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occident - Page 23

  • Les iconoclastes de Palmyre sont des barbares mais pas des idiots !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la guerre menée par l'Etat islamique au Proche-Orient...

     

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    « Les iconoclastes de Palmyre sont assurément des barbares, pas des idiots »

    Dans le jeu éminemment complexe de Daech au Proche comme au Moyen-Orient, jusqu’où ces islamistes de combat peuvent-ils aller ? Mais pour commencer, cet « État islamiste » est-il vraiment un État ?

    Alors qu’Al-Qaïda était entièrement déterritorialisé, Daech s’est aujourd’hui implanté sur un territoire grand comme la Grande-Bretagne, qui s’étend de Ramadi en Irak jusqu’à l’est de la Syrie. Ce territoire, doté d’une capitale de fait, Raqqa, est divisé en sept provinces dotées d’une administration locale, de services publics, d’une police et de tribunaux. Si l’on définit un État comme un « organe doté d’un pouvoir souverain s’exerçant sur un territoire et une population » (Frédéric Rouvillois), force est de constater qu’un an après la proclamation du califat, Daech est bel et bien en passe d’en devenir un. Il en est même d’ailleurs à battre monnaie.

    L’État islamique représente cependant un phénomène jusqu’ici inédit. Bénéficiant du savoir stratégique de certains anciens chefs militaires irakiens de l’époque de Saddam Hussein, il a su jusqu’à présent recourir à la fois au terrorisme et aux méthodes de guerre conventionnelles. Il a attiré des dizaines de milliers de volontaires étrangers et s’est emparé des zones énergétiques du désert syrien. Fait également nouveau : au lieu de dissimuler ses crimes de guerre, il leur assure la plus grande publicité, tant pour séduire ses sympathisants que pour jeter l’effroi chez ses ennemis. Tout cela est parfaitement mis en scène et très bien calculé. Les iconoclastes de Palmyre sont assurément des barbares, pas des idiots.

    La criminelle intervention occidentale en Libye a livré ce pays aux milices islamistes et déstabilisé tous les pays voisins de la zone sahélo-saharienne. La Tunisie est une poudrière. L’Algérie, que la chute des cours du pétrole a privée des moyens d’acheter la paix sociale, est à l’image de son président : à l’agonie. Malgré la popularité du roi, le Maroc est en voie de déstabilisation. L’Égypte résiste, mais elle est aussi travaillée de l’intérieur ; financièrement, elle dépend en outre des monarchies du Golfe. Au Proche-Orient, nous assistons à un enterrement de première classe des accords Sykes-Picot de 1916, qui avaient divisé la région en États-nations aux frontières aberrantes. Ces États-nations sont en train de céder la place à un espace mésopotamien où les nouvelles frontières délimiteront des entités sunnites, chiites et kurdes. L’Irak a déjà disparu, la Syrie s’est désagrégée. Plus loin encore, l’influence de l’État islamique se manifeste au Pakistan comme dans le Caucase et sur la Volga. L’islamisme radical de type néo-wahhabite a donc pour l’instant le vent en poupe.

    Les puissances occidentales combattent l’État islamique avec des bombardements aériens dont chacun sait que l’efficacité est toute relative. N’y a-t-il pas moyen d’agir autrement ?

    Il faudrait sans doute aller au sol, mais personne ne s’y résout. Devrait-on le faire ? En règle générale, on l’a bien vu jusqu’ici, les interventions extérieures ne font qu’ajouter du chaos au chaos. La complexité de la situation et les divisions endémiques parmi les forces en présence compliquent encore les choses. La France veut s’attaquer à l’État islamique, mais sans favoriser Bachar el-Assad, qu’elle devrait pourtant considérer comme son allié objectif. Elle colle aux intérêts saoudiens et qataris, pour de pures raisons de clientélisme financier. Elle s’aligne totalement sur les positions américaines, en faisant même de la surenchère (comme dans le dossier syrien ou sur le projet de traité avec l’Iran). L’Arabie saoudite ne s’occupe que de sa guerre contre les rebelles houthis du Yémen, qui sont soutenus par l’Iran. Les États-Unis se demandent maintenant s’il ne faudrait pas soutenir le front Al-Nosra, c’est-à-dire Al-Qaïda, contre Daech. La Jordanie est un protectorat américano-israélien. Et Israël souhaite avant tout la chute d’el-Assad dans l’espoir d’affaiblir le Hezbollah.

