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  • Prendre la route...

    Les éditions La Découverte viennent de publier un nouvel essai de Matthew B. Crawford intitulé Prendre la route - Une philosophie de la conduite. Philosophe, devenu réparateur de moto après avoir travaillé dans un think tank, Matthew B. Crawford a tiré de son expérience d'un retour au concret deux essais Éloge du carburateur (La Découverte, 2010) et Contact (La Découverte, 2016).

    On peut lire un long entretien avec cet auteur dans la revue Éléments (n°169, décembre 2017).

     

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    " Y a-t-il un rapport entre l'amour de la mécanique et l'esprit civique ? Entre le plaisir du risque calculé au volant et les ressorts profonds de notre humanité ? Après avoir chanté dans Eloge du carburateur les beautés de la moto, notre philosophe-mécanicien se penche sur l'avenir de la conduite automobile, les secrets du tuning ou de la glisse sous accélération et les mystères du couplage cognitif et sensorimoteur entre le cerveau, le corps humain et les humeurs subtiles de l'arbre à cames et du moteur à combustion interne.
    Mêlant les péripéties autobiographiques cocasses de son interminable bricolage d'une VW Coccinelle de 1975 et les réflexions de la philosophie analytique sur la morale des accidents de circulation, passant de l'exploration des sous-cultures automobiles les plus baroques - courses hors-piste dans le désert et derbys de démolition - à l'étude du pilotage de minivoitures par des rats de laboratoire, il offre un plaidoyer en faveur des plaisirs libertaires et des vertus citoyennes de l'art de conduire.
    L'histoire technologique, économique et sociale de l'automobile débouche aujourd'hui sur une disjonction de plus en plus grande entre l'être humain et ses prothèses mécaniques. A l'horizon des voitures sans chauffeur et de l'automatisation généralisée, l'auteur dénonce une dystopie régressive qui risque de se traduire par une atrophie de nos facultés créatives et une érosion de notre économie de l'attention.
    Au nom du " toujours plus de sécurité ", la déqualification progressive des conducteurs expose en fait les usagers de l'automobile à de nouveaux dangers tout en les dépossédant d'un ensemble d'aptitudes et de responsabilités cruciales. Le choix entre conduire et être conduit, faire et se laisser faire, est aussi en dernière analyse un choix entre autogouvernement républicain et aliénation bureaucratique. "

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  • L'identité des peuples : un double héritage culturel et biologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Henri Levavasseur à Breizh Info à l'occasion de la sortie de son essai L’identité, socle de la Cité. Réconcilier ethnos et polis (La Nouvelle Librairie, 2021).

    Docteur en histoire, médiéviste et germaniste, Henri Levavasseur a notamment collaboré à La Nouvelle Revue d’histoire, ainsi qu’à deux ouvrages édités par l’Institut Iliade : Ce que nous sommes — Aux sources de l’identité européenne (Pierre-Guillaume de Roux, 2018), et Nature, excellence, beauté — Pour un réveil européen (La Nouvelle Librairie, 2020). Il a également contribué à La Bibliothèque du jeune Européen, recueil dirigé par Alain de Benoist et Guillaume Travers (Le Rocher, 2020).

     

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    Henri Levavasseur : « L’identité des peuples se fonde sur un double héritage, culturel et biologique »

    BREIZH INFO : Henri Levavasseur, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?

    HENRI LEVAVASSEUR. Historien et linguiste de formation, je m’intéresse depuis longtemps à la genèse des cultures de l’Europe ancienne. Ma vision du monde a par ailleurs été fortement influencée par la lecture de Martin Heidegger et la manière dont ce philosophe reprend les questionnements fondamentaux de la pensée grecque pour parvenir à une compréhension intime de la modernité. Attaché à mes racines normandes, j’accorde une grande importance à la notion de « patrie charnelle », telle que la conçoivent Barrès et Péguy. Soucieux de transmettre la flamme aux jeunes générations à l’heure où se joue le destin de l’Europe, je me suis tout naturellement rapproché de l’institut Iliade, qui accomplit dans ce domaine un travail remarquable.

    BREIZH INFO : Votre essai constitue une réflexion fondamentale sur la notion d’identité, et sur l’articulation de cette notion avec la Cité, c’est-à-dire avec le Politique. Quelle est votre vision de l’identité de la nation française ? L’identité politique de la république ne s’est-elle pas construite en niant précisément l’identité « charnelle » des peuples et des régions ?

    HENRI LEVAVASSEUR. Les entités politiques ne doivent pas être pensées comme des notions abstraites et figées, mais comme des réalités organiques. En tant que telles, elles constituent des ensembles qui valent plus que la somme de leurs parties, mais qui ne peuvent se maintenir en vie lorsque les organes qui les composent cessent de fonctionner harmonieusement. De même, la nation est une entité politique souveraine, qui représente plus que la somme des identités régionales et locales qu’elle rassemble, mais qui ne peut exister de manière pérenne sans ces dernières. La nation est un organisme vivant dont les familles, les communes, les régions forment en quelle sorte le « corps ». Être français, ce n’est pas (ou pas seulement) adhérer à des « valeurs » et à des institutions politiques, c’est d’abord être Normand, Picard, Breton, Provençal, Lorrain (pour ne citer que quelques-unes des identités réelles et enracinées qui constituent collectivement l’essence de la nation française, telle qu’elle s’est progressivement formée au fil des siècles).

