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Entretiens - Page 216

  • La croissance mondiale va s'arrêter...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien passionnant avec le physicien américain Dennis Meadows, publié dans le quotidien Le Monde daté du 26 mai 2012. Pour ce chercheur qui a participé aux travaux du Club de Rome dans les années 70, nous allons au devant d'une crise systémique majeure...

     

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    "La croissance mondiale va s'arrêter"

    En mars 1972, répondant à une commande d’un think tank basé à Zurich (Suisse) – le Club de Rome -, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) publiaient The Limits to Growth, un rapport modélisant les conséquences possibles du maintien de la croissance économique sur le long terme. De passage à Paris , mercredi 23 mai, à l’occasion de la publication en français de la dernière édition de ce texte qui fait date (Les Limites à la croissance, Rue de l’Echiquier, coll. « Inital(e)s DD », 408 p., 25 euros), son premier auteur, le physicien américain Dennis Meadows, 69 ans, a répondu aux questions du Monde.

    Quel bilan tirez-vous, quarante ans après la publication du rapport de 1972 ?

    D’abord, le titre n’était pas bon. La vraie question n’est pas en réalité les limites à la croissance, mais la dynamique de la croissance.Car tout scientifique comprend qu’il y a des limites physiques à la croissance de la population, de la consommation énergétique, du PIB, etc. Les questions intéressantes sont plutôt de savoir ce qui cause cette croissance et quelles seront les conséquences de sa rencontre avec les limites physiques du système.

    Pourtant, l’idée commune est, aujourd’hui encore, qu’il n’y a pas de limites. Et lorsque vous démontrez qu’il y en a, on vous répond généralement que ce n’est pas grave parce que l’on s’approchera de cette limite de manière ordonnée et tranquille pour s’arrêter en douceur grâce aux lois du marché. Ce que nous démontrions en 1972, et qui reste valable quarante ans plus tard, est que cela n’est pas possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un effondrement.

    Avec la crise financière, on voit le même mécanisme de franchissement d’une limite, celle de l’endettement : on voit que les choses ne se passent pas tranquillement.

    Qu’entendez-vous par effondrement ?

    La réponse technique est qu’un effondrement est un processus qui implique ce que l’on appelle une « boucle de rétroaction positive », c’est-à-dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. Par exemple, regardez ce qui se passe en Grèce : la population perd sa confiance dans la monnaie. Donc elle retire ses fonds de ses banques. Donc les banques sont fragilisées. Donc les gens retirent encore plus leur argent des banques, etc. Ce genre de processus mène à l’effondrement.

    On peut aussi faire une réponse non technique : l’effondrement caractérise une société qui devient de moins en moins capable de satisfaire les besoins élémentaires : nourriture, santé, éducation, sécurité.

    Voit-on des signes tangibles de cet effondrement ?

    Certains pays sont déjà dans cette situation, comme la Somalie par exemple. De même, le « printemps arabe », qui a été présenté un peu partout comme une solution à des problèmes, n’est en réalité que le symptôme de problèmes qui n’ont jamais été résolus. Ces pays manquent d’eau, ils doivent importer leur nourriture, leur énergie, tout cela avec une population qui augmente. D’autres pays, comme les Etats-Unis, sont moins proches de l’effondrement, mais sont sur cette voie.

    La croissance mondiale va donc inéluctablement s’arrêter ?

    La croissance va s’arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme l’énergie. L’énergie a une très grande influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n’y a pas de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l’aviation… Les problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus au prix élevé de l’énergie.

    Dans les vingt prochaines années, entre aujourd’hui et 2030, vous verrez plus de changements qu’il n’y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l’environnement, de l’économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu’une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique.

    Pourtant, la Chine maintient une croissance élevée…

    J’ignore ce que sera le futur de la Chine. Mais je sais que les gens se trompent, qui disent qu’avec une croissance de 8 % à 10 % par an, la Chine sera le pays dominant dans vingt ans. Il est impossible de faire durer ce genre de croissance. Dans les années 1980, le Japon tenait ce type de rythme et tout le monde disait que, dans vingt ans, il dominerait le monde. Bien sûr, cela n’est pas arrivé. Cela s’est arrêté. Et cela s’arrêtera pour la Chine.

    Une raison pour laquelle la croissance est très forte en Chine est la politique de l’enfant unique. Elle a changé la structure de la population de manière à changer le ratio entre la main-d’œuvre et ceux qui en dépendent, c’est-à-dire les jeunes et les vieux. Pour une période qui va durer jusque vers 2030, il y aura un surcroît de main-d’œuvre. Et puis cela s’arrêtera.

