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Métapo infos - Page 412

  • La tyrannie vertueuse...

    Les éditions du Cherche Midi viennent de publier un essai de Pierre Jourde intitulé La tyrannie vertueuse. Romancier et critique littéraire décapant, avec son compère Eric Naulleau, Pierre Jourde a tenu pendant plus de quinze ans l'excellent blog Confiture de culture.

     

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    " On croyait autrefois que la tyrannie future serait fondée sur les modèles des États totalitaires du milieu du xxe siècle. La prophétie était fausse. Ce sont les citoyens eux-mêmes, dans les sociétés démocratiques, qui organisent leur asservissement. Nul besoin de Big Brother : il y a Facebook, où les individus se dévoilent et se surveillent. On croyait aussi que, comme dans les procès faits à des artistes au xixe siècle, la censure continuerait à être l'apanage de l'État. Désormais, ce sont les intellectuels, les étudiants ; ce sont des groupes de femmes, d'homosexuels, de musulmans, de Noirs, qui exigent interdictions, mises au ban, renvois, et jusqu'à des excuses publiques, à la manière des procès de Moscou. On expurge les textes du passé, on y traque tout ce qui pourrait blesser les identités modernes, décidées à exercer leur tyrannie au nom de la justice et du progrès. La gauche française, qui s'est construite contre la religion, en vient à soutenir le pire obscurantisme religieux. Des femmes arborent le signe de leur sujétion, au nom de leur identité musulmane, tout en se réclamant du féminisme. Bienvenue dans ce monde à l'envers, brave new world où la culture de la surveillance universelle se substitue à la culture tout court. "

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  • Vous avez dit « national libéral » ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question du national libéralisme.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Vous avez dit « national libéral » ?

    Est-ce par hasard ? Les débats d’idées, qui sont aussi des débats de principes, n’ont pas leur place au Parlement européen. Tout est fait pour spécialiser, cantonner, séparer les sujets. Le jeu des commissions, les procédures qui président aux rapports, et jusqu’aux modalités de leur rédaction. Le terrain est bien balisé pour les experts et les sachants en lieu et place du suffrage universel, et pour des élites autodésignées sans responsabilités ni comptes à rendre, d’abord soucieuses d’éviter tout débat proprement politique. Pas question par exemple de lier protection de l’environnement et préférence nationale. Pas question d’interroger le lien entre montée de la pauvreté et totalitarisme du capital. Ni de lier destruction des syndicats et des corps intermédiaires avec recours massif à l’immigration.

    Le débat est relancé

    Ces débats autour du libéralisme, de la forme politique, de la souveraineté, de la démocratie, qui ne pourront être évités, nous les retrouvons au niveau national. La politique de Victor Orban assure la sécurité énergétique des Hongrois parce qu’elle lie organisation du marché et autonomie stratégique. La Bulgarie, dont la population comme le Premier ministre y étaient hostiles, accepte l’ouverture d’une base militaire américaine en vertu de promesses qui ne peuvent être refusées — seront-elles tenues ? Et le débat présidentiel français ouvre un nouveau chapitre dans le grand débat entre la droite et la gauche, le peuple et l’élite, le nationalisme conservateur et le nationalisme libéral.

    Un débat renouvelé par un constat largement imposé ; gauche et droite ne seraient plus l’axe de partage de l’électorat. L’analyse est portée notamment par ceux qui, tel Jérôme Sainte-Marie, voient dans l’affrontement d’un bloc élitaire et d’un bloc populaire la clé des élections à venir. Elle se nourrit en grande partie, des travaux de l’essayiste britannique établissant que la séparation entre les « nowhere », ceux qui n’ont plus d’attache déterminante avec un territoire, et les « anywhere » ceux qui sont de quelque part, à la fois se radicalise et reclasse les appartenances politiques ; on y retrouve sans surprise le diagnostic de la trahison du socialisme au nom du globalisme, un ralliement dont des « socialistes » comme Henri Weber ou Jacques Attali sont en grande partie responsables, au bénéfice exclusif des trusts financiers et des minorités appelées à dissoudre la conscience de classe aussi bien que le sentiment national.

