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  • Pologne, Hongrie… Et bientôt France ? Manifeste pour une alliance des conservateurs au Parlement européen

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, professeur à l’université libre de Bruxelles et à l’Instytut Zachodni à Poznań, et de Krzysztof Tyszka-Drozdowski, analyste dans une agence gouvernementale polonaise, consacré au besoin d'une union politique des populistes et conservateurs européens pour transformer l'Europe en puissance géopolitique indépendante.

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    Sommet des droites populistes et conservatrices à Madrid, le 29 janvier 2022

     

    Pologne, Hongrie… Et bientôt France ? Manifeste pour une alliance des conservateurs au Parlement européen

    Les partis conservateurs les plus importants de l’Europe ont enfin trouvé un accord de principe sur leurs valeurs et leur future collaboration – un accord qui pourra bientôt se manifester en une alliance politique au sein du Parlement européen. Certes, cette alliance pourrait devenir l’une des formations les plus fortes de cette assemblée ; néanmoins, vu la configuration politique actuelle, il y a peu d’espoir de rompre le “cordon sanitaire” et de passer d’une opposition de principe vers la réforme fondamentale dont ont si besoin les institutions européennes à la dérive.

    Assurément, la Pologne et la Hongrie montrent de jour en jour les succès qu’un gouvernement patriotique et conservateur peut remporter, mais la pression à laquelle elles sont soumises est telle que leur influence sur l’évolution de l’Europe reste restreinte. En revanche, une victoire électorale du RN (ou du mouvement d’Éric Zemmour en France) ou des deux partis conservateurs en Italie pourrait avoir l’effet d’une avalanche. Bien sûr, tout comme naguère aux États-Unis après l’élection de Donald Trump, le deep state et les élites bien-pensantes feront tout leur possible pour saboter un tel gouvernement, et surtout en France, il sera difficile d’apporter un changement sans majorité parlementaire. Néanmoins, l’ébranlement de l’ordre mondialiste serait considérable, surtout s’il s’inscrivait dans la logique d’une étroite collaboration avec les autres partis et gouvernements conservateurs en Europe.

    Dans le cas de la France, cela signifierait surtout de se tourner vers la Pologne – enfin, l’on serait tenté de dire, car le relatif désintérêt des élites conservatrices pour le gouvernement polonais actuel est une erreur tactique importante. Quels pourraient être les enjeux et perspectives d’une telle potentielle coopération entre le PiS polonais et la droite patriotique française, surtout en vue du dédoublement actuel des candidats présidentiels de cette dernière et de l’incertitude idéologique qui est en train de s’y installer ?

    Évolution interne

    Pendant longtemps, les conservateurs européens ont été si fractionnés qu’il serait pertinent de se demander si le terme même de “conservateur” a encore un sens. Souverainisme contre occidentalisme, russophilie contre atlantisme, christianisme contre laïcité, libéralisme contre chrétien-socialisme – le conservatisme est un univers à part avec des divisions internes souvent plus marquées que celles, largement feintes, entre la “gauche” et la “droite” bien-pensantes. Sera-t-il possible de surmonter ces divisions historiques, exacerbées bien souvent par de vieilles rancunes historiques entre factions, partis et États ? Oui, mais il y a un prix à payer : celui d’enterrer une série de ressentiments (et d’espoirs) afin de focaliser toute l’énergie sur les points essentiels à la victoire politique.

    La Pologne constitue un excellent exemple pour cette démarche, et les choix idéologiques du gouvernement actuel semblent pouvoir constituer une inspiration réaliste et pragmatique pour les autres partis conservateurs en Europe.

    Ainsi, la Pologne a opté pour l’euroréalisme : au lieu de viser une dissolution de l’Union européenne (qui ne mènerait qu’à l’émergence des vieilles asymétries politiques européennes et serait d’ailleurs fortement impopulaire chez le citoyen), la Pologne préfère miser sur une réforme fondamentale des institutions, et considère la coopération dans des domaines comme la défense, la politique migratoire, l’infrastructure, la lutte contre la criminalité, la recherche ou l’harmonisation économique et légale comme essentielle.

    Dans le domaine identitaire, la Pologne insiste sur l’importance de l’héritage chrétien, et considère la laïcité telle qu’elle est pratiquée en France, c’est-à-dire avec un biais clairement anti-chrétien et islamophile, comme une impasse : seule la défense d’une forte culture nationale ancrée dans une attitude positive face aux valeurs spirituelles du passé pourra permettre d’éviter l’atomisation résultant de la doctrine multiculturaliste. Dans le domaine économique, finalement, la Pologne insiste sur l’obligation de l’État de protéger le citoyen contre les dérives de l’ultra-libéralisme et a lancé un programme social d’une grande envergure afin de protéger les classes inférieures et moyennes.

    Ajoutons à cela une position extrêmement claire sur la migration, l’idéologie LGBTQ, l’avortement, le natalisme et l’euthanasie ; il devient rapidement clair que le gouvernement polonais a mis en place depuis de nombreuses années déjà une politique correspondant en de nombreux points aux revendications des conservateurs français. Une alliance approfondie entre le parti le plus fort de la droite française et le parti gouvernemental polonais pourrait donc être hautement intéressante pour les deux côtés afin de constituer un moteur puissant de la nouvelle alliance conservatrice européenne.

    Équilibre politique en Europe

    À première vue, la droite française devrait donc avoir tout en commun avec les conservateurs polonais. Nous sommes d’accord sur les échecs de l’Union européenne. Nous sommes d’accord sur la question de l’immigration. Nous sommes d’accord pour dire que le libéralisme est, comme l’exprime John Milbank, une erreur anthropologique, car la communauté doit primer sur les désirs de l’individu, élevés aujourd’hui au rang d’absolu. Nous sommes d’accord pour dire que les individus se développent pleinement à travers la communauté et non en dehors d’elle, que le bonheur dépend de l’enracinement, alors que le déracinement et le reniement du passé le sapent. Pourtant, malgré ces points communs, il n’y a pas seulement une pomme de discorde – la Russie –, mais bien une deuxième : l’Allemagne.

