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Entretiens - Page 217

  • Schoendoerffer, cinéaste et aventurier....

    Le cinéaste et romancier français, Pierre Schoendoerffer est décédé le 14 mars 2012, à l'hôpital militaire Percy de Clamart. Nous reproduisons ci-dessous un entretien de Jean-Dominique Merchet avec Bénédicte Chéron, qui vient de publier un livre intitulé Pierre Schoendoerffer aux éditions du CNRS. Cet entretien a été initialement publié sur l'excellent blog Secret défense.

     

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    Qui était Schoendoerffer ? Un cinéaste ? Un romancier ? Un reporter ?

    Béatrice Chéron : Pierre Schoendoerffer est d’abord, me semble-t-il, un aventurier, au sens le plus noble du terme. Adolescent, il avait le goût du grand large, s’est embarqué sur un cargo pour voir le vaste monde. Mais il avait aussi, au fond de lui, ce besoin de créer quelque chose, d’inventer, de raconter, né à la lecture de Fortune Carrée de Joseph Kessel, sous l’Occupation. Humble, il ne pouvais s’imaginer écrivain. Il a alors décidé de faire du cinéma et est parti en Indochine, pendant la guerre, comme cameraman des armées. Il a donc été reporter, et a continué dans cette voix quelques années après la fin du conflit indochinois. Puis le cinéma, grâce à Joseph Kessel, l’a rattrapé et happé définitivement. Sa première grande œuvre personnel est La 317e Section (1964) et c’est grâce à elle qu’il devient aussi écrivain : le scénario ayant été d’abord refusé par le producteur Georges de Beauregard, il en fait un livre, sous le même titre. Pierre Schoendoerffer est donc bien reporter, romancier et cinéaste. Comme il aimait à dire, il était « esclave » quand il était reporter, « roi » lorsqu’il réalisait un film et « Dieu » quand il écrivait un roman : « Quand on écrit un roman, on est Dieu le Père, parce qu’on crée le destin, on dit : “Celui-là va aimer, celui-là ne pas aimer, ce sera elle qu’il aime”… Vous faites le destin, vous êtes Dieu. Quand vous faites un film, vous êtes roi, parce que le destin est déjà là : il y a un scénario et vous ne pouvez pas vous égarer. Mais vous avez quand même le pouvoir régalien de glorifier certains des personnages et de minimiser d’autres. Et quand vous êtes un documentariste vous êtes un humble esclave qui marche derrière et ramasse les traces qu’ils ont laissées derrière eux. J’aime bien être Dieu, j’aime bien être roi, et j’aime bien être esclave à l’occasion… » (entretien personnel avec Pierre Schoendoerffer, 26 février 2007). La spécificité de cette œuvre est de créer des aller-retour permanents entre ses reportages, ses films et ses romans : les personnages vont des uns aux autres ; interprétés par des acteurs fidèles (Jacques Perrin, Bruno Crémer…), ils deviennent des héros qui traversent le grand récit « schoendoerfferien ».

    Que dit son oeuvre de l'histoire récente de notre pays ?

    Béatrice Chéron : Son œuvre témoigne du chaos d’une période qui demeure un trou béant de la mémoire nationale. La guerre d’Algérie continue d’être une blessure ouverte, un sujet brûlant sur lequel les mémoires écorchées vives ne cessent de revenir et la commémoration, ces jours-ci, des 50 ans des Accords d’Evian témoigne encore de la difficulté à aborder ce sujet paisiblement même si les choses évoluent doucement. La guerre d’Indochine quant à elle est tombée dans les oubliettes de l’histoire, prise en étau entre les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale et ceux de la guerre d’Algérie. Pierre Schoendoerffer, lui, tisse un fil, de la Libération en 1945 jusqu’à l’après-décolonisation. Il récapitule une période, une histoire. Il met de la continuité là où il y a eu rupture, il tente de réunir ce qui a été divisé. Il ne prétend pas tout dire, ni faire œuvre d’historien, mais bien témoigner par la fiction et la création, et rendre sa part de reconnaissance à une génération de militaires et de jeunes officiers prise dans le chaos de cette décolonisation, sur les épaules de qui ont pesé des choix politiques tragiques et définitifs. Il aussi perpétué la grande tradition du récit d’aventure et du lointain, très présente en France dans l’entre-deux guerres avec les romans de Pierre Benoît ou Joseph Peyré, et tombée en désuétude ensuite. Il a su faire vivre cette aventure au cinéma et Le Crabe-Tambour en est sans doute le meilleur exemple.

