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  • A gauche, toute !

    Les éditions du CNRS ont publié en mai 2009 un recueil d'articles et de préfaces de Christophe Bourseiller, sur le thème de la gauche radicale et de ses différentes "chapelles". La partie la plus intéressante de l'ouvrage est consacrée au situationnisme et à Guy Debord.

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    "L’extrême gauche est là. Dans les esprits. Dans les médias. Dans les rues. Mais que représente-t-elle vraiment ? En a-t-elle fini avec la violence révolutionnaire ? Marque-t-elle l’avènement d’un nouveau populisme ou d’un nouveau réformisme ? Va-t-elle devenir, électoralement, un cauchemar pour la gauche et une aubaine pour la droite ? Qu’en est-il surtout de cette nébuleuse ? Néo-staliniens, libertaires, anarcho-syndicalistes, situationnistes, altermondialistes, comment s’y retrouver ? Le Nouveau Parti Anticapitaliste d’Olivier Besancenot parviendra-t-il à dépasser le trotskisme ? Nathalie Arthaud saura-telle endosser la défroque d’Arlette Laguiller ? Et que penser quand la gauche de la gauche semble se rapprocher des islamistes ? N’hésitant pas à briser les tabous, brossant un tour d’horizon complet, avec ce livre qui constitue à la fois une étude documentée, une analyse rigoureuse et une somme passionnante, Christophe Bourseiller décrypte de manière inégalée les secrets d’une famille politique étonnamment française et en pleine révolution."
     

    Écrivain, Christophe Bourseiller est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, parmi lesquels Vie et Mort de Guy Debord, Les Maoïstes. Il est par ailleurs professeur à Sciences Po.

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  • Le Jeu de la Guerre

    Théoricien du situationnisme, écrivain, cinéaste , buveur, Guy Debord était aussi passionné par la réflexion stratégique et paraît aussi avoir aimé les jeux mettant en oeuvre ce type de réflexion. Il a, ainsi, lui-même créé un jeu , le Jeu de la Guerre, qui modélise un conflit du 18e siècle et permet de mettre en application les préceptes stratégiques de Clausewitz.

    Le livre Le Jeu de la Guerre, récemment réédité chez Gallimard, reprend les règles du jeu et présente à leur suite une partie commentée.

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    On peut découvrir le jeu ici.  Par ailleurs, une version informatique gratuite du jeu est diponible ici en accés libre et permet d'affronter des adversaires à distance.

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  • Alain de Benoist sur Radio Courtoisie !

    Alain de Benoist sera le 10 février 2010, de 19 h 30 à 21 h, l’invité d’Emmanuel Ratier sur Radio-Courtoisie. Radio Courtoisie peut être écoutée en direct sur internet. On peut trouver des informations sur les programmes de cette radio sur ce site (non-officiel) : Radio Courtoisie, le blog.
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  • Pour « Rébellion », le socialisme est toujours une idée neuve

    Publié en mai 2009 aux éditions Aléxipharmaque, Rébellion, l'Alternative Socialiste Révolutionnaire Européenne, rassemble sous la signature de Louis Alexandre et de Jean Galié un ensemble de textes parus dans la revue Rébellion depuis 2003. "A l’Etat capitaliste, Rébellion oppose la Nation des travailleurs, à l’européisme technocratique la fédération européenne des peuples socialistes, au projet mondialiste le monde multipolaire débarrassé de l’impérialisme". Le livre est précédé d'une longue préface d'Alain de Benoist. Nous reprenons ici la chronique qu'a fait de ce livre Pierre le Vigan dans la revue Eléments (n°132, juillet-septembre 2009).

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    Pour « Rébellion», le socialisme est toujours une idée neuve

     

    Rébellion. C’est le nom d’un groupe et d’une revue. C’est maintenant un livre, présenté par Louis Alexandre et Jean Galié. Qui sont-ils : de jeunes gens qui réfléchissent au-delà des clivages partisans, qui refusent de se laisser enfermer dans les catégories de gauche et de droite instrumentalisées par l’hyperclasse mondialiste pour que rien ne change vraiment. Que veulent-ils : lutter contre le despotisme du capital, sortir de l’aliénation capitaliste et salariale. Sortir d’un monde à la fois monoforme et unipolaire. Ecrire pour cela ? Précisément, face au capital, il est subversif de continuer à penser et à écrire, même si on ne saurait se limiter à cela : il faut passer d’une critique théorique à une pratique critique. « Tout progrès vient de la pensée et il faut donner d'abord aux travailleurs le temps et la force de penser » disait Jean Jaurès en octobre 1889. Penser reste le premier acte d’émancipation sociale : c’est d’ailleurs pour cela que la pensée même est criminalisée de plus en plus souvent.