    La question russe est évidente : de nombreux intellectuels français entretiennent une vision romantique de la Russie, remontant au XIXe siècle et alimentée par le conservatisme patriotique de Vladimir Poutine. S’il est vrai qu’idéologiquement ce dernier peut sembler a priori plus en phase avec une vision traditionaliste du monde que la politique poursuivie par le gouvernement américain actuel, les Français feraient bien de ne pas fermer les yeux sur le côté obscur du gouvernement de Poutine dont la corruption défie toute comparaison, où les dissidents ne sont pas seulement privés de leurs comptes twitter et Facebook, mais aussi de leur liberté, et qui poursuit un agenda expansionniste et hégémonique, clairement opposée à l’inviolabilité des frontières si fondamentale pour l’équilibre européen – et si vitale pour la survie d’États comme la Pologne, le Bélarus, l’Ukraine et les pays baltiques. Dès lors, un compromis entre conservatisme polonais et français ne sera possible que sur la base d’une équidistance entre Est et Ouest.

    Cette équidistance se heurte à la deuxième pomme de discorde : l’Allemagne. Il est incontestable que l’Allemagne est (re)devenue le pouvoir hégémonique en Europe. Or le plus grand allié de la Russie en Europe n’est pas la France mais l’Allemagne. Un seul exemple, le plus récent : ce n’est pas la France qui a construit Nord Stream II. Il est vrai que les Français ont une vision romantique de la Russie, mais l’élite française vit surtout dans une illusion sur l’Allemagne. Le couple franco-allemand est une expression qui n’est utilisée que dans l’Hexagone ; les Allemands ne l’utilisent jamais.

    Ainsi, c’est l’Allemagne d’Angela Merkel qui a fait éclater le règlement de Dublin sur les immigrés, lorsque la chancelière a fait venir, sans demander l’avis de personne – et surtout sans tenir compte des peuples européens –, la vague d’immigrés qui a inondé l’Europe ; c’est l’Allemagne de Merkel qui a rejeté le projet de taxe européenne sur les géants du numérique, proposé par Bruno Le Maire, afin d’éviter une hausse des droits de douane sur les voitures allemandes ; c’est l’Allemagne qui a imposé une politique d’austérité ruinant durablement le sud du continent afin de pouvoir bénéficier d’un euro (allemand) sous-évalué et imposer son hégémonie industrielle ; c’est l’Allemagne qui est en train d’imposer à l’Europe son agenda idéologique écolo-gauchiste par le biais du Green deal d’Ursula von der Leyen, etc.

    Certes, il ne faut pas tomber dans le piège du nationalisme, car l’hégémonie allemande sur l’Europe a cette particularité qu’une grande partie des Allemands sont bel et bien persuadés d’être exploités par cette même Europe, allant même jusqu’à souhaiter la sortie de l’UE.

    Ils n’ont pas tort : tout ce pouvoir politique et économique cumulé par l’élite allemande ne bénéficie nullement au citoyen allemand dont la fortune médiane est de loin inférieure à celle de la plupart de ses voisins, mais alimente une machinerie politico-économique bien distante du commun des mortels. Ainsi, le contribuable allemand est réquisitionné pour financer les subsides européens versés en grande partie à des États à l’est de l’UE – mais les surplus générés là-bas ne reviennent pas seulement en grande partie à l’Allemagne, mais y enrichissent essentiellement banques, multinationales et holdings qui mettent ces gains en sécurité hors Europe.

    Dès lors, il est grand temps pour les conservateurs européens de reconnaître cette asymétrie et de tenter de la résoudre. Puisque, dans la situation politique actuelle, une restructuration volontaire de l’économie allemande semble exclue, la France ferait bien de se rappeler l’éternelle tradition française qui, de l’Ancien Régime à de Gaulle, a cherché à faire en sorte que l’Europe ne tombe jamais sous l’hégémonie d’une seule puissance. La France a exercé sa plus grande influence sur les événements du continent lorsqu’elle a rassemblé autour d’elle des États qui voulaient rester libres et ne voulaient pas de l’hégémonie d’un autre. Aujourd’hui, cette politique doit être recréée. La France seule est trop faible pour décider du sort du continent, tout comme la coalition d’Europe centrale. Une alliance entre Paris et les petites et moyennes nations restaurera une Europe des patries, dans laquelle l’Allemagne pourra trouver une place plus favorable à l’équilibre des pouvoirs et plus juste par rapport au contribuable.

    Recouvrir la souveraineté économique, numérique et énergétique

    L’idée de la souveraineté européenne n’appartient pas à Macron. C’est une idée gaulliste, car nous devons voir en de Gaulle le vrai père de l’Europe unie, plus encore que dans ceux que nous avons salués, à la mode américaine, comme des pères fondateurs. Aujourd’hui, tous les populistes et conservateurs européens intelligents devraient être gaullistes.

    L’Europe ne deviendra pas une puissance géopolitique indépendante tant qu’elle ne retrouvera pas sa souveraineté énergétique, industrielle et numérique. Cependant, cette souveraineté se heurte à des barrières idéologiques. L’énergie nucléaire, qui est le moyen le plus rapide de parvenir à la décarbonisation – comme l’a montré l’expérience de la France ou de la Corée du Sud – inspire encore des craintes, alimentées par un radicalisme vert désuet datant d’il y a 50 ans. Les progrès en matière d’énergie nucléaire sont freinés par une hystérie idéologique sanctionnée par les déclarations du gouvernement Merkel. Le New Green Deal doit être orienté vers le développement et la modernisation, et non vers le démantèlement de l’industrie européenne et l’abaissement du niveau de vie.

    Nous devons nous opposer à une écologie punitive qui veut non seulement nous priver du mode de vie européen, mais étouffer également toutes les forces de développement. Dans le même temps, il est nécessaire de prendre conscience que l’économie post-industrielle est un mythe, et que quiconque y croit se condamne à la faiblesse. L’Allemagne n’y a jamais cru, elle a conservé sa base industrielle et c’est d’elle que découle sa puissance économique, bien qu’elle soit de plus en plus mise en cause par l’idéologie suicidaire des Verts et de la gauche qui sonnerait non pas seulement le glas de l’Allemagne elle-même, mais de toute l’Europe. Une politique de réindustrialisation réfléchie à l’échelle du continent, liée à une large coopération sur les grands projets, est une condition de la souveraineté européenne. Pour la restaurer, il faut ramener les fabricants européens en Europe par des mesures incitatives et contraignantes. Il ne s’agit pas seulement de croissance économique mais aussi de sécurité. Pendant la crise du virus chinois, nous avons vécu ce que signifiait le déplacement des chaînes d’approvisionnement vers l’Asie : pas de masques, pas de médicaments essentiels. Il s’est révélé qu’il n’y avait même pas une seule usine de paracétamol en Europe.

