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trump - Page 17

  • « Les Etats-Unis n'ont jamais été si divisés... C'est le résultat fatal de la diversité ! »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jared Taylor à Breizh infos à propos de la situation politique aux Etats_Unis. Journaliste, fondateur en 1990 du mensuel American Renaissance, Jared Taylor vient de publier en France L'Amérique de la diversité : du mythe à la réalité (L'Æncre, 2016).

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    Jared Taylor (Amren) :« Je suis très content de la victoire de Trump, mais il n’y aura pas de vraie révolution »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, quelle est votre réaction à la suite des attentats, qui se multiplient en Europe ? Et par rapport à ces tentatives de déstabilisation comme en témoigne l’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie ?

    Jared Taylor : Depuis l’invasion musulmane de l’Espagne en 711 jusqu’au traité de Karlowitz en 1699 qui a mis fin à la dernière invasion ottomane, l’Islam a été en guerre avec l’Occident. C’est une période de presque 1,000 ans qui reflète la nature profonde de l’Islam. C’est une religion conquérante et impérialiste. Pendant les derniers 300 ans, l’Islam a été trop faible pour faire la guerre conventionnelle, mais sa nature n’as pas changé.

    Maintenant, l’Islam exprime sa haine à l’égard de l’Occident au moyen d’ attentats contres des cibles faibles. Ces attentats n’ont pas besoin de beaucoup de moyens matériels ou d’effectifs pour semer la terreur et la panique. Cependant ces attentats ne seraient pas possibles s’il n’y avait pas de communautés musulmanes implantées en Europe, surtout en France. L’existence de ces communautés reflète la faiblesse de l’Occident qui n’est plus capable de dire, comme autrefois, « Cette terre est pour nous et pour  personne d’autre. »

    Breizh-info.com :  Vous avez sorti votre premier ouvrage traduit en français, « l’Amérique de la diversité, du mythe à la réalité ». L’American way of live, façon Benetton, serait donc une illusion ?

    Jared Taylor : Il est nécessaire en Amérique de dire que la diversité est une grande force pour le pays, peut-être même la plus grande force de toutes. Pourtant, il est évident que la diversité—de langue, de religion, d’ethnie mais surtout la diversité de race — est une source intarissable de conflits.

    Mon livre est une description détaillée des problèmes nés de la diversité et du refus des Américains de les regarder en face. Les États-Unis sont allés très loin en matière de diversité, et j’espère que la France—un pays que je connais, admire, et aime—ne répétera pas les mêmes erreurs.

    Breizh-info.com :  Vous expliquez dans votre ouvrage que les communautés de Blancs ont tout fait (et été obligées de  le faire) pour intégrer, sont en train petit à petit de se séparer, de recréer une sorte d’apartheid de fait. Pourquoi cela ?

    Jared Taylor : Cet apartheid de fait est basé sur la nature humaine profonde. Notre espèce est tribale. Il est normal de préférer la culture, les mœurs, la manière de vivre de son propre peuple. C’est pourquoi, en dépit des grands efforts de l’Etat pour encourager l’intégration et le métissage, les Américains restent, pour la plus part, séparés.

    Breizh-info.com :  On s’interroge souvent, en Europe, à savoir pourquoi les Latinos ne sont pas classés, ethniquement pour une bonne partie, parmi les Blancs. Avez vous une explication à fournir ?  

    Jared Taylor : La grande majorité de gens qu’on appelle Latinos ou Hispaniques sont plus correctement des mestizos, c’est-à-dire qu’ils sont un mélange d’Européen et d’Amérindien. Ceux qui viennent aux États Unis sortent souvent des basses classes et sont  sont en grande partie Amérindiens. Ces gens-là ne sont pas blancs. Nous recevons même des Amérindiens purs qui parlent des langues comme le Quechua ou le Nahuatl et ne parlent même pas l’Espagnol.

    Breizh-info.com :  Comment avez vous ressenti la victoire de Donald Trump ? Va-t-on vers de profonds changements, voire une révolution dans la société américaine ?

    Jared Taylor : Je suis très content de la victoire de Trump, mais il n’y aura pas de vraie révolution. Trump n’est pas un identitaire. Il a des instincts sains : il n’aime pas que les étrangers entrent dans notre pays clandestinement et profitent de l’aide sociale. Il comprend que le mouvement Black Lives Matter (qui prétend que la police américaine vise systématiquement les noirs pour les tuer) est basé sur des mensonges.

    Sans doute, il se sent dépaysé quand il se trouve à Miami ou à Detroit où il n’y a pratiquement pas de Blancs.  Mais je ne crois pas qu’il ait  profondément réfléchi aux questions démographiques, et il ne comprend pas que les États Unis sont vraiment en train de sortir de l’Occident et de devenir un pays du Tiers Monde.

    Breizh-info.com :  Pouvez vous conseiller à nos lecteurs des médias américains qui, comme Breitbart news, ont contribué à faire gagner Donald Trump ? Qu’est ce qui explique que la réinformation réussisse, économiquement, à percer aux États-Unis là ou cela parait encore compliqué en Europe et notamment en France ?

    Jared Taylor : Breitbart a été un grand succès. En même temps il y a beaucoup de sites comme le nôtre (www.AmRen.com), www.Vdare.com, www.takimag.com, www.unz.com, où on trouve des renseignements et des commentaires qu’on ne trouverait jamais dans les grands médias.

    Pourtant, je ne suis pas persuadé que les médias alternatifs aient contribué décisivement à la victoire de Donald Trump. Les grands medias ont mené une campagne de diabolisation contre Trump sans précédent dans toute l’histoire des États-Unis. C’était tellement haineux et biaisé que beaucoup d’Américains moyens en ont été dégoûtés. Selon moi, la tentative des grands médias de terrifier et intimider les électeurs s’est retournée contre eux et a persuadé beaucoup d’Américains que les médias ne sont pas fiables. Je crois que l’élection a été un grand tournant pour les médias. S’ils continuent d’être si éloignés du peuple ils vont périr.

    Breizh-info.com :  Ce qui est saisissant , c’est qu’on se rend compte que les côtes américaines ont voté majoritairement Clinton tandis que les terres ont choisi Donald Trump. L’Amérique semble être un pays profondément divisé  vu de l’extérieur. Est-ce le cas ? Qu’est ce qui explique cette révolte des peuples de l’intérieur ?

    Jared Taylor : Depuis la Guerre Nord-Sud, les États-Unis n’ont jamais été si divisés. Nous sommes divisés racialement, politiquement, culturellement, et—de plus en plus géographiquement. C’est un constat très malsain pour un pays, mais c’est le résultat fatal de la diversité. A la limite, les États-Unis pourraient devenir comme le Liban ou l’ancienne Yougoslavie – ingouvernable. Nous ne sommes pas encore à ce stade-la, mais ce n’est plus inconcevable.

    Breizh-info.com :  Comment se sont comportés, électoralement, les autochtones de l’Amérique, c’est à dire les Indiens que l’on retrouve notamment dans le Dakota. Quelles sont leurs relations avec les autres communautés ? 

    Jared Taylor : A peu près deux tiers des autochtones ont voté pour Clinton, mais ils ne comptent que pour 2% de la population et leur taux de participation aux élections est très bas. Depuis toujours, les Indiens, comme toutes les autres minorités, votent majoritairement démocrate.

    Breizh-info.com :  Qu’est ce que l’élection de Trump va changer pour l’Europe, à l’heure où l’Amérique multiplie les provocations, notamment aux frontières de la Russie, en y déployant énormément de soldats et de matériel militaire ?