    La revue Rébellion du groupe éponyme a publié des entretiens avec des intellectuels comme Georges Corm, Alain Soral, Claude Karnoouh, André Bellon ou encore Alain de Benoist. C’est ce dernier qui a préfacé, en fin analyste des catégories politiques et des mouvements d’idées, le livre Rébellion, sans cacher sa sympathie pour la perspective socialiste révolutionnaire de cette jeune équipe. L’idéal du groupe Rébellion est celui d’une communauté militante, ce qui évoque à la fois Ernst Jünger dans les années 20 et le bolchévisme. Qu’est-ce que le socialisme pour Rébellion ? On pourrait répondre que c’est l’esprit de révolte. C’est cela mais pas seulement. C’est un régime où la satisfaction des besoins prime sur la recherche du profit. Pour être classique, cette définition reste sans doute indépassable, sachant bien sûr que les besoins ne sont pas seulement matériels mais relèvent de la nature de l’homme : besoin de liens, besoin de chaleur, de reconnaissance, etc. L’homme n’a pas seulement besoin de pain et d’un toit.

    Les auteurs ont compris l’importance de se situer dans une continuité historique du socialisme, et d’identifier certaines figures majeures et fondatrices. Parmi celles-ci se situe Pierre-Joseph Proudhon, mutualiste et fédéraliste, et Marx bien sûr, dont la critique de Proudhon a d’ailleurs été plus nuancée qu’on ne le dit en général.

    Il y a aussi des événements emblématiques. C’est le cas de la Commune de Paris, avec Eugène Varlin, Louise Michel, Benoit Malon, Edouard Vaillant ou encore l’officier Louis Rossel. Les auteurs soulignent à juste titre que tout un courant socialiste, avec Bakounine, mais avec Marx lui-même, a défendu le principe de l’autonomie ouvrière et populaire qui était celui de la Commune de Paris comme une pratique révolutionnaire profondément nécessaire. Elle n’était au demeurant pas spécifique à Paris puisqu’il y eut des ébauches de Communes à Lyon, Marseille, Limoges, Toulouse, Narbonne, le Creusot, … La Commune est pour Marx une première ébauche de dépassement de l’Etat comme structure parasite de la société, au service de la domination bourgeoise.

    Pour Rébellion, le socialisme est aussi une figure morale. C’est pourquoi un portrait est consacré à la belle figure panthéiste, libre et socialiste de Jack London, ou encore à l’irlandais James Connolly, indissociablement socialiste et combattant d’un nationalisme de libération. Les portraits les plus inattendus sont sans doute ceux de Heinrich Laufenberg et de Fritz Wolffheim. Ce sont des socialistes révolutionnaires ou encore des nationaux communistes bien plus que des « nationaux bolchéviks ». Bolchevik, un mot qui signifie « majorité », n’a de sens précis que pour désigner une fraction, d’ailleurs minoritaire, qui était celle de Lénine, du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie avant 1914 (social démocrate ne voulait alors pas du tout dire « socialiste réformiste »).

    Dés 1917, Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim défendent l’idée des conseils ouvriers. Ce doit être pour eux la source nouvelle du pouvoir exécutif. Hostiles à la guerre et à l’Union sacrée, qui se met en place en Allemagne comme en France, ils ne désertent toutefois pas. Ils développent avec les socialistes de Hambourg les thèses d’une « révolution par le bas », décentralisatrice, à l’opposé du léninisme bolchevik. Ils appellent à l’unité des classes laborieuses à l’exception de la grande bourgeoisie et appellent à l’appropriation de l’idée nationale par les travailleurs dans le cadre de la construction d’une « Nation socialiste ».

    Un temps membre du parti communiste allemand (KPD), H. Laufenberg et F. Wolffheim en sont exclus et créent le parti communiste ouvrier allemand (KAPD) où se retrouvent notamment Otto Rühle et Paul Mattick, ce dernier étant une autre figure inspiratrice du groupe Rébellion. Le KPD reprendra l’orientation très « nationale » du KAPD mais bien entendu pas du tout la critique du « capitalisme bureaucratique d’Etat » qui tint lieu de socialisme en URSS.

    Une autre figure majeure pour nos auteurs est Georg Orwell, engagé pendant la Guerre d’Espagne dans le POUM, Parti ouvrier d’unification marxiste, liquidé par les communistes staliniens. Orwell dénonça ensuite tous les totalitarismes, y compris celui des sociétés dites « libérales », le totalitarisme de l’homme machinal. Orwell disait que le socialisme, c’est de se demander : « Qu’est-ce qui rend l’homme plus humain ? », ce qui suppose d’avoir une idée juste de l’homme et de ne le réduire ni à un producteur ni à un consommateur. Les auteurs s’attachent aussi aux figures de Hans et Sophie Scholl, et Christoph Probst, de la Rose Blanche, résistants au nazisme et patriotes allemands qui furent guillotinés en 1943.

