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zelensky - Page 2

  • Le calme avant la tempête ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré à ce qu'elle analyse comme l'usure des Occidentaux face au jusqu'au-boutisme du président ukrainien...

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Le calme avant la tempête

    On aimerait penser à autre chose. A la coupe du Monde de football qui débute au Qatar, aux fêtes de Noël qui approchent, à la crise qui s’installe, et même aux échauffourées politiques dérisoires qui animent parfois pathétiquement notre Assemblée nationale et paraissent bien insignifiantes au regard des enjeux de fond et de l’avenir de notre pays. Mais la guerre, une fois lancée, ne connait pas de répit et elle prend en Ukraine, des tours inquiétants avec la reprise des bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporojie qui en vient à alarmer même le très tempérant directeur de l’AIEA, et dont il demeure difficile d’imaginer que c’est la Russie qui les initie contre ses propres forces…

    Que faire pour conduire le président Ukrainien à rompre avec son jusqu’au-boutisme suicidaire ? Les courants ultranationalistes qui l’environnent, le terrifient sans doute et le contrôlent ainsi que ses forces armées, le placent face à un tragique dilemme de style « loose-loose » : Négocier un compromis territorial avec Moscou, donc consentir peu ou prou à une partition du territoire ukrainien, comme l’enjoignent désormais à mi mots de le faire Américains et Britanniques ? Impossible sauf à se mettre lui-même en danger vital face à la fureur des ultras.  Maintenir ses positions de plus en plus intenables au regard de la réalité militaire sur le terrain, et prétendre reprendre tous les territoires conquis par Moscou, jusqu’à la Crimée, en espérant provoquer enfin l’engagement de l’OTAN, comme le montre son insistance à vouloir accréditer la responsabilité russe dans la pénétration d’un missile sur le territoire polonais contre toute évidence et malgré les démentis circonstanciés de Washington ? Cette attitude pourrait bien précipiter son lâchage par ses plus grands pourvoyeurs d’armements et de subsides. A-t-il compris que sa survie politique dépendra de sa capacité à retomber sur terre, à admettre que l’armée russe est en train de préparer son offensive d’hiver, que le rapport des forces est sans équivoque en sa défaveur, bref qu’il ne peut gagner militairement mais va devoir négocier un compromis s’il veut préserver le peu qui reste de son pays plongé dans le noir, le froid, le délabrement économique et dont même le système de télécommunications est de plus en plus aléatoire ?

    Bref, V. Zelinsky est entre le marteau et l’enclume. Il sait bien, comme d’ailleurs les Polonais, que seule une zone d’exclusion aérienne au-dessus du ciel ukrainien aurait une chance peut-être de préserver ce qu’il lui reste de forces. Mais c’est hors de question pour Washington. Ses alliés occidentaux semblent d’ailleurs connaitre une phase de lassitude et d’inquiétude devant le jusqu’au-boutisme de plus en plus désespéré de leur proxy. Les stocks européens et même américains d’armements sont en train de fondre, et nos armées vont bientôt refuser de s’affaiblir davantage pour le renforcer. Les armes qui sont données à Kiev de toute façon ne renverseront pas la donne militaire. « On » ne le peut ni surtout ne le veut pas, et le jeu des postures commence à montrer ses limites. Le premier ministre britannique Richie Sunak est venu le dire à Kiev il y a quelques jours. Rien n’a filtré de l’entretien qui a dû être désagréable aux oreilles de Zelenski…

    Certes il y a, aux États-Unis, les faucons démocrates néoconservateurs forcenés autour du secrétaire d’État Blinken et de son Département… Mais ils sont eux aussi de plus en plus en butte aux réserves, pour dire le moins, du Pentagone. Le Secrétaire d’État à la défense Lloyd Austin a très récemment rappelé lors d’une conférence à Halifax (où Zelenski est apparu pour dire qu’un cessez-le-feu n’avait aucune chance de durer, ce qui est probablement vrai à ce stade du conflit), que « la Russie disposait d’une armée puissante et d’armes impressionnantes ». Il a aussi dit l’indicible : « l’issue de la guerre en Ukraine définira les contours du monde du 21eme siècle » ! Rien de moins. Le CEMA américain, le Gal Milley a lui clairement affirmé que la seule issue à ce conflit est la négociation. Quant au secrétaire général de l’OTAN, il a abondé en rappelant qu’une défaite de l’Ukraine serait aussi celle de l’Alliance. Barak Obama lui-même, en 2016 déjà, avait reconnu que la Russie disposait d’une incontestable « dominance dans la capacité d’escalade ». Il parlait d’or. Mais cette soudaine lucidité arrive bien tard.

    Si l’enjeu est celui d’un retour à la réalité à Kiev comme à Washington, Londres ou Paris, le conflit des perceptions et surtout des « informations » brouille cette prise de conscience urgentissime. Les médias occidentaux persistent à voir dans les quelques avancées des forces ukrainiennes (par retrait des troupes russes) comme à Kharkov ou Kherson, les prémices d’une grande victoire militaire ukrainienne. On en est pourtant loin. Kherson, cadeau empoisonné, devient très difficile à approvisionner et les forces ukrainiennes toujours sous le feu russe depuis la rive est du Dniepr, commencent à appeler les habitants à la quitter. Les pertes sont lourdes, et les forces armées de Kiev sont de plus en plus suppléées par des troupes polonaises voir américaines présentes au nom d’une discrète « coalition des bonnes volontés » sans pour autant vouloir le moins du monde provoquer de trop une Russie en train de se préparer à une offensive d’hiver et d’injecter méthodiquement ses 300 000 réservistes récemment mobilisés. La Russie se prépare à durer et poursuivre sa guerre d’attrition avec des objectifs de moins en moins limités. L’échec de la politique de sanctions et la description récente par le vice-premier ministre russe de son pays comme d’une « île de stabilité » dans un monde chaotique, même si elle doit être évidemment pondérée, traduit une réalité douloureuse. Le fantasme des néoconservateurs américains de détruire l’économie, l’armée et le pouvoir russes a explosé en vol. Les USA et plus encore l’Europe se sont laissé entrainer par l’hubris belliqueux de certaines de leurs composantes gouvernementales et politiques dans un piège dont l’issue pourrait bien être la démonstration éclatante du déclin de l’Occident et la fin de l’hégémon américain.

