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populisme - Page 16

  • Les gilets jaunes, nouveaux «ploucs émissaires» ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur Figaro Vox et consacré au mouvement des "Gilets jaunes". Journaliste, François Bousquet est rédacteur en chef de la revue Éléments et auteur de Putain de Saint Foucault - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015) La droite buissonnière (Rocher, 2016).

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    François Bousquet : "Les gilets jaunes, nouveaux «ploucs émissaires» ?"

    Les gilets jaunes font l'objet d'un mépris de la part du pouvoir, et les récentes déclarations du président de la République, avec son timide mea culpa au 20 heures de TF1, n'y changeront rien. Depuis longtemps, cette France périphérique et ses habitants ont été immolés sur l'autel de la mondialisation. Ce sont les nouveaux «malgré-nous». Nulle sollicitude médiatique à leur encontre, à la différence des migrants. L'assignation à résidence est leur condition historique puisque la liberté de circulation a pris pour eux la forme d'une relégation territoriale dans le périurbain, la ruralité et les petites agglomérations. C'est une sédentarité subie. Où aller? Les centre-villes sont hors de prix et les banlieues hors-sol.

    L'histoire est ancienne. Dès 1947, le géographe Jean-François Gravier, ancêtre de Christophe Guilluy, soulignait, dans un livre qui rencontra un écho retentissant à sa parution, les extraordinaires disparités territoriales françaises: Paris et le désert français. On avait quelque peu oublié ces fractures territoriales, mais elles sont réapparues aux yeux de la France entière au soir du premier tour de la dernière présidentielle à travers la géographie du vote en faveur de Marine Le Pen. Depuis, plus rien, ou presque, jusqu'au mouvement des gilets jaunes. Macron a bien créé un ministère de la Cohésion des territoires, mais... qui en connaît le titulaire? Personne. Et de fait on a découvert le nom de Jacques Mézard le jour où il a quitté son ministère à l'occasion du remaniement d'octobre. Tout indique que Jacqueline Gourault, qui lui a succédé, connaîtra le même sort. La France, on la survole en avion. C'est l'élite-kérosène en butte au populisme-diesel. Cette élite rêverait-elle d'une politique de développement séparé, en d'autres termes: la mise en place d'un apartheid territorial? La conception que se fait Macron du progressisme, dont il s'est fait le chantre, relèverait alors du darwinisme social (la théorie de l'évolution appliquée au champ de l'économie).

    On n'ose dire que le pays légal s'est coupé du pays réel, de peur de se fâcher avec Benjamin Griveaux confondant Marc Bloch et Charles Maurras. Mais si Christophe Guilluy et quelques autres n'avaient pas exhumé ce pays réel, le pays légal en ignorerait jusqu'à l'existence. De loin en loin, il y a bien un politique comme Jean Lassalle pour entreprendre d'en parcourir les contours ou un journaliste comme Gérald Andrieu pour en sillonner les frontières (Le peuple de la frontière). Le reste du temps, ce monde est rejeté dans les ténèbres extérieures, un trou noir d'où ont émergé, il y a une quinzaine de jours, ces lucioles dans la nuit que sont les gilets jaunes fluorescents.

    Cette méconnaissance de la France périphérique est si profonde que les éditorialistes donnent le sentiment de l'appréhender dans une perspective quasi-ethnologique, entre curiosité perplexe, incompréhension et vague inquiétude. Mais qui sont donc ces Papous des hauts plateaux du Limousin, ces sans-culottes à bonnet rouge du Finistère, ces sans-dents à gilet jaune du Pas-de-Calais? On prenait leur résilience pour de la résignation si bien qu'on est presque surpris de les voir élever une protestation du fond de leur double détresse, culturelle et sociale. Quoi! Les gueux ont l'outrecuidance de se révolter. S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent des brioches! S'ils n'ont pas de voitures, qu'ils roulent en Vélib'! Naguère signe extérieur de richesse, la voiture s'est ainsi transformée en moyen de déplacement des «ploucs émissaires», pour reprendre le bon mot de l'irremplaçable Philippe Muray.

    À écouter certains commentateurs, on se croirait même dans Le Dîner de cons, avec Thierry Lhermitte, au chevet d'une province arriérée peuplée de clones de Jacques Villeret, de sosies de Johnny et d'indigènes gaulois indécrottablement archaïques. Des «gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel. Ce n'est pas la France du XXIe siècle que nous voulons», suivant la sortie de l'inénarrable Benjamin Griveaux, porte-parole d'un gouvernement qui semble ignorer que la voiture est le seul moyen de locomotion pour une écrasante majorité de Français (deux tiers des Parisiens, mais pas les ministres, on s'en doute, se rendent à leur boulot en transports en commun, 7 % sur le reste du territoire). Et le diesel, le carburant le moins cher.

    Mais plus encore qu'une fronde contre le prix du diesel, l'écotaxe, les radars, la limitation de la vitesse, c'est l'expérience quotidienne de l'injustice dans laquelle ils se trouvent plongés et du déni médiatique dans lequel ils sont maintenus qui a poussé les gilets jaunes à se soulever. Avant toute chose, ils ont besoin de considération. Car ce qui se joue, c'est bel et bien une lutte pour la reconnaissance. Or, cette lutte n'est pas même reconnue. Toutes les politiques dites de reconnaissance chères à la philosophe anglo-saxonne ne s'adressent qu'aux minorités, sexuelles ou ethniques, pour lesquelles elles ont été conçues, pas aux majorités déclassées qui entrent toujours par effraction dans l'actualité, coup de pistolet dans le ciel sans nuage de l'élite: le référendum sur le traité de Maastricht, le premier tour de la dernière présidentielle, l'enterrement de Johnny.

    Déni, indifférence, mépris. Les médias nationaux ne célèbrent pour ainsi dire jamais la France périphérique, exception faite du JT de Jean-Pierre Pernaut, qui en livre une image mythifiée fonctionnant comme un anxiolytique qui entretiendrait la fiction d'une campagne inchangée, ce qu'elle n'est plus depuis longtemps. Car la réalité de cette France périphérique est aussi éloignée du regard condescendant des élites parisiennes que de la vision patrimoniale et pétrifiée des conservateurs orwelliens. Elle est même devenue à beaucoup d'égards un non-lieu. Il suffit du reste d'observer dans le détail la carte de France des blocages en ce samedi 17 novembre pour voir qu'elle se confond avec l'étalement périurbain dont les temples emblématiques sont les zones commerciales, les stations-essence des «hypers» et les ronds-points, un monde dans lequel il est inconcevable qu'on puisse faire 500 mètres à pied pour aller acheter son pain.

    Ici aussi donc, on retombe sur les deux grands blocs historiques qui s'affrontent: les «Anywhere» (ceux de nulle part) et les «Somewhere» (ceux de quelque part), pour reprendre la terminologie de David Goodhart. Aux premiers, l'urbanisation verticale - l'Olympe jupitérien, le gigantisme des tours, la «start-up nation» - ; aux seconds, la périurbanisation horizontale galopante. Ce que les Américains appellent «Suburbia», l'habitat pavillonnaire à perte de vue qui a multiplié les oasis individuelles. Si on doit d'ailleurs ramener le rêve américain des classes moyennes - très largement plébiscité par les catégories populaires (il suffit de s'intéresser à la sociologie des prénoms pour s'en assurer) - à sa plus simple expression, il tient en deux mots: la voiture et le pavillon. L'une étant la condition de l'autre, et les deux réunis le symbole d'une vie bonne, quoiqu'à crédit.

