élèvent pour appeler à enrayer au plus vite cette escalade mortifère et inutile (et à imaginer des pourparlers sérieux sans préconditions à partir de l’état des forces sur le terrain avant qu’il ne s’aggrave davantage pour Kiev), j’ose leur donner un conseil : qu’ils prennent donc des cours accélérés d’anglais et se donnent la peine de s’informer ailleurs qu’auprès de l’état-major ukrainien. Qu’ils aillent écouter non seulement les informations officielles de Kiev, mais celle de Moscou, qu’ils s’intéressent aussi au contexte global de ce conflit en Europe, à ce qui se dit et se décide à Pékin, New Dehli, Téhéran, Ryad, Ankara, Bakou, le Caire, et même à Berlin ou Rome ! Qu’ils fassent des liens et changent le petit bout de leur lorgnette pour un grand angle. Surtout, qu’ils prennent enfin le temps de suivre sur… Utube, la bonne demi-douzaine d’anciens militaires presque tous américains ou britanniques, tous anciens du renseignement, qui chaque jour expliquent par le menu ce qui se passe véritablement sur le terrain mais aussi au plan diplomatique mondial.

    La Russie a préféré la réprobation occidentale au risque de voir son existence même mise en danger par l’installation de base OTAN à sa frontière directe. Cela fait plus de 15 ans qu’elle a exprimé à d’innombrables reprises et dans toutes les enceintes, ses préoccupations sécuritaires. Les stratèges américains le savent parfaitement et s’en sont servi pour la poursuite de leurs objectifs propres que j’ai déjà à maintes reprises expliqués, bien moins bien qu’un H. Kissinger ou même qu’un G. Friedman.

    L’escalade en cours rend chaque jour moins improbable un ultime avertissement russe touchant directement un pays de l’OTAN et donnant le signal d’une curée généralisée à l’issue aléatoire ou apocalyptique, considérant la supériorité technologique russe en matière d’armes hypersoniques. Qu’attend -t-on pour se réveiller et dire stop ?

    Il est une autre supercherie sur laquelle je souhaite revenir, car elle est gravissime du point de vue européen. Elle se situe au plan des valeurs de liberté de tolérance, de démocratie et d’égalité qui forment le socle de l’Europe d’après-guerre et de son surplomb « moral » revendiqué. Le chœur des bellicistes enragés qui vocifèrent leur haine de la Russie le font au nom de ces mêmes « valeurs » que l’on a peine à associer au pouvoir ukrainien actuel, qui a interdit partis politiques et Mediaş d’opposition sans parler de la langue russe. Pire, il a intégré depuis des années dans ses forces des milices ultranationalistes dont les discours, rituels et emblèmes témoignent de l’empreinte omniprésente d’une idéologie de sinistre mémoire aux filiations indicibles. Au nom des droits de l’homme et de la liberté, l’Europe qui se veut pacifiste et éclairée, arme et finance un pouvoir miné par un anti-slavisme forcené aux relents suprémacistes. Cette inversion des valeurs devient indéfendable mais est noyée par l’invasion du territoire ukrainien par les forces russes, aussi inexcusable qu’inévitable. De l’aveu même de plusieurs gouvernants occidentaux et ukrainiens, cette guerre a pourtant été voulue et préparée. Une guerre de l’Otan contre la Russie, de l’Occident contre une grande partie du reste du monde dont l’Ukraine n’est que le proxy volontaire et son peuple la victime sacrificielle.

    C’est une guerre existentielle, mais pas seulement pour la Russie. C’est l’avenir du monde et des lignes de forces planétaires qui se jouent sur le sol de ce pays charnière pour la sécurité en Europe. Une sécurité que chaque palier de l’escalade ruine un peu plus. Il s‘agissait de couper la Russie de l’Europe une fois pour toutes. C’est fait. Il s’agissait de placer l’Europe sous dépendance gazière américaine. C’est fait. Aucun dirigeant européen n’a trouvé à redire au sabotage des gazoducs NS 1 et 2. Le socle de la puissance industrielle allemande n’est plus mais Berlin se tait. Cette attitude suicidaire de l’Europe est proprement délirante. Notre dogmatisme et notre servilité n’ont plus de limites. Nous sommes désormais en première ligne d’un affrontement que Moscou ne peut plus éviter et on y va, la fleur au fusil, tout en expliquant que nous ne sommes pas cobelligérants. Voyage en Absurdie.

