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Géopolitique - Page 7

  • Elargissement des BRICS : Vers un nouvel ordre mondial ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Renaud Girard à Régis Le Sommier sur Omerta, dans lequel il évoque, à l'occasion du 15e sommet des BRICS qui s'est tenu du 22 au 24 août à Johannesburg,  la transformation majeure des relations entre l’Occident et le “Grand Sud” et ce que celle-ci augure pour l’avenir.

    Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

     

                                            

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  • France - Italie : l'autre couple de l'Europe...

    Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°46, juillet - août 2023), dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré à l'Italie et à sa relation avec la France.

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉDITORIAL

    L'autre couple de l'Europe, par Jean-Baptiste Noé

    CHRONIQUES

    LE GRAND ENTRETIEN

    « La relation franco-italienne est stratégique, mais instable »
    Entretien avec Federico Petroni

    IDÉES

    Guerre en Ukraine : avons-nous encore peur de la bombe ?, par Alexis Feertchak

    PORTRAIT

    Lula est-il le cheval de Troie de Biden ?, par Tigrane Yegavian

    ENJEUX

    La Bavière, un autre esprit du capitalisme, par Jean-Marc Holz

    Amérique latine : la « vague de gauche » peut-elle y arriver ? , par Nicolas Klein

    Les Kurdes et le Kurdistan, grands oubliés de Lausanne, par Fabrice Monnier

    La Chine de Xi Jinping sur la ente glissante d'une dictature absolutiste, par Pierre-Antoine Donnet

    GRANDE STRATÉGIE

    Une approche tactique des guerres irrégulières, par Pierre Santoni

    HISTOIRE BATAILLE

    Austerlitz (2 décembre 1805). Un chef-d’œuvre de A à Z , par Pierre Royer

    LIVRES

    GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISE

    LECTURE

    IDÉE REÇUE 

    RIEN QUE LA TERRE

    FILM

    CHEMINS DE FRANCE

    ART ET GÉOPOLITIQUE

     

    DOSSIER

    Afrique de l'Ouest

    La diaspora italienne, une perte qui risque de déclasser le pays, par Edoardo Secchi

    Adieu les techniciens. L'Italie à l'épreuve d'un gouvernement politique, par Francesco de Remigis

    Le défi des réformes qui peuvent changer le pays, par Francesco de Remigis

    L'européisme à la sauce tomate ou comment l'Italie espère rebattre les cartes au parlement européenpar Francesco de Remigis

    Le dilemme italien: comment renforcer le pouvoir exécutif ?, par Francesco de Remigis

    Un projet pour la Méditerranée : plus de gaz, moins d'immigrants illégaux, par Francesco de Remigis

    Traité du Quirinale : la France et l'Italie rapprochent leurs intérêts stratégiques, par Edoardo Secchi et Emmanuel Dupuy

    Italie, terre du luxe, par Chloé Payer

    Aérospatiale et défense, l'Italie sur le toit de l'Europe, par M. Bertrand

    Traversées alpines entre la France et l'Italie : des tunnels pour s'affranchir de la géographie, par Côme de Bisschop

    Immigration : pomme de discorde entre les deux pays, par Étienne de Floirac

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  • Sur la situation géopolitique dans le monde...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention d'Hervé Juvin au Cercle National des Armées dans laquelle il brosse un tableau de la situation géopolitique mondiale.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                              

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  • L'impasse ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré à l'impasse de la guerre en Ukraine.

    Jean-Philippe Immarigeon est avocat, docteur en droit public, essayiste et historien, il collabore à la Revue Défense Nationale depuis 2001, a publié de nombreux articles et plusieurs essais dont American parano et L’imposture américaine (Bourin, 2006 et 2009), La diagonale de la défaite (Bourin, 2010), et Pour en finir avec la Françamérique (Ellipses, 2012).

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    L'impasse ukrainienne

    Faut-il que l’Ukraine gagne sa guerre contre la Russie ? Cette question peut sembler incongrue, elle est pourtant posée par de nombreux analystes en France, en Asie et même aux États-Unis. On peut ainsi citer un long article publié et mis en ligne récemment par le magazine Harper’s, « Why are we in Ukraine ? » [1].

