Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

europe - Page 25

  • Quel avenir aux empires ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à la question des empires. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

    Empire.jpg

    Quel avenir aux empires ?

    Nous sommes tellement convaincus que la démocratie à l’occidentale est l’étape finale de l’histoire que nous n’envisageons pas un instant que celle-ci puisse aller dans un autre sens. Cela résulte du fait que la démocratie étant sacralisée dans nos sociétés comme le bien par excellence, on ne voit d’alternative que dans ce qui parait être le mal absolu, et qu’on croit être l’opposé exact de la démocratie, le totalitarisme. Mais il y a d’autres configurations possibles, comme l’histoire l’a montré. Et notamment les empires. L’actualité met en outre les projecteurs sur la coupure en cours entre les démocraties occidentales et ce qu’on perçoit comme une alternative russo-chinoise, vue comme autoritaire, agressive et, précisément, impériale.

    On parle donc beaucoup d’empires. Mais avec beaucoup d’imprécision. Il y en a eu des formes variées dans l’histoire, mais le terme n’a son sens plein que pour désigner un pouvoir autoritaire, direct, sur un territoire vaste et relativement hétérogène, dépassant l’horizon d’une nation. C’est le sens qui sera retenu ici. Au sens strict il n’y a en plus vraiment aujourd’hui, tout au plus partiellement : le langage courant parle d’empire américain, pour ce qu’il est plus précis d’appeler une hégémonie.

    Est-ce à dire qu’il n’y en aura plus à l’avenir ? Non, et le contraire est même probable. Nous sommes en effet dans une période de transition : nos systèmes donnent bien des signes de faiblesse, les brassages de peuples s’intensifient notamment dans les pays avancés, de nouvelles puissances montent, et la guerre réapparaît là où on ne l’attendait plus. L’histoire va donc se remettre en mouvement. Or dans une période troublée et évolutive, la formule impériale a toutes ses chances. Ce qui ne veut pas dire que cela soit souhaitable…

    Qu’est-ce qu’un empire ?

    Le terme d’empire défini comme ci-dessus s’oppose à celui de nation. Ce qui caractérise sauf rares exceptions une nation est son homogénéité ethnoculturelle. L’empire, lui, est plurinational, même si une ethnie ou nation y domine. La problématique de l’empire se définit dès lors largement par rapport à la question nationale. Un des aspects de cette opposition est la question de la démocratie. Comme je l’ai montré ailleurs (Les Nations et leur destin), le système démocratique exige normalement de s’appliquer à une nation, homogène, ayant la même langue et la même culture. Une nation peut être démocratique (au sens large) ou pas, un empire normalement pas.

    Un empire est en général le fruit d’une conquête militaire, et le rapport de forces en reste une dimension essentielle. Certains sont plus ou moins éphémères, et sans trace historique ultérieure. Car ils durent en général moins que les nations au sens large, parce que plus complexes, et faute du support objectif que ces dernières trouvent dans le fait national. Mais on a des cas d’empires qui ont duré longtemps et joué un rôle significatif, ainsi Rome, ou la Chine impériale. Toutes deux se sont avérées capables d’offrir une possibilité réelle d’assimilation aux populations conquises et d’abord à leurs dirigeants. Par-là de tels empires ont adopté certains des traits d’une nation, et notamment une certaine unité linguistique. Et ils ont duré plus longtemps.

    L’expérience de l’Europe est tout à fait différente. L’histoire européenne n’a pas fourni de cas d’unification impériale et s’est même caractérisée par son éloignement de ce modèle, qui imprégnait pourtant les esprits encore au Moyen Âge. Cette grande fragmentation politique sur une base largement nationale est spécifique à l’Europe. Quant aux empires coloniaux européens à partir du XIXe, ils étaient clairement distingués de leurs métropoles. Celles-ci étaient des démocraties au moins partielles, nationales, et leurs empires non. Ils ont joué un rôle décisif pour modeler la planète telle que nous la connaissons. Mais fondés qu’ils étaient sur des principes contradictoires et sur un rapport de force transitoire, sans véritable assimilation, ils ont très peu duré.

    Empires et nations : forces et faiblesses

    On l’a dit, l’empire est une entité vaste, complexe, réunissant des parties hétérogènes. L’État-nation, lui, raisonne sur un seul peuple, un seul territoire, une seule communauté politique. La nation tend à homogénéiser et exclure ce qui n’entre pas dans son schéma, l’empire lui traite différemment les différents peuples. Il accepte la différence comme telle, moyennant soumission ; l’État-nation cherche à la dépasser. Cette hétérogénéité possible permet à un empire de gouverner, du moins un temps, des ensembles plus vastes et diversifiés, ce que la base nationale exclut. Les empires sont d’ailleurs souvent pragmatiques et flexibles, tant que leur pouvoir n’est pas remis en cause.

    L’existence de sous-communautés est relativement compatible avec les systèmes autoritaires et donc les empires. Mais c’est contradictoire avec une démocratie. Celle-ci suppose en effet que les élections se fassent sur la base d’un vote sur des options diverses, au sein d’une population suffisamment cohérente et homogène pour que la minorité accepte la loi de la majorité comme représentative d’un peuple auquel tous s’identifient. Si ce n’est pas le cas, la démocratie sera remise en cause et, au-delà d’elle, la vie commune et la solidarité qu’elle comporte.