    Les parties philosophiques et théoriques du livre ne sont pas moins riches. Outre une belle synthèse de la philosophie politique, qui prend parti pour Althusius contre Jean Bodin, en une opposition frontale qui gagnerait à être nuancée, le portrait philosophique de Lucian Blaga permet de découvrir un auteur roumain peu connu. Pour L. Blaga, c’est la compréhension des horizons éthiques et esthétiques qui transforme la vie en destin. Critique du racialisme biologique, Lucian Blaga développe l’idée d’une « matrice stylistique » qui donne vie et sens aux individus et aux peuples. Ainsi l’homme n’est pas « citoyen du monde » - qu’il ne le soit pas ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’enjeux planétaires - mais l’homme est au contraire inscrit dans un paysage, d’où l’importance du thème du village chez L. Blaga, thème évidemment un peu daté.

    L’article « Orientations nationales-bolchéviques » a l’inconvénient de reprendre un terme ambigu, très marqué par la fascination pour les méthodes léninistes dont il est prouvé qu’elles ont servi d’exemple à Hitler lui-même (Ernst Nolte). Mais c’est bien sûr à Ernst Niekisch qu’il est fait référence, avec le lien entre conscience de classe et libération nationale. E. Niekisch tenta d’influencer le SPD de l’intérieur vers le nationalisme après la défaite allemande de 1918, puis fonda ses propres groupes « nationaux bolchéviques » notamment en lien avec Karl-Otto Paetel. Il fut constamment hostile au régime hitlérien.

    Compte tenu de l’absence en France de quelque chose comme le « national bolchévisme », il est heureux que les équipes de Rébéllion se définissent non comme « nationaux bolchéviques » mais comme « communistes nationaux » (p. 174 et 175). Ce communisme national postule l’analyse de classe et la lutte de classe, c’est pourquoi il se distingue des nationaux-socialistes de gauche antihitlériens du type le Front Noir d’Otto Strasser et des divers « fascistes de gauche ». La nation est, pour le groupe Rébellion, un point d’appui pour la défense des intérêts des travailleurs et pour la construction d’une Patrie socialiste.

    Presque un siècle après la Commune de Paris, Mai 68 n’a certes pas été sanglant mais son importance est considérable. Les auteurs notent l’ambivalence du phénomène : d’un coté il y a le déploiement et la victoire de l’hédonisme et de l’idéologie libérale-libertaire, bien analysée par Michel Clouscard (et ensuite par Alain Soral), d’un autre coté il y a une tentative d’instaurer une autonomie ouvrière qui est le meilleur du socialisme même si ce n’est pas tout le socialisme. Ce dernier aspect est la constitution des travailleurs comme sujet historique au-delà de l’identification à un parti politique, le PCF. C’est « l’insurrection de l’être » (Francis Cousin) face à la Forme-Capital.

    L’article sur les syndicats appelle une remarque : la constitution de SUD n’est pas un échec par rapport à l’apparition de nouveaux rapports de force dans le paysage syndical, et SUD ne peut être mis sur le même plan que les embryons de syndicats FN qui n’ont jamais été une tentative sérieuse pour une raison simple : si pendant 10 ans le FN a été le premier parti ouvrier en terme de vote de cette catégorie sociale pour lui, il n’a jamais cherché à donner une place aux ouvriers ni dans ses instances dirigeantes ni dans son programme (a-t-il jamais proposé des interventions ouvrières dans la gestion des entreprises ?).

    C’est à juste titre, par contre, que Rébellion défend la place du politique. Les Conseils ouvriers ne peuvent exister durablement que dans le cadre d’une République sociale, et non d’une république bourgeoise. De même notent-ils à propos que la « société de l’indifférence » (Alain-Gérard Slama) laisse le champ libre à la fois au tribalisme et au totalitarisme technicien des sociétés hypermodernes de contrôle total. L’indifférence alimente la transparence qui permet le contrôle total. « L’opéra mythologique mondialiste des grandes machineries financières et terroristes ne va pas cesser de tenter d’intensifier le contrôle technique et policier de la planète à mesure qu’il va perdre de plus en plus la capacité de se contrôler lui-même. » écrit de son coté Gustave Lefrançais. Mais il y a bien sûr des soulèvements qui laissent penser que l’indifférence a peut être atteint ses limites.

    Quand les auteurs s’interrogent sur la ville, c’est avec une même justesse. L’hypermodernité produit la ségrégation dans la ville et la segmentation de la ville, la paix sociale est achetée par l’argent public, des zones de non droit, de délinquance, de ghettos, de chômage, de laideur et d’isolement sont délibérement sacrifiées. Les auteurs proposent un urbanisme inspiré de Michel Ragon et de Michel de Sablet (mais ne semblent pas avoir lu Le Vigan !), avec un désengorgement des grandes villes.

    L’approche de l’écologie est complémentaire. Elle ne nie pas la nécessité d’un développement social, tout différent du productivisme économique. Les auteurs opposent à un courant de l’ « écologie profonde » anti-humaine, une écologie sociale inspirée de Murray Bookchin, un communiste libertaire américain, et de Pierre Kropotkine. Selon Rébellion, la décroissance est un antidote illusoire à la « course aveugle à la croissance » : ce n’est pas parce que les classes dirigeantes font croire que plus est toujours mieux qu’il est judicieux de théoriser que mieux, c’est toujours moins. Le développement durable, dit l’équipe de Rébellion, ne doit pas être abandonné à ses récupérateurs. Ouvrant une parenthèse personnelle, je soutiens que le développement durable poussé jusqu’au bout est un développement social de tout l’homme et de tout dans l’homme. Il revêt une dimension profondément transformatrice et révolutionnaire, tandis que la théorie de la décroissance court le risque d’être assimilée à une valorisation de la récession et de son cortège de souffrances sociales accrues.

