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  • La technique du coup d'état...

    Nous reproduisons ici une excellente analyse de John Laughland publiée par la revue suisse Horizons et débats.

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    La technique du coup d’Etat – Opération «changement de régime»

    Les révolutions ne sont parfois pas aussi spontanées qu’on le croit

    par John Laughland

    Au cours de ces dernières années, une série de «révolutions» ont éclaté en différents endroits du monde.

    Georgie

    En novembre 2003, le président Edouard Chevardnadze a été renversé à la suite de manifestations et d’allégations d’élections truquées.

    Ukraine

    En novembre 2004, des manifestations – la «Révolution orange» – commencèrent au moment où des accusations similaires d’élections truquées étaient formulées. Il en résulta que le pays perdit son ancien rôle géopolitique de pont entre l’Est et l’Ouest et fut poussé vers une adhésion à l’OTAN et à l’UE. Etant donné que la Rus de Kiev fut le premier Etat russe et que l’Ukraine s’est maintenant tournée contre la Russie, il s’agit là d’un événement historique. Mais, comme le disait George Bush, «vous êtes soit avec nous soit contre nous». Bien que l’Ukraine ait envoyé des troupes en Irak, elle était manifestement considérée comme trop amie de Moscou.

    Liban

    Peu après que les Etats-Unis et l’ONU aient déclaré que les troupes syriennes devaient se retirer du Liban et suite à l’assassinat de Rafik Hariri, les manifestations de Beyrouth ont été présentées comme la «Révolution du Cèdre». Une énorme contre-manifestation du Hezbollah, le plus important parti de Syrie, fut passée sous silence alors que la télévision montrait sans fin la foule anti-syrienne. Exemple particulièrement énorme de mauvaise foi orwellienne, la BBC expliqua aux téléspectateurs que «le Hezbollah, le plus grand parti politique du Liban, est jusqu’ici la seule voix dissidente qui souhaite que les Syriens restent au Liban». Comment la majorité peut-elle être une «voix dissidente»?

    Kirghizistan

    Après les «révolutions géorgienne et ukrainienne, nombreux sont ceux qui prédisaient que la vague de «révolutions» allait s’étendre aux anciens Etats soviétiques d’Asie centrale. Et c’est ce qui arriva. Les commentateurs semblaient divisés sur la question de savoir quelle couleur attribuer au soulèvement de Bichkek: révolution «citron» ou «tulipe»? Ils n’ont pas pu se décider. Mais ils étaient tous d’accord sur un point: ces révolutions sont cool, même quand elles sont violentes. Le président du pays, Askar Akaïev, fut renversé le 24 mars 2005 et les contestataires prirent d’assaut le palais présidentiel et le mirent à sac.

    Ouzbékistan

    Lorsque des rebelles armés s’emparèrent des bâtiments gouvernementaux, libérèrent des prisonniers et prirent des otages dans la nuit du 12 au 13 mai dans la ville ouzbek d’Andijan (située dans la vallée de Ferghana où les troubles avaient également commencé au Kirghizistan voisin), la police et l’armée encerclèrent les rebelles et il en résulta une impasse de longue durée. On entreprit des négociations avec les rebelles qui ne cessèrent d’augmenter leurs revendications. Quand les forces gouvernementales les attaquèrent, les combats firent quelque 160 morts dont 30 parmi les forces de la police et de l’armée. Pourtant les médias occidentaux présentèrent immédiatement ces affrontements violents de manière déformée, prétendant que les forces gouvernementales avaient ouvert le feu sur des contestataires non armés, sur «le peuple».
    Ce mythe sans cesse répété de la révolte populaire contre un gouvernement dictatorial est populaire à gauche comme à droite de l’éventail politique. Autrefois, le mythe de la révolution était manifestement réservé à la gauche, mais lorsque le putsch violent eut lieu au Kirghizistan, le Times s’enthousiasma à propos des scènes de Bichkek qui lui rappelaient les films d’Eisenstein sur la révolution bolchévique; le Daily Telegraph exalta le «pouvoir pris par le peuple» et le Financial Times eut recours à une métaphore maoïste bien connue lorsqu’il vanta la «longue marche du Kirghizistan vers la liberté».
    Une des idées clés à la base de ce mythe est manifestement que le «peuple» est derrière les événements et que ces derniers sont spontanés. En réalité, bien sûr, ce sont des opérations très organisées, souvent mises en scène pour les médias et habituellement créés et contrôlés par les réseaux transnationaux d’«ONG» qui sont des instruments du pouvoir occidental.

