Au sommaire cette semaine :
- sur Justice au singulier, Philippe Bilger se paie Christiane Taubira, la médiocre Garde des Sceaux, dont les insuffisances commencent même à être critiquée dans la presse de gauche...
Christiane Taubira invente l'action verbale
- sur Valeurs actuelles, Arnaud Folch dézingue un François Hollande « sans prise sur les événements » et qui n'est manifestement pas à sa place à l'Elysée...
Métapo infos - Page 1399
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Les snipers de la semaine... (60)
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Les médias dominants et les parias complotistes...
Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Jean-Michel Vernochet, réalisé par Icebergtv et consacré à la crise de l'information. Journaliste et ancien enseignant à l'école supérieure de journalisme de Paris, spécialiste des questions de désinformation, Jean-Michel Vernochet a récemment publié Iran - La destruction nécessaire ( Xénia, 2012).
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Midi à la source...
Les éditions Auda Isarn viennent de publier Midi à la source, le journal de Bruno Favrit tenu entre 1990 et 2011. Alpiniste chevronné, passionné par Nietzsche et porteur d'une vision du monde païenne, Bruno Favrit est l'auteur de nouvelles comme Nouvelles des Dieux et des montagnes (Les Amis de la Culture Européenne, 2004) ou Ceux d'en haut (Auda Isarn, 2007), d'un roman, Criminel de guerre (Les Amis de la Culture Européenne, 2005) et de plusieurs essais comme Vitalisme et Vitalité (Editions du Lore, 2006) ou Esprit du Monde - œuvres en perspectives (Auda Isarn, 2011).
" Voici le journal tenu régulièrement par l'excellent Bruno Favrit. Une vie riche de rencontres, d'aventures, d'aphorismes et d'enseignements glanés sous le soleil européen et où plane l'ombre de Dionysos. Ces vingt années d'apprentissage permanent, d'explorations, de découvertes et de vibrations apportent un éclairage utile et manifeste sur l'œuvre et les choix de vie de leur rédacteur. Le goût de l'errance et de l'appartenance, de l'air pur des sommets, de la philosophie et de la littérature, mais aussi la fréquentation d'éveilleurs, de complices et de compagnons de route constituent autant d'ingrédients dont le lecteur, devenu confident, pourra faire son miel. "
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Merci aux soixante-huitards !...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à la génération "mai 68"...
Merci aux soixante-huitards !
La génération cocon
Les soixante-huitards ont grandi dans un cocon protecteur. Nés après 1945, ils n’ont pas connu la guerre, sinon au cinéma, à la différence de leurs parents, de leurs grands-parents et de leurs arrière-grands-parents. L’empire et l’Algérie ont été abandonnés et la génération 1968 se trouvait de toute façon trop jeune pour les guerres coloniales.Les soixante-huitards ont vécu dans un monde de croissance et de plein emploi. Dans les années 1960 les services publics fonctionnent très bien, le budget s’équilibre et l’Education nationale continue de promouvoir l’ascenseur social. Une famille nombreuse peut encore vivre sur un seul salaire. Les trains arrivent à l’heure et personne ne voyage sans billet. Les villes et les villages restent à taille humaine : il y a encore des commerces et des artisans et les jeunes ne couvrent pas les murs de graffitis. On peut sortir le soir sans craindre les bandes ou les cambrioleurs. La police poursuit les délinquants et la justice les sanctionne. Les campagnes sont peuplées. On a le droit de garer sa voiture où l’on veut, on a le droit de fumer, de rouler sans ceinture de sécurité et on n’a pas à trier ses ordures. On respecte la France comme puissance économique, militaire et diplomatique et l’Allemagne, convalescente et divisée, ne la ramène pas. Et l’URSS fait contrepoids à l’Amérique.
