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europe - Page 136

  • Le dilemme français...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Eric Branca publié dans Spectacle du monde et consacré aux choix qui s'offrent à la France en matière de politique étrangère...

     

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    Le dilemme français

    Héritière d’une prestigieuse tradition remontant à l’Ancien Régime, la diplomatie française de la Ve République, sous l’impulsion initiale du général de Gaulle, sut faire entendre une voix originale et respectée. Une voix nonalignée. En dépit d’inflexions de plus en plus sensibles – surtout après la fin de la guerre froide (1991) et le traité de Maastricht (1992) –, les successeurs de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou à Jacques Chirac inclus, se sont attachés à inscrire leur action dans une certaine continuité, à préserver un certain esprit d’indépendance, quelques principes. Ayant fait campagne, en 2007, sur le thème de la « rupture », Nicolas Sarkozy n’avait pas dissimulé, alors, que celle-ci visait aussi cet héritage. Aujourd’hui, alors que son quinquennat arrive à son terme, quel bilan peut-on tirer de son action, quelle est l’image de la France dans le monde, quelles perspectives d’avenir peut-on esquisser ?

    De Gaulle estimait que la France se devait d’avoir une « grande politique » sous peine de ne plus exister. Giscard préférait indexer notre influence sur son poids : « 1 % du monde ». La contradiction est d’autant moins résolue que, depuis trente ans, les traités européens auxquels nous souscrivons multiplient les ligotis juridiques censément « irréversibles »…

    Ceux qui ont lu les Mémoires de guerre du général de Gaulle se souviennent du passage célèbre où, décrivant ses débuts à Londres, dans les premiers jours de l’été 1940, il fixe la stratégie à laquelle le contraint son isolement et même, alors, son anonymat : « Ce dénuement même me traçait ma ligne de conduite. C’est en épousant, sans ménager rien, la cause du salut national que je pourrais trouver l’autorité… Les gens qui, tout au long du drame, s’offusquèrent de cette intransigeance ne voulurent pas voir que, pour moi, tendu à refouler d’innombrables pressions contraires, le moindre fléchissement eut entraîné l’effondrement. Bref, tout limité et solitaire que je fusse, et justement parce que je l’étais, il me fallait gagner des sommets et n’en descendre jamais plus. »

    Vision immédiate du rapport de force (en l’espèce, le plus défavorable qui se puisse imaginer, à la fois pour la France, dépecée par l’ennemi, et pour de Gaulle, prétendant la relever à partir de rien) et choix du meilleur levier pour le rééquilibrer (en l’occurrence, le plus inattendu : cet acte de volonté brute en forme de coup de poker qui prendrait de court les Britanniques, rompus, depuis les années 1930, à décider pour les Français), tout se tient. Le premier geste historique du futur fondateur de la Ve République est d’abord un geste de politique étrangère qui fondera, plus tard, sa légitimité dans l’ordre intérieur. Face aux Britanniques, de Gaulle comprend que s’il n’est pas reconnu comme un allié à part entière, il n’incarnera pas la France aux yeux du monde ; et que, sans cette base de départ, il est vain d’espérer que, même en cas de victoire alliée, la France, mise hors jeu par l’armistice, recouvre jamais son statut d’Etat souverain. Mais en réaliste, il comprend aussi que cette volonté d’incarner la France doit se traduire juridiquement : ayant été reconnu, faute d’autres candidats, seul chef des Français libres par Churchill, son souci primordial est de faire en sorte que ses premiers partisans n’incarnent pas une légion de combattants au service de la Grande-Bretagne, mais l’embryon d’une organisation appelée, le jour venu, à incarner la légitimité française.

    Non sans humour, le grand juriste René Cassin, que de Gaulle avait chargé, le 29 juin 1940, de rédiger dans ce sens les ordonnances fondatrices de la France libre, décrira après la guerre l’image qui lui traversa l’esprit à ce moment précis : « Si Hitler regardait par le trou de la serrure, et entendait ce professeur de droit qui doctrinait : “Nous sommes l’armée française’’, et ce général à titre provisoire qui renchérissait : “Nous sommes la France’’, il s’écrierait certainement : “Voilà deux fous dignes du cabanon !”... »

    Pourtant, cinq semaines plus tard, le « fou » obtiendra gain de cause en signant avec Churchill les accords du 7 août 1940 par lesquels le Royaume- Uni reconnaissait à la France libre un statut d’allié à part entière. Ceux-ci lui permettront de se doter d’une administration et de finances propres, qu’alimenteront les dons recueillis par les comités de Français libres du monde entier et surtout les avances remboursables consenties par la Grande- Bretagne. Ce dernier détail est essentiel, car s’ils n’avaient pas d’emblée été conçus comme tels, ces subsides auraient privé la France libre de toute marge de manoeuvre à l’égard de son hôte. De fait, la plupart de ces avances seront remboursées, dès avant la fin de la guerre, sous forme de fournitures militaires (les navires, par exemple, que les jeunes Forces navales françaises libres ne pouvaient armer en raison de la faiblesse de leurs effectifs) et de matières premières livrées à la Grande-Bretagne à partir des territoires ralliés à la France libre.

    C’est que, pour de Gaulle, qui s’inscrit dans une tradition à la fois chrétienne et platonicienne, l’essence précède l’existence : « l’idée de la France » existant indépendamment de son incarnation, il suffisait de poser sa survie avec suffisamment de foi pour que les faits – appuyés sur une logique rigoureuse (« vaincus par une force mécanique supérieure, nous pourrons vaincre, demain, par une force supérieure encore », etc.) – lui donnent raison. Toute sa politique future en découlera, mélange d’empirisme parfois brutal et de vision spirituelle à long terme : la dissuasion du faible au fort comme antidote à la double hégémonie convenue des hyperpuissances et comme garantie contre la protection abusive d’alliés trop envahissants ; la sortie du commandement militaire intégré de l’Otan afin que les armes de la France ne concourent pas à des buts de guerre contraires à ses intérêts vitaux ; la promotion d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » comme alternative au rideau de fer…

    Pour spectaculaire qu’ait été ce retour en force de la France dans les affaires du monde aux yeux d’une opinion internationale déshabituée, depuis 1918, à voir la France jouer un rôle de premier plan, de Gaulle ne s’en inscrivait pas moins dans la droite ligne de la politique classique de la monarchie française : la priorité traditionnelle aux alliances de revers pour équilibrer le poids de l’Empire (avec le pape contre le Saint Empire, sous Saint Louis ; avec le Grand Turc contre Charles Quint, sous François Ier), se traduirait, dans les années 1960, par l’engagement de la France dans deux directions simultanées et complémentaires, destinées à équilibrer la thalassocratie anglo-saxonne : une politique résolument continentale (dégagement colonial, rapprochement franco-allemand, détente avec l’URSS) et une prise en compte des revendications du tiers-monde afin de pouvoir compter sur des alliés sûrs à l’ONU.