    En fait, nous faisons face à la nécessité douloureuse de sortir de notre rêve- abattre la Russie- avant que la déroute ne soit trop humiliante. Deux méthodes s’offrent pour cela aux Américains : la méthode « douce », consistant à laisser Zelenski s’enfoncer en le lâchant progressivement et en lui disant que c’est à lui de décider quand il faudra négocier avec Moscou ; la méthode « radicale », en fait plus bénéfique dans ses effets pour le pays et le peuple ukrainien : négocier directement avec Moscou un compromis territorial et surtout stratégique (c’est-à-dire la neutralisation définitive de l’Ukraine), assécher brutalement le flux d’armes et d’argent  pour imposer les termes d’un accord réaliste à Zelenski qui devra faire de nécessité vertu et y trouverait une « excuse » auprès des ultras qui l’entourent.

    Dans un monde en noir et blanc tel que nous aimons le voir, supporter que « le méchant » gagne n’est pas facile. Mais c’est ce qui nous préserverait de pire encore. On pourrait inscrire une telle négociation dans une vaste refondation intelligente des équilibres de sécurité en Europe et reconstruire à grands frais l’Ukraine pour se faire pardonner de l’avoir instrumentalisée…Mais pour avoir le courage d’une telle approche, qui douchera les opinions publiques occidentales, il faudrait des hommes d’État capables de prendre ces décisions douloureuses et salutaires. Or, c’est une espèce en voie de disparition en Occident, où les politiques à courte vue appuyés sur des médias peu critiques, bercent complaisamment les peuples d’illusions et de « narratifs » engageants mais faux, pour obtenir leur consentement à l’affrontement tout en leur promettant qu’il ne leur en coutera pas grand-chose.  Cette fois-ci pourtant, ce mensonge devient trop gros : Les sanctions sont un échec, les Européens ont froid, voient leur richesse fondre à vue d’œil et commencent à se demander s’ils ne seraient pas les dindons ultimes de cette farce.

    Les États-Unis devraient aussi se demander pourquoi ils se sont engagés si loin et finalement ont accéléré la bascule du monde et notamment des pays du sud à leur détriment ? Sans doute auraient-ils eu plus à gagner en poussant les Ukrainiens à appliquer les Accords de Minsk 2 au lieu de les en dissuader, et plus encore à négocier un traité honnête et équilibré sur la sécurité en Europe avec la Russie quand celle-ci le demandait à toutes forces, encore en décembre dernier, au lieu de franchir la ligne rouge ukrainienne la fleur au fusil…des Ukrainiens.

    Nous sommes désormais engagés dans une longue guerre d’attrition et l’Occident risque d’en sortir avec un discrédit politique, stratégique et militaire massif. Ne parlons pas de l’OTAN…Quant à l’Europe, ainsi que l’a rappelé le Général de Villiers, cette guerre n’est pas de son intérêt, encore moins de celui de la France, qui doivent entretenir des relations normales et apaisées avec la Russie. Est-il trop tard pour casser cette spirale dangereuse et sortir de ce piège ? Il faudrait que Washington choisisse vite la méthode dure évoquée plus haut. Comme l’a récemment rappelé Dimitri Medvedev, les puissances occidentales sont piégées dans un soutien à un gouvernement irresponsable qui ne peut lui-même, sans précipiter sa propre perte, négocier le compromis indispensable ; car celui-ci va devoir se discuter « sur la base de la réalité existante » ainsi que récemment rappelé par Serguei Lavrov, c’est-à-dire sur la base du contrôle de plus en plus avancé des 4 oblasts intégrés formellement à la Fédération de Russie. Évidemment, en Europe et dans certains cercles de pouvoir à Washington, « la réalité existante » est un déni de la réalité militaire, c’est-à-dire un recul des forces russes dont on veut croire qu’elles sont exsangues…. Il faut souhaiter que dans ces querelles des chapelles washingtoniennes, les réalistes et les militaires l’emportent et entament une négociation directe avec Moscou. La récente rencontre entre les chefs du renseignement américain et russe est peut-être un heureux présage. Il faut le souhaiter pour le malheureux peuple ukrainien mais aussi pour notre sécurité à tous.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 21 novembre 2022)

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  • Ukraine : l’unanimité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site personnel et consacré au traitement médiatique de la guerre russo-ukrainienne.

    Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Ukraine : l’unanimité ?

    Ouvrez un journal ou un téléviseur, écoutez les politiques ou les experts, allez sur les médias sociaux, parlez autour de vous Quelles est la probabilité que vous soyez confrontés sinon à une opinion sinon pro Poutine, du moins à des réserves sur la cause ukrainienne ? Sauf à être sur des réseaux alternatifs, membres de communautés anti-système acharnées, les chances (ou les risques) sont presque nuls. Et si une télévision présente un extrait de discours de Poutine ou de ses généraux, ce sera accompagné de commentaires (souvent justifiés) sur leur air figé soviétomorphe ou sur labsurdité de présenter linvasion de lUkraine comme une opération antinazie.

     

    Rarement a-t-on rencontré une telle unanimité. Dans la désignation des responsabilités de la guerre, et dans l’émotion provoquée par les morts ou réfugiés. Dans la criminalisation morale des agresseurs, et dans laffirmation que ce sont « nos » valeurs qui sont en jeu. En France et en Occident au moins, car en Inde, en Afrique, dans le monde arabe (sans-même parler de la Chine), ni les médias, ni les réseaux ne partagent forcément cet enthousiasme.

     

    Y a-t-il eu des exemples de pareille communion des esprits ? Sans doute au moment de la guerre de 14-18. Quelques années après le conflit, un aristocrate anglais (mais travailliste) lord Ponsonby décrivait les dix règles de la propagande de guerre qui venaient de fonctionner pour les démocraties. Elles consistent à dire et répéter que :

    1 que lennemi veut la guerre, nous pas ;

    2 quil en est responsable, nous pas ;

    3 que cest un crime moral et pas seulement politique ;

    4 que notre guerre est menée au nom des valeurs universelles, la sienne pour ses intérêts cupides ;

    5 quil commet des atrocités ;

    6 quil utilise des armes illicites ;

    7 que ses pertes sont énormes ;

    8 que notre cause est sacrée ;

    9 que les autorités morales et culturelles lapprouvent ;

    10 que quiconque doute des neuf points précédents est victime de la propagande adverse (tandis que nous ne pratiquons que la très véridique contre-propagande).