    Mais il est aussi permis de la rapprocher du regard posé par Marcel Gauchet sur une aventure macroniste qui emploie sans le dire et sans l’admettre une grande partie des ressorts populistes, ignorant les partis, adoptant les postures du moment sans souci de ligne politique — le fameux « en même temps » — et usant avec bonheur des transgressions qui permettent d’opposer le « moderne » et le « dépassé », le mouvement et l’arrêt, bref, le bien et le mal.

    À l’évidence, l’évolution actuelle du débat présidentiel donne quelque consistance à la thèse. France d’en haut contre France d’en bas ; les Gilets Jaunes, et jusqu’au « Convoi de la Liberté », rejouent une scène connue, et dont malheureusement les résultats sont également connus. Il faut ici en revenir aux grands moments de l’histoire de France, et notamment à l’analyse de l’historien britannique (et trotskyste) Perry Anderson sur les effets sociaux de la Révolution française ; le peuple a fait le travail pour la bourgeoisie, il s’est battu pour qu’une nouvelle élite remplace l’ancienne, ou parfois la rejoigne, sans que grand-chose change pour lui. Le constat est rude, mais vaut d’être examiné ; un mouvement populiste qui n’est que populaire est condamné à être trahi par l’élite qu’il ne peut manquer de mettre en place.

    D’ailleurs, la plupart des mouvements populistes dans l’histoire n’ont ils pas été dès le départ mobilisés et utilisés par les élites montantes pour détrôner l’élite en place ? Le naufrage des nobilités socialistes et républicaines laminées par le macronisme et ses dévots en serait un bon exemple, récent et toujours actuel !     

    La thèse n’épuise pas le débat. D’abord parce que, comme l’analysent aussi bien Alain de Benoist que l’analyste conservateur chrétien et américain Gladden Pappin, gauche et droite sont d’abord des repères spatiaux sans contenu défini. En d’autres termes ; la facilité intellectuelle comme la nécessité de répartir les élus dans les assemblées continuera de faire vivre les notions de droite et de gauche — à moins de leur substituer celle d’en haut et d’en bas, mais pour changer quoi ? Ensuite et surtout, parce que la nouveauté du débat fait émerger sans l’épuiser la nouveauté de la question démocratique. Que deviennent en ce premier quart du XXIe siècle ces démocraties qui étaient tellement sûres de détenir les clés du monde ?

    À l’évidence, les clés sont brouillées. De la confusion qui monte, l’historien Ran Halévy donne un spectaculaire exemple dans l’essai ; «  La crise démocratique aux États-Unis » (Le Débat, 2022) ; prétendant analyser les troubles de la démocratie américaine, il semble attribuer une grande valeur démocratique au fait que Twitter ait censuré le Président en exercice Donald Trump ! Nous considérons tout au contraire que c’est l’absence de sanctions contre les censeurs privés, à peu près tous pro-démocrates, qui fausse le jeu démocratique — et les élections, de la même manière que l’emploi politique de l’argent des Soros, Gates, Bezos, et cie est une agression permanente contre la démocratie, c’est-à-dire la volonté des peuples, de la même manière que les pratiques américaines qui détournent l’argent des sanctions infligées aux entreprises par le Department of Justice vers les caisses des Fondations liées au parti démocrate (faites une donation, vous éviterez de payer l’amende !) portent gravement atteinte à la sincérité du scrutin.

    Que les milliardaires qui se vantent, comme Elon Musk, de pouvoir renverser n’importe quel gouvernement, soient toujours en liberté, est la plus sûre preuve de l’état post-démocratique des États-Unis — et de ceux qui, bon gré mal gré, sont contraints de les suivre.

    Et voilà où le débat s’emballe. Allons-nous vivre la première élection présidentielle entièrement commandée par l’argent, la corruption de l’argent étranger et l’achat des votes et des opinions par l’argent ? Sans y répondre pour l’instant, il est permis de considérer trois évolutions majeures.