    L’immigration est un sujet majeur qu’il fallait aborder. Du point de vue libéral, l’homme est une marchandise et même la première des marchandises. Or, le libéralisme veut la libre circulation des marchandises et donc des hommes. Il la veut à son profit. L’immigration participe de la chosification de l’homme tout comme de la destruction des nations et des identités. L’immigration dite « choisie » - par le grand capital – vide les pays du tiers monde de leurs élites, et tend à accroître l’immigration de la misère et l’immigration de peuplement, notamment l’immigration clandestine souvent supérieure à 10 % de l’immigration légale. Ces transfusions de populations, cette allogénisation est masquée par le fait que les naturalisations massives par le droit du sol maintiennent le nombre apparent d’étrangers à un pourcentage à peu près stable malgré environ 200 000 entrées légales en France par an.

    Les auteurs remarquent justement que le regroupement familial de 1975 a été voulu, alors que les travailleurs immigrés s’engageaient de plus en plus dans les luttes sociales, comme le moyen de les « stabiliser » et de freiner leurs ardeurs combatives en leur donnant une famille à faire vivre. Bien entendu, le chômage de masse a changé la donne très vite. Il n’en reste pas moins, à mon avis, que l’immigration continue de peser à la baisse sur les salaires, mais aussi de diviser la classe ouvrière, en opposant les « petits blancs » qui se lèvent tôt, aux assistés, soit par manque de qualifications, ou de motivation, ou décalage culturel. De fait, les immigrés ayant perdu leurs repères culturels d’origine sans en avoir acquis de nouveau, sont sans tradition de lutte sociale à l’européenne.

    Immigrés non assimilés et Français déracinés dans des quartiers qui perdent leur francité, qui subissent un néo-tribalisme violent et une libanisation-ghettoisation de notre société tendent tous deux à devenir de véritables machines à consommer et/ou à déprimer (ce n’est pas incompatible, bien au contraire), zombies d’une société machinale qui a très exactement besoin de ce type humain (français ou immigrés) qui ne pensera jamais et ne pourra jamais « faire la révolution ».

    Mais justement, quel cadre adopter pour cette révolution sociale ? Si le groupe Rébellion est pour l’unité politique de l’Europe, c’est parce que la France seule est impuissante et parce que le régionalisme n’a pas d’avenir s’il est un séparatisme. L’Europe fédérale du peuple et du travail est la nouvelle patrie de Rébellion. C’est Jean Jaurès, qui n’était pas précisément un socialiste révolutionnaire, qui disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques » (1903). C’est un précepte plus actuel que jamais

    Pierre le Vigan (article publié dans la revue Eléments, n°138, juillet-septembre 2009)

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  • La politique de l'oxymore

    La politique de l'oxymore est un essai de Bertrand Méheust publié en 2009 aux éditions de La Découverte.

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    "Les démocraties modernes possèdent-elles les ressorts nécessaires pour prévenir et affronter la catastrophe écologique due au réchauffement climatique ? Comme l’explique Bertrand Méheust, ce n’est pas de l’écologie libérale et du « développement durable » que viendra la réponse : ces discours consistent à graver dans l’esprit du public l’idée que l’écologie est compatible avec la croissance et même mieux, qu’elle la réclame afin de masquer l’incompatibilité entre la société globalisée dirigée par le marché et la préservation de la biosphère.
    Un univers mental ne renonce jamais à lui-même si des forces extérieures ne l’y contraignent pas. Le système a saturé tout l’espace disponible et est à l’origine de tensions de plus en plus fortes. Pour les masquer, ceux qui nous gouvernent pratiquent la politique de l’oxymore. Forgés artificiellement pour paralyser les oppositions potentielles, les oxymores font fusionner deux réalités contradictoires : « développement durable », « agriculture raisonnée », « marché civilisationnel », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », « mal propre », etc. Ils favorisent la destruction des esprits, deviennent des facteurs de pathologie et des outils de mensonge.
    Plus l’on produit d’oxymores et plus les gens sont désorientés et inaptes à penser. Utilisés à doses massives, ils rendent fou. Ainsi, si le pouvoir de Sarkozy fait rupture, c’est par la production et l’usage cynique, sans précédent dans la démocratie française, d’oxymores à grande échelle."

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  • L'esprit français

    A l'heure du débat sur l'identité nationale, nous reproduisons ici un beau texte d'Alain de Benoist sur l'esprit français, paru dans le numéro de janvier 2010 de la revue Le Spectacle du Monde.