    D’où une conséquence importante : l’empire (ou un autre système autoritaire) peut donner une réponse à la désagrégation de systèmes politiques, notamment démocratiques, si leur hétérogénéité notamment culturelle ou ethnique devient ingérable. Ce qui nous conduit à une interrogation importante pour notre époque. Au vu de l’hétérogénéité et des fragilités croissantes de nos constructions politiques, l’idée vient à l’esprit que les chances des empires à l’avenir sont loin d’être nulles, malgré leur limites.

    Des exemples d’empires dès aujourd’hui ?

    Où en est-on aujourd’hui ? Si nous n’avons actuellement plus d’empire au sens retenu ici, certaines situations méritent attention.

    Il y a d’abord actuellement plusieurs exemples intermédiaires, de pays pluriethniques ou plurinationaux, mais où l’une de ces nations ou ethnies est nettement majoritaire et structure l’État. Des exemples évidents en sont l’Iran, la Turquie, certains pays d’Amérique latine Ces minorités fortes subsistent, mais elles sont en position d’infériorité nette ; et donc cela peut durer.

    Le cas russe est à mettre à part. Il y a toujours eu dans l’empire russe comme en URSS une majorité russe, mais les minorités y étaient importantes. A l’époque, le pouvoir avait su se maintenir par un mélange d’autoritarisme et d’intégration habile d’élites locales, qui trouvaient une place dans le système impérial. Cet empire s’est désagrégé. Reste aujourd’hui une situation confuse. Il y a en Russie même des minorités appréciables, notamment musulmanes. En cela, elle se rangerait plutôt dans la série précédente. Mais le cas russe en diffère à deux titres, le premier étant la présence de minorités russes à l’extérieur, question sensible et reliée au passé impérial. Le deuxième est que la Russie ne considère pas ce qui relevait de l’empire russe ou de l’URSS comme complètement extérieur. D’une certaine façon, sa conception de soi et ses frontières ne sont pas clarifiées. D’où la question d’une permanence impériale dans la problématique russe.

    La Chine présente des traits analogues, avec ses minorités tibétaines, ouïgoures etc., mais en moins marqué : la prépondérance de l’ethnie chinoise y est massive ; en outre son territoire correspond très largement à celui de l’ancien empire et elle a peu de revendications historiques à faire valoir.

    A terme, la réémergence d’empires ?

    Un empire à l’ancienne suppose la conquête militaire par un pays de ses voisins. A première vue, il paraît ne pas y avoir de base pour cela dans le monde que nous connaissons aujourd’hui. En outre le maintien de l’hégémonie américaine dans des zones majeures de la planète rend l’exercice difficile.

    Il y a une exception possible, on l’a vu : la Russie. Mais en regardant de près, la réponse ne paraît pas non plus assurée. On note d’abord dans ce pays une hésitation entre le modèle impérial et un modèle national russe : l’invasion de l’Ukraine est-elle motivée par la remise en cause de sa réalité comme État, au profit d’une vision impériale ; ou n’assiste-t-on pas, de façon pas nécessairement consciente côté russe, à une affirmation ethnico-nationale proprement russe ? En tout cas l’agression a eu pour effet de souder un sentiment national ukrainien jusqu’ici flou, appelé à durer au moins dans la partie centre et ouest. De ce point de vue, l’invasion aura probablement ce résultat a priori paradoxal d’y faire basculer la problématique dans un sens national homogène, comme l’ont fait les nettoyages ethniques post-yougoslaves. S’agissant des autres minorités russes ou russophones de la périphérie immédiate, on pourrait imaginer une agression russe dans les pays baltes (mais la Russie se heurterait ici directement à l’Otan), ou au Kazakhstan. Mais là encore cela ne déboucherait pas sur un empire, et par certains côtés au contraire : on s’éloignerait de ce modèle pour se rapprocher d’une logique purement nationale (agressive en l’occurrence). Tout autre est la question des éventuelles ambitions russes au-delà de ce périmètre russophone, notamment dans sa zone de domination anciennement soviétique (Caucase, Asie centrale, etc.). Mais en supposant que la Russie en ait l’intention, elle ne paraît en état d’aller bien loin, au vu des limites de l’armée russe apparues en Ukraine, sans parler de celles de l’économie et de la démographie ; et elle se heurterait assez vite à d’autres puissances (Otan, et même Chine). Et ce serait a fortiori le cas au-delà de ces zones. Dès lors, la perspective véritablement impériale apparaît dans les années qui viennent plutôt limitée pour ce pays, au-delà d’une forme d’hégémonie sur une partie de l’ancienne URSS.

    La perspective impériale est en revanche bien plus plausible à terme plus ou moins éloigné dans le monde arabo-musulman, surtout avec le recul de l’hégémonie américaine. Ainsi dans le monde arabe où les États restent assez artificiels, et souvent sans base nationale propre suffisante. Par ailleurs, Turquie et Iran, en partie hétérogènes, ont été de vrais empires et s’en souviennent. La Turquie notamment, avec sa nostalgie ottomane soigneusement entretenue par R. Erdogan et la constitution progressive d’un rôle international qui pourrait assez vite tourner à l’empire. Mais un Iran dépassant l’impasse actuelle pourrait aussi entrer dans ce schéma.

