Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Métapo infos - Page 410

  • La société-traces : phase ultime de l’aliénation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia dans lequel il évoque la numérisation de nos vies. Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011) et  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015).

     

    Identité numérique.jpg

    La société-traces : phase ultime de l’aliénation ?

    Depuis l’origine même de la vie sur terre, il existe une relation indivisible entre l’homme et sa trace, l’homme n’a pas changé significativement à cet égard depuis le début de l’humanité. En phase avec les progrès technologiques, sa vie et son œuvre produisent aujourd’hui des traces autour de lui, dans l’environnement immédiat et plus large. Dans la discipline anthropologique, le paradigme de l’homme-trace définit l’homme comme sujet, producteur de traces, mais aussi en tant que « construit de traces ». Ces deux dimensions fonctionnent comme des rétroactions en interaction constante l’une avec l’autre et forment un système permanent d’interrelations. L’homme en tant que construction de traces est mieux connu et implique que ses interactions avec l’environnement construisent son identité dans son rapport à la réalité, l’homme intériorisant les traces de ces interactions. Il suffit de se souvenir des peintures rupestres zoomorphes de la grotte de Lascaux en France vers 13000 av. J.-C., les débuts de l’art paléolithique, pour constater le besoin primordial de l’homme d’extérioriser son être à travers des messages, des signes et des indices. Pour l’écrivain français Georges Bataille, les traces et les peintures de Lascaux sont la première forme d’art en tant que signe d’humanisation. Selon lui, Lascaux est un symbole du passage de l’animal à l’humain, « le lieu de notre naissance », c’est un « signe sensible de notre présence dans l’univers ». Pourtant, Bataille n’aurait pas pu imaginer à quel point la forme, le rôle et la puissance de la trace allaient évoluer, de l’empreinte originale de la paume d’une main dans la grotte aux traces numériques d’aujourd’hui sur Internet et les smartphones.

    Société du signe et société-traces

    L’impossibilité de supprimer et de manipuler les traces numériques suscite aujourd’hui les plus grandes craintes ; leurs quantités sont incommensurables, de même que les possibilités d’abus. Dans une perspective sémiologique, l’homme en tant qu’être symbolique a toujours cherché à « déchiffrer les signes du monde », comme le souligne Roland Barthes. Il a recherché le sens du signe sous la forme d’une sémiosis, dans diverses manifestations picturales, textuelles ou gestuelles. Le nouvel environnement numérique d’aujourd’hui dans lequel les traces numériques apparaissent et disparaissent simultanément en ligne pose une question ontologique et sémiologique : un clic de souris d’ordinateur ou une icône de tablette peut-il contribuer à mieux comprendre et déchiffrer les signes du monde ? Lorsque nous regardons les traces et les signes de manière sémiologique, il est clair que, lorsqu’il s’agit de signes, l’accent est mis sur le continuum entre le visible et l’invisible, car les signes naissent de l’acte d’expression d’un sens et (au moins en partie) d’une intentionnalité. Une trace numérique moderne, une empreinte numérique, est automatiquement créée lors du calcul, du codage ou de la liaison, le plus souvent sans prise de conscience du sujet. Se connecter à un ordinateur, à un appareil mobile intelligent, cliquer sur un lien ou commander des produits en ligne sont des activités quotidiennes que nous pratiquons inconsciemment, sans les percevoir comme une empreinte. Alors que le signe cherchait à prononcer et à partager du sens avec le plus grand nombre (code), la trace numérique fait l’objet d’un processus de personnalisation et cherche à calibrer une information. Cette logique de personnalisation trouve ses leviers les plus actifs dans les applications mobiles, les podcasts, les blogs. C’est ce qui fait dire à Louise Merzeau : « L’anthropologie a montré que la tekhnè consiste en une externalisation de nos fonctions. En s’externalisant, les facultés se modifient : elles acquièrent une dimension formelle et organisationnelle, qui dépasse l’individu et lui survit. Après la force, la perception, le calcul et la mémoire, l’identité pourrait bien être la dernière de nos propriétés ainsi mise au-dehors par nos médias. […] Dans la culture numérique, le signe, le message et le document sont appelés à être subsumés dans la catégorie des traces. Celle-ci ne désigne pas un nouveau type d’objet, mais un mode inédit de présence et d’efficacité, lié aux caractéristiques techniques et sociales des réseaux. » Ainsi nous passerions d’une société de signes, supports de messages et d’incarnation expressive, à une société de traces désincarnées, avec une traçabilité omniprésente et permanente.

