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populisme - Page 13

  • Les populistes à l'assaut de l'europe...

    Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°177, avril 2019 - mai 2019) est en kiosque !

    A côté du dossier consacré au populisme à l'assaut de l'Europe, on retrouvera l'éditorial d'Alain de Benoist, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés, des entretiens, notamment avec John Milbank et Adrian Pabst, Mathieu Baumier, Etienne Chouard, Fiorina, Pierre Conesa et Olivier Entraygues, les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Ludovic Maubreuil, de Laurent Schang, d'Hervé Juvin, d'Yves Christen et de Slobodan Despot et l'anti-manuel de philosophie de Jean-François Gautier...

    Bonne lecture !

    Vous pouvez commander ce numéro ou vous abonner sur le site de la revue : http://www.revue-elements.com.

     

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    Au sommaire :

    Éditorial           

    Populistes, encore un effort ! , par Alain de Benoist

    Agenda, actualités

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  • Droite/Gauche : fin ou transformation du clivage ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Arnaud Imatz, cueilli sur le Cercle Aristote et consacré au clivage droite - gauche. Fonctionnaire international à l’O.C.D.E. puis administrateur d’entreprise, spécialiste de l'Espagne, Arnaud Imatz a notamment publié  La Guerre d’Espagne revisitée (Economica, 1993), Par delà droite et gauche (Godefroy de Bouillon, 1996) et José Antonio et la Phalange Espagnole (Godefroy de Bouillon, 2000) et Droite - Gauche : pour sortir de l'équivoque (Pierre-Guillaume de Roux, 2016).

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    Droite/Gauche : fin ou transformation du clivage ?

    L’une des questions les plus débattues au cours des dernières années par les observateurs politiques européens – journalistes et politologues – est la possibilité ou l’impossibilité de surmonter la division droite / gauche. Il en a été ainsi tout particulièrement dans les pays dits d’Europe « latine » que sont la  France et l’Italie où pourtant la « vieille » dichotomie, implantée depuis plus d’un siècle, semblait solidement et durablement établie. Dans les sondages qui ont été effectués depuis la fin des années 2000, 60 à 70% des citoyens ont déclaré sans équivoque (du moins lorsqu’il leur a été permis de le faire) que la démocratie a cessé de fonctionner correctement, qu’il n’existe pas de différences substantielles entre les gouvernements de droite et de gauche et que le clivage n’est plus vraiment pertinent.

    J’ai moi-même contribué au débat sur la permanence ou la fin du clivage, sa transformation ou son déclin, en publiant huit mois avant les élections présidentielles de 2017, Droite / Gauche : pour sortir de l’équivoque. Histoire des idées et des valeurs non conformistes du XIXe au XXIe siècle (éditions Pierre Guillaume de Roux, 2016). Si je reviens aujourd’hui sur ce sujet, c’est afin de répondre au souhait de nombreux amis qui m’ont demandé de résumer la teneur de ce livre, et que je sais en outre, par expérience, combien un fort volume documenté peut rebuter les lecteurs pressés [1].

    Pour comprendre la radicale et surprenante évolution politico-sociale récente des pays européens (naissance et développement de nombreux mouvements populistes dans la majeure partie du continent, alliance gouvernementale entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles en Italie, rébellions/insurrections populaires comme les « Bonnets rouges » et les « Gilets jaunes » contre les oligarchies ou « élites » progressistes autoproclamées, surgissement de Vox en Espagne, Brexit du Royaume-Uni etc.), il est nécessaire de mener une réflexion approfondie en essayant de répondre sérieusement aux questions-clés : qu’est-ce que la droite ?, qu’est-ce que la gauche ?, quels sont les arguments pour et contre « l’inévitable » ou « accidentelle » division qui articule la vie politique des démocraties représentatives modernes ? Et, finalement, pourquoi la dichotomie gauche-droite est-elle de plus en plus discréditée dans l’opinion publique des pays européens ?

    Comment définir la gauche et la droite ? Le point de vue essentialiste : la division n’est pas finie

    Par delà la multiplicité des définitions de la droite et de la gauche, deux approches radicalement différentes s’affrontent : l’une est philosophique et l’autre historique. L’approche philosophique cherche à définir l’essence, le caractère intime des deux phénomènes ; l’approche historique, empirique et relativiste, nie qu’il s’agisse d’absolus isolés, indépendants de situations contingentes (locales et temporelles). La première approche conduit à renforcer ou à consolider la dichotomie traditionnelle et la seconde à la critiquer, à la questionner ou à la mettre en doute [2].

    Le point de vue essentialiste a été défendu par de nombreux auteurs depuis plus d’un demi-siècle. À partir d’une position de droite, on peut citer, entre autres, le démocrate-chrétien Français René Rémond, le traditionaliste Hongro-Américain Thomas Molnar ou le conservateur Espagnol, Gonzalo Fernández de la Mora. Plus récemment, on trouve par exemple l’ex-conseiller de l’ancien président Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson (et son biographe, proche collaborateur d’Alain de Benoist, le journaliste François Bousquet [3]), le politologue Guillaume Bernard ou le professeur de droit constitutionnel Jean-Louis Harouel. Sur le versant de gauche, il faut citer, parmi les plus connus, l’Italien Norberto Bobbio, l’Anglais Ted Honderich, le Français Jacques Julliard ou l’Espagnole Esperanza Guisán [4].

    Dans le sens le plus conventionnel et le plus vulgaire du terme, la droite serait synonyme de stabilité, d’autorité, de hiérarchie, de conservatisme, de fidélité aux traditions, de respect de l’ordre public et des convictions religieuses, de protection de la famille et de défense de la propriété privée. À l’inverse, la gauche incarnerait l’insatisfaction, la revendication, le mouvement, le sens de la justice, le don et la générosité. 

    La propagande néo-marxiste, néo-social-démocrate et parfois même néolibérale, qui se veut « progressiste », voit dans la droite la réaction contre les Lumières, contre le Progrès, la Science, l’Égalité, l’Humanisme (dieux toujours écrits en lettres capitales). La droite et la gauche ne refléteraient somme toute que le conflit éternel entre les riches et les pauvres, les dominants et les dominés, les oppresseurs et les opprimés. Mais lorsque le sujet fait l’objet d’une enquête un peu plus sérieuse, on se rend vite compte que cette identification de la droite politique avec la droite économique, ou de la droite de conviction avec la droite d’intérêt ou d’argent, si répandue dans les grands médias, n’est qu’un mythe de plus, un enfumage idéologique, un mensonge de propagande. Les lecteurs de Vilfredo Pareto, familiers de sa célèbre thèse sur la collusion entre ploutocrates et révolutionnaires, le savent bien. Les exemples qui nuancent ou infirment le mythe, abondent, depuis les acteurs et héritiers bourgeois de la Révolution française, jusqu’aux magnats milliardaires et spéculateurs financiers d’aujourd’hui comme George Soros.

    Il y a toujours eu en Europe, tout au moins depuis la fin du XIXe siècle, une droite antilibérale ou « illibérale » (comme on dit aujourd’hui), traditionnelle, sociale et anticapitaliste, qui non seulement affirme son engagement envers la communauté nationale mais défend également la justice sociale. Et il y a toujours eu aussi une gauche socialiste ou socialisante qui défend à la fois le républicanisme, la laïcité, la patrie et la nation.

    Quelles sont les oppositions conventionnelles entre la gauche et la droite ?

    Le point de vue essentialiste privilégie toujours l’ « idée » à l’ « existence », la réalité ou les faits. Il s’est développé à différents niveaux d’analyse plus ou moins sophistiqués. Rappelons ici les oppositions qu’il relève le plus fréquemment :

    1. Premièrement, il y a le pessimisme de la droite contre l’optimisme de la gauche. Le réalisme et le sentiment tragique de la vie contre l’idéalisme, le sentimentalisme, le triomphe de la bonne conscience et l’angélisme. Selon cette prémisse, il y a finalement deux tempéraments qui s’opposent toujours l’un à l’autre. Il y a toujours le même antagonisme : les réactionnaires / conservateurs versus les progressistes réformistes ou révolutionnaires.

    2. À un second niveau d’analyse, il existe deux positions métaphysiques : la transcendance et l’immanence. D’un côté, ceux qui défendent Dieu, et de l’autre, ceux qui déifient l’homme. On oppose ici la métaphysique chrétienne et la lecture correcte des Évangiles aux grandes hérésies et aux utopies falsificatrices du christianisme, au millénarisme, au gnosticisme (le Dieu du mal contre le Dieu du bien), ou encore à la croyance aux religions de la politique avec leur version sécularisée de l’apocatastase. À l’arrière-plan, il y a une sorte de combat éternel de la lumière contre les ténèbres, du bien contre le mal, chacun étant bien sûr interprété et défini différemment selon que l’on appartient ou non à l’un des deux pôles de droite ou de gauche.