    Désormais, le pot aux roses vacille. Face à une réalité militaire trop longtemps tronquée défigurée par les nécessités de la propagande, les comploteurs qui dénoncent depuis un an avec aplomb le complotisme des trolls du Kremlin paniquent devant l’imminence du dévoilement de la vérité. Il faut faire retomber la pression. Retrouver un semblant de dialogue. Mais la confiance est totalement partie du côté russe et nous faisons tout pour que Moscou ne le souhaite pas, d’autant que la Russie est actuellement en position favorable et donc va poursuivre au moins jusqu’à la sécurisation de ses gains officiels (les 4 oblasts) et l’assurance que Kiev ne pourra soutenir dans le temps sa guerre d’attrition.

    L’Amérique ne peut l’emporter et a déjà perdu mais veut maintenir à tout prix l’illusion d’une victoire morale et politique possible. L’Europe suit en ordre dispersé et va tout perdre. La France n’a rien compris et encore moins rien voulu comprendre. Nous avons méprisé nos atouts relatifs, renoncé à faire un pas de côté. Comme d’habitude, c’est en suivant une route qui n’est pas la nôtre que nous avons perdu notre chemin.

    La haine domine l’intelligence (de situation mais pas seulement) par l’intolérance et le mensonge. C’est l’Ukraine qui est en morceaux qui sera probablement de fait divisée. C’est son peuple qui souffre de la folie d’un gouvernement qui lui avait promis la paix avec la Russie et n’a fait que fomenter la guerre. C’est la jeunesse Ukrainienne qui, quand elle n’a pu s’enfuir à temps, est sacrifiée et envoyée au front sans expérience dans des assauts désespérés qui veulent masquer au monde le rapport de force sans appel défavorable et pomper les milliards américains et européens pour remplir les poches d’une clique ultra corrompue aux relents d’idéologie fasciste. Ne comprenons-nous pas que c’est indéfendable, que l’anti-slavisme éructant et ultraviolent des milices versées dans les forces ukrainiennes entretenues depuis des décennies par les services occidentaux au cours de la guerre froide, puis réveillées, payées, formées armées depuis 2015 par l’OTAN elle-même, ne sont pas là pour sauver l’Ukraine mais pour la sacrifier à la volonté américaine d’affaiblir la Russie, de la couper à jamais de l’Europe et, dans les plus fous fantasmes, de parvenir enfin à la mettre en coupe réglée et à la piller comme cela avait été si magistralement commencé dans les années 90 ? C’est un éléphant dans la pièce que nous faisons mine d’ignorer. Il peut nous écraser.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 30 janvier 2023)

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  • Les ambitions inavouées...

    Les éditions Tallandier viennent de publier le nouvel essai de Thomas Gomart intitulé Les ambitions inavouées - Ce que préparent les grandes puissances. Historien et directeur de l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart est membre des comités de rédaction de Politique étrangère, de la Revue des deux mondes et d'Etudes et est déjà l'auteur de L'affolement du monde - 10 enjeux géopolitiques (Tallandier, 2019) et de Guerres invisibles (Tallandier, 2021).

     

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    " Que savons-nous des plans échafaudés par nos partenaires et adversaires ? La guerre en Ukraine nous a brutalement rappelé qu’une décision prise par un chef d’État a un impact sur le sort de millions de personnes. Pour rompre avec une vision du monde souvent nombriliste, la France doit mieux comprendre les ambitions des autres grandes puissances. C’est l’objectif de cet essai inédit et stimulant.

    Quelle importance accorder à la foi religieuse dans les stratégies conduites par la Turquie d’Erdogan, l’Iran de Khamenei et l’Arabie saoudite de MBS ? De quelle manière les orientations
    prises par l’Allemagne de Scholz, la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping reconfigurent-elles l’Eurasie ? Le Royaume-Uni et les États-Unis se définissent désormais comme des «démocraties maritimes ». Qu’en est-il de l’Inde ?

    Combinant temps long et ruptures récentes, Thomas Gomart nous invite à regarder «d’en haut» neuf grandes stratégies. Pour concevoir sa propre vision, Paris doit intégrer celle des pays
    avec lesquels elle entretient des relations cruciales tout en considérant le contexte global : réchauffement climatique, crise énergétique, conflits, innovations technologiques ou encore flux économiques et numériques. Au regard des transformations à l’œuvre, il y a urgence pour la France à repenser sa stratégie pour les décennies à venir si elle veut encore compter dans le monde. "

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  • Guerre en Ukraine : trois scenarios pour 2023...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Bernard Pinatel cueilli sur Geopragma et consacré aux scénarios d'évolution de la guerre en Ukraine. Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

     

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    Guerre en Ukraine : trois scenarios pour 2023 et les facteurs déterminants qui les sous-tendent

