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  • L'Europe verte des bisounours...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré au plan de relance européen... Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

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    L'Europe verte des bisounours

    A Bruxelles, le 21 juillet 2020, après une longue et dure négociation, les dirigeants des Etats membres de l’Union européenne (UE) ont adopté un plan de relance économique sans précédent dans l’histoire du vieux continent. Fondé, pour la première fois, sur un emprunt commun, il prévoit d’accorder pour 750 milliards d’euros de prêts et de subventions aux économies de l’UE. La Commission européenne lui a donné le nom de « Next Generation EU ». Il s’agit d’« investir pour la nouvelle génération », c’est-à-dire de préparer un avenir meilleur aux enfants de cette Europe qui a été affaiblie, depuis le début du millénaire, par un triple déclin relatif face aux autres continents (démographique, industriel, technologique). Ces sommes considérables s’ajouteront au budget pluriannuel de l’UE, qui prévoit de dépenser quelque 1100 milliards d’euros de 2021 à 2027.

    La légitime ambition de ce New Deal enfanté à Bruxelles est de rendre le vieux continent plus « résilient ». Les peuples européens réclament de l’UE davantage de protections. Ils ont été choqués de constater qu’elle s’était montrée incapable d’anticiper, et ensuite de bien gérer, trois grandes crises successives :  la crise financière de 2008 venue des Etats-Unis ; la crise migratoire de 2015 venue des rives arabo-islamiques de la Méditerranée ; la crise sanitaire de 2020, venue de Chine.

    Sur le principe d’un sursaut de l’Europe, nous ne pouvons qu’être d’accord. Mais sur la forme et sur le fond, on est en droit de questionner le travail réalisé pour le moment par la Commission et le Conseil européens. Sur la forme : qu’est ce qui nous garantit que l’argent ira dans des infrastructures pérennes et non dans des actions de saupoudrage destinées, en bout de ligne, à camoufler des régimes sociaux structurellement déséquilibrés ? Sur le fond : l’UE a-t-elle dessiné une hiérarchie crédible de ses priorités ?

    Le document de la Commission sur lequel ont travaillé les dirigeants européens dit que la stratégie de relance de l’UE est, en premier, fondée sur un « pacte vert européen ». Qui ne serait d’accord avec la « vague de rénovationde nos bâtiments et de nos infrastructures » que propose le pacte ? Ou avec ses « projets d’énergie renouvelable » et son « économie de l’hydrogène propre » ? Ou avec ses « transports et une logistique plus propres, y compris l’installation d’un million de points de recharge pour les véhicules électriques » et son « coup de fouet au transport ferroviaire et à la mobilité propre dans nos villes et régions » ?

    Il n’y a aucun mal à vouloir faire de l’Europe un paradis vert. Mais cette action doit être le résultat, et non la prémisse, d’une réelle stratégie de relance. Laquelle doit viser à renforcer la recherche et l’innovation, à restaurer l’industrie européenne, à lui redonner une compétitivité pérenne, afin de créer la prospérité qui permettra, dans un second temps, de financer la révolution verte. L’objectif prioritaire de l’Europe aujourd’hui devrait être de construire chez elle un modèle productif ouvert, horizontal, supérieur en efficacité au modèle chinois vertical. S’ils veulent être pris au sérieux à Washington, Pékin, Tokyo, Delhi ou Moscou, les Européens ne peuvent se borner à faire de leur continent un gigantesque parc d’attractions décarboné.

    Il est grand temps que les Européens se convertissent au réalisme et qu’ils regardent le monde tel qu’il est. C’est un univers de compétition impitoyable pour la suprématie technologique et industrielle, laquelle finit toujours par se transformer en suprématie politique. Dans ce gigantesque combat, la Chine, l’Inde, la Russie – et même leur alliée l’Amérique – ne leur feront aucun cadeau.