    3. D’autres auteurs opposent la droite qui croit en la nature humaine sans changement et la gauche qui croit en la perfectibilité indéfinie de l’homme (un homme bien sûr non souillé par le péché originel comme l’enseigne le christianisme). Il y a donc la droite qui croit en l’ordre naturel par opposition à la gauche qui croit en la raison universelle ; la droite qui a une vision holiste de la société par opposition à l’approche individualiste de la gauche (cet individualisme radical apparu avec la Révolution française expliquerait par ailleurs la réaction collectiviste et totalitaire ultérieure du socialisme marxiste). Il existe donc l’organicisme de droite (c’est-à-dire la société qui se développe comme un arbre avec des racines et des branches qui ne peuvent être changées impunément selon la volonté de chacun) qui s’oppose au mécanicisme de gauche (c’est-à-dire la société qui fonctionne comme une horloge avec la possibilité de changer et modifier sans limites chacune des pièces).

    4. Une quatrième différence serait l’importance de l’éthique familiale et communautaire défendue par la droite face à l’obsession de la gauche pour la libération des mœurs et des coutumes.

    5. Mais l’antinomie la plus fréquemment citée est sans doute celle entre, d’une part, l’aristocratisme spirituel (à ne pas confondre avec l’aristocratisme social ou matériel) et le sentiment de liberté, typique de la droite et, d’autre part, l’égalitarisme niveleur et matérialiste, caractéristique de la gauche ; en d’autres termes la qualité versus la quantité [5]. L’idée force de la gauche serait la recherche de l’égalité dont le moteur serait l’envie, alors que le message de la droite serait la croyance en l’émulation. La gauche serait une sorte de pente vers l’égalité matérielle et la droite une sorte de pente vers l’aristocratie spirituelle [6].

    6. Une autre dissemblance significative a été également relevée : la passion de l’unité de la droite (avec l’appel habituel à l’union de la communauté nationale) face à l’esprit ou la volonté de division de la gauche (avec la réactivation permanente de la lutte des classes).

    7. Deux autres principes majeurs semblent irréductibles. Il y a la vision conflictuelle ou polémologique du monde, caractéristique de la droite qui s’oppose au rêve de l’avenir radieux de l’humanité, à l’utopie de « l’homme nouveau » obsession de la gauche. Il ne s’agit pas évidemment ici de l’homme nouveau voulu par le Dieu chrétien mais du nouvel homme désiré par les totalitarismes modernes (dans leurs versions marxiste-léniniste, national-socialiste, et néolibérale ou néo-social-démocrate mondialistes, sans oublier la variante idéologique récente de la « justice anthropologique », qui est elle-même intensifiée par les bio-idéologies, idéologies délirantes, dont étrangement les germes se retrouvent pratiquement tous dans le national-socialisme, comme l’a opportunément relevé le politologue érudit Dalmacio Negro Pavón).

    8. Last but not least, il y a l’éternel combat entre le vieux et le nouveau, le branché et le démodé, l’actuel et le caduc, l’ancien et le moderne. Certains même n’hésitent pas à voir dans la défense de la langue un authentique marqueur de droite. Mais à ce compte, les enseignants des écoles publiques, républicains, laïcs, socialistes, nationalistes et autres « progressistes » d’antan, modérés ou extrémistes, réformistes ou révolutionnaires, ne seraient que de vulgaires réactionnaires ou droitistes qui s’ignoraient.

    Bref, du point de vue essentialiste, il y a toujours une droite et une gauche.  Certains, comme Jacques Anisson du Perron, partent de la prémisse ou de l’axiome intangible : «  La droite a toujours existé puisqu’elle se confondait avec l’organisation politique des civilisations traditionnelles.  Au contraire, la gauche n’est apparue qu’aux temps modernes… ». En conséquence, nous serions condamnés éternellement à vivre et à ne connaître que deux conceptions opposées du monde et de la vie, et à un niveau inférieur, deux morales, deux formes de psychologie voire deux tempéraments.

    Arriver à ce stade, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le mathématicien et dissident russe Igor Chafarevich disait que, d’un point de vue philosophique, le socialisme a toujours existé comme une tendance spécifique des sociétés humaines (et qu’il n’est pas seulement apparu historiquement au XIXe siècle). N’oublions pas non plus que Nicolas Berdiaev disait la même chose du nationalisme ou du patriotisme (qui, malgré ce que prétendent les ignorants et les démagogues, ont beaucoup d’histoire commune dans leurs formes modernes ; nés à gauche, au début du XIXe siècle, ils sont passés partiellement à droite à la fin du XIXe siècle).

    Cela étant dit, encore faut-il souligner un point clé : la plupart des auteurs « essentialistes » insistent sur la diversité ou le caractère pluriel de la droite et de la gauche. Ils montrent à juste titre qu’il n’y a pas une droite et une gauche, mais des droites et des gauches, sans parvenir toutefois à un consensus lorsqu’il s’agit de les définir ou de les classer. Ainsi, par exemple, René Rémond distinguait trois droites : traditionaliste, libérale et nationaliste et trois gauches : libertaire, autoritaire et marxiste. Mais après lui d’autres auteurs (comme le socialiste israélien Zeev Sternhell) ont distingué deux droites : radicale/révolutionnaire et conservatrice, et deux gauches : progressiste et révolutionnaire. D’autres encore (comme Stéphane Rials) voient une seule droite traditionnelle et quatre gauches : autoritaire-nationaliste, libérale-bourgeoise, anarcho-libertaire et social-marxiste. Plus récemment enfin, des auteurs comme Marc Crapez (spécialiste de la gauche nationaliste ou « réactionnaire ») ont signalé l’existence d’une bonne douzaine de tendances de droite et de gauche et ont discrédité ou retiré beaucoup de valeur et d’intérêt aux classifications pédagogiques et universitaires. 

    Pourquoi et comment la division gauche/droite est-elle critiquée ? Le point de vue historico-relativiste

    Historiquement, la division droite/gauche a à peine un siècle voire un siècle et demi. Telle est la réalité prosaïque. Après la Révolution française et pendant des décennies, la division ou l’opposition s’est limitée à une question de langage parlementaire (les partisans du pouvoir occupaient les sièges de droite et l’opposition ceux de gauche). Comme l’a fort bien dit le philosophe Espagnol Gustavo Bueno: « Dans les Cortes de Cadix [l’Assemblée constituante siégeant de 1810 à 1814 pendant la guerre d’indépendance contre la France], il n’y a pas de droite et de gauche ». La division mythique est en effet beaucoup plus récente.

    Dans l’opinion publique, sa naissance remonte à peine aux années 1870- 1900 et peut-être même à plus tard, aux années 1930. Par conséquent, le grand conflit cyclique entre la droite éternelle et la gauche immortelle n’a guère plus d’un siècle. Comme le notait à juste titre Julien Freund en 1986, c’est une division « essentiellement européenne et même localisée aux pays latins, bien qu’elle ait été reprise il y a quelque temps par les pays anglo-saxons ».

    Pour l’historien des idées politiques, il est relativement facile de montrer que les valeurs de droite et de gauche ne sont pas immuables, que les chassés-croisés ou les échanges d’idées ont été et restent constants. Les droites sont diverses et plurielles comme les gauches, ce qui explique leurs divisions et conflits permanents. Les droites et les gauches sont universalistes ou particularistes ; mondialistes/globalistes et partisanes du libre-échange ou patriotiques et anticapitalistes ; centralistes et jacobines ou régionalistes, fédéralistes et séparatistes ; Atlantistes, occidentalistes et européistes (partisanes d’une Europe fédérale) ou nationalistes, européistes (défenseuses d’une Europe des nations) et/ou non tiers-mondistes ; elles sont individualistes, rationalistes, positivistes, organicistes, mécanicistes, athées, agnostiques, spiritualistes, théistes ou chrétiennes. Il n’y a pas de définition intemporelle de la droite ou de la gauche qui s’applique partout et à tout moment. La droite et la gauche ne peuvent être définies historiquement que par rapport aux périodes et aux problèmes qui surviennent à un moment donné.

