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  • Jacques Hogard : « Macron et l'OTAN ont "des muscles en papier" »

    Pour son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Jacques Hogard pour évoquer avec lui les échecs du soutien occidental à l'Ukraine.

    Ancien officier de Légion, au prestigieux 2ème REP, Jacques Hogard a servi au Kosovo, au sein du Commandement des opérations spéciales (COS), et est désormais expert en intelligence stratégique. Il vient de publier La guerre en Ukraine - Regard critique sur les causes d’une tragédie (Hugo Doc, 2024).

     

                                             

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  • Russie / Ukraine : La propagande des va-t-en guerre

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 9 mars 2024 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Pierre Conesa pour évoquer la propagande des va-t-en-guerre de plateaux TV, ces membres du complexe militaro-intellectuel, qui poussent au crime depuis leurs postes bien protégés...

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021), Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022) et État des lieux du salafisme en France (L'aube, 2023).

     

                                              

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  • Vivons-nous en dictature ?...

    Nous reproduisons ci-dessous la deuxième partie d'un entretien donné par Eric Werner au site de la revue Éléments à l'occasion de la parution de son essai intitulé  Prendre le maquis avec Ernst Jünger - La liberté à l’ère de l’État total (La Nouvelle Librairie, 2023).

    Philosophe politique suisse, alliant clarté et rigueur, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais essentiels comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) De l'extermination (Thaël, 1993 puis Xénia, 2013) ou dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019). Contributeur régulier d'Antipresse, il publie également de courtes chroniques sur l'Avant-blog.

     

    Première partie de l'entretien : L'Etat est-il notre ami ou notre ennemi ?

     

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    Prendre le maquis avec Éric Werner (2/4) – Vivons-nous en dictature ?

    ÉLÉMENTS : Qu’est-ce qui vous fait dire que nous vivons en après-démocratie, titre de l’un de vos livres ?

    ÉRIC WERNER. Je regarde la date de parution de L’après-démocratie : août 2001, juste un mois avant les attentats du 11 septembre ! Le livre n’en parle donc pas, pas plus, bien sûr, qu’il ne parle des lois qui ont été promulguées en réponse aux attentats en question : lois instaurant un régime de suspicion généralisée, sous couvert de lutte contre le terrorisme. L’État en a également profité pour renforcer considérablement son emprise sur la société. L’après-démocratie vient juste avant. Le livre reflète en revanche l’évolution antérieure, celle prenant place entre la chute du mur de Berlin en 1989 et le 11 septembre. La chute du mur de Berlin n’a pas seulement en effet été une date importante en politique extérieure, mais également intérieure. Comme le relevait à l’époque Alexandre Zinoviev, c’est le moment où les dirigeants occidentaux ont commencé à s’affranchir d’un certain nombre de contraintes qu’ils s’imposaient à eux-mêmes par souci d’image. Le miroir étant cassé, elles avaient perdu toute importance. Une évolution s’est ainsi amorcée, évolution qu’on peut, effectivement, décrire comme nous faisant passer de la démocratie à l’après-démocratie. L’expression est à mettre en parallèle avec celle d’avant-guerre civile : titre d’un autre de mes livres, paru deux ans plus tôt, en 1999. Dans L’après-démocratie, on parle de quelque chose qui vient après, dans L’avant-guerre civile de quelque chose qui vient avant. Mais dans un cas comme dans l’autre, on est dans un entre-deux : un interrègne, si l’on veut. Sauf que ce n’est pas un état de choses stable, mais évolutif : un processus, donc. On se dirige d’un point à un autre. Les années 90 du siècle dernier ont été pour le régime occidental une décennie de transition, au sens où l’écart entre son étiquetage officiel, la démocratie, et la réalité n’a cessé tout au long de cette période de croître et de se creuser. Aujourd’hui il est abyssal, et tout le monde sait que nous ne sommes plus en démocratie : nous avons basculé dans autre chose. Pas seulement, me semble-t-il, dans l’après-démocratie, mais dans l’après-après démocratie. On n’en était pas encore exactement là l’époque.

    ÉLÉMENTS : Vous dites que nous sommes face à une « nouvelle espèce de totalitarisme ». Quelle est sa nature ? Et sa nouveauté ? Peut-on parler comme Mathieu Bock-Côté d’un « totalitarisme sans le Goulag » ? Comment se manifeste-t-il ?

    ÉRIC WERNER. Du régime actuel on peut effectivement dire que c’est un totalitarisme sans Goulag. Sauf que si, pour l’instant encore, il n’y a pas de Goulag, rien ne nous dit qu’il n’y en aura pas un demain (ou après-demain). Il y a quelques mois, le président tchèque, un ancien cadre militaire de l’OTAN, a dit que la police devrait accroître ses contrôles sur les citoyens russes vivant en Europe. Il a également établi un parallèle avec les citoyens japonais vivant aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale. On n’a pas assez prêté attention à cette déclaration. Rappellera-t-on qu’en 1941, après Pearl Harbor, une grande partie des citoyens japonais vivant aux États-Unis ont été déportés dans des camps d’internement. Personne ne sait ce que les services occidentaux ont aujourd’hui dans leurs tiroirs. Mais ils ont l’habitude d’y mettre pas mal de choses, se réservant la possibilité, le cas échéant, de les en faire émerger. Rappellera-t-on le précédent du Patriot Act en 2001. L’expression de « totalitarisme sans Goulag » est donc à prendre avec des pincettes. On ne saurait dire par ailleurs que Guantanamo ou les prisons secrètes de la CIA n’aient rien à voir avec le Goulag : rien à voir, assurément non. Même remarque encore à propos des lois antiterroristes, qui ont pour particularité de faire entrer dans le droit ordinaire certaines caractéristiques de l’état d’exception, comme la répression préventive. Si demain le régime occidental devait ouvrir des camps d’internement, il n’aurait pas besoin de beaucoup légiférer dans ce domaine. Les bases légales existent déjà. Mais j’irais plus loin encore. Cela n’a pas de sens de parler de « totalitarisme sans le Goulag », car en lui-même déjà, le totalitarisme renvoie à l’idée de Goulag. Le Goulag est un totalitarisme en plus petit, tout comme le totalitarisme est un Goulag en plus grand. Qu’est-ce que la société de surveillance, sinon un Panoptikum à plus grande échelle : celle de la société tout entière ? On a de bonnes raisons d’ailleurs de penser que les technologies auxquelles ont aujourd’hui recours les autorités dans ce domaine ont été au préalable testées en milieu carcéral. On relira à ce sujet Technosmose, le roman d’anticipation de Mathieu Terence (Gallimard, 2007). L’auteur y décrit une prison du 3ème type, prison annonçant la société de demain (le demain de l’époque). Elle joue le rôle de laboratoire expérimental. « Imaginer la prison idéale, c’est rêver de la société idéale », dit son concepteur. Inutile de dire qu’on ne s’évade jamais de telles prisons. Il est très difficile également de s’évader de la société de surveillance.