    De même, la possibilité d’empires est tout à fait concevable à terme en Asie, notamment avec l’impressionnante émergence de puissances comme la Chine ou l’Inde. Certes, cela ne paraît pas être leur priorité dans l’immédiat, car elles sont pour l’essentiel axées sur leur montée en puissance, même si elles ne dédaignent pas d’exercer une forme d’hégémonie. Mais la situation pourrait évoluer à terme plus long. Et leur surpuissance par rapport aux pays voisins sera alors considérable.

    Une forme nouvelle d’empire : l’Europe ?

    Il est intéressant d’élargir le débat au-delà des empires classiques, construits sur une base guerrière. A notre époque on peut en effet envisager des processus différents d’évolution vers des formes politiques de type impérial. A terme plus ou moins long, dans un contexte instable où la confiance deviendrait très difficile, des formules robustes comme celle-là peuvent alors avoir leurs chances. La remarque vaut bien sûr d’abord pour les empires éventuels qu’on vient d’évoquer, des hégémonies pouvant devenir tellement prégnantes qu’elles ressemblent à des empires ; on pense alors naturellement d’abord à la Chine.

    Mais la question mérite d’être posée dans le cas de l’Europe. En fait, élément militaire mis à part, l’Union européenne ressemble quelque peu à un empire : ce n’est pas une nation mais elle est composée de nations variées ; elle constitue un pouvoir supranational en surplomb, qui se fonde certes en principe sur les démocraties nationales, mais tend à considérer le niveau national comme subalterne, historiquement dépassé, à réguler par en-haut. Ce pouvoir n’est pas élu directement comme un pouvoir politique national ; le ‘parlement’ est élu sur la base d’élections qui se font en fait sur des listes nationales ; l’exécutif n’est pas élu. Le pouvoir politique européen n’est donc pas véritablement responsable devant des électeurs. Ce pouvoir reste toutefois limité à certains domaines, même s’ils sont de plus en plus vastes ; on reste donc dans une situation intermédiaire.

    Comment peut-il évoluer ? Il ne peut pas se construire politiquement comme une démocratie nationale : il n’y a pas de peuple européen, ni de vie politique européenne. Il pourrait évidemment se rebâtir sur un projet différent, fondé sur ses nations, mais il ne prend pas ce chemin. Il peut bien sûr continuer de stagner dans un entre-deux bâtard sous hégémonie américaine : c’est le plus probable.

    Mais, hors une dislocation possible, on peut imaginer un autre scénario, surtout en cas de crise grave. Dans un contexte de fragilisation des systèmes politiques et économiques nationaux, dont les bases d’identification nationale ont été érodées, ce à quoi s’ajoute l’hétérogénéité croissante des populations vivant en Europe, avec une immigration massive qui peut encore s’accélérer, on peut imaginer, lors d’une crise très grave, un transfert de pouvoir massif, plus ou moins consensuel des états membres à Bruxelles, qui deviendrait tête d’une sorte d’empire. Cela dit, cet empire resterait un peu bizarre, du fait que militairement il est a priori peu probable à ce stade qu’il se détache de l’Otan et donc de l’hégémonie américaine. C’est donc un scénario, mais pas la plus forte probabilité.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 8 janvier 2023)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Grand Vieillissement et Grand Remplacement, les deux faces d’un même déclin...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy cueilli sur Polémia et consacré au vieillissement de la population européenne. Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

    Vieilles personnes.jpg

    Grand Vieillissement et Grand Remplacement, les deux faces d’un même déclin

    La parution récente et opportune du Grand Vieillissement de Maxime Sbaihi (Ed. de l’Observatoire) met en relief un phénomène prévisible depuis longtemps, mais écarté du débat public, qui menace notre civilisation et qui va, au minimum, poser des problèmes socio-économiques considérables.

    Bien documenté, le livre expose ces derniers avec clarté et pertinence, et il montre que la marge de manœuvre de leur résolution est plus qu’étroite. Dans cette perspective sombre, l’auteur suggère qu’en parallèle le Grand Remplacement, dont l’opinion publique fait trop grand cas selon lui (ce qu’il réitère lors d’une interview qu’il a accordée au Figaro), pourrait en être la contrepartie positive. Ce qui n’est pas démontré sur le plan économique déjà, étant donné que les entrants sont en immense majorité des gens sans instruction et sans aucune qualification. Et ce qui est faux et contreproductif sur le plan sociétal sachant, comme cela se constate partout en Europe occidentale, que le prix à payer est une hétérogénéisation fortement déstabilisante des populations et donc des sociétés, avec à terme et de manière inexorable la dissolution des nations souches. La preuve en est que d’après le think tank Policy Exchange, d’ici 2050 un Britannique sur trois sera issu d’une minorité ethnique. Dans le journal en ligne Atlantico, Jean-Paul Gourévitch précise que déjà, selon l’Office for National Statistics, les Blancs ne constituent plus que 45% des résidents de Londres. Et le démographe français fait remarquer que depuis 2014, le nombre des citoyens allemands a baissé de 1,5 million mais que le nombre de migrants venus s’installer en Allemagne a lui augmenté de 4,3 millions.  Le processus d’hétérogénéisation est bien en marche.