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    L'esprit français au fil de ses penseurs

    Indisciplinés, brillants, spirituels, arrogants, donneurs de leçons, hâbleurs, séducteurs, élégants, futiles, experts en galanterie, amateurs de bons mots, frondeurs, joueurs, cartésiens, nuls en langues étrangères, chauvins bien sûr – tous ces termes n’ont cessé d’être employés pour parler des Français.

    esprit français 1.jpgExpression récurrente du discours sur la France, l’“esprit français” renvoie à une construction de l’imaginaire liée à certaines valeurs jugées fondatrices de l’identité nationale et assumant une fonction à la fois narrative, idéologique et symbolique. En 1920, le sociologue Célestin Bouglé voyait dans l’esprit français le « ressort intérieur » et la « force profonde de notre civilisation ». Il a même paru à Paris, de 1929 à 1933, un hebdomadaire littéraire intitulé l’Esprit français. Depuis la Renaissance jusqu’au général de Gaulle, c’est au nom d’une « certaine idée de la France » que les Français ont réclamé une place dans le monde. Mais quelle idée ?

    « L’esprit français ne se laisse pas aisément définir », remarquait déjà en 1917 Gustave Lanson, qui expliquait cette difficulté par le fait que « tous les tempéraments, tous les caractères se manifestent en France, et cela en proportions plus égales qu’ailleurs ». Le fait est que l’on n’a cessé de caractériser l’esprit français de façon contradictoire. A peine attribue-t-on aux Français tel ou tel trait caractéristique que des exceptions se présentent à l’esprit. Lorsque l’on lit les auteurs classiques, on n’en voit pas moins les mêmes mots revenir avec une belle régularité. Les adjectifs les plus employés sont : gais, polis, élégants, spirituels. Les Français sont des « gens d’esprit », ils savent pratiquer l’« art délicat de la louange », ils ont à l’extrême l’« esprit de conversation », ils prisent par-dessus tout la « clarté » et la « précision ». Au XVIIIe siècle, l’élégance et l’esprit de conversation, qui triomphent dans les salons, souvent dirigés par des femmes, retiennent l’attention de l’Europe entière, qui ne manque pas de citer les “bons mots” qu’on y entend. Kant lui-même affirme que « la nation française se caractérise entre toutes par son goût de la conversation ».

    « Je ne fay rien sans gayeté », écrivait Montaigne. Bien après lui, Montesquieu, parlant des Anglais, écrit que « leurs poètes auraient plus souvent cette rudesse originale de l’invention qu’une certaine délicatesse que donne le goût ». Rivarol oppose Molière à Shakespeare : « L’Anglais, sec et taciturne, joint à l’embarras et à la timidité de l’homme du Nord une impatience, un dégoût de toute chose, qui va souvent jusqu’à celui de la vie – le Français a une saillie de gaieté qui ne l’abandonne pas. »

    Au XIXe siècle, madame de Staël (la Littérature comparée dans ses rapports avec les institutions sociales) affirme que la nation française est en Europe celle qui a « le plus de grâce, de goût et de gaieté ». Elle assure que les Français, de tout temps, « ont excellé dans l’art de ce qu’il faut dire, et même de ce qu’il faut taire », qu’ils « parlent toujours légèrement de leurs malheurs, dans la crainte d’ennuyer leurs amis ». Dans ses Origines de la France contemporaine, Hippolyte Taine, qui dit préférer le « rire gaulois » au rationalisme latin, déclare que « le besoin de rire est le trait national » et que ce besoin est une « manière de philosopher à la dérobée ». Il ajoute que le Français est « capable d’atteindre les idées, toutes les idées, et les plus hautes, à travers le badinage et la gaieté ».

    Victor Considérant, disciple de Fourier, écrit de son côté que le peuple français est « le plus sociable, le plus actif, le plus intrépide, le plus gai, le plus audacieux, le plus passionné » de la Terre, ce qui s’explique par son « amour pour le mouvement, pour la gloire, pour les grandes choses, sa capacité pour l’honneur et pour l’enthousiasme, son esprit de corps, la disposition naturelle de l’individu à prendre le ton de la masse, la facilité chevaleresque avec laquelle il se plaît à s’exposer au danger ».

    C’est le thème du “panache”, qui porte si souvent les Français à admirer les grands hommes, surtout quand ils se posent seuls contre tous, aussi bien qu’à soutenir les causes perdues d’avance, mais d’autant plus sublimes, de Cyrano de Bergerac au général de Gaulle, voire à Dominique de Villepin ! « L’esprit français, disait Paul Deschanel, c’est la raison en étincelles ! » Jolie formule. Il n’a cessé de susciter quantité de propos lyriques, souvent teintés d’essentialisme naïf, sur la “France éternelle”.