    Quelle influence a-t-il eu sur l'imaginaire militaire ?

    Béatrice Chéron : Pierre Schoendoerffer est un des rares auteurs et cinéastes à créer une œuvre cohérente, durable et de qualité dont les personnages sont systématiquement des militaires on d’anciens militaires, des aventuriers et des combattants. Plus spécialement, il met en scène des lieutenants et des capitaines. Il fait d’eux des héros, au sens antique et médiéval du terme. Des héros capables de souffrance et d’hésitations, des héros confrontés à des situations tragiques. Il permet donc à un imaginaire militaire d’émerger et de durer. Ses films ont incontestablement marqué des générations de jeunes hommes qui ont voulu devenir officiers à leur tour. Pour beaucoup d’entre eux, être lieutenant, c’est suivre le lieutenant Torrens de La 317e section. Pour les anciens combattants, l’œuvre de Pierre Schoendoerffer est un réconfort : il leur rend leur histoire et témoigne de ce qu’ils ont vécu. Parfois, les images de La 317e Section remplacent dans leur mémoire leurs propres souvenirs de la guerre d’Indochine, tellement leur force les rend véridiques. Certains d’entre eux n’ont pas été tendre avec le cinéaste au moment de la sortie de Dien Bien Phu (1992), s’estimant trahis par un film tourné avec les Vietnamiens, au Vietnam, et ne montrant pas suffisamment le contexte politique et stratégique de la bataille. Mais malgré ces anicroches, le lien est demeuré indéfectible avec celui qu’il considère comme l’un des leurs parce que lui aussi a connu la guerre, les blessures, les souffrances du combat, le risque de la mort et, après Dien Bien Phu, la captivité dans les camps viet-minh.
     
    A qui peut on le comparer, en France et à l'étranger ?

    Béatrice Chéron : Il est difficile de comparer Schoendoerffer à d’autres cinéastes français. Claude Bernard-Aubert a lui aussi réalisé des films sur la guerre d’Indochine(Patrouille de choc en 1957, Le Facteur s’en va-t-en guerre en 1966 et Charlie Bravo en 1980), après y avoir été reporter ; mais ces trois films ne sont pas entrés dans la postérité. Florent Emilio Siri, en réalisant L’Ennemi intime (2006) sur la guerre d’Algérie, a revendiqué l’héritage « schoendoerfferien » mais Pierre Schoendoerffer lui-même n’a rien dit de ce film et le spectateur n’y retrouve pas forcément de liens évidents avec son œuvre. En revanche, notamment au moment de la sortie de La 317e section, Pierre Schoendoerffer a beaucoup été comparé avec Samuel Fuller, Anthony Mann, et Raoul Walsh. Mais Pierre Schoendoerffer demeure relativement isolé dans le paysage du cinéma de guerre, essentiellement américain, friand de films à grand spectacle et effets spéciaux, même si dans Apocalypse Now on retrouve des traces du roman de Schoendoerffer, L’Adieu au roi.

    Que restera- t-il de lui ?
     