    La littérature sur les coups d’Etat

    Le mythe de la révolution populaire spontanée perd de sa prégnance en raison de l’ample littérature sur les coups d’Etat et les princi­pales tactiques utilisées pour les provoquer.
    C’est bien entendu Lénine qui a développé la structure organisationnelle vouée au renversement d’un régime que nous connaissons maintenant sous le nom de parti politique. Il différait de Marx en ce qu’il ne pensait pas que le changement historique était le résultat de forces anonymes inéluctables. Il pensait qu’il fallait le provoquer.
    Mais ce fut probablement Curzio Malaparte qui le premier, dans Technique du coup d’Etat, donna une forme célèbre à ces idées. Publié en 1931, ce livre présente le changement de régime comme une technique. Malaparte était en désaccord avec ceux qui pensaient que les changements de régime étaient spontanés. Il commence son livre en rapportant une discussion entre des diplomates à Varsovie au printemps 1920: La Pologne a été envahie par l’armée rouge de Trotski (la Pologne avait elle-même envahi l’Union soviétique, prenant Kiev en avril 1920) et les bolcheviques étaient aux portes de Varsovie. La discussion avait lieu entre le ministre de Grande-Bretagne, Sir Horace Rumbold, le Nonce papal, Monsignor Ambrogio Damiano Achille Ratti (lequel fut élu pape deux ans plus tard sous le nom de Pie XI. L’Anglais disait que la situation politique intérieure de la Pologne était si chaotique qu’une révolution était inévitable et que le corps diplomatique devait fuir la capitale et se rendre à Poznan. Le Nonce n’était pas d’accord, insistant sur le fait qu’une révolution était tout aussi possible dans un pays civilisé comme l’Angleterre, la Hollande ou la Suisse que dans un pays en état d’anarchie. Naturellement, l’Anglais était choqué à l’idée qu’une révolution pût éclater en Angleterre. «Jamais!» s’exclama-t-il. Les faits lui ont donné tort car il n’y eut aucune révolution en Pologne et cela, selon Malaparte parce que les forces révolutionnaires n’étaient pas suffisamment bien organisées.
    Cette anecdote permet à Malaparte d’aborder les différences entre Lénine et Trotski, deux praticiens du coup d’Etat. Il montre que le futur pape avait raison et qu’il était faux de dire que certaines conditions sont nécessaires pour qu’il y ait révolution. Pour Malaparte, comme pour Trotski, on peut provoquer un changement de régime dans n’importe quel pays, y compris dans les démocraties stables d’Europe occidentale à condition qu’il y ait un groupe d’hommes suffisamment déterminés à l’effectuer.