    La reconquête de la souveraineté numérique ne passera pas seulement par un financement accru de la R&D et la création d’un réseau européen de coopération dans ces domaines. Un protectionnisme raisonnable doit être proposé, sans lequel les équivalents européens des GAFAM ne verront pas le jour.

    Parallèlement au protectionnisme visant à créer des géants européens du numérique, la situation des travailleurs européens doit être reconsidérée. La pression à la baisse sur les salaires ne cessera pas si nous n’arrêtons pas l’immigration. Les travailleurs européens sont notre priorité, c’est pourquoi la préférence européenne est à introduire. Ceux qui sont nés en Europe, dont les pères ont construit notre civilisation, ont le droit de travailler à son avenir.

    Les avantages d’une alliance conservatrice européenne centrée sur l’axe Paris-Varsovie paraissent donc évidents, et il serait à souhaiter que non seulement les hommes politiques, mais aussi les intellectuels et académiques conservateurs, puissent approfondir leurs contacts et lancer des échanges bilatéraux aboutissant en des projets stratégiques concrets. Le modèle polonais, nous en sommes persuadés, pourrait servir d’inspiration pour clarifier les dissensions internes à l’intérieur de la droite patriotique française.

    L’un des points les plus urgents d’une telle coopération serait d’approfondir la collaboration dans le domaine médiatique et académique, car de part et d’autre, les opinions sur les partenaires conservateurs voisins restent fortement dominés par les préjugés et diffamations véhiculés par les médias mainstream clairement orientés à gauche et les “experts” universitaires également biaisés : le citoyen ne pourra estimer la vérité sur les enjeux et acteurs des défis contemporains que s’il dispose d’une information de qualité et sans déformation idéologique.

    Nous, les autres conservateurs européens, nous avons attendu trop longtemps, raté trop d’occasions. Nous savons tous que ce n’est que si nous sommes unis que nous pourrons relever les défis du monde multipolaire. Nous ne pouvons nous rassembler ni sur la base d’illusions idéologiques, ni sur la base de faux calculs. Il serait naïf de penser que rien ne nous divise. Ce serait cependant une grande erreur de ne pas saisir le potentiel de ce qui nous unit.

    David Engels et Krzysztof Tyszka-Drozdowski (Visegrád Post, 16 février 2022)

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  • La navrante crise russo-ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Polémia et consacré à la crise ukrainienne. Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

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    La navrante crise Russo-Ukrainienne

    Quels que soient les sentiments ou les affinités que l’on peut éprouver envers l’Ukraine ou la Russie, et quelles que soient les responsabilités que l’on peut imputer à l’une ou à l’autre dans la crise qui les voit s’affronter,  leur différend est lourd de conséquences pour elles-mêmes et pour l’Europe. Le risque principal est l’enlisement dans un schéma géopolitique de type « néo-Guerre froide » dans lequel les Américains et certains dirigeants européens timorés cherchent à l’entraîner. L’esprit de croisade des Démocrates américains est toujours de mise, comme on le constate avec Biden. Mais surtout, en raison de la nouvelle polarisation mondiale sur le Pacifique, les Etats-Unis maintenant obsédés par la Chine entendent conserver le contrôle de l’Europe et empêcher, à tout prix, son éventuel rapprochement avec la Russie. Leur opposition virulente au gazoduc germano-russe de la Baltique en est la parfaite illustration.

    Russie et Europe, dos à dos, face au reste du monde

    Le bouleversement des rapports de forces mondiaux, et par conséquent des positionnements des États les uns par rapport aux autres, est total. Il concerne la Russie et l’Europe de la même manière. En effet, c’est toute l’organisation de l’espace planétaire qui a été transformée par le déplacement du centre du monde depuis l’Atlantique Nord vers le Pacifique Nord. Une translation qui est à mettre en rapport, bien entendu, avec la compétition pour l’hégémonie qui a débuté entre les États-Unis et la Chine. Et au milieu de laquelle les États européens ne sont plus que des enjeux, parce qu’aucun d’entre eux, pas même la Russie, ne peut prétendre à la puissance globale. Par ailleurs, les changements profonds, qu’ils soient démographiques ou culturels, qui affectent la géographie humaine mondiale, lancent à tous les Européens, de l’Est comme de l’Ouest, des défis communs immenses pour les décennies qui viennent.

    De sorte que la nouvelle configuration mondiale fait des deux voisins que sont l’Europe et la Russie, deux « alliés naturels » face au reste du monde. Il se trouve que la topologie géopolitique (c’est-à-dire la position des États dans le système spatial mondial) s’associe maintenant- c’est la nouveauté- à la topographie géopolitique (c’est-à-dire la continuité territoriale, et l’absence d’obstacles naturels) pour suggérer à tous les Européens un réalisme politique qui dépasse les idéologies et les ethnocentrismes.

    Le jeu mondial est, désormais, entre les mains des USA et de la Chine. Les États européens, Russie comprise, malgré tout le mérite de son président, ne sont plus que des puissances petites ou moyennes, au mieux des puissances régionales. La comparaison est écrasante comme le montrent ces quelques chiffres (SIPRI) de 2019 : 19 390 milliards de dollars de PIB pour les USA, 12 014 pour la Chine et 1527 milliards pour la Russie ; 600 milliards de dollars pour le budget militaire américain, 216 milliards pour le chinois et 69 milliards pour le russe. Ce même budget est de 57 milliards de dollars pour la France et de 41 milliards pour l’Allemagne. Si l’économie germanique est brillante, celle de la France l’est moins et celle de la Russie encore moins

    Au fond, pour faire image, l’Europe et la Russie sont face au reste du monde comme deux duellistes de l’ancien temps qui se retrouvent entourés de spadassins, lesquels en veulent à chacun d’eux. Il ne leur reste plus qu’à s’entendre, et dos à dos, à se défendre mutuellement, sachant que tout mauvais coup porté par l’un des deux à l’autre se retournerait contre lui-même. C’est déjà ce qui arrive à cause de l’Ukraine.

    Comment sortir de l’impasse ?