    Jared Taylor : Il est difficile de savoir ce que Trump pense réellement en matière de politique extérieure, mais il a toujours dit qu’il chercherait à améliorer les rapports avec la Russie. Son choix de nommer comme secrétaire d’état, Rex Tillerson, est de très bon augure. Il a également souvent dit que les Etats Unis ne peuvent plus payer pour la défense de l’Europe et de l’Asie et que les alliés doivent se défendre eux-mêmes. Selon moi, la perte de l’aide militaire ne poserait aucun problème pour l’Europe si les Européens maintenaient de bonnes relations avec la Russie—ce qui devrait être tout à fait possible.

    Il n’y a aucune raison pour  que l’Europe et la Russie ne soient pas des puissances voisines paisibles. Leurs intérêts en question d’immigration, échanges économiques et culturels, de lutte contre le terrorisme, etc., sont presqu’identiques. Si l’opposition détraquée des Américains contre les Russes disparait, il n’y a aucune raison pour que la Russie ne prenne pas sa place comme membre respecté et productif de la communauté des nations.

    Breizh-info.com :  Vous êtes un parfait francophone, et de fait, suivez régulièrement l’actualité de ce pays. Comment voyez vous, et que souhaitez vous, pour l’année électorale qui s’annonce ?

    Jared Taylor :  J’espère une victoire totale pour le Front national !  Je crains que Marine Le Pen n’ait cédé trop de terrain sur certains points importants, mais une victoire du FN aux élections françaises serait un tremblement de terre peut-être encore plus significatif que la victoire de Donald Trump.

     

    Jared Taylor, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh infos, 11 janvier 2017)

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  • Le grand mensonge des Démocrates américains...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Stéphane Trano, cueilli sur son blog Objectif Washington et consacré au refus des Démocrates et d'une grande parties des médias américains d'accepter la défaite d'Hillary Clinton. Un refus qu'on retrouve, nourri des mêmes arguments, dans les médias européens... Journaliste indépendant installé aux Etats-Unis, l'auteur a été un des observateurs les plus lucides et les plus intéressants à lire de la dernière campagne électorales.

     

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    Le grand mensonge des Démocrates américains

    On ne peut pas blâmer les Démocrates américains de tenter, par tous les moyens, de masquer la portée de leur échec en l’attribuant à toutes sortes de motifs, même les plus fantaisistes. La pilule est certes amère. Toutefois, la part la plus intéressante de cette hystérie collective est le phénomène d’auto-persuasion qui en est le moteur et que la plupart des grands médias du pays alimentent.

    L’argument numéro un des perdants est la faillite du système électoral et, en particulier, le fait que la candidate démocrate, Hillary Clinton, a remporté le scrutin populaire. C’est oublier que la situation, même si elle n’est pas commune, s’est produite à quatre reprises au cours de l’Histoire des Etats-Unis, et qu’elle ne constitue pas de difficulté particulière aux termes de la Constitution. De plus, le 115ème congrès, sorti des urnes le 8 novembre 2016 et en fonction depuis le 3 janvier 2017, a vu 52% des électeurs voter pour les Républicains au Sénat et 55% à la Chambre des représentants. Il n’y a donc aucune anomalie dans les élections de 2016 de ce point de vue.

    Le second argument est celui du piratage informatique à grande échelle des élections, sur ordre du président russe Vladimir Poutine, afin de faciliter l’élection de Donald J. Trump. Là encore, l’idée ne tient pas debout. Aucune trace de défaillance dans le nombre limité de votes électroniques aux élections n’a été décelée. Les services du renseignement américain, en dépit de leur conviction affichée selon lesquelles il existe un indice « haut » de confiance dans le fait qu’il y a eu piratage, ne sont pas tenus de produire le moindre élément de preuve au public, puisque de telles informations sont par essence classées « secret défense ». Il faut donc les croire sur parole.

    Poussés par ceux qui demeurent sceptiques sur la manière dont on s’y prend pour influencer le résultat d’une élection par des moyens électroniques, des experts affirment, par dizaines, que le régime russe a répandu de « fausses informations » à grande échelle afin de porter atteinte à l’image de la candidate Hillary Clinton. Les mêmes sont incapables d’expliquer concrètement comment l’on s’y prend et pourquoi il faut des « hackers » pour influencer les esprits dans leur choix lors d’un vote.

     

    Une mauvaise candidate

    Hillary Clinton n’a eu besoin ni de Vladimir Poutine, ni de Julien Assange et encore moins de « pirates » pour perdre les élections de 2016. Ce ne sont pas de prétendues « fausses » informations qui ont heurté sa réputation déjà bien entamée auprès de nombreux électeurs américains, par exemple, dans l’affaire des emails, mais au contraire, son refus obstiné de prendre cette affaire au sérieux et de répondre aux interrogations. On ne voit pas, non plus, quelles « fausses » informations ont poussé l’électorat noir américain à se sous-mobiliser lors du vote du 8 novembre, ou les femmes et les plus jeunes à bouder sa candidature, après la défaite de Bernie Sanders lors des primaires démocrates.

    Hillary Clinton, dont l’ambition n’est pas éteinte par la défaite, a affiché un visage froid, autoritaire et cassant, durant sa campagne. Elle n’a pas su développer un programme à la fois lisible et crédible, qui aurait pu emporter un vote, à la fois populaire et du collège électoral, si tranché qu’il n’y aurait eu aucune contestation. Comment, en effet, se revendiquer de l’héritage de Barack Obama, lorsque cet héritage peine à brandir autre chose que l’Obamacare, dont même les démocrates savent qu’il n’est pas financé au-delà de 2017 et coûte, en réalité, une fortune au regard des bénéfices qu’il apporte ?

     

    Mensonges et déni

    Car au-delà de cette loi sur la santé qui n’est en rien un système généreux et égalitaire tel qu’on le pense du côté des Européens, c’est le vide. Même si le Secrétaire d’Etat John Kerry blâme ces derniers jours le gouvernement anglais, prétendant qu’il est à l’origine de l’incapacité d’Obama à agir plus concrètement et durablement au Moyen-Orient contre l’état islamique, la mémoire de tous est par chance encore assez fraîche pour se souvenir que les huit années de ce président ont été celles d’une grande hypocrisie diplomatique et militaire. Mais le déni, dans ce domaine comme dans bien d’autres, est plus puissant que la mémoire.

    Les âmes sensibles sont outrées par l’idée de construire un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. On a beau leur montrer les mille kilomètres de ce mur déjà construit, y compris sous le premier mandat d’Obama, cela n’a guère d’effet et n’entraîne aucune interrogation sur les raisons pour lesquelles le bon président n’en n’a pas retiré une seule pierre.

    Un autre exemple est celui de la crise financière de 2008 et du retour au « plein emploi » huit ans plus tard : quel président n’aurait point réussi ce « prodige » en creusant le déficit de son pays, comme Barack Obama l’a fait, de près de 5000 milliards de dollars ?

    La période 2008-2016 n’a pas non plus été celle de législations majeures en matière d’armes à feu, d’incarcérations, de recul de la peine de mort, de maîtrise des frais de scolarité ou de gestion des prêts étudiants parvenus à des hauteurs astronomiques.

    Quel est donc ce succès dont les Démocrates se revendiquent au juste? Est-ce celui des villes défigurées sous les coups de boutoir du géant Amazon, à la fois propriétaire du puissant Washington Post et importateur massif de toutes les chinoiseries possibles qui inondent un marché américain ou l'on ne sait plus fabriquer une chaussette? Est-celui de Saint Zuckerberg, le jeune patron de Facebook, "le" média des "millénaires" qui ne savent plus à quoi ressemble un livre et qui entre désormais en politique avec de hautes ambitions? Est-ce celui du mariage gay et de la dépénalisation du cannabis, hautes priorités s'il en est dans un monde où tout le monde se fout des 250 000 morts du Sud Soudan, bien moins "sexy" que ceux de Syrie? 