    Ils ont aussi parfois tourné à la caricature. Durant la Première Guerre mondiale, époque à laquelle la “psychologie des peuples” est à la mode, tout une série de libelles opposent avec force la « civilisation française » à la « Kultur » allemande. Passionnément admirée en France au XIXe siècle sous le triple rapport de la philosophie, de l’histoire et du droit, la pensée allemande est dénoncée en 1914 comme un mélange de brutalité et de « barbarie » primitive. C’est l’époque où, avec Ernest Lavisse, chacun s’emploie à montrer l’âme française en tout point opposée à l’âme allemande, ou bien, avec Alfred Croiset, à opposer l’idéal français de « vérité et justice, raison et liberté » au « Moloch barbare » des Teutons ! esprit français 2.jpg

    On a en fait toujours les défauts de ses qualités. De même que la galanterie, fusionnée avec l’esprit rabelaisien, vire aisément à la gaillardise, l’ironie peut devenir dérision systématique, le bon mot laborieux calembour, et l’esprit de conversation simple goût du verbiage. La politesse peut être interprétée comme de la superficialité, la valorisation de l’élégance comme une preuve de futilité. « Les Français prennent les mots pour des faits », disait Moltke. Idée reprise par Alain Peyrefitte qui, dans le Mal français (1976), dénonçait l’« immobilisme convulsionnaire » des Français et leur propension au comportement « verbo-moteur » : « Nous admirons la parole et méprisons les faits. »

    « La vérité, écrivait en 1858 le critique littéraire Emile Montégut, est que la France, pays des contradictions, est à la fois novatrice avec audace et conservatrice avec entêtement, révolutionnaire et traditionnelle, utopiste et routinière. » « Une opinion très répandue, ajoutait-il, veut que le Français, être sans profondeur, n’ait aucun penchant aux spéculations abstraites, rêveries bonnes seulement pour les habitants des brouillards allemands. Or, il n’y a pas de peuple chez lequel les idées abstraites aient joué un aussi grand rôle, et où les individus soient aussi insouciants des faits et possédés à un aussi haut degré de la rage des abstractions. » C’est que le goût de l’abstraction n’est pas la philosophie.

    La France n’a eu au fond qu’un seul grand philosophe, René Descartes. Violemment dénoncée par Taine, la philosophie cartésienne, réduite à la simple faculté de distinguer le vrai du faux par un appel exclusif à la raison, n’en a pas moins été constamment instrumentalisée pour faire ressortir son caractère “français”, notamment lors de son annexion par l’école de l’éclectisme libéral, au moment de la monarchie de Juillet. Victor Cousin, dans ses Fragments de philosophie cartésienne, se dit ainsi convaincu que la méthode cartésienne est la bonne, tant du fait de « la grandeur et [de] la beauté morale de ses principes » que « parce qu’elle est française et a répandu sur la nation une gloire immense ».

    Au lendemain de la défaite de 1871, Renan écrit la Réforme intellectuelle et morale. S’interrogeant sur les causes du désastre, il ne s’en prend pas seulement aux « idées de 1789 », qui l’avaient séduit à l’époque où il écrivait l’Avenir de la science, mais aussi à l’« état moral de la France ». Il critique le goût des Français pour la guerre civile, leur désir de grandeur rarement assorti de l’acceptation des contraintes qu’il faut exercer sur soi pour y parvenir, le caractère superficiel de trop de leurs préoccupations : « Présomption, vanité puérile, indiscipline, manque de sérieux, d’application, d’honnêteté, faiblesse de tête, incapacité de tenir à la fois beaucoup d’idées sous le regard », etc. On retrouve des propos assez semblables chez Tocqueville ou Gobineau.

    L’hétérogénéité de la France explique peut-être aussi bien les divisions des Français que le caractère si contradictoire des traits qui leur ont été attribués. Comment pourrait-il en aller autrement, dans un pays qui, cas unique en Europe, possède à la fois des composantes méditerranéennes, alpines, celtiques et germaniques ?

    La thématique de « nos ancêtres les Gaulois », on l’a trop oublié aujourd’hui, est née d’abord de la volonté de contredire tous ceux pour qui les Français étaient d’abord les descendants des conquérants francs. Nombreux furent d’ailleurs les auteurs, depuis Boulainvilliers et Montlosier jusqu’à Taine, Flaubert et Gobineau, qui caractériseront l’histoire nationale par une lutte séculaire entre l’esprit “gaulois” ou “gallo-romain”, représenté par le tiers état et la bourgeoisie, et l’esprit “franc” ou “germanique”, incarné par la noblesse. Sous la IIIe République, le mythe de Vercingétorix prolonge les arguments hostiles aux Francs développés dès avant la Révolution par l’abbé Jean-Baptiste Dubos et l’abbé de Mably.

    Tandis que Michelet célèbre l’« unité organique » de la France, fondée sur la « fusion des races », d’autres au contraire ne se sentent vraiment solidaires que de l’une de ses composantes.

    A ceux qui, comme Maurras, proclament que la France est d’abord une nation latine, répondent ceux qui, de Gustave Le Bon à Céline et Alain Peyrefitte, n’ont que peu de sympathie pour les Méridionaux.