    Mais, en 1974, changement de cap : avec l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing, la France renoue avec la logique de « sécurité collective » qui avait prévalu entre les deux guerres, sous l’influence de Jean Monnet, l’un des pères de la Société des nations (SDN) avant de devenir celui de l’Europe supranationale actuelle. Dans cette conception, les Etats sont moins des entités historiques, dotés, d’intérêts vitaux dont les gouvernements sont comptables que des pions sur l’échiquier d’une démocratie mondiale où tout se décide par le vote.

    Après l’essentialiste de Gaulle, voici l’existentialiste Giscard, pour qui toute politique étrangère se fonde sur le poids relatif des Etats. On connaît celui, démographique de la France, qu’il prend soin de rappeler à ses concitoyens, dès les premiers jours de son mandat : « 1 % du monde ». A de Gaulle, qui, d’un constat plus pessimiste encore (le nanisme politique de la France libre) tirait la conclusion que seule une « très grande politique » pouvait nous préserver de la disparition, succède une philosophie, progressivement acceptée par tous, selon laquelle la volonté s’efface devant la nécessité.

    Ecoutons Valéry Giscard d’Estaing dresser les grandes lignes de sa politique étrangère, à l’occasion de sa première conférence de presse consacrée au sujet, le 20 décembre 1974 : «Nous passons d’une civilisation de groupe à une civilisation mondialiste. La politique étrangère, c’est essayer de trouver des solutions qui permettent réellement de traiter les problèmes de l’espèce, la paix, la pollution, le développement, ainsi de suite… Ce qui fait que, nécessairement, la politique étrangère de la France sera une politique mondialiste et de conciliation. A l’heure actuelle, la France n’a plus aucune revendication d’aucune sorte. [Sa vocation], c’est d’aider à l’apparition d’un certain mondialisme des problèmes… C’est pourquoi on peut dire : “Vous êtes l’ami de tout le monde, vous êtes l’ami des Soviétiques, vous êtes l’ami des Américains”… Effectivement, notre rôle, c’est d’être un facteur de conciliation chaque fois que c’est possible… »

    Ainsi, si la France se doit d’être partout présente, ce n’est plus, comme naguère, pour défendre ses intérêts spécifiques, mais, au contraire, pour aider indistinctement l’URSS et les États-Unis, à désamorcer les tensions. Pour la première fois, le refus des rapports de force devient un axiome et l’angélisme un mode d’expression. De fait, Giscard ne croit pas que le condominium soviéto-américain, que de Gaulle n’avait de cesse de briser, soit un danger pour la paix du monde. Mieux : il estime nécessaire d’enrôler la France à son service.

    Les conférences sur le désarmement, que de Gaulle autant que Pompidou refusaient de cautionner parce qu’ils les tenaient pour un moyen de neutraliser le pouvoir d’équilibre des non-alignés ? Giscard promet d’y participer tôt ou tard, et l’annonce même d’emblée à Leonid Brejnev ! D’où le choix – par contraste avec un Maurice Couve de Murville ou un Michel Jobert – de ministres en phase avec la modestie des buts assignés à la France, « puissance moyenne » selon Giscard. Au reste, que demander à un Jean Sauvagnargues, à un Louis de Guiringaud, ou même à un Jean François-Poncet, si ce n’est « gérer l’imprévisible », selon la formule mise à la mode par le nouveau président de la République ?

    Gérer l’imprévisible : au nom de ce principe, quelle direction donner à la politique hors celle que semblent indiquer les événements ? Même le Monde, naguère si prompt à dénoncer la politique de la « France seule » qui fut, à l’en croire, celle des deux précédents présidents, s’inquiète alors de l’absence de lisibilité du dessein giscardien. Avec Giscard, résume André Fontaine le 26 octobre 1974, ce n’est plus “l’intendance suivra”, comme sous de Gaulle, mais l’“intendance précède”. Et d’appliquer au chef de l’Etat cette formule tirée des Faux-monnayeurs de Gide : « Il ne s’oublie jamais dans ce qu’il éprouve, de sorte qu’il n’éprouve jamais rien de grand. »

    Mais de même que les gadgets de la « décrispation » giscardienne dissimulaient un vrai projet – rendre inutile l’alternance en vidant le programme commun de son contenu –, de même l’apparente résignation du nouveau pouvoir à laisser la France glisser du statut de sujet à celui d’objet de la vie internationale n’est pas le fruit du hasard. Elle doit tout à l’influence de Jean Monnet, qui, un mois à peine après l’élection de Giscard, décida de dissoudre son Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe, créé dix-huit ans plus tôt et devenu sans objet, puisqu’il avait propulsé l’un de ses membres à l’Elysée.

    Dès 1974, le programme Monnet, conçu comme une fusion progressive des nations européennes en un Etat fédéral expérimental, prodrome d’un gouvernement mondial (lire à ce sujet ses Mémoires, parus chez Fayard, en 1976), sort des cartons et prend vie : création du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, décision, en 1977, d’élire le Parlement européen au suffrage universel direct (dernier projet supervisé par Jean Monnet, alors âgé de quatrevingt- huit ans) ; création, surtout, du Système monétaire européen (1979), matrice d’où sortira, avec le traité de Maastricht (1992), l’instauration d’une monnaie unique européenne, le 1er janvier 1999.

