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Géopolitique - Page 9

  • Après le retrait américain… enfin la paix au Moyen-Orient ?

    Pour sa nouvelle émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Pierre Conesa pour évoquer avec lui les lignes qui bougent au Moyen-Orient.

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021) et Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022).

     

                                           

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  • Qui est légitime ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux États-Unis qui sont devenus une puissance de désordre et de chaos et au monde qui se prépare contre eux...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Qui est légitime ?

    La puissance légitime appartient à qui apporte la paix.

    Longtemps, les États-Unis d’Amérique du Nord ont pu revendiquer la puissance mondiale parce qu’ils ont été une puissance d’ordre et de paix. Tenus par les limites de la confrontation avec le communisme soviétique, du bon sens et de la raison, les États-Unis ont joué un rôle que certains comparent à celui de l’Empire romain — un rôle de bienveillance armée. Les Européens se rappellent que Jean Monnet a accueilli le plan Marshall comme un moyen de l’indépendance de l’Europe, d’ailleurs en prévoyant une entente avec la Russie. Bob Kennedy a rapporté les sages instructions de JF Kennedy lors de l’affaire des fusées à Cuba en 1962 — l’Union soviétique n’a pas subi une défaite, une grande puissance ne doit pas être humiliée, et seule la paix a gagné. Qui s’en souvent aujourd’hui à Washington ? Et la sagesse de George Bush lors de l’invasion du Koweit par l’Irak a illustré encore en 1991 la retenue stratégique et l’intelligence politique des États-Unis — mettre fin à l’invasion, punir l’agresseur, mais laisser vivre le régime irakien, régime baasiste, laïque, opposé à l’islamisme radical. Qui sait encore à Washington ce qui signifient les mots de retenue et d’intelligence ?

    Depuis l’aventurisme des néoconservateurs, les États-Unis sont devenus une puissance de désordre, de chaos et de terreur. Et ils sont devenus le pire ennemi de leurs alliés, et leur propre ennemi. D’abord, par l’obsession militaire qui les conduit à entretenir 800 bases dans le monde — qui croit vraiment que la sécurité des États-Unis est à ce prix ? Et que disent les contribuables américains du racket de l’industrie militaire ? Ensuite, en vertu de la désignation de Nations comme cible de destruction — le général Wesley Clark s’est illustré en listant huit pays à détruire — de la Syrie à l’Afghanistan, de l’Iran à l’Irak, du Soudan à la Palestine, des millions de morts ont payé les crimes impunis des va-t’en guerre américains. Désormais, la majorité des peuples dans le monde savent qui sont les vrais terroristes, capables de réduire des peuples à la ruine et au chaos par le déchaînement de haines bibliques — et ils n’ont rien à voir avec les suspects désignés, l’Islam, les nationalismes ou les « rogue states ». Enfin et surtout, par l’incapacité du régime de ce capitalisme totalitaire qui a rompu tout lien avec le progrès collectif, le bon sens et la raison, à apporter bien être et prospérité aux populations — la montée de la misère aux États-Unis en est le meilleur exemple.

    Le piège ouvert par l’implosion de l’Union soviétique a fonctionné. Privé de son ennemi, l’empire américain en est venu à considérer le monde comme son ennemi — et à faire du monde son ennemi.

    Et ses promesses se sont évanouies. Celles de la paix et de l’ordre, d’abord. Celles ensuite de la démocratie comme libre choix par les peuples de leur destin. Celles surtout de la prospérité, qui désormais se situent clairement loin, ailleurs, et aussi, contre. Le résultat est là ; il était dangereux d’être l’ennemi des Américains, il est maintenant tout aussi dangereux d’être leur allié — Israël y réfléchit, l’Ukraine le paie d’une jeunesse foudroyée, et l’Union européenne devrait y penser.

    Quelle différence ! Le monde se détourne des États-Unis et cherche ailleurs la paix, la liberté, et la prospérité. L’accord de paix survenu sous l’égide de la Chine, au terme de semaines de négociations à Pékin, entre l’Arabie Seoudite et l’Iran, est exemplaire. Quelles que soient les pressions, les menaces, et demain peut être, les tentatives d’assassinat à l’encontre de Mohamed Ben Salman (qui n’est pas encore assuré de la succession au trône), la Chine a mis fin au diktat américain, à son parti pris et aux « deux poids, deux mesures » qui a ôté à Washington toute légitimité à intervenir dans la région. Et les menées conduites au Soudan, avec la trouble contribution des Émirats arabes unis et d’Israël, n’ont rien pour améliorer la légitimité de prétendus faiseurs de paix qui attisent la tempête et sabotent la paix revenue au Yémen.