    ÉLÉMENTS : « Lorsqu’on se rend compte qu’on est en train de basculer dans la dictature, en règle générale il est déjà trop tard pour réagir. Le point de non-retour est depuis longtemps dépassé », écrivez-vous. Serait-ce le syndrome de la grenouille appliqué à l’homme ? Plongée dans l’eau chaude, la grenouille s’échappe ; plongée dans une eau fraîche que l’on porte progressivement à ébullition, elle s’engourdit et meurt…

    ÉRIC WERNER. Quand je dis qu’il est trop tard pour réagir, je parle des gens qui croient qu’on est en démocratie. C’est ce que leur racontent les autorités, et ils le croient. Ils subissent donc le sort de la grenouille : ils meurent. Ce n’est bien sûr qu’une image. Cela étant, beaucoup de gens aussi résistent à la propagande, même s’ils ne sont qu’une minorité. Eux, en revanche, ne meurent pas. L’essentiel est donc de résister à la propagande, de ne pas se laisser engourdir par les violons officiels parlant de choses qui n’existent pas : État de droit, indépendance de la justice, grands médias objectifs n’ayant d’autre souci que la recherche de la vérité, etc. C’est très exactement le discours de Pangloss dans le Candide de Voltaire : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Il n’en est évidemment rien. Au-delà, se pose la question des outils qu’on utilise. Quel sens cela a-t-il d’utiliser les outils de la démocratie quand il n’y a plus de démocratie ? On peut certes continuer à les utiliser. Beaucoup le font. Sauf qu’au minimum, ils se condamnent ainsi à l’impuissance. C’est perdre son temps et son énergie. Il importe donc, si l’on est raisonnable, d’en utiliser d’autres, mieux adaptés à la réalité. Plus fondamentalement encore, l’essentiel est de comprendre qu’on ne peut pas faire n’importe quoi à n’importe quel moment. Il y a des choses qu’on peut faire à certaines époques mais non à d’autres : à d’autres elles n’ont aucun sens, à limite, même, deviennent contre-productives. Il faut donc être attentif aux changements d’époque. Le recours aux forêts intervient dans un contexte de changement d’époque.

    ÉLÉMENTS : Le mot « dictature » n’est-il pas inadéquat ? On s’est souvent moqué de Mai 1968, révolution sans mort. Qu’en est-il d’une dictature sans Goulag (on l’a dit), sans condamnés à mort, sans camps de prisonniers politiques ? Jean-Yves Le Gallou a pu parler de « moulag », un goulag mou. D’autres de post-totalitarisme. D’autres encore de « globalitarisme ». Etc. Tout notre problème ne vient-il pas de notre incapacité à mettre un mot sur ce nouveau régime de surveillance et de répression ?

    ÉRIC WERNER. Toutes ces expressions sont sujettes à caution, celle de « totalitarisme sans goulag » en particulier, mais je viens d’en parler. L’expression de « goulag mou » me semble également inappropriée. Je ne pense pas que le régime actuel soit particulièrement mou : assurément non. Il peut au contraire se révéler d’une extrême férocité. On l’a vu en France lors de la répression du mouvement des Gilets jaunes, mais pas seulement. Il n’y a peut-être pas de « camps de prisonniers politiques » en Occident (pas encore), en revanche on ne peut pas dire que les gens ne sont pas persécutés pour leurs opinions. Ces persécutions sont bien réelles. Il faut être aveugle pour prétendre le contraire. Zinoviev distinguait entre le communisme comme idée et le communisme comme réalité. De même, à mon avis, il faut distinguer entre le régime occidental comme idée et le régime occidental comme réalité. En ce sens, peu importe les mots qu’on utilise. L’important, c’est de bien décrire la réalité, sans se laisser égarer par les fausses apparences, concrètement par la propagande nous disant, par exemple, que nous vivons dans un « État de droit ». Ce n’est en aucune manière le cas. Je ne dirais pas que le droit ne joue aucun rôle dans le régime occidental. Mais le droit est surtout aujourd’hui un instrument de pouvoir, plus exactement encore d’intimidation. Les autorités l’appliquent ou ne l’appliquent pas suivant l’intérêt qu’elles ont ou non à l’appliquer. Elles-mêmes, en tout état de cause, se considèrent comme au-dessus des lois : en témoigne, entre autres, leur recours de plus en plus fréquent aux services spéciaux pour gérer certaines situations (y compris d’ordre privé, comme on l’a vu récemment en Suisse). L’hybris, il est vrai, leur fait parfois perdre le sens des limites, en sorte qu’elles en subissent ensuite les conséquences. Mais on ne dira pas que cela ait un quelconque lien avec l’ État de droit. C’est juste lesdites limites se rappelant à leur bon souvenir. Il en va de même de l’utilisation du droit à des fins de règlements de compte et autres échanges de bons procédés (comme, bien sûr, cela n’arrive jamais). Plus fondamentalement encore, le droit est une épée de Damoclès. Il peut vous tomber dessus à tout moment, pour tout et à peu près n’importe quoi. Mais il ne tombe jamais par hasard. En ce sens, comme je viens de le dire, il a rôle d’intimidation.

    Ce qui précède va à l’encontre d’une thèse à l’heure actuelle très à la mode, celle du gouvernement des juges. Il y aurait ainsi trop de droit en Occident et pas assez de démocratie. Il n’y a en réalité pas plus de droit que de démocratie. Le gouvernement des juges n’a rien à voir avec l’État de droit. C’est un pouvoir comme les autres, à la limite même plus dangereux encore que les autres, car plus hypocrite. Certains me reprocheront peut-être mon manque de nuance. Mais je dis la réalité.

    Revenons-en maintenant à l’étiquetage. Le mot totalitarisme s’impose tout naturellement (« Tout dans l’État, rien en dehors de l’État, rien contre l’État »), mais il faut alors parler d’une nouvelle espèce de totalitarisme : la pierre angulaire en est les services spéciaux articulés aux NTIC, d’une part, au contrôle de l’information de l’autre. On pourrait aussi parler de tyrannie, mais en précisant bien que le tyran est aujourd’hui collectif : c’est la suprasociété (autre nom de la Nouvelle Classe). Dictature, pareil, sauf que la dictature actuelle n’a bien sûr rien à voir avec l’institution du même nom dans l’ancienne Rome. On parle d’autre chose, à certains égards même du contraire, puisque à Rome la dictature était instaurée pour six mois et qu’au bout de ces six mois le dictateur rentrait dans le rang : c’était un régime d’exception. Aujourd’hui, à l’inverse, l’exception est devenue la règle, comme on le voit avec les lois antiterroristes.

    ÉLÉMENTS : Savez-vous que sur la base de certains passages de votre livre, Prendre le maquis avec Ernst Jünger, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur français, pourrait vous faire arrêter si jamais il vous prenait l’envie de venir en France ? Quand vous écrivez : « Cela va du simple non-consentement silencieux à la guerre de partisans, en passant par la résistance passive, la désobéissance civile, la grève, le sabotage, l’émeute, le refus de payer l’impôt, etc. » Il a fait interdire des réunions et dissoudre des mouvements pour moins que cela… Aujourd’hui il ferait condamner Ernst Jünger, là où Mitterrand rendait hommage à Jünger pour ses cent ans… C’est sûr, les libertés n’ont pas entretemps avancé.