La révolte des enfants gâtés
Mais dans ce pays de Cocagne, si on le compare à la France d’aujourd’hui, nos soixante-huitards s’ennuient. Pensez donc : leur seul défi existentiel consiste à savoir quel vélomoteur acheter – Solex, Motobécane ou Honda –, quel disque voler et avec quelle fille sortir. Un choix dramatique qui montre à l’évidence qu’il faut changer la société !Alors les enfants gâtés vont tout casser, à l’ombre des drapeaux rouges et noirs qu’ils brandissent pour donner le change et faire peur à papa et maman.
Car si nos révolutionnaires boutonneux jouent les maoïstes, ils ne construiraient pas un barrage avec leurs petites mimines comme en Chine. Ils disent admirer le Viet-Cong, mais ils ne feraient pas 80km à vélo de nuit dans la jungle en transportant 50kg de riz et de munitions sur leur porte-bagage. La seule jungle où ils jouent au Che se trouve au bois de Boulogne. Ces trotskistes ne connaissent pas le Goulag ni la Tchéka. Ils se disent anars mais roulent dans la 404 de papa en fumant un pétard.Dès le début les soixante-huitards nous enfument avec leur discours d’extrême gauche et leurs calculs de bourges : cela dure depuis 45 ans !
Il faut reconnaître qu’ils ont trouvé la formule gagnante : l’alliance du fric et de la bonne conscience de gôôche. D’ailleurs le Parti communiste ne s’y trompe pas dès 1968 et leur manifeste une grande méfiance. Mais le PC a perdu et eux ils ont gagné.La génération des ingrats
En vilains ingrats, les soixante-huitards n’auront de cesse de tirer l’échelle derrière eux, alors qu’ils ont bénéficié de tout.
D’abord, ils s’en prennent à l’université puis, par contamination, à l’enseignement tout entier. Et à l’art et à la culture aussi. Enfin à la justice, car le poisson pourrit toujours par la tête. A bas la sélection, à bas la reproduction, à bas l’autorité, vive la spontanéité, le savoir c’est réac ! Vive Xénakis, à bas Gounod ! A bas la justice de classe ! Ils vont assurément enrichir notre quotidien.Grâce à leurs idées géniales, l’enseignement en France a implosé et on a interrompu la transmission culturelle. Les délinquants courent les rues. Fini l’ascenseur social ! Mais nos soixante-huitards s’en moquent puisqu’ils en sont sortis avant. Et leurs enfants, s’ils en ont eu, vont dans le privé ou dans les grandes écoles.
No future… pour les autres ! Astuce !
A nous le pouvoir !
Les gauchos d’hier – qui vilipendaient le « pouvoir personnel » et la société de consommation – ne vont pas rester camper au Larzac ni rouler bien longtemps en 2 CV.Ils vont vite investir tous les rouages de l’Etat, des médias et de l’économie, souvent grâce à leurs gentils papas PDG ou conseiller d’Etat. Pour faire notre bien, assurément, puisqu’ils sont de gôôche. Les soixante-huitards passent donc du col mao au Rotary sans problème car finalement ils trouvent très chébran le pouvoir et l’argent.
Mais, en dignes émules de Derrida, c’est, bien sûr, pour tout déconstruire, à l’exception de leur propre situation évidemment. Astuce !
Les soixante-huitards vont donc virer néo-libéral très vite et sans remords particulier. Grâce à eux les entreprises vont changer de nom et de taille et devenir plus « mondiales ». Le super-capitalisme c’est l’Internationale en plus cool. En plus, on y parle anglais : super-branché !Nos experts vont privatiser, financiariser et délocaliser à tour de bras. Ceux qui prétendaient parler au nom des travailleurs vont tuer le travail. A eux les parachutes dorés et le prix du « meilleur manager de l’année ». A vous la désindustrialisation, le chômage et les petits boulots pour vos enfants et petits-enfants. Astuce !
A nous la finance et les médias !