    L’impasse actuelle incombe aux deux parties en présence. D’un côté, il y a l’incurie diplomatique et stratégique de l’Union européenne et de tous les dirigeants des États européens, tous incapables de mener une véritable réflexion géopolitique. Au lieu de faire de l’Ukraine un « pont » entre l’Europe et la Russie, ils en ont fait une pomme de discorde aux dépens des Ukrainiens eux-mêmes. Car il ne fallait pas présenter l’association de l’Ukraine à l’UE comme une victoire sur la Russie, et emboiter le pas des États-Unis en laissant entendre que cette association était l’antichambre à une adhésion à l’Otan! Une organisation qui devrait avoir été dissoute depuis belle lurette, à la suite de celle du Pacte de Varsovie. Du côté de la Russie, le complexe ancien de l’encerclement perdure et les maladresses occidentales ne font qu’aviver un nationalisme épidermique, tandis que l’on a du mal à cerner les préjugés et les arrière-pensées de Moscou dans tout ce qui a trait à l’Europe. Cette crise est assez désespérante parce qu’elle est avant tout d’origine idéologique et qu’elle défie la rationalité géopolitique. Elle renvoie aux querelles nationalistes du siècle dernier sur des enjeux passablement dérisoires dans le nouveau contexte mondial.

    Comment en sortir, alors même que l’on est, peut-être, à la veille d’un nouvel affrontement ? Avec les provocations et les surenchères des uns et des autres et les interférences internationales cela semble possible. Pour éviter sinon le pire, mais pour empêcher tout au moins une nouvelle déchirure du continent européen, il serait judicieux que les protagonistes les plus concernés recherchent le compromis sur la solution la plus équitable et la plus efficace possible.

    D’une part, il serait temps que l’Ukraine admette, et les Européens avec elle,  le retour de la Crimée à la Russie, à laquelle elle a toujours appartenu depuis qu’elle l’a reconquise sur les Turcs. En dépit du caprice, au milieu du siècle dernier, du potentat soviétique, ukrainien d’origine, Nikita Khrouchtchev. Dans cette même perspective l’Union européenne se devrait de tempérer le président ukrainien et de conditionner l’adhésion de l’Ukraine à son espace, tout en rejetant son entrée dans l’Otan, à un accord avec la Russie, avec laquelle, dans le même temps les termes du partenariat existant, mais presque lettre morte, seraient revus. D’autre part, et en contrepartie, les Européens sont en droit d’attendre de la Russie plus de clarté sur la façon dont elle appréhende ses rapports avec eux-mêmes, et plus de rigueur dans les engagements commerciaux. Elle a d’ailleurs tout à y gagner sachant que ses ressources financières sont limitées et que sa dépendance de la Chine dans ce domaine se paiera, tôt ou tard, au prix fort. La garantie assurée d’un approvisionnement énergétique continue des Européens est en la matière une clause attendue.

    Cependant, toute grande perspective géopolitique et tout espace de négociations ont, en toutes circonstances, leur pierre d’achoppement ; en l’occurrence le Donbass. Car c’est sur cette région frontalière et binationale que se cristallisent les inimitiés. Etant donné que l’Ukraine a refusé la solution fédérale ou celle d’un statut spécifique et qu’une rectification des frontières est considérée comme impraticable ou comme dangereuse à envisager, les protagonistes vont avoir du mal à trouver une issue à leur différend. On ne peut que le regretter car c’est la constitution d’un grand espace européen, dont il est légitime d’attendre des solutions aux immenses problèmes qui n’ont pas fini de se poser, qui est mise entre parenthèses ou même écartée.

    Si heureusement rien d’irréparable n’arrive, il reste à espérer dans les temps qui viennent un changement positif dans les perceptions mutuelles,  lui-même dicté par le renversement du monde. À l’européanité renouvelée de la Russie, imposée par la montée en puissance de la Chine et de tout l’Orient, répondrait alors l’abandon de la représentation occidentalo-centrée du monde des Européens de l’Ouest.

    Gérard Dussouy (Polémia, 11 février 2022)

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  • Les Européens de souche existent-ils ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo réalisée par Thaïs d'Escufon et consacré à la question des Européens de souche. Porte-parole talentueuse et courageuse du mouvement Génération identitaire, Thaïs d'Escufon développe désormais une activité de publiciste sur les réseaux sociaux.

     

                                            

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  • Le brouhaha médiatique autour de l’Ukraine est une guerre de diversion...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune libre de Jean-Luc Basle pour le Centre français de recherche sur le renseignement consacrée à la crise ukrainienne.

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    Le brouhaha médiatique autour de l’Ukraine est une guerre de diversion

    Son objet ? Détourner l’attention du public des propositions d’architecture européenne de sécurité que la Russie a soumises le 15 décembre aux États-Unis et à l’OTAN. Le brouhaha est si intense que Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, a demandé au cours de sa conférence de presse du 28 janvier d’y mettre fin arguant que ses rumeurs ruinent l’économie du pays. Depuis la chute de l’Union soviétique en décembre 1991, douze nations ont rejoint l’OTAN. Cette expansion est perçue comme un encerclement par les autorités russes, comme le montre la carte ci-jointe. Vladimir Poutine a décidé qu’il était temps d’y mettre fin et a envoyé les propositions susmentionnées aux autorités occidentales. Elles sont inacceptables du point de vue américain puisqu’elles remettent en question les acquis des dernières décennies. Ce serait l’impasse si Emmanuel Macron, en tant que président de la France mais aussi en tant que président de l’Union européenne, n’avait pas pris langue avec Vladimir Poutine le 28 janvier, reconnaissant ainsi qu’il prenait au sérieux les propositions de son homologue russe, ignorant le brouhaha ambiant. 

    Sécurité indivisible ou porte ouverte

    La réponse américaine, remise à Moscou le 26 janvier, oppose une fin de non-recevoir au projet russe, mais n’en contient pas moins des contre-propositions relatives aux missiles nucléaires à moyenne portée, et aux manœuvres militaires des deux parties — propositions qui ne satisfont pas les Russes. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov l’a fait savoir. Pour justifier leur projet d’architecture, les Russes s’appuient sur le principe de l’indivisibilité de la sécurité qui stipule que la sécurité d’une nation ne peut se faire au détriment d’une autre — principe inscrit dans les déclarations d’Istanbul de 1999 et d’Astana de 2010 signées par les membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération (OSCE) en Europe dont les États-Unis, la Russie, l’Ukraine, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, etc. À ce principe, les États-Unis en opposent un autre, celui de la « porte ouverte » qui donne à toute nation le droit de s’allier à toute autre nation sans égard à l’impact d’une telle alliance sur une ou plusieurs autres nations — principe inscrit dans l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe.