    Fabriquer le consentement

    Cela nous amène à d’autres textes relatifs à la manipulation médiatique. Malaparte lui-même n’aborde pas cet aspect mais celui-ci est a) très important et b) constitue un élément de la technique utilisée pour les changements de régime aujourd’hui. A vrai dire, le contrôle des médias durant un changement de régime est si important qu’une des caractéristiques de ces révolutions est la création d’une réalité virtuelle. Le contrôle de cette réalité est lui-même un instrument du pouvoir, si bien que lors des coups d’Etats clas­siques des républiques bananières, la première chose dont s’emparent les révolutionnaires est la radio.
    Les gens éprouvent une forte répugnance à accepter l’idée que les événements poli­tiques, aujourd’hui, sont délibérément manipulés. Cette répugnance est elle-même un produit de l’idéologie de l’ère de l’information qui flatte la vanité des gens et les incite à croire qu’ils ont accès à une somme considérable d’informations. En fait, l’apparente diversité de l’information médiatique moderne cache une extrême pauvreté de sources originales, de même qu’une rue entière de restaurants sur un rivage grec peut cacher la réalité d’une seule cuisine à l’arrière. Les informations sur les événements importants proviennent souvent d’une source unique, souvent une agence de presse et même des diffuseurs d’informations comme la BBC se contentent de recycler les informations reçues de ces agences tout en les présentant comme étant les leurs. Les correspondants de la BBC sont souvent dans leurs chambres d’hôtel lorsqu’ils envoient leurs dépêches, lisant souvent pour le studio de Londres l’information que leur ont transmise leur collègues en Angleterre, qui les ont à leur tour reçues des agences de presse. Un second facteur expliquant la répugnance à croire à la manipulation des médias est lié au sentiment d’omniscience que notre époque de mass média aime flatter: débiner les informations de la presse, c’est dire aux gens qu’ils sont crédules et ce message n’est pas agréable à recevoir.
    La manipulation médiatique a plusieurs aspects. L’un des plus importants est l’iconographie politique. C’est un instrument très important utilisé pour défendre la légitimité des régimes qui ont pris le pouvoir par la révolution. Il suffit de penser à des événements emblématiques comme la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, l’assaut du Palais d’Hiver pendant la révolution d’octobre 1917 ou la marche de Mussolini sur Rome en 1922 pour se rendre compte que certains événements peuvent être élevés au rang de sources presque éternelles de légitimité.
    Cependant, l’importance de l’imagerie politique va bien au-delà de l’invention d’un emblème pour chaque révolution. Elle implique un contrôle beaucoup plus rigoureux des médias et généralement ce contrôle doit être exercé sur une longue période, pas seulement au moment du changement de régime. Il est vraiment essentiel que la ligne du parti soit répétée ad nauseam. Un aspect de la culture médiatique d’aujourd’hui que de nombreux dissidents dénoncent à la légère et à tort comme relevant du «totalitarisme» est que les opinions dissidentes peuvent être exprimées et publiées, mais c’est précisément parce que, n’étant que des gouttes d’eau dans l’océan, elles ne représentent jamais une menace pour la marée propagandiste.
    (Lire la suite...)

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  • Robert de Goulaine et Ungern Kahn !

    La mort, il y a quelques jours, de l'écrivain Robert de Goulaine est l'occasion de revenir sur un de ses derniers romans, Les seigneurs de la mort, publié en 2006 aux éditions de La Table ronde et consacré à la figure légendaire du Baron balte von Ungern-Sternberg, rendu célèbre en France d'abord par Ferdinand Ossendowski puis, plus tard, par Jean Mabire et Hugo Pratt.

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    "Sibérie, Mongolie, de 1918 à 1920. Roman von Ungern-Stenberg, qualifié 'd' illuminé sanguinaire' ou de 'Baron fou', ce cosaque à la vie aventureuse, est entraîné dans la tourmente révolutionnaire. Alors que les bolcheviks achèvent la liquidation des Armées blanches, certaines unités, fidèles à la dynastie des Romanov, mènent un combat d'arrière-garde dans l'utopique espoir de de reconquérir la Russie communiste. Ils sont à peine un millier d'hommes à s'être engagés dans la célèbre 'Division sauvage' du Baron, bientôt rebaptisé la 'Division asiatique' : cosaques, Bouriates, Mongols, Kirghiz et même un détachement de tibétains. Autour de ce personnage historique, Robert de Goulaine déroule une étonnante galerie de portraits : le 'Khutu', maître spirituel de la Mongolie. 'L' étrangleur', sinistre bourreau de la division. L'ataman Semenov et sa maîtresse, une ex-chanteuse de cabaret. Un aveugle syphilitique reclus dans son Palais Vert entre ses collections hallucinantes de pendules et d'animaux empaillés et le traître Dja Lama, un moine-brigand."
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  • Didier Daeninckx, flingueur de baleine !

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    Didier Daeninckx, grand traqueur de fasciste masqué, se lancerait-il dans la chasse au cétacé ?...

    En tous les cas, il semble un peu en vouloir aux éditions Baleine, la maison mère, pourtant, de la série du Poulpe, qui publie essentiellement des polars et qui était connue jusqu'ici pour accueillir beaucoup d'auteurs de gauche et d'extrême-gauche. Didier le Grand Inquisiteur a, en effet, pris sa plume pour faire savoir à l'éditeur qu'il ne veut plus voir son nom figurer dans la "décharge" qu'est devenu le catalogue de cette maison. Et Didier de sonner le tocsin et de lancer une pétition avec Sylvie Rouch (?) et Lionel Makowski (?)... Bigre, l'heure est grave... Et tout cela parce que les éditions Baleine viennent d'avoir l'heureuse idée de rééditer un  polar introuvable de François Brigneau, Faut toutes les buter, qui , en 1948, à sa sortie, sous le titre alors de Paul Monopol, avait reçu le Grand prix de la littérature policière... Mais voilà, Brigneau, ancien milicien et polémiste d'extrême-droite est un serviteur de la bête immonde, un infréquentable... Donc Daeninckx plie bagage : "Je rompt donc à ce jour toute relation avec les éditions Baleine. Je me félicite du fait que mes trois "Poulpe" soient sous contrat Folio. J’ai signé un contrat pour l’écriture d’un nouveau Poulpe. L’encre en restera dans le stylo. Baleine pourra se rembourser de l’avance en prélevant une somme identique sur le versement Folio prévu pour la sortie d’Ethique en toc en Folio."

