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  • Schopenhauer, l'arracheur d'illusions...

    Les hors-séries du Point viennent de publier dans la collection Les maîtres penseurs, un numéro spécial consacré à Arthur Schopenhauer. Parmi les nombreux articles, on pourra lire des entretiens avec, notamment, Michel Houellebecq et Clément Rosset...

     

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    " Il dérange, parce qu’il dit la vérité « cash », assure Michel Houellebecq, dans ce nouvel hors-série du Point-Le Maîtres Penseurs. Il est rejeté par l’université, parce qu’il écrit « clair », comme un moraliste français, explique Clément Rosset. Nous ajouterons : il était odieux, égoïste, machiste, insultant… mais incontournable. Schopenhauer, une énigme ?

    Pourquoi lire Schopenhauer aujourd’hui ? Pour sa lucidité, même si elle l’a fait accuser de pessimisme. Pour sa prescience, qui lui a fait comprendre avant tout le monde (dont Freud) la force des pulsions et l’existence de l’inconscient, l’illusion du réel et ses conséquences. Pour sa puissance.

     Schopenhauer, l’atrabilaire au style étincelant, le héros des écrivains, a analysé le monde au laser, refusant les faux-semblants et les illusions. Mais il nous a aussi donné les moyens de nous extraire de la noirceur. Une leçon de vie à l’heure d’Internet et du terrorisme. "

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  • Quand l'ordre qui règne dans certains quartiers n'est plus celui de la France...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 20 octobre 2016 et consacrée aux manifestations des policiers qui protestent contre l'absence de réaction de l'état face aux violences qu'ils subissent.

    Eric Zemmour vient de publier chez Albin Michel un recueil de ses chroniques des années 2013-2016 intitulé Un quinquennat pour rien et précédé par un longue préface intitulée « La France au défi de l'islam », qui lui vaut, à nouveau, d'être la cible d'une campagne d'intimidation.

     

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  • Bienvenue dans les guerres de l'ombre... (2)

    Les éditions Gallimard viennent de publier, dans leur collection Série noire, le second tome de Pukhtu, le polar géopolitique signé par DOA. Auteur puissant, DOA décrit en virtuose ce monde de l'ombre où se croisent espions, terroristes, mercenaires et mafieux. On lui doit déjà Citoyens clandestins (Gallimard, 2007) et Le serpent aux mille coupures (Gallimard, 2009) où figurent déjà certains des personnages de Pukhtu.

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    " Le terme pukhtu renvoie aux valeurs fondamentales du peuple pachtoune, l'honneur personnel – ghairat – et celui des siens, de sa tribu – izzat. Dire d'un homme qu'il n'a pas de pukhtu est une injure mortelle. Pukhtu est l'histoire d'un père qui, comme tous les pères, craint de se voir privé de ses enfants par la folie de son époque. Non, plutôt celle d'une jeune femme que le remords et la culpabilité abîment. Ou peut-être celle d'un fils, éloigné de sa famille par la force du destin. À moins qu'il ne s'agisse de celle d'un homme cherchant à redonner un sens à sa vie. Elle se passe en Asie centrale, en Afrique, en Amérique du Nord, en Europe, et raconte des guerres ouvertes et sanglantes, des conflits plus secrets, contre la terreur, le trafic de drogue, et des combats intimes, avec soi-même, pour rester debout et survivre. C'est une histoire de maintenant, à l'ombre du monde et pourtant terriblernent dans le monde. Elle met en scène des citoyens clandestins."

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  • Les sirènes du chaos...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial, daté du 13 octobre 2016, de la nouvelle lettre d'information Centurie News, qui est consacré à l'embrasement que la crise syrienne et les incendiaires qui l'attisent, menacent de provoquer...