    Depuis la Révolution française, cette conception organique de la nation tend malheureusement à disparaitre au profit d’une conception idéologique coupée du réel et de l’histoire, fondée sur des valeurs à prétentions universalistes, intangibles et « républicaines ». J’entoure ici de guillemets l’adjectif « républicain », puisque ce discours, révolutionnaire et subversif par essence, vise à nier ou à transformer de manière radicale l’identité française héritée de notre histoire : ce républicanisme-là n’a plus guère à voir avec le service de l’état et du bien commun, c’est-à-dire avec la res publica au sens romain (signification que ce mot conserve encore sous la plume du juriste Jean Bodin au WVIe siècle).

    Il est d’ailleurs assez paradoxal que les révolutionnaires français se soient réclamés du système romain, fondé sur une conception très inégalitaire et aristocratique de la citoyenneté. Mais ces rêveurs sanguinaires n’étaient pas à une contradiction près : ne prêchaient-ils pas l’amour de l’humanité tout en exterminant les Vendéens ? J’évoque dans mon essai les circonstances horribles de la mort de la princesse de Lamballe, massacrée dans des conditions de sauvagerie qui rappellent étrangement l’égorgement récent d’un professeur de lycée par un mahométan fanatique…

    BREIZH INFO : L’invocation des « valeurs de la république », qui prend aujourd’hui une dimension quasiment religieuse, ne dissimule-t-elle pas, derrière les appels à l’unité nationale, la fracture béante qui traverse la société française ?

    HENRI LEVAVASSEUR. De toute évidence, la question de l’identité de la France se pose aujourd’hui en des termes nouveaux, du fait de l’entrée sur notre territoire, en l’espace d’un demi-siècle à peine, de millions d’immigrés provenant de l’espace extra-européen. A l’échelle du contingent, c’est un phénomène d’une ampleur sans équivalent depuis la Préhistoire. Je renvoie sur ce point aux travaux de l’un de nos plus grands démographes, le regretté Jacques Dupâquier, membre de l’Institut.

    Le traumatisme culturel, social, économique et politique provoqué par l’arrivée de ces flux humains considérables a créé en France, mais aussi dans la plupart des pays d’Europe, une véritable fracture entre l’identité ethnoculturelle et l’identité civique, entre ce que les Grecs nommaient, à l’aube de l’histoire européenne de la pensée, l’ethnos (« ethnie ») et la polis (« cité »).

    C’est le constat de cette fracture sans précédent, qui menace la cohésion et l’existence même des nations et des peuples d’Europe, qui m’a conduit à écrire ce livre, afin d’inciter mes contemporains à prendre toute la mesure du problème, et surtout à trouver en eux-mêmes les ressources nécessaires pour redonner à nos nations l’avenir qu’elles méritent.

    BREIZH INFO : Comment concevez-vous donc la notion même d’identité ? Est-ce une donnée figée ? L’identité n’est-elle pas, comme l’affirment certain, une construction en perpétuelle évolution ?

    HENRI LEVAVASSEUR. L’identité des peuples doit naturellement être pensée de manière dynamique : elle est soumise, comme toute réalité vivante, à la loi du devenir. Pour comprendre l’origine et le sens de notre identité, il faut donc revenir aux fondements d’une saine anthropologie. En dépit de ce qu’affirment les tenants de l’idéologie libérale-libertaire, l’homme n’est pas une construction abstraite : il ne se réduit pas à l’image d’un individu doté à la naissance de droits universels, libre de signer un « contrat social » avec ses pairs. Nous savons tout au contraire, depuis Aristote, que l’homme est un « animal politique ». Cela signifie que son identité se construit dans l’espace d’une Cité, sur un territoire où s’exerce une souveraineté, qui permet de garantir la pérennité et le développement d’une culture. Car la « nature » de l’homme est précisément celle d’un « être de culture », comme l’a bien montré le philosophe allemand Arnold Gehlen dans son ouvrage magistral intitulé L’homme, dont la traduction française vient de paraître cette année chez Gallimard. L’existence de la personne humaine se déploie donc toujours, dès l’origine, dans le cadre d’une famille et d’un peuple.

    L’identité des peuples se fonde sur un double héritage, culturel et biologique. Les deux dimensions sont indissociables et se « façonnent » mutuellement, en constante interaction avec le milieu et le territoire. C’est pourquoi les revendications très platement « racialistes » des « indigénistes » sont absurdes : vouloir revendiquer des droits en fonction de la couleur de peau, indépendamment de l’appartenance à une cité, à un territoire et surtout à une culture, n’a aucun sens.

    BREIZH INFO : Existe-t-il donc pour vous une identité « européenne », ou l’Europe n’est-elle qu’une construction vide de sens, un fantasme dangereux qui s’opposerait à l’identité des nations ?

    HENRI LEVAVASSEUR. Les peuples d’Europe ont en commun plus de cinq mille ans d’histoire, ce que confirment les données établies par la linguistique indo-européenne, l’archéologie et la paléogénétique. Je renvoie ici à la synthèse récente publiée par le généticien David Reich, de l’université de Harvard (Comment nous sommes devenus ce que nous sommes, Quanto, 2019).

    L’Europe, ce n’est pas l’Occident, ou plutôt : l’Occident, ce n’est plus l’Europe. Les notions d’Europe et d’Occident ont certes été plus ou moins synonymes jusqu’au xxe siècle. Mais la « Grande guerre mondiale de trente ans », qui a éclaté en 1914 et s’est achevée en 1945, a laissé les nations européennes exsangues, soumises pour moitié au joug communiste, pour moitié à la domination américaine. Or, depuis la chute du système soviétique et le retour des nations d’Europe centrale à la liberté, les concepts d’Occident et d’Europe ne se recoupent plus : l’Occident prend de plus en plus la forme d’un système idéologique libéral-libertaire mondialiste, hostile à l’identité, à la culture, aux traditions, aux intérêts et à la souveraineté des nations européennes.