    S'il y a toutefois une nouveauté dans ce mouvement des gilets jaunes, c'est que cette fois-ci l'incendie est collectif, les départs de feu contagieux. Jusqu'à présent, la France périphérique se présentait en ordre dispersé, des bonnets rouges confinés à la pointe de la Bretagne à la récente démission de soixante-dix élus nivernais privés de ressources par l'État. Comment en aurait-il été autrement au vu de son éclatement géographique? Or, pour la première fois, la hausse du prix des carburants est parvenue à cristalliser et à fédérer toutes les rancœurs au niveau national. C'est donc un pays à l'unisson, soutenu par une très large majorité de Français, qui s'apprête à bloquer les axes routiers. Mais quelle que soit l'ampleur de ces blocages, on ne voit pas trop sur quoi ils pourraient déboucher. Le gouvernement cédera ponctuellement, se contentant de-ci de-là d'allouer quelques aides et autres primes à la casse (il a déjà commencé). Mais l'autre casse, celle du territoire, ne s'en poursuivra pas moins.

    Rien de nouveau sous le soleil, dira-t-on. Les révoltes populaires ont certes pris à travers les âges tant de visages différents, couvert tant de fronts, qu'il est assurément impossible d'en dresser une typologie. Il n'empêche: toutes ces protestations (et les protestations antifiscales furent de très loin les plus nombreuses) - des Jacques, Croquants et autres Nu-pieds jusqu'aux boutiquiers poujadistes - raconte la même histoire depuis le Moyen-Âge tardif où elles commencèrent, avec la naissance de l'État: celle d'un échec programmé, tant il est dans la nature de ces soulèvements d'être des phénomènes irruptifs, spontanés et passagers. Au nom de quoi la révolte des gilets jaunes échapperait-elle à cette fatalité de l'échec? Tout l'appelle, au grand regret des populistes, jusqu'à la composition socioprofessionnelle du mouvement (interclassiste), mêlant artisans, ouvriers, intérimaires, auto-entrepreneurs, chauffeurs routiers, ce qui n'est pas sans évoquer les «fureurs paysannes», lesquelles réunissaient «les trois ordres du royaume reportés à l'échelle du clocher», comme l'a dit un historien.

    On a fait grand cas de la politisation du mouvement, à tout le moins de sa récupération partisane ou syndicale, mais la vérité, c'est que la révolte des gilets jaunes, pareille en cela à la plupart des révoltes (ce en quoi elles constituent l'exact antonyme des révolutions), est plus impolitique encore qu'elle n'est faiblement politisée. Or, c'est de politique qu'a besoin la France périphérique pour la tirer de son marasme économique et identitaire. L'homme ou la femme politique qui sera capable de tenir ce langage sera assurément susceptible d'en recueillir les suffrages. Les gilets jaunes auront alors vengé les ploucs émissaires.

    François Bousquet (Figaro Vox, 17 novembre 2018)

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  • Gilets jaunes ou sombres machinations ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur Huyghe.fr et consacré au mouvement des gilets jaunes, dont la première mobilisation doit avoir lieu le 17 novembre. Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

     

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    Gilets jaunes ou sombres machinations ?

    Nous saurons samedi si le mouvement des gilets jaunes fera un flop (parce que difficile à organiser sans appareil politique ou syndical) ou s’il coagulera, comme c’est plus vraisemblable, une exaspération monstre qui ne surprend que ceux qui n’en participent pas.

    La riposte gouvernementale s’articule autour de deux arguments simples :
    - Ce n’est pas notre faute- nous faisons le maximum pour vous soulager- et, de toute façon, à long terme, il n’y a pas d’alternative (argument de nécessité)
    - Attention, vous allez être manipulés par les extrémistes (argument des intentions et conséquences)

    Sans discuter sur le fond l’argument 1 (part des taxes dans le prix du litre et répartition des fonds supplémentaires collectés, répercussion de la baisse du baril etc.), force est de constater qu’il tombe assez à plat. Moins par l’argumentaire qu’il développe que par la relation qu’il instaure. Le ton pédagogique est employé pour démontrer aux malheureux (qui voient bien ce que leur coûtent de plus leurs trajets quotidien) que tout cela n’est qu’une perception relative : le carburant a déjà été plus cher, il faut comparer à d’autres pays, la part des taxes revenant à l’Etat est à évaluer par rapport à son usage et aux avantages que vous en retirez…

    C’est l’air bien connu de. : c’est plus complexe, il ne faut pas faire d’amalgame. Certains de ces considérations relativistes ne sont pas délirantes , mais le message que retiennent les usagers mécontents est surtout qu’ils sont traités de débiles. La réalité qu’ils éprouvent est dévaluée au nom de la vérité supposée des chiffres. Mieux : ils leur sont retournés dans la figure pour leur démontrer qu’ils ne comprennent pas leur véritable intérêt. Qu’ils sont aveuglés et peut-être un peu stupides.

    C’est dit implicitement ou explicitement. Dans le genre « antibeauf », le compte Twitter de Jean Quatremer de Libération est assez représentatif de cette stratégie de l’insulte. Elle consiste à systématiquement qualifier le contradicteur (faux pauvres mais vrais stupides, haineux, manipulé par l’extrême droite, ou lâches, anonymes, se faisant représenter une dame qui croit à l’astrologie ou autres coquecigrues). Il est connu que ces niais sont victimes de fake news et de discours complotistes. Et en choisissant bien ses adversaires (le tweet le plus excité et le plus mal orthographié), on peut trouver de quoi justifier son mépris de classe.

    L’argument 2, la manipulation d’extrême-droite (voire une petit peu d’extrême-gauche), fonctionne sur le principe d’un complotisme anti complotiste. Son postulat : les gens ne pourraient pas mal penser s’ils n’y avait pas de mauvaises gens pour les faire penser faux. Du fait qu’ils ne croient pas la même chose que le dirigeants et les élites, ou du moins que les médias mainstream, on déduit que les mécontents sont manipulés. Ce type de raisonnement suppose une inversion : puisque les fachos soutiennent une revendication (après coup) et qu’ils risquent d’en profiter (éventuellement), c’est qu’ils l’ont suscitée (avant et délibérément). Et comme, par hasard, les régions où il y a le plus de mécontents et gilets jaunes, se trouvent bien plus coïncider avec la France périurbaine qui se déplace beaucoup en voiture et qui vote Le Pen ou Mélenchon qu’avec la rive gauche, le suspect est confondu.

    Il faut rendre une justice à Libération dont nous venons de critiquer un représentant : un autre de ses journalistes note très justement que l’argument « à qui profite le crime, au RN, donc… » traduit surtout une incapacité à comprendre ce qu’est un mouvement de protestation lié à une expérience quotidienne. Voir la façon dont se produit cette mobilisation : par la base, de façon virale, à partir de gens qui se ressemblent et que les algorithmes des réseaux sociaux incitent de plus en plus à interagir avec leurs semblables. Sans idéologie, sans organisation hiérarchique, sans programme ? Juste la traduction d’une indignation qui se transforme en mobilisation quand elle trouve des relais pour amplifier la parole de ceux d’en bas ? Hé oui, c’est possible. Cela s’est produit à l’occasion d’autres pétitions en ligne en France (solidarité avec le bijoutier de Nice, par exemple). Et au moment du printemps arabe, ceux qui cherchent célébraient le pouvoir de la contestation spontanée en ligne sans chercher la main de qui que ce soit.
    Une fois de plus la rhétorique du mépris fonctionne sur le double principe de dévaloriser la critique en termes de vérité (les crétins qui ne comprennent pas) et d’intentionnalité (les extrémistes qui attisent le feu). Est-ce cela la pensée complexe ?