    Béatrice Chéron : Il laisse d’abord le témoignage de son propre parcours, et pour tous ceux qui l’ont connu, d’un homme d’une rare élégance morale, loyal, fidèle et soucieux de la vérité. Il a marqué le cinéma par sa manière de pratiquer son art, de fabriquer des films, avec l’humilité de l’artisan, réunissant autour des lui des hommes de qualité, comme Raoul Coutard (son chef-opérateur) Jacques Perrin, Jacques Dufilho, Bruno Crémer, Claude Rich…  Il a su transmettre par ses films ce que fut la période chaotique de la décolonisation, il a comblé, par la fiction donc sans prétendre à la vérité historique, des vides de la mémoire nationale. Ses films et ses livres, enfin, couronnés par de nombreux prix, permettront aux générations à venir de s’approprier cet imaginaire si riche et original.

    Propos recueillis par Jean-Dominique Merchet (Secret défense, 14 mars 2012)

     

    Et ci-dessous, quelques extraits de La 317ème section, pour revoir le sous-lieutenant Torrens et l'adjudant Wilsdorff...

     


    La 317ème Section par RioBravo

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  • Demain, l'effondrement économique ?...

    Vous pouvez regarder ci-dessous un entretien avec Piero San Giorgio, l'auteur de Survivre à l'effondrement économique, un essai publié en 2011 aux éditions le Retour aux Sources. L'entretien a été réalisé par le site Media-investigation.com


    Piero San Giorgio prévoit l'effondrement... par MEDIA-INVESTIGATION

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  • Le populisme : un besoin vital pour la démocratie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe politique argentin Ernesto Laclau, publié dans le quotidien Le Monde et consacré au populisme. Ernesto laclau est l'auteur de nombreux essais, dont un, intitulé La raison populiste, a été traduit en Français et publié aux éditions du Seuil en 2008.

     

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    "Sans une certaine dose de populisme, la démocratie est inconcevable aujourd'hui"

    Pourquoi opérez-vous une réévaluation du concept de populisme, aujourd'hui largement synonyme de démagogie ?

    Ernesto Laclau : "Populisme" n'est pas pour moi un terme péjoratif, mais une notion neutre. Ce mot est aujourd'hui devenu un repoussoir, un peu comme l'a été celui de "démocratie" en Europe au début du XIXe siècle. La démocratie, c'était aux yeux des gens installés, le retour du jacobinisme et du gouvernement de la plèbe. Le populisme est une façon de construire le politique. Il joue la base contre le sommet, le peuple contre les élites, les masses mobilisées contre les institutions officielles figées. Mussolini comme Mao étaient des populistes. Tout comme Viktor Orban et Hugo Chavez, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon le sont aujourd'hui.

    De droite ou de gauche, dangereux ou émancipateur, le populisme investit le peuple, autre mot dont le sens est à chaque fois redéfini. Alimentation, logement, santé ou scolarité : le populisme s'oppose à la doctrine technocratique de Saint-Simon (1760-1825) selon laquelle il faut "remplacer le gouvernement des hommes par l'administration des choses".

    Quelle est la différence entre le populisme de droite et le populisme de gauche ? Et pourquoi le populisme de droite est-il si présent en Europe alors que celui de gauche domine en Amérique latine ?

    Ernesto Laclau : En Europe occidentale et orientale, la plupart des populismes sont de droite, de Silvio Berlusconi à Geert Wilders. Chez eux, le rejet de l'immigration, du multiculturalisme et l'affirmation de l'identité nationale priment sur les revendications sociales. En Europe, les catégories populaires se sont détournées de la gauche gouvernementale, jugée trop proche de la droite libérale. Il faut dire que, sur certains points, la politique de Tony Blair a emboîté le pas de celle de Margaret Thatcher, pour ne parler que de la Grande-Bretagne.

    Sa politique a même accentué la dérégulation des marchés et de l'Etat opérée par la "Dame de fer". Et le scénario s'est produit dans presque tous les pays d'Europe. Ainsi, on a pu voir prospérer en France ce que l'on a appelé le "gaucho-lepénisme", ces reports de voix d'anciens communistes sur le Front national, phénomène que l'on observe partout sur le continent européen.

    Quelle est la singularité du populisme latino-américain ?