    Il est facile de montrer que les principales questions politiques se déplacent constamment de gauche à droite et vice versa. Je crois l’avoir fait en détail dans mon livre Droite / Gauche, pour sortir de l’équivoque auquel je renvoi le lecteur intéressé. C’est le cas de l’impérialisme, du colonialisme, du racisme [7], de l’antisémitisme, de l’antisionisme, de l’antimaçonnisme, de l’anti-christianisme, de l’anti-catholisme, de l’antiparlementarisme, de la critique du modèle démo-libéral, du technocratisme et de l’antitechnocratisme, du malthusianisme et de l’antimalthusianisme [8], du fédéralisme, du centralisme, de l’antiétatisme, du régionalisme, du séparatisme, de l’écologisme, de la critique des droits de l’homme et du droit d’ingérence (souvenons-nous des critiques acerbes du libéral anti-fasciste italien Benedetto Croce, du socialiste Harold Lasky ou du nationaliste Mahatma Gandhi) ; et c’est aussi le cas de la dénonciation des Lumières, de l’anticapitalisme, de la défense de la souveraineté et de l’identité des peuples, de l’immigrationnisme et de l’anti-immigrationnisme [9], de la préférence nationale, de l’islamophilie et de l’islamophobie, de l’arabophilie et de l’arabophobie, du patriotisme, du nationalisme, du souverainisme, de l’europhilie et de l’europhobie, de la russophilie et de la russophobie, de l’alliance avec le tiers monde, de l’antiaméricanisme ou de l’anti-impérialisme américain, etc. Toutes, absolument toutes ces questions échappent au débat obsessionnel entre la droite et la gauche. Nombre d’entre elles continuent d’opposer et de diviser non seulement entre les partis, mais aussi à l’intérieur des partis. On comprend mieux alors pourquoi les unions ou les alliances à droite ou à gauche sont et ont toujours été fragiles, volatiles, éphémères ou provisoires. À cela s’ajoute bien sûr le poids de l’ego, généralement surdimensionné des dirigeants politiques, mais aussi leurs intérêts et leurs plans de carrière antagonistes, que masquent mal les prétendues divergences sur les lignes politiques ou les programmes à adopter.

    Qui sont les auteurs qui ont le plus critiqué la division gauche/droite ?

    La remise en cause de la validité permanente de la dichotomie gauche/droite est à la fois historique, philosophique et morale. Elle n’est en rien le monopole d’un auteur, d’un mouvement intellectuel ou d’un parti politique.

    C’est le libéral José Ortega y Gasset qui dit : « Etre de gauche ou être de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile ; toutes deux, en effet, sont des formes d’hémiplégie morale » (La Révolte de masses, Préface au lecteur français, 1930).

    C’est le libéral Raymond Aron qui déclare : « On n’apportera quelque clarté dans la confrontation des querelles françaises qu’en rejetant ces concepts équivoques [de droite et de gauche] » (L’opium des intellectuels, Préface, 1955).

    C’est le libéral-conservateur Julien Freund qui écrit : « La distinction entre gauche et droite est d’ordre polémique et locale, elle ne détermine pas des catégories politiques essentielles […] La justesse philosophique exige que l’on dépasse cette classification circonstancielle […] La rivalité entre la droite et la gauche n’est pas fondée sur un jugement de moralité, mais elle est l’une des formes actuelles de la lutte pour le pouvoir » (L’essence du politique, annexe, rééd., 1986).

    C’est le national-syndicaliste José Antonio Primo de Rivera qui invite à rejeter les haines recuites de droite et de gauche et qui affirme: « Être de droite ou être de gauche, c’est toujours exclure de l’âme la moitié de ce qu’elle doit ressentir. C’est même parfois exclure le tout pour lui substituer une caricature de moitié » (« Ha fenecido el segundo bienio », 9 janvier 1936).

    C’est le marxologue Costanzo Preve, figure représentative du communisme italien, qui assure : « La dichotomie droite / gauche n’est rien d’autre qu’un résidu incapacitant ou une prothèse artificielle perpétuée par la classe dominante » (Italicum, nº1-2, 2004).

    C’est l’ex-militant soixante-huitard, le gauchiste Jean Baudrillard, qui constate : « Si un jour l’imagination politique, l’exigence et la volonté politiques ont une chance de rebondir, ce ne peut être que sur la base de l’abolition radicale de cette distinction fossile qui s’est annulée et désavouée elle-même au fil des décennies, et qui ne tient plus que par la complicité dans la corruption » (De l’exorcisme en politique ou la Conjuration des imbéciles, 1998).

    C’est le socialiste libertaire grec, Cornelius Castoriadis, qui reconnait: « Il y a longtemps que le clivage gauche-droite, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques radicalement opposés » (Le Monde, 12 juillet 1986).

    En réalité, d’innombrables auteurs aux convictions très diverses s’inscrivent dans la tradition « sceptique » ou critique de la fracture gauche / droite. Ceux qui dénoncent l’épuisement du clivage sont devenus légions depuis quelques années. On peut citer ici à titre d’exemple les noms du traditionaliste Donoso Cortés, des libéraux Ortega et Unamuno, du socialiste-marxiste hétérodoxe Gustavo Bueno ;  des Français Pierre-Joseph Proudhon, Maurice Barrès, Charles Péguy, Simone Weil, Daniel-Rops, Jean Baudrillard, Jean-Claude Michéa, Christophe Guilluy, Vincent Coussedière, Alain De Benoist, Marcel Gauchet ; des Américains Christopher Lasch, Paul Piccone et Paul Gottfried ; des Italiens Costanzo Preve, Augusto del Noce, Pier Paolo Pasolini, Marco Tarchi, Marco Revelli et bien d’autres [10]. 

    La majorité des politologues et des journalistes s’accordent à constater que la gauche néo-social-démocrate (avec ses alliés d’extrême gauche) a cessé de proclamer sa volonté de résoudre la question sociale et de faire la révolution sociale (avec l’espoir de la libération du prolétariat) pour assumer les principes du libre marché et invoquer de préférence les « valeurs » sociétales et anthropologiques (défense du « citoyen mondial », intégration de minorités « victimisées », homosexuels, transsexuels, féministes, immigrants, idéologie du genre et multiculturalisme).  Quant à la droite néolibérale (qui rejette les alliances avec les droites traditionnelles et radicales), elle a abandonné la défense de la nation, la morale, la religion et la famille, pour s’occuper exclusivement et cyniquement d’économie.

    Que veut dire être simultanément de droite et de gauche

    Les marxistes, les néo-sociaux-démocrates, les sociaux-libéraux et les conservateurs-libéraux réduisent souvent la dénonciation de l’opposition droite / gauche à une attitude extrémiste et cynique. De nombreux commentateurs politiques voient même dans cette critique de la dichotomie traditionnelle la résurgence du fascisme pour ne pas dire du national-socialisme ou nazisme. Mais en réalité il ne s’agit là que d’un argument de propagande électorale invalidé par les faits historiques.

    Fondamentalement, se définir simultanément de droite et de gauche, c’est exprimer la conviction qu’une communauté politique a besoin à la fois de justice et de liberté, de progrès et de conservation, de patriotisme et d’internationalisme, de personnalisme et de solidarisme, d’ordre et de liberté, d’initiative économique et de garanties sociales, de respect des droits humains et d’affirmation des devoirs des hommes, d’égalité et de mérite, de fraternité et de compétitivité, rien de plus et rien de moins.

    Ces préoccupations peuvent être résumées en quelques mots. Il s’agit de la volonté politique de défendre des valeurs spirituelles, religieuses, patriotiques ou nationales et, simultanément, de poursuivre le bien commun  ou d’affirmer le besoin de solidarité collective et de justice sociale. Cette tentative de synthèse se retrouve dans les programmes de nombreux mouvements de pensée, qui sont nés et se sont développés en Europe depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Des mouvements qui sont radicaux, révolutionnaires et extrémistes, ou modérés et réformistes selon les lieux et les époques. Dans mon livre, je me réfère à la vingtaine de modèles ou d’exemples que sont le traditionalisme social (selon l’économiste italien Stefano Solari, Donoso Cortés, serait l’inventeur de la Troisième voie) ; le légitimisme ou premier catholicisme social (celui de René de La Tour du Pin et Frédéric Le Play), le bonapartisme et le boulangisme de la fin du XIXe siècle, le nationalisme social (de Maurice Barrès et Charles Péguy), le socialisme patriotique (des héritiers des révolutionnaires radicaux de la Révolution française, comme Jacques Hébert), le socialisme-libertaire et nationaliste d’Auguste Blanqui pendant la Commune, le socialisme non marxiste d’Henri Rochefort, Gustave Tridon, Jules Vallès, Albert Regnard, etc., le syndicalisme révolutionnaire, le coopérativisme et le mutualisme (de Proudhon, Georges Sorel, Antonio Labriola, Georges Valois, etc.), le distributionnisme et le corporatisme catholique (des anglais Hilaire Belloc et Chesterton, des français Louis Baudin, Jean Daujat, Gaétan Pirou, Louis Salleron, Gabriel Marcel et du belge Marcel De Corte), le monarchisme nationaliste de la première Action Française de Charles Maurras, le conservatisme révolutionnaire allemand (de Spengler, Jünger, Spann, Moeller van den Bruck, etc.), le personnalisme des non-conformistes français des années 1930 (Emmanuel Mounier, Thierry Maulnier, Alexandre Marc, etc.), le national-syndicalisme de José-Antonio Primo de Rivera, le Fianna Fáil de l’Irlandais Eamon de Valera (principal fondateur de la République démocratique irlandaise), le fascisme italien (dans sa double version conservatrice et révolutionnaire), le gaullisme de la France d’après-guerre (1946-1969),  l’ordolibéralisme [11] ou ex-néolibéralisme (de Walter Eucken, Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow ou Jacques Rueff), et enfin, les différents populismes [12] d’aujourd’hui (de gauche et de droite avec leurs discours souverainistes et/ou identitaires se donnant pour mission de réduire le fossé socio-économique et/ou ethnoculturel).  