    Le soutien au rebelle Emiti est-il le prix à payer par le Soudan pour avoir accepté des bases chinoises et russes, par la Ligue arabe pour avoir mis fin aux accords d’Abraham et au projet délirant du « Great Middle East », réintégré la Syrie et remis à l’ordre du jour la question des droits légitimes de la Palestine ? Une puissance incapable d’apporter la paix ne sait plus que se venger en suscitant la guerre, le désordre et la mort. Faut-il parler de fin de règne ?

    La proposition d’accord de paix à l’Ukraine, objet désormais d’échanges permanents entre Pékin et Kiev, recueille l’adhésion au moins tacite de la majorité des puissances opposées à la guerre comme aux sanctions, et menace de révéler l’isolement des États-Unis et de leurs colonies européennes. Et davantage est à venir. Si la rencontre à Delhi des ministres de la Défense russe et chinois a un sens, c’est bien que la Chine et l’Inde peuvent s’entendre, et sont conscients qu’un nouvel état du monde peut découler de l’entente des deux pays les plus peuplés de la planète, et qui seront aussi la première et la troisième économie du monde dans moins de dix ans.

    Le nouvel état du monde résultera à la fois du dividende démographique dont va bénéficier le monde indien (de l’Iran à la Birmanie, plus de deux milliards) et de l’intégration du continent eurasiatique à lui-même. L’Europe voit toujours dans la Chine l’atelier du monde, alors que la réalité est que déjà, les pays de l’Océan indien et de l’Asie du Sud-est, jusqu’à l’Indonésie, se substituent à elle ; les seuls pays de l’Océan Indien devraient fournir dans la prochaine décennie la moitié de la main d’oeuvre jeune et professionnellement formée du monde ! Et ces pays peuvent connaître des croissances fortes et durables parce qu’autocentrées, territoriales, et procédant des multiples accords de libre-échange, d’investissement dans les infrastructures de transport et de partenariats monétaires et financiers qui se nouent — les accords de l’Organisation de Shanghai et des BRICS n’étant que les plus connus de multiples liens qui promettent à chaque membre de bénéficier pleinement de ses avantages comparatifs dans une zone qui sera à la fois le premier marché du monde, le premier atelier du monde, et le premier continent à se libérer du racket imposé par le dollar.

    Ajoutons qu’à l’inverse de l’autosabotage entrepris par l’Union européenne au nom d’une transition écologique manipulée, la région de l’Océan indien est aussi celle qui disposera des plus grandes quantités d’énergie à bas prix, gaz et pétrole, voire charbon indonésien — et qui les utilisera. L’énergie reste le moteur de la croissance, et un pays qui limite son accès à l’énergie se condamne à la désindustrialisation, donc à la dépendance stratégique — qui le dit à Bruxelles ?     

    Pour qui sillonne la région, la rapidité avec laquelle la zone est en train de s’intégrer à elle-même est saisissante. Pipe lines et gazoducs, voies ferrées (comme celle qui va de la Russie à l’Iran, et branche le Transsibérien sur le Golfe persique), routes et autoroutes (comme le CPEC, corridor descendant d’Asie centrale vers les ports de Gwadar ou de l’Iran), aéroports, mettent fin au relatif cloisonnement qui faisait si bien l’affaire des anciennes puissances coloniales. Elle menace aussi la suprématie des puissances de la mer, les transports d’énergie, de matières premières, de biens finis ou semi-finis se faisant majoritairement par terre. Elle est surtout révélatrice de l’aveuglement de l’Union européenne, se laissant isoler des « Routes de la Soie », qui désormais se tournent vers le Sud, rendent à l’Iran le rôle de pivôt continental qui fut longtemps le sien, et promettent à l’Asie centrale une ouverture que la tutelle soviétique leur avait fait perdre.