    Ernesto Laclau : Contrairement à l'Europe, l'Amérique latine n'a pas connu d'alliance entre le libéralisme et la démocratie au XIXe siècle. Et donc, au siècle suivant, les mouvements populaires ont adopté des positions non libérales et plutôt nationalistes, une tendance reconnaissable à travers presque tout le sous-continent.

    Il y a eu la présidence de Getúlio Vargas au Brésil (1930-1945, puis 1951-1954), le péronisme argentin, le mouvement nationaliste révolutionnaire en Bolivie. La première présidence du général Carlos Ibáñez del Campo au Chili de 1927 à 1931 participe du même mouvement. Mais le populisme nouvelle version, aujourd'hui au pouvoir en Argentine, au Brésil, au Venezuela, en Equateur et en Bolivie, parvient le plus souvent à traiter avec respect les institutions libérales de l'Etat tout en répondant aux espoirs populaires et démocratiques.

    Solidarité avec Bachar Al-Assad, soutien à Ahmadinejad et salut à l'"extraordinaire journée démocratique" que fut sa réélection... Chavez ne discrédite-t-il pas selon vous le populisme sud-américain ?

    Ernesto Laclau : Je ne partage pas l'opinion de Chavez lorsqu'il prend la défense des régimes dirigés par ces hommes. Cependant, je m'oppose à toute intervention militaire dans leur pays. Mais la présidence Chavez doit être évaluée en prenant en compte les réformes internes qu'il a menées au Venezuela. Et, de ce point de vue, le progrès social est véritablement important.

    Le populisme est-il selon vous l'avenir de la démocratie ?

    Ernesto Laclau : Je dirais qu'une démocratie vivante doit savoir créer un équilibre entre le monde institutionnel et les revendications populaires, qui s'expriment parfois à travers le populisme. De ce point de vue, le "printemps arabe" a été un mouvement prépopuliste, même s'il lui manquait pour cela de se cristalliser dans un parti, ou d'être incarné par un leader charismatique.

    Nestor Kirchner, qui fut président de la République argentine de 2003 à 2007, puis sa femme, Cristina Fernandez Kirchner, élue en 2007, ont réussi à accomplir des réformes justes jouant sur cet équilibre. Ainsi, le régime des pensions de retraite a été renationalisé, après les privatisations imposées par le gouvernement de Carlos Menem, une couverture santé universelle a été instaurée et le mariage homosexuel a été autorisé... Sans une certaine dose de populisme, la démocratie est inconcevable aujourd'hui.

    Entretien avec Ernesto Laclau (Le Monde, 9 février 2012)

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  • L'alternance unique...

    Le 6 octobre 2011, l'essayiste Jean-Claude Michéa était l'invité de l'émission Les Matins, sur France Culture, à l'occasion de la sortie de son livre Le complexe d'Orphée. Vous pouvez regarder - et écouter ! - cette émission ci-dessous.

     


    les matins - Jean-Claude Michéa par franceculture

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  • Jean-Louis Murat, anar de droite ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien décapant avec le chanteur-compositeur Jean-Louis Murat, cueilli sur le site du Point, dans lequel il sort son lance-flamme contre la gauche bien-pensante et le milieu du showbiz...

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    Jean-Louis Murat : "Ça me plaît assez qu'on ne m'aime pas"

    Jean-Louis Murat travaille comme les paysans dont il célèbre l'existence. D'abord il compose, retiré dans les monts d'Auvergne, puis il enregistre, puis il joue, puis il se terre à nouveau pour reprendre le cycle de sa vie d'artiste. C'est méticuleux, régulier, et toujours talentueux, comme il le prouve avec son dernier album, un petit bijou d'écriture et de mélodie baptisé Grand Lièvre (1). Jean-Louis Murat, un homme rare, mais disert.

    Le Point.fr : Vous vous tenez en marge du système. Pourquoi refuser de participer aux opérations caritatives, comme Les Enfoirés ?

