« No comment ». Il est des « coups de théâtre » dont on se demande s’ils visent à masquer une tragédie indépassable, ou à relancer l’intrigue d’une comédie humaine désespérément convenue. « No comment » donc. C’est ainsi que le président américain a rétorqué au coup d’éclat fomenté secrètement par Emmanuel Macron, hôte du sommet du G7, consistant à faire venir – confiné pour un entretien bilatéral dans une petite salle municipale en marge de l’Hôtel du Palais -, le ministre des affaires étrangères iranien, le subtil Jawad Sharif.
Coup de théâtre ou coup d'épée dans l'eau ?
Qu’espérait notre Président de cette initiative ? La tient-il pour un succès ? Personnel, collectif ? Pouvait-il sérieusement croire que cela suffirait à replacer la France au cœur du dossier iranien et lui donner une posture dynamique et même offensive ? Le Président américain aurait « admis » in extremis l’invité surprise sulfureux. Mais enfin, depuis quand un président américain a-t-il son mot à dire sur les autres invités de l’hôte d’un sommet en territoire souverain ? Cette rodomontade présidentielle était brillante. Elle masque mal la réalité d’une docilité rémanente qui nous efface jour après jour de la scène du monde, malgré une geste créative. Nous désobéissons timidement et sans conséquences in fine.
Pour trancher et faire bouger vraiment les lignes, il eut mieux valu, voici plus d’un an, au lieu de nous coucher devant l’oukase américain dans des circonvolutions sémantiques lamentables, dire à Donald Trump que la France était et resterait pleinement satisfaite de l’Accord en l’état, qu’aucune pression ne la convaincrait d’en étendre la portée aux vecteurs balistiques, de le renégocier ou lui substituer un nouvel accord pour complaire aux exigences sans fin de Washington qui cherche l’affrontement avec Téhéran comme on cherche l’eau dans le désert.
Il eut aussi fallu se placer en soutien politique résolu de nos entreprises présentes en Iran (notamment de Total qui s’est retiré au profit de Pékin d’un gigantesque projet) au lieu de les laisser seules, donc rapidement inquiètes devant le spectre de sanctions extraterritoriales américaines si elles avaient l’aplomb de demeurer à pied d’œuvre dans le pays pour permettre à l’Iran de survivre et d’espérer un jour renaitre autrement que sous le joug avant la coupe réglée. On me rétorquera que la pression est trop forte, les amendes potentielles trop insoutenables pour nos banques… Mais pourquoi les payer ? Au nom de quoi tolérer un tel chantage ? Au nom de notre alliance avec Washington ? Traite-t-on ainsi ses alliés ? Non. Ses vassaux dont on ne craint rien, oui.
Quand bien même Donald Trump se serait affranchi à Biarritz, dans un éclair d’autonomie de pensée, de la nécessité d’enrichir les marchands d’armes des « swing states » qui tiennent sa réélection entre leurs mains, et aurait saisi l’occasion de cette « apparition » pour tendre la main à l’Iranien et amorcer un dialogue minimal, Zharif l’outragé s’y serait refusé. Il a ses ordres, ceux du Guide suprême Khamenei, qui l’a autorisé à prendre l’avion pour voir ce que le Français a dans le ventre et oserait éventuellement proposer, certainement pas pour parler au « grand Satan ». Il n’y a plus rien à négocier. Téhéran a gagné la dernière manche de l’affrontement dans le détroit d’Ormuz, mais ce n’est qu’une bataille dans une guerre ouverte ou indirecte, qui sera longue et vicieuse et se jouera sur de multiples fronts. Une guerre pour la souveraineté, l’honneur, la survie économique et l’influence régionale dans le cas iranien ; une guerre pour la déstabilisation d’un régime afin de mettre la main sur son juteux marché pour Washington. Dans cette perspective américaine, Moscou doit être convaincu de son intérêt à lâcher Téhéran en Syrie, et Pékin doit finir par voir le sien dans l’achat de pétrole américain et non plus iranien ou russe pour nourrir sa croissance. C’est là le véritable arrière-fond de la guerre commerciale actuelle comme de l’attitude américaine ambivalente face à Moscou en Syrie.
Ogre américain
Revenons donc aux fondamentaux. En Amérique, le besoin d’ennemi est insatiable, structurel, vital. C’est le moteur de l’économie américaine. Au nom de la paix mondiale, du progrès et de la démocratie de marché naturellement. Dès qu’un ennemi disparait, un autre doit être désigné et se dresser, diabolisé, pour nourrir le monstre du complexe militaro-industriel qui vit de, par et pour la guerre ! Le Président Eisenhower lui-même s’était en son temps alarmé de cette puissance vampirique et destructrice de tout apaisement durable.