    La Russie a proposé la constitution d’une coalition au sol comprenant des forces irakiennes, syriennes et irakiennes, ce que l’Arabie saoudite a immédiatement refusé – d’où la récente décision du Kremlin d’appuyer plus directement el-Assad pour l’organisation d’une zone de défense dans le réduit alaouite du littoral, avec les villes de Tarse et de Lattaquié (les six premiers avions de combat MiG-31 ont déjà atterri à Damas).

    Dans cette région du monde, les deux principales puissances, l’Iran et la Turquie, ont comme point commun de n’être pas arabes, même si la première est chiite et l’autre sunnite. Que peut-on en attendre ?

    L’Iran, qui est un interlocuteur incontournable dans cette affaire, d’autant plus qu’il n’a aucune volonté de conquête, est jusqu’à présent resté dans une certaine réserve. Il ne changera de position que si Daech franchit une ligne rouge, par exemple la prise de Damas ou, pis encore, la destruction des sanctuaires de l’imam Ali ibn Abi Talib et de son fils Hussein dans les villes de Nadjaf et Kerbala. La Turquie, quoique membre de l’OTAN, veut avant tout empêcher la formation d’un État kurde, et combat donc en priorité les Kurdes, qui sont pourtant ceux qui luttent contre Daech avec le plus d’efficacité en Syrie. Dans le même temps, elle ferme les yeux sur le passage, par son territoire, de djidahistes venus du monde entier pour rejoindre l’État islamique.

    Tout donne donc à penser que nous sommes engagés dans un conflit de très longue haleine, ce qui ne déplaît pas à tout le monde. Comme l’a rappelé récemment Richard Labévière, « la lutte contre le terrorisme génère des millions d’emplois dans les industries d’armement, de communication, etc. Le terrorisme est nécessaire à l’évolution du système capitaliste, qui se reconfigure en permanence en gérant la crise […] Daech n’est donc pas éradiqué, mais entretenu. ». Face à un monde arabo-musulman en état de décomposition, l’Europe a perdu la main parce qu’elle n’a plus de politique proche et moyen-orientale cohérente. La notion-clé est celle de gestion sans résolution.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 9 septembre 2015)

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  • Poutine, la Syrie et l'Europe...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 17 septembre 2015 et consacrée aux raisons du soutien diplomatique et militaire de la Russie de Poutine au régime syrien...

     

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  • Une guerre de mille ans ?...

    Les éditions des Syrtes viennent de publier un essai de Guy Mettan intitulé Russie-Occident : une guerre de mille ans - La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Journaliste, Guy Mettan a dirigé la Tribune de Genève.

     

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    " Pourquoi les États-Unis et l'Europe détestent-ils tant la Russie ? Alors que la Russie ne représente plus une menace, que ses missiles ne sont plus pointés sur Berlin, que, fait sans précédent dans l'histoire, elle a dissous son empire sans effusion de sang, rendu leur liberté aux pays occupés d'Europe centrale et permis l'indépendance pacifique de quinze nouveaux États, la haine et le dénigrement de la Russie atteignent des proportions inouïes dans les médias, les cercles académiques et les milieux dirigeants occidentaux.
    Pour comprendre cet acharnement, devenu hystérique avec la crise ukrainienne, Guy Mettan remonte loin dans l'histoire, jusqu'à l'empereur Charlemagne. Il examine sans tabou ni a priori les lignes de forces religieuses, géopolitiques et idéologiques dont se nourrit la russophobie occidentale. Et démonte les ressorts du discours antirusse et anti-Poutine qui ont pour effet de repousser toujours plus loin les chances d'une vraie réconciliation. "

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  • Le progrès ? Point final...