    Jean-Louis Murat : Je trouve ce système dégoûtant. Les jolis coeurs, les plus-généreux-que-moi-tu-meurs, je n'y crois pas du tout. Tous ces artistes sont des monstres d'égoïsme. La vraie générosité, elle est silencieuse. Tu fais, mais tu fermes ta gueule. Ça ne doit pas devenir un élément de promotion.

    Les artistes qui y participent n'ont aucune volonté d'aider une cause, selon vous ?

    Non, ils font de la promo. N'importe quelle maison de disque te dira que la meilleure émission de variétés, c'est "Les Enfoirés", et qu'il serait bien d'y être. Tout est dit.

    Même pas un soupçon d'altruisme ?...

    Moi, toutes ces qualités-là, l'altruisme, le machin, je m'en bats les c... Ces hommes de gauche patentés, je connais leur mode de fonctionnement. Le plus grand des jolis coeurs, Renaud, je l'ai vu faire un truc qui te conduit normalement en prison. Il est devenu mon ennemi de base, même si on ne tire pas sur une ambulance. J'ai vu aussi des hérauts de la gauche jouer au poker une petite nana perdue, une nana de 16 ou 17 ans. "Elle est pour toi ou elle est pour moi ?" Je les ai vus faire ça, ces mecs qui hurlent à la mocheté du monde dès qu'un chien se fait écraser. Dans le business, c'est pire. C'est un milieu où il faut se taire. Ils ne peuvent pas me supporter, je le leur rends bien. Je n'ai pas d'amis là-dedans.

    C'est pourquoi vous avez choisi de vivre et travailler en Auvergne ?

    Oui. Je ne suis jamais arrivé à me faire à ce milieu. Au début, j'avais un appartement à Paris, parfois je me mélangeais un peu, mais c'était une catastrophe. Je me souviens d'une fois où j'ai mangé avec le patron d'une maison de disque et sa grande vedette. Je n'ai pas passé l'entrée. Je leur ai dit : "Je n'ai rien à voir avec vous, je vous emmerde, au revoir, je me casse."

    Vous dénoncez aussi l'engagement politique des artistes.

    C'est le triomphe de l'hypocrisie. Les chanteurs se mettent toujours du côté du manche. La vie d'artiste est beaucoup plus confortable si tu es vaguement contre. Ils essaient de se placer sous une sorte de lumière marxiste. Ils disent : Je suis un rebelle, je suis socialiste. Tous les cons font ça.

    Tous ne sont pas de gauche !

    Non. Tu peux aussi faire une carrière de lèche-cul à la Souchon. C'est le plus grand stratège de la chanson française. Il est passé de Pompidou à Sarkozy sans broncher. C'est un centriste, si on veut. Souchon, c'est le Lecanuet de la chanson, ou alors, pour être plus moderne, c'est le Bayrou de la chanson. Un exemple à suivre si on veut vendre des disques.

    Vous ne vous reconnaissez dans aucun parti ?

    Je n'ai jamais été de gauche une seule minute dans ma vie, mais je n'ai jamais été de droite non plus. L'engagement, c'est différent, c'est le pont plus loin. Si tu t'engages, tu dois faire abstraction du fait de savoir si tu es de droite ou de gauche. Ou alors il faut faire de la politique comme Flaubert, c'est-à-dire déceler la connerie, sortir le détecteur. C'est un spectacle tellement ridicule qu'il faut jeter un regard neuf dessus. On aurait besoin de Blake Edwards pour mettre en scène la clownerie de l'accord passé ces derniers jours entre les Verts et le PS, par exemple !

    L'artiste n'a rien à dire politiquement ?

    Mais quelle est la valeur de l'artiste dans la société ? Qu'est-ce que c'est que ces petits chanteurs de variétés qui font des trucs à la con de trois minutes avant de disparaître, et qui d'un seul coup ont des consciences de Prix Nobel de la paix ? Ça n'est pas sérieux.

    Vous faites malgré tout des choix politiques, comme tout le monde...