    Pourquoi la division droite/gauche est-elle aussi critiquée par des représentants du social-libéralisme, de la néo-social-démocratie et du néolibéralisme?

    La division gauche/droite a été également souvent mise en question par des hommes politiques du centre. C’est notamment le cas d’Emmanuel Macron, de Matteo Renzi et de diverses autres personnalités politiques et intellectuelles. Paradoxalement, il s’agit de représentants avérés de l’oligarchie mondialiste qui, parfaits connaisseurs de la magie des mots, ont présenté à des fins électoralistes une version centriste, édulcorée et diluée de la critique de la division droite/gauche. Ils savent que la division traditionnelle est largement discréditée dans l’opinion publique et qu’ils doivent en tenir compte au moins verbalement pour séduire leurs électeurs. Mais les politiques de ces dirigeants s’inscrivent parfaitement dans la lignée de celles des politiciens sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens qui se sont illustrés il y a déjà plusieurs décennies comme Tony Blair, Schroeder ou Clinton [13]. Ces derniers se réclamaient alors de la « troisième voie » que théorisaient l’Anglais Anthony Giddens et le Nord-Américain Amitai Etzioni. En Espagne, Albert Rivera et son parti Ciudadanos, qui se sont engagés dans la même voie, ont obtenu significativement le soutien de l’ancien Premier ministre socialiste français Manuel Valls.

    On peut résumer le succès de cette stratégie et son résultat électoralement positif (quoique non définitif, comme le démontrent les difficultés considérables du président Macron et de son gouvernement devant la rébellion des Gilets jaunes), en rappelant les fameuses paroles du jeune Tancredi, personnage du Guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».

    Que reste-t-il de la division gauche/droite et quel est le nouveau clivage?

    La critique de la dichotomie D/G consiste avant tout à montrer qu’il n’y a ni « valeurs éternelles » de droite, ni « principes immortels » de gauche. En d’autres termes, critiquer la dichotomie traditionnelle, c’est révéler que la droite et la gauche sont le résultat de certaines opinions sur des faits et des idées, qui ne proviennent pas d’un modèle idéal, d’un archétype ou d’une idée au sens platonicien du terme.

    Il ne s’agit pas de nier qu’historiquement la division droite / gauche explique une grande partie des phénomènes politiques du passé, mais seulement de nier qu’elle les explique tous. Il s’agit de montrer que dans l’Europe d’aujourd’hui, le débat politique prétendument immuable, qui oppose deux catégories « essentialisées », la droite éternelle et la gauche immortelle, est devenu une prothèse artificielle qui sert à pérenniser la situation de l’oligarchie dominante.

    La division D/G est devenue un masque, qui sert à cacher une autre division, désormais beaucoup plus décisive : celle qui oppose les peuples enracinés aux élites autoproclamées vecteurs du déracinement ; celle qui oppose les défenseurs de la souveraineté, de l’identité et de la cohésion nationale aux partisans de la « gouvernance mondiale » ; celle qui oppose les exclus de la mondialisation rejetés dans les zones périphériques du pays (personnes ou citoyens qui évidemment ont – ou auront – leurs propres dirigeants en vertu de la « loi de fer de l’oligarchie [14] ») aux privilégiés du système, à l’oligarchie dominante, à la classe dirigeante mondialisée ou hyperclasse qui vit dans les beaux quartiers des grandes villes, les zones les plus développées du pays et qui, par ailleurs, côtoie de préférence ou exclusivement les privilégiés du mondialisme d’autres pays [15].

    Il y a aujourd’hui clairement, et dans toute l’Europe, un nouveau dualisme qui remplace l’ancienne opposition droite / gauche (même les auteurs essentialistes, qui rejettent la possibilité d’une extinction ou d’une disparition de la dichotomie, reconnaissent qu’il s’est produit une profonde altération ou modification). Populisme versus oligarchie, enracinement contre mondialisation, culture communautaire et solidaire contre culture libérale et progressiste, reflètent la nouvelle ligne de partage. Quoi qu’en disent les « experts » et autres « spécialistes » autoproclamés des médias, il s’agit là de deux manières tout à fait nouvelles d’interpréter la réalité qui s’affrontent, de deux façons rationnelles mais inconciliables de voir d’où vient le plus grand danger, de choisir notre avenir et notre engagement.

    Arnaud Imatz (Perspectives libres, 12 mars 2019)

     

    Notes :

    [1] Ce résumé a été fait à partir de notes rassemblées pour la conférence Par delà droite et gauche, au Cercle Aristote, présidée par Pierre Yves Rougeyron, le 10 octobre 2016 et pour une série de trois programmes de radio sur la droite et la gauche dans le cadre de l’émission Platon Regresa a la caverna du philosophe Domingo González et du politologue doyen de Faculté Jerónimo Molina Cano,  les 30 novembre, 7 et 14 décembre 2018.

    [2] À l’arrière plan il y a bien sûr la triple fracture entre les partis politiques critiques de la mondialisation radicale menée à bien depuis plus de trente ans par l’oligarchie dominante (politique, économique, financière et culturelle), dont les positions sont tantôt altermondialistes, internationalistes et crypto-marxistes (Podemos, Syriza ou La France insoumise), tantôt antimondialistes, ces derniers se divisant à leur tour entre, d’une part, les libéraux-conservateurs qui poursuivent l’union ou l’alliance des droites (comme Marion Maréchal Le Pen en France ou les leaders de Vox en Espagne), et, d’autre part, la tendance républicaine et laïque « simultanément de droite et de gauche » qui incarne une ligne cherchant à synthétiser les aspirations identitaires et souverainistes, les idées de patrie et de justice sociale (comme le Front National d’hier avec Florian Philippot ou le Rassemblement National de Marine Le Pen aujourd’hui).

    [3] C’est aussi le cas d’un autre des fondateurs de la Nouvelle Droite le journaliste  Michel Marmin (voir : M. Marmin et Eric Branca, Droite + Gauche, Paris, Éditions Chronique, 2016).

    [4] Depuis la droite, Jean-Louis Harouel, Droite-Gauche : ce n’est pas fini, Paris, Desclée de Brouwer, 2017 et Guillaume Bernard, La guerre à droite aura bien lieu. Le mouvement dextrogyre, Paris, Desclée de Brouwer, 2016 et, sur le versant de gauche, Jacques Julliard, Les gauches françaises 1762-2012, Paris, Champs Histoire, 2013 ou Carlo Galli, Perché ancora destra e sinistra, Bari, Laterza, 2013. Voir aussi : Marco Revelli, Post-Sinistra, Bari, Laterza, 2014 et Sinistra Destra : L’identita smarrita, Bari, Laterza, 2014.

    [5] Sur l’envie égalitaire de gauche et l’esprit d’émulation de droite voir Gonzalo Fernández de la La envidia igualitaria, Madrid, Planeta, 1984, Altera, 2011. Sur le principe d’égalité synthèse de la politique de gauche voir : Norberto Bobbio, Droite et gauche, Paris, Seuil, 1996 ; Esperanza Guisán, La ética mira a la izquierda, Madrid, Tecnos, 1992 et Ted Honderich, Conservatism, Londres, H. Hamilton, 1990.

    [6] Sur l’égalitarisme face à l’aristocratisme spirituel voir Jean Jaelic, La droite cette inconnue, préface G. Marcel, Paris, Sept couleurs, 1963.

    [7] On pourrait évoquer ici la raciologie ou le racialisme de la gauche modérée et radicale sous la IIIe République (la Société d’anthropologie de Paris, l’Institut d’ethnologie de Paris, le Musée de l’homme et, plus généralement, l’émergence et le développement de l’ethnologie et de l’anthropologie françaises de 1860 à 1930), ou encore l’eugénisme de la social-démocratie suédoise jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale. A noter que le « multiculturalisme » d’aujourd’hui est une forme d’internationalisme qui postule sans s’en rendre compte, du moins à ses débuts, une nouvelle forme de racisme. Significativement, les jeunes sociaux-démocrates suédois ont demandé que l’immigration soit encouragée afin de mettre fin à la race suédoise par la mixité raciale. On sait aussi que l’homophobie a longtemps marqué la pensée marxiste. Elle a été la norme à Cuba pendant toute la période de Fidel Castro.