    Il va de soi que l’Europe ne se confond pas davantage avec l’édifice institutionnel de l’U.E., qui s’acharne précisément à nier l’existence de l’identité européenne, en réduisant cette dernière aux « valeurs » occidentales, et en transposant à l’échelle du continent les aberrations du discours idéologique jacobin.

    A la différence des nations qui la composent, l’Europe n’est pas une entité politique. Elle est à la fois autre chose que cela, et bien plus. Elle constitue un espace de civilisation, dont l’existence ne peut être distinguée de celle des cultures, des nations et des peuples qui l’incarnent et lui donnent vie. Cet ensemble véritablement polyphonique se déploie sur un territoire délimité par la géographie et l’histoire, c’est-à-dire par le poids des réalités géopolitiques. L’Europe, c’est une très longue mémoire partagée. C’est la conscience de racines communes, d’autant plus solides qu’elles plongent dans un passé plurimillénaire. C’est la claire vision de l’appartenance à un « concert des nations chrétiennes », voué à dépasser les antagonismes immédiats lorsque les périls extérieurs menacent la pérennité même de l’ensemble. L’Europe, c’est l’union sacrée des nations chrétiennes se portant au secours de Vienne, capitale du Saint-Empire romain germanique, afin de repousser les Ottomans qui l’assiègent en 1683.

    BREIZH INFO : L’Europe que vous évoquez est-elle donc un produit de l’histoire, un reflet du passé ? En quoi la référence à l’héritage de l’Europe ancienne peut-il aider dans l’avenir nos peuples à préserver et réaffirmer leur identité ?

    HENRI LEVAVASSEUR. Recueillir et revendiquer cet héritage, ce n’est pas s’enfermer dans une vision figée ou idéalisée du passé, c’est parvenir à une compréhension intime de « ce que nous sommes », de ce qui constitue notre spécificité en tant que peuples porteurs de cultures issues d’une matrice commune. C’est mieux saisir ce qui caractérise notre vision du monde et l’éthique qui nous anime. Les mots grecs ethos (« éthique ») et ethnos (« ethnie ») sont d’ailleurs étymologiquement apparentés. Cette relation étymologique est évidemment significative : l’éthique est une manière de « se tenir », conformément à l’usage reçu des aïeux.

    Se réapproprier notre héritage, c’est concevoir l’identité comme la réalisation d’un potentiel et l’expression d’un génie propre, qui permet d’agir dans le monde d’une manière conforme à notre nature, c’est-à-dire à notre culture. Prendre conscience de « ce que nous sommes », c’est acquérir l’intuition de « ce que nous pouvons ». Renan, dans son célèbre discours sur la nation, ne dit pas autre chose : une nation, écrit-il, est un « principe spirituel » qui unit la mémoire d’un passé commun à la volonté de prolonger cet héritage. Renan ne dit pas que la nation se réduit à l’expression d’une volonté de « vivre ensemble », mais que cette volonté, naturellement indispensable à la pérennité de notre souveraineté politique, n’a de sens et de solidité que dans la mesure où elle s’enracine dans un patrimoine spirituel commun.

    C’est pourquoi le discours à prétentions « républicaines », dans son extrémisme subversif, ne peut pas se réclamer de Renan sans le travestir. Je suis d’ailleurs parti de ce constat pour écrire ce livre.

    BREIZH INFO : Comment procéder selon vous à la prise de conscience identitaire que vous appelez de vos vœux ? Quelles formes concrètes cette démarche peut-elle adopter ?

    HENRI LEVAVASSEUR. Reprendre conscience de « ce que nous sommes », c’est-à-dire de ce qui nous caractérise en tant que peuple, implique naturellement de rejeter l’absurdité de la « cancel culture », mouvement qu’il faut plutôt qualifier de « culture cancel » : non pas « culture de l’effacement », mais bien « effacement de la culture » !

    Il faut également renoncer aux illusions de l’intégration soi-disant « républicaine », qui prétend imposer à tous (sans en être réellement capable) le respect de « valeurs » plus ou moins universelles (donc abstraites), au prix de notre identité spécifique et de nos libertés concrètes : afin de séduire des éléments exogènes qui ne voient aucune nécessité ni aucun intérêt à s’intégrer, les populations autochtones sont sommées de renoncer à leur identité propre. Cela n’est pas acceptable.