    Les éditions Ovadia viennent de publier un essai de Robert Redeker intitulé Le progrès ? Point final. Philosophe, Robert Redeker, qui vit sous protection policière depuis près d'une dizaine d'années à la suite de la publication d'un texte hostile à l'islamisme, est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Egobody (Fayard, 2010) ou Le soldat impossible (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).

     

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    " La religion du progrès – le progrès étant le second Occident, la seconde universalisation de l’Occident après le christianisme – est morte. Plus personne ne croit au Progrès, qui a pris il y a deux siècles la succession de Dieu comme objet de foi collective. Le progrès est la croyance en un accomplissent de l’humanité dans l’histoire selon une fin donnée d’avance (le bien, le vrai, le juste). Cet accomplissement est supposé avec le bonheur et la perfection de l’humanité. C’est pourquoi le progrès peut être tenu pour l’opium de l’histoire : l’idée qui occulte la réalité tout en faisant rêver, comme dans les projets de paix perpétuelle, à une illusoire et réconfortante réconciliation finale de l’humanité avec elle-même. Cette dissection du cadavre du progrès passe, en toute logique, par la radiographie des annexes du progrès : l’utopie, le totalitarisme. Comment le progrès, ce catéchisme de la raison, a-t-il pu, à la semblance du sommeil de la raison, engendrer des monstres ? La question de l’éclosion puis du trépas du progrès est en effet aussi une question politique. La société contemporaine est aux prises avec les produits de la décomposition du progrès. L’auteur de ce livre retrace la généalogie de cette foi dans le progrès, inspecte les causes de son trépas, dessine les traits d’un monde post-progressiste. Pour y parvenir, il convoque la philosophie, l’art, la sociologie et la théologie. "

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  • Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé !...

    Les éditions Pierre Guillaume de Roux publient cette semaine un essai d'Hervé Juvin intitulé Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Économiste de formation, Hervé Juvin a élargi sa réflexion à l'histoire, à la géopolitique et à l'anthropologie, et a sans doute écrit deux des essais les plus importants publiés au cours des dix dernières années, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013)...

     

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    "Qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui ? Sinon le moyen de l’intérêt national américain. Gouvernance, création de valeur actionnariale, compétitivité et attractivité des territoires… Quatre expressions d’une idéologie, celle de la primauté de l’économie comme moyen de la puissance. Sans oublier le copié-collé d’une « culture » d’importation américaine : toute puissance de la com’, adoption du mariage pour tous, bientôt peut-être de la procréation médicalement assistée, dogme de l’indifférenciation des sexes, tiré de la théorie du genre qui fit fureur aux Etats-Unis voici vingt ans ; dévaluation de l’appartenance nationale, et déchéance d’un projet national fédérateur et identifiant, etc.
    Faire Europe oui mais à condition de rompre avec l’erreur de l’occidentalisme qui la dresse contre ses voisins et alliés naturels, de la Russie aux pays du sud, ceux sans qui elle ne se fera pas l’Europe ne participera à une renaissance de la civilisation qu’en affirmant la séparation nécessaire entre les cultures et les Nations, qui garantit leur diversité. Le rêve totalitaire d’un gouvernement mondial est la promesse de l’esclavage, et la négation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour en finir avec cette utopie qui a fait tant de mal, l’Europe doit réaffirmer l’importance politique de frontières internationalement reconnues, de la citoyenneté comme appartenance nationale exclusive de tout marché, et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats."

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  • Slobodan Despot: « Le traitement spécial réservé aux Russes et aux Serbes est motivé par leur insoumission »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Slobodan Despot, cueilli sur le site Philitt et consacré à la crise ukrainienne mise en parallèle avec la crise du Kosovo de 1999...

    Editeur, Slobodan Despot a notamment publié deux recueil de chroniques, Despotica (Xénia, 2010) et Nouvelleaks (Xénia, 2014), ainsi qu'un roman, Le miel (Gallimard, 2014).