    Dans « Foreign Affairs » du 4 janvier 2023[i], Barry Ross Posen, professeur de sciences politiques internationales au MIT et directeur du programme études de sécurité du MIT infléchit son évaluation de situation concernant la guerre en Ukraine : « En juillet, j’ai fait valoir que la guerre était dans l’impasse. Compte tenu des succès subséquents de l’Ukraine dans la libération du territoire dans et autour des villes de Kherson et Kharkiv, mon évaluation était clairement prématurée. Mais il convient de noter que l’Ukraine a obtenu ces succès pendant la période où les forces de la Russie étaient à leur plus faible et son leadership à ses plus pauvres moments. Malgré les progrès de Kiev, la triste vérité demeure qu’à l’époque et à l’heure actuelle, le rapport entre les pertes russes et les pertes ukrainiennes est de un pour un, selon les estimations des États-Unis. La campagne de bombardements contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes, qui a commencé en octobre, force l’Ukraine et ses alliés à détourner leurs ressources vers la défense de la population urbaine du pays, vulnérable aux intempéries en l’absence d’électricité. Et le retrait des forces russes de la ville de Kherson en novembre a sauvé des unités capables de destruction et les a libérés pour l’action ailleurs« .

    Cette analyse est importante à plusieurs titres : elle confirme les analyses stratégiques de plusieurs géopoliticiens français ou étrangers notamment ceux de GEOPRAGMA, (dont la pensée reste libre de tout appartenance) car elle minimise les succès ukrainiens que nos analystes de plateaux TV considéraient comme décisifs et qui les autorisaient à pronostiquer la défaite de la Russie.

    A l’orée de 2023 l’évolution de la réflexion de cet influenceur important de la pensée stratégique des élites américaines est l’occasion de rappeler les facteurs déterminants qui se sont dégagés de ces 10 mois de guerre et qui décideront de l’évolution de ce conflit.

    Ils limitent le champ des scénarios plausibles sur la poursuite de ce conflit en 2023.

    Les facteurs déterminants qui se sont révélés au cours de ces 10 mois de guerre :

    1. Les russes, par sous-évaluation des capacités ukrainiennes et de l’héroïsme de ses soldats et probablement pour devancer une attaque de leur part prévue au printemps, se sont lancés le 24 février 2022 dans cette « opération spéciale » avec des forces limitées (environ 100 000 hommes) et un commandement décentralisé (3 corps d’Armée) sur un front très étendu (1000 km). Avec ces forces ils n’avaient, comme je l’ai déclaré le 5 mars sur LCI, ni la capacité de s’emparer de Kiev ni de conquérir toute l’Ukraine que la majorité des consultants TV désignait alors comme l’objectif de la Russie, mettant même en garde contre une extension du conflit aux pays voisins.

    2. Ce qui a été proclamé à l’Ouest comme de grandes victoires ukrainiennes ne sont en réalité que des replis opératifs des forces russes de l’oblats de Kharkiv et de la rive Ouest du Dniepr à Kherson.  En effet, les russes ne pouvaient conserver ces territoires avec des effectifs aussi limités sans s’exposer à des contre-attaques victorieuses de la part de Kiev.

    3. Même si les pertes ukrainiennes[ii] sont égales et probablement supérieures à celles avouées par les autorités de 100 000 hommes soit 10 000 hommes en moyenne par mois de guerre, il est exagéré d’en attribuer autant aux forces russes. En effet l’Ukraine a mobilisé environ un million d’hommes et en a envoyé au front 500 000 ce qui constitue un taux de pertes très élevé de 20%, inconnu depuis la seconde guerre mondiale (par comparaison dans ses OPEX, la quatrième génération du feu, la France a perdu depuis 1969 en moyenne un homme par mois et 350 par mois durant la guerre d’Algérie 1954-1962).

    En outre, 100 000 russes hors de combat signifierait que le taux de perte des forces russes serait de l’ordre de 75% des effectifs engagés en prenant en compte les forces du Donbass et les milices Wagner (50 000 h) ce qui est évidemment irréaliste. En appliquant le même taux qu’a subi l’Ukraine, les pertes des forces engagées du côté russe sont probablement plus proches de 30-40 000 hommes.  Cette évaluation est corrélée par le nombre de prisonniers de part et d’autre.  Les russes affirment détenir plus de 6000 ukrainiens et miliciens, chiffres corroborés par les ONG qui ont été autorisées à les rencontrer alors que Kiev garde un silence total sur le nombre de prisonniers russes. Un indice toutefois, le seul échange de prisonniers médiatisé a porté le 22 septembre sur 215 prisonniers ukrainiens et étrangers contre 55 prisonniers russes. On retrouve ce rapport de 1 à 4 qui reflète probablement mieux les pertes russes par rapport aux pertes ukrainiennes.

    4. Les Russes qui ont une population 4 fois plus importante que celle de l’Ukraine, disposent encore de réserves mobilisables même après le rappel de 300 000 réservistes alors que les ukrainiens ont atteint leurs limites.