    Comme nous y invite Julien Langella dans un ouvrage récent, il faut « refaire un peuple », conscient de son histoire et de sa vocation propre. De manière concrète et pratique, cela signifie qu’il faut rebâtir la Cité à partir de ses fondations, en s’appuyant sur les « communautés organiques » que les tenants de l’idéologie révolutionnaire « arc-en-ciel » s’efforcent précisément de détruire. Ces communautés naturelles, historiques et politiques sont par exemple la famille, la paroisse, la commune, le terroir ou la région – conçues non pas comme de simples entités administratives, mais comme des communautés liées à un territoire, au sein desquelles s’épanouit une identité à la fois enracinée et incarnée, à l’échelle individuelle aussi bien que collective. C’est dans ce cadre qu’il devient possible de réveiller le sens du « bien commun », en saisissant toutes les occasions de redonner vie à nos traditions. Non pas pour singer le passé ou se complaire dans le folklore, mais pour que les germes de vie contenus dans ces traditions puissent à nouveau croître, sans être étouffés par la grisaille « républicaine », la folie « woke », ou les velléités suprématistes manifestées par des cultures exogènes. La jeunesse a un rôle clé à jouer dans ce processus de renouveau, qui doit être guidé naturellement par une « avant-garde ». Tel est l’appel que je lance dans la conclusion de mon ouvrage – tâche ambitieuse à laquelle travaille notamment l’institut Iliade, à travers ses cycles de formation. Il ne s’agit pas pour l’Institut de dispenser un savoir académique, mais de réveiller les mémoires et les énergies, et de proposer un modèle de solidarité communautaire fondée sur la philia, sur la conscience identitaire vécue au quotidien et partagée. Cette avant-garde devra s’engager dans toutes les formes de vies associatives (culturelles et artistiques, intellectuelles et scientifiques, professionnelles et économiques, mais aussi politiques) pour affirmer, moins par le discours que par l’exemple, sa capacité à se réapproprier notre identité et à la faire vivre.

    Dans le même temps, l’importance accordée à la dimension communautaire et locale ne doit pas dispenser ce qui le veulent, et le peuvent, d’exercer une influence à d’autres échelons, dans les cercles décisionnels au sein desquels ils auront su pénétrer. Si nos communautés sont des sanctuaires, où sont préservées les sources pérennes de notre identité, cela ne doit pas nous amener à déserter pour autant l’horizon du politique : n’oublions pas qu’il nous faudra un jour, le moment venu, savoir à nouveau manier les instruments de la puissance.

    Enfin, cette entreprise de reconquête intérieure ne pourra provoquer un véritable renouveau de notre civilisation que si elle est menée simultanément dans tous les pays d’Europe, qui doivent plus ou moins faire face aujourd’hui aux mêmes défis. La tâche est immense et exaltante. Elle requiert toute notre intelligence, toute notre volonté, et surtout tout notre courage. Il n’est plus temps de reculer, ni même de tergiverser. Comme l’écrit Ernst Jünger dans le Traité du Rebelle : « La grandeur humaine doit être sans cesse reconquise. Elle triomphe lorsqu’elle repousse l’assaut de l’abjection dans le cœur de chaque homme. C’est là que se trouve la vraie substance de l’histoire. »

    Henri Levavasseur, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh Info, 28 avril 2021)

     

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  • Manifeste du Grand Réveil...

    Les éditions Ars Magna viennent de publier un nouveau texte d'Alexandre Douguine intitulé Contre le Great Reset, le manifeste du Grand Réveil.

    Théoricien politique influent, un moment proche d'Edouard Limonov, Alexandre Douguine est la figure principale du mouvement eurasiste en Russie. Outre L'appel de l'Eurasie (Avatar, 2013), le texte d'une longue conversation entre lui et Alain de Benoist, plusieurs  de ses ouvrages ou recueils de ses textes sont déjà traduits en français comme La Quatrième théorie politique (Ars Magna, 2012), Pour une théorie du monde multipolaire (Ars Magna, 2013), Le Front de la Tradition (Ars Magna, 2017), Les mystères de l'Eurasie (Ars Magna, 2018), Le retour des Grands Temps (Ars Magna, 2019) ou Les templiers du prolétariat (Ars Magna, 2021).

     

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    " En 2020, au Forum de Davos, son fondateur Klaus Schwab et le prince Charles de Galles ont annoncé un nouveau cours pour l’humanité, le Great Reset, la Grande Réinitialisation.

    Dans ce livret, Alexandre Douguine analyse ce projet, trace sa généalogie et propose une contre-attaque qu’il structure en un texte : Le Manifeste du Grand Réveil. "

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  • Russie-Europe : le grand écart...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Héléna Perroud, cueilli sur Geopragma et consacré à la fracture qui s'élargit entre Russie et Europe, fruit d'une politique de long terme menée par les stratèges occidentistes. Russophone, agrégée d'allemand, ancienne directrice de l'Institut Français de Saint-Petersbourg et ancienne collaboratrice de Jacques Chirac à l'Elysée, Héléna Perroud a publié un essai intitulé Un Russe nommé Poutine (Le Rocher, 2018).

     

     

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    Russie-Europe : le grand écart

    Un Européen perspicace, Winston Churchill, avait dit en 1939 de la Russie qu’elle est « un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme ». On oublie souvent la deuxième partie de sa phrase car il ajoutait : « Mais il y a peut-être une clé. Cette clé c’est l’intérêt national russe. » Les malentendus et l’incompréhension entre l’Occident et la Russie ne datent hélas pas d’hier mais ont atteint ces dernières semaines un point dangereux, se muant en franche hostilité : les bruits de bottes en Ukraine, la valse des renvois de diplomates, les soubresauts de l’affaire Navalny, les accusations de cyberattaques et les nouveaux trains de sanctions contre la Russie… 