    Tous tournent autour de l’impasse où les pays de l’OTAN s’engluent aussi sûrement que dans la raspoutiza, que la contre-offensive ukrainienne échoue ou qu’elle réussisse. C’est une sortie diplomatique indépendante du facteur militaire qui est envisagée, c’est ce qu’on obtient également comme réponse lorsqu’on interroge ChatGPT – qui, sauf à être programmé par le FSB sur le narratif russe, est une synthèse de tout ce qui est publié : « Même si une victoire militaire est possible, la solution à la crise en Ukraine ne peut être que politique et doit être basée sur la volonté de toutes les parties concernées de travailler ensemble pour trouver un compromis mutuellement acceptable et respectueux des droits et des intérêts de toutes les parties. »

    Purgeons d’emblée la question : il y a un agresseur, la Russie, et il est vain de se lancer dans une rétrodiction stérile et d’invoquer, comme on dit en droit pénal, une excuse de provocation. Toutes les analyses sérieuses y consacrent pourtant de longs développements au risque de prêter le flanc à des accusations incongrues prétendant éluder tout débat. Sacrifions-y à notre tour et à ce risque, pour rappeler que les Russes avaient prévenu et motivé leur projet, qu’ils ont fait ce qu’ils avaient annoncé, et qu’il n’y avait rien de moins surprenant ni de moins inattendu que cette agression.

    Drang nach Osten

    Il a été sassé et ressassé que la Russie se cabre, depuis la disparition de l’URSS, à chaque avancée de l’OTAN vers ses frontières ; que ni l’Organisation ni les États-Unis n’ont tenu leurs promesses répétées de n’en rien faire ; que cette avancée a été dénoncée comme une faute majeure par les plus brillants stratégistes américains, dont Henry Kissinger ; que la France et l’Allemagne ont elles-mêmes longtemps mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine, mais qu’elles ont capitulé lorsque, le 10 novembre 2021, Kiev et Washington ont signé un accord de partenariat ; que Lavrov a proposé le 17 décembre 2021 la tenue d’une conférence sur la sécurité en Europe et deux drafts de négociation, et qu’on l’a envoyé promener ; qu’en conséquence, lors d’une réunion tenue au Kremlin le 21 décembre 2021 et dont la teneur est toujours en ligne sur son site, Poutine a annoncé la suite, et qu’on l’a laissé faire deux mois durant alors que les troupes russes se massaient sur le Don et en Biélorussie.

    Certes on peut, après avoir dénoncé ces dernières décennies l’erreur qui consiste à ne pas tenter de se mettre dans la peau de l’adversaire, s’étonner que les Russes se sentent agressés, qu’ils abordent l’OTAN comme une machine de guerre et non une aimable ONG à but humanitaire, ou qu’ils refusent de voir que les États-Unis sont la puissance du Bien (À Global Force for Good, pour citer un petit clip de l’US Navy). Mais l’article de Harper’s rappelle fort à propos que depuis le Kosovo, la Libye ou la Syrie, notre discours n’est plus crédible. Et ce n’est pas ce que les communistes nommaient dans les années 1950 le revanchisme allemand, qui exsude depuis 18 mois de chacune des interventions de Mme von der Leyen au nom de l’UE, qui est susceptible de les faire changer d’avis. Qu’ils se méprennent sur nos intentions ou qu’ils cèdent au discours de propagande du Kremlin, c’est un fait et ça n’a rien à voir avec un sentiment d’humiliation. La stratégie commence alors par le choix des mots, et il faut prendre les Russes dans les rets de leur propre discours.

    Relire Staline

    La stratégie, ça reste également de la géographie, même à l’heure des espaces fluides, et la géographie c’est savoir lire une carte. On considère que la Russie est un pays à l’échelle d’un continent, mais ça, c’est pour les panneaux Vidal-Lablache accrochés aux classes de notre enfance. C’est une erreur de perspective de lui prêter une profondeur stratégique allant jusqu’à l’Oural et même au-delà, car la ligne ultime de repli n’a pas changé depuis 1812 ou 1941, elle est tracée par la diagonale Saint-Pétersbourg – Smolensk – Voronej – Rostov. Au-delà, la Russie n’existe plus comme puissance.

    C’est cette ligne que trace Staline fin juillet 1942, au lendemain de la chute de Rostov et de la poussée de Manstein vers la Volga et le Caucase, en signant le fameux Ordre n° 227, celui du slogan Plus un pas en arrière qu’a repris Poutine. Cette formule n’est pas un sursaut de vanité, mais une nécessité, et ce texte est un des rares qui décrit sur le moment la situation périlleuse dans laquelle se trouvent à cette date les Alliés sur le Don, dans l’Atlantique, aux portes du Caire ou dans le Pacifique. S’il est impossible de reculer davantage, motive la Stavka, c’est que non seulement nous sommes à un point de rupture au-delà duquel même l’industrie américaine ne pourra rattraper la situation, mais qu’en termes de territoire, c’est la Russie utile qui va disparaître.