    ÉRIC WERNER. Vous remarquerez qu’à aucun moment, dans mon texte, je ne parle de créer un mouvement : je ne crois pas du tout à ces choses, elles sont d’une autre époque. Pour le reste, si les autorités veulent me compliquer la vie, elles trouveront toujours un prétexte pour le faire : celui-là ou un autre. Dans ce passage, j’explique ce qu’est la résistance, quelles sont concrètement les choses qu’elle inclut en son concept. Je ne dis donc pas ce qu’il faut faire ou ne pas faire, je dis ce qui est. C’est une énumération factuelle. A priori cela n’a rien d’illégal. Mais effectivement les autorités peuvent très bien décréter le contraire. La dictature n’est pas un vain mot. À partir de là, la question de savoir si ce que l’on dit est légal ou illégal n’a plus tellement d’importance. On peut même complètement la laisser de côté. On est très loin également du débat wébérien sur le savant et le politique. Max Weber avait établi une ligne de séparation stricte entre la science et la politique : c’était la neutralité axiologique. En elle-même elle est très discutable. Il n’est pas aussi facile que ne le dit Weber de séparer jugements de fait et jugements de valeur. Mais elle a un rôle protecteur. Avait. Aujourd’hui elle ne nous protège plus de rien. Ce ne sont plus aujourd’hui seulement certains jugements de valeur qui sont criminalisés mais certains jugements de fait. Littéralement, il n’y a plus aucune limite.

    ÉLÉMENTS : Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Autrement dit : peut-on envisager une dictature sans dictateur, pilotée par ce que Marx appelait dans un autre registre un « sujet automate » ? Ne consacrez-vous pas votre premier chapitre à « l’automatisme ». Qu’est-ce qu’il faut entendre par ce terme ? L’asservissement de l’homme par la technique qui nous « encerclerait » ? Automatisation, atomisation, anomie ?

    ÉRIC WERNER. Les trois mots sont importants. Commençons par le premier. L’automatisation est aujourd’hui associée aux NTIC, en lesquelles on peut raisonnablement voir le point d’aboutissement de la civilisation technique. Tout, ou à peu près tout, fonctionne aujourd’hui automatiquement, y compris, au moins en apparence, l’homme lui-même. Ce n’est pas exactement nouveau comme tendance. La division industrielle du travail, théorisée au début du XXe siècle aux États-Unis, relevait déjà de la robotisation. Elle s’était heurtée à l’époque à une forte opposition ouvrière. Christopher Lasch en parle dans son livre, Le seul et vrai paradis. Mais elle a fini par triompher. Les syndicats eux-mêmes ont fini par s’y rallier. Comme le montre Christopher Lasch, ils ont préféré se battre sur les salaires et le niveau de vie plutôt que sur les conditions de travail. À tort, d’après lui. Aujourd’hui, les mêmes problèmes réapparaissent, mais en pire. D’où les burn-outs et autres symptômes d’épuisement au travail. C’est très bien étudié par les psychiatres et les spécialistes de la médecine du travail. Plus les cancers en constante augmentation, en particulier chez les moins de cinquante ans (+ 80 % en trente ans). C’est en fait une vie d’esclave, mais sans le nom. Certains font de la résistance passive, comme le héros de la nouvelle de Melville, Bartleby. Mais ils ne sont pas la majorité. La plupart s’essoufflent à suivre. Maintenant, y a-t-il un pilote dans l’avion ? Bien sûr qu’il y en a un. Il y en a toujours un. Il n’y a rien non plus de mystérieux dans ses motivations : c’est la recherche du profit, et pour cela des gains de productivité. La volonté d’asservissement est elle aussi une motivation. On voudrait faire croire que les robots ont pris le pouvoir ou s’apprêteraient à le prendre : il n’en est évidemment rien. Les robots font ce qu’on leur dit de faire, c’est tout. Il en va de même des humains utilisateurs. Sauf que les humains ont la possibilité de se révolter, possibilité que n’ont pas les robots. Mais c’est bien la seule différence. Autrement ils ressemblent beaucoup aux robots. C’est pourquoi, justement, on parle de robotisation. La robotisation, comme métaphore de l’asservissement.

    ÉLÉMENTS : Et l’atomisation ?

    ÉRIC WERNER. Aristote explique dans la Politique que le propre d’un régime tyrannique est d’« employer tous les moyens pour empêcher le plus possible tous les citoyens de se connaître les uns les autres » (1313 b 4-5). Ne se connaissant plus les uns les autres, il leur est dès lors difficile de se révolter. C’est en soi déjà une forme d’atomisation. L’atomisation est aussi un produit de la civilisation technique. C’est très bien décrit par Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. L’atomisation est le terreau même du totalitarisme. Mais ce que dit aussi Arendt, c’est que le totalitarisme fait aller l’atomisation jusqu’au bout d’elle-même. Beaucoup de traits du régime actuel se laissent interpréter sous cet angle. On l’a vu par exemple avec les mesures de confinement liées au Covid-19. Sous couvert de lutte contre la pandémie, le régime a testé son aptitude à contrôler les allées et venues des citoyens et surtout à les isoler les uns des autres. Ce n’est pas en vain, par ailleurs, que les dirigeants se sont fixé pour objectif la déconstruction de la famille traditionnelle, en fait de la famille tout court : le but étant que rien ne fasse plus écran entre la multitude des individus et l’État. La cancel culture et la destruction de l’école traditionnelle pourraient aussi s’interpréter sous cet angle. En règle générale, le lien social passe par le partage d’une culture commune. Si le but est d’« employer tous les moyens pour empêcher le plus possible tous les citoyens de se connaître les uns les autres », la liquidation de la culture ne peut pas ne pas apparaître comme un objectif souhaitable. L’asservissement passe ici par l’analphabétisme de masse.

    ÉLÉMENTS : Reste l’anomie…

    ÉRIC WERNER. L’anomie est l’absence de loi. Par absence de loi, il ne faut pas entendre la tendance à s’affranchir des lois existantes (il y a un lien avec l’anomie, mais le problème ici qui se pose est surtout celui de la dualité du juste et du légal), mais bien la remise en cause d’un certain nombre de barrières de séparation, celles, en particulier, rendant possible la construction de soi au cours des premiers âges de la vie : comme la distinction du vrai et du faux, du bien et du mal, la différence des générations, des sexes, etc. On ne dira pas, là encore, que les pouvoirs en place ne sont pour rien dans cette évolution. « Avec le totalitarisme, observe Ariane Bilheran (Psychologie du totalitarisme, Guy Trédaniel, 2023, p. 177), ce sont ces garde-fous qui sautent et nous font régresser dans la vie psychique la plus archaïque, marquée par le primat d’un état pulsionnel. » Les autorités voient tout cela plutôt d’un bon œil, car avec la construction de soi c’est la capacité même de résistance de l’individu qui disparaît. L’individu n’existe pour ainsi dire plus, il s’est transformé en molécule docile et malléable, le cas échéant robotisée. Autant dire que les autorités ont désormais le champ libre, rien ne s’oppose plus à leurs entreprises. L’état pulsionnel réserve, il est vrai, parfois certaines surprises. Mais il y a la police. L’anomie d’un côté, la police de l’autre. Ce sont les deux faces d’une même réalité : le totalitarisme. La police ne remplace évidemment pas la construction de soi. Elle est juste là pour veiller à ce que les effets liés à la non-construction de soi restent sous contrôle. C’est l’équivalent en politique de la gestion des flux tendus en économie. On pousse le système à ses extrêmes limites en intervenant le cas échéant pour empêcher qu’il ne tombe en panne.

