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Métapo infos - Page 142

  • Avec les fées...

    Les éditions des Équateurs viennent de publier un récit de Sylvain Tesson intitulé Avec les fées.

    Géographe, aventurier et journaliste, Sylvain Tesson est l'auteur de récits tirés de ses expéditions comme L'axe du loup (Robert Lafont, 2004), Dans les forêts de Sibérie (Gallimard, 2011), Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016) ou La panthère des neiges (Gallimard, 2019), mais aussi de recueils de nouvelles, parfois grinçantes, comme Une vie à coucher dehors (Gallimard, 2010) ou d'un essai consacré à l'Iliade et à l'Odyssée, Un été avec Homère (Equateurs, 2018).

     

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    " L’été venait de commencer quand je partis chercher les fées sur la côte atlantique. Je ne crois pas à leur existence. Aucune fille-libellule ne volette en tutu au-dessus des fontaines. C’est dommage : les yeux de l’homme moderne ne captent plus de fantasmagories. Au XIIe siècle, le moindre pâtre cheminait au milieu des fantômes. On vivait dans les visions. Un Belge pâle (et très oublié), Maeterlinck, avait dit : « C’est bien curieux les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point. » Le mot fée signifie autre chose. C’est une qualité du réel révélée par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle de l’immémorial et de la perfection. Le reflet revenu du soleil sur la mer, le froissement du vent dans les feuilles d’un hêtre, le sang sur la neige et la rosée perlant sur une fourrure de mustélidé : là sont les fées. Elles apparaissent parce qu’on regarde la nature avec déférence. Soudain, un signal. La beauté d’une forme éclate. Je donne le nom de fée à ce jaillissement. Les promontoires de la Galice, de la Bretagne, de la Cornouailles, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Écosse dessinaient un arc. Par voie de mer j’allais relier les miettes de ce déchiquètement. En équilibre sur cette courbe, on était certain de capter le surgissement du merveilleux. Puisque la nuit était tombée sur ce monde de machines et de banquiers, je me donnais trois mois pour essayer d’y voir. Je partais. Avec les fées. "

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  • L’individu et les droits fondamentaux...

     Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Delcroix cueilli sur Polémia et consacré à la dérive individualiste du droit. Juriste et ancien avocat, Eric Delcroix a publié notamment Le Théâtre de Satan- Décadence du droit, partialité des juges (L'Æncre, 2002), Manifeste libertin - Essai révolutionnaire contre l'ordre moral antiraciste (L'Æncre, 2005) et Droit, conscience et sentiments (Akribeia, 2020).

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    L’individu et les droits fondamentaux

    Lois fondamentales ou constitutionnelles

    Les modifications du vocabulaire juridique peuvent dissimuler des changements dans la philosophie du droit.

    Sournoisement ce que l’on appelait en France les libertés publiques impartiales, se muent en droits fondamentaux moralisateurs à l’échelle de l’Europe. Glissement sémantique hautement révélateur et redoutable. Précédemment, les droits fondamentaux ne portaient pas sur les droits subjectifs des personnes privées, mais sur les fondations juridiques de la société. Aussi le Littré (1881) donne-il comme l’une des acceptions de Fondamental « La loi fondamentale d’un État. »

    Prenez, par exemple le Précis d’histoire du droit français, par Amédée Bonde (Librairie Dalloz, 1927), § 221, on y lit ce titre : « Les lois fondamentales du royaume de France limitaient l’autorité royale » (le mot loi étant ici entendu lato sensu, recouvrant d’abord le droit coutumier plutôt que le droit écrit). Bref, il s’agissait de la constitution de l’Ancien régime, détaillée dans l’ouvrage, savoir : Succession, majorité, régence ou inaliénabilité du domaine royal etc. L’emploi de cette notion de lois fondamentales du royaume était constant, comme l’enseignait le professeur Jean-François Lemarinier dans ses cours d’histoire du droit et des faits sociaux à Paris (cf. polycopiés de son cours de première année de licence 1963-1964, pp. 1035 et suivantes).

    Historiquement, et avec le soin primordial de l’intérêt général, les lois fondamentales étaient donc uniquement celles qui donnaient aux États leur régime constitutionnel… Mais c’était avant l’assomption de l’individu-roi.

    Dérive individualiste du droit dans l’après guerre

    La dérive individualiste de la notion de droit fondamental remonte probablement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales élaborée, sous l’égide du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950. Convention signée par la France mais, dans un premier temps sans reconnaissance du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme qu’elle instituait, avant d’y céder sous Mitterrand (1988).