    Le cœur du monde bat dans l’Océan Indian. Et s’entrevoit une profonde transformation des institutions internationales, la capacité croissante de chaque pays de commercer dans sa monnaie nationale, de préférence au dollar, devant conduire au développement de multiples marchés financiers recyclant les excédents commerciaux des pays exportateurs, facilitant le financement des dettes publiques comme des investissements privés, et mettant les pays de l’Océan Indien et de l’Asie à l’abri de la contagion des crises issues des dérives bancaires et financières américaines.

    C’est là du moins la perspective. Celle développée par exemple par Charles Gave, qui annonce un boom des investissements en infrastructures historique dans la région, donc une hausse des taux réels et de la production de biens réels irrésistible (l’Institut des Libertés, 3 mai 2023). Celle qui oublie à la fois les fragilités de la zone considérée et surtout, les réactions des autres acteurs à une perspective pour eux inquiétante, voire effrayante. Qui consulte la liste des participants aux organisations de la zone ne peut qu’être pris de doute ; coopération saine et durable entre l’Inde, le Pakistan et le Bangla Desh, quand les uns et les autres s’accusent de terrorisme, voire, dans le cas du Bangla Desh, du génocide de 3 millions de leurs citoyens en 1971 ?

    Coopération franche et ouverte avec le Brésil, dont le nouveau Président a bénéficié pour son élection de tous les soutiens que les États-Unis peuvent apporter ? Consistance d’accords qui réunissent des pays aussi différents que l’Égypte et le Mexique, l’Iran et le Vietnam ? Et même, accord durable entre la Chine et la Russie, qu’opposent tant de revendications territoriales non réglées à ce jour ? Les organisations régionales ou mondiales présentées comme des alternatives aux organisations construites par les États-Unis n’en ont à ce jour ni la consistance ni le caractère armé — les accords de défense, voire les alliances concurrentes de l’OTAN, du Quad (dont est membre l’Inde), de l’Aukus, sans parler des Five Eyes, sont sans équivalent ni alternatives à ce jour. Et demain ?

    Le plus décisif est aussi le plus préoccupant. La suprématie du dollar contribue à 20 % ou 30 % du niveau de vie américain — un niveau de vie dont il faut rappeler qu’il repose sur 33 000 milliards de dette publique aussi bien que sur un déficit éclatant d’investissements publics en infrastructures, etc. (le moindre drame de la Présidence actuelle n’étant pas que la France suit la même voie). Aucune puissance ne peut accepter sans se battre la baisse de son niveau de vie et de ses moyens qu’entraînerait l’abandon du dollar comme monnaie internationale. Dans la guerre hors limites qui se joue à partir de l’Opération spéciale russe en Ukraine, bien peu voient l’affolante perspective d’une puissance qui fut hégémonique, les États-Unis, menacés dans ce qui fut leur élan vital, la certitude de fixer le cours du monde, et d’apporter partout avec eux l’Ordre et la Loi, découvrant que le monde vivrait mieux sans eux, s’organise pour se passer d’eux, et condamnés à risquer une guerre mondiale pour conserver ce monopole du Bien qui reste la source de leur élan.

    Des soldats de l’armée indienne défileront à Paris pour le 14 juillet. C’est une première. La France aurait-elle compris l’urgence d’une politique de l’Océan Indien ? Catherine Colonna qui a récemment visité Delhi avait porté aux côtés de Jacques Chirac la défunte politique arabe de la France (lire Ahmed Youssef, « L’Orient de Jacques Chirac — la politique arabe de la France », Editions du Rocher, 2003). Dans ce cas comme dans l’autre, la France a-t-elle encore la liberté de choisir le monde qui vient, contre celui qui l’occupe ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2023)

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  • Quel avenir pour l'Afrique de l'Ouest ?...

    Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°45, mai - juin 2023), dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré à l'Afrique de l'Ouest.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉDITORIAL

    Adieu l'Afrique, par Jean-Baptiste Noé

    CHRONIQUES

    LE GRAND ENTRETIEN

    « L'échec au Sahel était inévitable »
    Entretien avec Gérard Chaliand

    IDÉES

    Les Kurdes et Erdogan. D'amis à ennemis ?, par Tancrède Josseran

    PORTRAIT

    Ron DeSantis, la relève du Parti républicain, par Michel Chevillé

    ENJEUX

    GRANDE STRATÉGIE

    Comment l'armée romaine a conquis l'empire, par Guy-Alexandre Le Roux

    HISTOIRE BATAILLE

    Midway (4-5 juin 1942). Le facteur Chance, par Pierre Royer

    GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISE

    CHRONIQUE

    RIEN QUE LA TERRE

    CHEMINS DE FRANCE

    CARTE MAÎTRESSE

    ART ET GÉOPOLITIQUE

     

    DOSSIER

    Afrique de l'Ouest

    Les lendemains désenchantés de Barkhane. La présence française au Sahel en question, par Catherine Van Offelen

    La diffusion du terrorisme et des violences en Afrique de l'Ouest : de Serval à Barkhane, par Daniel Dory et Hervé Théry

    Crise dans le Sahel : la grande équivoque, par Olivier Hanne

    Criminalité maritime et nomos de la Terre, entretien avec Xavier Raufer

    La militarisation des frontières sahéliennes contre l'insurrection djihadiste: une mauvaise réponse ?, par Catherine Van Offelen

    L'Afrique rejette la démocratie, par Bernard Lugan

    Rébellion touareg et déstabilisation de l’État au Mali, par André Bourgeot

    Les Africains ne veulent plus de la France, par Pierre d'Herbès

    Wagner, société militaire privée innovante - et secrète, par M. Bertrand

     

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  • La fin de l'ancien monde ?...

    Pour sa nouvelle émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Hervé Juvin pour évoquer avec lui la fin de l’ancien ordre mondial, dont la guerre en Ukraine semble être le révélateur.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                          

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  • De l'Afrique à l'Ukraine : un tour d'horizon géopolitique avec Renaud Girard...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Renaud Girard à Régis Le Sommier sur Omerta, dans lequel il évoque le recul de la France en Afrique à la lumière de son voyage avec le président Macron, le monde qui se réorganise autour de la Chine et surtout la guerre en Ukraine.

    Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

     

                                             

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  • Derrière la Guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au monde de l'Inde...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Derrière la Guerre

    Pendant que les nouvelles du front occupent l’attention, le monde bouge. Son mouvement s’accélère, à la faveur d’une guerre qui a pour sérieuse conséquence de rendre les Nations européennes aveugles à ses enjeux. Qu’ils soient régionaux, continentaux, ou mondiaux, ces enjeux sont pourtant d’une immense importance. D’abord, parce qu’ils déjouent bien des vérités acquises et des principes établis. Ensuite, parce qu’ils réécrivent la carte des puissances, que ce soit au niveau régional, en Europe, au niveau continental, en Eurasie, ou dans le monde, entre aires de civilisation. Enfin, et surtout, parce qu’ils font éclater des vérités cachées depuis la fondation du monde — de ce monde qui est né en 1944, et qui s’achève sous nos yeux grands fermés.

    La Pologne, la Lithuanie, l’Estonie, la Lettonie, ont-elles pris le pouvoir au sein de l’Union européenne ? 

    La rhétorique anti-russe de rigueur, comme l’engagement illimité derrière l’Ukraine, comme les prises de parole imposées, facilite un déplacement majeur du pouvoir et de l’influence en Europe. Tout se passe comme si l’Allemagne et la France avaient perdu cette capacité d’entraînement qui a permis à leur accord de diriger l’Union — et de la maintenir en vie. Tout se passe comme si la fin du pari allemand — unir sa technique et ses capitaux aux ressources de la Russie pour bâtir une puissance continentale mondiale à l’abri du parapluie américain — laissait la première puissance européenne désemparée, sans plan de rechange et sans projet national — subir l’occupation américaine n’y suffit pas. Et comment reconnaître une ambition ou un projet dans les errements de la France ? En quelques mois, voilà son Président passé d’une posture de recherche d’autonomie stratégique sans les moyens de celle-ci, et d’abord l’indépendance financière, et d’abord un modèle national-européen de réindustrialisation, de maîtrise des mouvements de capitaux et de protectionnisme éclairé, à un alignement sur la stratégie anglo-américaine dont l’histoire dira si elle est de conviction, d’opportunité ou d’obligation…

    L’obsession britannique de toujours — bloquer l’accès de la Russie aux mers chaudes, interdire toute alliance continentale qui menacerait la supériorité maritime et le commerce anglais — s’accorde avec l’intérêt américain — désigner un ennemi, mobiliser contre l’ennemi et défaire l’ennemi pour oublier le désordre intérieur… rien de nouveau. Et rien de nouveau non plus dans une tactique éprouvée qui consiste à faire faire les guerres par les autres, à laisser les autres s’épuiser sous les encouragements, pour mieux partager la victoire sans avoir combattu, relever les ruines et dominer vainqueurs et vaincus également ruinés.