    Idéologiquement, j'aime beaucoup Léon Bloy, Bernanos. Ils ont une façon de penser dans laquelle je me retrouve. Ce sont des pré-communistes, des pro-chrétiens. Si je doute de quelque chose, il suffit de quelques pages de Bernanos, ça me remet à cheval ! Mais ce n'est pas tellement de la politique, c'est plutôt une façon d'envisager la vie et l'individu.

    Donc, vous ne vous engagerez pas pour une cause ?

    Jamais. L'idéologie chez les artistes, c'est une funeste blague. Ce qu'ils portent vraiment, c'est dans leurs chansons et leur comportement.

    Et vous, pourquoi faites-vous des chansons ?

    Pour moi. Si elles rencontrent des gens, très bien. Mais je n'ai jamais pensé à quelqu'un d'autre que moi en écrivant une chanson. Même dans la chanson populaire, même Bruant, même Pierre Perret, ils pensent d'abord à leur gueule.

    C'est de l'égocentrisme !

    Non, c'est la nature des choses. Je ne pense pas qu'un artiste puisse amener quoi que ce soit. Je pense que les enjeux sont ailleurs. Ils sont à l'extrême intérieur, dans le saint des saints de chacun. La seule idée que j'aimerais faire passer, c'est que chacun a en soi une énergie quasi infinie.

    C'est ce que vous démontrez sur scène, où vous semblez comme possédé ?

    Sur scène, je vais dans une sorte de château-fort intérieur. S'il y a quelque chose qui peut être exemplaire chez l'artiste, c'est ce chemin sportif qui mène vers ce "Fort-Boyard" dans lequel je me mets sur scène. Ce chemin a du sens. Un concert, c'est un meeting d'athlétisme. Je ne l'envisage que comme ça. Je fais un disque tous les ans parce que je défends une idée quasi héroïque de l'énergie. Je peux regarder quinze fois un sprint d'Usain Bolt, et ça me sert pour écrire mes chansons. Je suis dans quelque chose de primitif, d'où vient l'énergie, le feu sacré.

    En revanche, vous ne parlez pas pendant un concert. Les spectateurs ont l'impression que vous les méprisez...

    Je ne dis plus rien parce que tout le monde filme. Cinq minutes après, tu te retrouves sur Internet. Pourtant, j'ai eu des moments très spectaculaires. Le lundi qui suit la défaite de Jospin en avril 2002, par exemple, je suis en concert à la Cigale. J'attaque par une blague où je dis : 80 ans de communisme, 80 millions de morts, on est bien débarrassé ! Silence de cathédrale dans la salle. Le public ne supporte pas ce genre de truc ! En fait, j'aime beaucoup déclencher le rire jaune, j'aime bien aller à la limite. Il faut être créatif.

    Qui sont vos héros personnels ?

    Les sportifs, comme Usain Bolt ; peu d'artistes, ou alors des morts. J'aime Proust, par exemple. En musique, j'en ai très peu. J'aime bien les gagnants, mais aussi les losers. Je trouve qu'il y a une abnégation incroyable chez Van Morrison, chez Tony Joe White, chez JJ Cale. Ils ne sont jamais arrivés en haut mais ils s'en foutent, ils rament !

    Ils ont cette fameuse énergie, ce feu sacré ?

    Voilà ! J'aime aussi les gens qui, comme Bernanos, vont vers le surnaturel ou le mysticisme. Hector, Achille, Léon Bloy, Bahamontès et Usain Bolt, c'est un mélange de tout ça. Mais j'aime pas les lopettes, ce qui semble être la particularité du monde politique : fabricant de lopettes. Même Proust pouvait provoquer quelqu'un en duel et aller au coin du bois. Dans le monde politique d'aujourd'hui, pas un seul serait capable de le faire !

    L'une de vos chansons, sur votre dernier album, proclame ceci : "Dans ce monde moderne je ne suis pas chez moi". Vous êtes misanthrope ?