    Donc, si nous résumons, Daeninckx quitte Brigneau pour rejoindre A.D.G dans le catalogue de Folio ! Tout cela est fort amusant...

    Pour en revenir à l'essentiel, c'est à dire le livre de Brigneau, voilà la présentation de l'éditeur:

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    « J'ai enlevé le cran, dans ma poche.J'ai glissé du tabouret. Ils n'attendaient que ça. J'ai tout de suite eu Riton la Limace sur les bras. Il a sorti son lingue. Il a frappé, en remontant. Il m'a raté. D'un poil. Ça suffisait. Il a eu ma droite dans la gueule et mon genou, aussi sec, dans les siamoises. J'ai entendu que ça craquait. C'était un mec qui devait faire de la décalcification. Alors, j'ai plus attendu. Je lui ai foutu deux coups de boule dans la tête. Il a commencé à saigner. J'avais son raisiné, tout poisseux, sur la gueule. C'était bon. »

    Un chef-d'oeuvre, tout en argot.

    Le premier chapitre du livre est mis en ligne sur le site du Cabinet de curiosités.

     

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  • L'héritage de Jacob

    L'histoire des Juifs à travers le prisme de la génétique... Une entreprise un peu scabreuse, non ? Pas pour David B. Goldstein, professeur de génétique et de microbiologie aux Etats-Unis, qui a publié en 2008 Jacob's Legacy, un ouvrage qui vient d'être traduit en français sous le titre L'héritage de Jacob - L'histoire des Juifs à travers le prisme de la génétique et qui va paraître prochainement aux éditions Denoël.

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    "Qui sont les Juifs? D'où viennent-ils? Quel rapport entre un prêtre du Temple de Salomon et un baigneur sur une plage de Tel-Aviv?
    Ces questions sont au centre du livre, stimulant et provocateur, de David Goldstein. Dans un langage clair et accessible il y expose les découvertes récentes sur l'ADN des populations juives à travers le monde et les confronte aux traditions orales et écrites pour raconter l'histoire d'un peuple singulier.
    En détective remontant le cours du temps, David Goldstein se penche notamment sur la destinée du chromosome Y chez les descendants des prêtres du Temple, la judéité des Lemba d'Afrique du Sud, la diversité de la diaspora, le rôle des femmes dans la transmission de l'identité juive ou les implications médicales des découvertes génétiques.
    Sans limiter la judéité à une question de gène, L'Héritage de Jacob offre une réponse salutaire à ceux qui entendent réduire le peuple juif à une simple construction culturelle. Par son approche originale, David Goldstein enrichit même la conception traditionnelle de ce qu'être juif veut dire et renouvelle notre vision de l'histoire des peuples."

    On peut considérer ce livre comme une réponse à celui de Shlomo Sand, Le peuple juif existe-t-il, qui a provoqué un vif débat en Israël ainsi que dans la communauté juive en France et aux Etats-Unis.

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  • Le spectacle du monde de février est en kiosque !

    Le numéro de février 2010 de la revue mensuelle Le Spectacle du Monde est en kiosque depuis quelques jours. A noter l'article de Michel Marmin sur le retour du péplum et celui, remarquable, d'Alain Kimmel sur la fin de la méritocratie, et bien sûr la chronique d'Eric Zemmour.