    À cet égard, l’affrontement entre la Russie et la Grande-Bretagne reproduit un agenda historique bien connu. Comme toujours il ne manque pas de Nations européennes assez naïves ou assez confuses pour servir la logique britannique. Comme toujours, la Pologne s’empresse de se donner une importance que la suite dramatique de ses échecs historiques ne lui donne pas. Le très intéressant papier de M. Potocki (publié dans Le Figaro, 25 février 2023), proposant à la France une alliance stratégique, révèle une ambition inédite — ou une prétention injustifiée. Et comme toujours, il ne manque pas de bons apôtres pour expliquer que cette fois, c’est différent — en oubliant l’histoire, et les morts. Il est plus nouveau que l’Allemagne et la France soient les deux grandes perdantes d’un jeu dont elles n’ont pas pris la mesure — parler d’indépendance sans en avoir les moyens n’est pas un crime, mais c’est une faute que la France paie, comme elle avait payé son refus justifié de participer à l’invasion de l’Irak. L’Empire punit ses tributaires insolents.

    Reclassement du monde

    Pas de semaine, de jour même, où le reclassement du monde ne fasse entendre son fracas aux oreilles attentives. Un jour, de grandes manœuvres maritimes réunissent en Afrique du Sud la Chine, la Russie, et l’Afrique du Sud — avec essai annoncé d’un missile hypersonique sans concurrent ni parade connus. Un jour, l’Iran est admis dans les Brics, et le surlendemain, c’est l’Arabie Saoudite qui demande à adhérer à l’Organisation de Shanghai. Un jour, c’est le Bangladesh qui est célébré comme l’économie connaissant la plus forte croissance au monde, et annoncé comme plate-forme de services et de production incontournable dans la décennie qui vient — capitale de 25 millions d’habitants qui ne menace personne, Dacca deviendrait-elle capitale de l’Indo-Asie sans que nul ne l’ait vue venir ?

    Encore un pays où le dividende démographique, mis en valeur par une politique volontariste de formation des jeunes, joue et va jouer à plein… Un jour, la Chine annonce l’émission d’obligations d’État, en renminbi, à des conditions qui devraient attirer les capitaux de toute l’Asie hors des T-bonds américains, après que la Russie et l’Iran aient annoncé mettre en œuvre un système interbancaire de paiements hors SWIFT qui suscite un intérêt régional marqué. Un jour encore, le Mexique confirme son refus de s’associer aux sanctions contre la Russie, rejoignant ainsi les grands pays d’Amérique du Sud. Et le lendemain, se dévoile une nouvelle organisation des Routes de la Soie, qui ouvre un corridor de communication partant de Khashgar, au Sing Kiang, pour déboucher à la fois par le CPEC sur le port de Gwadar au Pakistan, et sur le port de Chababar, en Iran, à 80 km de là — deux ports en eau profonde, ouverts sur l’Océan Indien et le golfe Persique, deux ports connectés à la Russie et à l’Asie centrale aussi bien qu’à la Chine, au cœur de cette zone qui, des Émirats et de l’Iran à l’Inde, avec la Chine et la Russie en arrière-cour, devient l’un des centres du monde. Le 20 février, le Ministère chinois des affaires étrangères a publié un document historique sur lequel nous reviendrons — « US hegemony and its perils ». Et le G20 de Bangalore a échoué dans sa prétention à « weaponizer » la politique économique — de quoi se mêlent-ils ?  