    Patriotisme VS libéralisme

    D’abord, la séparation devenue radicale entre patriotisme et libéralisme. La révolution numérique et le totalitarisme du capital s’unissent pour détruire la Nation, la famille et l’enracinement comme les trois forces qui résistent encore à la fabrique de l’homme hors sol, l’homme de nulle part, l’homme de rien. Le libéralisme économique a désaccordé l’ambition personnelle et l’ambition collective, quand leur accord a été le secret de Rome, de l’empire britannique, comme des États-Unis jusqu’aux années 1990.

    L’atomisation de la société à laquelle œuvrent si bien les minorités bruyantes du « woke » élimine la possibilité même d’une résistance au règne absolu du capital. Voilà pourquoi tant de milliardaires financent un mouvement de destruction interne de la société américaine. Voilà pourquoi parler de national libéralisme insulte la réalité, comme la vie. La Nation ne peut pas être libérale au sens économique du terme, qui suppose qu’elle donne les clés de ses échanges, de ses territoires, de ses industries, à un marché mondial des capitaux, des changes et des droits de propriété qui ne joue qu’en faveur de la Nation la plus puissante.

    L’enrichissement des plus riches

    Ensuite, le conflit qui va devenir explosif entre l’enrichissement sans limites du plus petit nombre, le pouvoir de l’argent privé quand il se compte en milliards, dizaines ou centaines de milliards de dollars, et l’autonomie des peuples, ce qui s’appelle souveraineté. Le libéralisme économique prétend en finir avec toutes les limites quand le libéralisme politique les instaure et les tient comme condition de la paix. Dans les débats qui montent sur le pouvoir de corruption des dirigeants européens et français dont disposent les « Big Pharma », une chose est certaine, comme pour les cigarettiers, comme pour les pétroliers ; les milliards de dollars que peuvent mobiliser les Big Pharma donnent un pouvoir inouï de diffuser de fausses nouvelles, de payer des études falsifiées, d’acheter les experts, les commissions et les autorités, de réduire au silence les critiques, sans aucun contre-pouvoir capable de s’y opposer réellement. Autrement dit ; les démocraties se sont laissées mettre sous la tutelle de l’argent au nom d’un libéralisme dévoyé, qui a tout perdu en devenant libéralisme de l’individu et en oubliant d’être libéralisme politique — la faute à Benjamin Constant, parmi et avec tant d’autres !

    La technique

    Enfin, la pratique de l’économie comme science des moyens de la vie, de la technique comme moyen du progrès des conditions de vie, et l’autonomie des peuples, cet autre nom de la démocratie éclairée des Lumières. Nous en sommes au moment où l’autonomie, si longuement et durement conquise contre les Dieux, les seigneurs et les Rois, doit être reconquise contre la technique et contre l’économie. Chacun voit bien que le national libéralisme n’a qu’un projet, faire dévorer la Nation par l’entreprise, et assurer aux détenteurs du capital la bonne conscience de jadis ; les ouvriers sont mal payés mais ils vont à la messe le dimanche écouter les promesses de l’éternité ! Et s’il y a des pauvres, ils sont d’une grande Nation ! 

    Chacun sait qu’il n’a qu’un programme ; derrière les plis du drapeau, organiser la privatisation de tout ce qui peut l’être, la liquidation des systèmes de protection sociale, des mutualités nationales et des contrôles aux frontières, comme des politiques nationales d’aménagement du territoire, de relocalisation des industries stratégiques et le contrôle du capital des entreprises — proclamer son attachement à une Nation que l’on vide de tout contenu concret, à un État que l’on prive de tout moyen d’agir, pour en faire les trompes l’œil d’une occupation financière qui ne dit pas son nom. A chacun de méditer sur ce concours qu’on dit soumis à des rabbins du Moyen Age sur ce qui est le plus sacré, et qu’aurait gagné celui qui déclara ; « le pain ».