    Avec Maastricht est inauguré un type d’accord international jusqu’alors inédit : la matière négociée ne s’impose plus à la loi interne des Etats seulement sous réserve de réciprocité, comme dans les traités internationaux classiques, mais en toutes circonstances ; et surtout, celle-ci vaut acceptation d’un droit externe supérieur aux lois nationales forgées par les Parlements. La souveraineté qui, depuis Aristote, était un absolu (de même qu’une porte est ouverte ou fermée, on est libre ou on ne l’est pas), devient une valeur relative. Donc, n’existe plus dans sa définition classique. Le pli est pris qui, de jurisprudence en jurisprudence, va soumettre la loi votée, expression de la souveraineté populaire, à des textes édictés par des instances représentatives non élues, en l’occurrence les organes de l’Union européenne, la Commission de Bruxelles et la Cour de justice de Luxembourg, respectivement garante et interprète suprême des traités…

    Le dessaisissement des Etats va donc se poursuivre suivant un scénario bien rôdé : avec Maastricht, pas moins de dix-neuf matières seront reconnues de compétence communautaire, depuis la politique commerciale et douanière jusqu’au tourisme, en passant par l’industrie, la concurrence, l’environnement, la recherche, la santé et la protection du consommateur ; en 1998, le traité d’Amsterdam ajoutera l’immigration et la sécurité commune ; en 2009, le traité de Lisbonne, ratifié par voie parlementaire et reprenant point par point le texte de la Constitution européenne, refusé en mai 2005 par le peuple français, parachèvera l’évolution en soumettant, non plus seulement les droits internes, mais les droits constitutionnels nationaux au droit communautaire…

    Et voici que, sous la pression de la crise, exacerbée par les critères de convergence d’une monnaie unique imposant les mêmes obligations à des zones au développement divergent (pour faire court, la Bavière et le Péloponnèse), le futur traité – négocié sous la pression des marchés par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, le 5 décembre 2011 –, se propose de communautariser les questions budgétaires, donc fiscales !

    Un Etat privé de sa liberté budgétaire, donc incapable de fixer sans l’accord de ses voisins les marges de manoeuvre nécessaires à la défense de ses intérêts au sens large, peut-il, de fait, se targuer d’avoir encore une politique étrangère indépendante ? Comme on le dit d’un disque dur d’ordinateur, celle-ci se trouve ipso facto « formatée » : le logiciel fixe non seulement les moyens disponibles, mais encore et surtout, le but à atteindre. La standardisation s’impose pour les Etats de la même manière qu’elle s’impose pour les armées, dans le cadre de l’organisation intégrée de l’Otan, rejointe par la France en 2009.

    Ainsi est-on parvenu au résultat de « l’effet d’engrenage » (ou spill over effect) vanté par Jean Monnet au moment de l’entrée en vigueur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), en 1952 : un transfert en douceur des compétences traditionnellement régaliennes vers des organismes techniques échappant aux « aléas » – comprendre : à la volonté des peuples.

    Ce spill over effect, selon le vocable emprunté à l’école néofonctionnaliste américaine, chère aux disciples de Jean Monnet, a été fort bien résumé par Jacques Delors, alors président de la Commission de Bruxelles, le 30 novembre 1989, à l’occasion d’un colloque du Center for European Studies de Boston : « Le secret de la construction européenne est celui d’une dialectique entre la force des engagements fondamentaux et le développement spontané de ses multiples effets d’engrenage… »

    Contre de Gaulle, qui ne concevait l’économie que comme une discipline ancillaire du politique, Monnet aura bel et bien imposé l’ordre inverse : la soumission de la politique – qui implique la liberté de choix, donc l’existence de plusieurs possibles – à la technique économique, laquelle ne souffre aucune alternative, puisqu’elle se conçoit elle-même comme détentrice d’une rationalité suprême !

    En 2011, la boucle était bouclée, qui permettait à Jacques Attali d’expliquer comment la monnaie unique avait été conçue, à l’insu même des peuples, auxquels on l’avait « vendue » sous les espèces d’un produit miracle destiné à empêcher les crises, comme un engrenage destiné, au contraire, à imposer la création d’une super-administration pas nécessairement confinée aux frontières politiques de l’Europe : « Lorsque nous avons créé le marché unique, en 1984, confiait-il, le 11 août 2011 à la revue sur Internet du Council on Foreign Relations (CFR), nous savions que le marché unique ne pourrait pas fonctionner sans une monnaie unique, et nous avons créé une monnaie unique. Et lorsque nous avons créé cette monnaie unique, nous savions que la monnaie unique ne pourrait pas survivre sans un budget fédéral. » Il concluait : « Nous sommes en train de voir apparaître un marché mondial sans un Etat de droit mondial. Nous avons donc besoin d’une primauté globale du droit […] et d’un nouveau système international où la charge de la réserve de monnaie mondiale serait répartie entre les États-Unis, le Japon, la Chine et l’Europe. »

    De l’Europe à la crise et de la crise, conçue comme un levier, vers un gouvernement mondial : on voit à quoi ont abouti, depuis Maastricht, les ligotis acceptés par les Etats, de traité en traité, au prétexte d’assurer à l’Europe une prospérité qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne s’est pas imposée comme la contrepartie spontanée de l’extinction de leurs souverainetés.

    « On lie les boeufs par les cornes, et les peuples par les traités », résumait Antoine Loysel, l’un des plus grands légistes français, qu’admirait Richelieu. Quatre siècles plus tard, le dilemme de la politique étrangère française reste entier : garder les mains libres ou se soumettre aux engrenages, au risque de s’y faire broyer.

    Eric Branca (Le spectacle du monde, janvier 2012)

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  • Que faire de l'euro ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Alain de Benoist, publié dans la revue Eléments (n° 141, octobre 2011) et consacré à la crise de l'euro.

     

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    L'euro ? Il faut en faire une monnaie commune !