Dans la finance ils ont aussi fait très fort. Très créatifs décidément, les enfants du professeur Spock (1) : indépendance des banques, mise en place de l’euro-carcan, explosion de l’endettement public, super-profits pour les banquiers, sauvetage des banquiers libéraux donneurs de leçons par les contribuables, super-montages sophistiqués pour gruger les épargnants, prise de contrôle des médias par les banques. Du grand art !Les médias leur réussissent bien, aussi. Avec eux, le PAF se distingue enfin de l’ORTF et de ses vieilleries franchouillardes genre Thierry la Fronde ou La Caméra explore le temps ! Enfin, les médias vont s’ouvrir au fric, à la pub, au sexe, à la violence, à la « diversité », bref, aux séries américaines ! Et puis tous se mettent au politiquement correct et les médias rapportent gros : une bonne affaire commerciale mais aussi politique, puisqu’ils assurent la domination de gôôche sur les esprits. Mieux que l’alliance du sabre et du goupillon car, en plus, les spectateurs en réclament ! Tout le monde devant ses écrans du matin au soir et des télés partout. Astuce !
Changeons le peuple !
Leur autre grande réussite c’est la natalité, la politique familiale, les prestations sociales et l’immigration. Non seulement ces éternels adolescents ont tué le père, mais ils ont au surplus tué la mère et l’enfant. Ils ont dépassé Œdipe ! Familles je vous hais, disent les soixante-huitards. Familles autochtones, s’entend, car les familles du Maghreb et d’Afrique leur plaisent beaucoup, par contre.Ils ont « libéré » les femmes françaises de la maternité pour qu’elles puissent enfin goûter aux charmes du travail salarié comme les hommes. Ils ont déconstruit les prestations familiales qui ne leur semblaient pas assez égalitaires, encouragé l’avortement – désormais remboursé par la Sécurité sociale – et promu la loi du genre : aujourd’hui il n’y a donc plus que les immigrés et les homos qui veulent se marier et avoir des enfants. Astuce !
A vous les dettes !
Mieux encore : les soixante-huitards ont préféré la sexualité à la natalité, mais sans changer notre système de protection sociale fondé sur la cotisation et non sur la capitalisation ; car on est de gôôche, quand même !
Devinez le résultat ? La natalité française a chuté et, comme il y a de moins en moins d’actifs, c’est nous qui payons la retraite des soixante-huitards, mais à un taux de cotisation nettement plus élevé que le leur. Et les enfants que nous n’avons pas financeront sans doute la nôtre !A nous, en plus, la réduction continue des « dépenses de santé », à eux le financement de la « dépendance » puisqu’ils n’ont pas de familles. Et, comme ils sont très prévoyants, les soixante-huitards augmentent gentiment nos impôts pour que nous puissions rembourser la montagne de dettes qu’ils nous ont léguée. Astuce !
Enfin, comme ils n’aiment pas trop le peuple depuis qu’il ne vote plus à gauche, ils ont décidé d’ouvrir toutes grandes les portes de l’immigration… au nom des droits de l’homme, bien sûr, mais aussi de son prophète le CNPF (on dit Medef aujourd’hui). Le grand remplacement de la population européenne leur doit beaucoup. Et puis ils trouvaient le catholicisme étouffant : à la place ils nous offrent l’alliance de l’islam et du puritanisme anglo-saxon, ce qui, vous en conviendrez, est beaucoup plus cool.
Faites comme je dis, pas comme je fais !
Et puis souvenez-vous : Peace and love, Faites l’amour, pas la guerre, A bas la bombinette du Grand Charles, à bas l’armée. Mais, curieusement, depuis qu’ils sont aux commandes ils aiment beaucoup la guerre, du moins ils aiment envoyer les autres la faire pour leur compte : aux Malouines, en Serbie, dans le Golfe, en Irak, en Libye. Avec un peu de chance aussi, bientôt en Iran ou en Corée du Nord.