    Traces et identité numérique

    L’impossibilité de supprimer et de manipuler abusivement les traces numériques suscite aujourd’hui les plus grandes craintes. En effet, dans le monde du numérique, il n’existe plus de document principal et de copies, mais une fragmentation constante des contenus, dans laquelle l’information s’adapte à chaque condition de lecture et d’écriture. L’entité numérique collecte les traces qui laissent nos connexions : requêtes, téléchargements, géolocalisations, achats, mais aussi des contenus produits, copiés, récupérés… Tout cela créé une forme fragmentée de notre identité numérique dispersée à travers les réseaux. Les opérateurs, les détaillants, les moteurs de recherche et l’intelligence artificielle en savent plus sur notre comportement numérique que nous, car ils ont la capacité d’archiver, de faire des références croisées et de modéliser.

    Les problèmes de contrôle des pistes numériques, de protection des données personnelles, de surveillance générale d’Internet sont des problèmes sociopolitiques qui n’avaient pas d’équivalent dans le monde analogique, du moins pas à ce point. Si tout génère une trace, si chaque trace devient mémoire, comment éviter l’étouffement de la mémoire et ce qu’il faut archiver, quels seront les « vestiges du passé » pertinents, comment trouver un équilibre entre mémoire et oubli ? Les questions du rôle et du statut social des traces numériques, trace comme empreinte, marqueur psychique, la question de la « mort numérique » et du droit à l’oubli (puisque les traces numériques ne s’effacent jamais complètement), sont devenues un enjeu civilisationnel, anthropologique ainsi qu’une question politique dont la résolution sera déterminante pour la société à venir.

    Gouvernance algorithmique et période post-documentaire

    Le sociologue Maxime Ouellet parle de la domination des algorithmes et de l’intelligence artificielle comme symptôme d’une crise radicale de l’idée de représentation, c’est-à-dire l’éloignement de la réalité, l’écart entre les mots et les choses. Aujourd’hui, la plupart des gouvernements technocratiques, qui réagissent presque par réflexe à l’évolution des courbes statistiques (épidémiques, économiques et financières), s’appuient sur un traitement rapide des mégadonnées plutôt que sur des normes sociales et juridiques, sur un langage ou une discussion dialogique. On passe de la culture du signe interprétatif à la culture du signal calculé. La sortie du monde sémiotique, en contrepoint de la sortie du symbolique et de l’histoire elle-même, achève le processus de déshumanisation technologique et virtuelle au sein des réseaux algorithmiques artificiels. Les algorithmes sont des entités anhistoriques, car ils traitent les informations indifféremment, sans tenir compte des projections du futur, et comme une telle gestion coïncide avec une forme de présentisme numérique, on peut dire que le capitalisme numérique est aussi le capitalisme de la présence pure. Les traces numériques ne sont pas des messages mais des données, et n’ont pas beaucoup de sens lorsqu’elles sont analysées séparément. Mais, collectées, traitées et combinées dans de grandes bases de données, elles peuvent révéler des informations importantes, stratégiques ou sensibles. La notion de traçabilité numérique (tracking) est de plus en plus présente dans nos sociétés en raison du contexte actuel de gestion de grandes bases de données (big data) dans lesquelles les données sont enregistrées et stockées par défaut. Les traces numériques peuvent être utilisées pour profiler les personnes, en extrayant automatiquement les profils de l’observation de leur comportement, ce qui est effectivement utilisé pour le marketing de réseau. Une nouvelle forme hybride de gestion électronique des documents génère le besoin de préserver et de gérer les métadonnées de tous les formulaires. Il s’agit d’une nouvelle gestion de l’information dans laquelle la préservation de la trace est une priorité, que certains analystes interprètent comme l’entrée dans l’ère moderne de la trace. L’interprétation des traces numériques, leurs analogies et leurs différences par rapport aux autres catégories de traces conduisent à des conclusions ambiguës. Bien que de telles interprétations s’accordent sur la matérialité de l’inscription numérique et des similitudes avec d’autres formes de traces, le processus même de création d’une trace numérique est spécifique car il dépend de la façon dont les algorithmes dirigent notre regard. Par conséquent, il convient de garder à l’esprit que l’indépendance réelle des traces numériques n’existe pas, car la nature même, la construction et l’algorithme ne sont pas technologiquement neutres et induisent une vision du monde, une certaine grammaire idéologique.