    L’Ukraine : un pion dans l'échiquier mondial

    Alors que l’objectif de Vladimir Poutine est l’établissement d’un nouvel ordre européen, les dirigeants et médias occidentaux concentrent leur attention sur l’Ukraine. La Russie serait sur le point d’envahir l’Ukraine. Cela a été répété à satiété et Joe Biden l’a évoqué dans sa conférence de presse du 19 janvier, menaçant en ce cas la Russie de sanctions économiques. C’est un leitmotiv dans les chancelleries et médias qui s’appuie sur la présence de 100 000 soldats russes à cent kilomètres de la frontière, photos[1] à l’appui. Les Russes ont pris soin de faire savoir en de nombreuses occasions qu’ils n’avaient aucunement l’intention d’envahir l’Ukraine. La seule raison qui les inciterait à le faire serait pour venir en aide aux russophones du Donbass si Kiev lançait une attaque, ce que le président Zelenski se garde bien de faire sachant que ses forces armées ne sont pas en mesure de la mener à bien.

    Ces mêmes médias oublient de rappeler que la situation actuelle émane de la Révolution Maïdan de février 2014 — un coup d’État ourdi par les États-Unis. Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie s’en est d’ailleurs vanté en précisant qu’elle avait dépensé cinq milliards de dollars[2] à cet effet. Les Occidentaux accusent aujourd’hui la Russie de vouloir reprendre le contrôle de l’Ukraine, après avoir récupéré la Crimée en mars 2014. Cette révolution n’eut pas l’heur de plaire aux Ukrainiens russophones, majoritaires dans la province du Donbass. L’imposition de l’ukrainien comme langue officielle fut la goutte qui fit déborder le vase, incitant les républiques de Donetsk and Louhansk à faire sécession. Pour l’éviter, la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France formèrent un quatuor, rapidement baptisé « Normandy format ». En février 2015, ils signèrent les Accords de Minsk par lesquels les Ukrainiens s’engageaient à rédiger une nouvelle constitution accordant une large autonomie aux républiques sécessionnistes. Sept ans plus tard, aucun accord n’est intervenu entre les parties. Les États-Unis ont fait pression sur la Russie pour que celle-ci s’insère dans ce processus ce qu’elle a refusé de faire.

    L’Ukraine est liée à la Russie. Kiev fut un temps la capitale de la Russie. C’est en raison de ce lien étroit que le politologue américain d’origine polonaise, Zbigniew Brzezinski, se référant au géographe anglais Halford Mackinder, écrira dans Le Grand échiquier que la domination de la Russie passe par l’Ukraine. « Sans l’Ukraine, écrit-il, la Russie cesse d’être un empire eurasien ». Or, l’objectif des néoconservateurs est l’établissement d’un nouvel ordre mondial qui présuppose la soumission de la Russie. L’Histoire montrera que Brzezinski s’est trompé. Ce n’est pas la Russie qui s’est effondrée mais l’Ukraine — aujourd’hui en banqueroute.

    Pour ce faire, ils ont poursuivi une politique d’encerclement de la Russie. Aux douze membres fondateurs de l’Alliance atlantique, créé en avril 1949 pour faire face à la menace soviétique, se joindront la Hongrie, la Pologne, la République tchèque en 1999, puis en 2004 ce sera le tour de la Bulgarie, de la Lituanie, de la Slovaquie, de la Slovénie, de l’Estonie, et de la Lettonie — ces deux derniers ayant une frontière commune avec la Russie. En outre, la déclaration de Bucarest d’avril 2008 entrouvre les portes de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine — cette déclaration provoquera la guerre de Géorgie d’août 2008 qui se soldera par le contrôle des républiques d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie par la Russie. Cette déclaration surprend, non seulement par la menace qu’elle fait peser sur la Russie mais aussi par l’inclusion d’une nation corrompue, l’Ukraine,[3] dans la liste des nations susceptibles d’adhérer à l’Alliance atlantique et à ses valeurs démocratiques. Pour atteindre leur objectif, les Occidentaux ont prêté 35 milliards de dollars à l’Ukraine par l’intermédiaire du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et des États-Unis, sans compter les livraisons d’armement qui s’élèvent à un demi-milliard de dollars pour les seuls États-Unis — montant qui devrait croître prochainement, si l’on en croit les déclarations de certains sénateurs américains.

    Les sanctions

    Les sanctions présument un coup d’État russe, une opération sous faux drapeau, voire une invasion pure et simple de l’Ukraine. Quelles seraient-elles ? L’exclusion du système SWIFT[4], la limitation d’achats de gaz et de pétrole russes et l’annulation d’un contrat d’approvisionnement par le biais d’un gazoduc, nouvellement terminé, Nord Stream II.[5] Ces sanctions sont inapplicables et ne font l’unanimité ni au Congrès, ni en Europe. Le 14 janvier, des sénateurs démocrates ont eu recours, avec l’accord du président Biden, à une procédure d’obstruction[6] que par ailleurs ils désapprouvent, pour s’opposer à un projet républicain de sanctions qu’ils trouvaient excessif. Les Européens qui règlent leurs achats de gaz et de pétrole par le biais de SWIFT ne peuvent accepter que la Russie en soit exclue. Cela les obligerait à adopter un système parallèle lent, coûteux et moins sûr pour régler leurs factures de gaz et de pétrole. Ils dépendent de la Russie à 40% pour leurs approvisionnements en gaz et à 20% pour leur approvisionnement en pétrole. La décision d’Angela Merkel d’arrêter les centrales nucléaires dans des délais très brefs a créé une dépendance accrue de l’industrie et des foyers allemands à l’égard de la Russie. Le Qatar, contacté par les États-Unis, ne peut satisfaire les besoins européens sans pénaliser ses clients asiatiques. Ironie de l’histoire, un gazoduc qui devait relier l’Iran à l’Europe en 2017, a été annulé à la suite des sanctions américaines frappant ce pays. Un autre gazoduc qui devait relier le Qatar à l’Europe, en passant par l’Arabie saoudite et la Syrie, n’a jamais vu le jour. Dans une récente étude[7], le think-tank Bruegel conclut que l’Europe peut survivre à une brève et forte interruption de son alimentation en gaz, mais ne peut tolérer un arrêt prolongé.

    En résumé, les sanctions divisent plus qu’elles ne rallient à la cause néoconservatrice. Elles sont une menace plus virtuelle que réelle, inapplicables dans les faits, faisant tout autant, voire plus de tort à l’Europe qu’à la Russie, comme le passé l’a démontré.

    Que veut Vladimir Poutine et pourquoi maintenant ?