    De plus, la Chine a considérablement détérioré son environnement, en particulier ses ressources en eau, et les impacts négatifs du changement climatique sur ce pays seront énormes. Certains modèles climatiques suggèrent ainsi qu’à l’horizon 2030 il pourrait être à peu près impossible de cultiver quoi que ce soit dans les régions qui fournissent actuellement 65 % des récoltes chinoises…

    Que croyez-vous que les Chinois feraient alors ? Qu’ils resteraient chez eux à souffrir de la famine ? Ou qu’ils iraient vers le nord, vers la Russie ? Nous ne savons pas comment réagira la Chine à ce genre de situation…

    Quel conseil donneriez-vous à François Hollande, Angela Merkel ou Mario Monti ?

    Aucun, car ils se fichent de mon opinion. Mais supposons que je sois un magicien : la première chose que je ferais serait d’allonger l’horizon de temps des hommes politiques. Pour qu’ils ne se demandent pas quoi faire d’ici à la prochaine élection, mais qu’ils se demandent : « Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans trente ou quarante ans ? » Si vous allongez l’horizon temporel, il est plus probable que les gens commencent à se comporter de la bonne manière.

    Que pensez-vous d’une « politique de croissance » dans la zone euro ?

    Si votre seule politique est fondée sur la croissance, vous ne voulez pas entendre parler de la fin de la croissance. Parce que cela signifie que vous devez inventer quelque chose de nouveau. Les Japonais ont un proverbe intéressant : « Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou. » Pour les économistes, le seul outil est la croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance.

    De même, les politiciens sont élus pour peu de temps. Leur but est de paraître bons et efficaces pendant leur mandat; ils ne se préoccupent pas de ce qui arrivera ensuite. C’est très exactement pourquoi on a tant de dettes : on emprunte sur l’avenir, pour avoir des bénéfices immédiats, et quand il s’agit de rembourser la dette, celui qui l’a contractée n’est plus aux affaires.

    Propos recueillis par Stéphane Foucart et Hervé Kempf (Le Monde, 26 mai 2012) 

     

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  • Alain de Benoist sur France Culture...

    A l'occasion de la sortie aux éditions De Fallois de Mémoire vive , son livre d'entretien avec François Bousquet, Alain de Benoist a été invité le 13 mai 2012, sur France Culture, dans l'émission «Tête-à-tête», dirigée par Frédéric Taddeï.

    Il est possible d'écouter cette émission sur le site des Amis d'Alain de Benoist : Tête-à-tête , avec Alain de Benoist

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  • Fascismes ?...

    Les éditions Dualpha viennent de publier Histoire des Fascismes de François Duprat, un ouvrage dans lequel Alain Renault a rassemblé des études que l'historien nationaliste-révolutionnaire a consacrées aux fascismes allemand, autrichien, roumain, hongrois, néerlandais et norvégien. Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain Renault, cueilli sur le site Voxnr...

     

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    Beaucoup d’études ont été publiées sur le fascisme, quel est l’intérêt de celles de François Duprat ?

    Le terme de « fascisme » recouvre des réalités différentes. Duprat étudie des « fascismes » méconnus dans la perspective des combats d’aujourd’hui car il considère que « des leçons bien précises peuvent être tirés de l’histoire du mouvement nationaliste-révolutionnaire dans le monde ». Ses monographies portent donc moins sur l’idéologie, marquée par le temps et l’espace, de ces différentes formations que sur leur action, leurs rapports face à la « droite » et la « gauche », leur capacité à recruter et à mobiliser, les raisons de leurs échecs ou de leurs succès.


    Mais le fascisme ne se confond pas avec le nationalisme-révolutionnaire, étiquette revendiquée par Duprat ?

    Non, et d’ailleurs seul un imbécile n’ayant d’ailleurs rien compris à l’essence du fascisme, mènerait aujourd’hui et en France une action politique en s’en réclamant… Comme l’a écrit Duprat « le nationalisme doit être considéré aujourd’hui puisque nous sommes des relativistes et que nous croyons à l’obligation pour les formulations idéologiques de s’adapter aux situations changeantes ». Mais, quelle que soit l’étiquette retenue, il n’en demeure pas moins que certains principes perdurent même si certains font du « fascisme » sans le savoir, voire en s’en défendant.

    Les analyses de Duprat restent-elles actuelles, 34 ans après sa mort ?