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    Syrie : les sirènes du chaos

     

    La crise syrienne a débuté en 2011 dans le prolongement des « printemps arabes » qui soulevèrent des populations stimulées et appuyées par des ONG occidentales contre des régimes arabes laïcs et centralisateurs. Un contexte de troubles voire de guerres civiles est alors né dans la majeure partie des pays concernés (Syrie, Libye, Tunisie, Yémen, Bahreïn, Egypte). Toutefois, la crise syrienne est devenue du fait de sa situation géographique, un point de tension incomparable dans le monde. Au fur et à mesure de l’élargissement du conflit, le cercle des Etats étrangers à cette guerre s’est restreint et l’enchevêtrement de causes et d’effets complexes (géographiques, militaires, économiques, énergétiques, religieux) a rendu la crise mondiale. 

     

    La Syrie fixe en un abcès les intérêts de la plupart des acteurs régionaux mais aussi des puissances mondiales au premier rang duquel l’état profond occidental, confronté à la volonté de la Russie de ne pas céder ce pivot du monde à ses adversaires géopolitiques. Ainsi, les conditions d’une confrontation militaire entre les Etats-Unis et la Russie devient de plus en plus vraisemblable et pourrait déboucher sur un conflit international aux conséquences cataclysmiques

     

    L’intensification ces dernières semaines des tensions avec les déclarations sidérantes des acteurs politiques et militaires occidentaux ne lasse pas d’inquiéter, en effet, le contexte politique intérieur américain n’étant pas favorable à l’apaisement. Si Barack Obama et John Kerry (l’État officiel américain) semblent moins pressés de jouer les va-t-en-guerre à quelques mois de la fin de leur mandat, le complexe médiatico-militaro-financier (l’État profond occidental) accentue la pression pour préparer un climat de tension favorable à la guerre. Un contexte qui pourrait bien favoriser des décisions rapides, une fois l'incertitude de la présidentielle levée et Hillary Clinton élue et en fonction au plus tard le 21 janvier 2017.

     

    Toutefois, ces positions ne recueillent pas, et de loin, l’adhésion des populations et il faudra des opérations médiatiques plus efficaces que le conditionnement de fond de ces dernières années pour faire admettre aux opinions publiques occidentales une escalade guerrière, dont on perçoit qu’elle pourrait nous mener aux portes d’une nouvelle guerre mondiale.

     

    Les Etats et intérêts qui utilisent depuis des années les Médias de Masse (MSM) pour préparer ou retourner les opinions publiques (armes chimiques, couveuses koweitiennes, etc.) en faveur de politiques indéfendables (tant sur le plan stratégique qu’humanitaire, économique ou migratoire) seront donc probablement tentés d’user de méthodes de PsyOps (Opérations Psychologiques) pour faire basculer les mentalités et l’adhésion, même artificielle et même temporaire, à une confrontation militaire directe contre la Russie dans la région. Il en faudra beaucoup pour emporter cet accord des populations, qui perçoivent de plus en plus mal les objectifs d’intérêts collectifs dans les politiques menées par les dirigeants.

     

    La guerre n’est pas certaine mais la convergence des intérêts électoraux et stratégiques de l’Etat profond occidental rend malheureusement probable un dérapage rapide. On imagine par exemple que des organisations comme celles des casques blancs (White Helmets), appuyés par des staffs de communicants (dans le genre de Bell Pottinger, voir Centurie News N°5) pour la superproduction d’un « massacre » de populations civiles sous faux drapeaux pourrait déclencher une campagne d’hystérie collective qui favoriserait une entrée en guerre et une radicalisation anti-russe de l’opinion publique américaine et européenne.

     

    Evidemment, une affaire rapide, touchant encore plus directement des ressortissants américains ou européens serait « idéale »… Un coup de billard à deux bandes qui permettrait de noyer les révélations contre Hillary Clinton (Comme celles de Wikileaks, désormais qualifiées systématiquement de propagande russe par les MSM) et d’affaiblir encore d'avantage Donald Trump (présenté comme le candidat de Poutine : voir le site PutinTrump.org financé par Soros, Centurie News n°3). Mais il est plus probable que les faucons attendront, s'ils peuvent réussir à bloquer, d'ici-là, les avancées diplomatiques et militaires de la Russie et de l'armée gouvernementale syrienne. Entre-temps, il faudra chauffer à blanc les opinions publiques et pour ce faire, le pire est possible. 