    Les nouvelles technologies bionumériques qui bouleversent les marqueurs traditionnels posent la question d’un nouveau statut anthropologique de la trace dépourvue du schéma corporel classique de l’identité humaine. La numérisation complète comme levier principal de la « grande réinitialisation » devrait offrir et appliquer une forme globalisée d’identités numériques. Après la première phase du « certificat Covid numérique de santé », un système généralisé devrait être appliqué, dans lequel toutes les données d’identité sanitaires, personnelles, professionnelles et bancaires seraient stockées dans un portefeuille numérique, tandis que l’autonomie des cartes d’identité classiques et des documents matériels devraient progressivement disparaître. La technologie numérique moderne est en train de passer à un processus de stockage quantitatif, appauvrissant l’identité ontologique et la qualité de la pensée. L’avenir des traces en tant que fragments de nos identités humaines au sein de leur exploitation technique et numérique se doit d’être pensé en tant qu’arraisonnement (le Gestell heideggerien) de l’être dans l’immatériel cybernétique, où le réel se calque sur le virtuel, de sorte que l’existant se pose non plus dans sa singularité et en tant que sujet, et ne prend du sens que comme donnée, profil et ressource numérique, reconstituable et interchangeable. Alors que la numérisation globale de nos identités accomplit la phase finale de l’aliénation de la vie humaine, de tout ce qui est vivant : bios, logos et anthropos deviennent des dispositifs du biopouvoir et du capitalisme de contrôle numérique. Nous serions alors bel et bien plongés dans l’ère numérique, qui, en tant qu’accélérateur de l’histoire, précipite vers son achèvement l’oubli de l’être.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 06 novembre 2021)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Vers l'autodéfense...

    Les éditions Jean-Cyrille Godefroy viennent de publier un nouvel essai de Bernard Wicht intitulé Vers l'autodéfense - Le défi des guerres internes. Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017) et Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019).

     

    Wicht_Vers l'autodéfense.jpg

    " Depuis la fin du XXe siècle, le capitalisme financier triomphant a vidé les États de leur substance, les empêchant de remplir leur fonction de protection de leurs populations. Dans l’espace laissé vide, une violence anarchique et capillaire s’est engouffrée. N’étant plus canalisée par le monopole étatique, elle se traduit par un continuum de guerres internes se déroulant au sein même des sociétés. Dans ces conditions, la stratégie doit en revenir aux questions premières : se défendre, identifier l’ennemi et, également, faire société dans un environnement où la nation ne constitue plus un cadre suffisant pour ancrer la cohésion des groupes sociaux, où ce n’est plus l’État, mais l’individu qui est dorénavant l’acteur de la guerre.

    Bernard Wicht nous emmène ainsi sur les traces de l’autodéfense et de son articulation lorsque le citoyen n’est plus un soldat, mais un simple contribuable — autrement dit, un « homme nu » coincé entre les dérives de l’État-policier et le pouvoir arbitraire des nouveaux barbares (narco-gangs, groupes armés, terroristes). Bernard Wicht s’efforce ainsi de mettre en évidence les ressorts de cette autodéfense dont dépend aujourd’hui notre destin. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • La chevalerie : histoire et idéal...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une longue intervention de Julien Rochedy consacrée à la chevalerie...

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy, qui est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire, a déjà publié plusieurs essais dont Nietzsche l'actuel, et L'amour et la guerre - Répondre au féminisme.

     

                                            

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Le grand malaise du pouvoir...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai d'Arnaud Benedetti intitulé Comment sont morts les politiques ? - Le grand malaise du pouvoir. Rédacteur en chef de La Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti est également professeur associé à Sorbonne Université, ainsi qu'aux Hautes études internationales et politiques.

     

    Benedetti_Comment sont morts les politiques.jpg

    La politique n'est plus ce qu'elle était. Impuissante et déclassée...