Mais attention : il ne faut pas confondre. Les soixante-huitards ont des « valeurs » : ils font la guerre – sans la déclarer – au nom du Bien. N’est-on pas allé au Mali « parce qu’il y avait des femmes qui étaient victimes de l’oppression et de la barbarie » (2) ? Astuce !Ils criaient aussi « CRS=SS » et qu’il était « interdit d’interdire ». Mais depuis ils couvrent la France des services de sécurité, de caméras et de radars. Ils nous ont aussi offert les lois mémorielles, la police de la pensée politiquement correcte, la censure des médias et de l’édition, la police fiscale, les quotas ethniques et sexistes. J’en oublie certainement.
La génération Attila
La génération des soixante-huitards restera dans l’histoire comme la génération Attila : après elle, rien ne repousse. Elle ne nous laisse que des immeubles de bureaux, entourés de décombres, dans lesquels errent des chômeurs, pardon, des titulaires de « contrats d’avenir ».Elle nous lègue une Union européenne qui déconstruit avec zèle l’Europe. Une montagne de dettes. Une immigration catastrophe. Le saccage de 2000 ans d’histoire et de culture européennes. La destruction de l’Etat et de la Nation. La fin de la décence commune et de la morale publique.
On dit que les soixante-huitards ont quand même donné naissance à quelque chose : la génération X et maintenant Y. On ne sait pas trop ce que cela signifie, sinon qu’il s’agit des dernières lettres de l’alphabet. Ce n’est pas bon signe…
Michel Geoffroy
Notes :
(1) Pas celui de Star Trek !
(2) Francois Hollande, le 7 mars 2013, à la Journée internationale des droits de la femme. -
La danse de Nietzsche...
« Ne jamais séparer le corps de l'esprit. Apprendre par son corps la joie d'être vivant. Apprendre par les mouvements de son corps à libérer son esprit. N'est-ce pas la première loi du danseur? »
Les éditions Verdier viennent de rééditer dans leur collection de poche La danse de Nietzsche, un essai de Béatrice Commengé paru initialement aux éditions Gallimard en 1988. Auteur de romans, mais aussi danseuse et voyageuse, Béatrice Commengé est une lectrice passionnée de Nietzsche, d'Heidegger et d'Anaïs Ninn, notamment, et a raconté dans Voyager vers des noms magnifiques (Finitude, 2009) et Flâneries anachroniques (Finitude, 2012) ses voyages sur les traces de ses auteurs préférés.
" Sur le sentier qui longe le lac de Silvaplana, à Sils-Maria, Nietzsche s'est brusquement arrêté : de l'ombre de ses yeux malades, de la fatigue de ses nuits blanches, de la douleur de ses migraines, de ses longues marches dans le froid ou dans la lumière, va naître Zarathoustra, le danseur.
Il ne le quittera plus. Avec lui, il marche. De Sils à Gênes, et de Gênes à Nice, à la recherche d'un ciel plus pur et d'un air plus léger. Il le trouve parfois, l'espace d'un chant, sur les hauteurs d'Èze ou sur la presqu'île de Portofino, dans les ruelles de Venise ou sous les arcades de Turin. Un «dieu danse à travers lui».
Ce livre, on l'a compris, est aux antipodes du commentaire universitaire; à l'opposé de l'univers sombre et glacé de la philosophie allemande. Voici un Nietzsche grec, italien, français - comme il se voulait." -
Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»...
Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Claude Michéa, cueilli sur le site de l'hebdomadaire Marianne et consacré à son dernier livre Les mystères de la gauche, publié aux éditions Climats.
Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»
Marianne : Vous estimez urgent d'abandonner le nom de «gauche», de changer de signifiant pour désigner les forces politiques qui prendraient à nouveau en compte les intérêts de la classe ouvrière... Un nom ne peut-il pourtant ressusciter par-delà ses blessures historiques, ses échecs, ses encombrements passés ? Le problème est d'ailleurs exactement le même pour le mot «socialisme», qui après avoir qualifié l'entraide ouvrière chez un Pierre Leroux s'est mis, tout à fait a contrario, à désigner dans les années 80 les turlupinades d'un Jack Lang. Ne pourrait-on voir dans ce désir d'abolir un nom de l'histoire comme un écho déplaisant de cet esprit de la table rase que vous dénoncez sans relâche par ailleurs ?