     

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    Slobodan Despot : « Le traitement spécial réservé aux Russes et aux Serbes est motivé par leur insoumission »

    PHILITT : En 1999, l’OTAN et l’Occident ont déclenché une guerre au Kosovo en niant l’importance culturelle et historique de cette région pour le peuple serbe. Aujourd’hui, l’Occident semble ignorer l’importance de l’Ukraine pour le peuple russe. Avec 15 ans d’écart, ces deux crises géopolitiques ne sont-elles pas le symbole de l’ignorance et du mépris de l’Occident envers les peuples slaves ?

     

     

    Slobodan Despot : La réponse est dans la question. On agit de fait comme si ces peuples n’existaient pas comme sujets de droit. Comme s’il s’agissait d’une sous-espèce qui n’a droit ni à un sanctuaire ni à des intérêts stratégiques ou politiques vitaux. Il y a certes des peuples slaves et/ou orthodoxes que l’OTAN traite avec une apparente mansuétude — Croates, Polonais, Roumains, Bulgares — mais uniquement à raison de leur docilité. On ne les méprise pas moins pour autant. Cependant, le traitement spécial réservé aux Russes et aux Serbes est motivé par leur insoumission à un ordre global dont l’Occident atlantique se croit à la fois le législateur et le gendarme. On peut déceler dans l’attitude occidentale vis-à-vis de ces deux nations des composantes indiscutables de ce qu’on appelle le racisme. Le journaliste suisse Guy Mettan publie d’ailleurs ce printemps une étude imposante et bienvenue sur la russophobie.

    PHILITT : Comme l’explique Jacques Sapir, deux revendications légitimes se sont affrontées dans le cadre de la crise de Crimée : la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes et le respect de l’intégrité territoriale d’un État. Est-il possible, selon vous, de dépasser cette tension ?

    Slobodan Despot : La Crimée fut arbitrairement rattachée, on le sait, à l’Ukraine par Khrouchtchev dans les années 50, à une époque où l’URSS semblait appelée à durer des siècles et où, du même coup, ses découpages intérieurs ne signifiaient pas grand-chose. L’éclatement de l’Empire a soulevé de nombreux problèmes de minorités, d’enclaves et de frontières inadéquates. La Crimée est non seulement une base stratégique de premier plan pour la Russie, mais encore une terre profondément russe, comme elle l’a montré lors de son référendum de mars 2014. Les putschistes de Kiev, sûrs de la toute-puissance de leurs protecteurs occidentaux, ont oublié de prévoir dans leur arrogance que leur renversement de l’ordre constitutionnel allait entraîner des réactions en chaîne. Or, non seulement ils n’ont rien fait pour rassurer les régions russophones, mais encore ils ont tout entrepris pour que celles-ci ne songent même plus à revenir dans le giron de Kiev.

    De toute façon, le rattachement de la Crimée n’est, on l’oublie trop vite, que la réponse du berger russe à la bergère américaine, qui a jugé bon en 1999 de détacher à coup de bombes le Kosovo de la Serbie. Le bloc atlantique et ses satellites ont par la suite reconnu cet État mort-né malgré l’existence d’une résolution de l’ONU (n° 1244) affirmant clairement la souveraineté de la Serbie sur cette province. C’est au Kosovo qu’a eu lieu la violation du droit international qu’on dénonce en Crimée.

    PHILITT : Concernant le conflit ukrainien, chaque camp dénonce l’action d’agents d’influence en tentant de minimiser la spontanéité des événements. Quelle est la part de réalité et de fantasme de cette lecture géopolitique ?

    Slobodan Despot : Je rappellerai un cas d’école très peu connu. Toute la Crimée se souvient d’un incident gravissime survenu au lendemain du putsch de Maïdan, lorsque des casseurs néonazis bien coordonnés ont arrêté sur l’autoroute une colonne de 500 manifestants criméens revenant de Kiev, mitraillé et incendié leurs autocars, tabassé et humilié les hommes et sommairement liquidé une dizaine de personnes. Les médias occidentaux ont totalement occulté cet épisode. Comme il s’agissait de faire passer le référendum criméen pour une pure manipulation moscovite, il était impossible de faire état de cet événement traumatique survenu moins d’un mois avant le vote.