    Si l’OTAN, déjà dans les États baltes, demain en Finlande, avance de nouveau après-demain dans le Donbass puis en Biélorussie, cette ligne de repli ultime devient une ligne de front, mettant Saint-Pétersbourg et Volgograd (Leningrad et Stalingrad) à une minute des missiles occidentaux. Le Don ne sera plus ce paisible fleuve intérieur de la littérature et du cinéma russes, mais une coupure d’eau qui marquera la frontière militaire. Or une des grandes obsessions des Russes depuis le XVIIIe siècle est d’avoir des marches stratégiques, de l’espace en-avant – en-arrière ne leur sert à pas grand-chose – indépendamment de l’annexion de territoires, et c’est aussi à cela que servait le Pacte de Varsovie : les perdre serait revenir trois siècles en arrière. Poutine ou pas, ils ne l’accepteront pas, et à leur place nous ne l’accepterions pas. Ne pas le comprendre et même le refuser, c’est prendre notre billet pour dix, vingt, trente ans de guerre. Or plutôt que de tenter d’anticiper la suite, l’après-défaite ou l’après-victoire, plutôt que de définir ce que seraient les conditions d’une victoire et raisonner stratégiquement, nous nous sommes laissés entrainer dans un délire eschatologique par incapacité voire refus de penser cette guerre.

    Le degré zéro de la pensée stratégique

    La guerre d’Ukraine est en ce sens le premier conflit du XXIe siècle, non pas parce que, anticipé comme un cyber-conflit, il se résout en rattenkrieg dans des caves inondées et des faubourgs en ruine, mais parce qu’il a pris la forme d’un conflit civilisationnel, les deux camps s’invectivant dans d’hystériques outrances. À la résurgence de la vieille antienne anti-occidentale de préservation d’une identité slave et au retour de la censure brejnévienne, répondent l’interdiction de solistes ou de sportifs, l’autodafé d’ouvrages coupables d’être les agents propagateurs de visées impériales – malheureux Pouchkine, pauvre Gogol ! – et l’accusation de vouloir détruire la liberté et la démocratie. Mais prêter à Poutine, qui cherche aujourd’hui son armée comme Soubise une lanterne à la main, et à ses généraux la folie d’avoir voulu conquérir et occuper un pays de 40 millions d’habitants avec 200 fois moins de soldats, et au-delà ses voisins jusqu’à la Place de la Concorde comme on s’en inquiète aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés, relève d’un ridicule dont on en est certain qu’il ne tuera jamais personne. Les gens du Kremlin sont assurément des fous furieux, certainement pas des débiles [2].

    C’est d’ailleurs étrangement cette absence de perspective d’une guerre de haute intensité qu’on lit dans la Loi de Programmation Militaire discutée actuellement au Parlement. On aurait pu parier à l’avance que, quelque soient le conflit, le lieu et les protagonistes, on nous resservirait le prêt-à-réchauffer d’un nouvel âge de la guerre avec du cyber, du spatial, et le concept fourre-tout d’hybridation. Loin de tirer une quelconque leçon tant de l’échec de Barkhane que du retex du Donbass, le texte ne sert qu’à justifier les choix de ces dernières années et l’apriorisme d’une conflictualité très hollywoodienne, réduisant le nombre de nos avions, de nos blindés et de nos frégates, de ce matériel que Kiev nous réclame à cor et à cri parce que la guerre, ça reste encore et pour longtemps une affaire d’avions, de blindés et de corps-à-corps, pas de drones ni de numérisation.

    De Munich à Munich

    La France est en outre à côté de la plaque par incapacité à prendre parti et à choisir le seul camp envisageable : le sien. Elle surjoue la solidarité atlantiste, faisant passer les revendications de tel de ses partenaires et les caprices de tel autre avant ses propres intérêts stratégiques [3]. Et après avoir défendu sa singularité d’autre puissance nucléaire européenne – que lui rappela Poutine quinze jours avant l’agression –, donc d’arbitre ultime en cas de montée aux extrêmes, elle l’a abdiquée lors de la réunion de février 2023 à Munich, une ville et un nom qui ne nous portent décidément pas chance.

    Mais quel intérêt avons-nous à cautionner la marche de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Moscovie ? Quel avenir la perspective d’une guerre pérenne réserve-t-il à la France, interlocuteur de la Russie depuis Tilsitt ? L’article de Harper’s susmentionné s’étonne que notre vieille nation millénaire assiste sans réagir et même accompagne le détricotage de décennies d’efforts diplomatiques et commerciaux, elle qui devrait parler en son nom et d’égale à égale avec la Russie plutôt que de servir de go-between – rôle qui, par absence de positionnement clair, a fini par lui échapper, puisqu’après avoir affirmé qu’elle ne laisserait ni la Turquie ni la Chine jouer ce rôle, elle vient de supplier cette dernière d’en endosser la tunique.