    Bien sûr, la naïveté n’est pas de mise. Jusqu’à un certain point l’intérêt de la Nation passe par l’intérêt des entreprises, qui créent les emplois, dont la productivité assurent les hauts salaires qui irriguent les territoires, et qui par l’innovation appliquée, gagnent les revenus mondiaux qui confortent le site national. Quand elles paient l’impôt. Quand elles ne délocalisent qu’en dernier choix. Quand elles servent l’intérêt national et le progrès territorial. Bien sûr, l’intérêt de la Nation passe aussi par les Fondations qu’établissent les milliardaires qui financent ce que l’État ne veut pas, ne peut pas ou ne pense pas à financer. Mais bien sûr aussi, l’État doit redéfinir les règles du jeu. Réinstituer les marchés contre les monopoles. Assurer que l’enrichissement de quelques-uns profite à tous. Rétablir des règles comptables qui confrontent l’entreprise à toutes les parties prenantes, et pas seulement au marché financier. Et, plus encore, assurer cette sécurité identitaire qui passe par la frontière, la famille, la citoyenneté et la stabilité du cadre de vie. Rien d’autre que le libéralisme politique. Si loin de ce que libéralisme économique a fait en tuant la liberté nationale, la liberté citoyenne, la seule qui vaille et qui dure. Celle de décider avec les siens d’un destin partagé.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 14 février 2022)

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  • Portraits et entrevues de Pierre-Antoine Cousteau

    Les éditions Via Romana viennent de publier un recueils de textes de Pierre-Antoine Cousteau intitulé Portraits et entrevues. Pilier de l'hebdomadaire Je suis partout, Pierre-Antoine Cousteau (1906-1958) est le coauteur de Dialogue de vaincus (Berg international, 1999) avec Lucien Rebatet, et l’auteur de Intra Muros (Via Romana, 2017), son journal de prison. Les éditions de La Nouvelle Librairie ont récemment publié un recueil de Pensées et aphorismes.

     

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    " « Ce recueil original illustre le talent de satiriste qui avait fait le succès de PAC. Du politicard français au mafieux américain, on y trouve une série de portraits et d'entretiens qui rappellent que, bien avant la naissance du groupe Jalons, Cousteau avait impitoyablement pastiché la presse institutionnelle. Les lecteurs de Paris-Soir s'étaient gondolés en découvrant les parodies de Paris-Sucre. D'autres avaient ri jaune.
    « Soixante-dix ans après restent les archétypes, éternels, et la technique, intacte. Et cette conviction que, au-delà des considérations conjoncturelles sur la Seconde Guerre mondiale, le frère du célèbre Commandant au bonnet rouge reste décidément hors du coup parce qu'il maniait l'humour noir, l'ironie et le second degré avec un naturel qui, de nos jours, n'est plus admis et encore moins compris.
    « On n'ose imaginer les ravages qu'il ferait, s'ébrouant dans le champ de l'antiracisme institutionnel, des délires intersectionnés, des têtes à claques médiatiques et des putes à clic d'Internet.
    « Sur la forme, le style est ferme, clair, fluide, sans fioriture ni effort apparent. L'écrivain parie encore sur l'intelligence du lecteur. Sur le fond, c'est pire. Qui ouvrira un livre de Pierre-Antoine Cousteau y trouvera un fatras de choses parfaitement désuètes comme la rectitude, le courage, le refus du relativisme, la fidélité à la parole donnée, le sens de l'honneur. Il n'y a plus de place pour un homme comme cela dans notre monde. » "

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  • L'idéologie du progrès...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Rémi Soulié, pour évoquer l'idéologie du progrès, reçoit l’historien Olivier Dard et le juriste Frédéric Rouvillois, qui ont codirigé avec Christophe Boutin le Dictionnaire du progressisme (Cerf, 2022), ainsi que Michel Geoffroy qui a récemment publié Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021).

     

                                            

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  • Tous furieux !...

    « Fort comme une bête, libre comme un dieu »... Telle est la devise de La Furia, le nouveau trimestriel satirique lancé en kiosque à la mi-janvier par Laurent Obertone, Papacito, Marsault et Laura Magné. Avec cette belle équipe de furieux, inutile de dire que la sulfateuse et le lance-flamme sont de sortie ! A leurs côtés, on trouve aussi Julien Rochedy, Stéphane Edouard, Elisabeth Lévy, Peno et quelques autres... A lire d'urgence !

