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etats-unis - Page 63

  • Sur le militarisme américain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré au dispositif militaire déployé par les Etas-Unis dans le monde en ce début d'année 2015...

     

     

     

    Le militarisme américain dans le monde

    Le budget militaire américain pour l'armée et les opérations militaires représente 661.29 milliards de dollars en 2014, soit plus de 1.8 milliard de $ par jour ou près de 21.000 $ par seconde. Cela représente 17.3 % du budget américain et plus de 4% du PIB, ce qui en fait le premier budget militaire du monde.

    Qui finance ce budget? En principe, ce sont les contribuables américains et ceux des pays alliés. En fait, ce sont surtout ces mêmes alliés et le reste du monde, dans le cadre du système décrit par le livre de Pierre Jovanovic, 666. La banque fédérale de réserve émet des dollars pour acheter les bons du trésor destiné à couvrir les dépenses de l'Etat. Mais ce sont les épargnants du reste du monde qui achètent ces bons du trésor en dollar, n'ayant pas jusqu'à ce jour de perspectives permettant de placer en toute sécurité leur épargne. Jusqu'à quand durera ce système de Ponzi? Il s'agit d'une autre question.

    En décembre 2014 le président Obama a envoyé une lettre au speaker de la Chambre, John Boehner, précisant les les théatres d'opérations et les forces correspondant à ce budget militaire (1).

    Cette information correspond à une obligation faite au président, depuis 1973 et le retrait du Viet-Nam, d'informer le Congrès du déploiement des forces américaines engagées dans des opérations combattantes (War Powers Resolution (Public Law 93-148). On notera que ce décompte n'inclut pas les différents opérations, officielles et plus souvent « covert », assurées par la CIA, un grand nombre d'ONG travaillant pour elle et d'autres agences, ainsi que les très nombreux mercenaires militaires financés sur des budgets inconnus, même des parlementaires. Ce sont de tels mercenaires qui, pour le compte des Etats-Unis, mènent aujourd'hui la guerre en Ukraine contre les « séparatistes ».

    La lettre d'Obama mentionne un nombre d'opérations bien supérieur à celles connues du grand public, en Afghanistan et dans le conflit Iraq-Syrie. Le décompte inclut en effet le déploiement de troupes américaines dans des zones dites « non combat » ainsi que les manœuvres communes avec les alliées des Etats-Unis, au sein de l'Otan ou dans le Pacifique. A tous moments, de telles zones de non combat peuvent se transformer en zones de combat, ce que le Congrès, les médias et le public ne découvrent qu'avec retard.

    La carte jointe montre les différentes zones où sont déployés les moyens militaires américains (source WSWS). Elle ne comprend pas les pays du continent américain proprement dit, l'Amérique du Nord et les Amériques centrale et du Sud. Celles-ci relèvent des Northern et Southern Commands, Pour le reste du monde, trois « commandements » sont en charge, l'Africa Command, le Central Command et le Pacific Command. Nous n'examinerons ici que les opérations et implantations relevant du Central Command au Moyen-Orient. Mais le même exercice s'imposerait dans les zones Europe, Afrique et Asie où sont déployés des forces américaines de plus en plus importantes.

    Le Moyen Orient

    Le document de la Maison Blanche indique que, dans cette partie du monde, c'est la « guerre globale contre la terreur » présentée comme conduite par Al Qaida, que justifie les opérations américaines. Un examen de détail montre qu'il n'en est rien. Ainsi une partie des opérations conduites au Moyen-Orient visent en fait à combattre Bashar al Assad en Syrie, considéré comme un allié de la Russie. La présence américaine vise aussi à contenir l'influence de l'Iran, également considérée comme alliée de la Russie, tout en évitant que Bagdad ne se rapproche de l'Iran.

    En Afghanistan malgré l'annonce d'un retrait officiel, plus de 10.000 agents militaires et civils relevant de l'US Central Command semblent destinés à y rester un temps indéterminé. Dans ce cadre, les troupes américaines continuent à emprisonner et « interroger » un grand nombre de prisonniers provenant des Etats voisins, dont le tort semble-t-il n'est pas de servir Al Qaida mais de s'opposer aux visées économiques américaines dans la zone.