    A travers ce « Next Generation EU », on ne voit hélas pas l’UE investir massivement dans les biotechnologies, dans l’intelligence artificielle, dans l’espace, dans la défense. On ne voit pas de relance proprement industrielle. L’Allemagne est-elle indifférente, parce qu’elle a déjà son propre programme, excellent, intitulé Industrie 4.0, où elle va produire les usines connectées de demain, avec des machines intelligentes coordonnant de façon autonome les chaînes de production ?

    A écouter les interventions récentes des dirigeants français, on les sent sous l’emprise d’une nouvelle idéologie verte. Une sorte de maoïsme écologique. Déjà, il y a eu des décisions aberrantes, comme la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Veut-on à présent construire l’Europe verte des bisounours ? 

    L’UE grignote ses dépenses de défense. Cela ne correspond pas à la réalité conflictuelle de notre nouvelle décennie. Le virage néo-ottoman de la Turquie devrait nous faire réfléchir. L’Union soviétique est morte des excès de son idéologie rouge. Notre Europe doit se sauver des excès de son idéologie verte. 

    Renaud Girard (Geopragma, 31 juillet 2020)

     

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  • Edouard Limonov, soldat politique et poète mirifique !...

    Le trentième numéro de la revue Livr'arbitres, dirigée par Patrick Wagner et Xavier Eman, est en vente avec notamment un gros dossier consacré à la littérature russe en générale et à Edouard Limonov en particulier et un autre à la poésie...

    La revue peut être commandée sur son site :  Livr'arbitre, la revue du pays réel.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    Éditorial

    Plaisirs solittéraires

    Coups de cœur

    Nouveautés

    Portrait

    Jacques Benoist-Méchin

    Paul Linthier

    Alain Bonnand

    Dossier

    Un certain regard sur la littérature russe

    Voyage au pays de la Poésie

    Domaine étranger

    Réédition

    Clio-panorama

    Polar

    Littérature jeunesse

    Bande-dessinée

    Art - Peinture - Poésie en prose
    Nouvelle
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  • La situation politique et les perspectives pour 2022 vues par Alain de Benoist...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la situation politique et les perspectives pour 2022. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Macron conserverait quelques chances de l’emporter, mais Marine Le Pen aurait de bien meilleures chances de gagner »

    Au cours de ces dernières semaines, nous avons assisté au second tour des élections municipales, puis à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Peut-on dire qu’il en résulte un nouveau paysage politique ? Les forces en présence se sont-elles modifiées ?

    Sur les élections municipales, on a déjà tout dit. Les deux faits marquants sont l’abstention record (60 %), qui s’explique avant tout par le fait que la France périphérique n’a pas voté, et la poussée de ce qu’on a appelé la « vague verte », qui a permis à des représentants de EELV de s’emparer d’un certain nombre de grandes villes. Cette « vague » ne doit être ni surestimée ni sous-estimée. Sa cause fondamentale, au-delà de la vague sympathie que suscite le référent écolo dans tous les milieux, est la gentrification croissante des grandes villes. La droite a, bien entendu, réagi en recourant à des métaphores ringardes comme celle de la pastèque (verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur) et en s’affolant de l’arrivée des « Khmers verts » dans les mairies. Elle est, il est vrai, totalement analphabète en matière d’écologie. Désolé, Yannick Jadot n’est pas Pol Pot ! Les Verts sont des libéraux-libertaires, grands défenseurs des migrants, qui sont beaucoup plus intéressés par la théorie du genre que par une écologie qu’ils ne conçoivent que d’une façon punitive et superficielle. De même que l’ a discrédité l’Europe, les Verts discréditent l’écologie. Ce sont les vrais partisans de l’écologie qui devraient le plus dénoncer leur imposture.