     

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  • La navrante crise russo-ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Polémia et consacré à la crise ukrainienne. Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

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    La navrante crise Russo-Ukrainienne

    Quels que soient les sentiments ou les affinités que l’on peut éprouver envers l’Ukraine ou la Russie, et quelles que soient les responsabilités que l’on peut imputer à l’une ou à l’autre dans la crise qui les voit s’affronter,  leur différend est lourd de conséquences pour elles-mêmes et pour l’Europe. Le risque principal est l’enlisement dans un schéma géopolitique de type « néo-Guerre froide » dans lequel les Américains et certains dirigeants européens timorés cherchent à l’entraîner. L’esprit de croisade des Démocrates américains est toujours de mise, comme on le constate avec Biden. Mais surtout, en raison de la nouvelle polarisation mondiale sur le Pacifique, les Etats-Unis maintenant obsédés par la Chine entendent conserver le contrôle de l’Europe et empêcher, à tout prix, son éventuel rapprochement avec la Russie. Leur opposition virulente au gazoduc germano-russe de la Baltique en est la parfaite illustration.

    Russie et Europe, dos à dos, face au reste du monde

    Le bouleversement des rapports de forces mondiaux, et par conséquent des positionnements des États les uns par rapport aux autres, est total. Il concerne la Russie et l’Europe de la même manière. En effet, c’est toute l’organisation de l’espace planétaire qui a été transformée par le déplacement du centre du monde depuis l’Atlantique Nord vers le Pacifique Nord. Une translation qui est à mettre en rapport, bien entendu, avec la compétition pour l’hégémonie qui a débuté entre les États-Unis et la Chine. Et au milieu de laquelle les États européens ne sont plus que des enjeux, parce qu’aucun d’entre eux, pas même la Russie, ne peut prétendre à la puissance globale. Par ailleurs, les changements profonds, qu’ils soient démographiques ou culturels, qui affectent la géographie humaine mondiale, lancent à tous les Européens, de l’Est comme de l’Ouest, des défis communs immenses pour les décennies qui viennent.

    De sorte que la nouvelle configuration mondiale fait des deux voisins que sont l’Europe et la Russie, deux « alliés naturels » face au reste du monde. Il se trouve que la topologie géopolitique (c’est-à-dire la position des États dans le système spatial mondial) s’associe maintenant- c’est la nouveauté- à la topographie géopolitique (c’est-à-dire la continuité territoriale, et l’absence d’obstacles naturels) pour suggérer à tous les Européens un réalisme politique qui dépasse les idéologies et les ethnocentrismes.

    Le jeu mondial est, désormais, entre les mains des USA et de la Chine. Les États européens, Russie comprise, malgré tout le mérite de son président, ne sont plus que des puissances petites ou moyennes, au mieux des puissances régionales. La comparaison est écrasante comme le montrent ces quelques chiffres (SIPRI) de 2019 : 19 390 milliards de dollars de PIB pour les USA, 12 014 pour la Chine et 1527 milliards pour la Russie ; 600 milliards de dollars pour le budget militaire américain, 216 milliards pour le chinois et 69 milliards pour le russe. Ce même budget est de 57 milliards de dollars pour la France et de 41 milliards pour l’Allemagne. Si l’économie germanique est brillante, celle de la France l’est moins et celle de la Russie encore moins

    Au fond, pour faire image, l’Europe et la Russie sont face au reste du monde comme deux duellistes de l’ancien temps qui se retrouvent entourés de spadassins, lesquels en veulent à chacun d’eux. Il ne leur reste plus qu’à s’entendre, et dos à dos, à se défendre mutuellement, sachant que tout mauvais coup porté par l’un des deux à l’autre se retournerait contre lui-même. C’est déjà ce qui arrive à cause de l’Ukraine.

    Comment sortir de l’impasse ?