    ÉLÉMENTS : Comment résister à l’automatisme ? Par la culture, dites-vous. La résistance par le livre. Quelle est la fonction des grands textes, littéraires ou philosophiques ?

    ÉRIC WERNER. Les grands textes sont le complément intellectuel du recours aux forêts. S’en nourrir est une manière aussi de se ré-enraciner. Cela étant, il ne faut pas les fétichiser. Ils ne prennent sens qu’au travers d’un travail d’appropriation personnelle ne s’arrêtant jamais vraiment. L’effort visant à en tirer la « substantifique moelle » doit en permanence être recommencé, approfondi. Dire aussi que les grands textes offrent une alternative à la propagande officielle, celle déversée 24 heures sur 24 dans l’espace public, et qu’à ce titre ils ouvrent un espace de liberté. Ils montrent qu’il y a une autre manière de poser les problèmes que la manière officielle. En soi déjà c’est très subversif. Rien d’étonnant dès lors à ce que les autorités les tiennent en suspicion. De fait, ils sont de moins en moins enseignés dans les établissements d’enseignement public, écoles et universités. En beaucoup d’universités américaines, ils ont même tout simplement été écartés du plan d’études. Un universitaire américain le déplore en ces termes : « D’ici à quelques années, il n’y aura plus personne pour transmettre l’héritage intellectuel classique » (Le Figaro, 9-10 décembre 2023). La censure littéraire est également un problème. Au cours de l’année universitaire 2022-2023, 3 362 références de livres ont été interdites et retirées des établissements publics aux États-Unis, parmi lesquelles le roman de George Orwell, 1984. Dans certains Etats, les bibliothécaires qui ignorent ces interdits s’exposent à des peines d’amendes et de prison (Le Figaro, 21 décembre 2023). Censurer George Orwell, d’un point de vue totalitaire, cela me paraît logique. Personnellement je pense que cette tendance n’en est encore qu’à ses débuts. On est habitué depuis toujours à avoir un accès facile aux classiques et à la culture. C’est encore dans une certaine mesure le cas. Mais moins aujourd’hui déjà qu’hier. Cela le sera probablement moins encore demain. C’est le pendant laïc de la sécularisation. Après la sortie de la religion, la sortie de la culture. Tant la culture que la religion font obstacle à l’automatisme, partant aussi à la domination totale. Il est donc normal que l’État total cherche à les supprimer. Il ne sera vraiment tranquille que quand toute trace en aura été effacée. À partir de là, on voit bien qu’on ne peut pas se contenter de dire que le livre nous aide à résister. Il nous aide, certes, à résister, c’est un adjuvant aux forces morales, mais lui-même est aujourd’hui très exposé. C’est l’autre aspect de la question. Les grands textes nous fortifient moralement, mais nous-mêmes, en sens inverse, avons à prendre leur défense, car l’époque ne leur est guère favorable. On pense en particulier aux mesures de protection qu’il conviendrait de mettre en œuvre pour les soustraire à la censure, et à terme aux autodafés appelés très probablement à se multiplier ces prochaines années. Elles aussi, ces mesures de protection, relèvent du recours aux forêts.

    Ajouterais-je que, pour utiles et importants qu’ils soient, les grands textes ne permettent pas à eux seuls de répondre à toutes les questions que nous nous posons sur nous-mêmes et sur la conduite à tenir en l’époque troublée qui est la nôtre. Il en faudrait d’autres reprenant certes les textes en question mais les complétant en même temps, un peu comme ont su si bien le faire les humanistes à l’époque de la Renaissance lorsque, s’inspirant de la sagesse antique et s’appropriant les préceptes des moralistes stoïciens et épicuriens, ils ont écrit leurs propres ouvrages pour répondre aux questionnements spécifiques de leur temps. Car ce n’étaient pas ceux de l’Antiquité ! De même, « faire bien l’homme », comme on le disait au XVIe siècle, ne se décline assurément plus aujourd’hui dans les mêmes termes qu’au XVIe siècle. Entre-temps, beaucoup de choses ont changé : non pas peut-être l’homme lui-même, mais à coup sûr la société, et par voie de conséquence aussi la politique. Le livre de Jünger nous montre à cet égard la voie à suivre. Il dessine les contours d’une sagesse adaptée à notre temps. Mais lui-même, ce livre, date déjà de plus d’un demi-siècle ! Qu’est-ce que « faire bien l’homme » en 2023 ? Concrètement ? Même si le Traité du rebelle laisse entrevoir certaines réponses, il ne peut pas répondre complètement à notre place. Nous seuls, sur la base de notre propre expérience personnelle, en même temps que des expériences vécues avec d’autres, pouvons apporter une réponse sinon complète, du moins relativement appropriée.

    Eric Werner, propos recueillis par François Bousquet (Site de la revue Éléments, 16 janvier 2024)

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  • La défaite de l'Occident...

    Les éditions Gallimard viennent de publier un nouvel essai d'Emmanuel Todd intitulé La défaite de l'Occident. Anthropologue, démographe et historien, Emmanuel Todd est l'auteur de nombreux essais.

     

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    " L'implosion de l'URSS a remis l'histoire en mouvement. Elle avait plongé la Russie dans une crise violente. Elle avait surtout créé un vide planétaire qui a aspiré l'Amérique, pourtant elle-même en crise dès 1980. Un mouvement paradoxal s'est alors déclenché : l'expansion conquérante d'un Occident qui dépérissait en son cœur. La disparition du protestantisme a mené l'Amérique, par étapes, du néo-libéralisme au nihilisme ; et la Grande-Bretagne, de la financiarisation à la perte du sens de l'humour. L'état zéro de la religion a conduit l'Union européenne au suicide mais l'Allemagne devrait ressusciter. Entre 2016 et 2022, le nihilisme occidental a fusionné avec celui de l'Ukraine, né lui de la décomposition de la sphère soviétique. Ensemble, OTAN et Ukraine sont venus buter sur une Russie stabilisée, redevenue une grande puissance, désormais conservatrice, rassurante pour ce Reste du monde qui ne veut pas suivre l'Occident dans son aventure. Les dirigeants russes ont décidé une bataille d'arrêt : ils ont défié l'OTAN et envahi l'Ukraine. Mobilisant les ressources de l'économie critique, de la sociologie religieuse et de l'anthropologie des profondeurs, Emmanuel Todd nous propose un tour du monde réel, de la Russie à l'Ukraine, des anciennes démocraties populaires à l'Allemagne, de la Grande-Bretagne à la Scandinavie et aux États-Unis, sans oublier ce Reste du monde dont le choix a décidé de l'issue de la guerre. "

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  • Crise mondiale : une aubaine pour la Chine...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Chesnel cueilli sur Geopragma et consacré au jeu de la Chine dans le chaos mondial.  Ancien ambassadeur et agrégé d'histoire, Gérard Chesnel est membre fondateur de Geopragma.