    Loin d’offrir une alternative, ou une compensation possible de l’un par l’autre, il faut admettre que le GV et le GR sont les deux faces d’un même déclin. Et, on peut le craindre, d’une fin de cycle des nations européennes, dont la cause première est la dénatalité autochtone en Europe, laquelle va de pair avec la chute de la fécondité des Européennes.

    Les deux grands mouvements démographiques que sont le GV et le GR conjuguent leurs effets néfastes au plan sociétal et civilisationnel, mais au plan économique également parce que le premier ne stimule aucun investissement et parce que le second n’apporte aucun progrès en termes de productivité. Mais, ils sont complémentaires par leurs logiques propres en ce sens où « la nature a horreur du vide » : les Vieux Blancs, nantis et sans descendance ou presque, acceptent d’être remplacés par les Jeunes Immigrés de toutes origines, que, soit ils rémunèrent pour les services qu’ils leur rendent et dont ils ont besoin, soit ils leur concèdent des dons sociaux, au titre d’une interprétation faussée et misérabiliste de l’Histoire.

    Ainsi, la transformation en cours des populations française et européenne peut être interprétée comme un effet de la « mécanique démographique » globale, et c’est ce qui est fait par tous ceux qui ne veulent pas voir les conséquences que le changement implique ; ou qui s’en satisfont.   Mais il faut bien dire aussi qu’elle engage la responsabilité générationnelle de ceux que j’appellerai, par facilité de langage, les « soixante-huitards et assimilés » et, bien entendu, et à plus forte raison, celle des gouvernants qu’ils ont élus, au moins depuis le début des années quatre-vingt, et cela sans exception. C’est à dire tous ceux qui, tantôt au nom d’un universalisme benêt et d’une vision linéaire et progressiste infondée de l’Histoire, tantôt au titre de leurs avantages financiers ou monétaires, petits ou grands, de leur confort, de leur jouissance, ont abandonné le culte de la continuité anthropologique, familiale et civilisationnelle, et concomitamment ont rejeté l’effort, la discipline du travail, le risque de l’innovation, préférant s’abandonner à la désindustrialisation et à l’endettement.

    Une telle évolution est la conséquence, à la fois, du penchant de la nature humaine pour la facilité en période de croissance et de prospérité, d’une part, et d’autre part, de l’idéologie dominante, à forte connotation mondialiste teintée d’une morale universaliste, conçue par les élites politiques, dont la pérennisation est rendue possible, d’après le diagnostic sévère mais juste du philosophe Patrick Tort à cet égard, par l’innocence ou la passivité des acteurs absorbés par la vie quotidienne, et par leur incapacité pour une majorité d’entre eux, pour différentes raisons, d’adopter une position critique quant aux discours qui leur sont servis.

    Les crises identitaires ou identitaristes qui secouent l’Occident aujourd’hui sont les témoins du changement par vieillissement et par substitution qui s’opère. Aux États-Unis, le Wokisme s’explique avant tout par un changement drastique dans les rapports de force démographiques internes : les dîtes minorités y sont de moins en moins minoritaires et de plus en plus sûres d’elles-mêmes ; elles y contestent ouvertement la culture et l’histoire de l’Euro-Amérique en déclin. En Europe, ce même changement signifie la fin du cycle national dans la mesure où les États y deviennent des conglomérats de communautés dénuées de toute mémoire collective (d’autant plus que la fin de l’histoire est aussi la fin de l’enseignement de l’histoire). Et la révélation ukrainienne ne doit pas faire illusion, tant son contexte est spécifique.

    Un retournement du cycle concerné, ou plutôt l’apparition d’un cycle européen authentique plus adapté aux réalités mondiales qui ne serait rien de moins qu’une seconde Renaissance, sont-ils encore envisageables ? On peut vraiment en douter. Mais il est possible aussi qu’une baisse forte de la prospérité et qu’une hausse parallèle et violente de l’insécurité en Europe, lesquelles sont loin d’être deux hypothèses improbables pour des causes multiples (en partie en raison des problématiques que soulève l’auteur du GV), pourraient bouleverser le contexte historique et ouvrir sur un futur que l’on ne peut jamais prévoir.

    Gérard Dussouy (Polémia, 6 janvier 2023)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • La Hongrie, son identité, son histoire et sa place dans l’Europe...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Ferenc Almássy, rédacteur en chef du Visegrad Post, à Ego Non et consacré à la Hongrie, à son identité, à son histoire et à sa place dans l’Europe...

     

                                           

    Sommaire :

    00:00 Introduction et présentation de F. Almássy

    11:28 Première partie - Les origines du peuple hongrois

    18:04 La thèse finno-ougrienne

    23:22 Une origine turque ?

    27:23 Des liens avec les Huns ?

    33:00 La dernière des grandes "invasions barbares" ?