    La sécurité pour son pays. Il l’a expliqué dans de nombreux discours et conférences de presse. Dans celle du 17 juin 2016, il souligne que les missiles américains installés en Roumanie dirigés contre l’Iran, pourraient tout aussi bien l’être contre la Russie. Il ajoute que ces missiles Tomahawk dont la portée leur permet d’atteindre Moscou en quelques minutes, peuvent être indifféremment équipés de charges conventionnelles ou nucléaires. S’adressant aux journalistes occidentaux, il leur demande « Comment puis-je savoir de quelle charge ils sont équipés s’ils se dirigent vers nous ? ». Puis il ajoute, quelque peu énervé : « Que puis-je dire d’autre pour vous convaincre du climat d’insécurité dans lequel nous vivons ? »

    Poutine souhaite une aire géographique de sécurité autour de la Russie dépourvue de missiles — une aire semblable à celle dont jouissent les États-Unis. Les médias ont déformé ses propos en parlant de « sphère d’influence » laissant entendre que son objectif réel était la domination de l’Europe — oubliant ou ignorant que les États-Unis jouissent d’une telle aire depuis la doctrine Monroe[8] — aire qu’ils n’ont cessé d’élargir. L’objectif de Poutine est légitime. Le chef de la Marine allemande, l’amiral Kay-Achim Schönbach, l’a reconnu. Son franc-parler lui a valu de démissionner. Des chefs d’État aussi prestigieux que Bismarck, Metternich ou le cardinal de Richelieu, artisans de l’équilibre des forces en présence, seraient d’accord. C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre la remarque de Vladimir Poutine quand il dit que la chute de l’Union soviétique fut la plus grande catastrophe du XXe siècle parce qu’elle rompit l’équilibre des forces qui assurait la paix en mettant fin à la destruction mutuellement assurée — pilier de la Guerre froide. Sa remarque n’a rien d’un quelconque regret idéologique ou puéril, comme le laissent entendre les médias occidentaux — sentiment au demeurant étranger à ce dirigeant hyper-rationnel peu sujet aux états d’âme.

    Poutine a bien choisi son moment pour agir. Les États-Unis sortent affaiblis de la guerre en Afghanistan. Le slogan de Joe Biden, « l’Amérique est de retour », n’a guère convaincu. Son programme de revitalisation et de rééquilibrage de l’économie s’est perdu dans les méandres du Congrès, sans espoir de retour. Le dollar — l’un des piliers de la puissance américaine — est fragilisé par la politique des États-Unis. Sa valeur tient pour partie à la bonne santé de l’économie américaine. Or non seulement, la dette publique est financée à 40% par la création monétaire et les investisseurs étrangers, mais la position extérieure nette[9] des États-Unis est négative. Elle s’élève à 15 420 milliards, soit 67% du produit intérieur brut, et rend potentiellement le dollar vulnérable aux aléas de la politique mondiale.

    Dans son discours du 1er mars 2018, Poutine regrettait de ne pas être écouté. Il le sera désormais car il s’en est donné les moyens. L’économie russe est sortie de la dépression qu’elle a connue sous Eltsine. Elle est peu endettée et dispose d’importantes réserves de change. Avec des ressources dérisoires — le budget de la défense est le dixième du budget américain — Poutine a construit une défense moderne[10] à la pointe de la technologie. Les liens qu’il entretient avec la Chine et l’Inde, accroissent sa stature internationale, et son appartenance à l’Organisation de la coopération de Shanghai — une alliance économique, politique et militaire qui rassemble neuf Etats dont la Chine, l’Inde, et l’Iran, soit 40% de la population mondiale avec un produit intérieur brut égal à près de 30% du total mondial — le sort d’un isolement supposé.

    Fin de partie

    Dans un récent article,[11] Ross Douthat, journaliste du New York Times, note qu’après « une génération de mauvaises décisions, le temps est venu [pour les États-Unis] d’entamer une retraite digne et décente (de la scène mondiale). » Deux journalistes de Politico[12] vont plus loin en recommandant la création d’une zone de sécurité pan-européenne dépourvue de missiles balistiques, la limitation des troupes auprès des frontières, l’engagement de ne pas admettre l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN pendant les 20 à 25 prochaines années, et la neutralité de l’Ukraine.

    Quand vous devez faire appel à votre concurrent, voire votre ennemi, comme le fit Anthony Blinken qui appela son homologue chinois Wang Yi le 27 janvier pour lui demander de l’aide dans le conflit qui l’oppose à la Russie, et quand le même jour, votre adjointe en la personne de Victoria Nuland se permet de menacer ce dit concurrent s’il ne vient pas à votre aide, vous savez ou devriez savoir que vous avez perdu la partie.

    Avec son projet d’architecture européenne, Vladimir Poutine a sifflé la fin de la partie qui a débuté en décembre 1991. Il pose un dilemme aux États-Unis. S’ils acceptent sa proposition, ils renoncent à l’hégémonie. S’ils la refusent, ils s’exposent aux mesures de rétorsion technico-militaires annoncées par Poutine qui n’en a pas précisé la nature. Ce faisant, le dirigeant russe s’est enfermé dans son propre dilemme, car il doit réagir fermement si les Américains refusent d’adhérer à ses propositions au risque de perdre toute crédibilité sur la scène internationale. En tant que joueur d’échec, il a prévu le coup d’après. Quel sera-t-il ? Personne ne le sait, mais il se doit d’être dissuasif pour convaincre les États-Unis de sa détermination, sans être excessif pour ne pas susciter une escalade qui pourrait se révéler tragique.

    C’est la fin d’une histoire — l’histoire d’une nation, les États-Unis, qui fit rêver le monde entier mais non la fin de l’Histoire, comme le croyait Francis Fukuyama. Le monde n’est pas unipolaire, comme le voulaient les néo-conservateurs, mais multipolaire, comme le souhaitent la Russie, la Chine, l’Inde et bien d’autres nations. Aux dirigeants américains de le comprendre et de l’accepter… Le brouhaha médiatique n’est qu’une diversion destinée à détourner l’attention du public, à décrédibiliser un dirigeant russe, et à saborder son projet en le présentant comme l’assaillant d’une nation sans défense, et ainsi préserver le statu quo. 

    Emmanuel Macron semble avoir compris le jeu des Américains. Attendons de voir ce que donneront ses contacts avec Vladimir Poutine, et de quelle autorité il jouira auprès de ses collègues européens dans les prochaines semaines en raison de la proximité de l’élection présidentielle en France. Si, à cette initiative de la France, s’ajoute une avancée dans les négociations qui se tiendront prochainement à Berlin entre les quatre membres du « Normandy format », il est permis d’espérer une résolution pacifique de la crise, une résolution pan-européenne, sinon globale. L’approche française n’est certes pas du goût de Washington, mais compte-tenu du traitement accordé à la France dans l’affaire AUKUS[13], cela ne devrait guère inquiéter Paris.