    En tous cas, sa méthode, son logiciel de pensée, sont d’une actualité permanente. J’ai d’ailleurs sélectionné ces monographies, et les enseignements pratiques que l’on peut en tirer, pour l’action de notre temps. Ma préface les inscrit dans le combat actuel et dans l’analyse politique plus générale de Duprat. Celui-ci semble avoir été très en avance dans sa prédiction des crises économique et identitaire qui commence seulement à apparaître.

    Quelles leçons générales à tirer de l’ouvrage ?

    Chacun peut en tirer des leçons individuelles par ses propres réflexions sachant que « la réflexion est action si elle sait déboucher sur l’amélioration qualitative de l’action pure » en étudiant les erreurs qui mènent à l’échec et, plus positivement, les méthodes qui peuvent mener aux succès sachant que les conditions de ceux-ci ne les garantissent aucunement. « Si nous ne savons profiter des événements historiques en cours ce sera la preuve non pas que l’Histoire ne devait pas aller dans notre sens, mais que nous avons été, au moment voulu, incapables de profiter de notre chance. »

    Alain Renault (propos recueillis par Fabrice Dutilleul pour Voxnr, 24 avril 2012)

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  • Questions sur la ville...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien entre Alain de Benoist et Pierre Le Vigan à propos de la ville, dont une partie a été publiée dans la revue Eléments (n°143, avril-juin 2012).

     

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    Questions sur la ville à Pierre Le Vigan

    L’une des surprises, quand on lit ton livre, c'est de découvrir que si la banlieue va si mal aujourd'hui, c'est entre autres à cause du… général de Gaulle ? « Force est de constater, écris-tu, que de Gaulle ne connaissait et ne comprenait rien aux questions de la ville ». Cela mérite peut-être quelques explications.

    En France la grande période de construction c’est 1960-1975. Cela correspond en bonne part à la période où de Gaulle a été au pouvoir. Or cette période est une période de désastre urbain. Regardons les grands ensembles de la région parisienne. De Gaulle a évidemment une forte part de responsabilité dans ce désastre. De Gaulle, perspicace dans certains domaines comme l’international, n’eut qu’une vision quantitative de la question de la ville et du logement. Il y avait un manque de logements alors que les ruraux de France (ce sont maintenant les immigrés) se ruaient vers les villes. Il fallait construire : on a voulu le faire vite, à coût réduit, avec des profits dans l’immobilier et le bâtiment qui eux ne l’étaient pas, et dans des zones où le terrain n’était pas cher. De Gaulle n’a certes rien inventé puisque qu’il a suivi les impulsions donné par la IVe République dans le domaine des villes, notamment avec les ZUP créées en 1958. (de même que dans d’autres domaines comme le nucléaire tout avait déjà été impulsé sous la IVe République). Il a été suiviste. Cela ne l’exonère pas. Se contenter de poursuivre les lignes déjà tracées par les gouvernants précédents et par les technocrates c’est aussi et encore être responsable. On « doit » aussi à de Gaulle la néfaste suppression du département de la Seine, avec la création des 3 départements de la petite couronne et de ceux de la grande couronne (1964-68), et le fait que Paris soit à la fois ville et département, ce qui renforce au plan fiscal, politique et institutionnel les effets désastreux de la coupure physique du périphérique, lui aussi commencé sous la IVe République en 1956, intégré dans les plans d’urbanisme en 1959 avec de Gaulle, et achevé sous Pompidou en 1973. Il suffit de se promener et de comparer le plan actuel de Paris et un plan d’avant 1960 au niveau des limites de la capitale pour comprendre la violence physique du périph’, les artères bouchées, les impasses crées, les zones déqualifiées, et le charcutage de toute une vie urbaine et sociale piétinée et meurtrie. Telle a été la politique du général Gaulle et de son premier ministre Georges Pompidou – moderniste assumé lui aussi – qui, ensuite devenu président, poursuivit la même politique jusqu’à, enfin, la fameuse circulaire Olivier Guichard de 1973 sur l’arrêt des barres et des tours.

    Tu reprends l'antienne sur le manque de moyens de la politique de la ville en citant cette phrase du sociologue Didier Lapeyronnie : « L'argent que l'on donne aux banlieues n'est rien par rapport aux banques ». C’est certainement vrai, mais est-ce aussi simple que cela ? Toujours plus d'argent, est-ce vraiment ce dont les banlieues ont besoin ?