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 12 novembre 2018)

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  • Macron et les années 30...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et consacré aux déclarations du Président de la République sur la ressemblance de notre époque avec celle des années 30... Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

     

     

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    Retour des années 30 ? Macron ne croit pas si bien dire

    Emmanuel Macron est déjà entré en campagne pour les élections européennes. Il a choisi la diabolisation de ses adversaires qui, selon lui, incarneraient « la lèpre nationaliste » ; alors que, lui, représenterait bien entendu le camp « progressiste », celui du Bien.

    Un clip de propagande, financé par le contribuable, valorise ainsi l’Europe de Bruxelles et présente Matteo Salvini et Viktor Orban comme les artisans diaboliques de la désunion européenne.

    Et dans une interview à Ouest France [1] Emmanuel Macron a renchéri : « Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres. »

    La ficelle est évidemment un peu grosse et revient à suggérer que ceux que les médias nomment les populistes seraient des fascistes voire des nazis. Et qu’Emmanuel Macron serait un valeureux résistant contre la nouvelle peste brune…

    La réalité est tout autre.

    Un contresens historique

    La leçon d’histoire d’Emmanuel Macron tente de nous faire, ne peut qu’amuser car elle repose sur un grave contresens historique.

    Mais il faut dire qu’en digne représentant de la Davocratie, Emmanuel Macron ne connaît pas l’histoire. Il n’a d’ailleurs que mépris pour « le monde d’avant ». Ce n’est pas de sa faute, car, à l’Ena, on n’enseigne que l’économie et le droit, pas l’histoire ni les humanités.

    Prétendre assimiler au fascisme la révolte des peuples européens contre l’oligarchie mondialiste qui règne à Bruxelles repose sur un total contresens.

    Car, précisément, ceux que l’on désigne aujourd’hui sous le terme de populistes ne veulent pas instaurer la dictature – celle du prolétariat ou celle d’un Chef comme dans les années 30 – mais au contraire restaurer la démocratie.

    Une démocratie que, justement, les oligarchies européennes ont détruite en instaurant la dictature des minorités ainsi que le gouvernement des juges et en transférant la souveraineté des Etats à la bureaucratie mondialiste de l’Union européenne.

    Les progressistes sont en réalité les nouveaux totalitaires

    Quand Emmanuel Macron fait mine de défendre l’Union européenne contre les méchants populistes, en réalité il défend le totalitarisme post-démocratique que la Davocratie a imposé à l’Europe.

    Un nouveau totalitarisme qui consiste à imposer aux peuples des évolutions qu’ils rejettent, notamment s’agissant de l’immigration de peuplement ou de la déconstruction « sociétale » des mœurs et des identités.

    Comme le disait si bien Daniel Cohn Bendit, un fidèle soutien d’Emmanuel Macron : « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison [2] ».

    On ne saurait mieux démontrer que l’oligarchie mondialiste a la démocratie en horreur.

    Les prétendus progressistes – qui, soit dit en passant, ne cessent de déconstruire l’histoire sociale de l’Europe – sont en réalité les nouveaux totalitaires. Des totalitaires qui veulent museler les peuples européens en imposant partout leur censure et leur propagande.

    Ce sont donc bien eux qu’il faut arrêter et non les populistes !

    En réalité la situation est bien pire que dans les années 30 !

    La référence macronienne à l’entre-deux-guerres comporte cependant une part de vérité, mais pas du tout dans le sens où l’entendent le Président de la République et les médias de propagande à sa dévotion !

    En réalité, la situation actuelle est bien pire que dans les années 30.

    En effet, de nos jours, comme dans les années 30, les régimes parlementaires sont incapables de faire face aux événements : ils sont impuissants face au chômage de masse car ils pratiquent la même politique récessive consistant à augmenter les impôts et à baisser les salaires et les pensions.

    A la différence que, dans les années 30, les frontières existaient encore en Europe alors qu’aujourd’hui on les a détruites au nom du libre-échangisme mondialiste. Mais, comme dans les années 30, la pauvreté et la précarité s’installent partout et les inégalités sociales sont de plus en plus criantes.

    Car, comme dans les années 30, la bourgeoisie et les nouveaux riches méprisent les peuples. Avec cette différence que, dans les années 30, les riches avaient peur de la révolution communiste, alors que de nos jours ils n’ont plus peur de rien et se croient tout permis.

    L’impuissance des régimes parlementaires, comme dans les années 30 !

    Dans les années 30, les régimes parlementaires sont également incapables de résoudre pacifiquement la question des minorités nationales et des réparations de guerre, fruit amer du catastrophique traité de Versailles imposé par les politiciens français et les Etats-Unis, à toute l’Europe.

    Comme de nos jours les gouvernements de l’Union européenne ne savent pas comment faire face aux flux migratoires vers l’Europe ; ni comment résoudre la communautarisation et l’islamisation croissante de la société.

    Dans les années 30, les gouvernements tournent dans le vide car ils sont victimes de l’instabilité parlementaire.

    De nos jours, ils tournent dans le vide car ils ont perdu les moyens de gouverner : ils ont tout abandonné à l’Union Européenne, aux Banques et aux grandes firmes mondiales ! Et comme dans les années 30, la corruption du personnel politique s’amplifie parce que les lobbies dictent leur loi en toute impunité.

    Comme dans les années 30, la crise est morale et politique !

    Comme dans les années 30, l’Europe connaît une profonde crise morale.

    Dans les années 30, la crise résulte de la catastrophe européenne de la Grande Guerre.

    De nos jours elle résulte de l’épuisement du cycle libéral-libertaire qui débouche sur un profond nihilisme et sur l’effondrement individualiste de la société.

    Comme dans les années 30, la violence politique et sociale ne cesse d’augmenter. On a même vu un ministre de l’Intérieur [3] affirmer, le jour de son départ, que la situation serait incontrôlable d’ici 5 ans ! Ou un chef d’Etat major des Armées avertir que si les banlieues de l’immigration s’embrasaient, les Armées n’auraient pas les moyens d’y faire face [4].

    Mais à quoi sert donc l’Etat ?

    Comme dans les années 30, la défiance vis-à-vis des gouvernants de plus en plus illégitimes, car ils ne protègent plus les peuples, ne cesse d’augmenter. Le pays réel s’éloigne donc de plus en plus du pays légal.

    Une analogie trompeuse

    Alors Emmanuel Macron a raison mais malgré lui : la situation rappelle en effet, mais en bien pire, celle de l’entre-deux-guerres en Europe.

    Mais Emmanuel Macron nous trompe sur le sens de son action : il n’incarne pas en effet ceux qui résistent au chaos qui vient, mais au contraire ceux qui le provoquent par leur aveuglement idéologique libéral, libertaire et mondialiste et par leur autisme. Notamment par leur refus d’écouter ce grand cri de douleur européen qu’est le populisme.

    Comme hier, les politiciens refusent d’écouter la misère des peuples et leur aspiration à retrouver leur fierté nationale.

    Comme dans les années 30, les Français attendent aujourd’hui des hommes politiques qui soient à la hauteur des heures décisives que l’Europe et la France vont devoir affronter.

    Mais on sait déjà, hélas, qu’Emmanuel Macron, Jupiter fatigué, ne sera pas au rendez-vous de cette histoire qui vient.