    Les exemples de ce genre sont légion. Le livre très rigoureux du mathématicien français Michel Segal, Ukraine, histoires d’une guerre (éd. Autres Temps), en décompose un certain nombre en détail. Il faut reconnaître que le camp « occidentiste » a l’initiative de la « propagande contre la propagande », c’est-à-dire de la montée en épingle d’opérations d’influence supposées. Il jouit en cela d’une complaisance ahurissante des médias occidentaux. Or, dans un conflit comme celui-là, où tous les protagonistes sortent des écoles de manipulation soviétiques, les chausse-trapes sont partout et seul un jugement fondé sur la sanction des faits avérés et sur la question classique « à qui profite le crime ? » permettrait d’y voir clair. Nous en sommes loin ! Le plus cocasse, c’est que l’officialité nous sert à journée faite des théories du complot russe toujours plus échevelées tout en condamnant le « complotisme » des médias alternatifs …

    PHILITT : Dans la chaîne causale qui va de la mobilisation « humanitaire » jusqu’à l’intervention militaire, quelle est la place exacte des intellectuels qui l’approuvent ? Sont-ils de simples rouages ?

    Slobodan Despot : Les intellectuels ont joué me semble-t-il un rôle bien plus important dans cet engrenage au temps de la guerre en ex-Yougoslavie. J’ai conservé les articles des BHL, Jacques Julliard, Glucksmann, Deniau etc… On a peine à croire, vingt ans plus tard, que des gens civilisés et hautement instruits aient pu tomber dans de tels états de haine ignare et écumante. Même le bon petit abbé Pierre, saint patron des hypocrites, avait appelé à bombarder les Serbes ! J’ai également conservé les écrits de ceux qui, sur le moment même, avaient identifié et analysé cette dérive, comme l’avait fait Annie Kriegel.

    Aujourd’hui, à l’exception burlesque de Lévy, les intellectuels sont plus en retrait. Ils vitupèrent moins, mais s’engagent moins également pour la paix. Mon sentiment est que leur militantisme crétin au temps de la guerre yougoslave les a profondément décrédibilisés. Leur opinion n’intéresse plus personne. Du coup, dans l’actualité présente, le rôle des agents d’influence ou des idiots utiles est plutôt dévolu à d’obscurs « experts » académico-diplomatiques, souvent issus d’ONG et de think tanks plus ou moins liés à l’OTAN. Ces crustacés-là supportent mal la lumière du jour et abhorrent le débat ouvert. Il est caractéristique qu’Alain Finkielkraut ait dû me désinviter de son Répliques consacré à l’Ukraine suite à la réaction épouvantée d’un invité issu de ce milieu à la seule mention de mon nom. À quoi leur servent leurs titres et leurs « travaux » s’ils ne peuvent endurer un échange de vues avec un interlocuteur sans qualification universitaire ?

    PHILITT : Bernard-Henri Lévy compare, dès qu’il en a l’occasion, Vladimir Poutine à Hitler ou encore les accords de Minsk à ceux de Munich signés en 1938. Cette analyse possède-t-elle une quelconque pertinence ou relève-t-elle de la pathologie ?

    Slobodan Despot : M. Lévy a un seul problème. Il n’a jamais su choisir entre sa chemise immaculée et la crasse du monde réel. Il se fabrique des causes grandiloquentes à la mesure de sa peur et de sa solitude de garçon mal aimé errant dans des demeures vides qu’il n’a jamais osé abandonner pour mener la vraie vie selon l’esprit à laquelle il aspirait. Je le vois aujourd’hui mendier la reconnaissance par tous les canaux que lui octroie son immense fortune — journalisme, roman, reportage, théâtre et même cinéma — et ne recueillir que bides et quolibets. Et je l’imagine, enfant, roulant des yeux de caïd mais se cachant au premier coup dur derrière les basques de son père ou de ses maîtres. Dans mes écoles, on appelait ces fils-à-papa cafteurs des « ficelles » et nul n’était plus méprisé que ces malheureux-là. Aussi, lorsque j’entends pérorer M. Lévy, je ne pense jamais à l’objet de sa harangue, mais à l’enfant en lui qui m’inspire une réelle compassion.