    Le 18 décembre 2000, s’y est surajoutée la redondante Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sans juridiction spécifique attitrée, mais qui s’impose néanmoins au titre de l’ordre public, notamment devant la Cour de justice de l’Union européenne. Rédigée comme la précédente, et plus encore, dans un pathos permettant une dérive qui s’analyse comme un effacement du droit derrière la morale (non sans céder à l’inclusivité, tels ces « tout citoyen ou citoyenne »), toujours avec les concepts pâte à modeler de « dignité humaine … liberté … solidarité » etc. Au passage, la Charte oblige les pays participants à rester liés à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, devenue l’un des moyens de submersion migratoire de nos nations. Mais surtout la Charte s’ancre dans l’ordre moral anti-discriminatoire (article 21).

    N’en espérons rien, même si contrairement à la convention de 1950, elle n’énonce nulle restriction à la liberté d’opinion ou d’expression (article 10, § 2 de la Convention), sa proclamation (article 11 de la Charte) y ajoutant même la précision suivante : « Les arts et la recherche scientifique sont libres » (article 13), c’est en application du nouvel ordre moral anti-discriminatoire. Aussi, toutes ces grandes proclamations n’empêcheront-elles pas les atteintes à ces libertés par des lois telles les lois Pleven (1972), Fabius-Gayssot (1990) ou Perben II (2004), pour s’en tenir à la France. En effet, il s’agit de morale et non plus de droit et dès lors la casuistique l’emporte sur la raison juridique. Au nom du Bien.

    Le reflet de Narcisse

    Quant aux lois constitutionnelles, aux fondations juridiques des sociétés, elles sont submergées et paralysées par les droits individuels que l’on y insère selon le modèle puritain des États-Unis, alors qu’elles ne devraient avoir pour objet que l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, bref les principes fondamentaux de la vie publique…

    Désormais ce qui est fondamental c’est l’individu, cellule liquide micro moléculaire narcissique, dénoncée par Christopher Lasch.

    L’individu est devenu, pour ainsi dire, non plus seulement un simple sujet de droit privé, mais également un sujet de droit public opposant ses droits et ses ambitions égoïstes, à hauteur d’État, à l’intérêt général qui n’a donc plus la possession des droits fondamentaux.

    Nous sommes loin de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui au-delà de ses maladresses entendait en finir avec l’arbitraire royal venu des temps médiévaux, en appelant à la loi formelle d’un pouvoir législatif autonome. En effet, si (« sous les auspices de l’Être suprême » !) elle invoque « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme », elle en réserve les modalités d’application au seul pouvoir législatif formel, à « la loi » stricto sensu, « expression de la volonté générale » (article 6) c’est-à-dire à la loi écrite. La Déclaration ouvre les temps de la nomocratie légaliste, abolie de nos jours par l’État de droit qui a instauré la suprématie du juge confesseur (non élu), gardien la transcendance des droits fondamentaux…

    L’intérêt général, lui, n’est plus fondamental, pourtant narcisse n’est qu’un reflet, une illusion du monde virtuel : Fiat justicia pereat mundi (peu importe le sort du monde pourvu que justice soit faite). Mais les lendemains seront cruels au si fragile sujet de droit, quand il découvrira, peut-être trop tard, qu’il n’est qu’un objet sans substance de l’histoire.

    Eric Delcroix (Polémia, 14 janvier 2023)

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  • La France en colères...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai de Christophe Bourseiller intitulé La France en colères.

    Depuis une trentaine d'années, Christophe Bourseiller a publié de nombreux essais consacrés aux mouvements extrémistes ou radicaux, qu'ils soient de droite, de gauche ou d'ailleurs, comme Les ennemis du système (1989), Extrême-droite (1991), Les maoïstes : la folle histoire des gardes rouges français (1996), Vie et mort de Guy Debord (1999), A gauche toute ! (2009), L'extrémisme (CNRS, 2012) ou Nouvelle histoire de l'ultra-gauche (Cerf, 2021).