     

    Avec cette énorme différence que personne de nos familles nest dans les tranchées, mais que nous nous vivons par procuration la souffrance des Ukrainiens, il semblerait que la rhétorique de guerre na pas tant changé en un siècle. Les lois de Ponsonby fonctionnement , pourvu quil y ait un adversaire assez repoussant et un accord assez fort sur nos croyances morales et idéologiques. Cest devenu un lieu commun de dire que toute guerre par le fer et par le feu est accompagnée par une guerre de linformation, de limage et de l’émotion. Or il semble bien que notre camp gagne les trois dernières. Le consensus ne fonctionne que si le discours du dissensus est impuissant. Ce qui était tout sauf évident il y a quelques mois.

     

    Car, depuis au moins 2016, on prêtait un singulier impact à la guerre de linformation du Kremlin. Notamment, elle aurait été responsable de l’élection de Trump, du Brexit, du référendum de Catalogne et des succès des populismes. Il sest écrit énormément d’études sur les capacités de services de Moscou en matière de cyberstratégie et dinfluence. Elles leur attribuaient (à eux ou à des groupes dits proxys leur servant de mercenaires) de fabuleuses capacités de sabotage par écrans interposés, voire le plan de paralyser un pays entier en une cyberguerre. On les créditait aussi dune dinfluence redoutable sur lopinion occidentale. À travers des réseaux humains, ses agents dinfluence. et des partis populistes complices, ils pouvaient favoriser les tendances idéologiques les plus perverses. Sans oublier leurs médias internationaux comme Russia Today (interdits depuis dans lUE). Plus les dispositifs numériques avec leur terrifiant pouvoir de perturbation: fakenews, milliers de trolls ou de faux comptes Des chercheurs américains expliquaient même que Poutine soutenait, via ces faux comptes sur Internet, indifféremment des extrémistes de tous bords (suprémacistes et Black Lives Matter par exemple), dans le but dexacerber les contradictions des démocraties et de saper la confiance. Et déjà, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, donc dune inévitable intrusion de Moscou pour fausser les résultats, notre pays créait des institutions comme VIGINUM, chargé de nous protéger des ingérences via les réseaux sociaux, et de détecter le trajet suspect de linfox venue de lest.

     

    Pour dire le moins, rien ne démontre le moindre succès poutinien pour nous persuader que cest limpérialisme otanien qui est la cause de tout et que lopération militaire (ne dites pas la guerre) se déroule comme prévu. Mieux, les autorités russes, menacées sur leur propre territoire informationnel, adoptent des lois hyper-répressives quant à lemploi de certains mots, assimilés à la puissante propagande de louest. Elles finissent y par interdire Facebook et Instagram pour extrémisme : or les plateformes signalaient comme mensongers des contenus officiels russes et censuraient les médias russes chez eux. Moscou crée même ses propres sites pour dénoncer les fausses informations occidentales en ligne (war on fakes) mais cest sans effet sur la masse immense des images datrocités qui circulent. Certaines sont véridiques, certaines truquées : il en est de favorables aux deux camps, mais vite repérées par les dispositifs internationaux de fact-checking. Quand les pro-Russes font circuler quelques vidéos des nazis du bataillon Azov ou de pro-russes attachés et fouettés, tout cela est noyé par le flot des images qui saccumulent heure par heure et qui nourrissent notre compassion. La surabondance des images et des messages nest pas le facteur le moins déterminant pour gagner les cœurs et les esprits.

     

    Parmi ceux qui expliquent cette asymétrie, certains relèvent de la technologie numérique.

    Le premier est lintervention des Gafam. Après avoir interdit le compte de Trump, les grands du Net se sont engagés – moitié par conviction sincère, moitié pour ne pas apparaître. comme les fourriers du  mensonge et de la violence – contre le trio infernal : fausses nouvelles ou désinformation, discours de haine, complotisme En particulier, Facebook qui censure la propagande poutinienne, retire les comptes pro-Kremlin, décide quelles images et nouvelles participent de la désinformation, mais assume une certaine indulgence très en retrait par rapport aux principes sur les discours de haine pour les appels à la violence envers les soldats russes

     

    Quoi que lon pense moralement de cette attitude, elle confirme que les grands du Net possèdent un pouvoir jusque là inconnu : décider ce qui atteindra nos écrans donc nos cerveaux, conférer au message le statut de véritable ou de pensable. Quand les médias classiques sont unanimement rangés dans le camp du bien et quand les moteurs de recherche retirent ou déclassent la présumée désinformation de Moscou (il y a un néologisme pour cela : déplateformer), cette dernière devient inefficace parce quinaccessible. Lengagement des Gafam traduit un droit de fait : contrôler lattention. Et ce via la circulation, la sélection et la réception des messages, en sappuyant sur leurs Conditions Générales dutilisation qui sont la loi des internautes, plus leurs algorithmes, leurs modérateurs, leur intelligence artificielle, etc.. Il lemporte sur le vieux pouvoir politique dinterdire et de faire croire. Ou sur les vieux médias. Du coup, les médias dinfluence internationale soutenus par l’État, comme Russia Today (interdit dans lunion européenne) fuient le bannissement sur des plateformes alternatives, comme de vulgaires activistes ou contestataires. Et dailleurs y rencontrent de vrais antisystèmes, plus ou moins antivax ou complotistes, les seuls à affirmer encore que le Système nous ment, en. une sorte  de prophétie autoréalisatrice.

