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Aller aux « racines du mal » ? ...

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Malika Sorel au site Atlantico, à propos des violences commises par les casseurs de banlieue au Trocadéro et sur les Champs-Elysées...

 

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Casseurs du Trocadéro : Hollande veut aller "aux racines du mal" mais sommes-nous prêts à les regarder en face ?

Atlantico : Quelles sont ces fameuses "racines du mal" dont parle le président de la République ? De quels renoncements profonds ce mal est-il le produit ?

Malika Sorel : Au vu de ses premières mesures, je pense que le Président se trompe de diagnostic. Ses mesures ont quasiment toutes déjà été testées par ses prédécesseurs, avec les extraordinaires résultats que les Français ont sous les yeux. Il continue de miser sur la politique de la ville avec le programme de rénovation urbaine qui avait été mis sur pied par Jean-Louis Borloo et qui est un échec cuisant sur le plan de l’intégration. Récemment, en Seine-et-Marne, la présidente du Front national les a rejoint dans la croyance en les miracles de la rénovation urbaine, prônant "la destruction des cités construites dans les années 55 à 70 et leur remplacement par un habitat de taille et d'esthétique traditionnelles", poursuivant avec un "on peut déjà éviter (...) de donner à la Seine-Saint-Denis une architecture traditionnelle de bétonnage, parce qu'en fait, c'est ça le problème". Rappelons que le programme Borloo a coûté la bagatelle de 43 milliards d’euros sur 10 ans. À l’heure où l’on en vient à vouloir priver une partie des familles d’allocations familiales, cela compte. Le Président a aussi ressorti les emplois jeunes de Lionel Jospin, qui n’ont rien donné sur le moyen et le long terme en matière d’employabilité, et dont tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’ils comportent de nombreux effets pervers. De toute façon, nous sommes là sur des chiffres minuscules au regard des chiffres actuels du chômage des jeunes, sans compter que chaque année 150 000 élèves sortent du système éducatif sans rien en poche.

Évoquons à présent les racines du mal. Il y a une racine principale et des racines secondaires. La plus importante, la racine principale, c’est l’ignorance et l’incompétence de très nombreux acteurs politiques sur le sujet de l’immigration-insertion-intégration, et ce depuis maintenant plus de trente ans. J’ai pu le mesurer, toutes ces dernières années, au travers des nombreuses réunions auxquelles j’ai participé. Cela a constitué un véritable choc. Comme tout citoyen, je pensais en effet que l’accession à de hautes responsabilités, que ce soit dans la haute administration ou dans le monde politique, avait rapport avec les compétences détenues sur les dossiers à traiter. Aujourd’hui, j’ai compris que cela n’était pas nécessairement corrélé. Cela continue de me choquer, et même de m’indigner.

La déferlante de lundi dernier au Trocadéro est en rapport direct avec la question de l’intégration, que les hommes et femmes politiques de tous bords ont instrumentalisé chacun à leur tour. Cette instrumentalisation n’est pas étrangère au fait qu’il a été impossible de traiter les problèmes considérables que cela posait, pose et posera de plus en plus à la France. L’instrumentalisation fait donc aussi partie du mal.

Comme j’ai maintes fois eu l’occasion de le dire et de l’écrire, l’importance des flux migratoires qui a conduit à la reconstitution des terres culturelles d’origine sur le sol d’accueil a fini par rendre impossible l’intégration des entrants suivants. C’est ce que le Premier ministre Michel Rocard avait déjà pronostiqué en 1990. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Nous constatons que l’intégration dans la communauté nationale a échoué pour un nombre conséquent d’enfants de l’immigration, et même que l’insertion au sein de la société – le simple respect des règles du vivre-ensemble – pose problème pour un nombre inquiétant d’entre eux. Or qu’ont fait les gouvernements successifs ? Aucun n’a résolu ce problème des flux. L’immigration familiale est considérable. Elle s’accroît sans cesse par le biais des mariages contractés entre les deux rives de la Méditerranée. Sous le précédent gouvernement, on avait créé de nouvelles portes d’entrée avec le travail en signant des accords avec les pays sources de l’immigration. Aujourd’hui on en rajoute une couche avec le ministre de l’Intérieur qui ouvre de nouvelles portes pour les étudiants et instaure des titres de séjour pluriannuels. Autre racine du mal : dans ce sujet de l’immigration, la dimension culturelle est capitale et on la voit régulièrement ressortir par exemple dans les questions de laïcité. Or elle a été systématiquement négligée alors que Georges Marchais avait insisté sur cette dimension dès 1981.

Bien sûr, il y a d’autres racines que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer. Je vais en citer quelques unes de nouveau, comme la responsabilité des parents de l’immigration qu’il faudrait engager dans bien des situations et ce, pour le bien de leurs enfants ; l’impunité qui entraîne les incivilités et la violence qui gangrènent le vivre-ensemble ; l’école qui ne parvient plus à jouer son rôle intégrateur – et ce ne sont pas les réformes rachitiques de Vincent Peillon qui risquent de l’y aider, je le regrette vivement car il avait l’intelligence pour agir ; le poison de la repentance qui déprécie la France aux yeux des enfants de l’immigration et les amène à la mépriser puis à la violenter ; l’idéologie de la victimisation qui a fini par convaincre bien des jeunes qu’ils ne réussiraient jamais puisque les Français entraveraient leur réussite – cette victimisation attise leur rage ; la géopolitique avec le retour des crispations religieuses et identitaires…

Parmi les 36 gardés à vue, il n’y a aucun interdit de stade. Pourtant le soir des évènements les commentateurs se sont focalisés sur les ultras. "Il s'agit d'un problème spécifique au PSG" a même déclaré le président de la République. N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie dans cette présentation des faits ? En quoi ? 