    Quel héritage Obama?

    Alors, que reste t-il de cet héritage Obama, au juste ? Une posture, bien évidemment. Après George W. Bush et le mensonge irakien, n’importe quel président aurait été auréolé de gloire. On attendait d’Obama, toutefois, un peu plus qu’un physique avenant, un talent rhétorique et l’humour dont il a tant usé. Car c’est à ce que laisse un président que l’on mesure son impact, pas à sa performance sur la scène du pouvoir. L’Amérique n’est pas plus sympathique dans le monde qu’elle ne l’était avant son arrivée, ni plus sûre, ni plus égalitaire. Mais elle a la chance d’être un pays pragmatique : en ramenant au pouvoir, contre toute attente, les Républicains, elle a flanqué une gifle magistrale aux « progressistes » qui se croyaient tout permis. Elle ne l’a pas fait par folie ou par irresponsabilité mais parce qu’elle a confiance dans la capacité de ses institutions à « encaisser » ce type de choix démocratique, si perturbant soit-il pour des milieux qui s’estiment mieux éduqués et éclairés que les autres. On appelle cela l’alternance, une banalité que les Démocrates veulent aujourd’hui faire passer pour un scandale et une catastrophe.

    Cherchez l’erreur.

    Stéphane Trano (Objectif Washington, 8 janvier 2017)

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  • Trump et Poutine : une entente qui fait paniquer l'Union européenne...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 3 janvier 2017 et consacrée à l'entente entre Donald Trump et Vladimir Poutine...

     

                                      

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  • «L'année 2016 a commencé à Cologne et s'est terminée à Istanbul»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Mathieu Bock-Côté au Figaro Vox et consacré à dresser un bilan de l'année 2016. Québécois, de tendance conservatrice, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et vient de publier en France Le multiculturalisme comme religion politique aux éditions du Cerf.

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    Mathieu Bock-Côté : «L'année 2016 a commencé à Cologne et s'est terminée à Istanbul»

    FIGAROVOX. - Quels évènements vous ont marqué en 2016? Que retenez-vous sur le plan politique?

    Mathieu BOCK-COTE. - Le Brexit et l'élection de Donald Trump, sans aucun doute. Les deux événements ont bouleversé les élites médiatiques et politiques, qui cherchent encore à comprendre ce qui s'est passé. C'est qu'ils étaient intraduisibles dans la logique du progressisme, sauf à les présenter comme une forme de «retour en arrière», ce qui justifie les mises en garde contre la tentation réactionnaire. La tâche d'en finir avec le vieux monde ne serait jamais vraiment terminée et il faudrait être vigilant contre ses héritiers décomplexés. Au secours, la nation est de retour!

    Par ailleurs, le Brexit comme la victoire de Trump ont été de formidables révélateurs du préjugé antidémocratique d'une certaine gauche, qui ne se gênent plus pour remettre en question ouvertement le suffrage universel. Parce qu'il ne votait pas comme on lui demandait de voter, on s'est demandé si on devait le consulter sur les grandes décisions de notre temps. Il était fascinant d'écouter les commentateurs décrire le peuple comme une collection de bouseux en haillons, incapables de comprendre quoi que ce soit aux enjeux du monde, commandée par des passions grossières et minables et excitée par des démagogues cyniques et pervers. Salauds de pauvres! La formule semblait au bord des lèvres de bien des analystes dégoûtés et fiers d'afficher leur dédain pour les gens de peu. Faudrait-il établir des permis de voter, pour que le résultat des élections ne soit plus troublé par le colère du commun des mortels?

    Permettez-moi d'approfondir un peu cette idée: on avait demandé au peuple son avis parce qu'on était persuadé qu'il s'exprimerait dans le sens souhaité par les élites européistes. Une fois qu'il a mal voté, on s'est questionné ouvertement sur la valeur du suffrage universel. On en a profité aussi encore une fois pour faire le procès du référendum, qu'on accable de tous les maux et de tous les travers. Le peuple prend en main l'avenir du pays? Gardez-nous d'une telle horreur! D'ailleurs, certains vont au bout de leur raisonnement: le peuple, selon eux, est une fiction homogénéisante à démystifier. Il n'existe pas. Il n'a même jamais existé. Je note toutefois l'incroyable résistance d'une bonne part des élites britanniques au Brexit, qui se demande de toutes les manières possibles comment renverser ou neutraliser l'expression de la souveraineté populaire.

    À la liste des grands événements politiques de 2016, on me permettra d'ajouter la multiplication et la banalisation des attentats islamistes - on pourrait parler aussi plus largement de l'agression contre la civilisation européenne. L'année 2016 a commencé à Cologne et s'est terminée à Istanbul. Les agressions sexuelles massives de Cologne nous ont rappelé qu'il existe une telle chose qu'un choc des cultures et l'asservissement des femmes représente une forme archaïque de prise de possession d'un territoire par une bande qui se sent animée par un esprit conquérant. Il y a eu autour de ces agressions un effrayant déni: on a tout fait pour en nier la signification politique. Certaines féministes, souvent occupées à traquer l'intention la plus malveillante qui soit dans un compliment masculin un peu insistant ou maladroit, ont décidé de détourner le regard. De peur de stigmatiser les réfugiés ou les musulmans, elles ont fait semblant de ne rien voir. Elles se sont déshonorées.

    Mais je le disais, les attentats se sont multipliés et banalisés cette année. Nice, Bruxelles, Saint-Étienne-du-Rouvray, Orlando, Berlin. Chaque fois, c'est un carnage, mais c'est un carnage auquel nous nous habituons. Qu'est-ce qu'un mois sans attentat? Une anomalie. Au fond d'eux-mêmes, bien des Occidentaux ont accepté la normalité des attentats les plus sordides. Nous avons intériorisé la présence dans nos vies de la violence islamiste, même si nous ne savons toujours pas quelles conséquences en tirer. Nous ne savons pas non plus ce que voudrait dire gagner cette guerre contre l'islam radical. Alors nous la menons dans la confusion: on parle avec raison d'une nouvelle époque, mais les repères nous manquent pour nous y orienter. Cela prend du temps, prendre pied dans un nouveau monde.

    Et sur le plan intellectuel et culturel?

    Un événement intellectuel, me demandez-vous? Je vous parlerais alors franchement, et avec admiration, du renouveau conservateur de la pensée politique française. Je suis impressionné par la qualité des ouvrages qui d'une manière ou d'une autre, la construisent, la déploient ou la rendent possible: ils ne se réclament pas tous de la même vision des choses mais ils témoignent pour la plupart d'une commune sensibilité par rapport à l'époque. Et ces ouvrages viennent à la fois d'intellectuels bien installés dans la vie publique et de nouvelles figures qui impressionnent par leur vigueur et leur intelligence. J'en nomme quelques-uns, tous parus en 2016: Un quinquennat pour rien, d'Éric Zemmour, L'âme française, de Denis Tillinac, La cause du peuple, de Patrick Buisson, Les cloches sonneront-elles encore demain?, de Philippe de Villiers, Écrits historiques de combat, de Jean Sévillia, Malaise dans la démocratie, de Jean-Pierre Le Goff, La haine du monde, de Chantal Delsol, Le retour du peuple, de Vincent Coussedière, La compagnie des ombres, de Michel de Jaeghere, Chrétien et moderne, de Philippe d'Iribarne, Vous avez dit conservateur, de Laetitia Strauch-Bonart, Éloge de la pensée de droite, de Marc Crapez, La guerre à droite aura bien lieu, de Guillaume Bernard, Bienvenue dans le pire des mondes, de Natacha Polony et du Comité Orwell, Adieu mademoiselle, d'Eugénie Bastié, sans oublier votre excellent ouvrage Les nouveaux enfants du siècle, cher Alexandre Devecchio! Et j'attends avec impatience le livre à venir de Guillaume Perrault sur le conservatisme français! Il ne s'agit pas de mettre tous ces ouvrages dans le même sac, loin de là, mais chacun à sa manière décrypte l'idéologie dominante et contribue à la réhabilitation d'une anthropologie de la finitude et d'une philosophie politique plus classique. J'étudie depuis plusieurs année le conservatisme dans ses différents visages en Occident, et ce renouveau conservateur français me semble d'une formidable fécondité philosophique. J'aurai l'occasion d'y revenir plus tôt que tard.