    L’épisode qui a commencé en 2014 autour de la Crimée et de l’Ukraine a ouvert une période dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. La Russie dans le rôle de l’agresseur, annexant la Crimée et voulant la partition de l’Ukraine est une des lectures possibles des événements qui se déroulent depuis 2014. Il est étonnant toutefois que dans les analyses faites dans les médias occidentaux, américains et européens, très peu d’observateurs se réfèrent à un ouvrage qui fait pourtant référence et que l’on doit à l’un des plus grands experts américains en matière de géopolitique : Le Grand Echiquier de Brzezinski, dédié à ses « étudiants, afin de les aider à donner forme au monde de demain ». Les dates ont leur importance. Cet ouvrage est sorti en 1997, à un moment où la Russie était à terre. Mal réélu en 1996, Eltsine était un intermittent du pouvoir et ne contrôlait plus grand chose, accaparé par ses ennuis de santé. Les salaires n’étaient pas payés, l’espérance de vie était au plus bas et des séparatistes tchétchènes faisaient la loi. Le fil directeur de l’ouvrage est qu’il faut contenir la Russie dans un rôle de puissance régionale pour asseoir la « pax americana » dans le monde et pour ce faire détacher d’elle un certain nombre de pays satellites : les républiques d’Asie centrale et les pays d’Europe de l’Est, le rôle principal revenant à l’Ukraine. Brzezinski l’écrit sans ambages : « L’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’OTAN est en cours. L’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces organisations. Pour renforcer son indépendance, il est vraisemblable qu’elle choisira d’adhérer aux deux institutions dès qu’elles s’étendront jusqu’à ses frontières et à la condition que son évolution intérieure lui permette de répondre aux critères de candidature. Bien que l’échéance soit encore lointaine, l’Ouest pourrait dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d’impulser ce processus. » 

    Si on connaît cet ouvrage, si on en comprend la philosophie, il est une autre lecture possible des événements de 2014 : l’application à la lettre de l’agenda défini par les stratèges américains, depuis la révolution orange de 2004 jusqu’aux événements de Maidan à l’hiver 2013-2014 avec la suite que l’on connaît et les 13000 morts du Donbass que l’on oublie trop souvent.

    Le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov le citait encore le 1er avril dans un entretien d’une rare franchise accordé à la Première Chaîne de la télévision russe, en réponse aux accusations de Joe Biden traitant Poutine de « tueur ».

    Dans la crise qui a éclaté ces jours-ci entre Prague et Moscou, on voit que les projecteurs sont braqués sur l’entreprise Rosatom et le vaccin Spoutnik V. Le motif officiel de la brouille réside dans les soupçons pesant sur l’implication de la Russie dans une affaire d’explosion dans un stock d’armement en République tchèque qui remonte à 2014 et qui éclate curieusement aujourd’hui. S’agissant du vaccin, si l’Union européenne rechigne à lui accorder droit de cité (même si trois pays de l’UE l’ont adopté à ce jour), il est autorisé dans une soixantaine de pays qui représentent un quart de la population mondiale.  Son efficacité, d’abord évaluée à 91,6 % par une étude publiée dans le Lancet se monterait aujourd’hui à 97,6 % sur la base des données provenant de 3,8 millions de personnes ayant reçu les deux doses, d’après une étude de l’Institut Gamaleïa qui l’a mis au point. A côté des déboires des vaccins occidentaux, on peut comprendre l’intérêt de certains à barrer la route au vaccin russe. Pour ce qui concerne Rosatom, qui était en lice avec d’autres concurrents pour une centrale nucléaire dans ce pays, il vient d’être exclu de l’appel d’offres. Peut-être faut-il regarder là du côté de l’Arabie Saoudite et de la tournée qu’a entreprise Sergueï Lavrov dans les monarchies du Golfe courant mars. Ce traditionnel allié des États-Unis resserre ses liens avec la Russie depuis quelques années, notamment depuis la visite historique – la première du genre – du roi Salman à Moscou à l’automne 2017. Et là aussi Rosatom est dans la course pour construire une centrale nucléaire et a passé avec succès les premières étapes, même si le terrain est bien occupé par la Chine, dont l’entreprise publique CNNC est engagée avec le ministère saoudien de l’énergie dans un programme d’extraction d’uranium. La Russie va ouvrir une représentation commerciale à Riyad à l’automne, une offre d’achat du système antimissiles russe S-400 est sur la table et l’inauguration du troisième réacteur de la centrale nucléaire d’Akkuyu en Turquie, dont le chantier a été confié à Rosatom, a eu lieu en grandes pompes en présence des présidents turc et russe le 10 mars, le jour même où Lavrov rencontrait son homologue saoudien… peut-être plus qu’une simple coïncidence.

    Le résultat de cette stratégie occidentale au long cours – américaine d’abord mais suivie à la lettre par les Européens – est maintenant là. Les Russes se sentent de moins en moins Européens. Un diplomate russe m’avait fait part en 2019 de sa préoccupation devant le gouffre qui s’élargissait entre l’Europe et la Russie depuis 5 ans, le temps moyen, disait-il, qu’un étudiant passe dans l’enseignement supérieur et se forge sa vision du monde. Un sondage du centre Levada (institut indépendant du gouvernement) rendu public le 18 mars dernier, sept ans après « l’annexion » ou « le rattachement » de la Crimée – à chacun de choisir sa vision – confirme cette tendance. Aujourd’hui 29% seulement des Russes disent que leur pays est européen. Ils étaient 52% en 2008. Fait notable : chez les plus jeunes ce sentiment d’éloignement de l’Europe est plus fort que chez leurs aînés : les plus de 55 ans sont 33% à estimer que la Russie est un pays européen, un taux qui tombe à 23% chez les 18-24 ans. Alors qu’en 2000, Poutine écrivait sans sourciller, en répondant à des questions de journalistes dans le premier ouvrage biographique qui lui était consacré en Russie « Première  personne »  : « Nous sommes Européens » – c’était le titre d’un chapitre entier . En août 2019 encore, il recevait au Kremlin l’homme fort de la Tchétchénie en le félicitant pour l’inauguration dans la ville de Chali de « la plus grande mosquée d’Europe » même si sur ces terres du Caucase on est un peu éloigné de l’univers mental européen.