     

    Lautre grande innovation est que sur les plateaux de télévision ou sur les réseaux – nous vivons la guerre « vue du sol » par le témoignage des bombardés, non du point de vue des bombardiers comme pendant la guerre du Golfe (effet Cnn). Les internautes ukrainiens, souvent francophones et sympathiques, dans leur cave, mais connectés au Web, ont maintenant le quasi monopole de lexpression. Limage de la souffrance interpelle et  force à adopter le point de vue dont nous ne pouvons douter, celui de la victime (ce qui ne fut pas le cas des Houtis ou des Arméniens du Karabagh). Le principe du réseau – tous émetteurs, tous témoins, chacun pouvant sinformer auprès de gens qui lui ressemblent et non verticalement dans la sélection quimposent les médias de masses – fonctionne à plein. Il est intrinsèquement favorable à la victimocratie qui parle le langage universel de la souffrance. Lindignation – le fait de souffrir de linjustice faite à un autre – est sans doute le sentiment le plus contagieux par de telles voies. Surtout quand il est facile de sidentifier à un camp et de rejeter lautre, et que compassion et médiatisation coïncident.

     

    Noyer dimages, cest bien, avoir une icône planétaire, cest mieux. Le facteur Zelinski joue aussi à plein. Pour la scénarisation – ambiances nocturnes dramatiques, T-shirt de combattant, barbe de héros -. Pour le format des vidéos courtes destinées à devenir virales. Par le choix des registres : peuple martyr et citoyens combattants, valeurs de lOccident et risque de génocide, refus de la barbarie et force de la démocratie. Par sa capacité de sadresser (magie des télétransmissions) aujourdhui aux assemblées de tous les pays, ou à des manifestants solidaires, demain à vous, les yeux dans les yeux, sur l’écran de votre portable. Implicatif (nous sommes comme vous, vous êtes concernés) et performatif (il incarne un peuple auquel sidentifier, même si notre héroïsme doit se manifester depuis notre salon) Rhétorique parfaite et logistique impeccable, message percutant et relation humaine font du président ukrainien lhomme le plus influent de la planète au moment où nous écrivons.

     

    Quand lidéologie et la technologie se combinent, quand le choix des médias et celui du politique saccordent, quand les forces spirituelles et les conditions matérielles sont favorables, et surtout quand lennemi semble plus repoussant que lURSS de la guerre froide, tout rassemble. Mais il est vrai que cest à distance, par écrans interposés et dans une phase où lopinion occidentale est encore loin d’éprouver les conséquences de la guerre sur ses intérêts et sa vie.

     

    François-Bernard Huyghe (Le site de François-Bernard Huyghe, 17 avril 2022)

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  • Les snipers de la semaine... (233)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Causeur, Frédéric Rouvillois prend dans sa lunette Valérie Pécresse, la candidate de la "droite" progressiste...

    Valérie Pécresse ou la frange progressiste

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    - sur Breizh-Info, Julien Dir dézingue les guerriers par procuration du conflit russo-ukrainien...

    « Je n’ai envie ni de me battre ni de mourir pour Marioupol, pour Moscou, pour Kiev, pour Poutine, pour Zelensky ou pour l’OTAN »

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  • Ukraine, entre Europe et Russie...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Xavier Moreau à la revue Conflits, dans lequel il évoque la crise ukrainienne et la possibilité d'une solution confédérale. Saint-Cyrien ancien officier parachutiste et spécialiste des questions géopolitiques, Xavier Moreau est l'auteur de La nouvelle grande Russie (Ellipses, 2012) et Ukraine - Pourquoi la France s'est trompée (Rocher, 2015).

     

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    Entretien avec Xavier Moreau – Ukraine, entre Europe et Russie

    Xavier Moreau, vous avez écrit Ukraine, Pourquoi la France s’est trompée. Quelle est la situation actuelle en Ukraine ?

    Paradoxalement, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, la situation en Ukraine s’améliore avec l’arrivée du nouveau président Zelensky. Il a été élu au deuxième tour à 75%. Cela symbolise un rejet complet du modèle idéologique qu’avait tenté d’imposer son prédécesseur, le président Porochenko. Ce modèle repose sur une mythologie nationale fondée sur une histoire ukrainienne totalement inventée au XIXème siècle ainsi que sur l’ukronazisme qui correspond à l’histoire des nationalistes ukrainiens entre 1933 et 1945 autour de Stepan Bandera. La population ukrainienne majoritaire ne croit pas à ces mythes et c’est elle qui a voté pour Zelensky.

    Y-a-t ’il eu des progrès en direction de la fin du conflit ?

    Il y a eu des progrès significatifs : retrait de troupes le long de la ligne de fond, échanges de prisonniers, tentative de faire passer la loi d’amnistie générale. Cela explique que Vladimir Poutine, contrairement à l’époque de Porochenko, a accepté d’assister à la réunion des quatre chefs d’Etat au format Normandie (chancelière allemande, présidents français, russe et ukrainien). Cependant tôt ou tard, Zelensky va buter sur la question du vote sur l’autonomie du Donbass car l’État profond ukrainien ne veut rien entendre sur cet élément central des accords de Minsk. La solution serait de faire un référendum où 75% des Ukrainiens voteraient logiquement « OUI » au statut d’autonomie du Donbass.

    D’un autre côté, les ukronazis sont en perte de vitesse. Le 1er janvier dernier, seulement 1000 personnes, environ, ont manifesté à Kiev pour l’anniversaire de Stepan Bandera, alors que c’est désormais une fête officielle et que les radicaux viennent de toute l’Ukraine pour célébrer leur héros. Le bandérisme ne fait plus recette et ne semble plus avoir les moyens de mobiliser ses troupes.

    Pour l’instant, il est clair que Poutine fait confiance à Zelensky. Cela a été démontré par l’acceptation de la réunion au Format Normandie. Il l’a dit plusieurs fois en disant qu’il pensait que Zelensky était sincère, la question étant de savoir s’il avait les moyens de faire sa politique. Il y a donc visiblement une volonté de Vladimir Poutine de donner une chance à Zelensky, ce qui un élément positif pour les relations russo-ukrainiennes.

    Quels ont été les causes, les conséquences et les acteurs principaux de Maïdan ?

    Pour comprendre Maïdan, il faut admettre que l’« Ukraine » est avant tout un terme géographique. Comme c’est un État et non une nation car ce qui se passe à Kiev n’intéresse pas forcément les gens qui habitent à l’Est de l’Ukraine (d’une diagonale qui partirait d’Odessa jusqu’à Kharkov). La population d’Ukraine centrale rêve du modèle polonais d’intégration à l’Union Européenne. C’est le mouvement pro-occidental, qui est renforcé depuis Maïdan par les ukronazis, essentiellement basés à l’Ouest où ils disposent de camps d’entraînement et ce, bien avant 2013. Certains leaders, comme Andrei Biletski, viennent d’autres régions de l’Ukraine.