    La décision de doter l’Europe d’une monnaie unique fut prise à l’origine par François Mitterrand et Helmut Kohl, lors du sommet européen qui s’était tenu à Rome en décembre 1990. Mais ce n’est que le 1er janvier 1999 que l’euro est officiellement entré en vigueur, et c’est seulement à partir du 1er janvier 2002 que des billets et des pièces libellés en euro se sont substitués en Europe à un certain nombre de monnaies nationales. L’euro a donc à peine dix ans. Or, le voici déjà remis en question, puisque la crise de l’euro est désormais au centre des tourmentes monétaires.
    Certains s’en réjouissent, qui voient dans cette crise la preuve que leur hostilité à la construction européenne était parfaitement justifiée. Avec la crise de l’euro, disent-ils, c’est le dogme de l’irréversibilité de la construction européenne qui s’apprête à s’écrouler. Telle n’est pas notre position. Il n’y a en réalité aucune raison de se réjouir de la disparition éventuelle de l’euro, dont le principal bénéficiaire seraient les Etats-Unis, qui craignent depuis longtemps de voir l’hégémonie mondiale du dollar menacée par la naissance d’une nouvelle monnaie de réserve.
    Mais il n’y a aucune raison non plus de confondre la construction européenne avec l’actuelle monnaie unique. L’euro et l’Europe ne sont pas synonymes. En témoigne déjà le fait que certains pays de l’Union européenne (Danemark, Suède, Royaume-Uni) ne sont jamais entrés dans la zone euro. Comme l’a écrit Mark Weisbrot dans le Guardian de Londres, « Il n’y a aucune raison pour que le projet européen ne puisse se poursuivre, et l’Union européenne prospérer, sans l’euro »(1).
    L’instauration de l’euro aurait été une chose excellente à condition de respecter deux conditions : que le niveau de la monnaie unique ne soit pas indexé sur l’ancien mark, et que sa mise en place s’accompagne d’un système de protection commerciale aux frontières. Or, aucune de ces conditions n’a été remplie. Au lieu d’assurer une protection communautaire, c’est la carte du libre-échangisme intégral que l’on a décidé de jouer. En 1994, on a assisté au démantèlement du tarif extérieur commun qui, jusque là, protégeait en partie l’Europe de la concurrence dans des conditions de dumping social des pays à bas salaire. La surévaluation chronique de l’euro a ensuite accentué les déséquilibres. En même temps, on a artificiellement plaqué une monnaie unique sur des économies divergentes à tous égards. La crise était dès lors inévitable.
    Le problème de fond de l’euro découle de cette évidence qu’il ne peut y avoir de monnaie unique associant des pays de niveau structurellement divergent. On ne peut en effet appliquer la même politique monétaire, c’est-à-dire le même taux de change (qui détermine importations et exportations) et le même taux d’intérêt à des économies de structures et de niveaux différents. Une telle zone se transforme inéluctablement en zone de tranferts, les plus riches devant payer pour les plus pauvres afin de pallier leur faiblesse économique. C’est ce qu’a démontré la crise grecque.
    Philippe Séguin l’avait dit dès le 5 mai 1992, à la tribune de l’Assemblée nationale : « Dès lors que, dans un territoire donné, il n’existe qu’une seule monnaie, les écarts de niveau de vie entre les régions qui le composent deviennent vite insupportables. Et en cas de crise économique, c’est le chômage qui s’impose comme seule variable d’ajustement ». Deux ans plus tard, Jimmy Goldsmith affirmait de façon prophétique : « Le projet de monnaie unique […] signifierait qu’un pays tel que la Grèce ne pourrait pas ajuster sa monnaie par rapport à celle des Pays-Bas, par exemple. Nous en connaissons le résultat : soit le transfert de subventions vers les pays en difficulté, soit le transfert de chômeurs de ce pays vers d’autres plus prospères »(2). En 1998, enfin, Maurice Allais, Prix Nobel d’économie, avait prévenu : « Une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés, et de développement économique et social comparable »(3).
    L’euro a donc été adopté dans des pays fortement divergents du point de vue économique, situation que les « critères » de Maastricht n’ont nullement corrigée. Mieux encore, plus l’intégration économique s’est approfondie, plus cette divergence s’est accrue. Quant à la convergence des taux d’intérêt à court terme, elle a conduit à une plus grande divergence des politiques fiscales. L’application d’un taux d’intérêt unique à des économies pourvues d’un taux d’inflation différent a été l’une des sources majeures du gonflement de la dette dans des pays comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal. « L’euro a été aux dettes souveraines européennes ce que la vente libre d’armes à feu est au nombre considérable d’homicides aux Etats-Unis : un pousse-au-crime », a remarqué Nicolas Saint-Aignan.
    Traditionnellement, un Etat qui devient déficitaire dans son commerce extérieur a la possibilité de redresser la situation en dévaluant sa monnaie nationale (le prix de ses exportations sera réduit pour les acheteurs au prorata du taux de la dévaluation). Mais les « dévaluations compétitives » ne sont évidemment plus possibles avec l’euro. En outre, l’euro est depuis des années surévalué (il vaut aujourd’hui environ 1,4 dollar, contre 1 dollar lors de son instauration). Cette surévaluation est le résultat du jeu des marchés. Une monnaie forte rassure les préteurs éventuels sur les capacités de remboursement de ceux qu’ils financent, ce qui leur permet de ne pas exiger des taux d’intérêt trop élevés. A l’inverse, une monnaie faible les pousse à des taux d’intérêt majorés.
    Ayant obtenu au départ que le niveau de l’euro soit aligné sur l’ancien mark, les Allemands sont les seuls (avec l’Autriche et les Pays-Bas) à avoir réellement tiré bénéfice de l’euro. En 2009, l’Allemagne a accumulé 140 milliards d’euros d’excédents de sa balance commerciale, essentiellement au détriment de ses partenaires de la zone euro et des membres de l’Union européenne n’appartenant pas à cette zone (respectivement 82,6 et 3,2 milliards). La cherté de l’euro est en revanche à l’origine des déficits extérieurs de tous les pays du Sud de l’Europe.