    Jean-Luc Basle (Centre français de recherche sur le renseignement, 2 février 2022)

     

    Notes :

    [1] Démonstration a été faite que les photos utilisées pour démontrer le rassemblement de troupes russes sont truquées : « A ‘Pathogenetic’ Conflict – There is no Russian Invasion Threat to Ukraine », 25 Janvier 2022.

    [2] Ukraine : Interviewer Victoria Nuland ou comment ne rien comprendre à la crise.

    [3] Transparency International le classe au 117e rang en 2020 (sur 180 nations analysées).

    [4] Service de messageries extrêmement efficace qui certifie les ordres interbancaires de transfert de fonds.

    [5] Certains vont plus loin, comme le sénateur Roger Wicker qui envisage l’usage d’armes nucléaires, ou Evelyn Farkas, sous-secrétaire d’Etat adjointe à la Défense de 2012 à 2015, qui le laisse entendre. A ces violences verbales, certains analystes russes répondent par des propos tout aussi agressifs.

    [6] Filibuster.

    [7] Can Europe survive painlessly without Russian gas? Bruegel – Jan. 27, 2022.

    [8] Message du président James Monroe au Congrès en 1823 dans lequel il s’oppose à toute intervention militaire européenne dans les Amériques.

    [9] La position extérieure nette d’une nation représente la différence entre son actif et son passif financier. Une position nette négative représente une dette vis-à-vis de l’étranger.

    [10] “Russia’s Military, once creaky, is modern and lethal”, 27 janvier 2022.

    [11] “How to Retreat from Ukraine”, New York Times, Jan. 22, 2022

    [12] “How to Get What We Want from Putin, by Thomas Graham and Rajan Menon”, Politico, January 10, 2022

    [13] Alliance tripartie, Australie, Grande-Bretagne, Etats-Unis, de septembre 2021 pour contrer la Chine, qui s’est soldé pour la France par l’annulation de son contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie d’un montant de 40 milliards de dollars.

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  • «L'Union européenne se révèle incapable de défendre ses frontières»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Max-Erwann Gastineau au Figaro Vox et consacré à la protection des frontières de l'Union européenne.  Diplômé en histoire et en science politique, Max-Erwann Gastineau est essayiste et a publié Le Nouveau procès de l'Est (Éditions du Cerf, 2019).

     

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    Construction du mur en Pologne: «L'Union européenne se révèle incapable de défendre ses frontières»

    FIGAROVOX. - Le Parlement polonais a donné vendredi son feu vert définitif au projet gouvernemental de construction d'un mur à la frontière avec la Biélorussie pour empêcher les migrants et les réfugiés de passer en Pologne. Est-ce la seule solution pour ce pays membre de l'Union européenne ?

    Max-Erwann GASTINEAU. - Le 7 octobre dernier, les ministres de l'Intérieur de douze pays membres, dont la Pologne, l'Autriche, le Danemark ou la Grèce, appelaient l'Union européenne à changer radicalement de philosophie en matière migratoire. Appel adressé, sous un double prisme sécuritaire (sécurité culturelle et frontalière), aux commissaires Margaritis Schinas, chargé de la Promotion de notre mode de vie européen, et Ylva Johansson, chargée des Affaires intérieures. En juin 2020, la Commissaire suédoise décrivait comme «crucial d'ouvrir autant de voies de migration légales que possible», et ce pour des raisons d'ordre non seulement humanitaire, afin de contrer le développement des réseaux de passeurs, mais également économique, en vue de répondre au vieillissement de la population européenne : «chaque année, affirmait-elle dans un entretien accordé au journal La Croix, plus de deux millions de migrants rejoignent l'UE légalement. Cela fonctionne très bien, et je voudrais voir cette part augmenter.»

    Prisme culturel et sécuritaire d'un côté ; prisme humanitaire et économique de l'autre… On ne saurait mieux résumer la nature idéologique du mur d'incompréhensions qui, depuis des années, divise l'Europe et soumet ses instances dirigeantes aux pesanteurs d'un «humanitarisme total», selon l'expression ici formulée par Donald Tusk, ancien président du Conseil européen de 2014 à 2019.

    La décision de Varsovie de construire un mur à sa frontière orientale, quelques mois après les débuts de la crise biélorusse, est une réponse à ce mur idéologique, témoin de notre impuissance collective. Elle révèle un terrible échec ; celui de l'Union européenne à réaliser la promesse induite par la création de l'espace Schengen en 1997 : substituer aux frontières intérieures de l'Europe l'institution et la défense de frontières extérieures «communes» aux États membres.

    Si l'Union européenne s'est montrée incapable de défendre ses frontières, et d'apporter une aide matérielle à la Pologne, qui depuis août nous alerte sur la situation migratoire à sa frontière orientale, ce n'est pas en raison d'un défaut de compétences ni même de moyens (le budget de Frontex est passé de 114 millions d'euros en 2015 à 460 millions en 2020 et 544 millions en 2021), bien que l'on puisse juger ces derniers encore insuffisants. Mais en raison d'un défaut de fins, d'accord et de clarté sur les finalités du projet européen.

    Quelles fins l'Union européenne poursuit-elle ? Se pense-t-elle comme une entité politique en devenir, capable d'agir en complément, voire en supplément des États, jusqu'à assumer le corollaire de cette prétention : l'emploi de la contrainte pour défendre ses frontières ? Ou est-elle condamnée à n'être que le dernier visage d'une utopie née après la chute du mur de Berlin, indifférente à l'histoire et à la géographie, purement procédurale, antipolitique, autorégulée par des dispositifs juridiques et techniques, tels que ceux appelés à accélérer l'uniformisation des règles nationales d'asile ou la mise en œuvre de mécanismes de répartition automatique des réfugiés ? Derrière la construction du mur polonais, c'est l'avenir et le sens de la construction européenne qui se jouent.

    Ce mur participera-t-il à régler la crise migratoire ? Est-ce viable ?

    Ce mur ne saurait, à lui seul, répondre au défi migratoire, qui concerne d'ailleurs bien plus le sud - des côtes méditerranéennes espagnoles aux portes maritimes des Balkans - que la frontière orientale polonaise. Il envoie cependant un message clair aux instances européennes et aux États de l'Ouest, en leur rappelant qu'ils ne sauraient plus longtemps réprouver les conséquences de leur apathie.