    Ces mouvements ukronazis rassemblent de moins en moins de monde mais partagent, avec les structures étatiques ukrainiennes, le monopole de la violence. Cette violence est exercée par les services de l’État, le ministère de l’Intérieur et le SBU, qui peuvent la sous-traiter aux unités de représailles. L’homme clé de ce dispositif, soutenu par Washington et désormais pressenti comme futur Premier Ministre, est l’actuel ministre de l’Intérieur, Arsen Avakov.

    Qui est ce personnage ?

    C’est un oligarque d’origine arménienne, qui pèse cinq cents millions de dollars et qui est à mi-chemin entre le banditisme et l’idéologie, sachant qu’étant donné ses origines, il ne peut pas vraiment invoquer la pureté raciale, si chère aux unités de représailles qu’il chapeaute. Si un tribunal était créé pour juger les crimes depuis Maïdan, Avakov serait immanquablement condamné pour de longues années de prison.

    A lire aussi: Les enjeux linguistiques en Ukraine

    Quelle était véritablement la position de Victor Ianoukovitch au moment des évènements de Maidan ?

    Ce que n’a pas compris l’Occident, c’est que face à Maïdan, Victor Ianoukovitch n’était pas un président pro-russe. Il a été élu en 2012, lors une élection qui a été validée par la communauté internationale, avec un programme où l’Ukraine devait entrer dans l’union douanière russe, et où le russe deviendrait une langue officielle. Il n’a fait ni l’un ni l’autre, et au lieu de cela, a promu un accord d’association avec l’UE. Les Ukrainiens du Centre l’ont vu comme étant un premier pas vers l’UE, ce que ce n’était absolument pas.

    Lorsque sous Victor Ianoukovitch, il y a eu des projets pétroliers, tout a été donné systématiquement à des sociétés occidentales, notamment françaises mais surtout américaines. Donc dire qu’il fut l’homme de la Russie est faux. Quand l’UE a refusé de lui donner les quinze milliards d’euro qui lui avaient été promis, il s’est tourné vers la Chine puis s’est rabattu sur la Russie. Il s’est retrouvé isolé parce qu’il a cru qu’il pourrait maintenir un équilibre entre la Russie et l’occident ; mais l’occident est un maître jaloux qui ne négocie pas.

    Qu’en est-il aujourd’hui ?

    Ce qui est intéressant, c’est que tous ceux que l’on a vu en 2014 sur les chaînes de télévision, notamment occidentales, sont aujourd’hui hors-jeu. Iatseniouk vit aux États-Unis, Tyagnibok est reparti à Lvov et n’est même plus député, le maire de Kiev est toujours en poste mais ne pèse rien politiquement, et Porochenko est simple député. Une loi vient par ailleurs d’être prise et prive les députés de leur immunité parlementaire. Ces gens-là sont donc à la merci de la justice, sachant qu’ils ont volé dans la caisse pendant cinq ans.

    Effectivement, des acteurs politiques de Maïdan, il ne reste plus personne. Mais il reste un « État profond », qui ne veut pas, soit pour des raisons idéologiques (comme Paroubi), soit parce qu’ils ont volé ou tué, abandonner le pouvoir. C’est avec cela, et avec les soi-disant alliés de l’Ukraine, c’est-à-dire la France, l’Allemagne et les États-Unis, qui sont eux-mêmes divisés quant à la résolution du conflit, que doit composer Zelensky.

    Que veulent donc les Européens ?

    La France et l’Allemagne veulent liquider l’affaire ukrainienne, donc appliquer les accords de Minsk. Les États-Unis savent bien que l’application de ces accords serait un aveu d’échec. Ils ont échoué en Syrie, ils sont en train d’échouer en Libye ; échouer en Ukraine et peut-être même en Irak serait de trop. A côté de cela, il faut voir que l’Ukraine est prise dans l’étau de l’élection américaine, avec l’affaire Biden et l’impeachment, et tout cela la met à un niveau qui n’est pas le sien, alors qu’elle devrait être une puissance discrète.

    Les Ukrainiens sont donc surexposés et Zelensky, paradoxalement, est le seul à pouvoir sauver l’Ukraine aujourd’hui. Mais si les accords de Minsk ne sont pas appliqués, l’Ukraine explosera économiquement et politiquement.

    Pourquoi, en France notamment, les médias ont tant « désinformé » la population sur la crise ukrainienne ?

    Je pense qu’il y a différents aspects. il y a, premièrement, une méconnaissance de l’histoire de l’Ukraine, les gens ayant tendance à considérer que l’Ukraine est une seconde Pologne. Ils pensent que l’Ukraine existe depuis mille ans, qu’elle a disparu, comme la Pologne, à un moment de son histoire puis a connu une renaissance à la chute de l’Union soviétique. Mais cela est faux. L’Ukraine est une invention, c’est quelque chose de virtuel. C’est une construction purement intellectuelle. La seule mythologie qui permettrait à l’Ukraine d’exister est la mythologie soviétique : les Ukrainiens sont le peuple frère des Russes car ce sont des Russes et les Russes sont des Ukrainiens.

    La géographie explique aussi cette histoire …

    En effet. La partie extrême-Ouest de l’Ukraine a connu une histoire totalement séparée et qui fournit aujourd’hui l’idéologie de l’Etat kiévien. Elle a quitté le monde russe après des siècles de domination par les Polono-lituaniens, par les Autrichiens puis de nouveau par la Pologne.

    La France a aussi soutenu l’Euromaidan pour pouvoir s’opposer frontalement, et par idéologie semble-t-il, à la Russie.

    La gauche française, fondamentalement hostile à la Russie car elle a été déçue par l’échec du communisme en Russie, s’est rebellée dans les années 60. Elle a d’ailleurs pris le Soljenitsyne anticommunisme comme symbole, mais n’ont pas pris son aspect nationaliste. Bernard-Henri Lévy, par exemple, et même Macron, citent Soljenitsyne alors qu’il est nationaliste russe. Ils ont une mémoire – je ne sais pas si c’est par ignorance ou si c’est délibéré – sélective et ils en veulent à la Russie, encore plus aujourd’hui avec Poutine, d’être une puissance conservatrice qui n’écoute plus l’intelligentsia occidentale.