Bilan du Sommet : « L’Iran ne doit jamais avoir l’arme nucléaire et cette situation ne doit pas menacer la stabilité de la région » conclut notre Président, qui se dit « convaincu qu’un accord pourra être trouvé si le président iranien rencontre le président américain ». On se pince. Qui menace la sécurité de la région ? Qui cherche à déstabiliser l’Iran, l’asphyxie de sanctions, a dénoncé unilatéralement un accord déjà très douloureux pour Téhéran mais qu’il respectait à la lettre ?
Nous n’avons donc rien gagné à Biarritz, sauf peut-être d’y avoir inclus l’enjeu climatique autour du drame amazonien comme nécessaire sujet de discussion… mais d’aucun accord. Quoi qu’il en soit, le climat, aussi fondamentale et urgente que soit sa prise en compte dans les politiques des grands États, n’est qu’un leurre qui masque notre impuissance et notre désaccord sur tous les autres dossiers qui comptent, ceux de l’affrontement infantile entre puissances belliqueuses, ceux du multilatéralisme en miettes, ceux de l’introuvable gouvernance mondiale. Ah oui ! Il y a la taxation française des GAFA…. Qui elle aussi sera bientôt réduite et dénaturée à la sauce OCDE.
Cerise sur le gâteau, c’est encore Trump et non Macron qui a eu l’habileté, en amont du sommet, d’appeler haut et fort à la réintégration de la Russie au sein du G7. Notre président aurait pu très facilement en prendre l’initiative, recevant son homologue russe à Brégançon, au lieu de sembler marcher sur des œufs face à Vladimir Poutine désabusé et narquois pour satisfaire les néoconservateurs et les atlantistes forcenés qui l’environnement et le brident. Ses élans pragmatiques, ses intuitions réalistes, ses initiatives à hauteur de France retombent systématiquement dans le vide, démentis, dévoyés ou réduits à des mots sans lendemain par ceux qui devraient juste mettre en œuvre sa pensée et sa vision au lieu de saper sa crédibilité face à ses interlocuteurs. En politique étrangère, la constance et la fiabilité sont des vertus cardinales si l’on prétend avoir une vision et une ambition nationales. Bref, le président français semble presque aussi prisonnier de son entourage que Trump du sien. Et c’est la logique de l’affrontement infantile qui gagne à ce double enchainement.
Tout ça pour finir par tenir une conférence de presse de clôture avec le président américain ! Comme pour s’excuser de l’audace du « vrai-faux » invité surprise. Comme si les autres chefs d’État étaient ravalés au rang de figurants, comme si l’Occident rentrait dans le rang et avait retrouvé son père tonitruant et brutal dont on aime les coups, comme si la France était fière de juste passer les plats. Cela rappelle les « Accords de Rambouillet » en 1999, prélude manipulé à la curée lancée contre la Serbie récalcitrante. Un mauvais souvenir… Celui d’un renoncement à réfléchir et décider seuls. Nous étions en cuisine déjà. Il n’existe pas de relation stratégique privilégiée entre Paris et Washington. C’est l’écart, la sortie du rang déterminée, non la servilité qui peut la faire naitre. De la posture à la stature, il y a le courage et la cohérence. Ce sont ces invités surprise-là que l’on attend pour enfin faire la différence.
Pour le reste, sans la Russie, sans la Chine et sans l’Inde, le G7 n’a plus qu’une représentativité résiduelle. Il est complètement décalé par rapport aux nouveaux rapports de force du monde. Il fait figure de vieux club poussiéreux de ronchons déphasés qui jouent au bridge tandis que la vraie partie se joue ailleurs et sans eux, dans un gigantesque jeu de go. Vladimir Poutine l’a d’ailleurs cruellement rappelé à Brégançon. Certes, l’Occident a de beaux restes. Asinus asinum fricat. Entre Boris Johnson, désormais sans équivoque aux ordres de Washington et salivant à l’idée des retombées commerciales qu’il en attend pour une Grande-Bretagne débarrassée de l’Europe technocrate, Jair Bolsonaro – hors club mais qui éructe sa grossièreté brouillonne envers Paris, Angela Merkel qui compte les jours la séparant d’une sortie de ce panier de crabes ingrats, et les autres qui font de la figuration dans cet aréopage de carpes et de lapins, Paris va devoir changer de niveau.
Et surtout réfléchir au fond. Des actes, du courage enfin ! Un changement de pied radical sur les dossiers syrien et yéménite (il n’y aura pas un mot à Biarritz sur cette atroce guerre pour rien !), de l’audace sur l’Iran, les sanctions russes et les accords de Minsk. Voilà l’occasion d’être « disruptif » pour de bon. Sur tous ces dossiers, nous avons d’évidentes positions à prendre pour faire bouger les lignes dans le bon sens et nous rendre enfin de nouveau utiles. Vue l’aboulie des Européens sur tous ces sujets, faire la différence n’est pas difficile. L’heure est grave pour la France. Il faut se réveiller et sortir de la politique spectacle. Je ne peux croire que notre président préfère la fausse lumière des idéalités qui s’abiment dans un réel sanglant à la chaleur d’une politique moins cynique, plus humaine et enfin efficace.