    Il apparait à me lire que c’est plus complexe que cela. Les banlieues ont bénéficié d’investissements importants, le bâti – entendons par là les immeubles - a été souvent réhabilité mais cela ne porte guère sur les espaces publics dégradés et les transports qui restent souvent très insuffisants. Par ailleurs – et c’est ce que tu évoques dans ta question - quand sont venus les plans d’aide aux banques on s’est rendu compte que les sommes destinées aux quartiers de banlieues étaient bien faibles par rapport à ce que l’on avait débloqué pour sauver un système de crédit victime de ses propres tares. Enfin les moyens humains dégagés pour les banlieues difficiles – celles où les gens souffrent pour le dire autrement, et souffrent des agissements d’une minorité de jeunes délinquants tout comme de la crise générale du système capitaliste - sont très faibles en banlieue notamment en matière de police où ces territoires sont sous-administrés.

    Ceci posé il est bien évident que le « mieux-vivre » des habitants de banlieue passe (ou aurait du passer) par moins d’immigration et par l’intransigeance quant aux valeurs de respect du pays d’accueil qu’est la France, quant à la valeur du travail, qu’il ne faut pas laisser à un Sarkozy, quant à la valeur du respect des ainés. Toutes pérennités culturelles, au sens fort du terme, incompatibles avec une immigration de masse voulue par le patronat des années 60 (et encouragée par de Gaulle et Pompidou) puis par le turbo-capitalisme à une échelle inégalée depuis le regroupement familial.

    Dans la mesure où, comme tu le rappelles, ils ont été les véritables « pionniers de l'exclusion », travaillant « dans l'égoïsme plutôt que d'imaginer des espaces de vie commune », n'aurais-tu pas dû intituler ton livre « Faut-il brûler les architectes ? »

    Le livre existe déjà sous le nom de « Faut-il pendre les architectes ». Il est de Philippe Trétiack (cf. mon papier in www.esprit-europeen.fr) et l’ouvrage est plus nuancé que son titre ne le laisse penser. La responsabilité des architectes existe bien entendu – et elle relève en bonne part d’une idéologie moderniste - mais celle des maitres d’ouvrages, les pouvoirs publics, l’Etat, les maires est plus considérable encore. Ceux qui financent jouent un rôle plus décisif que ceux qui imaginent.

    La fascination pour la civilisation de la voiture – et indirectement du pétrole par cher et abondant - a rencontré l’industrialisation du bâtiment et des objectifs politiques de sauter par-dessus les banlieues communistes et des créer des immeubles dans des espaces politiquement et socialement vierges, dans des zones plus lointaines que les anciennes banlieues apparues au XIXème siècle. Tels sont les trois facteurs qui ont été décisifs dans les années 50 à 70.

    Pour sauver la ville, tu en appelles à la « démocratie du beau ». Il faut démocratiser le beau, le « rendre accessible au peuple ». Vaste programme, comme aurait dit le Général, mais comment le réaliser ?

    Je crois à l’éducation, qui inclue l’éducation au beau. Mais il y a bien sûr plusieurs idées du beau. Le beau en matière de paysage c’est ce qui donne de la force et de la joie au lieu de faire souffrir. C’est donc à la fois abstrait au plan théorique et parfaitement vérifiable au plan pratique.

    Avant La banlieue contre la ville, tu as publié, à un rythme rapide, toute une série d’autres livres : Inventaire de la modernité, avant liquidation en 2007, Le front du cachalot en 2009, La tyrannie de la transparence et Le malaise est dans l’homme en 2011. Tu y abordes de façon extrêmement pénétrante des sujets très différents, sous des formes également variées (analyses, notes personnelles, « journal de bord »). Y a-t-il un fil conducteur qui relie tous ces travaux, que le lecteur pressé n’aura peut-être pas aperçu ?

    Publié peut-être à un rythme rapide mais écrit sur un long terme. La question est pour moi simple : comment comprendre notre temps, qu’y a-t-il à comprendre de notre époque ? Cela implique à la fois de saisir le contemporain, et de connaitre quelque peu d’autres temps pour comprendre justement ce qui a muté. C’est pourquoi l’urbanisme est si passionnant. Les traces d’un passé proche, des pavillons des années 50 par exemple, nous donnent l’idée des mutations les plus profondes et les plus intimes de notre temps, du rapport des gens aux autres, au paysage, à l’espace, au bruit, etc. Avec la ville, c’est la chair du corps social. Et de là bien sûr je suis passé à d’autres observations, politique, sociétales, esthétiques, etc. Comme le fait que les gens sortent presque tous appareillés avec des diffuseurs de musique individuels et avec leur téléphone mobile.