     

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    " Anticapitalistes et autonomes, néonazis et nationalistes, bonnets rouges et gilets jaunes, antispécistes et antivax : en France, les tensions s’aggravent et les colères s’agrègent. La montée aux extrêmes va-t-elle nous submerger ? Voici l’histoire secrète des marges, l’enquête-vérité sur les nouvelles radicalités.
    Spécialiste des extrémismes, Christophe Bourseiller livre ici le résultat d’une décennie de recherches. Plongeant dans les périphéries du spectre politique, il scrute les permanences et les dissonances, les querelles de chapelle et les grands bouleversements. C’est en historien qu’il décrit les évolutions des militants et des mouvements, le reflux des doctrines et le sacre de l’émotion. Car, de plus en plus, les idéologies se taisent, les repères d’antan s’affaissent. La révolution s’efface devant l’indignation et de nouveaux dangers font leur apparition.
    Ultra-gauche ou ultra-droite, partis institutionnels ou groupuscules confidentiels : la confusion des sentiments et le règne des passions sculptent une cartographie nouvelle. Au cœur du complot comme dans l’émeute, Christophe Bourseiller déchiffre la radicalisation en cours et décrypte avec science et prescience la mécanique extrémiste et l’avenir qu’elle nous réserve.
    Un travail d’investigation remarquable. Un livre prospectif incontournable pour comprendre aujourd’hui et préparer demain. "

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  • Salafisme : du séparatisme au terrorisme...

    Le 12 janvier 2024, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Pierre Conesa pour évoquer la question du salafisme en France.

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021), Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022) et État des lieux du salafisme en France (L'aube, 2023).

     

                                               

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  • Les limites de la guerre...

    Les éditions mare & martin viennent de publier un essai d'Olivier Zajec intitulé Les limites de la guerre - L'approche réaliste des conflits armés au XXIe siècle. Agrégé et docteur en histoire des relations internationales, diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et de Sciences-Po Paris, Olivier Zajec est professeur en science politique à l’université de Lyon III, où il dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD). Il est déjà l'auteur de Nicholas John Spykman - L'invention de la géopolitique américaine (Presses universitaires de la Sorbonne, 2016).

     

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    " Ukraine, Gaza, Arménie, Yémen, Sahel : sur tous les continents, la société internationale semble de nouveau s’embraser. Bien loin des illusions des années 1990, les spécialistes changent une nouvelle fois de discours : les opérations dites de « stabilisation » sont derrière nous, et le XXIe siècle sera celui du « retour » des conflits armés « majeurs ». Et si la perspective était faussée, la question mal posée ? À travers une réinterprétation des approches réalistes des relations internationales, souvent mal connues en France, Les limites de la guerre réarticule la nature sociale et la fonction politique de l’affrontement militaire, afin d’en ressaisir les balances intérieures, les possibilités de limitation et les effets concrets dans la vie des peuples. En mêlant chapitres théoriques et cas d’études consacrés aux guerres les plus récentes, de l’Afghanistan à l’Ukraine, l’auteur propose une redéfinition de la dialectique guerrière, dans une perspective interactionnelle ressourcée à la lecture croisée d’Aristote, de Clausewitz et de Georg Simmel. "

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  • Jacques Lacroix : « La Gaule nous a transmis aussi l’importance de la diversité régionale »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jacques Lacroix à Breizh-Infos à l'occasion de la sortie de son livre Le Grand héritage des Gaulois (Yoran, 2023).

    Professeur agrégé, docteur ès Lettres et Civilisations de l'université de Bourgogne, Jacques Lacroix est spécialisé dans l'étude des noms d'origine gauloise et a publié un ensemble d'ouvrages et d'articles sur l'héritage linguistique des Gaulois, liant toponymie , histoire et archéologie, dont, en deux tomes, Les frontières des peuples gaulois (Yoran, 2021).

     

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    Jacques Lacroix : « La Gaule nous a transmis aussi l’importance de la diversité régionale »

     

    Les Gaulois sont toujours là, mais de façon très inattendue : davantage que dans les vestiges archéologiques – très précieux – dans les noms de lieux familiers qu’ils nous ont transmis. On en compte plus de 10 000, non seulement dans l’Hexagone mais aussi en Belgique, en Allemagne du sud, en Suisse, en Italie du nord. Se dévoile ainsi un riche patrimoine, un grand héritage dont nous n’avions pas conscience alors que nous le côtoyons chaque jour.

    L’ouvrage le Grand héritage des Gaulois, signé Jacques Lacroix et édité par les éditions Yoran Embanner, ne se contente pas d’inventorier ces témoins du passé, il éclaire leur sens. Les noms restituent les principaux aspects d’une civilisation où notre pays trouve indubitablement certaines de ses racines. Le passé des Celtes est toujours présent.       