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    Au sommaire :
    Actualité

    Images et cartes du mois
    Figures du mois
    Séisme, Mafia, vaccin, etc. , la chronique de Patrice de Plunkett
    Requiem et grands remords, la chronique d’Eric Zemmour
    Un brin d’impertinence, la chronique de Bertrand de Saint Vincent
    La CIA compte les jours d’Obama, par François d’Orcival, de l’Institut
    Robert Littell : “S’inspirer des manuels soviétiques”, propos recueillis par Gérald Olivier

    Dossier : les élites

    Grandes écoles, la fin de la méritocratie, par Alain Kimmel
    Ecole, la grande duperie, par Fabrice Madouas

    Histoire

    Churchill, la rage de vaincre, par Paul-François Paoli

    Civilisation

    Sylvain Gouguenheim : “Je serai toujours suspect aux yeux de certains”, propos recueillis par Paul-François Paoli

    Culture

    Russie, les paradoxes de l’âme slave, par Bruno de Cessole
    Mikhaïl Rudy : “Une musique universelle aux racines nationales”, propos recueillis par Léa Sczerba
    Jacques Catteau, dans l’ombre de Dostoïevski, par Anne-Sophie Yoo
    Eric Rohmer, “le druide prophétique”
    , Entretien avec Jean Parvulesco, propos recueillis par Arnaud Guyot-Jeannin
    Péplum, le grand retour,
    par Michel Marmin
    Biopics, la vie des autres,
    par Nicolas d’Estienne d’Orves
    Guide livres

    Art

    Turner, dans la lumière des maîtres, par Henri Soldani
    A Londres, dans les pas de Turner
    , par Jean-Louis Thieriot
    Guide expositions
    , par Marie-Laure Castelnau
    Architecture, objets de scandale
    , par Marie-Douce Albert
    Paris inondé, Paris submergé
    , par Marie-Laure Castelnau

    Art de vivre

    Rio de Janeiro, une ville aux mille visages, par par Hervé Bentégeat
    Marché de l’art
    , par Noëlle Joly

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  • James Ellroy, agent provocateur

    Jérôme Leroy a publié dans Valeurs actuelles (11 février 2010) un beau papier sur le dernier roman de James Ellroy, Underworld USA, paru chez Rivages.

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    James Ellroy, agent provocateur

    Fresque totale mêlant l’historique et l’intime, “Underworld USA” est l’histoire pleine de bruit et de fureur de l’envers ténébreux de l’Amérique des quarante dernières années, racontée par un romancier au sommet de son art.

    On oublie trop souvent que la littérature, comme l’infanterie, est l’arme des cent der­niers mètres. On a beau préparer le terrain avec l’artillerie de la documentation, avec des bombardements massifs de données, d’archives, de témoignages, il faudra toujours se préparer au corps à corps décisif pour remporter la victoire. Une vic­toire sur le temps et les choses cachées depuis la création du monde, sur l’opacité des amours perdues, des crimes sans rédemption et des spasmes occultes de l’Histoire.

    Seuls quelques rares romanciers semblent équipés pour affronter ces intuitions ruineuses, ces vérités ambiguës et cette « approbation de la vie jusque dans la mort », aurait dit en son temps Georges Bataille.

    James Ellroy fait partie de cette confrérie très fermée. Sur la scène américaine, on peut même penser que, depuis la mort de Norman Mailer, il ne reste plus, en ce domaine, que Don DeLillo et lui pour convoquer l’indicible sur des centaines de pages.

    Ils ont d’ailleurs tous les trois – mais est-ce un hasard ? – traité à un mo­ment donné d’un sujet identique avec la même minutie obsessionnelle, le même hyperréalisme psychotique, le même génie inquiétant : l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, un jour de novembre 1963 à Dallas. Ils en ont fait autre chose qu’une banale his­toire de complot où Lee Harvey Oswald aurait été l’idiot utile de la Mafia, du lobby militaro-industriel et des Cu­bains anticastristes. Ils ont, chacun à sa manière, transformé l’événement en une mythologie fondatrice d’une histoire américaine violente et flamboyante, occulte et féroce, épique et atroce. Pour Mailer, ce fut Oswald, un mystère américain, pour Don DeLillo Libra et pour James Ellroy American Death Trip, deuxième volet d’une trilogie dont Underworld USA qui vient de paraître est le dernier volume.