    Leurs exportations diminuant en raison du niveau de l’euro, et leurs importations continuant d’augmenter, leurs déficits extérieurs ont explosé, entraînant une diminution de l’investissement productif et la multiplication des délocalisations.Avec l’affaire grecque, on a déjà commencé à s’orienter vers de gigantesques transferts financiers des pays du Nord vers le Sud, transferts qui ne peuvent que devenir très vite insupportables. On voit mal les Allemands, par exemple – qui ont déjà eu dans le passé à éponger la mise à niveau de l’ancienne RDA –, accepter de voir doubler ou tripler leurs impôts pour venir à la rescousse des autres pays d’Europe mis en difficulté. L’appel à la solidarité risque ainsi, non de renforcer l’Europe, mais de l’affaiblir. « En voulant sauver l’euro, estime Nicolas Dupont-Aignan, les dirigeants aveugles sont en train de détruire l’Europe. Car l’Europe n’a de sens que si elle permet à chaque peuple de prospérer davantage avec les autres que seul isolément ».
    La classe politique dominante a choisi la fuite en avant : tout faire pour « sauver l’euro » sans rien toucher au fond du système financier en place. Est-ce seulement réaliste ?
    L’économiste américain Nouriel Roubini a récemment laissé prévoir l’éclatement de la zone euro dans les cinq ans à venir. Il prévoit même pour 2013 l’éclatement de la « tempête du siècle » (« perfect storm »). La fin de l’euro, selon lui, permettrait aux pays du Sud de l’Europe de restaurer leur compétitivité par le biais d’une dévaluation massive de leurs
    monnaies nationales restaurées4. Cette opinion est partagée par bien d’autres experts, dont certain n’hésitent plus à préconiser un retour à ces anciennes monnaies nationales.
    Le grand argument que l’on oppose en général à une éventuelle sortie de l’euro serait que les pays qui s’y risqueraient verraient instanément leur dette augmenter, puisque celle-ci resterait libellée en euros. On peut répondre qu’en contrepartie ces pays pourraient adopter des mesures susceptibles de favoriser la hausse de la demande intérieure et le rétablissement de leur compétivité, ce qui leur permettrait au contraire de mieux faire face à leur endettement. Un retour aux monnaies nationales associé à une forte dévaluation – comparable à ce qui s’est passé dans les pays de l’Est lorsque ceux-ci ont abandonné le rouble après l’effondrement du système soviétique – abaisserait le coût des produits pour les acheteurs étrangers, et stimulerait d’autant les exportations, ce qui donnerait de meilleurs moyens de régler la dette. On a aussi fait observer que toute dévaluation consécutive à un retour aux monnaies nationales se traduirait fatalement par un renchérissement des produits importés hors de la zone euro. Mais ce dernier est en réalité assez faible : pour la France, les importations de biens et de services hors de la zone euro ne représentent que 13 % du PIB.
    Mais la solution optimale serait évidemment de procéder à une dévaluation massive, nominale et réelle, de l’euro préalablement à un retour aux monnaies nationales, ce qui permettrait d’en sortir sans dommages. L’abaissement de la parité de l’euro face au dollar favoriserait la réduction des déficits extérieurs et contribuerait à rendre plus soutenable les dettes souveraines des pays ayant restauré leur monnaie. Pour éviter l’alourdissement de la dette, celle-ci pourrait être convertie dans une monnaie commune représentant la moyenne des monnaies nationales.
    Dans un texte paru dans Le Figaro, co-signé par Jacques Sapir et Philippe Villon, l’économiste Gérard Lafay a ainsi pris position pour la transformation de l’euro en une simple monnaie commune. Il serait en effet parfaitement possible de conserver le seul avantage incontestable de l’euro – constituer à terme une monnaie de réserve – en transformant la monnaie unique actuelle en une monnaie commune au niveau déterminé à partir de l’euro et des monnaies nationales restaurées. « Ce nouveau système permettrait de changer une fois l’an les parités entre les différentes monnaies européennes, afin d’assurer à chaque pays une compétitivité monétaire raisonnable à l’intérieur de l’Union européenne et ce, tout en continuant à avoir face aux autres grandes devises mondiales une devise européenne unifiée » (Nicolas Dupont-Aignan). La monnaie commune établit une barrière face au reste du monde, mais n’interdit pas l’ajustement des parités de change entre les pays membres. Même si l’euro se maintenait à son niveau actuel dans un certain nombre de pays de la zone, il resterait encore la possibilité d’établir une monnaie commune avec certains pays seulement, dans le cadre d’un système de changes fixes, mais révisables, et d’un étroit contrôle des capitaux.
    Cette solution est très différente de celle du « gouvernement économique » européen que certains voudraient instaurer pour remédier à la crise. Ceux qui plaident pour cette solution en tiennent en fait pour un fédéralisme fiscal5. Or, aucune union monétaire ou fiscale n’a jamais pu survivre en l’absence d’une union politique. Mettre en place un gouvernement économique avant et en l’absence d’un gouvernement politique serait une aberration.
    Sortir de l’euro ne suffirait toutefois pas à s’affranchir de la dictature des banques et des marchés. Le retour aux monnaies nationales n’est en effet pas une panacée. Il ne réglerait aucun des problèmes structurels des sociétés actuelles, et ne constituerait en aucune façon une rupture avec la logique du Capital. « Recouvrer notre souveraineté monétaire n’aurait pas de sens si cela ne devait pas s’accompagner d’un changement radical de notre politique », estime très justement Jacques Sapir, selon qui une éventuelle sortie de l’euro devrait être préparée « comme une opération militaire »(6).
    Certains Etats vont-ils être contraints de quitter l’euro ? Les craquements qui se font entendre dans la zone euro annoncent-ils un éclatement généralisé ? S’achemine-t-on à court terme vers une crise terminale ? Et à long terme, vers une banqueroute mondiale ? La construction européenne, en tout cas, connaît aujourd’hui une situation de crise historique telle qu’elle n’en a jamais connu depuis ses débuts, en 1957. L’Europe, où les anciens Etatsnations se sont transformés en autant d’Etats-marchés, est simultanément en voie de marginalisation géopolitique, de vieillissement, de déstructuration sociale, de
    désindustrialisation et de paupérisation. On n’échappera pas à l’épreuve de force.