    Je dis ensuite : "Merci pour tant de peine, mais je ne t'aime pas." C'est ce que je pense vraiment. C'est même vicieux, puisque ça me plaît assez qu'on ne m'aime pas. Être une vedette dans ce monde pourri, je n'apprécierais pas tellement ! C'est plutôt un honneur d'être détesté. Mais je ne suis pas suicidaire. Je suis un mec simple. Je garde les valeurs paysannes : se lever tôt, travailler. Et ce que les autres en pensent, à vrai dire, on s'en fout.

    Jean-Louis Murat, propos recueillis par Michel Revol (Le Point, 9 décembre 2011)

    (1) Grand Lièvre, Jean-Louis Murat, V2 Music/Polydor

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  • Un nouveau Tiers Etat ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le politologue Dominique Reynié, cueilli sur le site Atlantico et consacré à la montée en puissance de Marine le Pen dans l'électorat...

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    Les 30% d'électeurs "d'accord avec les idées" du FN sont un nouveau Tiers état

    Ils sont de plus en plus nombreux, ces Français qui envisagent de voter FN. Dangereux ? Antidémocratiques ? Ils cherchent surtout à rompre avec un système politique qui n'a cessé de les décevoir. Et si, en pleine crise, l’inacceptable était finalement devenu envisageable et politiquement correct ?


    Atlantico : Les intentions de vote pour Marine Le Pen augmentent tandis que le rejet de son parti s'affaiblit. Une enquête TNS Sofres vient de montrer que 31% des Français sont « d’accord avec les idées du FN ». Qu’est ce qui séduit de nouveaux électorats et les amène à se tourner vers le Front national ?

    Dominique Reynié : Je crois que c'est directement lié à des éléments de structure et de conjoncture. La situation économique et financière depuis 2008 laisse penser que la thèse d’une non viabilité du système peut sortir renforcée. Il est beaucoup plus facile de porter un discours très critique à l’encontre de l’Union européenne dans un contexte de crise de l’euro que lorsque les choses fonctionnent correctement.

    Les Français commencent à regarder le Front national et Marine Le Pen comme n’étant pas uniquement porteurs d’un discours protestataire. Le discours parait moins déraisonnable. L’écart entre l’intensité de la critique et la réalité du monde se réduit. Il n’y a pas de modération dans le discours du Front mais il y a une dégradation de la situation générale qui le rend plus audible.

     

    Est-ce qu’un Français peut, aujourd’hui, voter FN et le dire dans une discussion sans que cela paraisse politiquement incorrect ?

    L’impossibilité d’annoncer une intention de vote pour le Front national ou pour Marine Le Pen ne concerne plus que des milieux très particuliers qui ne sont pas du tout représentatifs de la population française. Depuis des années, les Français ont installé le Front dans les choix possibles. C’est notamment le cas depuis 2002. Une famille politique qui atteint le second tour à la présidentielle est forcément une famille politique qui est entendue par la population, même s’il s’agit d’un accident. Il y a une familiarité du public avec cet interlocuteur.

    Par ailleurs, il y a une grande différence rhétorique entre le père et la fille. Le discours de cette dernière est beaucoup plus populaire, on s’y retrouve beaucoup plus facilement. Elle ne s’est d’ailleurs pas rendue coupable des petites phrases qui créaient le scandale par le passé.

     

    Qui sont ces 30% de Français qui ne rejettent plus catégoriquement l’idée d’un vote pour le Front national ?

    Je pense que le vote Front national est le résultat de plusieurs démarches différentes. La première est le fruit d’une pensée très batailleuse, presque anti-républicaine et anti-démocratique. C’est le socle historique en quelques sortes.

    Mais il y a aussi une motivation protestataire. L’intention n’est pas nécessairement de construire un pouvoir alternatif mais de déstabiliser le pouvoir présent et de manifester ainsi sa propre colère. Cet électorat est une sorte de « hacker » politique qui cherche à « planter le système », sans avoir de vraie illusion. Du fait d’un sentiment d’impuissance face au système politique actuel, cet électorat, sans réellement croire au Front national, instrumentalise son offre. C’est une manière de faire payer aux responsables politiques les souffrances du quotidien. Il y a une forme d’amusement aussi dans la vision de l’affolement qu’entraîne l’arrivée possible de Marine Le Pen au second tour.