    [8] Le malthusianisme extrémiste de l’écologiste de gauche Yves Cochet (voir sa déclaration à l’ Obs du 4 janvier 2019) lui aurait valu une volée de bois vert de la part des front-populistes des années 1930. Dans l’après-guerre, le malthusianisme (la contraception) était encore dénoncé comme une idéologie bourgeoise par le PCF, et en particulier par la femme de son Secrétaire général, Maurice Thorez, la député et sénatrice Jeannette Vermeersch.

    [9] La « préférence nationale » était le principe défendu par la gauche et le Front Populaire français dans les années trente. Les partis socialiste, radical et démocrate-chrétien et les syndicats comme la CGT marxiste s’accordaient à dénoncer le danger de l’immigration au nom de la défense de la main d’œuvre française. Voir les lois anti-immigrationnistes de 1923, 1926 et 1932 et les décrets de 1936, 1937 et 1938.

    [10] L’épuisement de la division D/G a été analysé tant à partir de la perspective  « historico-relativiste » que du point de vue « essentialiste ». On retrouve notamment l’approche essentialiste chez le meilleur spécialiste du conservatisme en Amérique du nord, l’historien et politologue Paul Gottfried (voir : Le Conservatisme en Amérique, Paris, L’Œuvre éditions, 2012). Gottfried affirme sans ambages: «Les différences politiques entre droite et gauche se réduisent de nos jours à des désaccords insignifiants entre groupements qui rivalisent pour l’obtention de places. En fait, ils ergotent sur des vétilles. Le débat est très encadré; il a de moins en moins d’intérêt et ne mérite aucune attention. » P. Gottfried, Nouvelle Revue d’Histoire, septembre-octobre 2011, p. 32. Voir aussi sur le thème « ¿Derecha- izquierda ¿Una distinción política? », Elementos, nº 63 avec les contributions de A. de Benoist, J. Ruiz Portella, J. J. Esparza, H. Giretti, A. Buela, D. Sanmarán, J. Estefania, F. Fernández Buey, A. Giddens, N. Bobbio etc.

    [11] L’ordo-libéralisme considère que les marchés ont besoin d’un cadre éthico-juridico-politique pour assurer la survie des valeurs libérales. Sur l’ordo-libéralisme (premier néolibéralisme) opposé au paléo-libéralisme, à l’ultralibéralisme, au libertarianisme et au néolibéralisme anglo-saxon du tournant du XXIe siècle voir A. Imatz, « Wilhelm Röpke et la troisième voie », Cercle Aristote, 6 juin 2017, http://cerclearistote.com/2017/06/wilhelm-ropke-et-la-troisieme-voie-neoliberale/

    [12] Voir Chantal Delsol, Populismes : les demeurés de l’histoire, Paris, Le Rocher, 2015 et Alain de Benoist, Droite- Gauche, c’est fini. Le moment populiste, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2017.

    [13] En pleine irruption des Gilets jaunes, mouvement populaire anti-oligarchique, le président Emmanuel Macron affirmait contradictoirement être un « progressiste » luttant contre la « lèpre nationaliste» (1er novembre 2018) et, très peu de temps après, « nous sommes des vrais populistes » (devant une assemblée de maires, le 21 novembre 2018).

    [14] Voir Dalmacio Negro Pavón, La ley de hierro de la oligarquía, Madrid, Ediciones Encuentro, 2015.

    [15] L’Italien Marcello Veneziani parle de lutte « entre culture communautaire et culture libérale » (M. Veneziani, Sinistra e destra, Firenze, Vallechi, 1995). Quant au sociologue Emmanuel Todd, il se réfère a la nouvelle lutte entre « démocratie xénophobe » (nationale) et « empire autoritaire » (européen) (E. Todd, entrevista « L’État ne peut pas être incarné par un enfant », Atlantico, 20 décembre 2018).

     

     

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  • Comment expliquer ses échecs idéologiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et dans lequel il montre que le progressisme dénie toute légitimité à sa contestation. Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Les ratés du faire croire

    L’idéologie, trop vite congédiée par les partisans du « il n’y a pas d’alternative » ou de la « fin de l’Histoire » à la Fukuyama, revient et au galop. Son spectre hante l’Europe, ou, du moins, les européistes : populisme, illibéralisme, nationalisme, conspirationnisme, et autres vilains mots en isme...

    Ainsi, pour le « progressiste » (libéral, social et européen) de type macronien, tout s’explique par les fantasmes identitaires des oubliés de la mondialisation, par la puissance corruptrice des discours de haine, par les ratés de notre système d’éducation et d’intégration au nom de nos « valeurs », ... Quand il ne recourt pas tout simplement aux vieux clichés de classe, notamment à propos des Gilets jaunes : des abrutis, nourris de stéréotypes (antisémites, homophobes, anti-élites, contre la presse, les riches, les bobos, etc.) donc poussés uniquement par le ressentiment, incapables de s’organiser. Leur infériorité congénitale explique comment ils ne pensent pas bien. Voire ne pensent pas du tout.

    L’idéologique est d’abord réduit au psychologique (voire, plus ou moins consciemment, au biologique : ces gens sont tarés ou, comme le disait sans gêne Gaspard Gantzer, ils ont un petit QI). La thématique de réduction aux catégories mentales (haine, stéréotypes persistants, troubles identitaires...) s’inscrit dans la logique du mépris que nous avons évoquée (voir la série d’articles).

    On notera au passage que cette thématique du mépris (y compris face à la haine supposée des classes dangereuses) est nettement passée à gauche, alors qu’il était longtemps une marque de la droite réactionnaire la plus décomplexée. Il est mon adversaire parce qu’il est mon inférieur.

    Mais le second grand type d’explication recourt au principe de causalité diabolique. Nous l’avons exploré dans notre livre Fake news (depuis quelques jours en version « la manipulation en 2019 » actualisée et augmentée).

    Globalement une partie des élites attribue tous les événement fâcheux des deux dernière années Brexit, élection de Trump, référendum catalan, élections italiennes, demain résultat des élections au Parlement européen à une action délibérée des désinformateurs (notamment russes). Plus récemment l’affaire Benalla, la montée des Gilet jaunes ou même la mise en cause de notre pays par l’Onu pour brutalités policières : tout cela a été présenté comme le résultat d’influences étrangères. Lesquelles au fait ?
    Les Russes font figure de suspect habituels (rôle longtemps tenu par les Chinois). Mais les méchantes « sphères » sont aussi suspectes de saboter la démocratie à grands coups de mensonges numériques.

    Récemment, le Monde (8 mars 2019) a trouvé de nouveaux suspects. Comme le milliardaire américain Robert Mercer, qui, avec sa fille, et à travers le fond d’investissement Renaissance Technologies, financerait des campagnes pro Trump via les « alt-right », plus un think tank néoconservateur (Gatestone), et un journal canadien the Rebel (dont un salarié avait contribué à diffuser les Macronleaks) tout cela s’intéressant beaucoup à l’Europe et offrant parfois des contenus en français. Le journal rapproche aussi des activités du centre Horowitz connu pour ses opinions anti-islam ou du think tank Middle East Forum à la fois ultraconservateur et très pro-sioniste. Il y aurait des bourses, des financements, des vidéos en ligne, des soutiens à des activistes de droite comme Tommy Robinson aux États-Unis.
    Tout cela est sans doute vrai et, pour notre part, nous n’avons jamais douté qu’il y ait aux États-Unis de riches partisans de Trump et d’Israël qui financent des fondations, des messages en ligne ou des médias internationaux.

    De même que nous n’avons jamais douté qu’il y ait eu des milliardaires US qui aient milité contre le communisme ou pour l’Europe libérale. Nous n’avons jamais douté que George Soros ne donne des sommes considérables à des mouvements ou médias libéraux anti-Orban, anti-Trump, pro révolutions de couleur pro-UE, ou pro société ouverte. Et cela pour l’excellente raison qu’il le dit lui même et s’en vante. Pas davantage, nous ne doutons que les médias français soient pour une bonne entre les mains de 9 milliardaires qui ne sont pas trop favorables aux populistes ou aux Gilets jaunes. Ou qu’il existe des réseaux d’influence libéraux à travers la planète.

    La vraie question est : en quoi une ingérence anti-UE, anti-libérale, qu’elle soit menée par des États ou par des milliardaires pervertis, serait-elle en mesure de fausser la démocratie ? Pourquoi les « bonnes » influences laisseraient-elles de marbre les électorats populistes d’Europe et pas le contraire ? Quelle est la recette magique des méchants ? Et pourquoi la vérité serait-elle impuissante à triompher du mensonge, elle qui a à son service tant de gouvernements vertueux, de médias mainstream, d’ONG de bonne volonté et d’internautes profondément vertueux ?
    Nous développerons dans d’autres billets la critique de ces deux arguments majeurs de l’idéologie dominante (en disant « idéologie dominante », nous voulons simplement dire que dans toute société, s’il y a au moins deux idéologies, il y en a forcément une qui prédomine). Mais il faut aussi se poser la question complémentaire : qu’est-ce qui pousse les tenants des conceptions prédominantes à attribuer leurs échecs (leur incapacité à faire croire les masses) à des facteurs aussi triviaux que les mauvais instincts desdites masses ou les manœuvres vicieuses d’une poignée de manipulateurs ?