    Il n’y a pas, non plus, grand-chose à dire sur le nouveau gouvernement, qui confirme seulement la volonté d’ de débaucher de plus en plus le centre droit afin de laminer les Républicains. Macron a compris qu’il n’a plus grand-chose à grappiller à gauche. La nomination de Dupond-Moretti, le King Kong des prétoires, a suscité une levée de boucliers chez les magistrats. Celle de , préféré à Blanquer au ministère de l’Intérieur, a provoqué l’hystérie des néo-féministes (« un violeur place Beauvau ! »). L’arrivée de la Castafiore à la Culture n’a satisfait que les amateurs d’opéra. L’entrée de à Matignon a d’abord paru consacrer un Mr. Nobody qui allait permettre au chef de l’État de gouverner de façon plus « jupitérienne » et solitaire que jamais. Son image d’« énarque rural » ne doit toutefois pas faire illusion. Apparaître comme débonnaire n’empêche pas d’avoir de la poigne. Castex a d’ailleurs déjà eu la peau de Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement.

    À la faveur de l’épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron semble en être revenu à certains fondamentaux plus « régaliens ». Simple tactique ou changement plus en profondeur ?

    On ne juge pas les politiciens sur ce qu’ils disent, mais sur ce qu’ils font. Il est fort possible qu’au moment du confinement, Macron ait commencé à réaliser que la dépendance de la France lui est préjudiciable, mais je pense qu’il est incapable de résister à son tropisme d’origine. C’est un libéral autoritaire, un manipulateur narcissique, pour qui la politique se résume à une affaire de dossiers. Je suis convaincu que, loin de se « remettre en question », il cherche seulement un « autre chemin » de parvenir au même but : réformer la France pour l’adapter aux exigences de la mondialisation, c’est-à-dire des marchés financiers. Ce sera seulement beaucoup plus difficile qu’avant, car dans une Europe en récession, la France se retrouve dans une position pire que presque tous ses voisins.

    Quelles leçons en tirer dans la perspective de l’élection présidentielle de  ?

    Le fait principal est le suivant : en 2022, les Français vont subir de plein fouet des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire qui vont s’avérer cataclysmiques. On n’en a pas encore pris la pleine mesure parce que les pouvoirs publics distribuent des milliards d’aides et de subventions afin de retarder les échéances, ce qui va rendre la dette publique intenable. En fait, la précarité va se généraliser, le pouvoir d’achat va s’effondrer, les faillites et les dépôts de bilans vont se multiplier (et pas seulement dans les secteurs sinistrés), le nombre des chômeurs va bondir, le tout sur fond de montée des radicalisations et d’ensauvagement de la société.

    , comme le dit le politologue Jérôme Sainte-Marie, le choix des électeurs n’a jamais été autant corrélé à leur condition sociale qu’aujourd’hui : « Plus on dispose d’un revenu élevé, plus on adhère au macronisme. » Dans ce contexte de lutte des classes, qui va de pair avec l’ébranlement du clivage droite-gauche (qui en est à la fois la cause et la conséquence), de nouvelles couches des classes moyennes en voie de déclassement, des indépendants, des cadres moyens appauvris ou ruinés vont venir massivement grossir les rangs du bloc populaire.

    Paradoxalement, et Macron ont, aujourd’hui, le même objectif : se retrouver tous les deux face à face au second tour de la présidentielle, comme ce fut le cas en 2017. La différence étant que la première n’aura pas, cette fois, à affronter un « homme nouveau », bénéficiant d’un préjugé a priori favorable, mais un personnage discrédité, au bilan lamentable et qui, durant son quinquennat, n’aura cessé de décevoir des couches de plus en plus larges de la population. Mélenchon, de son côté, ne sera pas un concurrent pour elle, puisqu’il a tourné le dos au populisme pour céder aux sirènes de l’islamo-gauchisme, ce qui l’a disqualifié auprès des catégories populaires. Macron, de son côté, redoute plus que tout de ne pas être au second tour, ce qui explique sa stratégie actuelle visant à faire disparaître tout ce qui existe entre le RN et LREM, à commencer par les Républicains.