     

    Il y a aussi un vote de conviction au sens gouvernemental du terme d’électeurs qui pensent que le Front peut faire au moins aussi bien que les partis de gouvernement actuels. Cette frange-là progresse : plus les partis de gouvernement sont en difficulté face à la situation et plus l’écart entre leurs performances et l’incapacité supposée du FN se réduit. On ne peut pas dire aussi facilement qu’hier que le Front n’est qu’un parti protestataire incapable de diriger la France aussi bien que des partis comme l’UMP ou le PS. L’argument de la compétence et de l’expérience joue de moins en moins alors que la crise s’aggrave.

     

    Les derniers sondages montrent que les intentions de vote augmentent. Un tiers d’électeurs « d’accords avec les idées du FN », 30% d’électeurs qui ne rejettent pas l’idée de ce vote. Ces chiffres sont impressionnants mais sont-ils réellement supérieurs à ceux de 2002 ?

    Cela ne fait aucun doute. Il y a bien un tiers de la société française qui regarde en direction du Front national. C’est un nouveau Tiers-Etat. Cette France en difficulté ne comprend pas comment l’Europe pourrait l’aider et cherche une nouvelle puissance publique de référence.

    Les chiffres ne sont pas surprenants. Ils sont supérieurs à 2002. Le discours du Front national était alors encore peu audible. La dénonciation d’une incapacité financière ne trouvait pas l’écoute qu’elle a aujourd’hui en pleine crise. L’impuissance publique actuelle alimente l’ouverture d’une attention nouvelle au Front national.

    Il y a une population plus nombreuse capable de s’intéresser aux thèses du Front national, voire d’y adhérer et de les soutenir. Depuis le premier succès aux municipales de 1983 jusqu’aux cantonales de 2011 au cours desquelles il a fait son meilleur score, le Front national a obtenu une vraie victoire : le nombre d’électeurs qui a voté au moins une fois FN a augmenté. S’il fait tantôt 15%, tantôt 20%, il attire surtout des électeurs différents à chaque fois. Il y a bien un quart des Français qui ont voté au moins une fois FN dans leur vie.

     

    Lorsque médias et politiques dénoncent le « danger » FN, un parti « antirépublicain », quel est l’impact sur les électeurs ?

    J’ai tendance à penser que plus nous avançons, moins ce discours atteint le public intéressé par le Front national. Il y a une rupture entre ces électeurs et les avertissements de personnalités perçues comme impliquées dans le monde qui est rejeté. Typiquement, la critique normative morale et politique atteint difficilement lorsqu’elle vient d’émetteurs considérés comme impliqués dans l’échec systémique. « Que me dites-vous du Front national, vous qui n’êtes pas capables de me rassurer sur mon avenir ? »

    Il y a, à minima, une ignorance de ces discours et au pire, une amplification du phénomène FN. Une partie de l’électorat refuse d’entendre ces avertissements qu’elle trouve illégitime. En réponse, comme en 2002, ce discours peut valider la notion de vote de rupture.

    Par ailleurs, depuis quelques années, les médias ont pour habitude de donner une place croissante à la dérision dans la présentation de la sphère politique qui affecte de manière asymétrique les différents partis. Les partis et les personnalités qui gouvernent ou peuvent gouverner sont systématiquement moqués à la moindre promesse non tenue ou à la moindre phrase de travers. Cette habitude épargne paradoxalement les partis populistes, installant un travail de sape qui décrédibilise de facto les partis de gouvernement plutôt que les partis protestataires de type Front national.

    Dominique Reynié, propos recueillis par Romain Mielcarek (Atlantico, 13 janvier 2012)

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