    Vu de France, où un ennemi bien identifié nous a déclaré la guerre, emportant encore une vie innocente vendredi 23 avril à Rambouillet, en privant deux enfants mineurs de leur mère qui s’était engagée au service de ses compatriotes en choisissant d’entrer dans la police, il serait temps de changer de regard et de ne plus se tromper d’ennemi. Et même de comprendre que dans ce combat-là la Russie, dont 15% de la population est de confession musulmane, et dont le caractère multi-ethnique et multi-confessionnel échappe très largement au regard occidental, a peut-être quelque chose à dire aux vieux pays d’Europe de l’Ouest. 

    Héléna Perroud (Geopragma, 26 avril 2021)

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  • Le Néo-féminisme à l'assaut d'Internet...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie en collaboration avec l'OJIM viennent de publier une enquête d'Anne Trewby intitulée Le Néo-féminisme à l'assaut d'Internet, avec une préface de Claude Chollet. Cofondatrice du mouvement des Antigones, Anne Trewby en est aujourd’hui la présidente.

     

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    " C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, dit-on. Le néo-féminisme nous sert dans le nouveau pot d’Internet un brouet pas plus appétissant que l’archéo-féminisme des Beauvoir, Badinter et consorts. A la différence près qu’il est devenu, à coups de hashtags et de campagnes virales, un véritable phénomène de masse ! Podcasts, webzines, blogs, vidéos, tumblr… tous les formats sont permis ! Et tous les goûts étant dans la nature, la variété de l’offre est au rendez-vous des internautes, manipulables à merci. Anne Trewby nous explique le succès de ce féminisme façon « fast-food », prêt-à-manger, prédigéré, prêt-à-liker. Un petit monde finalement indigeste mais influent. "

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  • Un « Empereur du peuple » ? La place de Napoléon dans la mémoire française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur Voxnr et consacré à la place de Napoléon Bonaparte dans l'histoire politique de notre pays.

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015) et dernièrement Achever le nihilisme (Sigest, 2019).

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    Un « Empereur du peuple » ? La place de Napoléon dans la mémoire française

    Houellebecq écrit quelque part que Napoléon est pire qu’Hitler car Hitler croyait à quelque chose, ce qui n’aurait pas été le cas de Napoléon. Homme d’opportunités, assurément, Napoléon l’était. Il dit qu’il aurait pu se faire musulman. Certes. Mais ce n’est pas un hasard s’il a fait carrière en France, et ni en pays musulman, où il a vite été rejeté comme envahisseur français par les populations locales, qui ne s’y trompaient pas, ni en Allemagne ou en Autrice comme Feld-maréchal von Bonaparte, comme l’avait imaginé l’excellent Jean Dutourd.

    Il n’est du reste pas certain que Napoléon ne croyait en rien. Il ne croyait pas aux religions, car il ne croyait qu’à leur utilité sociale mais pas à leur message. Mais il croyait en Dieu. En tout cas en un Dieu, même s’il aurait pu croire aussi bien au Dieu de l’islam qu’au Dieu chrétien. D’autant plus qu’il était (à tort) sceptique sur l’existence de Jésus. Nous renvoyons, sur cette question, à l’ouvrage érudit et passionnant de Philippe Bornet (Napoléon et Dieu, Via Romana, 2021).

    Si Houellebecq veut dire que Napoléon n’avait pas d’idéologie au sens de ce terme au XXe siècle, c’est une évidence. Napoléon détestait les « idéologues ». Ceux-ci représentaient une pointe avancée de l’esprit des Lumières, qui, contrairement à la plupart des penseurs des Lumières, ne croyaient pas en un Dieu, étaient donc antithéistes, et étaient matérialistes c’est-à-dire ramenaient la compréhension du réel à l’étude des forces matérielles.

    Napoléon était un homme des Lumières mais pas de ces Lumières avancées. Il croyait aux Lumières au sens où rien de doit être examiné sans faire usage de la raison, mais, bien qu’ayant été influencé par Rousseau, il rejetait la croyance en la vertu de la liberté. Il ne croyait pas non plus – c’est le moins qu’on puisse dire – aux idées de Kant et de Condorcet sur la nécessité d’un tribunal international des nations. Ami des Lumières modérées au service d’un pouvoir fort, Napoléon n’était pas un cas isolé. Avant Napoléon, ce fut le cas de Joseph II de Habsbourg, et Frédéric II de Prusse. Et en même temps que Napoléon, le tsar Alexandre 1er de Russie se veut un homme des Lumières avant de tomber dans le rejet de celles-ci durant la dernière partie de son règne.

    Les idées de Napoléon par rapport aux Lumières, tout comme son ambigüité entretenue par rapport à la Révolution, expliquent en bonne part le déplacement de Napoléon dans le spectre politique. C’est ainsi que Napoléon assumera toujours l’exécution du duc d’Enghien, comme marqueur de la différence incomblable entre lui et les Bourbons. Il faut aussi tenir compte du fait que Napoléon est longtemps perçu comme héritier de la Révolution, et que la période « heureuse », guerrière mais victorieuse, de son règne (jusqu’en 1808) correspond à la période durant laquelle il n’a pas encore complètement rompu avec l’héritage révolutionnaire. Le calendrier révolutionnaire est supprimé en 1806, et jusqu’en 1808, les pièces de monnaies portent l’inscription « République française – Napoléon 1er Empereur ». C’est à partir de cette date de 1808 qu’est créée une noblesse, qui n’a pas les privilèges de l’ancienne, et qui n’est pas héréditaire.