Jean-Claude Michéa : Si j'en suis venu - à la suite, entre autres, de Cornelius Castoriadis et de Christopher Lasch - à remettre en question le fonctionnement, devenu aujourd'hui mystificateur, du vieux clivage gauche-droite, c'est simplement dans la mesure où le compromis historique forgé, au lendemain de l'affaire Dreyfus, entre le mouvement ouvrier socialiste et la gauche libérale et républicaine (ce «parti du mouvement» dont le parti radical et la franc-maçonnerie voltairienne constituaient, à l'époque, l'aile marchante) me semble désormais avoir épuisé toutes ses vertus positives. A l'origine, en effet, il s'agissait seulement de nouer une alliance défensive contre cet ennemi commun qu'incarnait alors la toute-puissante «réaction». Autrement dit, un ensemble hétéroclite de forces essentiellement précapitalistes qui espéraient encore pouvoir restaurer tout ou partie de l'Ancien Régime et, notamment, la domination sans partage de l'Eglise catholique sur les institutions et les âmes. Or cette droite réactionnaire, cléricale et monarchiste a été définitivement balayée en 1945 et ses derniers vestiges en Mai 68 (ce qu'on appelle de nos jours la «droite» ne désigne généralement plus, en effet, que les partisans du libéralisme économique de Friedrich Hayek et de Milton Friedman). Privé de son ennemi constitutif et des cibles précises qu'il incarnait (comme, la famille patriarcale ou l'«alliance du trône et de l'autel») le «parti du mouvement» se trouvait dès lors condamné, s'il voulait conserver son identité initiale, à prolonger indéfiniment son travail de «modernisation» intégrale du monde d'avant (ce qui explique que, de nos jours, «être de gauche» ne signifie plus que la seule aptitude à devancer fièrement tous les mouvements qui travaillent la société capitaliste moderne, qu'ils soient ou non conformes à l'intérêt du peuple, ou même au simple bon sens). Or, si les premiers socialistes partageaient bien avec cette gauche libérale et républicaine le refus de toutes les institutions oppressives et inégalitaires de l'Ancien Régime, ils n'entendaient nullement abolir l'ensemble des solidarités populaires traditionnelles ni donc s'attaquer aux fondements mêmes du «lien social» (car c'est bien ce qui doit inéluctablement arriver lorsqu'on prétend fonder une «société» moderne - dans l'ignorance de toutes les données de l'anthropologie et de la psychologie - sur la seule base de l'accord privé entre des individus supposés «indépendants par nature»). La critique socialiste des effets atomisants et humainement destructeurs de la croyance libérale selon laquelle le marché et le droit ab-strait pourraient constituer, selon les mots de Jean-Baptiste Say, un «ciment social» suffisant (Engels écrivait, dès 1843, que la conséquence ultime de cette logique serait, un jour, de «dissoudre la famille») devenait dès lors clairement incompatible avec ce culte du «mouvement» comme fin en soi, dont Eduard Bernstein avait formulé le principe dès la fin du XIXe siècle en proclamant que «le but final n'est rien» et que «le mouvement est tout». Pour liquider cette alliance désormais privée d'objet avec les partisans du socialisme et récupérer ainsi son indépendance originelle, il ne manquait donc plus à la «nouvelle» gauche que d'imposer médiatiquement l'idée que toute critique de l'économie de marché ou de l'idéologie des droits de l'homme (ce «pompeux catalogue des droits de l'homme» que Marx opposait, dans le Capital, à l'idée d'une modeste «Magna Carta» susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales) devait nécessairement conduire au «goulag» et au «totalitarisme». Mission accomplie dès la fin des années 70 par cette «nouvelle philosophie» devenue, à présent, la théologie officielle de la société du spectacle. Dans ces conditions, je persiste à penser qu'il est devenu aujourd'hui politiquement inefficace, voire dangereux, de continuer à placer un programme de sortie progressive du capitalisme sous le signe exclusif d'un mouvement idéologique dont la mission émancipatrice a pris fin, pour l'essentiel, le jour où la droite réactionnaire, monarchiste et cléricale a définitivement disparu du paysage politique. Le socialisme est, par définition, incompatible avec l'exploitation capitaliste. La gauche, hélas, non. Et si tant de travailleurs - indépendants ou salariés - votent désormais à droite, ou surtout ne votent plus, c'est bien souvent parce qu'ils ont perçu intuitivement cette triste vérité.