    Michel Geoffroy (Polémia, 5 novembre 2018)

     

    Notes :

    [1] Le 31 octobre 2018

    [2] Le Figaro.fr du 5 juillet 2016

    [3] Gérard Collomb

    [4] Selon Philippe de Villiers , le 2 novembre 2018 à l’émission Les terriens du samedi,  l’ancien chef d’état major des armées aurait averti le président de la république « Si ça pète dans les banlieues, on n’est pas capable de faire face, on n’a pas les moyens de faire face, on n’a pas les hommes. »

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  • Le populisme, un instinct de survie des peuples ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueillli sur le Figaro Vox et consacré au populisme. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

     

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    Caroline Galactéros : «Le populisme exprime l'instinct de survie des peuples»

    La dénonciation d'une vague populiste planétaire, signe prétendu d'une montée des périls et de l'arrivée d'une nouvelle «peste brune» qui voudrait abattre les démocraties libérales et progressistes européennes, mais aussi américaine, brésilienne ou philippine, témoigne d'une gravissime incompréhension de la vérité même de l'expression démocratique contemporaine dans de vastes parties du monde. La solution, nous dit-on la mine grave? «Faire front»… en poursuivant la fuite en avant politicienne et la défausse technocratique. Haro sur le baudet! Tous ces apprentis dictateurs qui, en Hongrie, Pologne, République Tchèque, Autriche, Italie, aux États-Unis, aux Philippines et désormais au Brésil l'emportent sur les partis traditionnels sont les ennemis d'une «démocratie» incomprise, et leurs électeurs d'ignorantes victimes qui ne savent pas ce qu'ils font en votant pour eux.

    Comme c'est commode! Gommant comme par magie toutes les turpitudes de gouvernants déchus souvent corrompus ou démagogues, qui n'ont en commun que leur arrogance et leur inefficacité dans la gestion de leurs pays respectifs, on les idéalise et l'on s'y identifie même, nous considérant immaculés et surtout «du bon côté», de celui de l'humanisme irénique, de la fin consentie des États, des nations et des frontières, du progressisme sociétal sans frein, de l'accueil d'une diversité ethnique et religieuse dont on veut ignorer la charge déstabilisatrice.

    Qu'est-ce que le populisme? La crispation rétrograde de masses ignorantes et précarisées par une mondialisation qui a pris le mors aux dents et les traite comme des nombres et des ensembles, qu'il faut faire taire en leur assurant un minimum vital? Ou bien le chant malheureux et de plus en plus insistant d'un abandon ressenti et d'un refus de l'engloutissement progressif de ce qui faisait la riche diversité des nations, leur tonalité culturelle et politique spécifique et irréductible? Discréditer cette heureuse résilience, c'est se tirer une balle dans le pied. Le melting-pot américain lui-même est en souffrance. L'Amérique, nous dit-on, est en guerre civile froide… Mais le problème des démocrates américains lors de la dernière présidentielle - et l'une des causes de la défaite d'Hillary Clinton - fut de croire pouvoir gagner en misant sur le communautarisme et en segmentant furieusement le corps électoral sans percevoir son besoin de rassemblement. Trump, quels que soient ses travers et ses fautes, a su incarner ce besoin de cohésion, de destinée collective. C'est tout le génie de son «Make America great again». Ce n'est pas pour rien que ses adversaires l'accusent sans cesse de diviser le pays. Il manifeste violemment un manque de souffle collectif et ne met pas la poussière sous le tapis lénifiant de grandes déclarations creuses. Et puis, dans le cas américain, il existe encore un garde-fou: la conviction d'une vocation «impériale» et le sentiment diffus d'appartenance à une grande nation, qui sont toujours bien vivants dans la population, tandis qu'ils succombent chez nous sous les inhibitions et la repentance même de ceux qui devraient le défendre bec et ongles.

    Mais ces incantations courroucées contre le danger «populiste» et la réaffirmation martiale du «no pasaran» contre des «valeurs démocratiques et républicaines» sont sans objet et seront sans effet. Et même contre-productives. Premièrement, car les mots ne valent pas action. Confusion particulièrement aiguë chez les élites françaises. Deuxièmement, car la peur n'évite pas le danger. C'est le déni de la réalité, l'ignorance et l'aveuglement qui sont dangereux, pas les réalités électorales et politiques désormais lourdes que nos Cassandre démagogues prétendent ainsi conjurer. Les peuples parlent, les peuples crient même désormais, et c'est là une preuve de vitalité démocratique, d'instinct de survie. Ils manifestent leurs angoisses identitaires, leur «insécurité culturelle» tout autant qu'économique, mais surtout leur refus de se résigner à l'indifférence et au mépris que l'on témoigne depuis trop longtemps à leur bon sens et souvent à leur clairvoyance. Ils ne supportent plus l'incurie satisfaite de ceux qui prétendent les diriger et disent les comprendre. Alors, ils votent avec leurs pieds, (comme en France), ou bien ils écoutent chaque jour d'avantage les voix qui leur promettent des «solutions» aussi radicales et simplistes fussent-elles, celles qui mettent les pieds dans le plat et abordent les questions taboues et celles qui fâchent, depuis trop longtemps délaissées par les partis traditionnels. Car ils veulent que leurs politiciens retombent sur terre, prennent la mesure de phénomènes planétaires qui menacent leur sentiment toujours vivace d'appartenance à des nations... en danger. Ils voudraient bien, quel scandale, voir émerger des leaders… dotés de leadership, d'une vision, d'une volonté de les protéger de l'insécurité culturelle mais aussi de l'insécurité tout court.

    Des gros mots? Non, simplement des évidences qui gênent les utopistes et les politiciens qui depuis longtemps ont abdiqué leurs responsabilités et oublié ce que signifie précisément gouverner en démocratie: écouter, comprendre, représenter et servir les intérêts du peuple de vos mandants qui vous a délégué sa souveraineté. Servir, c'est d'abord s'oublier, totalement, penser plus grand que soi et agir par total dévouement. C'est voir loin et penser librement. C'est oser décider et affronter l'impopularité immédiate de décisions nécessaires. C'est convaincre. C'est protéger ceux qui vous ont fait confiance. C'est leur dire la vérité. C'est comprendre la complexité des mutations planétaires, qu'elles soient démographiques, économiques, culturelles, religieuses, environnementales. C'est prendre la mesure de leur signification géopolitique et de l'évolution probable des rapports de force dans lesquels il faut préserver l'intérêt national. C'est enfin parvenir à conjuguer la préservation des libertés politiques et des droits humains sans laisser la collectivité nationale se fragmenter autour de corporatismes revendicatifs qui insidieusement, privatisent peu à peu l'espace public et l'exposent à toutes les instrumentalisations internes et externes.

    Gouverner, c'est donc trouver l'alchimie délicate entre libéralisme économique, progressisme tempéré et un certain conservatisme sociétal autour des notions de lien, de famille, de patrie aussi. C'est ne pas sauter à pieds joints, juste pour «être dans le coup», dans les fantasmes transhumanistes et les ruptures anthropologiques en cours, cyniquement présentées comme des vecteurs de progrès humain, en fait accélérateur de la satisfaction illimitée du tout-puissant désir des individus. Ce désir qui est une tyrannie, qui arase tout sur son passage, la famille, l'Histoire, la filiation, le cœur même de l'humanité de l'homme. Évidemment, tout cela est difficile, aléatoire, ingrat. Il est plus aisé de pratiquer frénétiquement la méthode Coué et de faire tourner les moulins à vent en stigmatisant les relents de «fascisme» au lieu de traiter enfin les problèmes.