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    Crise mondiale : une aubaine pour la Chine

    Les relations internationales connaissent, depuis plusieurs années, un grand chambardement, qui s’est accentué depuis la crise de l’Ukraine et, tout récemment, la question palestinienne. Les changements en profondeur des équilibres traditionnels, s’ils inquiètent à juste titre les pays occidentaux, sont au contraire, pour la Chine et quelques grands pays du Sud, porteurs de promesses.

    Un exemple parmi beaucoup d’autres : fin 2020, les accords d’Abraham ont permis, sous l’égide des Etats-Unis, une normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes, Bahrein, les Emirats Arabes Unis, le Maroc ainsi, un peu plus tard, que le Soudan. Ce fut le plus grand succès diplomatique de Donald Trump. A peine trois ans plus tard, en juillet 2023, c’est sous l’œil bienveillant de Xi Jinping que l’Arabie Saoudite et l’Iran signent, à Pékin, un accord qui entérine leur rapprochement. Washington n’est pas dans le jeu. On peut épiloguer sur les raisons qui ont entraîné cette attitude de Riyad. L’une d’entre elles est sans nul doute le besoin de consolider ses relations avec les pays de la région à l’heure où les difficultés s’accumulent avec Washington (notamment sur les Droits de l’Homme).

    Petit à petit, la Chine, avec la lenteur et la prudence qui caractérisent sa diplomatie, prend des parts de marché aux Etats-Unis. Et, sous ses encouragements, et souvent à son initiative, le Sud s’organise. En 2001 Pékin crée l’Organisation de Coopération de Shanghai, qui réunit six pays (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan) auxquels vont bientôt s’ajouter l’Inde et le Pakistan en 2016 puis l’Iran en 2021. L’Afghanistan, la Biélorussie et la Mongolie sont observateurs. On peut voir dans l’OCS un galop d’essai du projet tentaculaire des nouvelles routes de la soie (BRI ou Belt and Road Initiative).

    Et l’on n’en reste pas à l’Asie. Le 15è sommet des BRICS, à Johannesburg en août dernier, a entériné l’élargissement de l’organisation, à partir du 1er janvier 2024, à six nouveaux pays (Iran, Ethiopie, Egypte, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Argentine).

    La Chine tire derrière elle la Russie, mal aimée des pays occidentaux. Celle-ci fait partie de toutes les organisations susnommées, BRICS, OCS, BRI. La troisième session de bilan des nouvelles Routes de la Soie, le 17 octobre, à Pékin, a permis une mise en scène très réussie sur le plan médiatique, où Xi Jinping trône aux côtés de son hôte d’honneur, Vladimir Poutine (qui, quelques jours plus tôt, était annoncé comme mourant par une certaine presse occidentale). Mais à l’inverse de la rencontre entre Staline et Mao, à Moscou en décembre 1949, cette fois-ci le grand frère, c’est la Chine. Ce renforcement de l’amitié sino-russe est une mauvaise nouvelle pour l’Europe qui n’a pas su l’éviter, et a préféré se rallier sans discernement à la politique américaine de sanctions. Au total, il est remarquable que bon nombre de pays du Sud (32 exactement) se soient abstenus lorsqu’il s’est agi de condamner l’invasion russe de l’Ukraine.

    Certes, il existe aussi des problèmes dans les pays du « Sud ». On fait grand cas, à l’Ouest, de la disparition de plusieurs dirigeants chinois, dont le ministre des Affaires Etrangères nouvellement nommé. Comme si les difficultés que pourrait connaître la Chine devaient nous dispenser d’avoir une politique étrangère clairement définie.

    Mais il faut raison garder : le grand basculement n’est pas pour demain, même s’il a déjà commencé. Les pays africains qui se sont « libérés » de la présence française, avec l’aide de la Russie, n’ont pas encore réussi à installer de régimes stables, dans ce continent où les coups d’Etat sont si fréquents. Et nous ne devons pas les passer par pertes et profits. Notre coopération doit pouvoir reprendre si les conditions le permettent et il faut se tenir prêts. En Amérique du Sud, Lula a repris le pouvoir mais ses opposants, Bolsonaro en tête, n’ont pas baissé les bras.

    L’Europe a certes elle aussi son lot de problèmes qui peuvent hypothéquer l’avenir. La Hongrie se distingue particulièrement par ses réticences à suivre les règles européennes qui ne lui conviennent pas. Il en est de même de la Pologne qui n’a pas voulu se soumettre aux diktats de Bruxelles sur son système judiciaire. Et le nouveau gouvernement slovaque prend ses distances vis-à-vis de la politique européenne à l’égard de l’Ukraine. Mais l’Union Européenne parvient encore à maintenir une certaine cohésion, s’agissant de politique étrangère.

    Quid de l’OTAN ? La Suède n’y est toujours pas admise, face aux objections de la Turquie. Celle-ci joue d’ailleurs un rôle particulièrement ambigu : deuxième puissance militaire de l’Alliance, elle parvient à maintenir un dialogue constructif avec la Russie, notamment sur la question des exportations de blé et du contrôle de la mer Noire. Discrète, comme la Chine, sur la question palestinienne, elle semble attendre son heure pour jouer un rôle accru dans les conflits régionaux (sans oublier les problèmes du Karabagh et du Nakhitchevan).

    De tout cela, la Chine n’a que des bénéfices à tirer. Installée depuis toujours dans le temps long, elle pousse tranquillement ses pions sur le grand échiquier mondial, convaincue que l’avenir lui sera favorable.

    Gérard Chesnel (Geopragma, 19 novembre 2023)

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  • L'impasse ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré à l'impasse de la guerre en Ukraine.

    Jean-Philippe Immarigeon est avocat, docteur en droit public, essayiste et historien, il collabore à la Revue Défense Nationale depuis 2001, a publié de nombreux articles et plusieurs essais dont American parano et L’imposture américaine (Bourin, 2006 et 2009), La diagonale de la défaite (Bourin, 2010), et Pour en finir avec la Françamérique (Ellipses, 2012).

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    L'impasse ukrainienne

    Faut-il que l’Ukraine gagne sa guerre contre la Russie ? Cette question peut sembler incongrue, elle est pourtant posée par de nombreux analystes en France, en Asie et même aux États-Unis. On peut ainsi citer un long article publié et mis en ligne récemment par le magazine Harper’s, « Why are we in Ukraine ? » [1].