    5. Le remplacement des matériels détruits et la maintenance opérationnelle est facilitée côté russe mais constitue un casse-tête pour l’Ukraine. En effet, la Russie possède la deuxième industrie d’armement exportatrice du monde derrière celle des Etats-Unis, loin devant la France troisième (deux fois et demie en valeur source SIPRI). Elle est donc capable de remplacer les matériels perdus et les munitions utilisées à l’identique ou par des matériels d’une génération plus récente (ex les 200 chars lourds T90M[iii]) tout en pouvant obtenir des munitions et des matériels de même type chez les pays amis équipés des mêmes armements.

    En revanche, depuis le 24 février, le soutien des pays occidentaux à l’Ukraine confronte ses forces à un double défi quantitatif et qualitatif.

    Le problème quantitatif vient de la consommation de munitions par l’Ukraine qui tire en une semaine la quantité d’obus et de missiles que les Etats-Unis produisent actuellement en un mois. Ces cadences de tir entrainent de plus une usure rapide des matériels : 50% des obusiers américains serait en maintenance ou hors service ; la précision des canons César français décroit avec leur usage intensif. A cela s’ajoute le fait que les pays de l’OTAN sont incapables de remplacer nombre pour nombre les matériels détruits au combat sans mettre à nu leurs forces car leurs industries d’armement ne sont pas capables d’augmenter rapidement leurs cadences…

    L’aspect qualitatif provient du fait que les pays anglo-saxons et européens ne peuvent remplacer les matériels détruits avec les mêmes matériels de fabrication soviétique des années 80 qui équipaient majoritairement l’armée ukrainienne au début du conflit ce qui entraine une hétérogénéité des matériels à soutenir. De plus les pays de l’OTAN envoient des matériels très différents qui accroissent à chaque envoi l’hétérogénéité du parc ukrainien de matériels ce qui impacte directement leur maintien en condition opérationnelle (MCO). En effet la maintenance des obusiers américains n’a rien de comparable avec celui de nos canons César ; de même celle des engins blindés à roue de transport de troupe VAB et les AMX-10RC canon qui sont actuellement remplacés dans nos régiments par les matériels du programme Scorpion, n’a rien de commun avec celle des blindés anglo-saxons ou allemands. Tout cela accumulé pose aux ukrainiens des problèmes de maintien en condition difficilement surmontables et plusieurs sources indiquent que le taux de disponibilité de leurs matériels est inférieur à 50%.

    6. Un nouvel élément qui vient d’être révélé par le Président du Nigéria : le détournement vers la contrebande d’armes d’une partie des équipements livrées par les occidentaux à l’Ukraine. Ce fait dramatique ne peut plus être occulté[iv] et soulève des questions éthiques et stratégiques auxquelles il n’est pas facile de remédier même si les Etats-Unis s’attachent à mettre en place pour 2033 des mécanismes pour le limiter[v] . Ce révélateur de la corruption endémique en Ukraine et les conséquences sur les ressortissants et les intérêts européens en Afrique est de nature à fragiliser le soutien que les populations et certains dirigeants européens apportent à cette guerre.

    7. Enfin, du fait du délai consenti pour l’application des sanctions et malgré le sabotage de Nord Stream 1 et 2 par les anglais le 26 septembre, les états européens ont importé de Russie les dix premiers mois de 2022 des produits énergétiques pour une valeur de 181 milliards d’euros, soit une augmentation en valeur de 38 % par rapport à l’année précédente[vi] et, malgré cela, les prix de l’énergie flambent en Europe. Les leaders européens prennent conscience qu’ils ne pourront se passer du gaz russe sans accepter un accroissement considérable du prix de l’énergie avec les conséquences en termes économiques et sociaux qui fragilisent leur pouvoir et mettent à mal la cohésion de l’Union Européenne.

    Les scénarios pour demain

    Il est aujourd’hui évident que la Russie reprendra l’offensive début 2023 avec des forces deux à trois fois plus importantes que celles engagées le 24 février 2022. La question que tous les analystes se posent est avec quel but de guerre et quelles chances de réussite ? Les enseignements tirés des 10 premiers mois de guerre permettent d’écarter le scénario d’une défaite russe que souhaite la majorité des commentateurs peu avertis de la chose militaire et qui trop souvent prennent leurs désirs pour la réalité.

    Le scénario coréen.