    Ainsi, les souffrances psychiques et les pathologies sont des axes que j’ai exploré dans Le malaise est dans l’homme et là aussi même si elles ont de tous temps existées, elles apparaissent avec des spécificités dans notre époque et elles sont lues de manière symptomatique par notre époque. Toute époque est à la fois un système de lecture et d’écriture du monde. A partir de là j’ai plus le tempérament du chercheur que du prédicateur. Ce qui n’empêche pas d’avoir des convictions.

    Nous sommes, de l’avis de beaucoup d’observateurs, dans une époque-charnière – disons au bord de quelque chose. Quels sont à tes yeux les enjeux essentiels de ce moment que nous vivons ? La notion de « monde commun » peut-elle encore avoir un sens ? Quel est le sujet historique de notre temps ?

    La charnière est derrière. Nous sommes déjà dans autre chose mais nous ne savons pas quoi. La question essentielle c’est : peut-on encore être humain ? Les possibilités de prothèses et d’hommes-prothèses, les mutations génétiques, les actions possibles et en cours sur le psychisme par des médicaments, tout ceci met en cause la conception classique de l’homme. L’homme sujet (sujet de lui-même et sujet de l’histoire) disparait-il, et avec lui assisterons-nous à la fin de toute psychologie comme Nietzsche l’avait annoncé ? L’homme lui-même comme type d’animal un peu évolué (pas tant que cela car les impératifs éthologiques et écologiques continuent de nous gouverner) disparaitra-t-il ? Ce serait en somme assez anecdotique par rapport à la marche de l’univers. Ce serait sans doute l’occasion de nouvelles aventures du vivant. Au-delà de l’homme c’est tout le vivant qui est touché. Exemple : des poissons ne « savent » plus physiologiquement s’ils sont mâles ou femelles compte tenu de ce qu’ils ont ingurgités comme rejets chimiques d’origine humaine.

    En attendant, les mutations démographiques sont considérables, surtout en Europe et particulièrement en France, elles mettent en cause même la possibilité pour les peuples de rester eux-mêmes, de garder sinon leur identité du moins une identité ce qui veut dire historiquement un mélange de changements mais aussi de stabilité. Or le changement est infiniment plus fort et rapide chez nous que la stabilité. La machine à intégrer ne marche plus. Je prends le métro parisien plusieurs heures par jour : on entend de moins en moins parler français. C’est un signe. Quand l’espace public n’est plus irrigué par une langue commune, c’est qu’il n’y a plus de monde commun. A partir de là, la société n’est plus qu’une fiction juridique, avec des ayants droits, un pays n’est plus qu’un parking, ou un hôtel, la démocratie n’est plus qu’une procédure. Beaucoup plaident d’ailleurs pour cette nouvelle réalité, qui n’a pourtant a priori pas besoin de défenseurs puisqu’elle s’impose d’elle-même. A moins que… En tout cas, seule la relocalisation générale des gens, des économies, des flux, peut remédier à cela, qui est un malaise et un malheur anthropologique, que Pier Paolo Pasolini avait bien vu, et dont il souffrait (souffrir aide parfois à voir, peut-on penser sans être chrétien pour autant). « La tragédie, c’est qu’il n’existe plus d’êtres humains. » disait Pasolini en 1974. Mais il en est des êtres humains comme des lucioles : ce qui est voilé n’a pas forcément disparu.

    Pierre Le Vigan, propos recueillis par Alain de Benoist (Eléments, avril-juin 2012)

     

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  • Guilluy, Zemmour et les fractures françaises...

    Vous pouvez regarder ci-dessous un extrait de l'émission Zemmour & Naulleau, diffusée sur Paris première le 14 avril 2012, au cours de laquelle intervient le géographe Christophe Guilluy, auteur de l'essai percutant intitulé Fractures françaises. La description par l'invité du "PS d'en-haut", véritable "Boboland" est assez savoureuse...

    La vidéo a été cueillie sur le site François Desouche.

     

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  • "Raymond Aubrac était un agent communiste"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien du journaliste Jean-Dominique Merchet avec l'historien Stéphane Courtois, cueilli sur le blog Secret Défense et consacré à Raymond Aubrac. Stéphane Courtois, spécialiste du communisme, nous rappelle que ce personnage qu'on nous présente, à l'occasion de sa mort, comme un grand résistant patriote était avant tout un agent d'influence soviétique. Il rappelle aussi que les conditions de sa libération à la suite de son interpellation par la Gestapo à Caluires avec Jean Moulin sont pour le moins controversées...