    Il était une fois un pays, la France, qu'avait fait la politique et qui était fait pour la politique. Il en était la terre de toutes les conceptions, raisons et déraisons, passions et pondérations. Ce temps n'est plus.
    Pourquoi assistons-nous au dépérissement de la politique ? Pourquoi n'assume-t-elle plus et ne protège-t-elle plus ni le peuple et les libertés, ni la nation et les citoyens ? Pourquoi ne résiste-t-elle pas à l'emprise de la globalisation, de l'individualisme et de la technique ? Comment cède-t-elle à la mainmise de la communication, du ritualisme et de l'expertise ? Comment abdique-t-elle son devoir de décision face aux opinions instantanées et volatiles ? Et comment les trois derniers quinquennats ont-ils accéléré le mouvement ?
    C'est en mémorialiste impartial et en observateur capital qu'Arnaud Benedetti éclaire ici l'étrange défaite des politiques qui apparaissent déclassés, décrédibilisés, discrédités. En historien qu'il dévoile ce théâtre d'ombres. En chroniqueur qu'il décrypte ses simulacres. En contradicteur qu'il détaille son abyssal bilan qui cumule fractures sociales, désinvestissements civiques, replis communautaires. Et en penseur qu'il nous interroge sur la fragilité de la démocratie.
    Voici, en forme de coup de poing, un appel au réveil. 

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Quand la Chine instrumentalise l’Université...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Françoise Monestier cueilli sur Polémia et consacré aux opérations d'influence menées par Pékin dans l'Université française, au travers, notamment, de son Institut Confucius.

    Concernant, plus généralement, les opérations d'influences chinoises, on peut consulter le rapport très copieux de l'IRSEM (plus de 600 pages), évoqué dans l'article, sur le site de cet organisme du ministère de la défense.

     

    Institut Confucius_Université.jpg

     

    Quand la Chine instrumentalise l’Université

    Il y a belle lurette que l’on connaît le poids du gauchisme dans le monde enseignant français, de l’école maternelle à l’université en passant par les lycées, tous gangrénés par cette maladie infantile du communisme décortiquée en son temps par le camarade Lénine. Si vous y ajoutez l’islam et les élucubrations des décoloniaux (enfants naturels de Mai 68 et des guerres coloniales), vous comprenez que notre système éducatif est à bout de souffle, quoique puissent   en dire Jean-Michel Blanquer ou Frédérique Vidal, tout juste bons à essayer de colmater des brèches de plus en plus importantes. Et pendant qu’ils se livrent à ces différents rafistolages, la Chine communiste avance ses pions sur l’échiquier académique en voulant imposer sa conception du monde, comme le constate le sénateur Gattolin dans un récent rapport du palais du Luxembourg sur les influences étrangères dans les universités françaises.

    Raffarin porte-coton de Pékin

    Le cas de la Turquie est également évoqué mais il est consternant de constater la naïveté des autorités françaises qui ont laissé s’installer les successeurs de Mao faire leur nid dans le monde du savoir sans y prendre garde et qui se réveillent bien tard alors que le ver est dans le fruit et que Pékin a patiemment tissé sa toile avec la complicité – il est vrai- de Jean-Pierre Raffarin, véritable commis-voyageur des dirigeants communistes chinois.

    Depuis janvier 2018, Jean-Pierre Raffarin est le représentant spécial du ministère des Affaires étrangères pour la Chine.  Sept ans plus tôt, il avait rédigé avec son épouse Ce que la Chine nous appris, un ouvrage publié en chinois – et dont il n’a pas surveillé la traduction, n’étant pas sinophone. Dans ce bouquin à la gloire du régime, il déclare que « les dirigeants chinois sont tous d’une grande qualité, que l’Ecole du Parti est « l’ENA de la Chine » et souligne l’utilité de l’absence d’opposition politique. Bien sûr, il critique le Dalaï-Lama pour ses « objectifs séparatistes ».  Pourtant, dans un livre paru en 2019, il était écrit : « On observe un crescendo : après les services, l’industrie, puis l’alimentaire, ce sont nos principes et nos valeurs qui sont à présent visés » (Emmanuel Dubois de Prisque/ Sophie Boisseau du Rocher dans La Chine est le monde).