    L’article de Harper’s va même plus loin : comme dans cette scène d’un western de Sergio Leone où le héros explique à son acolyte qu’il y a d’un côté ceux qui ont un pistolet chargé et de l’autre ceux qui creusent, c’est à la France de négocier par-dessus ses partenaires européens sans mésuser de leur souveraineté qui, en l’absence de l’arme nucléaire, est très relative, comme l’est par exemple celle du Canada [4]. D’aucuns se récrieront puisqu’ils ne savent que crier, mais sans nous expliquer comment reprendre aux Russes leur victoire autrement qu’en précipitant l’Europe dans une nouvelle conflagration.

    Borodino

    Car si les hostilités cessaient maintenant, les Russes auraient gagné, à un prix humain, matériel et économique certes considérable – Poutine remplacera Pyrrhus dans le langage populaire – mais assumé. Car contrairement à nos analystes qui s’épuisent depuis plus d’un an à comptabiliser les morts et les chars pulvérisés, ils ne confondent pas tactique et stratégique. Lorsqu’à la fin des défilés sur la Place Rouge, l’orchestre s’avance vers la tribune pour entonner a capella un chant de la Seconde Guerre vantant, dans le refrain, l’esprit de Borodino de 1812, c’est que, victoire tactique pour nous, ce fut pour eux une victoire stratégique. Et en 2023, à défaut d’avoir réussi à s’avancer jusque tout le long du Dniepr du fait de leur échec à prendre Kharkov, ils ont tout de même atteint l’essentiel de leurs objectifs : sécurisation de la mer d’Azov, éloignement de la ligne de front du Don, rebond en avant en Biélorussie renucléarisée et sanctuarisation de l’oblast de Kaliningrad lui aussi nucléarisé, ce poignard au cœur de la Hanse, de la Baltique et de l’UE.

    Les Polonais sont inquiets, les Suédois tout autant, les États baltes cauchemardent sur le corridor de Suwalki, mais tous préfèrent soutenir les projets ukrainiens de reconquête de quelques positions au Donbass plutôt que de se concentrer sur le Festburg de l’antique Königsberg, bastion désormais imprenable d’où les missiles russes pourraient clouer au sol toute la défense européenne. Déconcertante inversion de priorité, à croire que plus personne ne sait lire une carte.

    Car il va falloir démilitariser Kaliningrad, ce qui est autrement plus important que de grappiller quelques villages sur la mer Noire. Ce sera une négociation globale, celle qu’appelaient les Russes fin 2021, dans laquelle les Ukrainiens, comme l’anticipe Harper’s, seront neutralisés, quelque soient leurs gains ou leurs pertes sur le terrain, et même à proportion de leurs gains ou de leurs pertes mis sur la table. Pourquoi dès lors s’obstiner dans ce qui apparaitra plus tard une Unnecessary war, pour reprendre un mot de Winston Churchill ?

    La fin de l’OTAN

    L’hypothèse que Poutine serait tombé dans un piège américain est peut-être exacte, mais c’est l’OTAN qui se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé. Il y a certes une puissance militaire russe à genoux, ce qu’Européens et Américains attendaient depuis 1949. Mais précisément ; à quoi sert désormais l’Alliance et son soutien actif voire participatif à cette guerre ? À valider des choix technologiques et un infocentrage de prothèses numériques dispersées, mais qui sont autant de failles et de portes d’entrée en cas de perte entre les mains de l’adversaire – il est bien tard pour s’en apercevoir et dégrader en catastrophe le matériel livré, comme les chars Abrams ? À risquer de voir nos Wunderwaffe se ridiculiser aussi pitoyablement que les T-72 ex-soviétiques au printemps 2022 ? L’Ukraine n’a pas droit à l’erreur, l’Alliance atlantique ne lui pardonnerait pas. Et quand bien même parviendrait-elle à repousser les Russes sur leur ligne de repli, allons-nous parfaire sa victoire éphémère en l’intégrant dans l’OTAN et en installant nos bases à la frontière russe ?

    Rien n’est plus contraire à la tradition américaine que de se lier irrévocablement, c’est pourquoi l’article 5 du Traité de 1949, qui n’a pu être accepté par le Sénat américain qu’au prix du vote d’une résolution dite Vandenberg, est optionnel et facultatif. Du temps de la guerre froide, la bataille de l’avant permettait d’échanger de l’espace contre du temps. Cette marge de manœuvre disparaîtra si l’OTAN est au contact de la Russie, et sans même évoquer une nouvelle poussée vers l’ouest des armées russes une fois refaites, une méprise ou un incident – comme il y en a déjà eu par le passé – et la nécessité cette fois-ci d’arbitrer en quelques minutes voire quelques dizaines de secondes, nous placeront dans une situation de risque extrême.