    Le Brexit puis l'élection de Donald Trump marquent-ils un changement d'ère politique? Est-ce le grand retour des nations que vous appelez de vos vœux? Peut-on parler de «moment souverainiste»?

    Oui et non. Manifestement, il y a une brèche dans le système idéologique dominant. Quel intellectuel sérieux écrirait encore aujourd'hui un éloge de la mondialisation heureuse? Les révoltes dans la mondialisation se multiplient. Rares sont ceux qui s'enthousiasment pour le grand fantasme de l'interchangeabilité des peuples. Les nations ne se laissent pas déconstruire facilement: elles sont ancrées dans l'histoire, elles traduisent aussi culturellement et politiquement certains invariants anthropologiques, comme le désir d'appartenance.

    L'homme a besoin de racines et de frontières, non pas pour s'enfermer dans un bocal, mais pour avoir un ancrage dans le monde. Dans Hérétiques, Chesterton a une très belle formule: «le véritable Ulysse ne désire pas du tout errer, il désire regagner sa demeure». Sauf pour quelques individus avec une vocation bien singulière, le nomadisme n'est pas la vocation naturelle de l'homme, qui souhaite surtout être bien chez lui et maître chez lui. Retour des nations? Mais ont-elles déjà vraiment disparues? De la philosophie politique dominante, certainement qui ne parvient plus à les apercevoir - on pourrait dire la même chose des sciences sociales. Mais dans la réalité, elles résistaient de bien des manières à leur dissolution. On ne peut pas toujours écraser le réel: il finit par resurgir. Certains besoins humains fondamentaux doivent être investis dans la cité. On pense les arracher du cœur de l'homme, ils repoussent, car il existe une telle chose qu'une nature humaine, appelée à s'accomplir au moins partiellement dans une cité à laquelle on se sent appartenir. Toutefois, il semble que cette résistance soit passée de la jacquerie à la contre-offensive. S'il y a un moment souverainiste, il est là: on ne parvient pas à s'arracher aux nations sans les voir resurgir. On ajoutera que le retour de la nation, c'est le retour d'un principe de légitimité disqualifié par les élites mondialisées des années 1990, et dont on redécouvre aujourd'hui le caractère indispensable à la vie démocratique. Comment peut-il y avoir une délibération sur le bien commun s'il n'y a pas de monde commun? Et un monde commun, c'est une histoire partagée et une culture qui s'inscrit dans la continuité historique.

    Les nations ont une trajectoire propre, elles ne se laissent pas réduire au rôle que le système de la mondialisation leur avait réservé: le cas de la Russie est ici fascinant. Ce n'est pas faire preuve de poutinolâtrie que de constater qu'elle n'avait pas vocation à devenir la province la plus orientale de l'empire occidental et qu'elle serait de nouveau un jour tentée par une politique de puissance. Il y a dans le monde une diversité profonde des civilisations, des religions, des peuples et des nations et on ne parviendra pas à l'abolir dans le fantasme d'une communauté politique mondialisée. Il y aura conséquemment une diversité de régimes et chaque peuple est appelé à se développer en accord avec ce qu'on pourrait appeler son caractère profond. La souveraineté, pour un peuple, est une exigence vitale, et il ne saurait s'en déposséder volontairement sans se condamner à l'insignifiance historique et à l'inexistence politique.

    Avec le Brexit, les Britanniques ont cherché à restaurer leur souveraineté nationale. Il faut dire que les Britanniques entretiennent depuis toujours un rapport particulier avec l'Europe: ils en sont sans en être. Ils y sont liés tout en se projetant surtout dans le monde atlantique ou plus largement, dans la civilisation anglo-saxonne. Une chose est certaine: ils ont voulu restaurer leur souveraineté nationale, reprendre en main leurs destinées. Maintenant, les autres nations d'Europe se demandent aussi comment restaurer leur souveraineté sans jeter tout simplement aux poubelles un cadre politique commun à la civilisation européenne. Reste à voir qui pourra porter cela politiquement. Cela ne va pas de soi, et les candidats ne sont pas si nombreux.

    Dans le cas de Trump, nous avons surtout assisté à un grand référendum antisystème. Le désespoir de grandes catégories de l'électorat depuis un bon moment aliénées de la vie politique s'est converti en une colère féroce. Trump était grossier, malappris, violent, brutal. Il l'est encore. Il représentait, en quelque sorte, une caricature de l'anti-politiquement correct. Ce n'était pas seulement un candidat transgressif, mais un candidat balourd. Mais paradoxalement, cela a servi Trump: le discrédit à l'endroit des élites est tel aux États-Unis que plus on rejetait Trump, plus il canalisait vers lui la sympathie de ceux qui se sentent méprisés par le système et que Clinton, dans un mélange de candeur et de mesquinerie, a surnommé «les déplorables».

    Mais le vote pour Trump était aussi un vote politique: sa candidature se serait épuisée si elle n'avait aucune dimension programmatique. Même s'il ne l'a pas dit ainsi, il s'est emparé de grands pans du vieux programme paléoconservateur de Pat Buchanan. Il tenait en deux points: nationalisme culturel et nationalisme économique. Autrement dit, critique de l'immigration et protectionnisme économique. L'enjeu de l'immigration qui lui a permis de décoller dans les sondages. Le protectionnisme économique lui a permis de mobiliser un vote ouvrier et populaire que l'on considérait généralement acquis aux démocrates. Sur le fond des choses, l'Amérique est un empire qui doute et qui se redécouvre sous les traits d'une nation historique. Avec Trump, l'Amérique renonce pour un temps au messianisme démocratique. Elle veut moins s'étendre que se défendre. Du moins, c'est la vieille Amérique qui est traversée par de telles angoisses.

    Selon l'époque dans laquelle on vit, le politique change de vocation. Marguerite Yourcenar, dans les Mémoires d'Hadrien, fait dire à l'empereur: «Et je remerciais les dieux, puisqu'ils m'avaient accordé de vivre à une époque où la tâche qui m'était échue consistait à réorganiser prudemment un monde, et non à extraire du chaos une matière encore informe, ou à se coucher sur un cadavre pour essayer de le ressusciter». Convenons que nos dirigeants n'ont pas la chance d'Hadrien. Il faut aujourd'hui revitaliser la souveraineté et redonner du pouvoir au pouvoir, qui s'est laissé depuis trop longtemps corseter par les juges, l'administration, les conventions internationales et le politiquement correct. Il faut redonner de la substance à la nation, à la communauté politique. Il s'agit aussi de restaurer les cadres politiques et anthropologiques permettant aux mœurs de reprendre leurs droits, à la culture nationale de redevenir la norme assimilatrice qu'elle doit être, au patrimoine de civilisation qui est le nôtre d'être transmis.