    Bien sûr, le nouveau Président du Brésil, Lula, se révèle collaborateur dévoué des États-Unis, comme ses confrères socialistes et verts européens. Bien sûr, les populations de l’Est européen, y compris en Moldavie, y compris en Biélorussie, et bien sûr dans la majeure partie de l’Ukraine, regardent vers l’Ouest comme vers un conte de fées — et non sans raisons ni sans illusions. Bien sûr, le soft power américain demeure, voire se nourrit d’un conflit qui envoie chacun à son intime conviction — non pas ; qui souhaite vraiment être gouverné par Moscou, ou Pékin ? Mais ; qui veut vraiment se gouverner soi-même, et en payer le prix ? Dans la poussière de faits, de traités, d’alliances stratégiques et de circonstance, une réalité devrait alerter l’Europe. Le monde s’organise pour ne plus subir la loi des intérêts stratégiques, financiers et écologiques des pays du Nord. Entendre les ONG faire la leçon à la Chine, comme j’ai dû le subir la semaine dernière, n’est plus seulement ridicule. C’est dangereux. Ils ne savent pas ce qu’ils font.

    Lire tout cela en fonction des seuls intérêts des parties en présence serait sacrifié à cet économisme qui fait tant de ravages.

    Car bien plus que de l’argent est en cause. Des économistes indiens ont chiffré, paraît-il, à 45 000 milliards de dollars les coûts de la colonisation britannique. La Grande-Bretagne, responsable entre autres des millions de morts et personnes déplacées lors de la partition de l’Inde, mesure-t-elle l’arrogance qui lui fait accuser dans un reportage de la BBC Narendra Modi de ne pas avoir protégé les musulmans de l’État qu’il dirigeait, le Gujarat, voici vingt ans ? Les Bangladeshis n’oublient pas que leur industrie textile florissante a été brutalement détruite par une colonisation qui en a fait un atelier à bas prix, bas salaire et sous-développement, comme elle a détruit le luxe indien, le premier au monde avec celui de la Chine. Le Pakistan, par sa ministre de la lutte contre le changement climatique, nous disait en novembre ce que tous là-bas savent ; avec 0 ; 2 % des émissions mondiales de CO2, le Pakistan est victime du développement inconsidéré que l’Occident a imposé au reste du monde, pour l’intérêt de la ploutocratie qui le dirige. Qui a parlé du commerce anglais comme crime contre l’humanité ? 

    Nous ne referons pas l’histoire. Mais il nous coûtera cher de l’avoir oubliée. Car eux ne l’ont pas oublié, ni les Palais pillés, ni les trésors volés au profit du British Museum — quand leurs voleurs rendront ils les frises du Parthénon ? —, ni les populations appauvries, dépossédées, réduites au sous-développement. Ils l’oublient d’autant moins que les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la France hélas, continuent de se poser en donneurs de leçons, continuent de se comporter en maîtres du monde, continuent d’adopter des postures naturelles aux géants violents et géniaux qui ont assuré leur fortune, de Cécil Rhodes à Théodore Roosevelt, sans en avoir ni le génie, ni la force. Les États-Unis et leurs collaborateurs sont près de se trouver bien seuls. Seuls, face à un monde qui les supporte de moins en moins, qui assiste avec un mélange d’amusement et de dégoût à la décadence de l’Amérique Woke, et qui est décidé à ne plus écouter ses leçons, sa morale à sens unique et les beaux principes qu’elle trahit si bien.

    La guerre livrée contre la Russie en Ukraine est-elle le moment de ce renversement du monde qui s’est joué lors du traitement inique de la crise de 2007-2008 par les autorités américaines qui ont fait payer au monde les turpitudes de la tribu financière qui les gouverne ? Semaine après semaine, les enjeux montent, et aussi les risques. Seules face à l’Asie, face à l’Afrique, seuls même face à une Amérique du Sud qui sait ce qu’elle a payé pour la doctrine Monroe, et qui attend moins de la Chine sa liberté qu’un contrepoids face à l’étouffement américain, les Nations que les États-Unis croient leurs alliés, et qui leur sont seulement soumises, doivent se livrer à un salutaire exercice pour distinguer l’ennemi principal, les adversaires et les concurrents.

    La désinformation qui sévit ne les aide pas à y voir clair, par exemple sur la pauvreté que subit la population russe aux mains des oligarques milliardaires qui forment l’entourage du Président Poutine, comme celui du Président Zelensky, et qui se ressemblent au point de suggérer que cette guerre est aussi un affrontement d’intérêts privés. Derrière la scène, les mêmes se réjouissent qui gagnent à la victoire comme à la défaite – et font se battre les autres.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 10 mars 2023)

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