    Instrumentalisation des sciences humaines et sociales , pressions sur le monde universitaire français, étudiants chinois formés pour influencer le monde enseignant et étudiant français ou surveillés pour rester dans la droite ligne du parti communiste chinois, Pékin ne recule devant rien pour parvenir à ses fins comme le confirment d’ailleurs Pierre Charon et Jean-Baptiste Jeangène, auteurs d’un autre rapport, publié cette fois par l’Institut de de recherche stratégique de l’Ecole Militaire ( IRSEM) et révélant que « plus de 300.000 personnes seraient mobilisées par le ministère de la Sécurité de l’Etat [chinois]  pour organiser la propagande à l’étranger et débloqueraient une véritable manne financière permettant d’arroser les universités complaisantes ». Les deux chercheurs rappellent que « le Parti-Etat utilise les Universités pour des connaissances et des technologies par des moyens légaux ou illégaux et dissimulés comme le vol et l’espionnage ».

    « La Chine apparaît à ce jour comme l’État le plus en mesure de conduire une stratégie d’influence globale et systémique », précisent de leur côté les auteurs du rapport sénatorial qui décrit des tentatives d’influence ne se limitant plus aux questions d’intelligence économique mais s’étendant aux libertés académiques et à l’intégrité scientifique.

    Confucius à la conquête de Tahiti et de Nouméa

    Parmi les outils de Pékin figurent en particulier les Instituts Confucius (IC), présents partout dans le monde entier. Chez nous, le premier Institut Confucius a vu le jour à Poitiers avec le soutien – vous vous en doutez – de l’inévitable Raffarin. Ils sont aujourd’hui au nombre de dix-sept, de Montpellier à Clermont-Ferrand en passant par Strasbourg, Montpellier et bien sûr Paris. Pékin n’oublie pas l’outre-mer puisqu’elle a ouvert une succursale à Tahiti afin – je cite — « de créer des passerelles entre les cultures polynésiennes et chinoises » et compte bien installer une antenne à Nouméa, haut-lieu de toutes ses attentions dans l’attente d’une victoire des indépendantistes canaques au prochain référendum sur la Nouvelle-Calédonie qui deviendrait ainsi protectorat chinois, sans parler des eaux territoriales où la marine jaune pourrait s’ébattre en toute liberté.

    Officiellement, il s’agit de faire rayonner la culture chinoise, en autonomie ou en partenariat avec des universités. Mais ces instituts sont en fait des instruments de propagande qui menacent la liberté académique de leurs partenaires et, dans le pire des cas, peuvent abriter des espions. De plus, les manuels utilisés sont tous avalisés par le gouvernement chinois qui peut ainsi contrôler efficacement tous ceux qui apprennent le mandarin et réprimander ceux qui seraient tentés de parler du Tibet ou des Ouïghours dans leurs interventions.

    Décrits depuis 2019 par le Comité central du parti communiste comme les outils d’une « politique gouvernementale »,  ces VRP du président chinois qui présentent, par exemple, Taïwan comme faisant partie intégrante de la Chine, sont des relais du récit officiel dans les facultés qui n’ont pas leur propre département d’études chinoises. Hélas ! Par naïveté ou par bêtise, la plupart des universités françaises ont signé avec Pékin des partenariats et des formes de coopération qui place ainsi les hommes du régime chinois et imposent les vues de celui-ci en en finançant ses investissements…

    L’œil de Pékin

    Non content d’avoir à sa botte les Instituts Confucius, le Parti communiste chinois dispose avec le Front Uni d’un outil de contrôle de la diaspora, très actif au sein de la communauté et qui permet de « tenir » les résidents chinois à l’étranger et tout particulièrement les étudiants qui doivent faire valider par leur autorités leur diplôme afin de le faire reconnaître par Pékin. Le rapport Gattolin s’alarme « qu’il ait été confié à des étudiants des missions de renseignement au sujet d’autres étudiants chinois qui auraient manifesté des opinions dissidentes ». Il ne s’offusque cependant pas de la côte de popularité dont jouit Raffarin auprès de Pékin qui, par ailleurs, a jeté son dévolu sur un soutien de Mélenchon , Maxime Vivas. Cet obscur militant de l’Hérault a été cité par Wang Yi, ministre des affaires étrangères de Pékin, pour avoir écrit un bouquin (Ouighours, pour en finir avec les Fake News), dans lequel il affirme que les Ouïghours ne sont nullement l’objet d’une répression féroce de la part de Pékin. Dans le même ordre d’idées, les responsables communistes ouvrent grandes leurs portes à tous les enseignants gaulois qui acceptent ainsi de « devenir dépendants de la Chine et de devenir ainsi des relais d’influence », faute souvent pour la France de pouvoir financer leurs recherches.