    37:53 La bataille du Lechfeld

    46:07 Deuxième partie - Du royaume de Hongrie à la nation moderne

    56:10 Les invasions mongoles

    01:01:20 La reconstruction de la Hongrie

    01:07:13 Le roi Matthias Corvin

    01:16:22 La réforme et les conquêtes ottomanes

    01:33:52 L'Autriche et les Habsbourg

    01:46:22 Le traité de Trianon

    01:56:02 L'amiral Miklós Horthy

    02:07:50 La Hongrie communiste

    02:25:10 Troisième partie - La place de la Hongrie dans l'Europe moderne

    02:30:41 Le parcours de Victor Orban

    02:37:36 La vision du monde d'Orban

    02:53:24 Géopolitique de la Hongrie

    03:05:25 Perspectives du peuple hongrois

    03:16:46 Conseils de lecture

     

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Face au Système oligarchique, nous menons le bon combat...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré au combat contre le Système oligarchique....

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021) et dernièrement Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021).

    Braveheart_2.jpeg

    Face au Système oligarchique, nous menons le bon combat

    Nous devons affronter la nouvelle année avec une certitude forte : nous menons le bon combat ! Et nos adversaires se trouvent dans le mauvais camp, celui du Système, celui de l’oligarchie, celui du Mal.

    Nous avons eu raison sur tout !

    Nous menons le bon combat d’abord parce que notre famille de pensée a eu raison sur tout, avant les autres.

    C’est bien la droite « hors-les-murs », « dissidente », « extrême », « horlogère » ou « nouvelle » – qu’importe le qualificatif dont nous ont affublé nos adversaires – qui dès les années 1970, mettait en garde contre les conséquences catastrophiques de la dérégulation de l’immigration voulue par le patronat. Et contre la crise démographique européenne qui s’annonçait.

    C’est cette droite qui a annoncé, avec Guillaume Faye, la perspective d’une colonisation de l’Europe[1] organisée par le Système à tuer les peuples[2] qui prenait le pouvoir en Occident à partir des États-Unis.

    C’est cette droite diabolisée qui a perçu la première que la question identitaire allait devenir déterminante et qui a dénoncé l’hypocrisie d’une gauche bourgeoise ralliée au capitalisme mondialiste. Une bourgeoisie qui cherche dans l’immigré un peuple et un électorat de rechange et qui promeut le sociétal pour abolir le social.

    Une ruse de l’histoire

    C’est aussi notre famille de pensée qui – prenant la suite du Général De Gaulle par une ruse dont l’histoire a le secret – a toujours considéré que l’Europe n’avait de sens que de l’Atlantique à l’Oural et que l’inféodation aux États-Unis conduirait notre continent à la déchéance et à la guerre. Et que la société ne pouvait se réduire au marché ni à la Bourse.

    C’est aussi notre famille de pensée qui a dénoncé les dérives de l’Éducation nationale dès les années 1980, comme celle des juges idéologisés[3] qui allait conduire au gouvernement des juges et à l’explosion de l’incivilité et de l’insécurité. Car notre famille de pensée a renouvelé la critique traditionnelle de l’idéologie des Lumières et de l’égalitarisme, en s’appuyant sur les sciences du vivant[4].

    On pourrait continuer l’énumération : nous avons été les seuls à annoncer et dénoncer la dérive mortelle du monde occidental américanisé, dans sa globalité.

    C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on nous a diabolisés en permanence !

    Dépasser la politique politicienne

    Nous menons le bon combat ensuite parce que nous avons compris que la lutte contre le Système ne pouvait se limiter à la politique politicienne.

    C’était déjà la conclusion du petit opuscule Pour une critique positive, paru en 1962 et attribué à Dominique Venner, tirant les conséquences de l’échec de l’Algérie française.

    Car ceux qui pensent qu’il suffit de « gagner les élections » ou de constituer un groupe parlementaire pour mettre à bas l’oligarchie se méprennent et trompent surtout leurs électeurs. Ce que tous les prétendus « sauveurs » de droite n’ont cessé de faire, il est vrai, depuis 40 ans.

    La lutte contre ce que représente le Système n’est ni politicienne ni franco-française en effet : elle est métapolitique, métaphysique et culturelle. Elle ne peut être que totale et mondiale.

    Une réforme intellectuelle et morale

    La renaissance de notre pays ne peut donc résulter que d’un changement de vue-du-monde, ouvrant la voie à une réforme intellectuelle et morale, comme Alain de Benoist l’a exposé dans son maître essai Vu de Droite dès 1977[5]. Une renaissance permettant l’émergence d’une nouvelle élite politique, seule à même de mettre en mouvement notre peuple, en réalisant la grande politique qu’il attend désespérément [6].

    Une fois encore la droite dissidente a vu juste là où la droite établie n’a rien compris, ce qui explique sa marginalisation.

    C’est d’ailleurs parce que notre famille de pensée a été la plus diabolisée, censurée et persécutée depuis 40 ans qu’elle a pu aussi, la première, dénoncer la dérive de plus en plus liberticide du Système et le caractère factice de notre démocratie. Comme le démontre chaque jour Emmanuel Macron, le président incapable et impopulaire, curieusement réélu en 2022, et qui gesticule… sans majorité absolue au Parlement.

    Vers la guerre

    Nous menons le bon combat car il n’est plus possible, enfin, d’ignorer que l’oligarchie mondialiste qui a pris le pouvoir en Occident nous conduit vers la guerre mondiale, la paupérisation et la destruction de notre civilisation.

    Nous avions prévu que l’oligarchie n’hésiterait pas à recourir à la guerre pour empêcher la remise en cause de sa domination par les états-civilisationnels émergents, comme la Chine, l’Inde ou la Russie[7]. Et que les ruines et le chaos qu’elle avait provoqués au Proche Orient, nous donnaient un avant-goût de ce qui nous attendait.