    En Europe, c'est la question migratoire qu'il faut en premier affronter, car elle est à l'origine du sentiment croissant d'insécurité culturelle. La décision d'Angela Merkel de l'été 2015 lui a coûté sa popularité mais a surtout fait se lever une immense inquiétude sur tout le continent. C'est une faute stratégique majeure. L'arrivée de formations politiques très à droite est directement liée à cet angélisme ahurissant complètement hors sol. En second lieu, il faut oser traiter sans mollir l'explosive question du rapport entre l'Islam et le socle historique, culturel et religieux européen, donc celle des conditions et proportions de leur compatibilité pratique. C'est ensuite les conditions de l'autonomisation économique de l'Europe, qui passe par un affrontement avec la prétention américaine à décider du niveau de prospérité des économies européennes comme de leur indépendance énergétique via l'imposition d'une extraterritorialité juridique léonine devenue un pur et simple avantage concurrentiel. C'est enfin décider notre sortie de l'enfance stratégique, repenser notre relation avec notre grand voisin russe, et structurer une défense européenne autonome permettant une affirmation géopolitique devenue impérative pour échapper à la tenaille américano-chinoise qui se referme lentement mais sûrement sur notre pusillanimité.

    La démagogie est donc de fait l'inverse du populisme qu'il faut cesser de diaboliser. La démagogie est du côté des élites dont l'indifférence aux peurs et au bon sens des peuples est si forte qu'elle s'apparente à un silence assourdissant et conduit au «dégagisme» que l'on voit à l'œuvre partout. L'autorité n'est pas l'autoritarisme. Écouter les peuples n'est pas de la démagogie. Comprendre leur besoin de leadership et de sécurité n'est pas menacer nos libertés, c'est les préserver et refuser de nous laisser dévorer en silence par un communautarisme qui va achever de fragmenter puis tuer notre démocratie.

    Cessons de nous payer de mots, de nous gargariser de nos fantasmes confortables. L'indifférence des grands partis de gouvernement comme de la superstructure européenne aux craintes populaires est suicidaire. La démocratie n'est pas une statue d'airain figée dans une pureté absolue. C'est un équilibre fragile et meuble, qu'il faut sans cesse consolider en l'adaptant aux menaces qui l'attaquent et qui ne sont certainement pas l'instinct de survie des peuples exprimé fébrilement dans les urnes. La démocratie libérale occidentale doit se repenser, oser questionner ses fondements et les conditions de sa sauvegarde, de son ressourcement, qui passent notamment par des freins à mettre sur l'ultra mondialisation, qui a déclassé et fragilisé les classes moyennes, les rendant vulnérables à des discours extrémistes. Elle doit repenser son lien avec le peuple, mais aussi les notions de limite, de frontière, de droits et de devoirs. Elle est, depuis une génération surtout, devenue le creuset d'un communautarisme qui la dissout et elle a, au nom de la tolérance et du progrès humain, totalement mésestimé les dangers politiques de celui-ci et l'influence domestique, notamment sécuritaire, de problématiques géopolitiques lointaines et globales.

    Si on continue de croire faire disparaître le danger en le niant, nous allons subir nous aussi un effet de boomerang difficile à dominer. Le danger en effet, c'est l'arrivée, par la voie des urnes, de partis extrémistes et démagogiques dont le discours rassure mais qui n'ont que des solutions outrancières. C'est l'expression à leur profit des instincts de repli et de fermeture de populations fragilisées. L'urgence est donc, pour les partis européens dits de gouvernement, de se reconnecter au niveau de conscience et de lucidité des peuples et d'entendre leurs craintes sans les mépriser. Car l'Europe entière, plongée dans un environnement international inquiétant qu'elle ne comprend pas ou si mal, coincée dans un idéalisme complètement dépassé, semble courir à tombeau ouvert vers son engloutissement. Ainsi faut-il redéfinir l'identité européenne en brisant les tabous et en refusant l'ouverture de notre ensemble à tous vents, car des offensives politiques et confessionnelles sont en cours qui misent sur notre manque de lucidité et notre goût immodéré pour la contrition.

    Sur le plan stratégique, c'est la même chose. Nous n'avons plus d'autre choix que de sortir de l'impuissance et de cesser de galvauder la notion de souveraineté pour enfin la pratiquer. C'est valable évidemment pour l'Europe, mais déjà pour la France. Pour ne prendre qu'un exemple, celui si triste de la Syrie, quel est aujourd'hui l'intérêt de Paris à persister à défendre l'indéfendable? La France ne peut être le fossoyeur d'États laïcs. Après avoir miraculeusement su éviter de participer à la destruction de l'Irak, elle s'est fourvoyée dans une entreprise de déstabilisation régionale en Lybie et en Syrie, parfaitement contraire à ses intérêts nationaux et dont elle doit très vite se désolidariser. Elle ne peut non plus continuer, pour quelques milliards toujours dus, d'appuyer même à mi-mots, un régime saoudien dont la réalité moyenâgeuse, à mille lieues de toute modernité ou progressisme, apparaît au grand jour, rendant plus indécente encore l'indignation embarrassée de ses soutiens cyniques. La France doit être faiseur de paix. La paix concrète, la paix qui passe par la reconnaissance de la survie d'un État, la Syrie, qui ne s'est pas laissé abattre. Faire la paix, c'est d'abord reconnaître ses erreurs de jugement, ses choix politiques erronés, et prendre part à un processus constructif qui préserve nos intérêts et nos valeurs, loin des diabolisations ridicules qui ne satisfont qu'une cohorte d'intellectuels éthérés, auxquels on pourrait d'ailleurs recommander un stage in situ, à Idlib par exemple, pour enfin ouvrir les yeux et comprendre que le martyre du peuple syrien a assez duré et que rien ne le justifie plus.

    Notre déni du réel devient plus que ridicule: il est tragique. Nos gouvernants doivent enfin écouter leurs mandants, reconnaître leur impéritie sécuritaire, leurs incohérences diplomatiques dont les effets sanglants se ressentent sur le territoire national, cesser d'alimenter le communautarisme en favorisant l'expression d'intérêts corporatistes et des dépendances destructrices de la cohésion nationale comme de l'enracinement multiséculaire de l'identité française sur un socle judéo-chrétien et humaniste. Dire cela n'a rien à voir avec de l'intolérance religieuse, tout à voir avec le refus de se voir dicter par l'extérieur des «canons» confessionnels, culturels ou politiques d'expression «identitaire» qui n'ont rien à voir avec la république, la laïcité, l'histoire, les valeurs et la loi françaises. Le fracas du monde doit nous éclairer. Les peuples n'ont pas tort parce qu'ils sont peuples. Ils refusent juste d'être des «populations» et des «territoires» gérés comme de simples réalités statistiques interchangeables.

    Le pragmatisme, c'est une honnêteté essentielle, c'est le courage de se reconnecter au réel, ici, et là-bas, même s'il nous déplaît ou nous heurte. C'est entrer en cohérence comme on entre en religion pour conjurer le véritable danger: l'éclatement des nations sous les coups conjugués de l'ultra individualisme et du communautarisme. Réconcilier progrès et ordre, cesser de confondre autorité et autoritarisme. Revisiter le conservatisme qui n'est pas une régression mais une marque aussi d'humilité et de limite mise à l'hubris narcissique de l'homme, désormais galvanisée par les illusions technologiques. Faire des choix difficiles qui nous sauveront, sauveront notre crédit et notre ascendant moral. La lumière est au bout du chemin de cette mue douloureuse. La popularité aussi, pour celui qui saura en convaincre son peuple et en tenir l'exigence dans le temps. Il faut crever l'abcès maintenant.