    PHILITT : Vous écriviez, pour annoncer une conférence qui s’est tenue à Genève le 25 février : « On a vu se mettre en place une « narratologie » manichéenne qui ne pouvait avoir d’autre dénouement que la violence et l’injustice. Si l’on essayait d’en tirer les leçons ? » Le storytelling est-il devenu la forme moderne de la propagande ?

    Slobodan Despot : C’est évident. Il se développe en milieu anglo-saxon (et donc partout) une véritable osmose entre l’écriture scénaristique et l’écriture documentaire. Cas extrême : le principal « document » dont nous disposions sur l’exécution supposée de Ben Laden en 2011 est le film de Kathryn Bigelow, Zero Dark Thirty, qui a tacitement occupé dans la culture occidentale la place du divertissement et de l’analyse, et de la preuve. La réussite cinématographique de ce projet (du reste dûment distinguée) a permis d’escamoter toute une série d’interrogations évidentes.

    Sur ce sujet du storytelling, nous disposons d’une enquête capitale. En novembre 1992, Élie Wiesel emmena une mission en Bosnie afin d’enquêter sur les « camps d’extermination » serbes dénoncés par la machine médiatique cette année-là. Ayant largement démenti cette rumeur, la mission Wiesel fut effacée de la mémoire médiatique. Par chance, il s’y était trouvé un homme de raison. Jacques Merlino, alors directeur des informations sur France 2, fut outré tant par l’excès de la campagne que par l’escamotage de son démenti. Il remonta jusqu’à l’agence de RP qui était à la source du montage. Son président, James Harff, lui expliqua fièrement comment il avait réussi à retourner la communauté juive américaine pour la convaincre que les victimes du nazisme de 1941 étaient devenues des bourreaux nazis en 1991. Il ne s’agissait que d’une story, d’un scénario bien ficelé. La réalité du terrain ne le concernait pas.

    Les stories simplistes de ce genre ont durablement orienté la lecture de cette tragédie. Ceux qui s’y opposaient, fût-ce au nom de la simple logique, étaient bâillonnés. Le livre de Merlino, Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire (Albin Michel), fut épuisé en quelques semaines et jamais réimprimé, et son auteur « récompensé » par un poste… à Pékin !

    PHILITT : Comment expliquer la faible mémoire des opinions occidentales ? Comment expliquer qu’elles aient « oublié » les preuves qui devaient être apportées de l’implication russe dans la destruction du MH-17 ? Le storytelling remplace-t-il, dans l’esprit du public, la causalité mécanique par une causalité purement morale ?

    Slobodan Despot : Nous vivons en effet dans une époque hypermorale — ou plutôt hypermoralisante. L’identification des faits est subordonnée à l’interprétation morale qui pourrait en découler. Si, par exemple, voir des « jeunes » molester une gamine devant votre immeuble risque de vous inspirer des pensées racistes et sécuritaires, vous êtes prié de ne pas constater l’altercation et de passer votre chemin. C’est très vil au point de vue de la moralité individuelle, mais correct selon la moralité sociétale. Une même « école du regard » a été imposée au sujet de la Russie. Au lendemain de la tragédie du vol MH-17, la sphère politico-médiatique s’est mise à conspuer le président russe en personne comme s’il avait abattu l’avion de ses propres mains. Aujourd’hui, plus personne n’en souffle mot, le faisceau d’indices étant accablant pour le camp adverse. Ces dirigeants et ces personnalités publiques disposent de suffisamment de jugeote et de mémoire pour mener rondement et même cyniquement leurs propres affaires. Mais dans un contexte impliquant l’intérêt collectif, comme la guerre contre la Russie, ils abandonnent tout sens de la responsabilité et du discernement et se comportent comme des midinettes hyperventilées. Leur tartufferie n’est même plus un vice, mais une composante anthropologique. Ils réalisent le type humain totalement sociodépendant que le nazisme et le communisme ont tenté de mettre en place avant d’être coupés dans leur élan.

    Slobodan Despot (Philitt, 10 mars 2015)

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