    Les 3.100 hommes déployées dans le cadre de la coalition internationale censée lutter contre Daesh conduisent certes des opérations terrestres et aériennes semblant avoir eu une certaine efficacité, ce dont personne ne se plaindra. Mais comme toujours en ce cas, ils mènent des opérations « covert » sur demande de la Turquie, des Etats du Golfe et sans doute d'Isral. Au Yemen, les interventions américaines se déployant dans un Etat ayant perdu toute autorité visent à protéger et étendre les intérêts américains. Il n'est pas exclu que ceci ne débouche sur une vraie guerre civile. En Jordanie, prétendument à la demande du Roi Abdullah, totalement manipulé, l'armée américaine a mis en place des missiles Patriot, des moyens aériens et 1.700 hommes. Quel ennemi potentiel visent exactement ces moyens?

    En ce qui concerne la présence de l'US Army dans les Etats pétroliers du Golfe, elle est beaucoup plus massive et en place depuis longtemps: 2.500 hommes au Qatar, ainsi qu'une base aérienne, le quartier général de la 5e flotte à Bahreïn, 2.500 militaires dans la base d'Eskan en Arabie saoudite. L'aviation et la marine de guerre américaines utilisent aussi des bases à Oman et dans les Emirats. Comme il ne s'agit pas officiellement de zones de combat, le document remis par Obama au Congrès ne mentionne pas ces moyens. Enfin plusieurs centaines d'hommes sont basés dans le Sinaï, avec l'accord d'Israël et semble-t-il de l'Egypte.

    On imagine la réaction belliqueuse des Etats Unis si la Russie avait mis en place le 10e de ces moyens dans des régions qui intéressent tout autant, sinon plus, ses intérêts vitaux que ceux des Etats-Unis.

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 3 janvier 2015)

    Note :

    1) Letter from the President -- Six Month Consolidated War Powers Resolution Report
    http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/12/11/letter-president-six-month-consolidated-war-powers-resolution-report

     

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  • Jihad made in USA ?...

    Les éditions Investig'Action viennent de publier Jihad made in USA, un livre d'entretien de Grégoire Lalieu avec l'ancien diplomate éthiopien et spécialiste du monde arabe, Mohammed Hassan. L'ouvrage est préfacé par Michel Collon.

     

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    " Au moment où le Moyen-Orient s'embrase dans une guerre sans fin, cet ouvrage interroge : quels sont exactement les liens entre USA et « jihadistes » ? Crucial, car ce conflit va déborder sur l'Europe, l'Afrique, la Russie, voire la Chine.

    Après dix ans de lutte contre le terrorisme, pourquoi réapparaît-il plus fort que jamais ? Pourquoi James Baker, ancien ministre US des Affaires étrangères, disait-il : « Nous ne devons combattre les intégristes que dans la mesure de nos intérêts » ? Avec quelles conséquences en Europe ? N’est-il pas urgent d'ouvrir le débat tabou : oui ou non, les Etats-Unis ont-ils joué avec le feu et devons-nous toujours leur obéir ?

    Après La stratégie du chaos, Grégoire Lalieu poursuit ses passionnants entretiens avec Mohamed Hassan. Ensemble, ils décryptent les intérêts en jeu en Syrie, les déboires du « printemps » égyptien et ce nouveau concept fourre-tout : l'islamisme.

    Ni grand complot où la CIA dirigerait tout, ni théorie ultra-naïve où Washington agirait pour la paix dans le monde, Jihad made in USA vous aide à libérer vos neurones. Manipulation cynique des eurojihadistes, vrai et faux jihad, routes du pétrole et du gaz, rôle des Saoud, du Qatar, de la Turquie et d’Israël, remodelage du Moyen-Orient : ce livre vous explique ce qui attend cette région stratégique. Et quelle alternative est possible. "

     

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  • L'hystérie anti-russe

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Ivan Blot, cueilli sur le site de La voix de la Russie et consacré au comportement hystérique qu'a adopté la classe dirigeante américaine à l'encontre de la Russie...

     

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    L'hystérie anti-russe

    L’hystérie est une maladie mentale. Mais au sens large, elle désigne un comportement affectif excessif et irrationnel, rationnalisé après coup, souvent avec une justification morale, et reflétant en réalité un égo boursouflé par l’orgueil. Ce comportement peut être individuel mais aussi être partagé par un groupe humain solidaire, comme un gouvernement.