Malika Sorel : Le président de la République peut bien dire ce qu’il veut, les Français ont vu les images qui ont tourné en boucle, et cela leur suffit pour se faire une idée de la réalité des faits. Heureusement d’ailleurs que des cameramen ont pu tourner avant que les équipes médias ne soient évacuées. On se demande au demeurant qui a donné l’ordre d’évacuation des journalistes. Sommes-nous encore dans une démocratie ? Même sur les théâtres de guerre, il y a des équipes qui filment ! Les tentatives de camouflage, le  déni du réel ne font que renforcer la défiance qui s’est installée dans notre pays. Certes cette défiance, et les études sont là pour en attester, ne date pas d’hier, mais le haut niveau qu’elle atteint désormais commande un autre comportement de la part de la classe politique.

Au sujet des commentateurs qui se sont focalisés sur les ultras : j’ai eu la chance de tomber ce soir-là sur BFMTV sur une table ronde à laquelle participaient des journalistes sportifs. Les vrais sujets ont de ce fait été d’emblée posés sur la table. Tout dépend donc de qui parle. Les journalistes politiques (radio, télé, presse écrite) sont malheureusement, pour un nombre non négligeable d’entre eux, de connivence avec le personnel politique car ils font partie du même monde. Dans mon dernier livre, j’ai beaucoup abordé le rôle, dangereux pour notre démocratie, joué par les médias. Beaucoup trop de journalistes ont changé de registre et sont devenus des acteurs politiques à part entière. Sur les sujets importants, il faut que les citoyens tirent parti des moyens technologiques que notre époque met à notre disposition pour recouper les informations, croiser les données et ainsi être en mesure de se forger leur propre opinion.

Ces affrontements témoignent-ils d'un problème plus large en France qui touche à la question de l'intégration ?

Malika Sorel : Oui, c’est une évidence. Il suffit d’analyser les territoires choisis par Manuel Valls pour en faire des Zones de Sécurité Prioritaires.

Les affrontements qui ont eu lieu au Trocadéro se sont aussi produits à Lyon, Saint-Étienne, Marseille, certes avec une moindre ampleur. Mais c’est parce que cela s’est produit à Paris, et que Paris est aux yeux du monde la vitrine de la France, que cela a autant marqué les esprits. En gros, tant que cela ne se voit pas trop, on détourne le regard et on laisse faire. L’ennui, c’est que le laxisme conduit toujours à un point de non-retour. C’est le laxisme qui a conduit au sentiment de toute-puissance des voyous. Regardez ce qui se passe à Marseille. Et des élus marseillais ont osé publier récemment un communiqué relayé par la presse dans lequel ils imputaient la situation marseillaise à la pauvreté ! Tous les politiques qui osent justifier la violence et la délinquance devraient être débarqués. Participer à leur donner du pouvoir, c’est collaborer à la mise en danger de notre société. Quand les citoyens comprendront-ils qu’ils ne sont pas neutres et qu’ils ont leur part de responsabilité dans la situation que nous vivons ?

En quoi peuvent-ils être le reflet d'une certaine crise de l'autorité ?

Malika Sorel : Je pense avoir répondu à cette question en abordant celle du laxisme et du refus de responsabiliser les parents ; comme si leurs enfants tombaient du ciel ! De manière générale, jusque très récemment nous étions dans une société où ceux qui faisaient preuve d’autorité et assumaient leurs responsabilités managériales n’étaient pas appréciés. Pour être apprécié il fallait toujours faire des sourires, jouer dans le registre de la séduction, dire aux citoyens ce qu’ils souhaitaient entendre. Si les bobos de gauche comme de droite ont tant proliféré et prospéré, c’est qu’ils correspondaient aux attentes de l’époque. Avec la perception d’un certain nombre de tensions, les citoyens éprouvent désormais le besoin de se sentir protégés et renouent de ce fait de plus en plus avec le besoin d’autorité. Ce besoin d’autorité a été mesuré dans de récentes études et enquêtes.

Les images qui tournaient en boucle sur les chaînes d’infos rappelaient les émeutes de 2005. Peut-on parler d’un choc Paris/banlieue ? Cela signifie-t-il que les violences urbaines s’étendent ? Cela peut-il modifier le regard parfois complaisant des habitants des centres-villes sur les banlieues ?

Malika Sorel : Vous pointez là une des racines du mal : tant que les citoyens ne sont pas concernés dans leur quotidien, ils vivent et réagissent en égoïstes et non comme des membres d’une communauté nationale. Dès qu’ils sont concernés dans leur vie quotidienne, que ce soit directement ou à travers l'école de leurs enfants, alors oui, leur regard et leurs comportements évoluent, mais c’est souvent trop tard. L’image qui me vient à l’esprit n’est pas celle du choc Paris/banlieue que vous évoquez, mais celle d’un choc bien plus grave qui est celui entre deux systèmes de normes collectives.

En 1998, après la victoire de l’équipe de France, on avait célébré la France Black/Blanc/Beur. Aujourd’hui, les images de liesse sur les Champs-Élysées ont laissé place à des images de groupes violents dévalisant les cars de touristes. Comment en est-on arrivé là ?

Malika Sorel : Il faut oublier l’image de 1998. C’était une illusion. À l’époque, les problèmes étaient déjà là. Depuis, ils n’ont fait qu’empirer. Les politiques de l’époque ont voulu s’étourdir avec ces images-clichés et ont refusé d’agir. Ils portent une très lourde responsabilité. Pourtant, la plupart sont encore là dans le paysage politique !!! Il est urgent, si l’on veut sauver notre société, de trouver le moyen de faire en sorte que la politique ne soit plus un métier.

Malika Sorel (Atlantico, 19 mai 2013)

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