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    "Raymond Aubrac était un agent communiste"

    Directeur de recherches au CNRS, l'historien Stéphane Courtois est un spécialiste du communisme. Elève d'Annie Kriegel, il a été le maître d'oeuvre du Livre noir du communisme. Ses derniers livres sont "le Bolchevisme à la française" (Fayard)  et, sous sa direction, "Sortir du communisme, changer d'époque" (PUF). Historien engagé, mais grand connaisseur des archives, il nous décrit la face cachée d'un personnage aujourd'hui encensé.

    Qui était vraiment Raymond Aubrac ?
    Un agent soviétique, mais pas au sens où il aurait travaillé pour les services d'espionnage de l'Union soviétique. Il était plutôt un membre important du réseau communiste international, un sous-marin communiste si l'on veut ; en tout cas, beaucoup plus qu'un agent d'influence. Un homme comme lui avait évidemment un correspondant à Moscou.

    En a-t-on des preuves ?
    Nous n'avons pas de documents, comme par exemple dans le cas de l'ancien ministre radical Pierre Cot. Toutefois, l'ancien dissident tchèque Karel Bartosek avait découvert dans les archives du PC à Prague des documents qui montrent qu'Aubrac y était reçu par Klement Gottwald, le chef historique du PC tchécoslovaque, qui fut aussi un agent du Komintern.

    Mais Aubrac a toujours expliqué qu'il n'avait jamais été membre du PCF ?
    (Rire). C'est exact, formellement, mais tout cela est cousu de fil rouge. Il faisait partie de ce qu'on appelle les "hors-cadres", des gens de haut niveau dont le PCF n'avait pas besoin qu'ils prennent leur carte. Ils leur étaient plus utile à l'extérieur. Aubrac était un ingénieur, sorti de l'Ecole des Ponts et Chaussées, et le PCF ne voulait pas le mettre en avant. Ce qui ne l'empêchait pas de participer à des réunions de cellules comme "observateur". Avant guerre, sa future épouse Lucie était elle-même communiste, proche d'André Marty - qui fut représentant du PCF au Komintern.

    Ses biographes le présentent comme une sorte d'industriel à la tête d'une entreprise d'urbanisme. Qu'en est-il ?
    La société qu'il dirigeait était le Berim - le Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne. Placé sous la responsabilité de Jean Jérôme, l'und es hommes les plus importants et les plus secrets du PCF - cette société servait aussi de pompe à finances au Parti. C'est, par elle, que passait une partie des financements en provenance de l'Est - sous la forme de contrats plus ou moins bidons. Même chose avec les maires communistes.

    On apprend qu'il était à Saïgon lors de l'arrivée des chars du Nord-Vietnam en 1975. Qu'y faisait-il ?
    Aubrac a joué un rôle très particulier dans l'affaire du Vietnam. Lorsque le dirigeant communiste Hô Chi Minh vint en France en 1946, il fut hébergé par les Aubrac à la demande de Jacques Duclos. Puis il servit de contact entre l'appareil communiste international et Henry Kissinger lui-même. Du sérieux, on le voit.

    Son rôle durant la Résistance a fait l'objet de polémiques. On se souvient d'un procès contre l'historien Gérard Chauvy et d'une table ronde organisée en 1997 par Libération. Qu'en pensez-vous ?
    Pendant longtemps, Aubrac et son épouse Lucie ont raconté qu'il s'était évadé à la suite d'une opération de la Résistance. Or, Arthur Kriegel - qui a participé à cette action commando - assurait qu'Aubrac n'était pas là quand elle eut lieu. Puis Aubrac a reconnu dans la biographie "autorisée" que Pascal Convert lui a récemment consacrée qu'il ne s'était pas évadé, mais qu'il avait été libéré.
    Un autre épisode pose problème. A la Libération, il est commissaire régional de la République à Marseille. Or De Gaulle va le virer sans ménagement et sans explication.  A Marseille, il avait créé des CRS (Compagnies républicaines de sécurité) dont on découvrit plus tard qu'elles étaient entièrement infiltrées par le PCF.
    Quant à la table ronde de Libération, une anecdote est significative : Aubrac s'est mis en colère au moment même où Daniel Cordier lui a demandé d'avouer enfin qu'il était communiste. Jusqu'au bout, il l'aura nié. C'était un gros poisson de l'appareil, très bien camouflé, en particulier derrière l'image de son épouse Lucie.

    Stéphane Courtois, propos recueillis par Jean-Dominique Merchet (Secret défense, 11 avril 2012)

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