     

    Ces campagnes de sidération guerrières peuvent encore parfaitement fonctionner, même si elles épuisent progressivement leurs capacités à emporter l’adhésion. En effet, avec le climat lourd de menaces de ces prochaines semaines, une nouvelle campagne d’hystérie collective augmenterait à coup sûr la résilience des populations occidentales au contrôle médiatique dans la mesure où jamais plus qu’aujourd’hui, cette politique de déstabilisation n’est parue moins rationnelle et plus dangereuse. Si ce n’est pas un argument susceptible d’influencer les desseins court-termistes des fauteurs de guerre, un nouveau matraquage guerrier pourrait, un temps plus loin, avoir des effets sur la stabilité sociale des sociétés occidentales.

     

    En effet, le rapprochement dans le temps des campagnes de désinformation en soutien à des politiques internationales qui fabriquent des guerres, des migrations et de l’extrémisme accélère, tel un vaccin, l’immunisation médiatique des populations. La montée d’audience de médias alternatifs, l’augmentation rapide de la viralité des contre-informateurs et la lassitude critique de l’opinion publique à l’égard des MSM n’en sont que d’autres stigmates. De plus, dans la mesure où le dispositif médiatique est le principal outil de contrôle social des sociétés occidentales et que celles-ci sont en proie à des tensions internes de plus en plus importantes, l’épuisement de l’efficacité des MSM dans le travail de contrôle des tensions à l’intérieur des populations, fait courir un risque systémique lourd. La dégradation brutale de la crédibilité des MSM dans l’opinion publique aux Etats-Unis ces derniers mois en fournissent un exemple intéressant (voir Centurie News 3 et 4). En perdant en crédibilité, le système médiatique dit mainstream, perd en capacité d’influence sur la stabilité sociale. Cette perte d’influence pourrait devenir critique à l’occasion d’un conflit social de faible intensité mais qui pourrait s'envenimer. Un scénario de plus en plus envisageable dans des pays occidentaux déstabilisés par le multiculturalisme et la crise économique.

     

    Pour en revenir à la Syrie et aux connexions avec la campagne présidentielle américaine, les révélations désormais presque quotidiennes sur les implications de l’Arabie Saoudite non seulement dans les attentats du 11 septembre mais dans le financement d’ISIS (DAECH) en font (avec le Qatar) le maillon faible de la chaine d’influence des Etats-Unis dans la région. La surexposition du Qatar mais plus encore de l’Arabie Saoudite pourrait bien contraindre ces pays à un désengagement ou à des concessions dans d’autres domaines (la gestion des cours du pétrole par exemple) ou finir par les déstabiliser dans les mois à venir.

     

    Les intérêts complexes des acteurs du monde dans cette région, rendent apparemment insolubles, une solution mono-diplomatique . Il est donc à prévoir que les acteurs qui disposeront de la supériorité militaire sur le terrain et du pragmatisme nécessaire pour nouer des alliances permettant à d’autres parties de se rallier à leurs objectifs, finiront par l’emporter. C’est visiblement la Russie qui semble engagée sur ce terrain. Seul une politique irrationnelle au potentiel destructeur considérable est susceptible de modifier cette anticipation. Pour comprendre si nous courrons ce risque, il faudra, par-delà le contexte évoqué dans cet article, comprendre ce qui pourrait, apparemment contre toute logique, pousser l’État profond occidental à fabriquer de toute pièce une nouvelle guerre mondiale. Qui fera taire les sirènes du chaos ?