    Tous tournent autour de l’impasse où les pays de l’OTAN s’engluent aussi sûrement que dans la raspoutiza, que la contre-offensive ukrainienne échoue ou qu’elle réussisse. C’est une sortie diplomatique indépendante du facteur militaire qui est envisagée, c’est ce qu’on obtient également comme réponse lorsqu’on interroge ChatGPT – qui, sauf à être programmé par le FSB sur le narratif russe, est une synthèse de tout ce qui est publié : « Même si une victoire militaire est possible, la solution à la crise en Ukraine ne peut être que politique et doit être basée sur la volonté de toutes les parties concernées de travailler ensemble pour trouver un compromis mutuellement acceptable et respectueux des droits et des intérêts de toutes les parties. »

    Purgeons d’emblée la question : il y a un agresseur, la Russie, et il est vain de se lancer dans une rétrodiction stérile et d’invoquer, comme on dit en droit pénal, une excuse de provocation. Toutes les analyses sérieuses y consacrent pourtant de longs développements au risque de prêter le flanc à des accusations incongrues prétendant éluder tout débat. Sacrifions-y à notre tour et à ce risque, pour rappeler que les Russes avaient prévenu et motivé leur projet, qu’ils ont fait ce qu’ils avaient annoncé, et qu’il n’y avait rien de moins surprenant ni de moins inattendu que cette agression.

    Drang nach Osten

    Il a été sassé et ressassé que la Russie se cabre, depuis la disparition de l’URSS, à chaque avancée de l’OTAN vers ses frontières ; que ni l’Organisation ni les États-Unis n’ont tenu leurs promesses répétées de n’en rien faire ; que cette avancée a été dénoncée comme une faute majeure par les plus brillants stratégistes américains, dont Henry Kissinger ; que la France et l’Allemagne ont elles-mêmes longtemps mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine, mais qu’elles ont capitulé lorsque, le 10 novembre 2021, Kiev et Washington ont signé un accord de partenariat ; que Lavrov a proposé le 17 décembre 2021 la tenue d’une conférence sur la sécurité en Europe et deux drafts de négociation, et qu’on l’a envoyé promener ; qu’en conséquence, lors d’une réunion tenue au Kremlin le 21 décembre 2021 et dont la teneur est toujours en ligne sur son site, Poutine a annoncé la suite, et qu’on l’a laissé faire deux mois durant alors que les troupes russes se massaient sur le Don et en Biélorussie.

    Certes on peut, après avoir dénoncé ces dernières décennies l’erreur qui consiste à ne pas tenter de se mettre dans la peau de l’adversaire, s’étonner que les Russes se sentent agressés, qu’ils abordent l’OTAN comme une machine de guerre et non une aimable ONG à but humanitaire, ou qu’ils refusent de voir que les États-Unis sont la puissance du Bien (À Global Force for Good, pour citer un petit clip de l’US Navy). Mais l’article de Harper’s rappelle fort à propos que depuis le Kosovo, la Libye ou la Syrie, notre discours n’est plus crédible. Et ce n’est pas ce que les communistes nommaient dans les années 1950 le revanchisme allemand, qui exsude depuis 18 mois de chacune des interventions de Mme von der Leyen au nom de l’UE, qui est susceptible de les faire changer d’avis. Qu’ils se méprennent sur nos intentions ou qu’ils cèdent au discours de propagande du Kremlin, c’est un fait et ça n’a rien à voir avec un sentiment d’humiliation. La stratégie commence alors par le choix des mots, et il faut prendre les Russes dans les rets de leur propre discours.

    Relire Staline

    La stratégie, ça reste également de la géographie, même à l’heure des espaces fluides, et la géographie c’est savoir lire une carte. On considère que la Russie est un pays à l’échelle d’un continent, mais ça, c’est pour les panneaux Vidal-Lablache accrochés aux classes de notre enfance. C’est une erreur de perspective de lui prêter une profondeur stratégique allant jusqu’à l’Oural et même au-delà, car la ligne ultime de repli n’a pas changé depuis 1812 ou 1941, elle est tracée par la diagonale Saint-Pétersbourg – Smolensk – Voronej – Rostov. Au-delà, la Russie n’existe plus comme puissance.

    C’est cette ligne que trace Staline fin juillet 1942, au lendemain de la chute de Rostov et de la poussée de Manstein vers la Volga et le Caucase, en signant le fameux Ordre n° 227, celui du slogan Plus un pas en arrière qu’a repris Poutine. Cette formule n’est pas un sursaut de vanité, mais une nécessité, et ce texte est un des rares qui décrit sur le moment la situation périlleuse dans laquelle se trouvent à cette date les Alliés sur le Don, dans l’Atlantique, aux portes du Caire ou dans le Pacifique. S’il est impossible de reculer davantage, motive la Stavka, c’est que non seulement nous sommes à un point de rupture au-delà duquel même l’industrie américaine ne pourra rattraper la situation, mais qu’en termes de territoire, c’est la Russie utile qui va disparaître.

    Si l’OTAN, déjà dans les États baltes, demain en Finlande, avance de nouveau après-demain dans le Donbass puis en Biélorussie, cette ligne de repli ultime devient une ligne de front, mettant Saint-Pétersbourg et Volgograd (Leningrad et Stalingrad) à une minute des missiles occidentaux. Le Don ne sera plus ce paisible fleuve intérieur de la littérature et du cinéma russes, mais une coupure d’eau qui marquera la frontière militaire. Or une des grandes obsessions des Russes depuis le XVIIIe siècle est d’avoir des marches stratégiques, de l’espace en-avant – en-arrière ne leur sert à pas grand-chose – indépendamment de l’annexion de territoires, et c’est aussi à cela que servait le Pacte de Varsovie : les perdre serait revenir trois siècles en arrière. Poutine ou pas, ils ne l’accepteront pas, et à leur place nous ne l’accepterions pas. Ne pas le comprendre et même le refuser, c’est prendre notre billet pour dix, vingt, trente ans de guerre. Or plutôt que de tenter d’anticiper la suite, l’après-défaite ou l’après-victoire, plutôt que de définir ce que seraient les conditions d’une victoire et raisonner stratégiquement, nous nous sommes laissés entrainer dans un délire eschatologique par incapacité voire refus de penser cette guerre.