    On devine qu'on n'y parviendra pas avec des hommes politiques ordinaires, se construisant un programme en multipliant les sondages et les conseils de communicants. On comprend dès lors le succès de ceux qui, devant le sentiment d'impuissance générale, parviennent à incarner le volontarisme, la détermination ou la résolution. L'histoire ne s'écrit pas avec en arrière-fond une musique d'ascenseur et avec des hommes au caractère tiède. Il fallait probablement un caractère aussi ubuesque et démesuré que Trump pour être capable de faire face à l'agressivité extrême dont peut faire preuve le système lorsqu'il se sent menacé. Il fallait un homme aussi fantasque que Nigel Farage pour porter pendant des années, sous les moqueries générales, le projet d'un référendum britannique sur l'Europe. Un homme qui désire demeurer respectable auprès de ceux qu'il conteste est condamné à ne plus les contester ou à se contenter d'une contestation de façade. Il participera à la comédie des faux-débats qu'on nous présente souvent comme l'expression sophistiquée de la démocratie.

    La question de l'immigration a été centrale dans le débat autour du Brexit. Aux Etats-Unis, la défaite d'Hillary Clinton sonne comme celle de l'échec de la politique des minorités. Est-ce également la fin du «multiculturalisme comme religion politique»?

    Non. Le multiculturalisme, quoi qu'on en pense, demeure une philosophie politique à la fois dominante dans les médias, dans l'université dans l'école et dans plusieurs institutions publiques déterminantes: autrement dit, le multiculturalisme contrôle encore le récit public, même si sa puissance d'intimidation auprès du commun des mortels est bien moins grande qu'il y a vingt ans. J'ajoute que les multiculturalistes, devant la contestation de leur modèle de société, ont tendance, comme on dit, à se «radicaliser». Ils diabolisent comme jamais leurs adversaires. Il faut s'y faire: je ne sais pas si le multiculturalisme est en train de tomber, mais je sais qu'à peu près aucun régime ne tombe en se laissant faire et sans se défendre.

    Cela dit, ce n'est pas la fin de la politique des minorités, tout simplement parce que la mutation démographique des sociétés occidentales est déjà tellement avancée qu'elle ne saurait rester sans conséquences politiques. L'immigration massives des dernières décennies transformera et transforme déjà en profondeur nos sociétés, et il faut une bonne part de naïveté ou d'aveuglement idéologique pour croire que c'est pour le mieux. Les métropoles, dans certains cas, se désaffilient mentalement de la nation. On assiste aussi à la multiplication des communautarismes qui justifient leurs revendications au nom des droits de l'homme. L'assimilationnisme, ou si on préfère, une intégration substantielle à la nation demeure nécessaire: cela exigera toutefois une forme de déprise du multiculturalisme car en ce moment, au nom d'une conception dénaturée de la «lutte contre les discriminations», on brise les mécanismes qui permettaient traditionnellement d'intégrer à la nation.

    Par ailleurs, la conjugaison des revendications minoritaires dans une perspective de déconstruction des nations occidentales demeure le cœur du programme idéologique de la gauche multiculturaliste, et on l'imagine mal en changer. Il faut défendre les droits de toutes les minorités, quelles qu'elles soient, contre le règne fantasmé du mâle blanc hétérosexuel. Dans les années à venir, la gauche diversitaire continuera à déconstruire les normes historiques et anthropologiques qu'on croyait constitutives de notre civilisation. Et contrairement à ce que croient d'étranges optimistes, qui s'imaginent que nous avons touché le fond, il reste encore beaucoup à déconstruire. Elle est engagée dans une logique d'éradication: le vieux monde doit mourir pour que le monde rêvé naisse. Sa guerre contre les «phobies», qui mélange fanatisme et nihilisme, envoie un signal clair: ce que nous pourrions vouloir conserver du «monde d'hier» est empoisonné par la haine, les stéréotypes et les préjugés. Il faut donc repartir à zéro. Le progressisme demeure accroché au fantasme de la table rase.

    J'ajoute que le multiculturalisme demeure l'idéologie officielle de la droite financière comme de la gauche mondaine. Cette dernière est fragilisée: elle dispose encore, et pour longtemps, d'une vraie capacité d'intimidation idéologique. Quiconque doit passer devant le tribunal médiatique de temps à autre sait quel genre de questions on lui posera: le discours médiatique dominant, qui délimite plus souvent qu'autrement les contours du possible et du pensable, demeure formaté par le politiquement correct. Nous ne sommes pas à la veille de voir des journalistes et des présentateurs «ordinaires» poser des questions implicitement conservatrices masquées derrière le souci de l'objectivité critique. Le traitement systématique de la question des migrants à travers le prise humanitariste nous permet de comprendre à quel point nous sommes loin, quoi qu'on en dise, d'un renversement d'hégémonie idéologico-médiatique.

    La France a été une nouvelle fois endeuillée par des attentats des terroristes. Que cela vous inspire-t-il? L'amoureux de la France que vous êtes, continue-t-il de voir notre pays comme un modèle?

    Une première chose doit être dite: devant l'agression islamiste, ils sont nombreux à refuser de nommer les choses telles qu'elles sont. Le système médiatique déréalise les attentats, il les vide souvent de leur signification politique: à chaque fois ou presque, il cherche à imposer la thématique du loup solitaire, de l'assassin déréglé, ou maintenant, de camion fou. Certains médias envisagent même ouvertement de ne plus donner le nom des terroristes, ou de ne plus dévoiler leur origine, de peur d'encourager les amalgames et la stigmatisation. On parle de radicalisation sans viser l'islamisme en particulier. À ce que j'en sais, au moment de commettre un attentat, les terroristes disent bien Allahu Akbar et non pas «Sainte-Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs»! On dénonce toutes les religions comme si elles se confondaient dans une même pathologie globale. Le discours médiatique déforme le réel et nous empêche de le penser. On classe parmi les faits divers des agressions qui, si elles étaient correctement interprétées, donneraient un portrait autrement plus cruel de l'insécurité qui frappe les sociétés européennes. Le commun des mortels ne croit plus les médias.

    C'est un fait, la France est aujourd'hui le champ de bataille principale de la conquête de l'Europe par l'islamisme et il semble bien qu'elle le demeurera. Vue la multiplication des Molenbeek dans le pays, vu la multiplication des territoires perdus de la nation, vue l'agressivité de l'islam radical qui cherche partout à se rendre visible et à définir à ses propres conditions son inscription dans la cité, on peut croire que la France demeurera au cœur de la grande bataille de notre temps. Il faut dire qu'avec l'Amérique, c'est la nation occidentale qui a par excellence une vocation universaliste. On cherche à la culpabiliser en expliquant la chose par son passé colonial. Toujours, le monde occidental doit être coupable, même du mal qu'on lui fait. Et pourtant, le commun des mortels, dans nos pays, ressent, je crois, une solidarité intime avec la France. Tous prennent personnellement les agressions qu'elle subit.