    Jacques Lacroix est professeur agrégé, docteur ès Lettres et Civilisations de l’Université de Bourgogne. Il a publié un ensemble d’ouvrages et d’articles sur l’héritage linguistique des Gaulois, liant toponymie, histoire et archéologie, dont Les Noms d’origine gauloiseEnquête aux confins des pays celtes, Les irréductibles Mots gaulois dans la langue française et Les Frontières des peuples gaulois

    Nous l’avons interrogé.

     

    Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

    Jacques Lacroix : J’ai fait une carrière d’enseignant de Lettres, un métier qui m’a passionné : intéresser les jeunes, transmettre, donner le goût du savoir. En même temps, en gagnant sur le temps des vacances, j’ai développé une recherche sur la langue gauloise et les souvenirs qu’elle nous a laissés. Parce que la présence de mots d’origine gauloise que je constatais dans les dictionnaires m’intriguait. Cette recherche a abouti au bout de plusieurs années à une thèse sur ce qu’on appelle le « substrat gaulois » (présidée par Venceslas Kruta, un des maîtres des études celtiques). Les membres du jury m’avaient prévenu : « Monsieur, vous verrez, la thèse n’est pas un aboutissement, c’est un début, vous vous engagerez plus avant dans la recherche ». Et c’est ce qui s’est passé : j’ai écrit des articles (une soixantaine aujourd’hui) et des livres (une dizaine), mais donné peu de conférences, afin de garder le maximum de temps pour la recherche. Elle est pour moi plus qu’un goût : une passion. Et, aujourd’hui que je suis à la retraite, je peux m’y consacrer entièrement. C’est un plein bonheur !

    Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur les Gaulois ?

    Jacques Lacroix : Honnêtement, je crois que bien des sujets dans bien des domaines m’auraient convenu : ce qui m’anime, c’est le goût de chercher ! La recherche ressemble un peu à une enquête policière : il faut découvrir ce qu’on ne comprenait pas encore, pour cela s’engager sur différentes pistes, avec des renseignements parfois trompeurs, recourir à des témoins, faire des investigations (ici linguistiques), exhumer des documents, dégager des indices révélateurs. Enfin, par des bonds soudains dans l’enquête, la vérité se démasque.

    La recherche sur les mots et les noms issus du gaulois se prête bien à ce « cheminement » – un mot du reste d’origine gauloise ! L’idiome est mal connu ; ses vestiges, fragmentaires : inscriptions parcellaires, documents linguistiques dispersés, incomplets, voire manquants. Et il faut démêler le vrai du faux pour bien mesurer l’influence du gaulois sur notre langue.

    Breizh-info.com : Pouvez-vous décrire votre processus de recherche pour ce livre ?

    Jacques Lacroix : Pour le livre précédent (Les Irréductibles Mots gaulois dans la langue française), j’avais travaillé sur les mots du lexique gaulois qui sont passés dans le vocabulaire du français. Pour ce nouveau livre (Le Grand Héritage des Gaulois), je me suis tourné vers les noms de lieux issus de « nos ancêtres ». Mais la démarche est la même. Dans les deux cas, il faut partir des formes anciennes, mots ou noms propres, attestés dès l’Antiquité et au Moyen Âge, en France mais aussi dans les pays d’ancienne tradition celtique : particulièrement en Irlande, en Grande et en petite Bretagne (langues celtiques). Pour toute explication avancée sur l’origine et le sens d’un nom, la comparaison est nécessaire ; un indice isolé ne suffit pas : une hypothèse portée sur un nom unique ne donne pas la vérité. On ne peut la saisir que si un ensemble de noms vont dans le même sens, que si tous les indices concordent. Le but a été ici de bien mesurer toute l’étendue des appellations d’origine gauloise, sans prétendre à l’exhaustivité.

    Breizh-info.com : Quels ont été les défis auxquels vous avez été confronté lors de la rédaction de ce livre et comment les avez-vous surmontés ?

    Jacques Lacroix : Travailler sur les noms de lieux (les toponymes) nécessite de manier énormément d’appellations géographiques. Cela sur de grandes étendues, car les noms d’origine gauloise se retrouvent un peu partout dans l’Hexagone (la Corse mise à part), et même au-delà : il a fallu prendre en compte certains noms de pays voisins qui ont connu un passé gaulois (car la Gaule ne se limitait pas au territoire actuel) : Belgique, sud des Pays-Bas, Allemagne du sud-ouest, Suisse, et même, à dates anciennes, Italie du nord.