    Dans le cas d’un nouveau duel Macron-Le Pen, Macron conserverait quelques chances de l’emporter, mais Marine Le Pen aurait de bien meilleures chances de gagner, car elle devrait pouvoir bénéficier d’une vague populaire beaucoup plus forte qu’il y a deux ans. Si, en revanche, elle avait devant elle un ou plutôt une candidate représentant un conglomérat de Verts associés aux derniers débris d’une gauche en déroute, qui ferait au second tour le plein contre elle, sa tâche serait beaucoup plus difficile. La prochaine « cheffe » de l’État pourrait alors bien s’appeler Anne Hidalgo.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 août 2020)

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  • Biopolitique du Coronavirus...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier un essai polémique de François Bousquet intitulé Biopolitique du Coronavirus - Télétravail, famille, patrie. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020).

    C'est drôle, incisif, talentueux. Bref, c'est du Bousquet ! Une lecture hautement conseillée, donc...

     

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    " Télétravail, famille, patrie ! Le coronavirus marquerait-il la revanche posthume du pétainisme ? Tous assignés à résidence. Tel est le pari de ce livre, qui réunit une série de papiers d’abord parus sur le site d’Éléments, une sorte de feuilleton de la pandémie, avec pour ambition de déboucher sur des propositions concrètes. L’idée de départ, c’était de décloisonner les disciplines, mais en butinant. Internet l’autorise. L’écriture est moins prisonnière des conventions dans lesquelles le papier nous enferme parfois. C’est un format plus souple, où peuvent se mêler des registres plus légers, un peu de Tontons flingueurs, un peu de rock’n’roll. Une sorte de grand écart entre le maréchal Pétain et Michel Foucault, théoricien de la biopolitique. "

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  • Le langage soumis à l'idéologie victimaire....

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné le 17 juillet 2020 par Thomas Clavel à Martial Bild sur TV libertés, à l'occasion de la parution de son premier roman, Un traître mot (La Nouvelle Librairie, 2020). Écrivain, chroniqueur et professeur de français, Thomas Clavel a également publié un recueil de nouvelles, Les Vocations infernales (L'Harmattan, 2019).

     

                                          

     
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  • Damnatio memoriae...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel De Jaeghere, cueilli sur Figaro Vox et consacré au lynchage symbolique des grandes figures de notre histoire. Journaliste, directeur du Figaro Histoire, Michel De Jaeghere a notamment publié Les derniers jours - La fin de l'empire romain d'Occident (Les Belles Lettres, 2014).

     

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    «Damnatio memoriae»

    «Quelle joie de jeter à terre ces visages superbes, de courir dessus le fer à la main, de les briser avec la hache, comme si ces visages eussent été sensibles et que chaque coup eût fait jaillir le sang.» Ainsi parle Pline le Jeune, évoquant dans son Panégyrique de Trajan l’enthousiasme et la fièvre avec lesquels le Sénat et le peuple romain avaient, au lendemain de son assassinat, détruit les effigies de marbre de l’empereur Domitien.

    La damnatio memoriae était apparue au début du Ier siècle: elle visait à bannir du souvenir des hommes, post mortem, ceux qui s’étaient rendus coupables de haute trahison. Soupçonné d’avoir comploté contre Tibère, Marcus Scribonius Libo Drusus avait cru se tirer d’affaire en se plongeant lui-même une épée dans le ventre. On avait interdit à sa famille d’utiliser à l’avenir le surnom de Drusus, de même que de porter ses images lors des funérailles gentilices. À la mort de Caligula, ses actes furent cassés par le Sénat tandis qu’on enlevait, de nuit, ses statues des rues de la Ville. Déclaré ennemi public, Néron eut droit, après son suicide, à un enterrement grandiose. Mais on changea le visage du colosse qui ornait le vestibule de la Domus aurea pour remplacer les traits de l’empereur par ceux du Soleil. Son palais lui-même fut abandonné et devint, pour partie, une décharge.