    Vous me demandez si la France demeure un modèle. Tout dépend de ce qu'on appelle modèle: je ne prétends pas que la France soit la réponse à chacun de nos problèmes, évidemment! Mais la France est une nation qui a le sens du politique et qui n'accepte manifestement pas de se laisser dissoudre dans la logique du multiculturalisme. Dans le monde occidental, elle incarne une force de résistance. La querelle du burkini, qu'on a vite oubliée, n'avait rien d'anecdotique, et en quelque sorte, elle ne pouvait avoir lieu qu'en France … et au Québec! Il s'agissait de critiquer l'empiètement de l'islam dans l'espace public, à travers une stratégie de visibilité maximale que j'assimile quant à moi à de l'exhibitionnisme identitaire. Mais pour mener cette critique, il ne faut pas se contenter d'une vision procédurale et juridique du monde commun. Il faut habiter le monde comme un peuple et réclamer son droit à la continuité historique, pour reprendre la formule de Bérénice Levet. La question du burkini a aussi permis de poser la question de la part des mœurs dans l'identité d'une nation, qui ne saurait se définir exclusivement dans les paramètres juridiques du contractualisme. La France n'oppose pas seulement des grands principes à l'islamisme ou au postmodernisme le plus agressif: elle oppose une civilisation, un art de vivre, une manière d'habiter le monde. C'est ce qui fait sa grandeur, et elle nous donne ici un bel exemple. Ce ne sont pas seulement des principes abstraits qu'on oppose au totalitarisme, mais une patrie, une civilisation, un pays.

    Le renoncement de François Hollande marque-t-il un changement d'époque en France également?

    En fait, celui qui est un peu devenu président par accident a mis fin de lui-même à ce quinquennat un peu médiocre. Comme s'il comprenait, au dernier moment, que la mauvaise farce avait assez duré. François Hollande, l'homme des petites combines politiciennes, n'était pas taillé pour les institutions de la cinquième république, et encore moins pour des temps tragiques. Personnellement, je n'ai pas vu une grande noblesse dans son discours de départ: il faisait un peu pitié, en vérité. L'homme avait une conception gestionnaire du pouvoir: il ne semblait tout simplement pas prendre les cultures au sérieux. Pourquoi voulait-il devenir président? On ne l'a jamais su ni compris exactement. Paradoxalement, François Hollande avait des yeux pour voir, et il voyait, comme on l'a constaté avec les entretiens rapportés par Davet et Lhomme, la France se fractionner, se briser, se partitionner, se décomposer. Mais il n'en tirait aucune conséquence politique, comme s'il s'agissait d'une fatalité sur laquelle le pouvoir n'avait aucune emprise. «Je suis président donc je ne peux pas»: c'est avec cette triste formule que je résumerais une présidence en décalage complet avec les exigences de notre temps.

    Comme analysez-vous le déroulement et le résultat de la primaire à droite? La victoire de François Fillon traduit-elle une percée conservatrice ou un grand soir libéral?

    Dans le texte qu'il consacre à la mort de Caton dans Le treizième César, Montherlant écrit une phrase terrible: «Il regarde à droite, il regarde à gauche, il regarde en haut, il regarde en bas, et il ne trouve que l'horrible. C'est quelquefois la tragédie d'un peuple, à un moment donné: il n'y a personne». J'ai l'impression que le peuple de droite a d'abord abordé ainsi la primaire et cela à un moment où il espérait secrètement l'homme providentiel! Juppé et Sarkozy représentaient les deux visages d'une classe politique déconsidérée. D'un côté, avec Alain Juppé, on avait la «droite de gauche», toujours occupée à donner des gages au progressisme médiatique et mondain. Alain Juppé n'était pas un homme sans valeur, il avait une rigueur intellectuelle admirable, mais ce n'était manifestement pas le candidat d'un peuple de droite décomplexé et résolu à affirmer ses valeurs politiques - d'un peuple de droite qui ne tolère plus que ses leaders aient honte de lui, en quelque sorte. Nicolas Sarkozy, quant à lui, était un homme absolument énergique, mais il n'était tout simplement plus cru. C'était, vous me pardonnerez la formule, la figure par excellence de la politique histrionique. Il aura trop déçu pour incarner une véritable espérance. Certains se diront probablement, avec un grand regret en pensant à ce qu'il aurait pu être: quel gaspillage!

    François Fillon s'est alors imposé comme le candidat d'une droite décomplexée mais tranquille. C'était l'antipopuliste, si on veut, même si la gauche a hystérisé le débat en le talibanisant. Si son programme libéral n'a pas été désavoué, ce n'est pas lui qui l'a propulsé au premier rang: on peut voir dans son élection une révolte de la décence commune. L'homme de droite ordinaire en avait assez de voir la fonction présidentielle complètement désacralisée. La France demeure quand même à sa manière un vieux pays monarchique! On a parlé d'un vote catholique. La formule me semble exagérée: il ne s'agit pas d'un vote confessionnel, mais plutôt, d'un vote culturellement conservateur. C'est aussi un vote pour une certaine permanence française, pour un pays qui habite son histoire et qui veut aussi la poursuivre et persévérer dans son être historique.

    Reste à voir quelles espérances sont investies en Fillon. Pour certains, la déliquescence de la présidence depuis 2007 est telle qu'un peu de décence suffira pour donner l'impression de la grandeur et de la noblesse retrouvée de la fonction. On se doute bien que Fillon ne se lancera pas dans de nouvelles innovations sociétales à la Taubira, mais suffit-il de ralentir la catastrophe ou de prendre une pause dans la marche vers le paradis postmoderne pour devenir le héraut des conservateurs? Une bonne partie de la droite a finalement des espérances assez limitées: elle veut accueillir les innovations sociétales à son rythme, sans qu'on la brusque, mais ne s'imagine pas renverser le sens de l'histoire. Est-ce qu'il y a chez François Fillon quelque chose comme un programme de reconquête culturelle? Dans quelle mesure croit-il pouvoir regagner du terrain sur la gauche, sur les grandes questions sociétales ou identitaires? Quel avenir pour la droite conservatrice avec Fillon? Sera-t-il celui qui traduira politiquement ses idées ou sera-t-il plutôt celui qui emploiera la rhétorique conservatrice sans jamais aller au-delà des mots?

    Que vous inspire le «phénomène» Macron. Est-ce le Trudeau français?

    Macron est le candidat des élites mondialisées qui se sont affranchies du vieux monde et n'ont même pas l'idée d'entretenir une certaine tendresse pour son souvenir: il croit, ou du moins, il veut croire à la mondialisation heureuse. C'est le contraire de la France périphérique, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas le souci des déclassés et des désœuvrés, mais pour l'essentiel, il porte un diagnostic libéral et libertaire: la France serait bloquée parce qu'elle serait crispée. C'est en la délivrant d'une culture pensée à la manière d'une entrave historique qu'elle pourra de nouveau donner sa chance à des millions de Français. Il lui manque toutefois une chose: l'homme a beau être cultivé, et faire ce qu'il faut pour entretenir cette image, il semble plutôt imperméable à ce qu'on pourrait appeler la part existentielle du politique. Les enjeux identitaires le laissent plutôt froid: du moins, ils ne semblent pas éveiller ses passions. Est-ce tenable à notre époque?

    Mais on évitera les comparaisons trop faciles avec le golden boy de la politique mondialisée qu'est Justin Trudeau. Ce dernier, d'abord et avant tout, disposait d'un privilège dynastique. Sans son nom de famille, jamais il ne serait devenu premier ministre du Canada: il n'avait ni la compétence, ni le bagage pour briguer une aussi haute fonction. Trudeau était aussi à la tête du Parti libéral du Canada, qui est, comme on dit chez nous, le parti naturel de gouvernement à Ottawa. Enfin, au Canada, le multiculturalisme est une doctrine d'État, inscrite dans la constitution, et qui est défendue dans sa forme la plus extrême par les élites politiques et médiatiques.

    Cela dit, il se peut, et c'est même probable, que les deux hommes soient d'une même famille de pensée, d'une même famille d'esprit: ce sont des modernes fiers de l'être, heureux de l'être.