    Le degré zéro de la pensée stratégique

    La guerre d’Ukraine est en ce sens le premier conflit du XXIe siècle, non pas parce que, anticipé comme un cyber-conflit, il se résout en rattenkrieg dans des caves inondées et des faubourgs en ruine, mais parce qu’il a pris la forme d’un conflit civilisationnel, les deux camps s’invectivant dans d’hystériques outrances. À la résurgence de la vieille antienne anti-occidentale de préservation d’une identité slave et au retour de la censure brejnévienne, répondent l’interdiction de solistes ou de sportifs, l’autodafé d’ouvrages coupables d’être les agents propagateurs de visées impériales – malheureux Pouchkine, pauvre Gogol ! – et l’accusation de vouloir détruire la liberté et la démocratie. Mais prêter à Poutine, qui cherche aujourd’hui son armée comme Soubise une lanterne à la main, et à ses généraux la folie d’avoir voulu conquérir et occuper un pays de 40 millions d’habitants avec 200 fois moins de soldats, et au-delà ses voisins jusqu’à la Place de la Concorde comme on s’en inquiète aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés, relève d’un ridicule dont on en est certain qu’il ne tuera jamais personne. Les gens du Kremlin sont assurément des fous furieux, certainement pas des débiles [2].

    C’est d’ailleurs étrangement cette absence de perspective d’une guerre de haute intensité qu’on lit dans la Loi de Programmation Militaire discutée actuellement au Parlement. On aurait pu parier à l’avance que, quelque soient le conflit, le lieu et les protagonistes, on nous resservirait le prêt-à-réchauffer d’un nouvel âge de la guerre avec du cyber, du spatial, et le concept fourre-tout d’hybridation. Loin de tirer une quelconque leçon tant de l’échec de Barkhane que du retex du Donbass, le texte ne sert qu’à justifier les choix de ces dernières années et l’apriorisme d’une conflictualité très hollywoodienne, réduisant le nombre de nos avions, de nos blindés et de nos frégates, de ce matériel que Kiev nous réclame à cor et à cri parce que la guerre, ça reste encore et pour longtemps une affaire d’avions, de blindés et de corps-à-corps, pas de drones ni de numérisation.

    De Munich à Munich

    La France est en outre à côté de la plaque par incapacité à prendre parti et à choisir le seul camp envisageable : le sien. Elle surjoue la solidarité atlantiste, faisant passer les revendications de tel de ses partenaires et les caprices de tel autre avant ses propres intérêts stratégiques [3]. Et après avoir défendu sa singularité d’autre puissance nucléaire européenne – que lui rappela Poutine quinze jours avant l’agression –, donc d’arbitre ultime en cas de montée aux extrêmes, elle l’a abdiquée lors de la réunion de février 2023 à Munich, une ville et un nom qui ne nous portent décidément pas chance.

    Mais quel intérêt avons-nous à cautionner la marche de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Moscovie ? Quel avenir la perspective d’une guerre pérenne réserve-t-il à la France, interlocuteur de la Russie depuis Tilsitt ? L’article de Harper’s susmentionné s’étonne que notre vieille nation millénaire assiste sans réagir et même accompagne le détricotage de décennies d’efforts diplomatiques et commerciaux, elle qui devrait parler en son nom et d’égale à égale avec la Russie plutôt que de servir de go-between – rôle qui, par absence de positionnement clair, a fini par lui échapper, puisqu’après avoir affirmé qu’elle ne laisserait ni la Turquie ni la Chine jouer ce rôle, elle vient de supplier cette dernière d’en endosser la tunique.

    L’article de Harper’s va même plus loin : comme dans cette scène d’un western de Sergio Leone où le héros explique à son acolyte qu’il y a d’un côté ceux qui ont un pistolet chargé et de l’autre ceux qui creusent, c’est à la France de négocier par-dessus ses partenaires européens sans mésuser de leur souveraineté qui, en l’absence de l’arme nucléaire, est très relative, comme l’est par exemple celle du Canada [4]. D’aucuns se récrieront puisqu’ils ne savent que crier, mais sans nous expliquer comment reprendre aux Russes leur victoire autrement qu’en précipitant l’Europe dans une nouvelle conflagration.

    Borodino

    Car si les hostilités cessaient maintenant, les Russes auraient gagné, à un prix humain, matériel et économique certes considérable – Poutine remplacera Pyrrhus dans le langage populaire – mais assumé. Car contrairement à nos analystes qui s’épuisent depuis plus d’un an à comptabiliser les morts et les chars pulvérisés, ils ne confondent pas tactique et stratégique. Lorsqu’à la fin des défilés sur la Place Rouge, l’orchestre s’avance vers la tribune pour entonner a capella un chant de la Seconde Guerre vantant, dans le refrain, l’esprit de Borodino de 1812, c’est que, victoire tactique pour nous, ce fut pour eux une victoire stratégique. Et en 2023, à défaut d’avoir réussi à s’avancer jusque tout le long du Dniepr du fait de leur échec à prendre Kharkov, ils ont tout de même atteint l’essentiel de leurs objectifs : sécurisation de la mer d’Azov, éloignement de la ligne de front du Don, rebond en avant en Biélorussie renucléarisée et sanctuarisation de l’oblast de Kaliningrad lui aussi nucléarisé, ce poignard au cœur de la Hanse, de la Baltique et de l’UE.

    Les Polonais sont inquiets, les Suédois tout autant, les États baltes cauchemardent sur le corridor de Suwalki, mais tous préfèrent soutenir les projets ukrainiens de reconquête de quelques positions au Donbass plutôt que de se concentrer sur le Festburg de l’antique Königsberg, bastion désormais imprenable d’où les missiles russes pourraient clouer au sol toute la défense européenne. Déconcertante inversion de priorité, à croire que plus personne ne sait lire une carte.

    Car il va falloir démilitariser Kaliningrad, ce qui est autrement plus important que de grappiller quelques villages sur la mer Noire. Ce sera une négociation globale, celle qu’appelaient les Russes fin 2021, dans laquelle les Ukrainiens, comme l’anticipe Harper’s, seront neutralisés, quelque soient leurs gains ou leurs pertes sur le terrain, et même à proportion de leurs gains ou de leurs pertes mis sur la table. Pourquoi dès lors s’obstiner dans ce qui apparaitra plus tard une Unnecessary war, pour reprendre un mot de Winston Churchill ?

    La fin de l’OTAN

    L’hypothèse que Poutine serait tombé dans un piège américain est peut-être exacte, mais c’est l’OTAN qui se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé. Il y a certes une puissance militaire russe à genoux, ce qu’Européens et Américains attendaient depuis 1949. Mais précisément ; à quoi sert désormais l’Alliance et son soutien actif voire participatif à cette guerre ? À valider des choix technologiques et un infocentrage de prothèses numériques dispersées, mais qui sont autant de failles et de portes d’entrée en cas de perte entre les mains de l’adversaire – il est bien tard pour s’en apercevoir et dégrader en catastrophe le matériel livré, comme les chars Abrams ? À risquer de voir nos Wunderwaffe se ridiculiser aussi pitoyablement que les T-72 ex-soviétiques au printemps 2022 ? L’Ukraine n’a pas droit à l’erreur, l’Alliance atlantique ne lui pardonnerait pas. Et quand bien même parviendrait-elle à repousser les Russes sur leur ligne de repli, allons-nous parfaire sa victoire éphémère en l’intégrant dans l’OTAN et en installant nos bases à la frontière russe ?