    Cette prévision est en train de se réaliser avec la guerre en Ukraine, le retour des tensions au Kosovo, les provocations occidentales face à la Chine, la multiplication des points d’affrontement sur notre continent et la guerre ethnico-religieuse larvée qui commence à ravager l’Europe de l’Ouest.

    Il est vrai que la guerre est bonne pour les affaires de l’oligarchie, ce qui explique le ralliement au bellicisme états-unien, de l’Union européenne, « machin » livré aux lobbys et à la corruption.

    En 2023, il faudra choisir son camp

    La guerre que promeut l’oligarchie mondialiste traduit surtout l’affrontement eschatologique qui est en train de prendre place entre un Occident, qui incarne désormais la déchéance de l’homme, et le reste de l’humanité, qui rejette de toutes ses forces cette décadence. Un affrontement final d’ailleurs prévu par nombre de religions.

    Dans un tel affrontement, les Européens ne peuvent plus rester spectateurs : ils en sont déjà les victimes !

    Chaque Européen conscient doit donc choisir son camp et ce ne peut-être celui d’un Occident décadent et corrompu dans tous les sens du terme, qui nous conduit à la ruine et à la guerre.

    En 2023, nous continuerons de mener le bon combat !

    Michel Geoffroy (Polémia, 31 décembre 2022)

     

    Notes :

    [1] Guillaume Faye « La Colonisation de l’Europe » , l’Aencre, 2000
    [2] Guillaume Faye « Le Système à tuer les peuples » , éditions Copernic, 1981
    [3] Notamment par les travaux du Club de l’Horloge
    [4] Henry de Lesquen et le Club de l’Horloge « La Politique du Vivant » , Albin Michel, 1978
    [5] Alain de Benoist « Vu de Droite, Anthologie critique des idées contemporaines », éditions Copernic, 1977
    [6] Voir Bruno Mégret « Le Temps du Phénix », éditions Cité Liberté, 2016
    [7] Voir notamment Michel Geoffroy « La Nouvelle Guerre des Mondes » Via, Romana, 2020

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Du conflit de civilisation à la guerre de substitution...

    Les éditions Jean-Cyrille Godefroy ont récemment publié un essai de Mezri Haddad intitulé Du conflit de civilisation à la guerre de substitution, avec une préface d'Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères. Docteur en philosophie morale et politique de la Sorbonne, Mezri Haddad, né le au Kram, est un journaliste, écrivain, philosophe et diplomate tunisien. 

    haddad_Du conflit de civilisation à la guerre de substitution.jpg

    " Provoquer la guerre, sans la faire ! Le Ponce Pilate américain s’en lave les mains ! C’est aux provinces de l’Empire de le servir et aux soumis de lui obéir, aux dépens de leurs propres intérêts. Plutôt des intérêts vitaux de leurs peuples. Quand l’oracle de Kiev, Zelensky, parle, tout le monde se met à maudire le Satan du Kremlin. Dès que ce saltimbanque, dont on loue le nationalisme qu’on exècre chez soi, tousse, c’est tout le corps européen qui souffre… mais c’est seulement Renault qui plie bagage. Par nationalisme ukrainien et pour se passer du gaz russe, BHL propose aux Français de baisser leur chauffage d’un degré. Une écologiste qui se chauffe à la bouse de vache double la mise : deux degrés !
    En temps de guerre, outre les innocents tués et les populations déplacées, la première victime c’est la vérité, et le premier bénéficiaire c’est la propagande des marchands d’armes. Comme avant lui Nasser, Mossadegh, Saddam, Bachar, Kadhafi, Poutine serait la réincarnation d’Hitler ! Et Soljenitsyne, prix Nobel de littérature et dissident historique autrefois sanctifié en Occident, est renvoyé au Goulag pour son soutien post mortem au « boucher ».
    Plus grave que tout, l’ennemi n’est plus Daech et ses acolytes, mais la Russie. Le péril majeur n’est pas le totalitarisme vert, que Poutine a éradiqué en Tchétchénie avant de l’écraser en Syrie, mais le fantôme du totalitarisme rouge ressuscité par les thuriféraires des États-Unis. Thèse de Mezri Haddad : la théorie du choc des civilisations n’est pas caduque. C’est juste le point d’impact qui s’est déplacé en faisant tomber les pions du grand échiquier ! Le choc est désormais entre des démocraties en crise et des autoritarismes ré-émergents, entre un modèle de civilisation spirituellement desséché et un modèle en plein renouveau orthodoxe et exaltation nationaliste. Une guerre qui se joue sur le même continent et à l’intérieur de la même ère civilisationnelle… pour le meilleur ou pour le pire ! "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Une perspective d’Orient...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dario Rivolta, consacré au point de vue de l'Orient sur l'Occident et l'Europe. L'auteur est analyste géopolitique et ancien député italien et membre de la Commission des Affaires Étrangères.

    Amérique du Nord, Analyse, Articles, Asie, Chine, Eurasie, Europe, géoéconomie, Organisations Internationales, Panorama de la Gouvernance mondiale, Politique et Relations internationales, Stratégie Globale, dario rivolta

    Une perspective d’Orient

    Notre monde sous une autre perspective : comment l’orient nous perçoit-il ?