    Napoléon, Empereur du peuple ? C’est l’image qu’on en gardera souvent. C’est beaucoup dire. Mais le soutien populaire était réel durant les premières années de son règne. En outre, l’impulsion donnée à l’industrie, le protectionnisme – ce que Bertrand de Jouvenel a appelé « l’économie dirigée » (Napoléon et l’économie dirigéeLe blocus continental, La Toison d’or, 1942) va aussi avec un relatif plein emploi des ouvriers, tandis que le tournant absolutiste de son règne, avec son remariage avec une fille de l’Empereur d’Autriche, s’accompagne de la crise économique de 1811, et des désastres militaires. Napoléon a perdu le peuple en même temps que sa bonne étoile. Héritier de la Révolution, mais y mettant un point final, tel est donc le double visage de Napoléon. Son souvenir sera lié à ces deux aspects. Les républicains se rappelleront de l’autocrate, mais les monarchistes ne lui pardonneront pas d’avoir refusé en 1800 les propositions du comte de Provence de rétablir la monarchie. Détesté par les monarchistes, Napoléon sera rejeté du côté du souvenir de la Révolution.

    Comment Napoléon prend-t-il place dans l’histoire politique de la France ? C’est tout d’abord sous la forme d’un souvenir. Puis, après le Second Empire, ce souvenir est désacralisé, car la défaite de 1870 n’est pas perçue comme grandiose, comme celle de Waterloo, mais beaucoup plus comme un échec trivial. Et c’est alors que l’on passe de la nostalgie napoléonienne au mouvement bonapartiste. Il se diluera rapidement dans le boulangisme puis dans les divers populismes et tentative de troisième voie du XXe siècle.

    Mais c’est d’abord un souvenir brûlant, une présence émotionnelle que l’empreinte laissée par Napoléon. Sous la Restauration, les bonapartistes sont proches des libéraux, c’est-à-dire de la « gauche » avec, par exemple, le général Foy. Un des éléments qui expliquent ce rapprochement paradoxal est l’épisode des Cent Jours. C’est là que fut élaborée la Constitution dite Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, inspirée par Benjamin Constant, et dite pour cela la « Benjamine ». Loin d’être un Acte additionnel, elle contredisait toutes les pratiques politiques antérieures de Napoléon. Cette nouvelle Constitution allait nettement plus loin dans le sens d’un régime représentatif parlementaire que la Charte de 1814 « octroyée » (le roi tenait au mot) par Louis XVIII. L’une des erreurs, la plus énorme de l’acte additionnel de Napoléon, plus concédé que voulu, était l’instauration d’une Chambre des Pairs héréditaire. Il n’est pas étonnant que le peuple se soit si peu déplacé lors du plébiscite de mai 1815 pour approuver un tournant libéral qui n’était pas dans son tempérament, alors qu’il espérait plutôt un tournant jacobin, voire montagnard et « sans-culotte ». Cette illusion d’un possible « Empire libéral » permettra un rapprochement entre bonapartistes et libéraux jusqu’en 1830.

    Les choses changent avec la Monarchie de Juillet. Louis-Philippe récupère le souvenir de Napoléon avec le retour des cendres (1840), et il prend à son service quelque uns de ses vieux serviteurs. Le rétablissement du drapeau tricolore crée une continuité entre Révolution, Empire, Monarchie de Juillet. Napoléon devient une référence moins « à gauche », le symbole d’une révolution maitrisée, réduite à ses acquis de 1789-91. Les ouvriers, encore proches de Napoléon en 1815, s’éloignent de toute nostalgie impériale. Il faudra la Révolution de Février 1848 et un singulier alignement de planètes pour que Napoléon III, alors le prince Louis-Napoléon, petit-fils de Joséphine, bénéficie d’une occasion inespérée. Celle-ci venait de la très rapide dérive à droite de IIe République issue de la Révolution de 1848. En Juin 1848, le gouvernement tire sur les ouvriers, ceux-ci protestant, en pleine crise économique, contre la fermeture des Ateliers nationaux. La brutalité de la répression bourgeoise laisse un vide politique. L’élection présidentielle de décembre 1848 montre qu’un candidat issu du camp de la répression ne peut incarner l’unité de la nation. Louis-Napoléon recueille plus de 74 % des voix, tandis que, loin derrière, le conservateur Cavaignac en recueille moins de 20 %. Encore plus loin (5 %) est le démocrate socialiste, ou « républicain avancé », Ledru-Rollin. Cette élection ne peut se comprendre qu’en référence aux événements terribles de Juin 1848 : la République contre les ouvriers. C’est à partir de là que Louis-Napoléon pourra apparaitre un homme de l’ordre – conservatisme social et catholicisme – sans être lui-même l’homme de la répression anti-ouvrière.

    Après avoir gagné largement l’élection présidentielle de fin 1848, le rétablissement de l’Empire se fera en deux étapes avec le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et la proclamation de l’Empire le 2 décembre 1852, non sans une forte résistance en décembre 1851, venue aussi bien de milieux ruraux qu’ouvriers. Le régime se dotera néanmoins, à la faveur d’une certaine prospérité, d’une base sociale chez les paysans. Par contre, des mesures sociales en matière d’habitat n’amèneront pas un ralliement des ouvriers.