    Pour les consultants qui défilent sur les plateaux TV, ce conflit ne peut se terminer que par la victoire de l’Ukraine ou par une solution diplomatique qui lui permettrait de recouvrer tout le territoire perdu y compris la Crimée.  Il apparait plus conforme au déroulement de cette guerre d’envisager une situation dans lequel le conflit continue sans victoire ni paix. C’est le scénario Coréen. Poutine a compris que la poursuite de la guerre va couter à la Russie de plus en plus cher en hommes et à son économie car les occidentaux sont en mesure d’accélérer la fabrication d’armes et de munitions et la division des Républicains américains sur le soutien à l’Ukraine laisse le champ libre aux démocrates pour accroitre leur soutien à Zelenski. La diplomatie russe ayant obtenu l’assurance de plusieurs pays européens qu’ils s’opposeront à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, Poutine considère que le risque de voir Odessa devenir une base OTAN et la flotte américaine en mer Noire est limité au moins pour les cinq années à venir. Cette assurance est basée sur la prise de conscience d’une partie des leaders européens et de la majorité de la population que ce sont leurs pays qui auront à supporter les conséquences économiques et sociales du prolongement de cette guerre et le soutien à l’Ukraine « quoi qu’il en coûte » est largement remis en cause. En conséquence Poutine limite ses buts de guerre et utilise ses nouvelles forces pour terminer la conquête des 4 oblats de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson et place ses unités en défensive à leurs frontières. Les Ukrainiens usent leurs forces, déjà fortement éprouvées, en lançant des offensives sur ces défenses qui sont hachées par l’artillerie russe. Et petit à petit fin 2023 s’installe une situation de « non-guerre armée » de part et d’autre d’une « nouvelle frontière » qui n’est pas reconnue par l’Ukraine et par les occidentaux…et on se retrouve dans la situation Coréenne qui perdure depuis 74 ans.

    Le scénario : un pont trop loin

    Avec ses nouvelles forces et pour ne pas laisser le temps aux occidentaux d’ajouter à la guerre économique qu’ils mènent à la Russie, la mise sur pied d’une « économie de guerre » dans leurs pays (accroissement de plusieurs points du PIB des dépenses d’armement, passage aux 3 X 8 dans les industries de défense), Poutine décide de terminer la conquête des 4 oblasts qu’il a annexés juridiquement et de lancer simultanément une offensive pour s’emparer d’Odessa et rejoindre la province autonome de Transnistrie en annexant les oblasts de Mikolaïv et d’Odessa. Cette relance de l’agression russe resoude le camp occidental et il devient évident même chez les leaders politiques favorables à la Russie que Poutine a perdu la tête et qu’il faut donner un coup d’arrêt à la Russie car, après avoir conquis Odessa, rien ne dit qu’il ne foncera pas à nouveau sur Kiev. Les pays européens accroissent leur cobelligérance et une véritable légion étrangère composée de volontaires des pays européens et équipée des derniers matériels les plus performants rejoint l’Ukraine qui reçoit massivement les équipements de défense anti-aérienne pour rendre l’utilisation de l’espace aérien très couteux par la Russie. Des contre-attaques vigoureuses nord-sud mettent à mal les lignes de ravitaillement terrestres russes vers Odessa tandis que des sous-marins occidentaux pénètrent en mer Noire et coulent les navires de ravitaillement russe. La fin de l’année 2024 marque l’échec de cette offensive et la Russie est contrainte de se replier à l’Est du Dniepr.

    Scénario 3 : la nucléarisation du conflit

    Poutine a perdu espoir d’atteindre ses objectifs minima par des moyens classiques : conquérir et défendre les 4 oblasts annexés et obtenir une neutralisation de l’Ukraine qui éviterait de voir Odessa devenir une base OTAN. En effet les livraisons d’armes des pays anglo-saxons, la formation des soldats ukrainiens et l’engagement de plus en plus nombreux de combattants venus d’Occident bloque l’avancée de ses troupes dans le Donetsk. Les pays occidentaux multiplient l’envoi de nouveaux systèmes de défense aérienne en Ukraine, atténuant l’impact des frappes stratégiques de la Russie, ainsi que de son aviation d’appui au sol. Les Etats-Unis autorisent l’Ukraine à déplacer ses lance-roquettes M142 HIMARS vers le sud et à cibler les ports, les bases et les dépôts russes en Crimée. La flotte russe subit des attaques en mer Noire et plusieurs de ses bâtiments sont coulés. Le pont de Crimée est à nouveau endommagé grandement. M. Poutine considère alors que les intérêts vitaux de la Russie sont en jeu. Il déploie ses armements nucléaires non stratégiques et fait exploser une arme nucléaire en altitude au-dessus de l’Ile aux serpents en signe d’ultime avertissement. Il lance aux occidentaux un ultimatum : arrêtez et revenez à la table de négociations ou vous aurez à faire face à l’utilisation d’armes nucléaires non stratégiques sur le théâtre des opérations. Il est évident que ce scénario peut constituer la suite du scénario deux.