    Pour obtenir de bons résultats dans une négociation internationale, qu’elle soit commerciale ou politique, il est indispensable de bien comprendre quels sont les véritables centres d’intérêts de l’interlocuteur (même non déclarés) et ses « lignes rouges« . Pour cela, il faut essayer d' »entrer » dans sa tête, connaître les racines culturelles dans lesquelles il a grandi et, surtout, savoir comment il nous perçoit ainsi que le monde dont nous sommes le fruit. Au contraire, l’erreur la plus courante et la plus contre-productive dans laquelle nous tombons consiste interpréter la négociation au travers nos codes de lecture en projetant nos propres canons de jugement sur l’autre et en présupposant l’existence de valeurs et réflexes communs.

    Malheureusement, quand nous regardons l’Asie et le reste du monde depuis l’Occident, nous n’avons pas l’habitude de nous dépouiller de nos préjugés et de nos habitudes culturelles. Pire encore : il nous semble évident que notre façon de voir le monde est le seul possible ou du moins la meilleure de toutes les alternatives.

    Cependant, quiconque souhaite jeter au moins un aperçu de la façon dont les Asiatiques voient le monde occidental ferait bien de lire le livre de Kishore Mahbubani : « Occident et Orient : qui perd et qui gagne« .

    Mahbubani est un parfait « médiateur culturel » ayant été diplomate singapourien pendant trente ans ayant assumé différentes hautes responsabilités auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Son éducation culturelle débute à Singapour avec une licence en philosophie et un mémoire de master sur la confrontation entre Karl Marx et John Rawls. Il a étudié la littérature européenne, indienne et chinoise et parle plusieurs langues. Entre autres choses, il a enseigné aux USA à Harvard et a été doyen et professeur de la Lee Kuan Yew School of Public Policy (Singapour). Il a également écrit plusieurs livres, dont un sur Machiavel. Foreign Policy l’a inclus dans la liste des plus grands intellectuels mondiaux et le Financial Times le considère parmi les cinquante économistes capables de débattre raisonnablement de l’avenir de l’économie capitaliste.

    Son jugement sur l’Occident part de l’hypothèse que le plus grand cadeau qu’il ait fait au monde est le pouvoir du raisonnement logique. Mode désormais également adopté par l’Orient mais peu à peu revisité ou même abandonné en Asie : « … L’Occident a perdu la capacité de se poser des questions fondamentales et s’est réfugié dans une bulle auto référentielle et complaisante…« .

    Dans le volume susmentionné, il nous rappelle que depuis le début de l’histoire jusqu’au XIXe siècle, les deux plus grandes économies du monde étaient la Chine et l’Inde et ce n’est qu’au cours des deux derniers siècles que l’Europe et le monde anglo-saxon sont devenus politiquement et économiquement dominants. Cependant, cette situation s’est clairement inversée, surtout au cours des deux dernières décennies. La part du PIB mondial en 1980 était clairement en faveur de l’Occident (au sens large, y compris le Japon et la Corée du Sud, considérés politiquement « occidentaux« ) avec une part supérieure à 60 %, mais aujourd’hui cette part est tombée à moins de 40 % et se contracte continuellement en faveur des économies des pays émergents. Déjà en 2015, les membres du G7 ont contribué à hauteur de 31,7 % à la croissance mondiale, tandis que la Chine + l’Inde + le Brésil + le Mexique + la Russie + l’Indonésie et la Turquie (E7) ont atteint 36,3 %. En termes de pouvoir d’achat, en 1980, la Chine représentait un dixième de l’économie américaine, en 2014 elle est devenue la plus grande économie du monde.

    Pour confirmer le revirement, des enquêtes ont par exemple établi qu’en 2016, 90 % des jeunes Indonésiens se déclaraient heureux alors qu’en Europe, seuls 57 % de leurs pairs étaient heureux. Il est clair pour tous que le sentiment de bonheur potentiel découle davantage des attentes concernant l’avenir que des conditions du moment.

    Mahbubani décrit un aveuglement des élites occidentales dans le fait que nous continuions à croire que l’événement le plus important de l’histoire mondiale récente ait été le 11 septembre 2001 (Twin Towers). Tout en attribuant la présence d’excellentes universités et d’intellectuels talentueux dans le monde occidental, il est surprenant que l’importance absolue de l’adhésion de la Chine à l’OMC sur les développements futurs dans le monde n’ait pas été comprise et mieux interprétée dans ce qu’elle signifie à l’échelle planétaire. C’est cet événement qui a conduit au début du déclin économique occidental. La Banque des règlements internationaux, elle aussi, le dit dans un rapport officiel de 2017 : l’entrée d’un milliard de nouveaux travailleurs hautement productifs dans le système commercial mondial a entraîné une « destruction créative » massive et la perte de nombreux emplois en Occident. D’où l’instabilité politique et l’appauvrissement économique croissants, les populismes et les luttes entre pauvres qui dévastent nos sociétés. Un fait intéressant (citant un universitaire américain) est le suivant : « En moyenne en 1965, le PDG d’une entreprise américaine gagnait 20 fois le salaire d’un de ses ouvriers. En 2013, toujours en moyenne, ce ratio est passé à 296 fois« . Exactement ce qui a continué à se produire en Europe aussi, contribuant à exacerber les conflits sociaux.