    L’observation clinique du comportement américain depuis la fin de la guerre froide conduit à ce diagnostic : une partie de l’élite américaine est atteinte d’un syndrome d’hystérie anti-russe inquiétant. En effet, cette hystérie est un danger pour la paix dans le monde, et représente aussi une dérive préoccupante pour les Etats-Unis eux-mêmes qui voit leur image se dégrader dans le monde, ce qui entraine un affaiblissement objectif de leur rôle mondial. Une analyse psychologique peut éclairer le phénomène et aider à le contenir.

    Nous pouvons utiliser les analyses exceptionnelles du grand auteur russe Dostoïevski. Celui-ci, dans les « Frères Karamazov », consacre sept chapitres aux « hystéries ». Il montre que celles-ci sont fréquentes dans l’espèce humaine et se rencontrent dans tous les milieux. Il décrit l’hystérie du Père Féraponte qui donne des leçons d’ascétisme et prétend converser avec le saint Esprit. Il conclut que ce moine est méchant et orgueilleux. Il étudie ensuite l’hystérie chez le père Karamazov, méchant et cupide. Puis, l’hystérie chez des petits enfants qui se battent à coups de pierre, tous contre un seul. Puis, il étudie des cas d’hystéries amoureuses où l’orgueil joue aussi un grand rôle, et enfin, l’hystérie d’un capitaine chassé de l’armée, humilié par sa pauvreté mais homme d’honneur.

    Si l’on recherche les quatre causes de l’hystérie selon le schéma d’Aristote, on constate que l’hystérie au sens large, qui est celle étudiée par le romancier, est un trait de caractère et non une maladie, est due à un débordement d’énergie. C’est la cause matérielle de l’hystérie. Les cerveaux reptiliens et mammifères (instinctif et affectif) ne sont plus sous le contrôle du cerveau rationnel.

    L’hystérie va conduire le sujet à s’appuyer sur des prétextes moralisateurs (cause formelle d’Aristote) qui justifient son agressivité contre son entourage, typique du père Féraponte. L’hystérique ne cesse de raisonner et se prétend rationnel pour justifier sa colère. En réalité, pour Dostoïevski, l’hystérie est liée à l’orgueil (cause motrice) qui vient d’une boursouflure de l’égo dans un milieu social qui a renié Dieu (cause finale d’Aristote). Les gens qui ont un égo démesuré sont portés à l’hystérie. Dans les cas les plus graves, l’hystérie peut devenir meurtrière. Elle devient alors criminelle comme l’hystérie antijuive d’Adolf Hitler.

    Si l’on analyse les déclarations des dirigeants occidentaux, notamment américains, ou de l’OTAN, comme celles de l’ancien secrétaire général Rasmussen, on est inquiet de constater qu’il s’agit bien souvent de réactions hystériques, dès qu’on aborde le sujet de la Russie. Celle-ci serait agressive, non démocratique, sous-développée, méritant des punitions sévères. Ces accusations ne cadrent nullement avec les faits, mais satisfont les pulsions agressives et égotiques de la volonté de puissance des acteurs.

    Ceux-ci affirmeront que la Russie serait agressive parce qu’elle augmente son budget militaire : que dire des Etats-Unis qui à eux seuls, représentent 40% du total des dépenses militaires de la planète et qui possèdent des bases sur tous les continents, pour soutenir les guerres diverses qu’elles ne cessent de lancer (l’Irak et l’Afghanistan étant des modèles à cet égard car elles n’ont rien de défensif) ?

    La Russie serait non démocratique mais l’Arabie Saoudite, alliée des Etats-Unis, qui est une dictature islamiste autoritaire n’a pas droit à ce qualificatif. Par ailleurs, le fait que 80% de la population soutienne le président Poutine, régulièrement élu, ne trouble pas nos censeurs. Mais l’Arabie est considérée comme une amie, et la Russie est désignée comme ennemie. Donc l’accusation de ne pas être une démocratie n’est pas opératoire pour l’Arabie saoudite !

    On accuse aussi la Russie d’avoir annexé la Crimée. Que le peuple de Crimée ait souhaité cette annexion, que son parlement, puis le peuple consulté par référendum l’ait approuvé, ne compte pour rien. Que la France ait annexé Mayotte, référendum à l’appui, et soit condamnée par l’ONU chaque année ne compte pas. C’est encore le double standard. La France ne concurrence pas les Etats-Unis, on ne la craint pas, donc on la laisse tranquille.