    Pour Don DeLillo, l’écrivain est une autre figure du terroriste et de l’assassin. C’est cette déclaration hal­lucinée dans Mao II, l’un de ses meilleurs romans, qui met les choses au point : « C’est le romancier qui com­prend la vie secrète, la rage qui sous-tend toute obscurité ou tout abandon. Vous êtes plus ou moins meurtriers pour la plupart. »

    Pour James Ellroy, l’écrivain est plu­tôt un espion dix fois retourné, un infiltré aux fidélités contradictoires, aux étranges loyautés qui ne sait plus quel maître il doit servir pour atteindre le cœur du secret, comme nous le dit l’un de ses mystérieux narrateurs dans la déclaration liminaire d’Underworld USA : « Ce livre est construit sur des documents publics et des journaux intimes dérobés. Il représente la somme de mon aventure personnelle et de quarante années d’études approfondies. Je suis à la fois un exécuteur littéraire et un agent provocateur. »

    Et vont suivre sous la plume de “l’agent provocateur” James Ellroy huit cents pages polyphoniques pour couvrir la période allant du lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, en 1968, à la mort, en mai 1972, de J. Edgar Hoover, l’inamovible patron d’une police politique appelée FBI et à la campagne pour la réélection de Nixon portant déjà en germe le scandale du Watergate.

    « Violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants », disait déjà Alexandre Dumas. James Ellroy a suivi le conseil à la lettre, avec la soyeuse brutalité d’une écriture qui scande autant qu’elle caresse, une écriture qui dira avec la même conviction com­ment un commando anticastriste scalpe des garde-côtes cubains ou comment on peut se consumer d’amour pour une femme de quinze ans plus âgée, comment on peut à la fois être un ancien flic ra­ciste flingueur de Nègres dans les ghettos de Los Angeles ou de Las Vegas et l’amant d’une syndicaliste noire à qui l’on va consa­crer sa vie et toute son éner­gie pour retrouver le fils disparu.

    Ellroy sait que l’électricité, l’énergie d’un roman comme Underworld USA qui ambitionne la fresque totale ne peuvent circuler que dans la friction per­manente entre l’intime et l’historique. Pour l’historique, Ellroy nous em­mène chez Howard Hughes, en pleine paranoïa hypocondriaque et raciste, entouré de ses gardes mormons et achetant à prix d’or les hôtels de Las Vegas à la Mafia.

    Nous nous retrouvons aussi, et c’est une sacrée épreuve, dans la psyché en décomposition de J. Edgar Hoover, qui monte des opérations de plus en plus compliquées et kafkaïennes pour déstabiliser le nationalisme noir des Black Panthers ou les groupes hippies pour la paix, se croyant toujours à l’époque où il luttait contre la subversion communiste. Un Hoover qui angoisse même à propos des chansons qui passent à la radio en cet été 1968, et notamment Tighten Up, jouée par Archie Bell and the Drells : « Cette chanson propage une atmosphère d’insurrection et d’activité sexuelle. Je suis sûr que les libéraux blancs lui trouveront un air d’authenticité. J’ai demandé à l’A.S.C. de Los Angeles d’ouvrir un dossier sur M. Bell et de déterminer l’identité de ses Drells. »

    Pour Ellroy, l’histoire et la vérité sont liées par d’étranges rapports

    Sans compter que l’on croise à plusieurs reprises un Nixon qui doit se raser trois fois par jour pour ne pas avoir l’air d’un margoulin vendeur de voitures d’occasion et le président Balaguer, de la République dominicaine. Balaguer est un nabot cruel faisant la danse du ventre auprès de la Mafia qui veut installer ses casinos et les infrastructures touristiques qui vont avec dans une dictature qui ne risque pas de basculer du côté des rouges.

    Évidemment, tous ces personnages, qui ont réellement existé selon la formule consacrée, sont liés par des pactes plus ou moins sanglants imaginés par un James Ellroy pour qui l’histoire et la vérité entretiennent ces étranges rapports que définissait déjà l’Arioste : « Si tu veux que le vrai ne te soit pas caché/Retourne entièrement l’histoire en son contraire,/Les Grecs furent vaincus, Troie fut victorieuse/ Tandis que Pénélope fut une catin. »

    Pour rendre crédible, terriblement crédible cette vision, Ellroy a créé d’autres personnages, purement fictifs ceux-là, mais dont l’épaisseur et la cohérence rendent la présence inoubliable. Il y a d’abord les vieilles con­naissances des romans précédents comme Wayne Teadrow junior, ancien policier, chimiste, drogué, rongé par la culpabilité, parricide et homme de confiance d’Howard Hughes. Ou Dwight Holly, première gâchette de Hoover, violent, tendre et désespéré par les combats douteux qu’il doit mener. Ces deux hommes sont évi­demment amenés à se croiser, à se jauger, alliés de circonstance habités par les mêmes obsessions, le même désir de rédemption et l’amour pour des femmes qu’ils ne devraient pas aimer, comme pour Holly Karen Sifakis, militante gauchiste et professeur d’université dont le journal intime nourrit les plus belles pages du livre.