    Concernant la croyance répandue parmi nous selon laquelle les Chinois souffrent tous d’un régime exceptionnellement despotique, il écrit : « Si cette perception occidentale était vraie, comment 100 millions de Chinois voyageraient-ils à l’étranger ? … Et puis, 100 millions de Chinois rentreraient-ils librement chez eux s’ils se sentaient vraiment opprimés ?« . Il ne s’agit pas de nier que de nombreux cas de mécontentement populaire se manifestent aussi en Chine, mais des formes de protestation, parfois violentes, se produisent également dans nos pays démocratiques et la seule différence (importante) tient à la façon dont les gouvernements respectifs réagissent.

    Parlant de visions stratégiques, Mahbubani est très clair. Selon lui, « l’intervention la plus malavisée a été d’envahir l’Irak en 2013. En théorie, la guerre en Irak s’est déroulée au lendemain du 11 septembre. En pratique, ce n’était qu’une démonstration de l’arrogance et de l’incompétence stratégique de l’Occident, et des États-Unis en particulier. En détruisant Saddam et en attaquant les talibans, les États-Unis ont beaucoup aidé la puissance iranienne… et créé un gâchis colossal« . L’Irak est maintenant devenu l’exemple type de comment ne pas envahir un pays. Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour et ami des Américains, a sarcastiquement noté que « même les Japonais avaient fait mieux pendant la Seconde Guerre mondiale« .

    Selon lui, une deuxième bévue stratégique occidentale majeure a été d’ »humilier davantage la Russie déjà humiliée« . Il cite Churchill qui a soutenu que « dans la victoire, vous avez besoin de magnanimité« . Au contraire, après avoir remporté la guerre froide, l’Occident a voulu étendre l’OTAN aux frontières de la Russie. À ce propos, Thomas Friedman (c’est toujours Mahbubani qui le cite) dans le New York Times du 4 mars 2014 (après le Maïdan) écrivait : « J’ai lutté contre l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie après la guerre froide, quand la Russie était de loin la plus démocratique et la moins menaçante de tous les temps. Cela reste l’une des choses les plus stupides que nous ayons jamais faites et, évidemment, a jeté les bases de l’ascension de Poutine.« 

    Autre aspect abordé par le cultivé diplomate singapourien est l’accusation lancée contre la Russie d’avoir tenté de s’ingérer dans les élections présidentielles américaines de 2017 : « Aucun dirigeant américain ne s’est posé la question : mais les USA ne se sont-ils jamais rendus coupables d’ingérence dans des élections dans d’autres pays ? » Et la réponse est citée par une étude (2016) de l’Institute of Politics and Strategies de l’Université Carnegie Mellon qui a constaté que de 1946 à 2000 bien plus de quatre-vingts cas d’ingérence américaine ont été documentés.

    Le troisième point qu’il considère comme une erreur de jugement de l’Occident sont les soi-disant « révolutions de couleur”. Une liste partielle comprend : la Yougoslavie (2000- Bulldozer), la Géorgie (2003- Rose), l’Ukraine (2005- Orange et 2014- Maidan), Irak (2005- Violet), Kirghizistan (2005- Tulipes), Tunisie (2010- Jasmin), Égypte (2011- Lotus). Sans oublier la Libye et la Syrie. Il souligne que certaines de ces « révolutions » ont été générées en interne mais que l’Occident s’est empressé de les soutenir au nom de « l’exportation de la démocratie« . Une exportation qui n’a jamais concerné des pays « amis » comme par exemple, l’Arabie Saoudite et (peut-être) la Turquie.

    Garcia Marquez, après le 11 septembre, a écrit au président Bush : « … Comment vous sentez-vous maintenant que l’horreur éclate dans votre jardin et non dans le salon de votre voisin… Savez-vous qu’entre 1824 et 1994, votre pays a fait 73 invasions en Pays d’Amérique latine… Depuis près d’un siècle, votre pays est en guerre avec le monde entier… Qu’est-ce que ça fait, Yankee, de découvrir qu’avec le 11 septembre, la longue guerre est enfin arrivée chez vous ? « .

    Bien sûr, le livre de Mahbubani contient de nombreuses autres considérations vues d’orient qu’il nous est utile de découvrir. Attention, il n’est pas un ennemi de l’Occident et a même été élu membre de la prestigieuse Académie Américaine des Arts et des Sciences. C’est simplement quelqu’un qui nous regarde d’un autre point de vue et, dans de nombreuses circonstances, regrette ce qu’il juge être nos erreurs.

    Le livre se conclut par un constat très intéressant sur la diversité des intérêts des États-Unis et de l’Europe, pas toujours conciliables, et sur son étonnement de voir comment les élites européennes suivent servilement les volontés américaines, même si elles constituent souvent un préjudice pour le Vieux Continent.

    La lecture de Kishore Mahbubani nous oblige à une nouvelle perspective, à travers le spectre asiatique et mondial et nous offre différents angles d’analyse pour observer le globe dans lequel nous vivons trop souvent en guerres inutiles.

    Dario Rivolta (Geopragma, 29 décembre 2022)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!