    En conclusion

    Les décisions de Washington dans son soutien à Zelenski et la perception par les leaders européens des risques que l’Europe encourt en poussant Poutine dans ses retranchements et leur décision de découpler ou non leur action en Ukraine de celle des anglo-saxons déterminera la désescalade de cette guerre en 2023 ou sa montée aux extrêmes. La position des leaders européens est d’autant plus essentielle que, dans cette guerre, les européens, l’Ukraine et la Russie apparaissent être les « dindons de la farce anglo-saxonne » qui veut affaiblir la Russie avec le sang des Ukrainiens et, en restaurant une guerre plus chaude que froide, interdire toute alliance économique entre l’Europe et la Russie pour éviter qu’elle devienne la première puissance économique mondiale du XXIème siècle. Cette guerre fait reculer le monde multipolaire que nous appelons de nos vœux et nous ramène dans la deuxième moitié du XXème siècle dans un monde dominé par un duopole  USA-URSS remplacé désormais par USA-Chine, alliée de la Russie.  En rejetant ainsi la Russie dans les bras de Pékin, nous nous dirigeons comme des somnambules vers cet affrontement de l’Heartland contre le Rimland, annoncé par les géo-politologues Halford Mackinder (1861-1947) et Nicholas Spikman (1893-1943) d’autant que la prolongation de ce conflit accroit les risques de sa nucléarisation ce qui serait dramatique pour l’Europe alors que  les vraies menaces pour l’avenir de nos sociétés sont le dérèglement climatique, l’immigration massive et l’islam radical.

    Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 15 janvier 2023)

     

    Notes

    [i] https://www.foreignaffairs.com/ukraine/russia-rebound-moscow-recovered-military-setbacks?utm_medium=newsletters&utm_source=fatoday&utm_campaign=The%20New%20Industrial%20Age&utm_content=20230104&utm_term=FA%20Today%20-%20112017

    [ii] On entend par perte, les tués, les blessés graves qui ne reprendront pas le combat et les prisonniers

    [iii] https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-la-russie-envoie-200-de-ses-chars-les-plus-modernes-des-t-90m-dans-le-donbass-20221208

    [iv] Muhammadu Buhari, président du Nigéria – la première puissance économique africaine en termes de PIB nominal et la deuxième en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat – a déclaré récemment que des armes en provenance du conflit ukrainien se déversent à flot continu dans la région du bassin du lac Tchad.

    Le chef d’Etat nigérian a lancé cet appel dans son discours d’ouverture du 16ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), qui s’est déroulé dans la ville d’Abuja, la capitale du Nigéria. « Ce mouvement illégal d’armes dans la région a intensifié la prolifération des armes légères et de petit calibre qui continue de menacer notre paix et notre sécurité collectives dans la région », a ajouté Muhammadu Buhari dans son discours. Au point que même certains représentants de régimes occidentaux avaient fini récemment par admettre timidement cette réalité.

    [v] https://www.jmu.edu/news/cisr/2022/10/28-wra.shtml

    [vi] Eurostat

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  • Un bilan de l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Pierre Conesa à Aïcha Hmissi sur Omerta, dans lequel il fait le bilan de l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient.

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021) et Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022).

     

                                              

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  • Une perspective d’Orient...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dario Rivolta, consacré au point de vue de l'Orient sur l'Occident et l'Europe. L'auteur est analyste géopolitique et ancien député italien et membre de la Commission des Affaires Étrangères.

    Amérique du Nord, Analyse, Articles, Asie, Chine, Eurasie, Europe, géoéconomie, Organisations Internationales, Panorama de la Gouvernance mondiale, Politique et Relations internationales, Stratégie Globale, dario rivolta

    Une perspective d’Orient

    Notre monde sous une autre perspective : comment l’orient nous perçoit-il ?

    Pour obtenir de bons résultats dans une négociation internationale, qu’elle soit commerciale ou politique, il est indispensable de bien comprendre quels sont les véritables centres d’intérêts de l’interlocuteur (même non déclarés) et ses « lignes rouges« . Pour cela, il faut essayer d' »entrer » dans sa tête, connaître les racines culturelles dans lesquelles il a grandi et, surtout, savoir comment il nous perçoit ainsi que le monde dont nous sommes le fruit. Au contraire, l’erreur la plus courante et la plus contre-productive dans laquelle nous tombons consiste interpréter la négociation au travers nos codes de lecture en projetant nos propres canons de jugement sur l’autre et en présupposant l’existence de valeurs et réflexes communs.

    Malheureusement, quand nous regardons l’Asie et le reste du monde depuis l’Occident, nous n’avons pas l’habitude de nous dépouiller de nos préjugés et de nos habitudes culturelles. Pire encore : il nous semble évident que notre façon de voir le monde est le seul possible ou du moins la meilleure de toutes les alternatives.