    Les Etats-Unis ont été, avec la France, le fer de lance du soutien à Maidan.

    De l’aveu même des Américains, Maidan leur a coûté cinq milliards de dollars. Tout comme les ONG financées par Georges Soros, ils ne se cachent pas. Nous ne sommes pas dans du complot. Les pro-occidentaux sont certains que leur idéologie est la bonne et n’ont donc pas plus de raison de se cacher que ne se cachaient les membres du Kominterm ou les antifascistes des années 30.

    Pour revenir sur l’histoire de l’Ukraine, vous faites souvent état d’un pays n’a jamais connu d’unité politique.

    L’unité ukrainienne n’existe pas. L’Ukrainien de l’extrême-Ouest ne pensent pas comme les Ukrainiens du Centre de l’Ukraine, qui ne pensent pas comme ceux de l’Est et qui ne pensent pas comme ceux de l’extrême-Est qui eux, se considèrent comme des Russes. D’autant plus que ces Ukrainiens ne pensent pas non plus comme les Criméens.

    Il y a un aveuglement, plutôt par ignorance que par vice, de cette histoire. Et cette idée que l’Ukraine a choisi l’Europe est le slogan le plus absurde. C’était idiot du point de vue industriel et économique en général mais aussi du point de vue humain. À ne pas vouloir voir la réalité, les Occidentaux et les Ukrainiens ont percuté le mur du réel. L’élection de 2019 de Zelensky a été la révélation de ce mur.

    Pourquoi la France est-elle intervenue en Ukraine et qu’est-ce que cela dit de sa diplomatie ?

    La France n’a pas été le pays le plus actif sur Maïdan. Nous n’avons pas vu de ministre des Affaires Étrangères comme les Allemands, ou d’hommes politiques de premier plan comme les Polonais ou l’ambassadeur américain, intervenir directement en Ukraine. Laurent Fabius ne s’intéressait pas au sujet. Par ailleurs, il est intéressant d’observer la conférence de presse qu’il donne en rentrant de Maïdan où il semble découvrir, à proprement parler, ce qui se passe à l’Est. La France s’est alignée, comme à son habitude, sur les positions américaines et allemandes.

    Mais la France s’est rendue complice de l’échec de la sortie de crise, puisque le 20 février, l’Allemagne, la France et la Pologne ont signé l’accord de sortie de crise avec Ianoukovitch, accord qui prévoyait des élections présidentielles avancées dans six mois, notamment. Il n’a pas tenu vingt-quatre heures, et la France n’a rien fait, pas plus que l’Allemagne et la Pologne, pour tenter de résoudre les problèmes posés par la situation.

    Cela démontre, en quelque sorte, le manque de professionnalisme de la part du Quai d’Orsay.

    Il y a surtout une perte de crédibilité vis-à-vis de la Russie, car la signature française ne vaut, au yeux de Vladimir Poutine, plus rien. La sortie de crise et l’affaire des Mistrals, qui ne faisaient d’ailleurs pas partie des sanctions, démontre la faiblesse chronique de notre diplomatie. Sur le sujet des navires Mistrals, il faut savoir que nous nous sommes auto-sanctionné sous la pression américano-polonaise. Rien ne nous obligeait à le faire. Donc il est clair que depuis cette période, les Russes ne prennent plus la diplomatie française au sérieux.

    Mais aujourd’hui, un rapprochement avec la Russie semble être possible.

    Il y a, en effet, une prise de conscience avec Emmanuel Macron sur le fait que la France s’était fait piéger dans cette affaire. Mais il y a une volonté de l’État profond français, je cite Macron, d’être hostile à la Russie. C’est idéologique, c’est l’atlantisme. Le chef de file de ce courant est Jean-Yves Le Drian, qui était ministre de la Défense sous François Hollande, et ministre des Affaires Étrangères sous Emmanuel Macron et qui fait le lien entre cette politique antirusse menée depuis François Hollande.

    Pour l’instant, et on l’a vu avec la crise iranienne, Emmanuel Macron est incapable de tenir tête à cet État profond. Je pense que la France, et notamment une partie des élites détestent la Russie parce que c’est une puissance conservatrice, s’est parfaitement rendue compte qu’elle s’était fait piéger. Au Quai d’Orsay, cela a une influence certaine et il ne faut surtout pas sous-estimer le poids de ce genre de groupes de pression. Aujourd’hui, je pense qu’Emmanuel Macron est sincère mais totalement impuissant, et, à ma connaissance, les Russes ont une vision bienveillante de la France, mais aucune illusion sur l’incapacité de son président à reprendre les rênes de la politique étrangère.

    Dans quelle mesure peut-on dire que l’Ukraine est devenue un terrain de jeu entre la Russie de Poutine d’un côté, et le camp atlantiste de l’autre ?

    L’Ukraine est devenue un terrain de combat, mais elle l’est de moins en moins. Il faut voir que lorsqu’Angela Merkel s’est rendue à Moscou le 11 janvier, la question ukrainienne n’a quasiment pas été abordée. Les préoccupations de l’Allemagne étaient essentiellement axées sur le transit gazier. L’Ukraine n’est plus vraiment un sujet, ce qui pousse les Russes à illustrer la situation par le concept de « valise sans poignée » car l’on ne sait pas par quel bout prendre le sujet. Il est évident qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel veulent en terminer avec cette crise.

    Ajoutons qu’il y a une diaspora russe en Allemagne. Elle constitue près d’un million de votants qui soutiennent majoritairement l’AfD. Il y a, de plus, les industriels allemands de Bavière, qui est le cœur du fief chrétiens démocrates, et qui ne rêvent que d’une seule chose : la fin des sanctions pour refaire du « business as usual » avec la Russie. La CDU et CSU ont mille et une raisons de mettre fin à la plaisanterie ukrainienne.

    Les États-Unis souhaitent-ils et ont-ils un intérêt à l’enlisement du conflit ?