    L’hubris des Américains, cette pulsion qui les pousse à ne pas savoir s’arrêter ni jamais s’empêcher, pour reprendre la définition de Camus, les entraîne bien trop loin, tout à la fois par aveuglement sur leur puissance que par incapacité à la dialectiser. La réponse de ChatGPT – ce pur produit de la modélisation managériale américaine – citée en début d’article est d’ailleurs la même que la question soit : « peut-on gagner cette guerre ? », ou : « faut-il la gagner ? ». Face au risque d’Armageddon, les États-Unis pourront toujours abandonner le jour venu l’Europe à son sort, comme ils l’ont fait du Viêt Nam ou de l’Afghanistan, ce que l’article 5 leur permet sans déroger pour autant et ce qui était, faut-il le rappeler, l’hypothèse du général de Gaulle.

    Pour prévenir cette nouvelle débandade, la constitution d’un glacis stratégique entre l’OTAN et la Russie couvrant la Finlande, les États baltes, Kaliningrad, la Biélorussie et l’Ukraine relève non seulement du bon sens, mais de l’intérêt bien compris de tous, Européens, Russes et Américains. Nous allons devoir en décider au prochain sommet de l’OTAN à Vilnius, le 11 juillet 2023 : intégrer l’Ukraine en guerre n’apportera aucune sécurité, y compris à celle-ci, et nous ramènerait à l’époque d’un continent en guerre permanente.

    La victoire des neocons

    Mais, après tout, peut-être n’est-ce que le but recherché. Il n’est qu’à lire la jubilation de la presse américaine au spectacle d’une Vieille Europe replongeant dans les affres de la conflictualité pour mesurer la défaite historique et philosophique que constitue cette guerre – et que le nom de Poutine soit maudit rien que pour cela. Les sarcasmes contre une Europe kantienne reproduisent, au mot près, les anathèmes lus et entendus il y a vingt ans au moment de l’invasion de l’Irak et de notre réticence à y contribuer.

    Ce retour du discours hobbesien sur la naturalité de la guerre vue comme un tropisme immémorial – il guerre comme il pleut ou il neige – abolit la distinction entre violence et guerre et nous détourne de Rousseau et Clausewitz qui nous ont enseigné que la guerre est un choc de volontés, un acte politique de socialisation d’une violence sans doute primitive, mais qui n’était pas la guerre. Le projet européen, qui s’oppose en cela au naturalisme américain, serait définitivement invalidé sans que l’on comprenne pourquoi Bakhmout en 2023 serait davantage un identifiant de cet échec que Srebrenica en 1995.

    Un quarteron d’intellectuels en errance, se piquant d’historicité [5], s’est fait depuis seize mois l’ardent propagandiste de cette idéologie d’importation, annonçant la fin d’une Fin de l’Histoire à laquelle ils ont été les seuls à croire par incompréhension pour les uns, lecture biaisée ou incomprise de Fukuyama pour les autres. « Voici venu le temps de préparer la guerre qui vient pour retenir la paix qui s’en va », a ainsi pu écrire récemment l’un d’entre eux, comme si les aphorismes qui se veulent pascaliens pouvaient être laissés à la discrétion de ChatGPT. Les cicatrices que laissera cette nouvelle rétrogression de la civilisation européenne sont d’ores et déjà profondes. Unmitigated defeat, aurait pu encore dire Churchill. Disons plutôt : un naufrage.

    Jean-Philippe Immarigeon (Site de la revue Conflits, 28 mai 2023)

     

    Notes

    [1] Benjamin Schwarz & Christopher Layne, « Why are we in Ukraine ? On the dangers of American hubris », Harper’s Magazine, mis en ligne le 15 mai 2023, en version papier datée du 7 juin 2023, pp. 23-35.

    [2] « Far from expressing any ambition to conquer, occupy, and annex Ukraine (an impossible goal for the 190,000 troops that Russia eventually deployed in its initial attack on the country), all of Moscow’s demarches and demands during the run-up to the invasion made clear that “the key to everything is the guarantee that NATO will not expand eastward,” as Foreign Minister Sergey Lavrov put it in a press conference on January 14, 2022. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [3] « Il faut, diront certains, montrer notre solidarité avec nos partenaires. La question centrale sera alors évitée : les intérêts de ces partenaires et les nôtres sont-ils identiques ? […] Il se trouvera toujours des stratégistes pour argumenter – parfois brillamment – en faveur de cette tétanie volontaire, en opposant généralement la nécessité de respecter des valeurs et des principes pour éviter de procéder à une analyse sans concession de ce que sont les intérêts réels dans un contexte stratégique mouvant. Ce fixisme stratégique entraînera généralement une paralysie diplomatique – qui finit par se payer très cher une fois l’écart devenu insupportable, car trop visible, entre effort opérationnel et rendement stratégique. » Olivier Zajec, « Penser la stratégie. Une guerre dépolitisée est une guerre perdue d’avance », DSI, 11 mars 2022.