    En mettant l'UE au pied du mur, le mur polonais pourrait, en outre, ouvrir un espace propice à l'avancement de l'agenda «migratoire» européen. On le voit avec Emmanuel Macron qui, après avoir rencontré le chef de gouvernement hongrois et meilleur allié de la Pologne, Viktor Orban, a annoncé vouloir profiter de la présidence française de l'UE pour organiser «une politique cohérente de maîtrise de nos frontières extérieures».

    La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que l'Union ne financerait pas la construction de barrières aux frontières de l'UE. Comprenez-vous le statu quo de l'Union européenne sur ce sujet ?

    Dans l'Europe des droits de l'homme, la frontière n'est pas une norme mais une anomalie, une sorte de concession faite à la réalité honnie des nations. La fin de non-recevoir opposée par Ursula von der Leyen à la Pologne nous le rappelle avec force : l'UE a moins le souci de protéger ses frontières que de dépassionner la question, via la mise en place d'une meilleure répartition de la «charge» migratoire. Comme si la question était d'abord de parvenir à contenir la colère des peuples et non d'en ralentir la cause : l'intensité des flux migratoires et l'angoisse existentielle qu'elle nourrit, inspirée d'un constat qu'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avaient su poser en 2010, à défaut d'en conjurer les effets : «l'échec du multiculturalisme».

    Le grand philosophe libéral américain, Michael Waltzer, nous prévenait : «abattre les murs de l'État (…) ce n'est pas créer un monde sans mur mais plutôt créer un millier de petites forteresses». La Pologne ne veut pas faire de l'Europe une forteresse ; elle veut éviter de les multiplier. Elle veut échapper au destin multiculturel de l'Ouest, rester une nation libre d'apprécier ce qui distingue l'ici de l'ailleurs. Comment lui reprocher, aujourd'hui, le fait de tirer toutes les conséquences de nos atermoiements passés ?

    Au lieu de promouvoir de nouveaux mécanismes de relocalisation, l'UE doit créer la possibilité de renvoyer les migrants illégaux vers leurs points de départ et d'y traiter leurs demandes d'asile. La différenciation entre les migrants qui ont réellement besoin de protection internationale et les migrants économiques sera cruciale, si l'on veut sauver le droit d'asile de son dévoiement et s'assurer que seuls ceux qui ont réellement besoin de protection entrent sur le territoire européen.

    Les Nations unies ont demandé une action urgente pour sauver des vies et éviter des souffrances à la frontière entre l'UE et la Biélorussie, après la mort de plusieurs demandeurs d'asile. Une intervention de l'UE aurait-elle permis d'éviter ces drames ?

    Difficile de le dire, tant l'impuissance de l'UE est patente. Une chose est sûre : pour éviter de nouveaux drames, nous devrons changer de logiciel. En juin 2018, un accord sur l'immigration conclu par les chefs d'État et de gouvernement avait soutenu l'idée formulée par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) de créer des «plates-formes de débarquement» hors de l'UE. Une mesure qui rappelle le programme «Operation Sovereign Border» (Opération Frontières souveraines) lancé par l'Australie en 2013. Programme dont l'objectif visait à intercepter les bateaux de migrants voguant à leur péril, pour les conduire dans des centres de transit installés sur les îles voisines de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le tout en échange de contreparties financières, telles que celles aujourd'hui fournies par l'UE à la Turquie, et demain à d'autres pays de transit, tels que l'Iran ou le Pakistan ? La question mérite d'être posée.

    En joignant le geste à la parole, l'Australie a su préserver ses frontières et sauver des vies. L'UE le peut-elle ? Dans des arrêts de mai et de décembre 2020, la Cour de Justice de l'UE (CJUE) condamnait la Hongrie pour remise en cause de la directive «retour», interdisant le refoulement des migrants entrés en situation irrégulière (afin qu'ils puissent faire valoir leur droit à déposer une demande d'asile), et l'institution de zones de transit en Serbie, rendant de fait impossible la protection effective des frontières de l'UE.

    Le primat des droits de l'individu sur les impératifs de souveraineté et de sauvegarde du «droit à l'identité nationale», que le juge hongrois a dernièrement tenté d'opposer au juge européen, est le produit d'un processus historique étranger à la démocratie australienne… Mais pourrons-nous encore longtemps préférer les droits aux murs sans questionner les effets sclérosants de l'extension continue du carcan jurisprudentiel européen ?

    Faut-il renforcer la présence de l'OTAN dans cette partie de l'Europe ?

    Si l'Union européenne veut, demain, exister sur la scène internationale, elle devra se doter d'une pensée géopolitique propre. Pas d'indépendance politique sans autonomie de pensée. Mais y aspire-t-elle seulement ? N'oublions jamais que les États ont la politique de leur géographie et que la nature fondamentalement anarchique du système internationale les invite, en permanence, à maximiser les conditions de leur propre sécurité. Si la Pologne, à l'image d'autres nations de l'Est, comme les nations baltes, n'a aucune raison objective de se priver de la protection américaine que lui fournit l'OTAN, la question se pose différemment pour la France.

    La présence toujours plus forte de l'OTAN à l'est de l'Europe est-elle de nature à renforcer notre sécurité collective ou, au contraire, à force d'insécuriser notre incontournable voisin russe, prépare-t-elle l'avènement de futures crises - énergétiques, migratoires, voire militaires ?

    L'UE doit d'urgence repenser son rapport à l'OTAN et tirer toutes les conséquences que son absence d'autonomie fait peser sur sa sécurité et ses relations extérieures. Mais comme ce sursaut «réaliste» a, dans les faits, peu de chances de se produire, je dirais que seul le retour d'une France forte, capable de développer une diplomatie propre, débarrassée des œillères que lui impose l'atlantisme ordinaire des élites européennes, pourra poser les termes d'une autre voie pour l'Europe dans le rapport plus serein qu'elle doit désormais construire avec ses voisins orientaux.

    «Le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie», déclarait à la conférence des Ambassadeurs d'août 2019 le président Emmanuel Macron. Reste à passer des mots aux actes, comme sur l'immigration.

    Max-Erwann Gastineau, propos recueillis

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  • Ce qu'il manque au patriotisme français...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo de Thaïs d'Escufon qui nous livre un plaidoyer impeccable pour la prise en compte de la dimension européenne de la France. Porte-parole talentueuse et courageuse du mouvement Génération identitaire, Thaïs d'Escufon développe désormais une activité de publiciste sur les réseaux sociaux.

    A suivre !

     

                                              

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