    La Russie serait sous-développée : ce serait un pays archaïque, hostile aux homosexuels, traditionnaliste, qui ne sait produire que du pétrole et du gaz. La Russie serait d’ailleurs en voie de disparition démographique. Il faut donc la punir pour la contraindre à se moderniser. Peu importe que la Russie soit la seule capable de transporter des hommes dans l’espace vers la station orbitale, peu importe que sa loi contre la propagande homosexuelle n’a pour but que de protéger les mineurs, peu importe que 75% de son PIB vienne d’autres activités que l’exploitation des hydrocarbures, peu importe que la démographie russe se soit redressée depuis trois ans, les faits n’ont aucun intérêt pour l’hystérique. Il est ivre d’idéologie. Il est difficile d’échanger des arguments rationnels avec un ivrogne. C’est ce que fait pourtant avec beaucoup de patience la diplomatie russe, qui ignore les provocations et essaye de faire prévaloir une approche rationnelle et sobre de la situation internationale, que ce soit en Ukraine, en Syrie, ou ailleurs.

    L’hystérique ne cesse pourtant de raisonner : car la raison, comme dit Dostoïevski, est aussi une « crapule » : il veut dire par là qu’elle est toujours appelée à la rescousse pour défendre de mauvais instincts. Le rôle de l’idéologie raisonnante est toujours de trouver de bonnes raisons pour défendre de mauvais instincts et de mauvais affects.

    Il faut enfin punir la Russie : cela résulte d’un comportement typiquement hystérique décrit par Dostoïevski chez de nombreux personnages, le père Féraponte ou les gamins déchainés contre un des leurs. Il faut diaboliser l’adversaire (le moine Féraponte accuse les autres moines d’être entourés de petits diables). Il faut le frapper pour se venger : c’est ce qui se passe à l’école dans les cours de récréation.

    Soit ! Direz-vous. C’est un comportement infantile mais l’adulte peut y échapper. Le psychologue Dostoïevski montre, hélas, que non. L’adulte a des sentiments et des instincts qu’il a du mal à contrôler, surtout s’il n’a plus l’aide de la religion. Beaucoup de dirigeants de l’Occident moderne sont animés par la haine du christianisme, et exigent au minimum sa marginalisation. Ils croient que la « raison » seule commande aux instincts et aux sentiments bien que l’histoire tragique de l’humanité a montré souvent l’inverse.

    Comment résister à un partenaire diplomatique hystérique ? Il faut de la patience car l’hystérie consomme beaucoup d’énergie et n’est donc pas éternelle. Il faut associer la raison aux valeurs traditionnelles qui permettent de rechercher le bien commun. Il faut garder confiance (la foi est une forme sacrée de la confiance, ce n’est pas un « savoir » au sens scientifique). Il faut garder l’espérance car l’histoire montre aussi que « le pire n’est jamais sûr ». Il faut enfin avoir de la charité, surtout ne pas juger l’autre du haut d’un tribunal créé pour les besoins de la cause, donc ne pas copier le comportement arrogant de la puissance dominante. Enfin, il faut se garder du mensonge le plus possible, du style de celui du ministre américain Colin Powell expliquant que l’Irak a des armes de destruction massive et qu’une guerre préventive est nécessaire contre ce pays.

    Au fonds, sans se faire d’illusions et sans « prendre les canards sauvages pour des enfants du bon Dieu », comme disait De Gaulle, il faut s’imposer une tenue morale exemplaire conforme aux valeurs de notre vieille civilisation chrétienne humaniste. C’est exactement ce que font avec talent le président de la Russie et son ministre des affaires étrangères.

    Il faut aussi faire confiance à plus long terme dans les peuples. Aux Etats-Unis, 50% du peuple se montre aujourd’hui hostile à l’aventurisme en matière de politique extérieure. L’hystérie règne dans des milieux élitistes, ivres de puissance depuis l’effondrement de l’URSS, en proie à ce que les Grecs appelaient l’hybris (l’excès). Or l’hybris se heurte à l’ordre du monde et se retourne toujours un jour contre ceux qui en sont la proie. On peut trop boire et devenir ivre. L’ivresse ne se limite pas à l’alcoolisme. On peut être ivre d’idéologie, en général par orgueil. Mais l’histoire montre que cette ivresse se calme d’elle-même ou qu’elle est vaincue par sa propre irrationalité.

    Les hommes qui poussent l’Occident à la russophobie ne « savent pas ce qu’ils font » et jouent avec le feu des forces de la mort. De Gaulle a dit : les puissances qui misent sur la pourriture périront car leur propre pourriture se retournera contre eux. Le propos est sévère mais réaliste.