    L’explication est probablement que ce type d’explication satisfait les dominants. Pour eux, l’idéologie est le mal psychique par excellence : l’ignorance de la réalité (fake news, fantasmes et compagnie) constitue son terrain favorable car elle nourrit les passions tristes (obsession identitaire, haine de l’autre). À moins que les discours idéologiques anti-systèmes (donc anti-démocratie puisque nous avons été élus), ne soient que les indices d’une gigantesque opération de désinformation, surtout en ligne : haine envers le Vrai, le Beau, le Juste plus falsification de la réalité . Opération menée par les Russes, les Chinois, les islamistes, les extrémistes : le succès des idées non conformes ne peut ressortir qu’au ressentiment ou à la conspiration. La solution serait de rééduquer ou d’inclure, non de confronter des intérêts ou des projets. Éventuellement, il faudrait contrôler les réseaux sociaux...

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 9 mars 2019)

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  • Et si l'Europe changeait de cap ?...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Hervé Juvin, réalisé par Edouard Chanot pour son émission Parade - Riposte, et diffusé le 6 mars 2019 sur Sputnik, dans lequel il évoque la nécessité de changer les objectifs et le fonctionnement de l'Union européenne. Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

     

                                   

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  • Les médias et la vérité, le grand mensonge...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Vivien Hoch, cueilli sur Polémia et consacré au rapport ambigu des médias à la vérité. Docteur en philosophie, Vivie Hoch est entrepreneur.

     

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    Les médias et la vérité, le grand mensonge

    La devise du New York Times énonce : « Toutes les nouvelles qui méritent d’être imprimées ». Il n’y a rien de plus faux. Chaque jour, le journaliste détermine ce qui est important, ce que nous devrions savoir. Il fait le tri entre les informations et choisit la manière de les présenter.

    Les journalistes des grands journaux se targuent de maîtriser leurs préjugés et de fournir une information « experte ». « Ils se voient comme les défenseurs des valeurs occidentales progressistes, nous protégeant des nouvelles qui ne méritent pas d’être imprimées, pornographie, propagande ou publicités déguisées en informations. Tels des conservateurs de musée, les rédacteurs du NYT organisent notre vision du monde », écrit Scott Galloway, professeur à la New York University, qui a été au comité de direction du New York Times [1]. « Lorsqu’ils sélectionnent les informations qui feront la une, ils établissent le programme des journaux radio et télévisés, la vision dominante de l’actualité partagée par la planète ».

    Eugénisme médiatique

    Cette emprise des grands médias sur l’agenda démocratique, ce dépistage des événements avant qu’ils ne naissent comme information, tout cela constitue un eugénisme médiatique. Ne naissent que les informations sélectionnées ; les autres sont écartées, supprimées, passées sous silence. C’est une ontologie de la radiographie : tout événement est transformé en fonction de l’éclairage – ou de l’obscurité – qu’on lui donne. On ne peut pas comprendre le contexte général de Fake news, sans parler des Ghost news (nouvelles fantômes), ces événements ou ces propositions (partis politiques, mobilisations, associations) délaissés par les médias nationaux, passées sous les lumières médiatiques, devenues par-là fantomatiques. Il y a pire que d’être roulé dans la boue par les médias : il y a le fait de ne même pas avoir d’existence à leurs yeux, ce qui bloque toute possibilité de participer au débat démocratique.

    Au fond, comme l’écrit Umberto Eco, la télévision « parle de moins en moins du monde extérieur. Elle parle d’elle-même et du contact qu’elle est en train d’établir avec son public. » [2]. Elle tente de survivre au pouvoir d’un téléspectateur qui est devenu actif, en devant plus agressive, en parlant plus d’elle-même. Cela se traduit dans les débats TV qui commentent l’actualité : les journalistes invitent des… journalistes pour discuter des thèmes choisis par des… journalistes. Nulle part n’intervient le monde extérieur. Nulle part un micro est tendu en-dehors de la sphère médiatique. L’un des signes de la radicalisation des médias est cet enfermement sur soi-même, cet entre-soi, qui contredisent l’essence même du média – être un médiateur.

    Cet enfermement médiatique remet en question profondément le fonctionnement démocratique. Le débat se déroule sur le terrain médiatique, qui est le lieu de confrontation des paroles et des vécus. Les médias vivent cette mission avec une contradiction intérieure, une double injonction. D’une part le journaliste veut rendre compte des faits le plus loyalement possible, d’autre part il se doit de respecter les versions des uns et des autres, parfois multiples et contradictoires, d’un même fait.Dans cette contradiction, le pouvoir médiatique a tranché : il est le garant de la véracité des débats parce qu’il est l’ « expert des faits ». Pour cela, il lutte contre les fausses informations : il fait de la « vérification de faits« (fact-checking). Ce qui résiste au fact-checking des médias et des experts médiatiques est qualifié de « faits alternatifs » (alternative facts). Il est vrai que le politique ne s’embarrasse pas toujours du souci la vérité,et lui préfère souvent l’efficacité et la communication : c’est le règne de la post-vérité (post-truth).

    Post-vérité, faits alternatifs et fact-checking sont les nouvelles topiques du monde médiatique. Leur signification profonde et la raison pour laquelle ils sont utilisés abondamment doivent être connus et maîtrisés. Revenons rapidement sur leur signification.

    La post-vérité, la vérité du monde

    La notion de vérité est au cœur de notre démocratie. Elle est le terrain de manipulation de toutes les dictatures et de tous les totalitarismes, qui prétendent la posséder et l’imposer. Cette disputatio démocratique entérine le règne de la « post-vérité ». Elle est aujourd’hui toujours au cœur de la guerre sémantique que se livrent une partie du peuple et le conglomérat de médias, d’intellectuels et autres ayants-droits qui pensent pour lui.  C’est surtout depuis l’apparition de Donald Trump et de ses militants que les journalistes ont commencé à parler du concept de post-vérité dans le débat politique. La post-vérité, tous les méchants la pratiquent – Donald Trump, les « populistes », les réactionnaires, les conservateurs. Le règne de la post-vérité, c’est l’apparition de personnalités qui manipulent l’opposition en exagérant les faits, en les travestissant ou encore en les imposants. C’est aussi cette masse immense de flux d’information sur les réseaux sociaux, qui échappe au contrôle des institutions et des médias classiques.

    En 2016, le dictionnaire d’Oxford a désigné l’expression post-truth comme mot de l’année [3]. Elle est définit comme « relative aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur la formation de l’opinion publique que l’appel aux émotions et aux croyances personnelles ». La définition est intéressante, car elle suppose qu’une objectivité des faits est possible, et que cette objectivité a une relation spécifique avec l’opinion publique. Evidemment, le constat d’une contestation contemporaine de l’existence d’une vérité absolue, soit le relativisme généralisé, n’est pas nouveau. Les « circonstances » qui font que la vérité est devenue négligeable, volatile, malléable, c’est notre culture toute entière. La post-vérité est une caractéristique de notre époque toute entière. La post-vérité est la vérité de notre monde. La Doxa, l’opinion fluide et contingente, soumise aux aléas a gagné sa bataille plurimillénaire contre le philosophe.

    En liant la post-vérité à la manipulation, les théoriciens du monde moderne ne sont pas si modernes. C’est une manière finalement assez classique de comprendre le politique depuis Machiavel [4]. Mais il est intéressant de noter que la post-vérité est associée à la manipulation de l’opinion via les émotions.Ainsi peut-on lire dans les médias que l’insécurité n’est que « ressentie », suggérant implicitement qu’objectivement elle n’existe pas. On comprend pourquoi la répression judiciaire s’abat sur les –phobies – techniquement des peurs, donc des sentiments, des états émotionnels. Ces derniers deviennent des faits objectifs susceptibles  d’être condamnées. Le monde du sentiment devient judiciarisable, donc contrôlable. La post-vérité est en cela une condition de possibilité du biopouvoir, qui désigne l’ensemble des techniques qui étendent leur contrôle sur la vie et les corps humains.