    Avec Domitien, qui avait humilié l’aristocratie sénatoriale par ses pratiques de prince hellénistique, et dont elle avait organisé elle-même l’élimination, la damnatio memoriae allait prendre toute son ampleur. Les sénateurs avaient fait apporter à la Curie cordes, haches et échelles pour marteler les inscriptions et fracasser les statues. «Personne ne fut assez maître de ses transports et de sa joie tardive pour ne pas goûter une sorte de vengeance à contempler ces corps mutilés, ces membres mis en pièces ; à voir ces portraits menaçants et horribles jetés dans les flammes et réduits en fusion.»

    Le procédé se révélerait efficace: le souvenir de Domitien est longtemps resté celui d’un tyran sanguinaire, quand rien ne justifie, dans les actes de son administration, qu’il figure au banc d’infamie parmi les douze Césars. Mais Pline nous fait voir aussi que le débordement de violence avait eu quelque chose d’un exutoire: la damnatio memoriae est un lynchage symbolique. Elle a une dimension cathartique pour ceux qui s’en prennent avec d’autant plus de hargne aux images d’un mort qu’ils n’avaient pas eu le courage de l’affronter vivant. Elle est pour tous les autres un avertissement. Elle les prévient de ce qui les attend s’ils s’inscrivent dans les traces de celui dont on a profané l’image. Après leur mort, ou même dès avant: l’année qui suivit le martelage des statues de Néron, les prétoriens ne se contentèrent pas d’assassiner l’empereur Galba, qui lui avait succédé et qui avait entrepris de rétablir la discipline militaire. Ils s’acharnèrent à lui couper bras et jambes, alors même que sa tête avait déjà roulé dans la poussière. L’empereur Vitellius fut traîné, après lui, les mains liées derrière le dos, sous les insultes, à travers les rues de Rome, tué à petit feu par les coups d’épée et les coups de lance tandis qu’on renversait ses statues sur son passage : «outragé mort, dit Tacite, avec la même bassesse qu’il avait été adoré vivant».

    Le précédent nous fait sentir que la furie qui a conduit, depuis le mois de juin, aux États-Unis comme en France et dans l’Europe entière à déboulonner, maculer, renverser les statues de personnages aussi divers que Saint Louis, Christophe Colomb, Miguel de Cervantès, George Washington, Winston Churchill ou Jean-Baptiste Colbert n’a rien d’anecdotique. L’outrage fait aux morts s’adresse d’abord à nos contemporains. Il mime une violence qu’un rien pourrait un jour conduire à s’en prendre aux vivants.

    Il est certes normal et légitime que la tradition soit critique: qu’une société affronte son passé, et exerce son discernement dans le choix de ses modèles. «De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout», proclamait Napoléon. On n’imagine guère pourtant qu’une place soit dédiée, à Rouen, à l’évêque Cauchon, qu’une statue célèbre à Pavie le souvenir du connétable de Bourbon. Le lycée d’Arras ne s’honore guère en exposant, comme il le fait, dans sa cour, le buste de Robespierre, non plus que les nombreuses communes françaises qui conservent encore une rue baptisée à son nom. Mais il y a ici autre chose. Le corps de Mirabeau avait été chassé du Panthéon par les conventionnels à la suite de la découverte, dans l’armoire de fer, de sa correspondance secrète avec Louis XVI. Mais il avait bénéficié d’honneurs funèbres précisément parce qu’on avait vu en lui une figure emblématique de la Révolution, alors même que ses lettres attestaient qu’il avait fini par se mettre au service du souverain: il y avait quelque chose de logique à son exhumation. Les statues que l’on tague et que l’on déboulonne, au contraire, n’ont pas été érigées pour honorer les comportements que prétendent combattre les minorités en lutte pour la criminalisation de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation. Christophe Colomb cherchait la route des Indes, Cathay et Cipango, et Colbert a consacré son ministère à l’organisation de l’économie, des finances, de la marine et du commerce de la France. Saint Louis s’efforçait de faire rayonner l’idéal de la chevalerie sur son royaume et Washington de faire l’expérience de la République sur le continent américain. Nul n’a jamais songé, en les proposant en exemple, célébrer l’esclavage ou le port de la rouelle. Ce qu’exigent dès lors ceux qui ont lancé cette étrange entreprise de purification, c’est que ne soient plus proposées à notre admiration que des personnalités au pedigree impeccable au regard des critères du politiquement correct contemporain. Il faudrait à ce compte bannir Shakespeare et Voltaire des bibliothèques, parce qu’il y a dans leurs œuvres des relents d’antisémitisme, raser le château de Versailles, parce que Louis XIV avait mérité les foudres de #MeToo par son comportement avec Louise de La Vallière, et qu’il avait persécuté jansénistes et protestants, rebaptiser la Bibliothèque nationale, parce que François Mitterrand avait prêté serment de fidélité au maréchal Pétain. À terme, comme le suggérait drôlement Michel Onfray, fermer les grottes de Lascaux parce qu’il était sans doute arrivé à leurs peintres de donner une mandale à leur femme, un coup de gourdin à leur voisin. Se livrer, en définitive, à la faveur de la désagrégation de la culture générale, à une relecture de l’histoire qui associe l’anachronisme (toutes les sociétés ont pratiqué l’esclavage jusqu’à ce que le christianisme fasse, très lentement, évoluer les consciences) à un moralisme manichéen, étranger aux complexités de la nature humaine. Marc Aurèle approuvait sans réserve la mise à mort violente des chrétiens ; cela ne justifie pas que l’on renverse à Rome sa statue de bronze sur la place du Capitole, non plus que des catholiques déchiquettent les Pensées pour moi-même au-dessus de la fosse aux lions en scandant: «Plus jamais ça!»