    L’Ukraine est un terrain d’affrontements entre les Démocrates et les Républicains. La réélection ou non de Donald Trump va être décisive pour l’avenir de ce pays, car je pense que Trump est prêt, grâce à un « bon deal » avec la Russie, à se débarrasser du boulet ukrainien et laisser les Européens fédéraliser l’Ukraine ou même à la laisser s’éclater si les accords de Minsk n’arrivent pas à être appliqués.

    Je pense donc que l’Ukraine a été ce terrain de combat à une époque où les élites occidentales croyaient encore que ce pays pourrait basculer à l’Ouest. Aujourd’hui, plus personne n’a cette illusion. S’il n’y avait pas l’influence américaine, les Allemands et les Français auraient déjà réglé la question en imposant la fédéralisation par exemple. Ils en ont les moyens puisque ce sont eux qui tiennent les cordons de la bourse. Par rapport à la Syrie, à la Libye, à l’Irak, à l’Iran ou au Venezuela, la question ukrainienne est aujourd’hui annexe.

    Vladimir Poutine a-t-il profité des événements en l’Ukraine pour faire son « coup » en Crimée ou cela était déjà planifié ?

    Il n’avait pas planifié la réunification. La Russie s’apprêtait à remplacer la Crimée et le port de Sébastopol par Novorossisk. Des milliards de dollars ont été investis dans Novorossisk, qui n’est pourtant qu’un port secondaire, car il était question d’en faire un port militaire et de commerce de premier plan. De la même manière que les Russes n’ont pas envie d’envahir les Pays baltes, c’est pour cela qu’ils ont construit trois ports sur la Baltique. Si les Russes avaient eu l’intention d’envahir les Pays baltes, ils n’auraient pas construit de nouveaux ports.

    Pour ce qui est de la Crimée, c’était un coup d’opportunité. Les Occidentaux, en faisant Maïdan, ont amené la Crimée sur un plateau à la Russie. C’eut été bien stupide de ne pas en profiter. Mais cela évoque un aspect plus général : l’Amérique demeure un acteur irrationnel. C’est un thème qu’on retrouvera d’un point de vue géopolitique dans bien des domaines, notamment sur les dossiers iraniens, irakiens et syriens, car leur stratégie démontre qu’ils n’ont, en réalité, aucun plan de gestion et de sortie, alors que les Russes disposent de tout cela.

    Cela en dit long, aussi, sur la stratégie de Vladimir Poutine qui joue, en définitive, des bêtises occidentales pour avancer ses pions.

    Un de mes amis appelait cela le « pop-corn time », c’est-à-dire que Vladimir Poutine n’a pas besoin de beaucoup d’efforts pour devenir un acteur majeur du concert des nations, dans la mesure où les occidentaux tombent dans les pièges qu’ils se sont eux-mêmes tendus, notamment en Crimée. Certes, il a fallu investir en Crimée, puisqu’il n’y avait eu aucun investissement depuis vingt-cinq ans. Mais dans la mesure où les Russes payaient très cher la location du port de Sébastopol, ils ont fait une excellente affaire… grâce aux occidentaux. Il en va de même dans le Donbass car le soutien russe est faible, comparé à l’effort que les Américains, les Allemands, les Français doivent fournir pour soutenir ce boulet économique et humain qu’est l’Ukraine.

    En définitive, Vladimir Poutine a juste usé de pragmatisme pour gérer la situation.

    La Russie développe en effet une politique réaliste, avec des buts précis, ce que nous ne savons pas faire depuis des dizaines d’années. Et cette perspective ne coûte pas très cher à la Russie. De notre côté, nous n’avons pas les moyens de sortir l’Ukraine de la misère car il y a une tiers-mondisation claire et une désindustrialisation du pays. Et cela, c’est à l’Occident de le gérer. Les Russes ne sont pas pressés, pourquoi envahir l’Ukraine, comme certains pourraient le penser ? Pour avoir à gérer ce boulet ? Surtout pas !

    Qu’en est-il réellement et concrètement des accords de Minsk et du Format Normandie ?

    Ce sont deux choses différentes. Le Format Normandie est un peu comme le G7 ou le G20 ; c’est un format de rencontre. Ce n’est pas un traité. Ce n’est pas non plus les accords de Minsk qui, eux, prennent la forme d’un traité signé avec un rapport de forces qui n’est pas le même que celui présent dans le Format Normandie. Il y avait les trois grands pays continentaux européens qui forçaient l’Ukraine à signer un accord qu’elle ne voulait pas appliquer. Mais ils ont signé en disant : c’est la solution croate.

    Qu’entendez-vous par « la solution croate » ?

    En 1993, les Croates avaient perdu la guerre contre les Serbes de Krajina. Ils ont signé la paix et se sont réarmés pendant 2 ans grâce aux Américains et aux Allemands. En 1995 ils ont repris la Krajina et ont épuré ethniquement les Serbes qui y vivaient depuis des siècles. Les Kiéviens ont espéré cela mais c’était totalement délirant car les proportions et les enjeux n’étaient pas les mêmes. Aujourd’hui, ils sont coincés par un traité qu’ils ont signé et qui a été validé par la résolution 2202 des Nations Unies. Jusqu’à aujourd’hui, les Occidentaux font comme s’ils n’avaient pas lu les accords de Minsk et comme si, par exemple, l’Ukraine pouvait exiger de récupérer le contrôle de la frontière avant les élections. Il y a une hiérarchie dans les 13 points des accords de Minsk. Ce qui change avec Zelensky, c’est qu’il commence à appliquer les points dans l’ordre, et notamment le retrait de la ligne de front, la diminution sensible des bombardements sur les populations et l’échange de prisonniers. Cela aboutira à l’amnistie générale puis au statut d’autonomie du Donbass, ce qui obligera à des modifications constitutionnelles. Cela était un élément qui était impossible sous Porochenko mais qui semble l’être aujourd’hui. Mais, encore une fois, le recours du référendum reste une possibilité.

    Pourquoi ce statut d’autonomie sera-t-il compliqué à mettre en place ?