    Cependant, quiconque souhaite jeter au moins un aperçu de la façon dont les Asiatiques voient le monde occidental ferait bien de lire le livre de Kishore Mahbubani : « Occident et Orient : qui perd et qui gagne« .

    Mahbubani est un parfait « médiateur culturel » ayant été diplomate singapourien pendant trente ans ayant assumé différentes hautes responsabilités auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Son éducation culturelle débute à Singapour avec une licence en philosophie et un mémoire de master sur la confrontation entre Karl Marx et John Rawls. Il a étudié la littérature européenne, indienne et chinoise et parle plusieurs langues. Entre autres choses, il a enseigné aux USA à Harvard et a été doyen et professeur de la Lee Kuan Yew School of Public Policy (Singapour). Il a également écrit plusieurs livres, dont un sur Machiavel. Foreign Policy l’a inclus dans la liste des plus grands intellectuels mondiaux et le Financial Times le considère parmi les cinquante économistes capables de débattre raisonnablement de l’avenir de l’économie capitaliste.

    Son jugement sur l’Occident part de l’hypothèse que le plus grand cadeau qu’il ait fait au monde est le pouvoir du raisonnement logique. Mode désormais également adopté par l’Orient mais peu à peu revisité ou même abandonné en Asie : « … L’Occident a perdu la capacité de se poser des questions fondamentales et s’est réfugié dans une bulle auto référentielle et complaisante…« .

    Dans le volume susmentionné, il nous rappelle que depuis le début de l’histoire jusqu’au XIXe siècle, les deux plus grandes économies du monde étaient la Chine et l’Inde et ce n’est qu’au cours des deux derniers siècles que l’Europe et le monde anglo-saxon sont devenus politiquement et économiquement dominants. Cependant, cette situation s’est clairement inversée, surtout au cours des deux dernières décennies. La part du PIB mondial en 1980 était clairement en faveur de l’Occident (au sens large, y compris le Japon et la Corée du Sud, considérés politiquement « occidentaux« ) avec une part supérieure à 60 %, mais aujourd’hui cette part est tombée à moins de 40 % et se contracte continuellement en faveur des économies des pays émergents. Déjà en 2015, les membres du G7 ont contribué à hauteur de 31,7 % à la croissance mondiale, tandis que la Chine + l’Inde + le Brésil + le Mexique + la Russie + l’Indonésie et la Turquie (E7) ont atteint 36,3 %. En termes de pouvoir d’achat, en 1980, la Chine représentait un dixième de l’économie américaine, en 2014 elle est devenue la plus grande économie du monde.

    Pour confirmer le revirement, des enquêtes ont par exemple établi qu’en 2016, 90 % des jeunes Indonésiens se déclaraient heureux alors qu’en Europe, seuls 57 % de leurs pairs étaient heureux. Il est clair pour tous que le sentiment de bonheur potentiel découle davantage des attentes concernant l’avenir que des conditions du moment.

    Mahbubani décrit un aveuglement des élites occidentales dans le fait que nous continuions à croire que l’événement le plus important de l’histoire mondiale récente ait été le 11 septembre 2001 (Twin Towers). Tout en attribuant la présence d’excellentes universités et d’intellectuels talentueux dans le monde occidental, il est surprenant que l’importance absolue de l’adhésion de la Chine à l’OMC sur les développements futurs dans le monde n’ait pas été comprise et mieux interprétée dans ce qu’elle signifie à l’échelle planétaire. C’est cet événement qui a conduit au début du déclin économique occidental. La Banque des règlements internationaux, elle aussi, le dit dans un rapport officiel de 2017 : l’entrée d’un milliard de nouveaux travailleurs hautement productifs dans le système commercial mondial a entraîné une « destruction créative » massive et la perte de nombreux emplois en Occident. D’où l’instabilité politique et l’appauvrissement économique croissants, les populismes et les luttes entre pauvres qui dévastent nos sociétés. Un fait intéressant (citant un universitaire américain) est le suivant : « En moyenne en 1965, le PDG d’une entreprise américaine gagnait 20 fois le salaire d’un de ses ouvriers. En 2013, toujours en moyenne, ce ratio est passé à 296 fois« . Exactement ce qui a continué à se produire en Europe aussi, contribuant à exacerber les conflits sociaux.

    Concernant la croyance répandue parmi nous selon laquelle les Chinois souffrent tous d’un régime exceptionnellement despotique, il écrit : « Si cette perception occidentale était vraie, comment 100 millions de Chinois voyageraient-ils à l’étranger ? … Et puis, 100 millions de Chinois rentreraient-ils librement chez eux s’ils se sentaient vraiment opprimés ?« . Il ne s’agit pas de nier que de nombreux cas de mécontentement populaire se manifestent aussi en Chine, mais des formes de protestation, parfois violentes, se produisent également dans nos pays démocratiques et la seule différence (importante) tient à la façon dont les gouvernements respectifs réagissent.