    Le phénomène en dit long en réalité sur l’autolâtrie de l’époque, qui tient ses propres crimes, parfois, pour des droits de l’homme, et proclame le droit à la différence au moment même où se manifeste son horreur de tout ce qui, avant elle, a pu être différent.

    En France, où l’iconoclasme s’est polarisé contre notre passé colonial, cette revendication a ceci de particulier qu’elle a été d’abord lancée par des communautés dont la présence sur notre sol n’a pas plus de cinquante ans. Les indigénistes n’y sont pas indigènes. Ce qu’ils réclament ne relève donc pas de l’examen de conscience, mais de la mise en accusation d’un passé qui n’est pas le leur: celui d’un pays qu’eux-mêmes ou leurs parents ont choisi comme destination, et qui les a accueillis en masse, par générosité ou par indolence. Au rebours du discours qui a disqualifié depuis la dernière guerre l’existence même des races, et l’essentialisation des personnes en fonction de leur origine, ils les ressuscitent pour accorder aux Noirs le statut de victimes héréditaires, et aux Blancs celui de coupables dont on exige, au moins, qu’ils soient repentants. Cette prétention à définir des responsabilités collectives est d’autant plus absurde qu’au contraire des Antillais, intégrés depuis longtemps à la nation française, aucun des nouveaux venus n’est lui-même un descendant d’esclave, mais au mieux l’héritier des populations que la colonisation a fait échapper, souvent, à l’esclavage ; au pire celui des chefs qui vendaient aux négriers leur bétail humain.

    L’histoire occidentale a ses faces d’ombre, ses faiblesses. Ses traits de lumière ont illuminé le monde et, plutôt que de juger ceux qui nous ont fait ce que nous sommes, il nous appartient de prolonger l’aventure et, au terme d’un respectueux émondage, d’en transmettre les fruits. Nul n’aurait l’arrogance de nous en demander compte si, tout en profitant des trésors dont nous avons hérité en nous donnant la seule peine de naître, et dont l’éclat explique l’attrait qu’ils exercent sur tant de peuples, nous n’étions pas assez lâches ou inconscients pour avoir honte de nos ancêtres, qui les ont créés, inventés, amassés à notre intention. Nul n’aurait l’audace de prétendre nous en faire un sujet d’opprobre si, au terme d’une damnation de la mémoire de nos propres pères, nous ne nous étions pas, d’abord, oubliés nous-mêmes.

    Michel de Jaeghere (Figaro Vox, 30 juillet 2020)

     
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