    Renan, pour qui la nation est un « plébiscite de tous les jours », écrit dans la Réforme intellectuelle et morale : « La France du Moyen Age est une construction germanique, élevée par une aristocratie militaire germanique avec des éléments gallo-romains. Le travail séculaire de la France a consisté à expulser de son sein tous les éléments déposés par l’invasion germanique, jusqu’à la Révolution, qui a été la dernière convulsion de cet effort […] Pourquoi le Languedoc est-il réuni à la France du Nord, union que ni la langue, ni la race, ni l’histoire, ni le caractère des populations n’appelaient ? […] Notre étourderie vient du Midi, et si la France n’avait pas entraîné le Languedoc et la Provence dans son cercle d’activités, nous serions sérieux, actifs, protestants et parlementaires ! »

    D’autres auteurs, tels André Chénier, Paul Vidal de La Blache (Tableau de la géographie de la France) ou Taine, insistent au contraire sur le caractère géographiquement “intermédiaire” de la France pour expliquer que l’esprit français se tient à égale distance de ce que Rivarol appelait les « opinions exagérées du Nord et du Midi ». Et Renan, tout opposé qu’il soit à la culture latine, n’en affirme pas moins que « la grandeur de la France est de renfermer les pôles opposés » et de pouvoir en proposer une synthèse. Vieille dialectique de l’unité et de la diversité.

    Mais en réalité, ce sont sans doute les grands traits de l’histoire politique des Français qui ont le plus contribué à former l’esprit français. A commencer par la centralisation administrative. L’unité française s’est en effet accomplie grâce à une forte centralisation : fille de l’identité de la loi, elle résulte de l’action obstinée des politiques et des juristes (ou des légistes). C’est ce que dénonceront Tocqueville et Renan, comme après eux Georges Sorel. Sous l’Ancien Régime, comme sous la République, le pouvoir a son siège à Paris et s’exerce de haut en bas. Les citoyens se sentent de ce fait éloignés des centres de décision. A une organisation autoritaire répond une résistance passive, qui peut prendre la forme du repli sur la vie privée, de la critique systématique, de la fronde, voire de la révolte. La méfiance et l’aversion vis-à-vis de l’ordre sont la règle. C’est peut-être pourquoi l’histoire de France abonde en révoltes populaires et en jacqueries.

    Plus encore que le peuple anglais ou le peuple espagnol, le peuple français est né de l’existence d’une nation elle-même créée par l’action volontaire de l’Etat (l’agrandissement du « pré carré »), tandis que dans les terres d’Empire, c’est bien plutôt le peuple qui a créé la nation, laquelle a fini par se doter d’un Etat. Il en résulte qu’en France, citoyenneté et nationalité sont synonymes.

    Au XVIIIe siècle, se répand en France l’idée d’une origine contractuelle des nations : un jour, des hommes se sont rassemblés pour former une nation. C’est l’idée commune à Locke, Montesquieu et Rousseau. Il n’y a donc pas de naturalité du fait collectif et l’homme n’est pas naturellement un être politique (l’« état de nature » était prépolitique et présocial). Les nations ont une origine juridique et datée et la nation est coextensive à l’Etat. C’est ce que soutenaient aussi les jacobins, pour qui la volonté d’homogénéiser la société constitue un élément tout naturel de l’idéologie républicaine.

    En Allemagne, à la même époque, la nation allemande existe en dehors de tout Etat unitaire, et c’est à partir de la langue, de la culture et de l’“âme populaire” (Volksseele ou Volksgeist) que l’on en donne une définition. Herder et Fichte opposent alors leur nation, posée comme naturelle et organique (Kulturnation), à celle, jugée artificielle et mécanique, que propage la Révolution. Cette distinction entre la nation et l’Etat a des conséquences anthropologiques. Elle se prolonge dans l’opposition entre la “communauté” (Gemeinschaft) et la “société” (Gesellschaft), voire entre la culture, toujours particulière, et la civilisation, qui vise à l’universalité.

    Est-ce l’individualisme qui explique la centralisation, nécessaire pour faire tenir ensemble des provinces et des peuples qui n’étaient pas naturellement portés à vivre ensemble, ou bien cet individualisme représente-t-il a contrario une réaction à ce que la centralisation a pu avoir d’excessif ?

    Dans un livre paru en 1957, le duc de Lévis-Mirepoix décrivait l’individualisme comme le trait principal des Français : l’initiative personnelle plutôt que l’esprit d’équipe, la chanson individuelle plutôt que le chant choral – ce qui n’empêche pas les élans de solidarité. Il observait aussi, à propos de la liberté : « Les Latins la conçoivent au sens strict, comme une prééminence de la personne sur la société, tandis que, très différemment, les Anglo-Saxons l’envisagent comme une défense de la vie privée et des droits naturels sans aucun empiétement sur ce qui est dû à l’Etat. » La conception française de la liberté tirerait donc vers l’individualisme, qui a lui-même partie liée avec l’égalité. Depuis Montaigne et Descartes (« Je pense, donc je suis ») jusqu’à Auguste Comte, Bergson et même Sartre, la philosophie française ne s’est-elle d’ailleurs pas toujours occupée à célébrer le “moi” plutôt que le “nous” ? L’individualisme n’empêche pas l’étatisme, bien au contraire. Seul l’Etat peut en effet remédier à la dissolution des relations organiques et des réseaux naturels de solidarité dont il est historiquement responsable.