    L’impasse actuelle incombe aux deux parties en présence. D’un côté, il y a l’incurie diplomatique et stratégique de l’Union européenne et de tous les dirigeants des États européens, tous incapables de mener une véritable réflexion géopolitique. Au lieu de faire de l’Ukraine un « pont » entre l’Europe et la Russie, ils en ont fait une pomme de discorde aux dépens des Ukrainiens eux-mêmes. Car il ne fallait pas présenter l’association de l’Ukraine à l’UE comme une victoire sur la Russie, et emboiter le pas des États-Unis en laissant entendre que cette association était l’antichambre à une adhésion à l’Otan! Une organisation qui devrait avoir été dissoute depuis belle lurette, à la suite de celle du Pacte de Varsovie. Du côté de la Russie, le complexe ancien de l’encerclement perdure et les maladresses occidentales ne font qu’aviver un nationalisme épidermique, tandis que l’on a du mal à cerner les préjugés et les arrière-pensées de Moscou dans tout ce qui a trait à l’Europe. Cette crise est assez désespérante parce qu’elle est avant tout d’origine idéologique et qu’elle défie la rationalité géopolitique. Elle renvoie aux querelles nationalistes du siècle dernier sur des enjeux passablement dérisoires dans le nouveau contexte mondial.

    Comment en sortir, alors même que l’on est, peut-être, à la veille d’un nouvel affrontement ? Avec les provocations et les surenchères des uns et des autres et les interférences internationales cela semble possible. Pour éviter sinon le pire, mais pour empêcher tout au moins une nouvelle déchirure du continent européen, il serait judicieux que les protagonistes les plus concernés recherchent le compromis sur la solution la plus équitable et la plus efficace possible.

    D’une part, il serait temps que l’Ukraine admette, et les Européens avec elle,  le retour de la Crimée à la Russie, à laquelle elle a toujours appartenu depuis qu’elle l’a reconquise sur les Turcs. En dépit du caprice, au milieu du siècle dernier, du potentat soviétique, ukrainien d’origine, Nikita Khrouchtchev. Dans cette même perspective l’Union européenne se devrait de tempérer le président ukrainien et de conditionner l’adhésion de l’Ukraine à son espace, tout en rejetant son entrée dans l’Otan, à un accord avec la Russie, avec laquelle, dans le même temps les termes du partenariat existant, mais presque lettre morte, seraient revus. D’autre part, et en contrepartie, les Européens sont en droit d’attendre de la Russie plus de clarté sur la façon dont elle appréhende ses rapports avec eux-mêmes, et plus de rigueur dans les engagements commerciaux. Elle a d’ailleurs tout à y gagner sachant que ses ressources financières sont limitées et que sa dépendance de la Chine dans ce domaine se paiera, tôt ou tard, au prix fort. La garantie assurée d’un approvisionnement énergétique continue des Européens est en la matière une clause attendue.

    Cependant, toute grande perspective géopolitique et tout espace de négociations ont, en toutes circonstances, leur pierre d’achoppement ; en l’occurrence le Donbass. Car c’est sur cette région frontalière et binationale que se cristallisent les inimitiés. Etant donné que l’Ukraine a refusé la solution fédérale ou celle d’un statut spécifique et qu’une rectification des frontières est considérée comme impraticable ou comme dangereuse à envisager, les protagonistes vont avoir du mal à trouver une issue à leur différend. On ne peut que le regretter car c’est la constitution d’un grand espace européen, dont il est légitime d’attendre des solutions aux immenses problèmes qui n’ont pas fini de se poser, qui est mise entre parenthèses ou même écartée.

    Si heureusement rien d’irréparable n’arrive, il reste à espérer dans les temps qui viennent un changement positif dans les perceptions mutuelles,  lui-même dicté par le renversement du monde. À l’européanité renouvelée de la Russie, imposée par la montée en puissance de la Chine et de tout l’Orient, répondrait alors l’abandon de la représentation occidentalo-centrée du monde des Européens de l’Ouest.

    Gérard Dussouy (Polémia, 11 février 2022)

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