    Caroline Galactéros (Figaro Vox, 2 novembre 2018)

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  • Fascistométrie et rééducation des masses...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux tentatives, grossières, du système politico-médiatique d'assimiler la vague populiste à une résurgence du fascisme... Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

     

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    Fascistométrie et rééducation des masses

    Les années trente reviennent, paraît-il. Certes les esprits tatillons, très « vieux monde », pourraient trouver quelques différences mineures : une guerre mondiale encore fraîche avec ses millions de morts et ses anciens combattants au désespoir, une crise économique pré-keynésienne notamment dans une Allemagne ruinée et saisie par un chute folle de la monnaie, des revendications territoriales (ou des occupations) entre pays européens, le péril bolchévique qui terrifiait sur fond de grèves ou d’émeutes, des gens armés en chemise de couleur se battant partout, les puissances d’une Europe divisée reposant sur leur colonies, guère de concurrence économique d’Asie mais aussi guère d’État providence, réarmement partout, des migrations essentiellement inter-européennes, des sociétés encore largement chrétiennes et rurales, un nationalisme assumé par les classes dirigeante à rebours ce qu’elles professent aujourd’hui, des gouvernements très instables, la montée de partis politiques totalitaires s’assumant comme tels… Passons.

    Chacun a bien compris qu’Emmanuel Macron jouait sur le point Godwin en nous suggérant un quasi retour du fascisme contre lequel il serait le dernier rempart. Fascisme est pour le moins un terme polysémique et nous nous sommes livrés à un petit test comparatif. En Italie puisque l’épouvantail Salvini est si souvent évoqué.

    Prenons d’abord un définition « classique » par Umberto Eco qui, en 1995, énonce quatorze caractéristiques sinon de tous les fascismes, du moins du fascisme comme « ur-fascsimo », archétype (plutôt un schéma d’un fascisme absolu ou poussé à l’extrême, même si chaque fascisme particulier diverge légèrement par rapport à lui) :

    - Culte de la tradition
    - Refus du monde moderne
    - Culte de l’action pour l’action
    - Refus de l’esprit critique
    - Culte de l’unité du peuple
    - Appui sur les classes moyennes
    - Obsession du complot
    - Exaltation de la lutte contre un ennemi surpuissant
    - Rejet de tout pacifisme comme trahison
    - Élitisme de masse (notre communauté est supérieure)
    - Culte du héros
    - Machisme
    - Droits des peuples contre droits des individus
    - Recours à un néo-langage porteur de forts contenus idéologiques

    Nous pourrions discuter chacun de ces points et nous demander plus en détail lesquels s’appliqueraient au stalinisme ou au maoïsme et lesquels seraient vraiment typiques de Salvini. Mais admettons qu’il s’agit d’un idéal-type, de tendances poussées à l’extrême et reconnaissons qu’Eco propose au moins des catégories significatives.

    Petite comparaison avec un texte qui fait grand bruit en Italie vingt-trois ans plus tard L’Espresso publie en ligne un test intitulé « fascistometro » donc destiné à mesurer le degré de fascisme du lecteur suivant son nombre de réponses positives ou d’approbation à 56 affirmations. Ces affirmations que nous n’avons pas la place de reproduire ici peuvent apparaître comme de bon gros lieux communs, mais sont présentés par l’hebdomadaire centriste comme autant d’étapes sur le chemin qui nous mènerait aux années les plus sombres.

    Quelques exemples :
    - l’Italie est un pays ingouvernable
    - Il nous faudrait un régime présidentiel
    - Les journalistes sont tous au service du pouvoir
    - Je vous rappelle que ces gens-là votent
    - Il faudrait les recenser
    - Je pense à nos garçons des forces armées
    - C’est facile de parler quand on est bien au chaud
    - Un pays sans frontière n’est pas un pays.
    - Etc.

    Le lecteur pourra consulter la liste complète, et, s’il le veut, procéder au test. On lui accordera que les phrases ne sont pas d’une immense finesse (cela dit : essayez d’inverser - un pays sans frontière est un pays, l’Italie est un pays gouvernable, je ne pense pas à nos garçons des forces armées, c’est courageux de parler quand on est bien au chaud- et faites vous des copains…) . Certes, nous ne cherchons pas à démontrer que les rédacteurs de l’Espresso (la romancière M. Murgia qui a rédigé le test) sont légèrement moins fins que l’auteur du « Nom de la rose ». Il y a une terrible différence de registre. Analyser le fascisme pour Eco, c’est penser quelques catégories fondamentales d’où découlent des attitudes. Pour L’Espresso c’est criminaliser des phrases de bistrot, avec une bonne dose de mépris de classe. C’est accessoirement culpabiliser des réactions populaires spontanées pour y dénoncer le germe de la nouvelle lèpre. Le fascisme le produit spontané de la niaiserie des masses : difficile de faire plus contre-productif.
    Du reste, Mme Murgia publie en ce moment avec H. Janeczek intitulés « Attention au fascisme qui vit en vous ». L’idée est claire. Nous sommes tous potentiellement fascistes. Racismes et violences sont universels (ce serait donc une pulsion de nature et non une construction de quelques cultures dominantes ?). Il faut donc apprendre à s’autoanalyser et à s’autodiscipliner. Dressage et repentance. Le problème du fascisme n’est pas un problème politique, c’est un problème psychanalytique.Vigilance, camarades, dressons un barrage contre les pulsions des masses.

    Proposition de test pour L’Espresso :
    « Si vous étiez un fasciste désireux de gagner les prochaines élections que feriez vous aux électeurs ?

    A) Je leur enverrais des gens en uniforme leur parler de dieux antiques, de mort au combat, de mobilisation totale du peuple tout entier, de la prochaine guerre à entreprendre contre un adversaire surpuissant...
    B) Je leur ferais lire L’Espresso pour les persuader que ceux qui souhaiteraient plus d’emplois pour leurs concitoyens ou qui critiquent les fonctionnaires sont des nôtres : la preuve que le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde
    C) je traduis le clip gouvernemental français (évoqué à l’article précédent)
    D ) Je reprends les slogans psys de Mai 68 sur la libération de la parole et je crie « à bas le Surmoi ».

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 3 novembre 2018)

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  • Un populisme vertueux comme alternative au capitalisme destructeur ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Renaud Beauchard au Figaro Vox à l'occasion de la sortie de son essai intitulé Christopher Lasch - Un populisme vertueux (Michalon, 2018).

     

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    « Pour Christopher Lasch, l'alternative au capitalisme destructeur est un populisme vertueux »

    LE FIGARO.- Vous consacrez un essai à l'historien et sociologue Christopher Lasch, connu pour sa critique fondamentale du progressisme. Qu'est-ce que reproche Lasch à l'idée de Progrès?

    Renaud BEAUCHARD.- Lasch concevait le progrès comme le chas d'aiguille par lequel la rationalité abstraite du capitalisme est venue envahir tous les aspects de notre existence pour nous placer en état de banqueroute émotionnelle. Selon lui, l'idée de progrès se caractérise par deux composantes appartenant indissolublement à la même séquence historique engagée depuis le XVIIIe siècle. D'un côté, il implique la levée de la condamnation morale de l'insatiabilité des désirs humains en tant que garantie de l'émancipation des liens de dépendance étroits des communautés familiales, claniques, villageoises ou de quartier, qui corsetaient ces désirs. De l'autre, cette offensive contre toutes les formes d'autorité traditionnelle, qui encourageait, tout au moins au début, l'esprit critique et l'émancipation individuelle, s'est trouvée accompagnée de la création d'un marché universel de marchandises censé garantir le développement d'un progrès technique sans horizon temporel limité et l'accès de tous à un éventail de choix jadis réservé aux privilégiés. Mais, par une ruse de la raison, loin d'aboutir à un raffinement sans cesse croissant des goûts et des plaisirs, les effets de ce marché universel furent au contraire un rétrécissement de l'imaginaire émancipateur et une homogénéisation des modes de vie dans une société de plus en plus soumise au règne de l'abstraction capitaliste.