    L'année 2017 sera une année d'élection présidentielle en France. Quels en seront les enjeux?

    La question identitaire sera présente, on n'y échappera pas, car c'est à travers elle que l'époque pose celle des nations. Elle se décline autour de nombreux thèmes: immigration, frontières, Europe, laïcité, place de l'islam, assimilation. Comment y échapper? On s'entête, dans certains milieux qui semblent incapables de sortir d'un matérialisme à courte vue, à ne pas prendre au sérieux la question identitaire, qui serait secondaire par rapport aux enjeux économiques. Pourtant, à travers elle, l'individu redevient un animal politique. Il ne s'agit plus, aujourd'hui, de gérer raisonnablement une société qui ne va pas trop mal, mais de défendre l'existence même de la nation française et de la civilisation française. Par temps calmes, la politique gère des intérêts potentiellement réconciliables et consensuels: dans les temps tragiques, elle canalise aussi les passions et des visions du monde.

    La question de la réforme libérale du modèle social français se posera aussi, quoi qu'on en pense. Car François Fillon a beau ne pas avoir été élu à cause de son programme libéral, il ne l'a pas empêché de gagner la primaire non plus. Peut-être est-ce qu'une partie de la France croit aux vertus d'une thérapie de choc libérale? Chose certaine, ce morceau de programme pourrait contribuer à reconstituer, au moins partiellement, le temps de l'élection, le clivage gauche-droite dans sa forme la plus classique: la gauche présentera Fillon comme le candidat de l'argent et des privilégiés, et se présentera comme la seule capable de défendre les droits sociaux. Ce sera du théâtre, mais rien ne dit que cette pièce ne s'imposera pas aux Français. Mais la gauche est tellement éclatée qu'on ne sait trop qui, finalement, parviendra à porter ce programme. À l'heure où on se parle, on ne sait pas trop qui portera on étendard, au-delà de la seule question des primaires de la gauche.

    Cela nous conduit à la question du FN, qui voudrait bien occuper le créneau du national-républicanisme, contre le libéral-conservatisme présumé de Fillon. En gros, le FN aimerait représenter la gauche national-chevènementiste contre la droite balladurienne. Le programme du FN mariniste ressemble de temps en temps à celui du défunt CERES auquel on ajouterait la lutte contre l'immigration. Le FN fait un souhait: que l'avenir de la gauche nationale soit la droite populiste. On verra d'ici quelques mois si ce pari était tenable. On sait qu'il n'est pas sans créer des tensions dans ses rangs.

    Après le Brexit et l'élection de Donald Trump, la France doit-elle s'attendre à un séisme politique comparable?

    Il faut marquer une différence profonde entre la présidentielle américaine et la présidentielle française: Trump, un candidat antisystème, s'est emparé d'un des deux grands partis du système. C'est un peu comme si Marine Le Pen devenait la candidate des Républicains. Ce qui n'est pas exactement le cas, vous en conviendrez. La configuration politique n'est donc pas la même. La révolte populiste ne s'est pas emparée d'un des deux pôles de la vie politique française: elle demeure la figure exclue contre laquelle se constituent les courants politiques qui se reconnaissent mutuellement légitimes dans la conquête du pouvoir.

    Fillon, quant à lui, n'incarne pas une candidature antisystème. Il n'en a ni le style, ni le tempérament, ni le programme. Il ne joue pas le rôle non plus de la droite domestiquée. Depuis des années, on entendait les meilleurs analystes se désoler du fait que la droite en acceptant la tutelle idéologique du progressisme, ouvrait un boulevard au Front national. Est-ce qu'une droite décomplexée, délivrée des mythes culpabilisants qui la poussaient finalement à toujours quêter un certificat de respectabilité chez le camp d'avance, pourra répondre en profondeur aux angoisses à l'origine du développement du populisme en France et ailleurs?

    Les conservateurs français, comme ceux de partout en Occident, devront accepter une réalité pénible: la reconstruction du monde ne prendra pas qu'un mandat présidentiel, ni deux, ni même trois. C'est une tâche qui dépasse l'horizon politique à court et moyen terme. Ce qui ne nous dispense pas d'y œuvrer. Chaque génération doit savoir qu'elle n'est qu'un maillon dans la longue histoire d'un peuple, même si elle doit jouer chaque fois son rôle comme si l'avenir du pays dépendait d'elle. Car les conservateurs travaillent, pour emprunter les mots du poète québécois Pierre Perrault, pour la suite du monde.

    Mathieu Bock-Côté, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 2 janvier 2017)

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  • « Il faut arrêter de trembler devant les journalistes ! »...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un extrait de l'entretien donné par Julien Rochedy à Christopher Lannes sur le Bréviaire des patriotes dans lequel il évoque le pouvoir qu'exerce les journalistes sur les politiques...

    L'entretien dans son intégralité est visible ici.

     

                               

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  • Le vrai rôle des médias de masse...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Slobodan Despot publié dans le numéro du 11 décembre 2016 de la Lettre Antipresse. Ecrivain et éditeur, collaborateur de la revue Éléments, Slobodan Despot est notamment l'auteur de recueils de chroniques mordantes comme Despotica (Xénia, 2010) et Nouvelleaks (Xénia, 2015) ainsi que d'un superbe petit roman intitulé Le miel.

     

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    Le vrai rôle des médias de masse

    La rumeur parcourt «l’antisphère» depuis l’élection de Trump: les médias officiels sont morts! Ils ont tout misé sur Hillary ils ont donc tous perdu et plus personne le leur accorde le moindre crédit. Circulez, y a plus rien à en tirer!

    C’est évidemment une vue de l’esprit. Les médias ne sont pas là pour dire le vrai, ils sont là pour organiser notre vie. Ils sont, dans un sens général (englobant donc aussi les « antimédias »), le filtre par où nous recevons les 95% de notre connaissance du monde qui nous entoure. Le paysan du XIXe siècle pouvait encore se prévaloir d’un rapport presque direct à la réalité, construit par une expérience immédiate patiemment accumulée tout au long de sa vie et validé par une tradition immémoriale. Le paysan d’aujourd’hui n’a, de ce lointain ancêtre, que le nom. Pour acquérir un bien agricole en UE, il doit franchir une vingtaine d’étapes administratives qui supposent davantage de familiarité avec la bureaucratie qu’avec les bêtes. Son contact avec la terre est lui-même médiatisé par les roues de son tracteur. De l’observation du ciel et des vents, il ne tire plus rien, ayant des applications météo gratuites dans son smartphone. Un smartphone sur lequel il tue le temps comme n’importe qui en labourant à la vitesse du pas les sillons interminables de ses champs de taille démesurée qu’impose l’agriculture industrielle.

    Supposez que les services de météorologie lui donnent de fausses informations, que la bureaucratie change soudain ses critères en fonction de la théorie du réchauffement climatique, qu’une vague de suspicion frappe la céréale qu’il produit en monoculture ou que son fournisseur lui vende des semences stériles qu’il devra racheter contre bon argent l’année suivante s’il veut semer à nouveau. Il est mort! Il est totalement dépendant, totalement démuni, lui dont l’aïeul, tout en n’ayant pas le sou, était seul maître dans son enclos après Dieu. Une inflexion du cours des denrées, une entourloupe de Monsanto peuvent entraîner des vagues de suicides parmi les paysans désespérés, comme cela se voit aujourd’hui en Inde et ailleurs.