    Un écorché vif caché sous une réputation de machiste réac

    C’est que l’on oublierait à quel point Ellroy, derrière sa réputation d’ultraconservateur machiste et homophobe, est avant tout, de par son propre itinéraire, un écorché vif. L’adolescent voyeur, voleur et toxicomane qu’il fut est pour toujours obsédé par la mort de sa mère, assassinée un jour de 1958, alors qu’il avait 10 ans, sans que le coupable soit jamais retrouvé.

    Il raconte tout cela dans Ma part d’ombre, son autobiographie bouleversante. Il en fait aussi le thème central du premier roman qui le fera vraiment connaître, le Dahlia noir, inspiré d’une célèbre affaire qui rappelle la mort de sa mère : l’assassinat, en 1947, d’une starlette d’Hollywood, Elizabeth Short, jamais élucidé non plus.

    Cet amour fou pour les femmes, qu’il voit comme les cibles privilégiées de tous les prédateurs, fait de James Ellroy une exception dans le roman noir. Elles ne sont chez lui ni fatales ni éplorées. Elles sont des présences vivantes, des figures fortes et vulnérables à la fois, capables de sacrifices dans un univers totalement corrompu qui a perdu jusqu’au sens de ce mot. Ainsi en va-t-il dans Underworld USA pour Karen Sifakis mais aussi pour Joan Rosen Klein, “la déesse rouge” qui traverse le roman avec sa chevelure noire et ses étranges cicatrices.

    Mais le nouveau venu le plus étonnant est sans aucun doute la projection directe d’Ellroy lui-même, le jeune Don Crutchfield. Il a 23 ans, joue le chauffeur pour des détectives privés, recherche sans espoir sa mère qui l’a abandonné, s’acoquine avec Mesplède, un mercenaire français déjà présent dans le précédent volume, ancien de l’OAS, tueur de Kennedy et toujours animé par une rage anticommuniste qui le pousse à des expéditions suicidaires et violentes sur les côtes cubaines. Mesplède ne parvient pas à pardonner le cauchemar de la baie des Cochons et nomme son petit bateau de guerre personnel PT 109, du nom donné au modèle de vedette lance-torpilles commandé par le jeune Kennedy dans le Pacifique pen­dant la Seconde Guerre mondiale, « pour dif­famer de façon ironique l’homme que j’ai tué à Dallas ».

    Pour Crutchfield, Mes­plède est le père satanique, celui qui lui apprend à tuer, et de la manière la plus impardonnable qui soit, c’est-à-dire gratuitement. Avec Crutchfield, qui se retrouve involontairement au cœur de toutes les intrigues mortifères d’Underworld USA, Ellroy a créé un véritable Candide du roman noir, à la fois pervers et angélique, qui est bel et bien, au bout du compte, le démiurge de cette histoire pleine de bruit et de fureur racontée par cet idiot sur­doué.

    Underworld USA mar­que aussi chez Ellroy un point d’équilibre qui n’était pas toujours au rendez-vous dans ses précédents ro­mans, où l’innovation formelle, le travail trop poussé sur la musicalité du style, com­me dans White Jazz, nui­saient à la narration. Cette fois-ci le dosage habituel entre coupures de presse, mémos du FBI ou de la CIA, lettres volées et journaux intimes est impeccablement maîtrisé.

    On se souviendra pour terminer de la scène inaugurale de Brown’s Requiem, le tout premier roman de James Ellroy, alors qu’il était encore caddy sur les greens de Los Angeles : un homme sort sa télévision dans sa cour et la détruit en tirant dessus au fusil à pompe. On peut y voir une jolie métaphore sur la force de l’écriture contre l’image ou alors, si vous pré­férez, un simple conseil technique pour être certain de n’être distrait par rien quand vous commencerez la lecture de ce monument appelé Underworld USA.

    Underworld USA, de James Ellroy, Rivages, coll. “Thriller”, 848 pages, 24,50 euros.

    Toute l’œuvre de James Ellroy est disponible aux éditions Rivages.

    (Source : Valeurs actuelles, 11 février 2010)

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