    En conclusion, le progrès a produit une catastrophe anthropologique en sécrétant un type de personnalité, le Narcisse, un type d'être à la mentalité servile et foncièrement dépendant du marché - nourricier- à la consommation. En somme, c'est sur la pente d'une nouvelle société hétéronome que nous a conduits le progrès.

    Quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle personnalité issue des sociétés progressistes?

    La culture du narcissisme est une métaphore de la situation de l'individu contemporain aux prises avec un monde qu'il ne comprend plus et dont l'effondrement ne cesse de le préoccuper quotidiennement. Comme l'enfant en bas âge qui développe des défenses inconscientes contre les sentiments de dépendance impuissante de la petite enfance, au moment où celui-ci réalise qu'il est séparé de son environnement et que les êtres qui l'entourent sont dotés d'une existence séparée de la sienne et frustrent ses désirs autant qu'ils les satisfont, Narcisse est inconsciemment tenté de se réfugier dans un déni de la réalité du monde extérieur qui peut prendre deux formes: soit une tentative de retour à un sentiment primitif d'union avec le monde (symbiose régressive ou fusion avec la nature du gnosticisme New Age), soit une illusion solipsiste d'omnipotence qui procède d'un refus de reconnaître la moindre limite à sa toute-puissance et dégénère dans le solutionisme technologique pour paraphraser Evgueni Morozov. La culture du narcissisme fait donc référence à la culture sécrétée par la société, la façon dont les institutions (la famille, l'école, la psychothérapie, la justice, le journalisme etc.) se spécialisent dans la production de la personnalité narcissique en tout point nécessaire au capitalisme contemporain et qui le soutient en retour.

    Il faut bien se garder d'analyser le narcissisme comme une affirmation du moi, mais au contraire, comme un moi minimal, «un moi de plus en plus vidé de tout contenu, qui est venu à définir ses buts dans la vie dans les termes les plus restrictifs possible, en termes de survie pure et simple, de survie quotidienne.». Il s'agit d'une véritable aliénation au sens où l'entend Renaud Garcia, d'«une forme totale de dépossession de la subjectivité vivante, qui intervient lorsque les différents «savoirs de la vie» [aimer, dialoguer, habiter, manger, cuisiner, jouer, se soigner etc.] se trouvent transférés sur un plan abstrait, où seule compte la logique d'accumulation de la valeur en fonction de procédures techniques normées» (indicateurs de performance, bilan de santé etc.). Ainsi, tout comme le travailleur de l'industrie a été resocialisé pour que la belle ouvrage n'existe plus dans sa conscience, pour qu'il perde de vue le rapport entre la tâche qu'il accomplit dans le processus de production et le résultat final et n'ait plus à se soucier que du regard du contremaître ou des moyens d'enregistrement de plus en plus sophistiqués de sa performance, l'individu contemporain est exproprié de sa capacité à faire usage de ses sens pour trouver la moindre cohérence au monde qui l'entoure. Le narcissisme est donc l'appauvrissement de la vie intérieure qui survient après l'effondrement du monde commun.

    Quelle est la conséquence de cette «culture du narcissisme»?

    La conséquence la plus problématique de l'apparition de ce type de personnalité réside dans le déclin du surmoi entraîné par la dévalorisation des figures traditionnelles de l'autorité et son remplacement par une forme de surmoi archaïque et sévère qui n'est plus tempéré par des figures des parents, de la famille élargie ou du quartier auxquelles l'individu peut s'identifier. Narcisse intègre directement dans sa psyché la figure de l'État surpuissant en guise de représentation de l'autorité et celle du marché nourricier à la consommation en tant que représentation de l'amour. De façon encore plus dérangeante, la disparition du surmoi convoque une violence autrefois enfermée dans des rituels, comme l'ont très bien montré l'affaire Weinstein et les tueries de masse qui ponctuent l'actualité .

    Lasch a parlé de «révolte des élites». Pouvez-vous nous expliquer ce qu'il entendait par là?

    S'inspirant de La révolte des masses d'Ortega Y Gasset, Lasch estimait que les élites technocratiques contemporaines présentent les mêmes traits que ceux qu'Ortega avait identifiés chez l'homme de masse: optimisme béat dans l'avenir d'un monde promettant toujours plus d'abondance matérielle, culte de la forme physique, haine mortelle de tout ce qui n'est pas lui-même, incapacité d'émerveillement ou de respect, obsession de la santé mentale…

    Selon Lasch, l'apparition de ces nouvelles élites est l'aboutissement du choix funeste qu'a fait l'Amérique, dès la fin du XIXe siècle lorsque, se convertissant au salariat, elle a abandonné l'idéal d'une société sans classe, reposant sur la propriété individuelle des moyens de production et l'idéal d'individus aptes à l'autogouvernement, au profit de la mobilité sociale ascendante et la méritocratie, reposant sur la maîtrise du savoir. Lasch voyait en effet dans le salariat l'institution qui séparait le savoir, désormais devenu le monopole d'une «minorité civilisée», de la vie ordinaire et partant, consacrait le renoncement à un idéal de démocratisation de l'intelligence. En somme, il s'agissait de la répétition au Nouveau Monde des systèmes de dépendance européens que les colons avaient fui en choisissant l'émigration.

    Les élites placées du bon côté de ces cartes rebattues n'ont alors eu de cesse de refaçonner les institutions (administration publique, éducation et enseignement supérieur, services sociaux, journalisme, bureaucratie des grandes entreprises, définition du succès social etc.) dans le sens d'un séparatisme croissant entre elles et le reste de la population jusqu'à aboutir à deux mondes hermétiquement cloisonnés par des diplômes, des codes culturels abstraits et sans cesse changeants, et de plus en plus géographiquement ségrégués (les communautés de succès situées le long des côtes et l'Amérique au milieu avec des zones tampons en périphérie des grands centres urbains). Dénonçant «l'esprit de clocher» de cette élite mondialisée repliée sur elle-même, Lasch distingue ses premiers signes de sécession dès la conclusion de l'ère «progressiste» (1880-1920), lorsqu'elle a commencé à entretenir vis-à-vis des classes populaires une sorte de posture de ressentiment, allant du style de la satire sociale et anthropologique initié par H.L. Mencken dans les années 1920, dans lequel l'intellectuel «libéral» se pensait comme le représentant d'une «minorité civilisée», traitant la vox populi comme le «braiment d'un âne», jusqu'à Hillary Clinton et son «ramassis d'abrutis» (basket of deplorables). L'exemple le plus frappant de cette séparation est sans doute donné par Thurman Arnold, le grand juriste du New Deal, qui encourageait à penser l'État providence sur le modèle d'un asile d'aliénés devant traiter les gouvernés comme des «malades mentaux», et qui encourageait les administrateurs à prendre des décisions pour eux sans égard à «leurs effets sur le caractère des bénéficiaires».

    Vous définissez de «populisme vertueux» l'alternative, fondée sur un renouvellement de la tradition du républicanisme civique, proposée par Lasch, à la modernité libérale. En quoi «populisme» et «vertu» sont-ils dans l'esprit de Lasch, liés?