    Alain de BENOIST (Eléments, octobre 2011)


    1. « Why the Euro is Not Worth Saving », in The Guardian, 11 juillet 2011.
    2. Jimmy Goldsmith, Le piège, Fixot, Paris 1994.
    3. Maurice Allais, La crise mondiale d’aujourd’hui, Clément Juglar, Paris 1999.
    4. Financial Times, 14 juin 2011.
    5. G. Dussouy et B. Yvars, de l’Université de Bordeaux IV, se sont ainsi prononcés pour la
    réactivation d’un projet fédéraliste européen, seul susceptible à leurs yeux de « rassembler les
    dernières forces vives du continent » (« Bien-être et consolidation de l’Etat de droit dans l’UE dans le
    contexte de la globalisation », texte en ligne daté de juillet 2010).
    6. Cf. Jacques Sapir, La fin de l’euro-libéralisme, Seuil, Paris 2010 ; La démondialisation, Seuil,

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  • Costa Concordia : un naufrage symbolique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré au naufrage, chargé de sens , du Costa Concordia...

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    Costa Concordia : un naufrage symbolique

    Les anciens Romains croyaient aux présages. Le naufrage inattendu du navire de croisière Costa Concordia dans la nuit du vendredi 13 janvier n’en est-il pas un ?

    Disneyland flottant

    Que sont ces bateaux de « croisière » sinon de gigantesques casinos flottants, symboles de la démesure et du bling-bling contemporains ?

    Le Costa Concordia était une sorte d’autobus à 15 ponts qui faisait le tour de la Méditerranée. Une croisière à l’américaine : à bord, on bronze, on mange, on boit, on s’amuse et surtout on dépense son argent 24 heures sur 24. Car il faut rentabiliser au maximum l’investissement ! C’est pour cette raison que ces bateaux sont devenus de véritables villes flottantes : plus les passagers sont nombreux, plus grands sont les profits ! Les passagers se comptent désormais par milliers à bord de ces Disneyland flottants.
    Quand les passagers débarquent quelque part, c’est pour visiter en troupeau les curiosités locales ; pour ne pas se perdre dans la foule, chaque croisiériste porte d’ailleurs un badge de couleur, en fonction de sa « bordée ». C’est l’âge de la « culture » de masse et du divertissement standardisé et programmé ! Adieu le charme des navires d’antan : place au commerce.

    Dans ces gigantesques bateaux tout est automatique, tout est informatisé, tout est tracé par GPS. Un chef-d’œuvre de technique et de sécurité !

    Le Titanic était aussi un chef d’œuvre de technologie pour l’époque : mais il a coulé tragiquement en 1912, d’une façon imprévisible. Et avec lui la Belle Epoque, qui va bientôt disparaître dans les tranchées de la Grande Guerre et dans la révolution bolchevique de 1917.

    Le naufrage du Costa Concordia n’est-il pas, lui aussi, symbole de celui d’une époque ?

    Le naufrage du meilleur des mondes

    Le Costa Concordia était à l’image de la société occidentale contemporaine : un « meilleur des mondes » pour ceux qui peuvent payer, tout plein d’illuminations et de strass.
    Mais au premier choc tout ce paysage à la Potemkine s’effondre et le capitaine disparaît.
    Le choc provient de quelques rochers qui ne figuraient pas sur les cartes. Pas de chance : le pilote automatique était débranché. Adieu la sécurité technologique ! Et puis le commandant semble avoir voulu passer trop près de la côte. Car dans le meilleur des mondes, les hommes ne réagissent jamais comme les experts l’avaient planifié…

    Le commandant aurait quitté prématurément le navire au mépris de toutes règles et traditions. Les traditions maritimes se perdent !
    Mais faut-il vraiment parler de commandant au cas d’espèce ? Le mot hôtelier serait sans doute plus approprié, car ces « bateaux » sont en réalité des hôtels flottants, avec des centaines de cabines climatisées, dotées de minibars et de télévisions par satellite, et de nombreux restaurants. Ah oui, bien sûr, il y a la télévision dans les cabines : vous ne voudriez tout de même pas que les « croisiéristes » profitent de la croisière pour lire ou pour regarder la mer !

    Le cosmopolitisme à l’œuvre

    Le Costa Concordia était aussi une ville cosmopolite : outre les passagers, le millier d’hommes d’équipage étaientt de 40 nationalités différentes. Comme en Seine-Saint-Denis ! Sans doute un bon moyen de diminuer les charges salariales pour les armateurs, qui sont les vrais bénéficiaires du système. Mais, hélas, les rescapés disent que ces marins – dont beaucoup étaient asiatiques – ne parlaient ni italien ni anglais. Dans cette Tour de Babel flottante on ne se comprenait pas !

    Ce n’était pas trop grave quand il s’agissait de verser des cocktails ou de faire les chambres. C’est devenu un problème quand il a fallu manœuvrer dans un navire en perdition, utiliser les chaloupes ou rassurer les passagers gagnés par la panique. Comme quoi la « diversité » n’est pas un avantage, ni en mer ni à terre.

    La chute

    Tout le monde a vu les images de ce navire échoué, couché sur le flanc.
    Quelle triste représentation de l’effondrement proche d’une société réduite au spectacle, aux loisirs et au culte du Veau d’or ! Quel triste spectacle que cette mosaïque d’hommes et de femmes, agglutinés les uns aux autres, dans leurs gilets de sauvetage réglementaires, mais qui ne se comprennent plus et qui découvrent que leur « paradis » devient un enfer liquide ! Mais les armateurs, eux, ne s’estiment pas responsables du désastre. Ils sont bien au chaud et au sec. Vraiment cette situation ne vous rappelle rien ?

    Les Européens sont comme les passagers du Costa Concordia si mal nommé : ils attendent qu’un vrai commandant se préoccupe enfin de les mener à bon port, plutôt que de s’occuper des profits des commanditaires.

    Michel Geoffroy (Polémia, 18 janvier 2012)

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  • Le soulèvement ou l'effondrement...

    Vous pouvez regarder ci-dessous une intervention particulièrement percutante de l'économiste hétérodoxe Frédéric Lordon à l'occasion d'une table-ronde organisée par l'association ATTAC.


    "Leur dette, notre démocratie" : Frédéric Lordon par BTrenaissance

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  • Inévitable protectionnisme ?...