    Ouvrir les yeux

    Pékin a donc une capacité incroyable à s’adapter selon l’endroit où elle souhaite opérer. Identifiant les manquements de notre système, elle cible ainsi les petites universités dont, par définition, les labos sont moins dotés, et où elle peut obtenir des résultats à peu de frais.

    Sur le territoire français, l’appareil de surveillance mis en place par le régime communiste cible ses ressortissants ou les Français issus de la diaspora chinoise et ayant donc des parents en Chine, moyen de pression efficace pour une puissance sans grands scrupules. Si un étudiant à Paris critique en classe la politique menée au Tibet, au Xinjiang ou à Hongkong, des policiers se mettent en mouvement dans une province chinoise. Si c’est un professeur, des menaces à peine voilées vont être prononcées, mettant en péril le partenariat tant vanté.

    En 2016, sous la pression de l’ambassade de Chine, les responsables de Sciences Po ont ainsi annulé une conférence du Dalai-Lama et il y a maintenant six mois, le chercheur Antoine Bondaz était traité de « petite frappe » et de « troll idéologique » par l’ambassadeur Lu Shaye. Son crime ? Avoir dénoncé les pressions de la Chine sur des sénateurs français qui voulaient se rendre à Taïwan. L’histoire ne dit pas si André Gattolin aurait été du voyage. Quoi qu’il en soit, et quelle que soit sa pertinence et sa justesse d’analyse, son rapport arrive trop tard. Le mal est fait.

    Françoise Monestier (Polémia, 03 novembre 2021)

    Lien permanent Catégories : Manipulation et influence, Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Maître corbeau...

    Les éditions du Seuil viennent de publier une étude de Michel Pastoureau intitulée Le corbeau - Une histoire culturelle. Michel Pastoureau est un spécialiste de l'histoire des couleurs, de la symbolique, des armoiries et de l'héraldique. Il est l'auteur de nombreux essais comme L'étoffe du diable (Seuil, 1991), Une histoire symbolique du Moyen-Age occidental (Seuil, 2004), L'ours - Histoire d'un roi déchu (Seuil, 2013) ou Le loup - Une histoire culturelle (Seuil, 2018).

     

    Pastoureau_Le corbeau.jpg

    " Il s'agit du troisième volume de la série à succès consacrée à l'histoire culturelle des animaux, dans lequel, à travers 80 illustrations et un plan la fois chronologique et thématique, Michel Pastoureau retrace l'histoire symbolique, littéraire, lexicale et artistique d'un animal, en l'occurrence ici celle du corbeau, qui tout à la fois intrigue, fascine ou terrifie. Oiseau noir, célébré par toutes les mythologies, le corbeau européen ne cesse de se dévaloriser au fil des siècles. Si l'Antiquité gréco-romaine loue sa sagesse, son intelligence, sa mémoire, le christianisme médiéval à sa suite le rejette violemment : c'est un oiseau impie qui occupe une place de choix dans le bestiaire du Diable, symbolisant l'incarnation du démon et de toutes les forces du mal. À l'époque moderne, la symbolique du corbeau continue de se dévaloriser, comme l'attestent les fables, les proverbes, les faits de langue et de lexique. Il reste un animal au cri lugubre, un oiseau noir de mauvais augure et devient même, dans un sens figuré, un dénonciateur, un auteur de lettres anonymes. On en a peur car il a partie liée avec l'hiver, la désolation et la mort. De nos jours, cependant, le corbeau semble prendre sa revanche : les enquêtes les plus récentes sur l'intelligence animale montrent que non seulement il est le plus sagace de tous les oiseaux mais qu'il est probablement aussi le plus intelligent de tous. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!