    [4] « Such a system would in fundamental aspects resemble a modern Concert of Europe, in which the dominant states of the E.U., on the one hand, and Russia, on the other, acknowledge each other’s security interests, including their respective spheres of influence. In practice, this would mean, for example, that the Baltic states and Poland would enjoy the same large, but ultimately circumscribed, degree of sovereignty as, say, Canada does. It would also mean that, while Paris and Berlin won’t find Moscow’s internal arrangements to their taste, they will resume economic and trade relations with Russia and build on myriad other areas of common interest. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [5] « Ce discours de la guerre perpétuelle n’est pas seulement l’invention triste de quelques intellectuels longtemps tenus en lisière, joint à un savoir qui est parfois celui d’aristocrates à la dérive ; ce discours exclusivement historico-politique par opposition au discours philosophico-juridique est un discours sombrement critique, mais aussi intensément mythique. C’est celui des amertumes, celui des plus fous espoirs. Il est donc étranger, par ses éléments fondamentaux, à la grande tradition des discours philosophico-juridiques. Pour les philosophes et les juristes, il est le discours extérieur, étranger. C’est le discours, forcément disqualifié, que l’on peut et que l’on doit tenir à l’écart parce qu’il faut, comme un préalable, l’annuler pour que puisse commencer, comme Loi, le discours juste et vrai. » Michel Foucault « Il faut sauver la société », Cours au Collège de France, 1975-19

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  • Après le retrait américain… enfin la paix au Moyen-Orient ?

    Pour sa nouvelle émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Pierre Conesa pour évoquer avec lui les lignes qui bougent au Moyen-Orient.

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021) et Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022).

     

                                           

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  • Qui est légitime ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux États-Unis qui sont devenus une puissance de désordre et de chaos et au monde qui se prépare contre eux...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Qui est légitime ?

    La puissance légitime appartient à qui apporte la paix.

    Longtemps, les États-Unis d’Amérique du Nord ont pu revendiquer la puissance mondiale parce qu’ils ont été une puissance d’ordre et de paix. Tenus par les limites de la confrontation avec le communisme soviétique, du bon sens et de la raison, les États-Unis ont joué un rôle que certains comparent à celui de l’Empire romain — un rôle de bienveillance armée. Les Européens se rappellent que Jean Monnet a accueilli le plan Marshall comme un moyen de l’indépendance de l’Europe, d’ailleurs en prévoyant une entente avec la Russie. Bob Kennedy a rapporté les sages instructions de JF Kennedy lors de l’affaire des fusées à Cuba en 1962 — l’Union soviétique n’a pas subi une défaite, une grande puissance ne doit pas être humiliée, et seule la paix a gagné. Qui s’en souvent aujourd’hui à Washington ? Et la sagesse de George Bush lors de l’invasion du Koweit par l’Irak a illustré encore en 1991 la retenue stratégique et l’intelligence politique des États-Unis — mettre fin à l’invasion, punir l’agresseur, mais laisser vivre le régime irakien, régime baasiste, laïque, opposé à l’islamisme radical. Qui sait encore à Washington ce qui signifient les mots de retenue et d’intelligence ?

    Depuis l’aventurisme des néoconservateurs, les États-Unis sont devenus une puissance de désordre, de chaos et de terreur. Et ils sont devenus le pire ennemi de leurs alliés, et leur propre ennemi. D’abord, par l’obsession militaire qui les conduit à entretenir 800 bases dans le monde — qui croit vraiment que la sécurité des États-Unis est à ce prix ? Et que disent les contribuables américains du racket de l’industrie militaire ? Ensuite, en vertu de la désignation de Nations comme cible de destruction — le général Wesley Clark s’est illustré en listant huit pays à détruire — de la Syrie à l’Afghanistan, de l’Iran à l’Irak, du Soudan à la Palestine, des millions de morts ont payé les crimes impunis des va-t’en guerre américains. Désormais, la majorité des peuples dans le monde savent qui sont les vrais terroristes, capables de réduire des peuples à la ruine et au chaos par le déchaînement de haines bibliques — et ils n’ont rien à voir avec les suspects désignés, l’Islam, les nationalismes ou les « rogue states ». Enfin et surtout, par l’incapacité du régime de ce capitalisme totalitaire qui a rompu tout lien avec le progrès collectif, le bon sens et la raison, à apporter bien être et prospérité aux populations — la montée de la misère aux États-Unis en est le meilleur exemple.

