Dans ce monde de vitesse, d’instantanéité, de bruit, on en vient à se tromper sur l’étalon temporel que doit être notre regard sur l’univers. Tout va vite, tout va fort, les médias dans un brouhaha permanent nous matraquent d’injonction en injonction, une actualité chassant l’autre ; toujours vitale, toujours essentielle, toujours déterminante : Avant-hier le covid (déjà avant-hier!), hier les élections, aujourd’hui l’Ukraine et demain ? Chaque événement qui chasse le précédent semble prendre encore un peu plus de place dans nos vies, repoussant peu à peu dans la périphérie et jusqu’au néant notre capacité de jugement et d’abstraction propre à tout Homme civilisé. Le nez dans l’actualité, nous sommes tentés d’oublier la perspective, la capacité d’ordonner le monde non pas avec nos sentiments, mais avec notre raison. Nous devenons peu à peu des bêtes de foire, dans des cages de plus en plus étroites et ne fonctionnant plus que par l’injonction du fouet ou de la gamelle. Pris par la frénésie compulsive et soumis à l’injonction sentimentale, nous voilà ballotés jour après jour agissant à chaque fois persuadés de faire ce qu’il faut : un jour faisant des réserves de papiers toilette, le lendemain de pâtes ou brandissant réellement ou virtuellement un drapeau ukrainien, moldovalaque ou pachtoun selon l’actualité du moment…
Prenons le temps….
Faisons un pas de côté, contemplons un instant ce troupeau docile courir en tous sens, la tête dans le postérieur du mouton de devant, persuadé qu’il va bientôt voir la lumière et qu’il est garant de la vérité, du bien du beau, du vrai… Changeons de dimensions. Dimanche dernier, ou dimanche de la semaine prochaine ne sont que ce qu’ils sont : des jours qui s’enchaînent aux jours comme le temps depuis le début de l’humanité. Le monde continue à tourner et les quelques remaniements à venir, tout dommageables qu’ils soient ne sont qu’anecdote et poussière à l’échelle de l’humanité.
Remettre en perspective, retrouver le temps long. Abandonner le chahut de l’autoroute vrombissante pour chercher à construire dans un paisible chemin de traverse. Laisser le chaos au chaos, pour enfin revenir à ce qui fait la richesse de l’homme : La transmission.
Le temps est une arme à double tranchant. Elle peut accélérer l’érosion comme permettre à des racines profondes de pousser – et ainsi, ne pas geler – . Laissons la fureur et l’hystérie aux commentateurs spécialistes tout autant de médecine que de politique internationale, de sociologie partisane comme de philosophie ou de littérature. Refusons cette injonction à la vitesse, à la frénésie à l’occupation de l’espace, pour nous recentrer sur nos frontières intérieures, familiales, territoriales. Changeons notre regard, le temps pouvant être synonyme de vieillesse, comme de sagesse. Vivre et transmettre, plutôt que survivre et végéter.
Dextra (Dextra, 25 mai 2022)