Vous rappelez très bien dans les Mystères de la gauche les nombreux crimes commis par la gauche libérale contre le peuple, et notamment le fait que les deux répressions ouvrières les plus sanglantes du XIXe siècle sont à mettre à son compte. Mais aujourd'hui, tout de même, depuis que l'inventaire critique de la gauche culturelle mitterrandienne s'est banalisé, ne peut-on admettre que les socialistes ont changé ? Un certain nombre de prises de conscience importantes ont eu lieu. Celle, par exemple, du long abandon de la classe ouvrière est récente, mais elle est réelle. Sur les questions de sécurité également, on ne peut pas davantage dire qu'un Manuel Valls incarne une gauche permissive et angéliste. Or on a parfois l'impression à vous lire que la gauche, par principe, ne pourra jamais se réformer... Est-ce votre sentiment définitif ?
J.-C.M. : Ce qui me frappe plutôt, c'est que les choses se passent exactement comme je l'avais prévu. Dès lors, en effet, que la gauche et la droite s'accordent pour considérer l'économie capitaliste comme l'horizon indépassable de notre temps (ce n'est pas un hasard si Christine Lagarde a été nommée à la tête du FMI pour y poursuivre la même politique que DSK), il était inévitable que la gauche - une fois revenue au pouvoir dans le cadre soigneusement verrouillé de l'«alternative unique» - cherche à masquer électoralement cette complicité idéologique sous le rideau fumigène des seules questions «sociétales». De là le désolant spectacle actuel. Alors que le système capitaliste mondial se dirige tranquillement vers l'iceberg, nous assistons à une foire d'empoigne surréaliste entre ceux qui ont pour unique mission de défendre toutes les implications anthropologiques et culturelles de ce système et ceux qui doivent faire semblant de s'y opposer (le postulat philosophique commun à tous ces libéraux étant, bien entendu, le droit absolu pour chacun de faire ce qu'il veut de son corps et de son argent). Mais je n'ai là aucun mérite. C'est Guy Debord qui annonçait, il y a vingt ans déjà, que les développements à venir du capitalisme moderne trouveraient nécessairement leur alibi idéologique majeur dans la lutte contre «le racisme, l'antimodernisme et l'homophobie» (d'où, ajoutait-il, ce «néomoralisme indigné que simulent les actuels moutons de l'intelligentsia»). Quant aux postures martiales d'un Manuel Valls, elles ne constituent qu'un effet de communication. La véritable position de gauche sur ces questions reste bien évidemment celle de cette ancienne groupie de Bernard Tapie et d'Edouard Balladur qu'est Christiane Taubira.
Contrairement à d'autres, ce qui vous tient aujourd'hui encore éloigné de la «gauche de la gauche», des altermondialistes et autres mouvements d'indignés, ce n'est pas l'invocation d'un passé totalitaire dont ces lointains petits cousins des communistes seraient encore comptables... C'est au contraire le fond libéral de ces mouvements : l'individu isolé manifestant pour le droit à rester un individu isolé, c'est ainsi que vous les décrivez. N'y a-t-il cependant aucune de ces luttes, aucun de ces mouvements avec lequel vous vous soyez senti en affinité ces dernières années ?