     

     Centurie news ( Centurie News n°6, 13 octobre 2016 )

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  • Russophobie 2.0

    Les éditions Le Retour aux sources viennent de publier un essai de Giulietto Chiesa intitulé Russophobie 2.0. Italien, Giulietto Chiesa est ancien correspondant de La Stampa à Moscou et ancien parlementaire européen.

     

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    " La crise globale dans laquelle est plongée l'Occident est à la fois économique, financière, écologique, morale et politique. Le leadership des Etats-Unis est de plus en plus contesté et l'Union européenne est dans la tourmente. À ce stade, tout est bon pour éviter de dire la vérité : Oui, le système occidental est moribond et son effondrement est proche. Et quand un pouvoir est fragilisé, il cherche un responsable à désigner à son peuple, un ennemi vers qui détourner une colère qui pourrait, sans cela, s'abattre sur ses dirigeants. Ainsi, la Russie, de par son opposition systématique aux Etats-Unis depuis l'arrivée de Vladimir Poutine à la tête du Kremlin, a été choisie pour tenir le rôle de bouc émissaire : La guerre en Ukraine, les sanctions économiques, la négation du rôle des russes dans la victoire contre le nazisme, la diabolisation quasi-systématique de la part des médias occidentaux ; tout confirme que c est bien cette option qui a été prise. Pourtant, les choses changent. L'intervention de la Russie contre l'expansion de l'Etat islamique et la dénonciation des rôles ambiguës de l'Arabie Saoudite, du Qatar ou de la Turquie ont pris de cours la diplomatie occidentale et l'ont conduite à accentuer la propagande anti-russe. Mais l'opinion mondiale est de moins en moins disposée à céder à cette « russophobie ». De nombreux pays dans le monde commencent à se détourner des américains et des européens pour se tourner vers les russes. Car il apparaît de plus en plus que la Russie pourrait être la seule puissance capable de faire dévier de la catastrophe finale le train fou de la mondialisation. "

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  • La révolution est-elle encore possible ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Byung-Chul Han, cueilli sur Metamag et consacré au système de domination néolibéral, qui a été publié initialement par le quotidien El Pais en 2014. Originaire de Corée, admirateur de l’œuvre de Heidegger, Byung-Chul Han enseigne la philosophie à Berlin. Plusieurs de ses ouvrages ont déjà été traduits en français dont Dans la nuée - Réflexions sur le numérique (Acte sud, 2015) et Le parfum du temps (Circé, 2016).

     

     

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    " Aujourd’hui, personne ne manifeste en Corée du Sud. Au contraire, y prédomine un grand conformisme et un consensus entre dépressions et syndrome de burn out. "

     

    Byung-Chul Han et la révolution : une critique acide de notre société

    Quand il y a un an je débattais avec Antonio Negri au Berliner Schaubühne, nous vîmes s’affronter alors deux critiques du capitalisme. Negri était alors enthousiasmé par l’idée de résistance globale à l’Empire, au système de domination néolibéral. Il se présentait comme un révolutionnaire communiste et se définissait lui-même comme professeur sceptique. Avec emphase il appelait la multitude, la masse interconnectée à la protestation et à la révolution, à laquelle il confiait la tâche de renverser l’Empire. La position du communiste révolutionnaire me parut alors très naïve et surtout éloignée de la réalité. C’est pour cela que je tenterai ici d’expliquer à Negri pourquoi les révolutions ne sont plus possibles.

    Pourquoi le régime de domination néolibéral est-il autant stable? Pourquoi y-a-t-il si peu de résistance? Pourquoi toute résistance s’estompe-t-elle si rapidement ? Pourquoi la révolution n’est-elle plus possible malgré l’abîme croissant qu’il y a entre les riches et les pauvres ? Pour expliquer ceci, il est nécessaire de revenir à une compréhension adéquate de comment fonctionne aujourd’hui le pouvoir et la domination.