    Les éditions Gallimard publient cette semaine, dans leur collection « Le débat », un essai de Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger et Adrien de Tricornot, intitulé Inévitable protectionnisme. Les trois auteurs ont la particularité d'être journalistes respectivement à L'Expansion, L'Express, et au Monde économie, trois journaux qui étaient jusqu'à présent des bastions de l'idéologie néo-libérale. Les temps changeraient-ils ?...

     

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    "Le protectionnisme est le dernier tabou des élites européennes. Malgré la violence de la crise, la suprématie du libre-échange demeure une croyance indiscutée. C’est cette interdiction de débattre que les auteurs, journalistes économiques de la nouvelle génération, ont voulu lever dans ce livre sans a priori idéologique. Le constat est cruel : l’idéologie libre-échangiste, devenue hégémonique à la fin du siècle dernier, est aujourd’hui battue en brèche par les faits. Dans les pays en développement, l’amélioration du niveau de vie, réelle dans certains cas, s’est avérée illusoire dans beaucoup d’autres. Dans les pays développés, la mondialisation a creusé des inégalités qui menacent de corroder le tissu social de nos sociétés. Le temps est donc venu pour l’Europe de définir un protectionnisme positif, européen, social et écologique, à l’opposé du nationalisme et du repli sur soi. C’est ce à quoi s’emploie cet ouvrage, qui étudie les conditions de la mise en oeuvre d’un tel dispositif et la manière dont il pourrait s’appliquer concrètement dans la vie des Européens."

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  • Union européenne : une prison pour les peuples européens ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli dans Polémia et consacré au cauchemar qu'est devenu l'Union européenne pour ceux qui rêvaient d'une Europe-puissance...

     

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    L'Union européenne : la prison des peuples européens

    L’Union européenne était autrefois un espoir pour les jeunes Européens. Mais cet espoir reposait sur un malentendu.

    Pour beaucoup d’Européens il s’agissait du rêve d’un continent unifié, « de l’Atlantique à l’Oural », libéré du communisme comme de l’atlantisme, débarrassé des querelles nationales, mais aussi indépendant et prospère : une Europe solidaire et puissante, ouverte sur le monde. Au moment du lancement de l’euro, certains y croyaient encore.

    Mais ce rêve a fait long feu. L’idée européenne a tourné au cauchemar. La construction européenne que promeut l’oligarchie, consiste justement à déconstruire la puissance et l’identité des Européens : l’Union européenne se construit désormais contre les Européens. Ceux ci n’auront bientôt plus d’alternative que la révolte.

    Le cauchemar européen

    Car la chute du communisme soviétique, qui était une bonne nouvelle en soi, n’a pas fait avancer l’Europe dans le sens de la puissance et de l’indépendance. Au contraire, l’idée européenne a régressé.

    L’atlantisme s’est renforcé : l’Europe n’est plus conçue que comme un espace libre-échangiste, aux frontières floues et qui ne se définirait que par une adhésion à ses prétendues valeurs, auxquelles tous les peuples pourraient donc finir par se rattacher, au moins sur le pourtour de la méditerranée. Dans cette Europe là, la préférence communautaire qui figurait à l’origine du marché commun, est devenue un délit.

    L’Union européenne, grenouille qui veut devenir bœuf à 27, à 28 ou au-delà , est restée un nain politique, une soft power dans l’orbite du grand frère américain et cela, conformément aux intérêts de ce dernier.

    Contrairement à ce que prétend la propagande de l’oligarchie, l’Union européenne ne protège plus personne, sinon les riches et les allogènes.

    Il n’y a pas de défense européenne, on se remet en tout à l’OTAN, c'est-à-dire à une organisation dirigée par les Etats-Unis. L’alignement atlantiste de la France conduit par Nicolas Sarkozy et la réduction continue des budgets militaires sur le continent, ont détruit tout espoir de construire une Europe indépendante tant au plan diplomatique que militaire.

    Les Yankees ont gagné !

    Les frontières de l’union, économiques ou autres, sont des passoires qui ne nous protègent pas. L’euro surévalué nuit à la croissance et à l’emploi des Européens ; en outre, il ne peut survivre qu’en limitant toujours plus la souveraineté budgétaire et financière des Etats, voire la souveraineté politique comme l’a montré la façon dont la gouvernance européenne veut traiter la question des dettes souveraines des Etats membres.

    Les Européens minoritaires en Europe ?

    Rome n’est plus dans Rome. A Bruxelles, épicentre du cauchemar européen, 30% de la population est désormais musulmane : tout un symbole !

    Les flux migratoires à destination de l’Europe occidentale et de la France en particulier ne cessent pas et sont en train d’initier un mouvement de changement de population.

    Toute tentative, même modeste, de réguler plus fortement les entrées, se heurte aux décisions des juges européens et aux pressions continues du patronat et des associations. L’immigration n’est donc nullement choisie, mais en réalité imposée aux peuples européens, qui doivent au surplus se plier de plus en plus aux mœurs exotiques des nouveaux arrivants.

    Car l’oligarchie nous explique maintenant que pour ne pas heurter la sensibilité de leurs hôtes si généreux, il faut que les Européens mettent en veilleuse leurs convictions : par exemple ne plus fêter Noël (on dit « bonne fin d’année » en novlangue), ne pas décorer de sapins, ne pas manger de porc, accepter les femmes voilées, les crimes d’honneur, les mosquées et les lieux de prière, ne pas caricaturer Mahomet etc. Bref renier notre histoire et nos origines chrétiennes, qui ne figurent d’ailleurs plus dans les valeurs de l’union européenne.

    Il suffit de se promener dans les rues de nos villes pour se rendre compte que l’immigration, notamment africaine, s’installe partout. Or plus le nombre de personnes d’origine immigrée augmente, plus elles ont tendance à se regrouper en communautés : c’est une loi de la nature. L’assimilation fonctionne donc en proportion inverse du nombre de personnes à assimiler.

    La constitution de communautés d’origine étrangère est lourde de conséquences pour la paix civile comme le démontrent d’ores et déjà les émeutes ethniques que les pays européens connaissent tour à tour et qui se ressemblent toutes dans leur déroulement puisque leur cause est identique.