    Les faits alternatifs (alternative fact) : la coexistence des contraires

    Si on creuse l’idiosyncrasie mise en place pour décrire le règne de la post-vérité, on rencontre l’expression de « faits alternatifs ». La post-vérité, c’est l’utilisation systématique des « faits alternatifs » à des buts politiques. Le fait alternatif est plus que la possibilité de l’erreur ou la volonté de mentir : c’est la substitution coercitive d’une version des faits sur une autre. Une interprétation chasse l’autre, une version étouffe les autres versions, la coexistence des interprétations est impossible. Un fait alternatif n’est pas une erreur, c’est la possibilité ouverte qu’un fait soit autrement qu’il n’est réellement. Le concept de “faits alternatifs” veut dire non pas qu’il y a diverses interprétations, ou plusieurs versions des faits, mais désigne l’existence de faits et en même temps l’existence de la possibilité qu’il y ait d’autres faits à ceux-ci. Comme si la réalité possédait plusieurs facettes, qui coexistent au même moment, et qui sont parfois contradictoires. En 2017, la conseillère du président Trump, Kellyanne Conway, faisait référence à Nietzsche devant la presse pour justifier que les faits que voient les journalistes ne sont peut-être pas les faits que voient les gens. Selon le philosophe allemand, le réel est un jeu de forces contradictoires et mouvantes créant une multiplicité, et non une belle harmonie de «faits» identifiés et triés par « ceux qui savent ». Tout comme Nietzsche, le trumpisme détruit le piédestal de ceux qui imposent leur version des faits ; il introduit des alternatives là où on ne nous présentait que l’unilatéral et le commun.

    Le fact-checking : la pharmacopée du mensonge

    Chaque commentaire politique se présente avec une dimension heuristique, c’est-à-dire de recherche de la vérité. L’expert décrète la vérité des choses et des paroles. « Ceci est vrai ou faux / ce qu’il dit est un mensonge ou une vérité ». Les journalistes ont ainsi créé des cellules de riposte pour « vérifier les faits » ; autrement dit, pour dire si ce qui est dit coïncide avec leur propre version des faits, leur propre interprétation des textes et des chiffres. Ainsi les journalistes ne sont plus les rapporteurs des faits et des paroles, leur éditeurs, leurs commentateurs, mais ils sont devenus leurs juges. Les fonctionnaires du fact-checking irriguent une gigantesque pharmacopée virtuelle contre les prétendus « Fake News ».

    Selon eux, les populistes sont ainsi désignés parce qu’ils travestissent les faits afin de mentir sciemment. De nombreuses personnes accusent à leur tour les médias d’être malhonnêtes et de présenter les choses faussement. Dans cette violente dialectique, il n’y a pas de part au droit à l’interprétation. Aucune partie ne semble vouloir admettre la simple existence d’une “version des faits”. Ces parties se retrouvent souvent au tribunal, jugées à l’aune de lois souvent liberticides, qui consacrent la judiciarisation du débat public.

    Les Ghost-news ou le pouvoir d’invisiblisation

    Dans son histoire politique de la vérité, Michel Foucault montre « que la vérité n’est pas libre par nature, ni l’erreur serve, mais que sa production est tout entière traversée par des rapports de pouvoir » [5]. C’est le pouvoir, au sens large, qui impose sa version des faits avec toute la coercition dont il dispose : celle de la force en dernier lieu, pour le pouvoir politique, mais aussi celle de la masse, pour les médias importants, celle de l’expertise « irréfutable », pour les experts. C’est la fameuse formule de Thomas Hobbes, dans le Leviathan : « Auctoritas, non veritas facit legem – c’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi » [6]. Alors que la force est l’autorité du politique, l’irréfutabilité est celle de l’expert, celle des médias est la visibilisation.

    Quand les médias tournent en boucle sur un sujet, salissant un tel ou tel, adorant tel ou tel, la puissance est phénoménale. Quand les médias, à l’inverse, passent volontairement sous silence un événement, une initiative ou une démarche, il est quasiment mort-né.Les médias ont le pouvoir de rendre visible un événement, mais aussi de l’invisibiliser. C’est la Ghost-news.

    Quelle vérité ?

    On pourrait se demander quel est le concept de vérité qui fait les frais de ce dépassement (post-vérité), de la fausseté (Fake news) et du checking (factchecking). Pour le comprendre, il faut revenir à la définition pluriséculaire de la vérité – « Veritas est adaequatio rei et intellectus » – qui relève, à l’origine, de la théologie. Saint Thomas d’Aquin, dans la question 1 de son magistral De Veritate, interprète cette définition comme l’adéquation de l’intelligence divine avec les choses. Pour la créature, c’est un peu plus compliqué : ce que nous formulons des choses ne sont pas les choses. Il y a une inadéquation fondamentale, et c’est à cause de cette insuffisance gnoséologique que la vérité pleine et entière n’est pas accessible – sinon par la vie théologale – et suppose donc une perpétuelle auto-interprétation : c’est-à-dire une histoire.

    L’expert et son totalitarisme interprétatif

    Le problème de la vérité médiatique ne tient pas tant à l’adéquation du discours politique avec les faits, qu’à la manière dont le discours politique s’énonce et aux conditions dans lesquelles il est reçu. Les faits, lorsqu’ils sont humains – c’est-à-dire économiques, sociaux, éthiques, religieux – sont irréductibles à toute adéquation et à toute objectivité. On explique un événement physique, on comprend un événement humain. L’expertise réduit le fait humain à une explication causaliste. Sur le plateau de TV, l’expert, avec ses chiffres et son panache,pose son interprétation dans le marbre de la vérité médiatique. Il est indiscutable. Mais il ne rend pas compte de la profondeur du réel et des complexités humaines.La vérité de l’expert cache en fait un totalitarisme sémantique, qui empêche toute opinion concurrente de se manifester.

    ***

    Le média prétend donc restituer des faits objectifs sous le règne de la post-vérité, où il n’y a ni faits, ni objectivité. Il prétend confronter les interprétations, alors qu’il est un biopouvoir, où il domine et contrôle. Il prétend adresser un message à  un consommateur passif et captif, alors que, déjà, les consommateurs sont actifs et libres. Les individus hypermodernes ne poursuivent plus un bien commun univoque, un récit général. Il n’y a plus de grand récit collectif, et les compteurs – les médias institutionnels – sont en retard de plusieurs pages.

    Les grandes utopies qu’ils nous comptaient ne trouvent plus d’emprise sur le réel, parce qu’elles n’existent plus. Chacun poursuit désormais sa micro-utopie, et est en droit de médiatiser son vécu. L’uberisation de la prise de parole politique a définitivement éclaté les canaux habituels. Il suffit d’un smartphone pour ouvrir une chaine Youtube politique, qui a potentiellement des millions de vues ; les initiatives se sont décentralisées, les prises de parole ont abondées, le sens est devenu multiple. On assiste à la fois à l’émergence massive d’une vague d’auto-entreprenariat médiatique, où chacun s’exprime directement, et à la radicalisation des contestations du pouvoir.S’accrocher aux récits collectifs racontés par les médias institutionnels, c’est trainer les pattes derrière l’autoroute de l’histoire.

    Il nous manque peut-être une rigueur personnelle qui permettrait de nous libérer de ces grands récits médiatiques. Qui nous transformerait définitivement, non plus spectateur, mais en acteur du monde.

    Vivien Hoch (Polémia, 11 février 2019)

     

    Notes:

    [1] Scott Galloway, Le règne des quatre, trad. Fr. Edito, 17 mai 2018, p. 172

    [2] Umberto Eco, « TV : la transparence perdue », La Guerre du faux, Poche, 1985, p. 197

    [3] https://en.oxforddictionaries.com/word-of-the-year/word-of-the-year-2016

    [4] Machiavel, Le Prince, chap. XVIII « Il faut que le prince ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon le vent et les accidents de la fortune le commandent ».

    [5]  Michel Foucault, La Volonté de savoir, Gallimard, 1976, p. 81

    [6] Thomas Hobbes, Léviathan, trad. G. Mairet, chap. XXVI, « Des lois civiles », Paris, Gallimard (coll. « Folio Essais »), 2000 : « Dans une cité constituée, l’interprétation des lois de nature ne dépend pas des docteurs, des écrivains qui ont traité de philosophie morale, mais de l’autorité de la cité. En effet, les doctrines peuvent être vraies : mais c’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi. »

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  • Les Gilets jaunes et les ambiguïtés du populisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Xavier Eman à l'Academia Christiana dans lequel il évoque le populisme et le mouvement des Gilets jaunes.

    Animateur du site d'information Paris Vox , rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur d'un recueil de chroniques intitulé Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016) et d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).

     

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    Les Gilets jaunes et les ambiguïtés du populisme

    Quel regard portez-vous sur ces dirigeants que l'on nous présente comme des "figures populistes" : Trump, Orban, Bolsonaro, Salvini ?