    Rien n’est plus contraire à la tradition américaine que de se lier irrévocablement, c’est pourquoi l’article 5 du Traité de 1949, qui n’a pu être accepté par le Sénat américain qu’au prix du vote d’une résolution dite Vandenberg, est optionnel et facultatif. Du temps de la guerre froide, la bataille de l’avant permettait d’échanger de l’espace contre du temps. Cette marge de manœuvre disparaîtra si l’OTAN est au contact de la Russie, et sans même évoquer une nouvelle poussée vers l’ouest des armées russes une fois refaites, une méprise ou un incident – comme il y en a déjà eu par le passé – et la nécessité cette fois-ci d’arbitrer en quelques minutes voire quelques dizaines de secondes, nous placeront dans une situation de risque extrême.

    L’hubris des Américains, cette pulsion qui les pousse à ne pas savoir s’arrêter ni jamais s’empêcher, pour reprendre la définition de Camus, les entraîne bien trop loin, tout à la fois par aveuglement sur leur puissance que par incapacité à la dialectiser. La réponse de ChatGPT – ce pur produit de la modélisation managériale américaine – citée en début d’article est d’ailleurs la même que la question soit : « peut-on gagner cette guerre ? », ou : « faut-il la gagner ? ». Face au risque d’Armageddon, les États-Unis pourront toujours abandonner le jour venu l’Europe à son sort, comme ils l’ont fait du Viêt Nam ou de l’Afghanistan, ce que l’article 5 leur permet sans déroger pour autant et ce qui était, faut-il le rappeler, l’hypothèse du général de Gaulle.

    Pour prévenir cette nouvelle débandade, la constitution d’un glacis stratégique entre l’OTAN et la Russie couvrant la Finlande, les États baltes, Kaliningrad, la Biélorussie et l’Ukraine relève non seulement du bon sens, mais de l’intérêt bien compris de tous, Européens, Russes et Américains. Nous allons devoir en décider au prochain sommet de l’OTAN à Vilnius, le 11 juillet 2023 : intégrer l’Ukraine en guerre n’apportera aucune sécurité, y compris à celle-ci, et nous ramènerait à l’époque d’un continent en guerre permanente.

    La victoire des neocons

    Mais, après tout, peut-être n’est-ce que le but recherché. Il n’est qu’à lire la jubilation de la presse américaine au spectacle d’une Vieille Europe replongeant dans les affres de la conflictualité pour mesurer la défaite historique et philosophique que constitue cette guerre – et que le nom de Poutine soit maudit rien que pour cela. Les sarcasmes contre une Europe kantienne reproduisent, au mot près, les anathèmes lus et entendus il y a vingt ans au moment de l’invasion de l’Irak et de notre réticence à y contribuer.

    Ce retour du discours hobbesien sur la naturalité de la guerre vue comme un tropisme immémorial – il guerre comme il pleut ou il neige – abolit la distinction entre violence et guerre et nous détourne de Rousseau et Clausewitz qui nous ont enseigné que la guerre est un choc de volontés, un acte politique de socialisation d’une violence sans doute primitive, mais qui n’était pas la guerre. Le projet européen, qui s’oppose en cela au naturalisme américain, serait définitivement invalidé sans que l’on comprenne pourquoi Bakhmout en 2023 serait davantage un identifiant de cet échec que Srebrenica en 1995.

    Un quarteron d’intellectuels en errance, se piquant d’historicité [5], s’est fait depuis seize mois l’ardent propagandiste de cette idéologie d’importation, annonçant la fin d’une Fin de l’Histoire à laquelle ils ont été les seuls à croire par incompréhension pour les uns, lecture biaisée ou incomprise de Fukuyama pour les autres. « Voici venu le temps de préparer la guerre qui vient pour retenir la paix qui s’en va », a ainsi pu écrire récemment l’un d’entre eux, comme si les aphorismes qui se veulent pascaliens pouvaient être laissés à la discrétion de ChatGPT. Les cicatrices que laissera cette nouvelle rétrogression de la civilisation européenne sont d’ores et déjà profondes. Unmitigated defeat, aurait pu encore dire Churchill. Disons plutôt : un naufrage.

    Jean-Philippe Immarigeon (Site de la revue Conflits, 28 mai 2023)

     

    Notes

    [1] Benjamin Schwarz & Christopher Layne, « Why are we in Ukraine ? On the dangers of American hubris », Harper’s Magazine, mis en ligne le 15 mai 2023, en version papier datée du 7 juin 2023, pp. 23-35.

    [2] « Far from expressing any ambition to conquer, occupy, and annex Ukraine (an impossible goal for the 190,000 troops that Russia eventually deployed in its initial attack on the country), all of Moscow’s demarches and demands during the run-up to the invasion made clear that “the key to everything is the guarantee that NATO will not expand eastward,” as Foreign Minister Sergey Lavrov put it in a press conference on January 14, 2022. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [3] « Il faut, diront certains, montrer notre solidarité avec nos partenaires. La question centrale sera alors évitée : les intérêts de ces partenaires et les nôtres sont-ils identiques ? […] Il se trouvera toujours des stratégistes pour argumenter – parfois brillamment – en faveur de cette tétanie volontaire, en opposant généralement la nécessité de respecter des valeurs et des principes pour éviter de procéder à une analyse sans concession de ce que sont les intérêts réels dans un contexte stratégique mouvant. Ce fixisme stratégique entraînera généralement une paralysie diplomatique – qui finit par se payer très cher une fois l’écart devenu insupportable, car trop visible, entre effort opérationnel et rendement stratégique. » Olivier Zajec, « Penser la stratégie. Une guerre dépolitisée est une guerre perdue d’avance », DSI, 11 mars 2022.

    [4] « Such a system would in fundamental aspects resemble a modern Concert of Europe, in which the dominant states of the E.U., on the one hand, and Russia, on the other, acknowledge each other’s security interests, including their respective spheres of influence. In practice, this would mean, for example, that the Baltic states and Poland would enjoy the same large, but ultimately circumscribed, degree of sovereignty as, say, Canada does. It would also mean that, while Paris and Berlin won’t find Moscow’s internal arrangements to their taste, they will resume economic and trade relations with Russia and build on myriad other areas of common interest. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [5] « Ce discours de la guerre perpétuelle n’est pas seulement l’invention triste de quelques intellectuels longtemps tenus en lisière, joint à un savoir qui est parfois celui d’aristocrates à la dérive ; ce discours exclusivement historico-politique par opposition au discours philosophico-juridique est un discours sombrement critique, mais aussi intensément mythique. C’est celui des amertumes, celui des plus fous espoirs. Il est donc étranger, par ses éléments fondamentaux, à la grande tradition des discours philosophico-juridiques. Pour les philosophes et les juristes, il est le discours extérieur, étranger. C’est le discours, forcément disqualifié, que l’on peut et que l’on doit tenir à l’écart parce qu’il faut, comme un préalable, l’annuler pour que puisse commencer, comme Loi, le discours juste et vrai. » Michel Foucault « Il faut sauver la société », Cours au Collège de France, 1975-19

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