    J’ai pris l’exemple du paysan comme un archétype de l’humain « archaïque » et antimédiatique — tout en sachant que c’était un faux exemple. Le paysan moderne est un technicien connecté, comme tout le monde dans notre société. Même des monastères régis par des règles de silence et d’isolation sévères dépendent la vente de leurs produits sur l’internet. Ils dépendent de leur médiatisation! Et il n’est pas un secteur d’activité dont la prospérité, et la survie même, ne dépendent de la pensée industrielle: de sa capacité de rationalisation, d’optimisation, de simplification. De la loi aveugle du nombre!

    L’altruisme obligé, ou la burqa de l’homme blanc

    C’est dans ce contexte de mécanisation et de déshumanisation systémiques qu’est née la civilisation la plus sentimentale de tous les temps. L’humain de l’ère industrielle — cœur dur et tripe molle selon Bernanos — vit avec une larme perpétuelle au coin de l’œil. Mais c’est le contexte médiatique qui va décider à quel moment, et à quel propos, sa larme va grossir en goutte et rouler sur sa joue. Téléthon: on récolte des millions pour le malheur médiatisé, mais on n’aura pas la moindre mansuétude pour le nécessiteux qu’on croise sur son palier. Migration: on met en scène la générosité de l’accueil, mais on n’a aucune pitié pour les parias qui se retrouvent à la rue pour n’avoir plus pu assumer les charges d’une société où une part croissante des taxes part justement… dans la générosité obligatoire!

    La critique est facile, sur un plan général. On peut aisément en faire un système de pensée. C’est le système de pensée qui fonde le discours de ces mouvements dits « populistes » voire d’« extrême droite » qui constituent essentiellement le lobby des gens sans lobbies. Lesquels mouvements risquent bien, une fois arrivés, de remplacer une inhumanité par une autre. Entretemps, comme les révolutionnaires de jadis dans la civilisation bourgeoise, ils renvoient à cette société l’image la plus cruelle et la plus juste. Et, tout au fond de cette critique, se niche le plus petit dénominateur commun qui, par-delà les intérêts politiques et économiques, rassemble prolos et bourgeois, fils d’immigrés et vieux aristos sous les mêmes bannières: la volonté d’être non pas fascistes ni blancs ni Français ni Allemands; la volonté de rester ce qu’ils sont. De rejeter le camouflage imposé. Autrement dit, de rejeter la médiatisation qui les force dans un moule d’idées et de comportements qui les dénature.

    A l’abri du sens

    En un mot, nous nous sommes accommodés à vivre dans une hypocrisie permanente et absolue du fond de laquelle nous dénonçons l’hypocrisie des autres milieux ou des autres époques. Le « fond » de notre pensée, nous l’exprimons à mi-voix et uniquement à des proches et plus personne n’est assez fou pour clamer tout haut les évidences les plus cuisantes. De temps à autre, des « fuites » impliquant des ministres bien-pensants ou des vedettes de show-biz (se souvient-on de John Galliano?) nous rappellent à quel point le langage public de leur caste doit être corseté pour qu’ils finissent, quand ils se croient « en cercle privé », par s’épancher en des grossièretés explosives. Un seul mot malheureux peut mettre fin à une carrière par ailleurs exemplaire. Le discours des responsables politiques ou économiques est soigneusement lissé par les spin doctors afin de ne jamais laisser dépasser le moindre coin de bois rugueux sous la nappe satinée des euphémismes et des platitudes. Il importe de ne rien dire qui fasse sens! Lorsque vous franchissez cette limite, lorsque vous exprimez du sens, vous tombez dans la marmite du « populisme », d’où que vous soyez parti (voir à ce sujet le scandale soulevé par le banquier socialiste Thilo Sarrazin, en Allemagne).

    Il importe de bien comprendre que cette terreur du « politiquement correct » n’est pas spécifiquement… politique. Comme le rappelle Angelo Codevilla), la correction politique passe avant l’exactitude factuelle parce que le Parti ou l’avant-garde éclairée (autrement dit le détenteur du monopole du langage public) incarne une réalité supérieure à la réalité elle-même. Une réalité « 2.0 », dirait-on aujourd’hui. Or depuis que nous sommes sortis du millénarisme marxiste et de ses illusions, plus aucun parti politique ne peut prétendre à une telle ambition: réécrire la réalité elle-même. La seule instance dotée des pouvoirs et des instruments d’un tel projet est le complexe académico-médiatique que les autorités publiques et l’économie entretiennent, mais qu’elles craignent plus que tout. L’université demeure aujourd’hui le dernier bastion des utopies collectivistes du XIXe siècle et en même temps le creuset des recherches de pointe en biotechnologie, cybernétique ou intelligence artificielle qui prétendent redéfinir concrètement l’être humain et son environnement. Sans l’assistance des médias (dont elle forme l’ensemble des cadres), l’université ne pourrait jamais justifier les crédits colossaux alloués à des recherches sans aucun intérêt ni écho pour les populations qui les financent, et encore moins s’assurer couverture et soutien pour des projets d’ingénierie humaine susceptibles d’accorder un droit de vie et de mort sur le «matériau humain» à une étroite et obscure avant-garde de technocrates. Il est aisé de voir que la théorie du genre elle-même ainsi que ses ramifications constitue une stratégie d’intimidation et de prise de pouvoir sociétale des milieux académiques, doublée d’un formidable désinhibiteur pour l’expérimentation la plus sacrilège: celle portant sur le sexe et la reproduction de notre espèce.

    L’altruisme des sangsues

    Au refaçonnage en laboratoire de la réalité biophysique correspond le remplacement de la réalité éprouvée par une réalité de synthèse au travers des médias. En ce sens, le processus est agnostique et apolitique. N’importe ce que vous pensez, pourvu que vous pensiez artificiel: c’est pourquoi, par exemple, le grotesque nazisme ukrainien ne dérange absolument pas les médias de grand chemin! N’importe ce que vous croyez voir, pourvu que vous le voyiez à travers nos lucarnes. Tout ce que nous sentons, tout ce que nous pensons est passé au crible des médias et des valeurs qu’ils colportent. Les contradictions ne leur font pas peur, au contraire. Elles contribuent à désorienter le cobaye — et donc à le rendre encore plus dépendant. Les médias ne servent pas à informer la meute, ils servent à la dresser.

    D’où cette insistance sur le culte de l’Autre en tant que négation du Même (de soi), couplée à la dérive émotionnelle qui court-circuite les garde-fous rationnels. Tandis qu’on nous intime d’être altruistes dans le contexte général, il nous est permis et recommandé d’être cupides comme des sangsues dans notre vie privée (« Vos intérêts », « Faire fructifier votre argent », « profiter de vos avantages », etc.). En couplant la générosité abstraite à la mesquinerie concrète, on façonne des masses d’humains écervelés, abreuvés de slogans de fraternité et de partage, mais mus par un égocentrisme strict excluant tout esprit de sacrifice et toute confiance en l’autre, conditions premières d’une identité collective.

    C’est pourquoi les mouvements identitaires (= défense du Même) sont proscrits, c’est pourquoi le réalisme politique, social ou éducatif est a priori décrié, c’est pourquoi les individus au langage franc et à l’engagement sacrificiel sont inévitablement poussés vers « l'extrême droite ». N’échappent à la mise au ban que les grégaires et les veules qui acceptent de brouter l’herbe entre leurs quatre pattes sans s’intéresser au destin du troupeau.

    Et c’est aussi pourquoi la faillite totale du système médiatique sur la victoire de Trump n’était pas une simple erreur d’appréciation. C’était littéralement une « erreur système »: la faillite momentanée d’une matrice informatique mise en place non pour rendre compte de la réalité, mais pour la remplacer.

    Slobodan Despot (Antipresse n°54, 11 décembre 2016)

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