    Qui prétend établir un système de domination doit éliminer toutes les résistances

    Ceci est valable aussi pour le système de domination néolibéral. L’instauration d’un nouveau système requiert un pouvoir qui s’impose fréquemment par la violence. Mais ce pouvoir n’est pas identique à celui qui stabilise intérieurement le système. On sait que Margaret Thatcher considérait les syndicats comme “l’ennemi intérieur” et elle les combattit de manière agressive. Or, l’intervention violente pour imposer l’agenda néolibéral n’a rien à voir avec le pouvoir stabilisateur du système.

    Le pouvoir stabilisateur de la société disciplinaire et industrielle était répressif. Les propriétaires des usines exploitaient de manière brutale les travailleurs et les ouvriers, ce qui donna lieu à des manifestations et à des résistances. Dans ce système répressif, l’oppression et les oppresseurs sont visibles. Il y a un opposant concret, un ennemi visible contre lequel l’opposition a du sens.

    Le système de domination néolibéral est structuré d’une manière totalement distincte

    Le pouvoir stabilisateur du système n’est plus répressif mais séducteur, c’est-à-dire captivant. Ici, il n’est plus visible comme dans le régime disciplinaire. Il n’y a pas d’opposant, un ennemi qui opprime la liberté avant que ne puisse être possible la résistance. Le néolibéralisme transforme le travailleur opprimé en auto-entrepreneur, en employeur de lui-même. Aujourd’hui, chacun est un travailleur qui s’exploite lui-même dans sa propre entreprise. Tous sont maîtres et esclaves en une seule personne. De même la lutte des classes s’est transformée en une lutte interne contre soi-même: celui qui échoue se culpabilise lui-même et a honte. On se questionne soi-même, on n’interroge pas la société.

    Le pouvoir disciplinaire ne fut efficace que parce qu’au prix de grands efforts, il encadra les hommes de manière violente avec ses principes et ses interdits. Mais en réalité est beaucoup plus efficace la technique de pouvoir qui consiste à ce que les hommes se soumettent par eux-mêmes au maillage de la domination. Cette efficacité particulière réside dans le fait qu’elle ne fonctionne pas à travers l’interdiction et la soustraction, mais par le plaisir et la réalisation. Au lieu de générer des hommes obéissants, elle prétend les rendre dépendants. Cette logique de l’efficacité passe aussi par la surveillance. Dans les années quatre-vingt, on protesta de manière très énergique contre le recensement démographique. Et les étudiants sortirent même dans la rue pour cela. A cette époque, les données nécessaires requises pour sa carrière, son diplôme scolaire ou sa prise de poste étaient ridicules. Car c’était une époque où l’on croyait avoir toujours en face de soi l’Etat comme une instance de domination qui s’appropriait les informations des citoyens contre leur volonté. Cela fait bien longtemps que ce moment est derrière nous. Aujourd’hui, nous nous dénudons volontairement. C’est précisément ce sentiment de liberté qui rend impossible toute protestation. L’auto-dévoilement et le déshabillage de soi-même suivent la même logique efficace que celle de l’auto-exploitation. Contre qui protester? Contre soi-même ?

    Il est donc important de distinguer le pouvoir qui impose et celui qui stabilise. Le pouvoir stabilisateur acquiert aujourd’hui une forme aimable, smart, et ainsi il devient invisible et inattaquable. Le sujet soumis n’est même plus conscient de sa soumission. Il se croit libre. Cette technique de domination neutralise la résistance d’une manière absolue. La domination qui soumet et s’en prend à la liberté n’est pas stable. Et c’est pour cela que le régime néolibéral est aussi stable, et immunisé contre toute forme de résistance parce qu’il fait usage de la liberté, au lieu de la soumettre. L’oppression de la liberté génère une résistance immédiate. En revanche, ce n’est plus le cas quand on exploite avec la liberté. Après la crise asiatique, la Corée du Sud était paralysée. Le FMI débarqua alors et octroya du crédit aux Coréens. Pour cela, le Gouvernement dut imposer l’agenda libéral avec violence contre les protestataires. Aujourd’hui, personne ne manifeste en Corée du Sud. Au contraire, y prédomine un grand conformisme et un consensus entre dépressions et syndrome de burn out. Aujourd’hui la Corée du Sud a le taux de suicide le plus élevé du monde. On retourne la violence du système contre soi-même, au lieu de vouloir changer la société. L’agression vers l’extérieur qui pourrait avoir pour résultat une révolution cède le pas à l’auto-agression.