    Deuxième exigence : il a fallu ordonner cette matière foisonnante, distinguer noms de localités, noms de régions et petits pays, de reliefs, de cours d’eau, de forêts…Regrouper aussi selon les significations des toponymes. Car tout nom issu du gaulois voulait dire quelque chose, et le grand intérêt, pour moi, était de dégager les sens qu’ils portaient. D’où un classement thématique : noms de lieux liés aux différents peuples, à leurs frontières, à leurs préoccupations guerrières, à leurs activités de production, à leurs moyens de communications, à leurs lieux de commerce, à leur religion.

    Enfin, il fallait surtout adopter une présentation aérée et tâcher de transmettre clairement les faits, sans rendre les explications absconses. Une trentaine de cartes, des encarts et même des petits jeux aident à donner respiration au texte.

    Breizh-info.com : Qu’espérez-vous que les lecteurs retiendront du « Grand Héritage des Gaulois » ?

    Jacques Lacroix : Les lecteurs découvriront d’abord que l’héritage gaulois est bien plus important qu’on ne croit. Les Irréductibles Mots gaulois ont établi que, contrairement à l’idée reçue, nous ne gardions pas 60 ou 120 mots français issus du gaulois mais un millier. Le Grand Héritage des Gaulois – et c’est ce qui justifie son titre – montre que les noms de lieux issus de la langue de « nos ancêtres » sont extrêmement nombreux : l’index du livre comporte 2 000 noms mais il y en existe davantage (environ 10 000) !

    Deuxième enseignement, les lecteurs verront comment ces noms ne sont pas anecdotiques, n’ont pas été gardés par le simple hasard. Ils nous apportent des témoignages précieux du passé : nous soulignent des caractéristiques, des points de force des sociétés gauloises. À travers eux, c’est toute une civilisation des anciens peuples gaulois qui vient se révéler à nous, dans sa richesse, sa diversité, son originalité.

    Breizh-info.com : Pouvez-vous nous donner des exemples de l’influence de la langue gauloise sur la toponymie française contemporaine ?

    Jacques Lacroix : Si on prend les 50 plus grandes villes de France, on s’aperçoit que la moitié ont un nom provenant du gaulois, dont Nantes, Rennes, Amiens, Metz, Lyon, Dijon, Limoges et Paris : oui, la capitale du pays a un nom d’origine gauloise, dont le livre révèle le sens ! Près d’un tiers de nos régions et petits pays doivent leur appellation à la langue de « nos ancêtres » (Anjou, Auvergne, Médoc, Quercy, Saintonge, Vendée…) ! Remontent aussi aux parlers gaulois plusieurs centaines de noms de montagnes (Ardennes, Vosges, Morvan, Jura, Alpes…), de cours d’eau (Loire, Seine, Rhin, Rhône, Charente…), de forêts (Savoie, Margeride, Perche, Tanneron… et la mythique Brocéliande). Plus incroyable, en ce XXIe siècle, 60 noms de peuples ou peuplades gauloises ont donné leur appellation (leur « ethnonyme ») à des régions et à des villes de notre pays (le Berry est la terre des anciens Bituriges ; la Touraine est l’ancien lieu de vie des Turons ; Vannes est l’ancienne cité des Vénètes, etc.). Incroyable aussi de penser que plus de 200 communes de France tirent leur nom d’une des désignations gauloises de la forteresse. Et qu’une soixantaine de nos localités doivent toujours leur appellation à un dieu gaulois (comme Lyon, Nîmes, Toulon, Beaune, Vence). Il y a une mémoire linguistique des noms comme il y a une mémoire archéologique des sols. Il faut retrouver ce qui a été caché.

    Breizh-info.com : De quelle manière pensez-vous que l’héritage gaulois influence encore la culture française moderne ?

    Jacques Lacroix : Très vaste question ! La civilisation classique gréco-romaine nous est essentielle, mais elle n’est pas la seule composante qui a marqué notre pays. On ne doit pas s’enfermer dans une pensée unique, une culture unique. D’autres apports ont compté, dont l’héritage gaulois (à de moindres degrés, bien sûr). La richesse de la France : ses paysages, ses traditions, le mode de vie des habitants, son esprit, son art, sa langue, ont été pour une part non négligeable marqués par les Gaulois (1 000 ans de présence sur notre sol) ; il en reste quelques traits spécifiques.