    Camouflage ou authentique orientation ? Conservateur social, Louis-Napoléon ne l’était pas du tout à la mode Thiers ou Guizot. Auteur des Idées napoléoniennes (1839), De l’extinction du paupérisme (1844), le futur Napoléon III avait le souci de résoudre le problème social par des propositions réformatrices concrètes. Si le terme de « socialisme napoléonien » peut paraitre excessif, Louis-Napoléon était à coup sûr plus social que beaucoup de républicains négligeant la question sociale. Devenu Empereur, Louis-Napoléon n’oublie pas ses idées réformatrices. Un Empereur saint-simonien, c’est toujours une façon d’être héritier des Lumières, mais les limites du saint-simonisme apparaissent vite. Restent des mesures qui rompent avec l’individualisme exacerbé de la monarchie de Louis-Philippe.

    C’est Napoléon III qui institue le droit de grève en 1864, supprime le délit de coalition (loi Emile Ollivier, un républicain libéral rallié à Napoléon III à partir du tournant de l’Empire libéral en 1860), et s’il faut attendre la loi Waldeck-Rousseau de 1884 pour que soient autorisés les syndicats, il fait un pas en ce sens en autorisant les chambres syndicales en 1868, tandis qu’il supprime en 1869 l’obligation du livret ouvrier, établi en 1781 sous Louis XVI, et rendu obligatoire par Napoléon Bonaparte (1803. C’est encore Napoléon III qui abolit la loi qui, en cas de litige entre un patron et un ouvrier, faisait prévaloir le dire du patron.

    Le mouvement ouvrier, qui va des républicains radicaux aux « socialistes » (les guillemets s’imposent car le terme est récent et les socialistes sont divers et non organisés en parti), comme François-Vincent Raspail, ne peut compter que sur une masse de travailleurs à domicile et d’ouvriers de fabriques qui est en augmentation, mais reste très minoritaire par rapport aux masses rurales. Napoléon III, par le souvenir du Grand Homme (dont Raspail fut un partisan durant les Cent Jours), peut s’imposer auprès de l’électorat paysan, sans s’aliéner radicalement les populations ouvrières. Le monde ouvrier, s’il n’est pas bonapartiste de conviction, ne veut pas se battre pour les fusilleurs de Juin 1848.

    Ce mouvement ouvrier se définit en bonne part « à gauche », en ce sens que les revendications sociales se mêlent à un anti monarchisme (ni le comte de Chambord ni les Orléans, malgré les propositions sociales mais paternalistes de Chambord) et à un anticléricalisme virulent. Marx, qui ne se référait jamais à la « gauche », tout comme Michéa, qui voudrait que le mouvement socialiste ne s’y référa jamais, sous-estiment les aspects hors lutte de classes du mouvement ouvrier et socialiste : le patriotisme intransigeant, voire irréaliste en 1871, et l’anticléricalisme.

    Cette confusion entre gauche ouvrière et gauche politique libérale, dont la critique est l’élément central des livres de Jean-Claude Michéa, fait que la gauche ouvrière mène des combats qui ne « devraient pas » être les siens, selon une pure logique de la lutte des classes, contre l’Eglise, alors que le problème principal n’est plus l’Eglise mais le capital, pour Dreyfus alors que cette question pourrait être considérée comme une affaire interne à la bourgeoisie. Le problème est que ce point de vue se heurte au sens commun : une injustice faite à un homme est-il dépourvu de tous rapports avec une injustice faite à une classe ? Que cela plaise ou non, le goût français des idées générales et de l’universalité amène à répondre non.

    Ceci explique qu’un mouvement socialiste et ouvrier au-delà du clivage droite-gauche est concrètement difficile à identifier. Ce socialisme chimiquement pur que recherche Jean-Claude Michéa, en expliquant à juste titre que le mouvement ouvrier se fait manipuler par la mise en avant d’enjeux sociétaux qui ne sont pas les siens, peut-il exister ? En théorie peut-être, dans l’histoire réelle, on ne le trouve pas. Qu’on le déplore ou non, force est de constater que le mouvement ouvrier est souvent imprégné de l’idéologie du progrès, ce qui l’amène à entrer dans des coalitions « progressistes », à soutenir la guerre de 1914 comme « guerre du droit » et à se rallier à l’ « Union sacrée », etc.

    Après le Second Empire et le désastre de 1870, l’idée napoléonienne se trouve déportée « à droite ». Les bonapartistes des années 1870-1880 se trouvent proches des monarchistes orléanistes. Ils s’engouffrent pour beaucoup dans l’aventure boulangiste et disparaissent ensuite. L’esprit napoléonien se retrouve dans les projets de république rénovée, autoritaire et plébiscitaire, supposée être plus efficace que la république parlementaire. Toutefois, après la victoire de 1918, il devient difficile, pour les nostalgiques des deux Empereurs, de dire que la république ne sait pas gagner une guerre, d’autant que les deux Empires ont montré qu’ils étaient capables d’en perdre.

    Ce qui reste du bonapartisme est le goût d’un Etat fort et efficace, non entravé par les excès délibératifs du parlementarisme, une capacité d’impulser de grands projets, et surtout l’idée qu’un gouvernement doit s’appuyer sur le peuple (« l’appel au peuple ») en faisant régulièrement constater sa légitimité par le plébiscite. C’est ce dernier aspect qui reste actuel et sa forme démocratique sera le référendum dont usera de Gaulle et qui sera un des derniers moments où la France aura connu de vrais débats démocratiques. L’esprit gaullien, son réalisme international, son souci de la question sociale avec la participation, réalisera la synthèse entre le principe napoléonien de la souveraineté du peuple, et le réalisme politique des meilleurs des capétiens.

    Pierre Le Vigan (Voxnr, 22 avril 2021)

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