    Prenons l’hystérie pour ce qu’elle est en lui opposant le droit et la sagesse. L’histoire montre que c’est le meilleur pari. Le malheur en Occident est le déclin de la culture historique chez certains dirigeants. Celui qui ignore l’histoire répétera les fautes du passé. Ainsi, Hitler voulu copier Napoléon. En s’attaquant à la Russie, il a signé son propre arrêt de mort. L’intérêt du monde est d’accorder l’Europe et la Russie. L’Amérique a peur d’un tel accord mais il est inéluctable. La peur mène à l’hystérie. La connaissance de l’histoire conduit au retour à la sagesse ! Sophocle le tragique a écrit que l’homme apprend par la souffrance : essayons cette fois de lui donner tort !

    Ivan Blot (La voix de la Russie, 21 décembre 2014)

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  • Domination et pouvoir : les nouveaux dominants...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré aux nouvelles formes de domination. Énarque, Jean-Paul Baquiast a consacré sa carrière administrative au développement des technologies de l'information. Il est l'animateur du site Europe solidaire, ainsi que du remarquable site d'actualité technoscientifique Automates intelligents

     

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    Domination et pouvoir. Les nouveaux dominants

    Il serait très important d'essayer de comprendre pourquoi, au sein de l'espèce humaine, certains individus ou groupes d'individus, généralement minoritaires, se donnent la possibilité de s'imposer aux dépends de tous les autres. Une telle situation ne se rencontre pas ou ne se rencontre qu'exceptionnellement à l'intérieur des autres espèces animales. Elle est dans ce cas très mal documentée. La seule domination qui s'y observe relève du sexuel (domination d'un sexe, généralement le masculin, sur l'autre) ou, beaucoup plus banalement, de l'inégalité dans la répartition des capacités individuelles.

    Dans le monde animal, au sein de chaque espèce, les individus dits dominants se donnent un certain nombre de privilèges sur leurs congénères. Globalement les dominants sont ceux qui disposent de moyens physiques ou intellectuels supérieurs à ceux des autres. Dans le monde animal s'observent également des compétitions permanentes entre espèces, mais ce phénomène relève de la sélection darwinienne, avec élimination possible des espèces se révélant les moins adaptées. Notons que le même phénomène s'observe aujourd'hui, l'espèce humaine semblant sur le point de provoquer une nouvelle grande extinction de peut-être 80% des autres espèces dans le siècle qui vient.

    Mais intéressons nous ici aux sociétés humaines. L'histoire des hommes, depuis qu'elle a fait l'objet d'études, montre que dès le passage d'une organisation sociale simple, dite parfois des chasseurs-cueilleurs, à celle plus complexe des empires a généré des inégalités considérables entre les individus et les groupes, se traduisant par un accès lui-même très inégal au pouvoir. En simplifiant beaucoup, appelons pouvoir la capacité dont dispose un individu pour se comporter dans le monde au mieux de ce qu'il estime être ses intérêts, à l'intérieur évidemment des limites naturelles que lui impose ce même monde. Un individu isolé n'a guère de possibilités en ce domaine. Ses forces trouvent vite des limites. Mais ses possibilités augmentent considérablement s'il peut obliger ses congénères à mettre leurs propres forces à son service. A plus forte raison s'il peut les obliger à ne conserver pour eux que ce que nous appelons en termes modernes le minimum vital, en remettant gratuitement au détenteur du pouvoir, que nous appellerons ici le dominant, tout le reste des biens qu'il a produit, ce que Marx appelait la valeur ajoutée.

    Pour obtenir ce résultat, le dominant peut utiliser différents moyens. Le plus évident est la contrainte physique, mais d'autres plus subtils existent, relevant notamment de l'emprise psychologique. Comme rappelé ci-dessus, un individu seul ne peut pas cependant aller très loin dans cette voie. Il doit s'agréger avec quelques autres poursuivant le même objectif pour atteindre à eux tous des résultats significatifs. On peut admettre qu'aux origines de l'histoire, devenaient dominants des individus disposant, comme chez les animaux, d'une force supérieure. Mais ils devaient aussi disposer, dans des sociétés utilisant le langage, de capacités intellectuelles supérieures, leur permettant d'utiliser celui-ci comme une arme.