    Parlant de visions stratégiques, Mahbubani est très clair. Selon lui, « l’intervention la plus malavisée a été d’envahir l’Irak en 2013. En théorie, la guerre en Irak s’est déroulée au lendemain du 11 septembre. En pratique, ce n’était qu’une démonstration de l’arrogance et de l’incompétence stratégique de l’Occident, et des États-Unis en particulier. En détruisant Saddam et en attaquant les talibans, les États-Unis ont beaucoup aidé la puissance iranienne… et créé un gâchis colossal« . L’Irak est maintenant devenu l’exemple type de comment ne pas envahir un pays. Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour et ami des Américains, a sarcastiquement noté que « même les Japonais avaient fait mieux pendant la Seconde Guerre mondiale« .

    Selon lui, une deuxième bévue stratégique occidentale majeure a été d’ »humilier davantage la Russie déjà humiliée« . Il cite Churchill qui a soutenu que « dans la victoire, vous avez besoin de magnanimité« . Au contraire, après avoir remporté la guerre froide, l’Occident a voulu étendre l’OTAN aux frontières de la Russie. À ce propos, Thomas Friedman (c’est toujours Mahbubani qui le cite) dans le New York Times du 4 mars 2014 (après le Maïdan) écrivait : « J’ai lutté contre l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie après la guerre froide, quand la Russie était de loin la plus démocratique et la moins menaçante de tous les temps. Cela reste l’une des choses les plus stupides que nous ayons jamais faites et, évidemment, a jeté les bases de l’ascension de Poutine.« 

    Autre aspect abordé par le cultivé diplomate singapourien est l’accusation lancée contre la Russie d’avoir tenté de s’ingérer dans les élections présidentielles américaines de 2017 : « Aucun dirigeant américain ne s’est posé la question : mais les USA ne se sont-ils jamais rendus coupables d’ingérence dans des élections dans d’autres pays ? » Et la réponse est citée par une étude (2016) de l’Institute of Politics and Strategies de l’Université Carnegie Mellon qui a constaté que de 1946 à 2000 bien plus de quatre-vingts cas d’ingérence américaine ont été documentés.

    Le troisième point qu’il considère comme une erreur de jugement de l’Occident sont les soi-disant « révolutions de couleur”. Une liste partielle comprend : la Yougoslavie (2000- Bulldozer), la Géorgie (2003- Rose), l’Ukraine (2005- Orange et 2014- Maidan), Irak (2005- Violet), Kirghizistan (2005- Tulipes), Tunisie (2010- Jasmin), Égypte (2011- Lotus). Sans oublier la Libye et la Syrie. Il souligne que certaines de ces « révolutions » ont été générées en interne mais que l’Occident s’est empressé de les soutenir au nom de « l’exportation de la démocratie« . Une exportation qui n’a jamais concerné des pays « amis » comme par exemple, l’Arabie Saoudite et (peut-être) la Turquie.

    Garcia Marquez, après le 11 septembre, a écrit au président Bush : « … Comment vous sentez-vous maintenant que l’horreur éclate dans votre jardin et non dans le salon de votre voisin… Savez-vous qu’entre 1824 et 1994, votre pays a fait 73 invasions en Pays d’Amérique latine… Depuis près d’un siècle, votre pays est en guerre avec le monde entier… Qu’est-ce que ça fait, Yankee, de découvrir qu’avec le 11 septembre, la longue guerre est enfin arrivée chez vous ? « .

    Bien sûr, le livre de Mahbubani contient de nombreuses autres considérations vues d’orient qu’il nous est utile de découvrir. Attention, il n’est pas un ennemi de l’Occident et a même été élu membre de la prestigieuse Académie Américaine des Arts et des Sciences. C’est simplement quelqu’un qui nous regarde d’un autre point de vue et, dans de nombreuses circonstances, regrette ce qu’il juge être nos erreurs.

    Le livre se conclut par un constat très intéressant sur la diversité des intérêts des États-Unis et de l’Europe, pas toujours conciliables, et sur son étonnement de voir comment les élites européennes suivent servilement les volontés américaines, même si elles constituent souvent un préjudice pour le Vieux Continent.

    La lecture de Kishore Mahbubani nous oblige à une nouvelle perspective, à travers le spectre asiatique et mondial et nous offre différents angles d’analyse pour observer le globe dans lequel nous vivons trop souvent en guerres inutiles.

    Dario Rivolta (Geopragma, 29 décembre 2022)

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