    Le piège ouvert par l’implosion de l’Union soviétique a fonctionné. Privé de son ennemi, l’empire américain en est venu à considérer le monde comme son ennemi — et à faire du monde son ennemi.

    Et ses promesses se sont évanouies. Celles de la paix et de l’ordre, d’abord. Celles ensuite de la démocratie comme libre choix par les peuples de leur destin. Celles surtout de la prospérité, qui désormais se situent clairement loin, ailleurs, et aussi, contre. Le résultat est là ; il était dangereux d’être l’ennemi des Américains, il est maintenant tout aussi dangereux d’être leur allié — Israël y réfléchit, l’Ukraine le paie d’une jeunesse foudroyée, et l’Union européenne devrait y penser.

    Quelle différence ! Le monde se détourne des États-Unis et cherche ailleurs la paix, la liberté, et la prospérité. L’accord de paix survenu sous l’égide de la Chine, au terme de semaines de négociations à Pékin, entre l’Arabie Seoudite et l’Iran, est exemplaire. Quelles que soient les pressions, les menaces, et demain peut être, les tentatives d’assassinat à l’encontre de Mohamed Ben Salman (qui n’est pas encore assuré de la succession au trône), la Chine a mis fin au diktat américain, à son parti pris et aux « deux poids, deux mesures » qui a ôté à Washington toute légitimité à intervenir dans la région. Et les menées conduites au Soudan, avec la trouble contribution des Émirats arabes unis et d’Israël, n’ont rien pour améliorer la légitimité de prétendus faiseurs de paix qui attisent la tempête et sabotent la paix revenue au Yémen.

    Le soutien au rebelle Emiti est-il le prix à payer par le Soudan pour avoir accepté des bases chinoises et russes, par la Ligue arabe pour avoir mis fin aux accords d’Abraham et au projet délirant du « Great Middle East », réintégré la Syrie et remis à l’ordre du jour la question des droits légitimes de la Palestine ? Une puissance incapable d’apporter la paix ne sait plus que se venger en suscitant la guerre, le désordre et la mort. Faut-il parler de fin de règne ?

    La proposition d’accord de paix à l’Ukraine, objet désormais d’échanges permanents entre Pékin et Kiev, recueille l’adhésion au moins tacite de la majorité des puissances opposées à la guerre comme aux sanctions, et menace de révéler l’isolement des États-Unis et de leurs colonies européennes. Et davantage est à venir. Si la rencontre à Delhi des ministres de la Défense russe et chinois a un sens, c’est bien que la Chine et l’Inde peuvent s’entendre, et sont conscients qu’un nouvel état du monde peut découler de l’entente des deux pays les plus peuplés de la planète, et qui seront aussi la première et la troisième économie du monde dans moins de dix ans.

    Le nouvel état du monde résultera à la fois du dividende démographique dont va bénéficier le monde indien (de l’Iran à la Birmanie, plus de deux milliards) et de l’intégration du continent eurasiatique à lui-même. L’Europe voit toujours dans la Chine l’atelier du monde, alors que la réalité est que déjà, les pays de l’Océan indien et de l’Asie du Sud-est, jusqu’à l’Indonésie, se substituent à elle ; les seuls pays de l’Océan Indien devraient fournir dans la prochaine décennie la moitié de la main d’oeuvre jeune et professionnellement formée du monde ! Et ces pays peuvent connaître des croissances fortes et durables parce qu’autocentrées, territoriales, et procédant des multiples accords de libre-échange, d’investissement dans les infrastructures de transport et de partenariats monétaires et financiers qui se nouent — les accords de l’Organisation de Shanghai et des BRICS n’étant que les plus connus de multiples liens qui promettent à chaque membre de bénéficier pleinement de ses avantages comparatifs dans une zone qui sera à la fois le premier marché du monde, le premier atelier du monde, et le premier continent à se libérer du racket imposé par le dollar.

    Ajoutons qu’à l’inverse de l’autosabotage entrepris par l’Union européenne au nom d’une transition écologique manipulée, la région de l’Océan indien est aussi celle qui disposera des plus grandes quantités d’énergie à bas prix, gaz et pétrole, voire charbon indonésien — et qui les utilisera. L’énergie reste le moteur de la croissance, et un pays qui limite son accès à l’énergie se condamne à la désindustrialisation, donc à la dépendance stratégique — qui le dit à Bruxelles ?     