    Avec sa politique migratoire démente, l’oligarchie de l’Union européenne a donc recréé en Europe un problème des minorités qui avait pourtant déjà empoisonné la première moitié de notre XXe siècle et qui avait par deux fois conduit à la guerre. Comme si cela ne suffisait pas, l’oligarchie y a ajouté au surplus un problème religieux –celui de l’Islam- et un problème noir.

    La prison des peuples européens

    L’Union européenne ressemble chaque jour un peu plus à l’Empire autrichien vieillissant, que l’on surnommait la prison des peuples : une juxtaposition de communautés et de « minorités » rivales, imbriquées les unes dans les autres, sous la domination d’une administration tatillonne et d’une aristocratie cosmopolite. Mais l’Empire autrichien a duré plusieurs siècles. Le machin de Bruxelles, comme disait avec mépris le général De Gaulle, n’aura sûrement pas cette longévité !

    Car l’Union européenne se présente aujourd’hui aux peuples européens sous le seul visage du fardeau et de la contrainte : toujours plus de règles, de normes, de jugements, de prélèvements, de sanctions, de boycottages contre les gouvernements, les peuples et les nations, et toujours plus de privilèges pour les allogènes.

    Ainsi cette Europe s’est construite en passant outre à la volonté des peuples européens, en foulant aux pieds cette démocratie que l’on se targue pourtant d’incarner et que l’on a voulu imposer par les armes aux Libyens et sans doute demain aux Syriens. Son fondateur, le Français Jean Monnet ne s’est d’ailleurs jamais présenté à une seule élection.

    Quand un pays vote mal, on le fait revoter : comme en Irlande. Quand les peuples refusent de ratifier la constitution européenne, on leur impose le traité de Lisbonne via les parlements. Quand un premier ministre grec envisage de soumettre à référendum le plan de rigueur imposé par la zone euro, on menace de lui supprimer toute aide économique. Quand le gouvernement hongrois issu des urnes révise les pouvoirs de la banque centrale, on le menace de sanctions.

    L’Union européenne est une construction oligarchique qui tient les peuples européens en suspicion. Comme le déclarait significativement un ministre du nouveau gouvernement italien, « le populisme est l’un des principaux ennemis aujourd’hui en Europe » (Les Echos du 9 janvier 2012) ; ennemi, vous avez bien lu : cette oligarchie considère son propre peuple comme un ennemi !

    Le moulag

    L’Union européenne est un tyran mou, mais ombrageux, d’autant plus redoutable qu’il est sans visage. Nous vivons dans une sorte de goulag mou, sans barbelés, avec des supermarchés et des chômeurs. Mais nous sommes aussi soumis à une police de la pensée, chaque jour plus intolérante.

    Ce n’est plus un ectoplasme comme dans les années 60 : c’est malheureusement devenu une métastase, qui risque de tuer l’Europe.

    Car les prétendues valeurs européennes sont en réalité mortelles pour ceux qui y croient.

    Ainsi ces valeurs nous recommandent d’accueillir toujours plus d’immigrés, d’ouvrir toutes grandes nos frontières aux marchandises et aux hommes étrangers. Elles nous imposent de ne discriminer personne, sauf les Européens ! On a découvert à propos de la Hongrie que l’indépendance de la Banque centrale était aussi une valeur : la finance libre et les Européens asservis aux impôts et aux dettes : voilà le vrai programme de l’oligarchie!

    L’Union européenne n’offre en outre qu’une seule option : se soumettre à ses diktats ou bien se trouver exclu, sanctionné, ou privé de ses droits de vote (comme dans les futurs traités européens souhaités par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en cas de dérive budgétaire), mais sans avoir le droit de se retirer… Hier les Autrichiens étaient coupables de déviance politique pour avoir introduit au gouvernement le FPÖ ; puis les grecs ont été coupables de déviance budgétaire. Aujourd’hui on diabolise les Hongrois coupables sur les deux plans. A qui le tour demain ?

    Tant que la prospérité était tant bien que mal assurée, on pouvait le tolérer. Mais à l’heure de la récession, le caractère insupportable de la contrainte européenne apparaît de plus en plus.

    De la récession à la sécession ?

    La situation de l’Europe n’est pas sans rappeler malheureusement celle qui a conduit à la guerre civile américaine au XIXe siècle.

    Derrière le pathos de l’antiesclavagisme, cette guerre civile a en effet opposé les Etats du Sud –c'est-à-dire pour l’essentiel les Etats fondateurs des Etats-Unis qui étaient libres, échangistes car dénués d’industrie– aux Etats du Nord qui étaient protectionnistes et industriels. Les Etats du Nord entendaient imposer leurs tarifs douaniers au Sud agricole qui était importateur net, et cela, tout en lui déniant le droit de se retirer de l’Union. Une situation intenable pour les sudistes (qualifiés de rebelles par les Etats du Nord) qui n’avaient alors plus d’autre choix que la sécession, et bientôt celui de défendre leurs droits par les armes.

    Comme au temps d’Abraham Lincoln aujourd’hui en Europe un front sépare de plus en plus profondément les libre-échangistes de ceux qui veulent protéger leur économie, leurs emplois, leur identité et leur culture. Ces derniers sont aussi des rebelles -on dit  populistes  de nos jours- aux yeux de l’oligarchie libre-échangiste et des entreprises transnationales.

    Comme au temps d’Abraham Lincoln, l’Union européenne est devenue un carcan : elle ne conçoit pas qu’on puisse souhaiter la quitter pour retrouver sa souveraineté.

    Comme au temps d’Abraham Lincoln, l’immigration a pris la place de l’esclavage pour servir de justification morale aux intérêts économiques les plus sordides. Elle pourrait aussi servir demain de prétexte à des mesures violentes à l’encontre des peuples rebelles. N’a-t-on pas fait la guerre à la Serbie pour lui imposer la partition ethnique du Kosovo, au mépris de tous les principes du droit européen ?

    Comme au temps d’Abraham Lincoln, enfin, les peuples n’ont plus que leur courage et leur détermination à opposer à ceux qui violent leurs droits.

    Michel Geoffroy (Polémia, 10 janvier 2012)

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