    Tout comme, paraphrasant Castoriadis, «le capitalisme n'a pu fonctionner que parce qu'il a hérité d'une série de types anthropologiques [et de valeurs] qu'il n'a pas créés et n'aurait pas pu créer lui-même», Lasch estime que la modernité libérale a vécu à crédit sur un capital emprunté à une vieille tradition de Républicanisme civique héritée d'Aristote, des cités italiennes du Moyen Âge et de la Renaissance et qui tenait le haut du pavé au moment de la fondation de la nation américaine. Elle postule que la liberté politique ne se résume pas à de bons arrangements institutionnels mais exige aussi des bonnes mœurs, c'est-à-dire des citoyens dénués d'une mentalité servile et aptes à former des communautés autogouvernées. Or, en fondant une société indifférente au «caractère» de l'individu démocratique, la logique libérale a invalidé tout autre contenu éthique que la tolérance et a fini par rendre impossible tout questionnement public sur les qualités intrinsèques de l'individu démocratique et ce qu'est un mode de vie démocratique. Il en résulte «une forme rudimentaire de vie commune incompatible avec les ambitions élevées des pères fondateurs d'hommes capables de se gouverner eux-mêmes», un «souci obsessionnel de l'estime de soi» et une «approche touristique de la morale» fondée sur un culte de la victime.

    Seule une tradition «populiste» comprenant les mouvements de petits producteurs de la seconde moitié du XIXe siècle en lutte contre le salariat, les premiers mouvements féministes et le mouvement des droits civiques ont tenté de perpétuer une conception exigeante de la démocratie faisant des valeurs de gratification différée, d'esprit de sacrifice, d'éthique protestante, d'ardeur au débat, etc., sur lesquelles étaient basées le respect de soi, les piliers de la démocratie américaine. Mais tout comme la destruction créatrice a fini par avoir raison du seul type anthropologique créé par le capitalisme, l'entrepreneur schumpetérien, l'éthique de la tolérance, en prônant un droit de tous sur tout, a entraîné la dégénérescence de la culture de l'individualisme compétitif dans la recherche effrénée de plaisir psychique pour nous ramener au point de départ que la modernité s'est employée à conjurer: la guerre de tous contre tous. Face à cette situation, Lasch en appelle à une revalorisation de la conception populiste de la démocratie fondée sur le respect, valeur ancrée dans l'héritage civique, «que nous éprouvons en présence de réussites admirables, de caractères admirablement formés, de dons naturels mis à bon usage» et qui implique «l'exercice d'un jugement discriminant et non d'une acceptation indiscriminée».

    Quelle place tient la culture protestante dans ce populisme vertueux? Est-il possible de renouer avec cet esprit dans une société fermée à toute forme de transcendance?

    Lasch n'a jamais fait mystère de sa dette envers l'héritage protestant et l'étude de la théologie protestante dans la formulation de sa philosophie de l'espérance. Ce que lui ont apporté des théologiens comme Jonathan Edwards ou Reinhold Niebuhr, et des penseurs comme Emerson ou William James peut être résumé dans l'idée que l'espérance est la prédisposition mentale de ceux qui persistent à vouloir croire, envers et contre tout, dans l'infinie bonté de la vie, même en présence des preuves du contraire, et «dans la justice, la conviction que l'homme mauvais souffrira, que les hommes mauvais retrouveront le droit chemin, que l'ordre qui sous-tend le cours des évènements n'a rien à voir avec l'impunité».

    Et il n'est pas anodin que, se sachant condamné, Lasch ait consacré les deux derniers chapitres de son dernier livre à la religion dans lesquels il rappelle que, face à l'hybris technologique et l'illusion de la maîtrise totale, seule une vision religieuse de l'existence nous rappelle à notre nature divisée d'être «dépendant de la nature et en même temps incapable de la transcender», d' «humanité oscill[ant] entre une fierté transcendante et un sentiment humiliant de faiblesse et de dépendance». À l'opposé de l'obsession de la certitude au détriment de la réalité du monde des démiurges de la Silicon Valley ou des gnostiques New Age, Lasch écrit que c'est «à la croyance douillette d'une coïncidence entre les fins du Tout-Puissant et nos fins purement humaines que la foi religieuse nous demande de renoncer». Seul ce sens des limites peut nous amener à réinvestir le monde par une «activité pratique qui lie l'homme à la nature en qualité de cultivateur soigneux». En d'autres termes, en fondant une éthique de l'attention au monde, comme nous y exhorte Matthew Crawford, sans doute le continuateur le plus juste de l'œuvre de Lasch.

    Lasch est mort en 1994. Y avait-il dans ses écrits quelque prescience de l'émergence d'un populisme trumpiste qui serait le retour de balancier du progressisme et de la sécession des élites?

    Lasch avait très bien analysé avant la lettre le phénomène Trump au travers de la nouvelle droite, ou conservatisme de mouvement, incarnés successivement par Barry Goldwater ou Reagan. Tout comme ces derniers, Trump est parvenu à formuler un récit bien plus cohérent qu'il n'y paraît à partir de questions comme la crise des opiacés, les délocalisations, l'immigration, la menace chinoise et à s'en servir pour «diriger le ressentiment “petit bourgeois” à l'endroit des riches vers une “nouvelle classe” parasitaire constituée par des spécialistes de la résolution des problèmes et des relativistes moraux», afin d'en appeler aux «producteurs de l'Amérique» à se mobiliser autour de leur «intérêt économique commun» pour «limiter le développement de cette nouvelle classe non productive, rapace».

    Ainsi, concluait Lasch, le grand génie de la nouvelle droite était d'avoir retourné à son profit «les classifications sociales imprégnées de la tradition populiste - producteurs et parasitaires- et à les mettre au service de programmes sociaux et politiques directement opposés à tout ce que le Populisme avait toujours signifié». La différence est que Reagan est arrivé à la Maison Blanche au début de la contre-révolution monétariste, qui inaugurait la spécialisation de l'économie US dans le recyclage des surplus de la planète, alors que Trump arrive à un moment ou cette politique ininterrompue depuis la fin des années 1970 ne laisse qu'un champ de ruines, ce qui explique leurs divergences sur la question du commerce international. L'élection de Reagan était concomitante de l'entrée des États-Unis dans la période d'exubérance financière que connaissent tous les centres de l'économie-monde lorsqu'ils entament une phase de financiarisation, alors que celle de Trump est intervenue près de 10 ans après le début de la crise terminale de ce que Giovanni Arrighi appelait le long vingtième siècle ou siècle américain. Mais sur le fond, Trump n'est qu'un avatar actualisé de Reagan, allant d'ailleurs jusqu'à reprendre exactement le même slogan que ce dernier dans sa campagne victorieuse de 1980.

    Comment est-reçu Lasch aujourd'hui aux États-Unis? Le mouvement «sanderiste» qui prône le retour à une forme de socialisme démocratique, l'invoque-t-il?

    Récupéré sélectivement par des idéologues aux marges du parti républicain, comme Steve Bannon, qui a fait de La révolte des élites un de ses livres de chevet, Lasch est pour l'essentiel absent du paysage intellectuel engagé à gauche, à l'exception de The Baffler dans lequel officient des auteurs comme George Scialabba ou Thomas Frank. Il est tout aussi ignoré par les mouvements regroupés autour de Sanders, en raison de sa critique du progrès, qui le rend inaudible à leurs oreilles, et de leur tropisme en faveur d'une social-démocratie scandinave. C'est regrettable, car Lasch incarne un vrai socialisme à l'américaine, une sorte de proudhonisme américain, qui exhorte la gauche à chercher à s'allier, non pas avec les «médias de masse et les autres entreprises d'homogénéisation culturelle, ni avec la vision d'une société sans pères, et sans passé […] mais avec les forces qui, dans la vie moderne, résistent à l'assimilation, au déracinement et à la “modernisation forcée”». Mais, paraphrasant Simon Leys à propos d'Orwell, la gauche américaine, en persistant dans sa béatitude progressiste et sa perception simpliste et commode du capitalisme comme un système patriarcal, vertical et autoritaire, ne fait au fond que reproduire avec Lasch les mêmes erreurs qui l'ont poussée régulièrement à se laisser scandaleusement confisquer ses plus puissants penseurs.

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