    Au coeur de l’esprit français, disait récemment Dominique de Villepin, il y a un « rêve d’universalisme ». Historiquement associé à l’individualisme, l’universalisme français est adossé à la conviction que les traits de caractère des Français sont tellement excellents qu’on doit du même coup les regarder comme exemplaires pour tous les autres peuples, et donc qu’ils ont une valeur universelle. On retrouvera semblable penchant aux Etats-Unis.

    Alors que Montesquieu, dans De l’esprit de lois, affirme avec force que tous les régimes ne conviennent pas à tous les pays, soulignant au passage « combien il faut être attentif à ne pas changer l’esprit d’une nation », d’innombrables auteurs assurent au contraire que l’esprit français est « universel » par définition. C’est par exemple ce que proclame Rivarol dans son célèbre Mémoire sur l’universalité de la langue française, couronné en 1784 par l’académie de Berlin. Après avoir démontré la supériorité absolue de la langue française sur toutes les autres, il en déduit que ses qualités la rendent du même coup universelle : « Sûre, sociable et raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine. » 

    Volontiers xénophobes mais absolument pas racistes, les Français sont portés par l’idée qu’ils font les choses mieux que les autres. Friedrich Sieburg disait avec humour que, pour eux, les langues étrangères ne sont jamais que du « français traduit ». Loin d’avoir une valeur locale, la devise Liberté, Egalité, Fraternité est censée valoir pour tous les peuples.esprit_franais3.jpg

    Ainsi, au XIXe siècle, la colonisation est constamment justifiée par l’idée qu’en apportant aux peuples “primitifs” les éléments du “progrès”, la nation colonisatrice travaille pour le bien de l’humanité. « Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, va jusqu’à écrire Ernest Renan, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité ! »

    A la même époque, les socialistes français ne tarissent pas d’éloge sur la façon dont leurs concitoyens s’enflamment pour la liberté des peuples opprimés, tel Victor Considérant, qui en conclut que « la politique de l’humanité est certainement la vraie politique nationale de la France ». De même, aux yeux de Jules Michelet, la France, « instituteur du genre humain », se définit par son « amour de l’humanité ». Et Edgar Quinet célèbre « la nation au service de l’humanité », tandis qu’à l’autre extrémité de l’éventail politique, le contre-révolutionnaire Joseph de Maistre assure que la France est investie d’une véritable « magistrature dans l’univers ».

    Toute identité est évidemment dialogique, en ce sens qu’il ne peut y avoir de “nous” sans un “eux”. C’est pourquoi l’étude de l’esprit français s’appuie souvent sur une démarche comparative. En septembre 1870, Ernest Renan écrivait dans le Journal des débats : « Le grand malheur du monde est que la France ne comprend pas l’Allemagne, et que l’Allemagne ne comprend pas la France. » Mais pourquoi ne se comprennent-elles pas ?

    La meilleure réponse à cette question a sans doute été donnée par le sociologue Louis Dumont qui, dans ses Essais sur l’individualisme (1983), puis dans Homo aequalis II. L’idéologie allemande, France-Allemagne et retour (1991), constate qu’en Allemagne, l’individu existe avant tout par son appartenance au groupe, tirant de celui-ci l’essentiel de son identité. S’efforçant d’identifier les paradigmes socio-anthropologiques de notre culture, Louis Dumont met la modernité en relation directe avec la montée de l’individualisme, qu’il définit comme une « catégorie mentale » liée à l’universalisme, au rationalisme et à l’égalitarisme. C’est dans cet « individuo-universalisme », dont la montée est historiquement allée de pair avec l’avènement de la classe bourgeoise et de l’« idéologie économique », qu’il voit le fondement de l’idéologie politique française.

    Dans toute son oeuvre, Dumont oppose les sociétés individualistes aux sociétés « holistes » (la plupart des sociétés traditionnelles). Dans les sociétés individualistes, on pose d’abord l’individu et seulement ensuite la société, c’est-à-dire que l’on dissocie identité personnelle et identité collective, en considérant chaque individu comme une incarnation de l’humanité, tandis que dans les sociétés holistes, l’homme est conçu d’emblée comme un être social qui doit regarder en amont de lui-même pour savoir qui il est. Et selon Dumont, la société française relève plutôt de la première catégorie, et l’allemande de la seconde. « Dans sa propre idée de lui-même, écrit-il, le Français est homme par nature et français par accident, tandis que l’Allemand se sent d’abord allemand, et homme à travers sa qualité d’Allemand. » C’est sans doute l’une des clés de l’esprit français.

    Alain de Benoist (article paru dans le Spectacle du Monde, janvier 2010)

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