    Aujourd’hui, il n’y a aucune multitude solidaire, interconnectée, capable de se transformer en une masse protestataire et révolutionnaire globale. Au contraire, la solitude de l’auto-emploi isolé, séparé, constitue le mode de production actuel. Avant, les entrepreneurs se concurrençaient entre eux. Mais à l’intérieur de l’entreprise, une solidarité était encore possible. Aujourd’hui, tous luttent contre tous, même à l’intérieur de l’entreprise. La compétition entraîne une énorme augmentation de la productivité, mais elle détruit la solidarité et le sens de la communauté. Or on ne forme pas une masse révolutionnaire avec des individus épuisés, dépressifs, isolés.

    Il n’est donc pas possible d’expliquer le néolibéralisme de manière marxiste. Dans ce néolibéralisme, la fameuse  « aliénation » du travail n’a même plus de sens. Aujourd’hui, nous nous livrons avec euphorie au travail jusqu’au syndrome du burn out, jusqu’à la fatigue chronique. Le premier niveau du syndrome est l’euphorie. Mais syndrome de burn out et révolution s’excluent mutuellement. Aussi, est-ce une erreur que de penser que la multitude renversera l’Empire parasitaire et instaurera la société communiste.

    Et d’ailleurs que se passe-t-il aujourd’hui avec le communisme? Constamment on évoque le sharing (le partage) et la communauté. L’économie du sharing devrait succéder d’ailleurs à l’économie de la propriété et de la possession. Sharing is caring, [ »partager, c’est protéger »], dit le slogan de l’entreprise Circler dans le nouveau roman de Dave Eggers, The Circle. Sur les pavés qui forment le chemin vers le siège de l’entreprise Circler sont dessinées des maximes comme “recherche la communauté” ou “impliquez-vous”. Protéger c’est tuer, devrait plutôt dire la devise de Circler. C’est une erreur de penser que l’économie du partage, comme l’affirme Jeremy Rifkin dans son dernier livre La nouvelle société du coût marginal zéro , annonce la fin du capitalisme, une société globale, avec une orientation communautaire, où partager aurait plus de valeur que posséder. C’est tout le contraire: l’économie du partage conduit en dernière instance à la commercialisation totale de la vie.

    Le changement, célébré par Rifkin, qui va de la possession à l’ “accession ” ne nous libère pas du capitalisme. Celui qui n’a pas d’argent, n’a pas non plus accès au sharing. Même à l’époque de l’accès libre nous continuons de vivre dans le Bannoptikum, un dispositif d’exclusion, où ceux qui n’ont pas d’argent restent exclus. Airbnb, le marché communautaire qui transforme chaque maison en hôtel, rentabilise jusqu’à l’hospitalité. L’idéologie de la communauté ou du commun réalisé en collaboration conduit à la capitalisation totale de la communauté. Ici n’est même plus possible l’amabilité désintéressée. Dans une société d’évaluation réciproque, on commercialise aussi l’amabilité. On se rend aimable pour recevoir de meilleurs profits. Aussi même dans l’économie reposant sur la collaboration prédomine la dure logique du capitalisme. De manière paradoxale, dans ce beau “partage” personne ne donne rien volontairement. Ainsi, le capitalisme en arrive à sa plénitude au moment où le communisme se vend comme marchandise. Le communisme comme marchandise: c’est la fin de la révolution.

    Byung-Chul Han (Metamag, 13 octobre 2016)

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