    Pour qui sillonne la région, la rapidité avec laquelle la zone est en train de s’intégrer à elle-même est saisissante. Pipe lines et gazoducs, voies ferrées (comme celle qui va de la Russie à l’Iran, et branche le Transsibérien sur le Golfe persique), routes et autoroutes (comme le CPEC, corridor descendant d’Asie centrale vers les ports de Gwadar ou de l’Iran), aéroports, mettent fin au relatif cloisonnement qui faisait si bien l’affaire des anciennes puissances coloniales. Elle menace aussi la suprématie des puissances de la mer, les transports d’énergie, de matières premières, de biens finis ou semi-finis se faisant majoritairement par terre. Elle est surtout révélatrice de l’aveuglement de l’Union européenne, se laissant isoler des « Routes de la Soie », qui désormais se tournent vers le Sud, rendent à l’Iran le rôle de pivôt continental qui fut longtemps le sien, et promettent à l’Asie centrale une ouverture que la tutelle soviétique leur avait fait perdre.

    Le cœur du monde bat dans l’Océan Indian. Et s’entrevoit une profonde transformation des institutions internationales, la capacité croissante de chaque pays de commercer dans sa monnaie nationale, de préférence au dollar, devant conduire au développement de multiples marchés financiers recyclant les excédents commerciaux des pays exportateurs, facilitant le financement des dettes publiques comme des investissements privés, et mettant les pays de l’Océan Indien et de l’Asie à l’abri de la contagion des crises issues des dérives bancaires et financières américaines.

    C’est là du moins la perspective. Celle développée par exemple par Charles Gave, qui annonce un boom des investissements en infrastructures historique dans la région, donc une hausse des taux réels et de la production de biens réels irrésistible (l’Institut des Libertés, 3 mai 2023). Celle qui oublie à la fois les fragilités de la zone considérée et surtout, les réactions des autres acteurs à une perspective pour eux inquiétante, voire effrayante. Qui consulte la liste des participants aux organisations de la zone ne peut qu’être pris de doute ; coopération saine et durable entre l’Inde, le Pakistan et le Bangla Desh, quand les uns et les autres s’accusent de terrorisme, voire, dans le cas du Bangla Desh, du génocide de 3 millions de leurs citoyens en 1971 ?

    Coopération franche et ouverte avec le Brésil, dont le nouveau Président a bénéficié pour son élection de tous les soutiens que les États-Unis peuvent apporter ? Consistance d’accords qui réunissent des pays aussi différents que l’Égypte et le Mexique, l’Iran et le Vietnam ? Et même, accord durable entre la Chine et la Russie, qu’opposent tant de revendications territoriales non réglées à ce jour ? Les organisations régionales ou mondiales présentées comme des alternatives aux organisations construites par les États-Unis n’en ont à ce jour ni la consistance ni le caractère armé — les accords de défense, voire les alliances concurrentes de l’OTAN, du Quad (dont est membre l’Inde), de l’Aukus, sans parler des Five Eyes, sont sans équivalent ni alternatives à ce jour. Et demain ?

    Le plus décisif est aussi le plus préoccupant. La suprématie du dollar contribue à 20 % ou 30 % du niveau de vie américain — un niveau de vie dont il faut rappeler qu’il repose sur 33 000 milliards de dette publique aussi bien que sur un déficit éclatant d’investissements publics en infrastructures, etc. (le moindre drame de la Présidence actuelle n’étant pas que la France suit la même voie). Aucune puissance ne peut accepter sans se battre la baisse de son niveau de vie et de ses moyens qu’entraînerait l’abandon du dollar comme monnaie internationale. Dans la guerre hors limites qui se joue à partir de l’Opération spéciale russe en Ukraine, bien peu voient l’affolante perspective d’une puissance qui fut hégémonique, les États-Unis, menacés dans ce qui fut leur élan vital, la certitude de fixer le cours du monde, et d’apporter partout avec eux l’Ordre et la Loi, découvrant que le monde vivrait mieux sans eux, s’organise pour se passer d’eux, et condamnés à risquer une guerre mondiale pour conserver ce monopole du Bien qui reste la source de leur élan.

    Des soldats de l’armée indienne défileront à Paris pour le 14 juillet. C’est une première. La France aurait-elle compris l’urgence d’une politique de l’Océan Indien ? Catherine Colonna qui a récemment visité Delhi avait porté aux côtés de Jacques Chirac la défunte politique arabe de la France (lire Ahmed Youssef, « L’Orient de Jacques Chirac — la politique arabe de la France », Editions du Rocher, 2003). Dans ce cas comme dans l’autre, la France a-t-elle encore la liberté de choisir le monde qui vient, contre celui qui l’occupe ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 9 mai 2023)

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