    Ce sont les Gaulois, d’abord, qui ont organisé les premiers nos espaces naturels : réparti les principales terres de culture, de pâturages, de bois, de landes, formé le premier grand réseau de routes reliant les différents terroirs (bien avant les Romains !). Ils ont également découpé cet espace vaste en nombreux territoires et petits pays (même si ces structures ont pu être ensuite remodelés, nous en gardons certaines permanences dans nos régions et nos départements). Le mode de vie gaulois a été rural pour l’essentiel, avec un habitat longtemps dispersé. Très proches de la nature, les Gaulois ont été écologistes avant l’heure ; ils construisaient leurs maisons avec des matériaux montrant cette conscience écologique ; ils avaient une grande connaissance de la nature, des arbres et des plantes.

    La Gaule nous a transmis aussi l’importance de la diversité régionale. L’espace faisait coexister de nombreux peuples ; nous gardons, malgré le centralisme « jacobin », un ancrage très fort pour nos différentes régions, avec des particularismes bien exprimés. Les peuples gaulois pouvaient se diviser, peut-être avons-nous conservé parfois trop d’individualismes, un goût des querelles et un sens protestataire assez vif. Mais les Gaulois savaient aussi se rassembler dans les heures graves, avec un esprit de résistance, d’unité que nous avons parfois retrouvé.

    Les populations gauloises (aux dires même de César) étaient industrieuses : intelligentes et laborieuses, avec une économie active, une haute maîtrise technologique ; la Gaule nous a transmis certaines de ces valeurs, de ces qualités. Et je montre dans le livre comment les noms de lieux rendent compte de nombre de ces aspects. En particulier l’agriculture et l’élevage (si actifs au XXe siècle), déjà les deux mamelles de la Gaule, avec de grandes plaines céréalières et des cheptels très développés. Aussi l’industrie automobile, très active en France et industrie performante à l’époque gauloise ! Ajoutons le secteur de la mode, déjà à la pointe à l’époque de nos aïeux (vêtements et bijoux). Le commerce a été un secteur très important en Gaule, entre divers peuples et aussi avec des voisins plus lointains ; nous avons gardé cet esprit d’ouverture pour les « échanges » – un mot d’origine gauloise !

    Des façons de vivre spécifiques se sont peut-être également conservées, comme l’art de la table : le goût du bien manger et du bien boire. Certaines coutumes et traditions celtiques pourraient également perdurer, telle la coutume du gui et différentes fêtes, comme Halloween, jadis moment de béance entre la fin de l’année et le début d’une autre, d’échange entre monde des morts et monde des vivants. Même l’art gaulois, où prime la force de l’imagination, le génie des métamorphoses – tout à fait différent de l’art classique gréco-romain –, se reconnaît dans l’art moderne (André Breton et André Malraux l’ont bien montré).

    Enfin, il y eu jadis un grand attachement des habitants à la langue gauloise et à l’acte de nomination. Une nouvelle langue a été imposée au pays, mais l’attachement aux mots des parlers traditionnels et aux appellations anciennes des lieux n’a pas disparu. Lui correspond aujourd’hui l’attachement particulier à notre langue nationale et à nos langues régionales. Nous mesurons aussi la nécessité de les protéger des attaques extérieures ! Très profondément ancrés, le français a gardé – malgré la romanisation – certains mots et certains noms venus du gaulois, ce qui est trop ignoré. Des milliers de noms de lieux d’origine gauloise nous entourent, que nous côtoyons chaque jour ; c’est le plus bel héritage de culture que nous ont transmis nos aïeux, notre plus beau patrimoine immatériel !

    Breizh-info.com : Envisagez-vous de poursuivre votre travail ou vos recherches sur l’histoire gauloise ou d’autres sujets historiques ?

    Jacques Lacroix : Il y a bien d’autres aspects de la culture et la langue de « nos aïeux » que je n’ai pas encore abordés, le domaine gaulois étant beaucoup plus riche qu’on ne croit ! Je vais retourner à la recherche et m’engager vers l’écriture d’un nouveau livre sur le lien entre les données linguistiques et les découvertes archéologiques. En soulignant toujours la richesse des noms de notre substrat : un vrai trésor !

    Jacques Lacroix, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 16 janvier 2024 )

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