J.-C.M. : Si l'on admet que le capitalisme est devenu un fait social total - inséparable, à ce titre, d'une culture et d'un mode de vie spécifiques -, il est clair que les critiques les plus lucides et les plus radicales de cette nouvelle civilisation sont à chercher du côté des partisans de la «décroissance». En entendant par là, naturellement, non pas une «croissance négative» ou une austérité généralisée (comme voudraient le faire croire, par exemple, Laurence Parisot ou Najat Vallaud-Belkacem), mais la nécessaire remise en question d'un mode de vie quotidien aliénant, fondé - disait Marx - sur l'unique nécessité de «produire pour produire et d'accumuler pour accumuler». Mode de vie forcément privé de tout sens humain réel, inégalitaire (puisque la logique de l'accumulation du capital conduit inévitablement à concentrer la richesse à un pôle de la société mondiale et l'austérité, voire la misère, à l'autre pôle) et, de toute façon, impossible à universaliser sans contradiction dans un monde dont les ressources naturelles sont, par définition, limitées (on sait, en effet, qu'il faudrait déjà plusieurs planètes pour étendre à l'humanité tout entière le niveau de vie actuel de l'Américain moyen). J'observe avec intérêt que ces idées de bon sens - bien que toujours présentées de façon mensongère et caricaturale par la propagande médiatique et ses économistes à gages - commencent à être comprises par un public toujours plus large. Souhaitons seulement qu'il ne soit pas déjà trop tard. Rien ne garantit, en effet, que l'effondrement, à terme inéluctable, du nouvel Empire romain mondialisé donnera naissance à une société décente plutôt qu'à un monde barbare, policier et mafieux.
Vous réaffirmez dans ce livre votre foi en l'idée que le peuple serait dépositaire d'une common decency [«décence ordinaire», l'expression est de George Orwell] avec lesquelles les «élites» libérales auraient toujours davantage rompu. Mais croyez-vous sincèrement que ce soit aujourd'hui l'attachement aux valeurs morales qui définisse «le petit peuple de droite», ainsi que vous l'écrivez ici ? Le désossage des structures sociales traditionnelles, ajouté à la déchristianisation et à l'impact des flux médiatiques dont vous décrivez ici les effets culturellement catastrophiques, a également touché de plein fouet ces classes-là. N'y a-t-il donc pas là quelque illusion - tout à fait noble, mais bel et bien inopérante - à les envisager ainsi comme le seul vivier possible d'un réarmement moral et politique ?
J.-C.M. : S'il n'y avait pas, parmi les classes populaires qui votent pour les partis de droite, un attachement encore massif à l'idée orwellienne qu'il y a «des choses qui ne se font pas», on ne comprendrait pas pourquoi les dirigeants de ces partis sont en permanence contraints de simuler, voire de surjouer de façon grotesque, leur propre adhésion sans faille aux valeurs de la décence ordinaire. Alors même qu'ils sont intimement convaincus, pour reprendre les propos récents de l'idéologue libéral Philippe Manière, que seul l'«appât du gain» peut soutenir «moralement» la dynamique du capital (sous ce rapport, il est certainement plus dur d'être un politicien de droite qu'un politicien de gauche). C'est d'ailleurs ce qui explique que le petit peuple de droite soit structurellement condamné au désespoir politique (d'où son penchant logique, à partir d'un certain seuil de désillusion, pour le vote d'«extrême droite»). Comme l'écrivait le critique radical américain Thomas Franck, ce petit peuple vote pour le candidat de droite en croyant que lui seul pourra remettre un peu d'ordre et de décence dans cette société sans âme et, au final, il se retrouve toujours avec la seule privatisation de l'électricité ! Cela dit, vous avez raison. La logique de l'individualisme libéral, en sapant continuellement toutes les formes de solidarité populaire encore existantes, détruit forcément du même coup l'ensemble des conditions morales qui rendent possible la révolte anticapitaliste. C'est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès.Jean-Claude Michéa, propos recueillis par Aude Ancelin (Marianne, 12 mars 2013)