    Tout d'abord, cette simple énumération révèle toute la problématique et l'ambiguïté du concept de populisme tant ces personnalités sont diverses et n'incarnent pas les mêmes réalités politiques. Elles n'ont pratiquement rien de commun entre elles si ce n'est l'opprobre que leur voue la pseudo-élite politico-médiatico-intellectuelle d'Europe de l'ouest qui les rassemble de force sous le même étendard. Quel rapport, quelle communauté d'intérêts, entre un l'ex-communiste Salvini et le milliardaire libéral Trump, le protectionnisme de l'un se heurtant à celui de l'autre, les frappes militaires de l'un encourageant le chaos géopolitique que subit l'autre de plein fouet? A la rigueur on peut trouver comme seul point de convergence une certaine opposition à l'immigration incontrôlée. Sans rien nier de l'importance fondamentale de cette problématique, cela fait tout de même bien peu pour fonder une quelconque unité politique...

    D'un point de vue personnel, j'ai plutôt, pour le moment, du respect et de la sympathie pour la politique d'Orban et de Salvini, beaucoup moins pour celle de Trump (qui semble avoir des mérités en interne, mais je ne suis pas américain...) et encore moins pour Bolsonaro... De façon générale, je pense qu'il faut se méfier des excès d'enthousiasme, surtout quand il s'agit de situations étrangères que l'on connaît souvent fort mal, et toujours conserver un regard critique. Se réjouir (ou non) d'une élection en fonction du fait qu'elle navre plus ou moins les chroniqueurs bobos des rédactions parisiennes est vraiment le degré zéro de la réflexion politique...

    Qu'est-ce que le mot "populisme" vous inspire ?

    Un sentiment ambivalent dirais-je… D'une part, ce terme est tellement vilipendé, dénigré, méprisé par les élites oligarchiques et leurs domestiques médiatiques, qu'on pourrait avoir tendance , instinctivement, épidermiquement, « affectivement », à se l'approprier, à le défendre et à le revendiquer. Mais d'autre part, c'est un terme tellement vaste, tellement flou, tellement fourre-tout, qu'il ne me semble pas pouvoir représenter, incarner, concrétiser une véritable alternative, et encore moins un processus révolutionnaire. Une révolution exige une cohérence globale, un programme clair et solide, une alternative construite, cohérente, des cadres formés, etc. Or le « populisme » est avant-tout un phénomène de l'ordre du ressenti, du spontané, de l'affectif et du circonstanciel , qui a certainement ses qualités, mais aussi, très clairement, ses limites.

    Peut-on s'emparer de ce terme, lancé initialement comme une accusation par la gauche morale, et le revendiquer avec un contenu vraiment révolutionnaire ?

    Je ne pense pas, ne serait-ce que parce que c'est l'ennemi qui l'a imposé dans le débat public. Utiliser le vocabulaire de l'adversaire, c'est déjà une première défaite, c'est s'avancer sur le terrain choisi par l'autre. C'est en tout cas un terme à mon avis à manier avec la pus grande prudence, pour éviter de tomber dans la démagogie et dans une sorte de « systématisme inversé » qui nous pousserait à défendre toute action, tout mouvement ou tout phénomène qui serait dénoncé, à un degré ou un autre, par nos adversaires et leurs relais journalistiques comme étant justement « populiste ».

    Ce ne sont pas les éditorialistes de Libé ni les journalistes de BFM qui doivent définir et programmer notre agenda politique et nos affinités idéologiques. Par exemple, pour reparler d'une personnalité précédemment citée, si je suis un identitaire et un écologiste sincère, je ne vais pas me mettre à défendre et à louer un Bolsonaro qui veut encore accroître l'exploitation de la forêt amazonienne et « retirer le moindre pouvoir » aux populations indigènes indiennes... Et ce même si le dit Bolsonaro est présenté comme un « méchant facho » par les médias du système que par ailleurs je combats... Il faut se pencher sur la réalité des faits, des idées, des programmes, des actes, pour juger et jauger, et non sur le traitement médiatique de ceux-ci.

    Quel est l'ennemi numéro 1 d'un populisme authentique et comment lutter contre lui ?

    Pour moi le « populisme authentique » est le sens de l'intérêt général et le souci du bien commun. Il ne se confond donc aucunement (en tout cas pas de façon automatique) avec les soubresauts des masses, par nature vélléitaires. Je crois qu'il y a deux façons de faire le malheur d'un peuple : le nier et le diviniser, affirmer qu'il a toujours tort ou croire qu'il a systématiquement raison. Je n'ai jamais été démocrate – je ne crois pas à la validité par nature d'un choix majoritaire – et ne vais pas changer simplement parce qu'une cette majorité semble – à un instant T – adopter des positions plus ou moins proches des miennes ou même seulement vaguement « réactionnaires »... Pour moi le véritable « populisme authentique », c'est écouter et entendre le peuple pour bien savoir l'orienter et le diriger, mais certainement pas le suivre aveuglément ni se mettre à la remorque de tout mouvement collectif de plus ou moindre grande envergure, si « sympathique » puisse-t-il paraître au premier abord. Donc, pour moi, l'ennemi numéro du « populisme » c'est l'excès de populisme, qu'on pourrait appeler « populo-démagogisme » ou « populaciérisme ».

    La meilleure façon de lutter contre ce danger est d'avoir une colonne vertébrale idéologique et un corpus doctrinal solide, qui peut bien sûr s'adapter à de nouvelles problématiques et à la survenance d'événements particuliers, mais ne doit pas être soumis au moindre des aléas de l'opinion publique.

    Les Gilets jaunes sont-ils populistes ?

    Oui, dans le sens où ils mettent en avant des préoccupations diffuses dans une large part de la population et que leurs membres appartiennent à un spectre « socio-professionnel » assez large. Mais aussi nombreux soient-ils, ils ne restent qu'une « partie du peuple ». C'est d'ailleurs l'un des autres écueils du « populisme » : que chacun choisisse « SON » peuple, qui serait le seul légitime et digne d'incarner la France, débouchant sur une sorte de « communautarisme » de peuples « choisis » au sein de la nation, qui viendrait s'ajouter aux autres communautarismes qui atomisent déjà la société (religieux, ethnique, sexuel). Or, même s'ils me déplaisent davantage, les 60 % d'électeurs de Macron sont autant « le peuple » que les Gilets jaunes... D'ailleurs Macron lui-même pourrait être considéré comme un président populiste si l'on se base sur ses thèmes de campagne (« Sortir les sortants ! », « Place à la société civile ! », « Changement, jeunesse, modernité ! »), ses méthodes d'action et ses scores électoraux. Comme quoi un populisme peut en chasser un autre, et un populisme peut également très bien servir de marche-pied à un candidat de la finance mondialiste.

    Comment voyez-vous l'avenir de ce mouvement ?

    C'est toujours un exercice fort délicat que de faire des prévisions. Je pense que les choses dépendront beaucoup de l'intelligence politique de Macron, qui n'en manque pas. S'il sait doser un habile mélange de fermeté et une ou deux concessions symboliques, on peut penser que tout le monde rentrera à la maison. Sans cela, il est possible que le mouvement perdure mais je peine à lui voir des concrétisations politiques sur le long terme. On est plus bien proche de la jacquerie que de la révolution. Et il n'y a rien de dédaigneux dans ce constat. Dans une époque aussi amorphe et anesthésiée que la nôtre, les « gilets jaunes » restent un salutaire rappel du fait que tous les français ne sont pas prêts à se laisser martyriser ni à disparaître paisiblement et sans bruit.

    Que pensez-vous du RIC ?

    Je suis en fait assez circonspect. Bien sûr, je suis favorable à davantage de démocratie directe mais surtout locale. Pour moi, le RIC doit être articulé avec le principe de subsidiarité. La proximité de prise décision me parait fondamentale et tout ce qui peut-être réglé au niveau « le plus proche » doit l'être... Par contre, l'idée que « le peuple » puisse et doive décider « de tout » par voix référendaire me paraît à la fois aberrant et dangereux. C'est la porte ouverte à la pire des démagogies. Il me semble évident qu'un gouvernement digne de ce nom doit savoir également prendre des mesures impopulaires, posséder une hauteur de vue et une vision à long terme que n' a pas (et n'a pas vocation à avoir) le français lambda (ce qui n'a rien de honteux). Non, la majorité n'a pas toujours raison et le Bien Commun, l'intérêt général, le Vrai doivent parfois s'imposer aux aléas des modes, des mouvements d'opinion, des intérêts et préoccupations circonstancielles. La nullité actuelle des organes représentatifs ne doit pas non plus, par réaction, nous faire surévaluer ou fantasmer le « bon sens » et la « clairvoyance » du « peuple » (le fameux « pays réel » qui pris un sacré coup dans l'aile depuis Maurras). Quand aux gens « de chez nous » qui pensent que les résultats des RIC iraient majoritairement « dans notre sens » (sur l'immigration, la peine de mort, l'IVG, le mariage pour tous, la GPA, etc.) je pense qu'ils sont très naïfs ou exagérément optimistes. Et qu'ils ont, de plus, la mémoire courte concernant la versatilité des masses.

    Xavier Eman, propos recueillis par Julien Langella (Academia Christiana, 12 février 2019)

     

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