    Le slogan des séparatistes était : « Arrêtons de nourrir Kiev ». La réalité économique prouve que c’est l’Est de l’Ukraine, industrielle et développée, qui paye pour le reste. Il suffit de voir la carte de la balance des paiements internes de l’Ukraine en 2013 ou 2014. D’ailleurs, l’effondrement économique de l’Ukraine est dû à la désindustrialisation de cette zone qui ne peut plus commercer avec la Russie.

    Les deux républiques ont déjà entamé le processus d’autonomisation. Elles ont pris des lois qui font qu’elles exigent le retour aux frontières de leur oblast, c’est-à-dire la partie occupée par Kiev, dont Marioupol, le premier port industriel de l’Ukraine avec Odessa.

    J’ai interviewé le Premier ministre à l’époque, et il a affirmé qu’il était hors de question qu’ils renoncent à leurs chars et à leur armée, car ils savent très bien qu’il y aura toujours des radicaux du côté de Kiev pour pouvoir les épurer ethniquement. Donc ça sera un peu à la Suisse : on aura quasiment une Bavière avec une armée, ce à quoi sont prêts les Ukrainiens car pour que s’arrête la guerre, ils sont prêts à tout.

    Les rapports entre Kiev et le Donbass vont donc aller en s’amenuisant.

    Sur ce sujet, une question se pose : quelle proportion du budget du Donbass va être versé à Kiev alors qu’ils doivent se reconstruire ? L’Ukraine vivait sur l’argent de l’Est du pays, notamment du Donbass. Aujourd’hui, tout est décentralisé et il est évident que les deux gouvernements des républiques de Donetsk et de Lougansk n’accepteront pas de revenir à la situation antérieure où la richesse du Donbass était pillée pour nourrir les populations de l’Ouest de l’Ukraine. Ce sont des choses qui devraient être négociées. Aujourd’hui, nous n’en sommes pas là. Au sein de l’accord de Minsk, il y a eu la création de quatre sous-groupes (économique, humanitaire, sécuritaire, politique) mais rien n’est discuté sérieusement dans ces groupes et le gros morceau sera effectivement la statut d’autonomie du Donbass.

    Y a-t-il une volonté de faire durer les négociations ?

    Le problème est que plus elles durent, plus l’Ukraine risque d’éclater, d’autant plus qu’il y a un fort risque de banqueroute en 2020. Et s’il y a banqueroute, il n’y aura plus de fonction publique, et le pouvoir sera pris, de facto, par les régions. En Ukraine, il n’y a pas de sens de l’État comme en France ou en Russie, ce qui fait que quand la situation devient difficile, il y a tout de même quelque chose qui tient. Les Ukrainiens n’aiment pas l’État, n’en attendent rien, ne lui demandent rien, ne paient pas les impôts et lui mentent. Il y a un problème de conception de l’État en Ukraine. Si l’on y est, c’est un moyen de voler ; si l’on n’y est pas, on le déteste et on ne veut pas avoir affaire à lui.

    Quelle sera la situation si les négociations n’aboutissent pas ?

    Si jamais la paix ne revient pas en Ukraine, le risque est, comme je l’ai dit, la banqueroute. S’il y a une application des accords de Minsk, cela va faire une traînée de poudre. Kharkov va vouloir son autonomie ainsi que les autres régions.

    L’Ukraine russe est l’Ukraine utile qui fait vivre le reste du pays. Si vous laissez le choix aux gens, quelle langue vont-ils parler et quelle économie vont-ils suivre ? Toute la partie utile de l’Ukraine va devenir autonome et se tourner vers la Russie. Kiev perdra, de fait, son poids économique. D’ailleurs, la capitale économique devrait être, à mon avis, Kharkov. Quand les Soviétiques ont créé l’Ukraine, ils l’ont d’abord choisi, ce qui était beaucoup plus logique.

    Selon vous, quelle serait donc la solution ?

    La solution est de forcer Kiev à adopter les accords de Minsk et, qui plus est, à assumer une confédéralisation de l’Ukraine. C’est cela qui sauvera l’Ukraine. Mais finalement, les gens du Donbass ne sont-ils pas légitimes, après ce qu’ils ont subi, à vouloir rejoindre la Russie ou à obtenir une indépendance reconnue par la Russie ? Quoi qu’il en soit, le niveau d’autonomie sera tel, même au sein d’une Ukraine confédérale, qu’ils auront une liberté bien plus importante que les autre régions.

    Mais un autre problème demeure ; l’économie du Donbass fonctionne en roubles et il parait impensable de revenir au hryvnia dont on annonce l’effondrement tous les trois mois… Le système fiscal et la médecine gratuite se maintiennent également dans le Donbass, contrairement au reste de l’Ukraine qui applique les exigences du FMI. La solution pour sauver l’Ukraine, si tant qu’il faille la sauver, est donc la confédéralisation.

    Ne pensez-vous pas, pour conclure, que Poutine ait de réelles velléités sur le Donbass ?

    Non. Les Russes jouent sur une « ossétisation », c’est-à-dire que si Kiev n’accepte pas la confédération, le pays éclatera et le Donbass sera indépendant. C’est ce que veulent les habitants du Donbass. Mais ils pourraient aussi l’obtenir dans le cadre d’une confédération ukrainienne.

    Il est important de comprendre que Poutine fait partie d’une génération qui considère que la Russie impériale et l’URSS se sont trop étendues. C’est également ce que pensait Soljenitsyne. Ce que veut la Russie, c’est de la haute technologie, la conquête spatiale, des armes hypersoniques et dépenser son argent pour développer un territoire qui est déjà immense. Si la Russie récupère l’Ukraine, elle récupérera un territoire arriéré qu’elle devra développer. Elle devra aussi diriger une population qui, dans son ensemble, n’a aucun sens de l’État qui est de fait vu comme un système de prédation.

    Je suis allé en vacances en Crimée : la situation politique et administrative y sont effrayantes. La Crimée est devenue l’Ukraine dans ses pratiques de corruption et de commerce au noir. Je ne dis pas que cela n’existe pas en Russie, mais cela a fortement diminué dans une pays où la fiscalité est tellement faible, que vous payez vos impôts sans douleur. Si vous jouez le jeu, ce n’est pas confiscatoire. Heureusement, c’est le système qui est en train de se mettre en place à Donetsk.

    Xavier Moreau (Conflits, 12 février 2020)

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