    Une histoire de la domination

    Des que des systèmes de domination sont apparus dans l'histoire des hommes, ils ont réussi à survivre, quitte à se transformer, face à la résistance des dominés. On peut suivre ainsi d'âge en âge la persistance et la diversification de tels systèmes, depuis les époques de l'esclavage jusqu'au Moyen Age puis à ce que l'on appelle en France l'Ancien Régime, avant la révolution de 1789. Dans l'ensemble, la domination était exercée d'un commun accord par les Eglises, utilisant l'emprise psychologique, et par les féodaux détenteurs des moyens militaires, utilisant la force physique. Loin de se combattre, ces deux grandes classes de dominants se sont assistés réciproquement, pour maintenir dans le statut de dominés ceux cherchant à y échapper. Les plus-values résultant du travail des dominés, « accaparées » (selon le terme marxiste), par les dominants ne servaient pas seulement à accroitre le niveau de vie de ceux-ci. Elles ont donné naissance à des oeuvres durables, cathédrales, châteaux-forts ornés, oeuvres artistiques, par lesquelles les dominants pouvaient se permettre de laisser parler leur ubris créateur – tout en renforçant leur domination sur les travailleurs de la base. Ceux-ci se convainquaient en effet de leur insignifiance en constatant qu'ils n'étaient pas capables de réaliser seuls de tels chefs-d'oeuvre.

    Lorsque la révolution industrielle a fait apparaître de nouvelles techniques permettant de produire de nouvelles valeur, le processus dans son ensemble n'a pas changé. Une nouvelle classe est apparue, celle des possesseurs des moyens industriels de production (la bourgeoisie, pour reprendre le terme marxiste). Cette classe s'est alliée aux dominants précédents, hommes d'Eglise et militaires, pour se partager les nouveaux pouvoirs. Mais les minorités dominées sont restées dans l'ensemble les mêmes, passant du statut de serf à celui de prolétaire. Avec la colonisation, de nouvelles populations provenant des pays colonisés les ont rejoint.

    Il ne faudrait évidemment pas croire que de tels processus générateurs d'inégalités se soient limités au monde dit occidental. Ils sont apparus dans le même temps en Asie et dans le monde arabo-musulman, où ils se maintiennent sous des formes voisines malgré la relative homogénéité apportée par la mondialisation et les technologies de la communication. Pour que de telles inégalités disparaissent, il faudrait que les dominés se saisissent des moyens leur permettant de s'émanciper. Mais par définition, sauf accident, ils ne le peuvent pas. Dès que les dominants suspectent l'apparition de formes de rébellion fussent-elles modestes, ils s'empressent de les étouffer dans l'oeuf, faisant appel à tous les moyens de coercition dont ils disposent, physiques comme intellectuels.

    De nouveaux dominants

    Or aujourd'hui, de nouveaux dominants étendent leurs pouvoirs sur le monde. Ils ne se substituent pas aux anciens, prêtres, féodaux, bourgeois industriels, colonisateurs, ou aux formes prises par eux aujourd'hui. Ils s'y ajoutent. Mais le point important est l'orientation géopolitique de leurs efforts pour la conquête du pouvoir mondial. Ils sont dorénavant au service de ce qui a été nommé l'Empire américain. Beaucoup d'observateurs du monde géopolitique affirment aujourd'hui que cet Empire n'existe plus, ayant reculé à la suite d'échecs successifs. Mais c'est une erreur. Il s'est transféré sur un nouveau monde en pleine ascension, celui des réseaux numériques, de l'informatique avancée, de la robotique et de l'intelligence générale artificielle. L'émergence de ce monde numérique et son emprise sur le monde ancien n'ont sans doute pas été dues aux seuls intérêts américains, mais ceux-ci mieux que tous autres concurrents ont réussi à en faire un pouvoir pour la domination mondiale.

    Nous ne développerons pas ici ces points, souvent abordés par nous. Bornons-nous à rappeler le visage que prennent aujourd'hui les nouveaux dominants. Pour simplifier, disons qu'il s'agit d'une coalition multi-fonctionnelle que nous appellerons l'entité Google, Darpa, DOD. Google est le représentant des géants du web américains qui réussissent l'exploit de faire travailler au service de leurs ambitions des centaines de millions de nouveaux esclaves, dont nous sommes tous. La Darpa est l'agence de recherche du ministère américain de la défense , agence qui invente sans cesse de nouveaux produits et usages, sans souci de restrictions budgétaires. Le DOD est ce même ministère, mais intervenant sur tous les théâtres d'opération pour déployer et utiliser les données et outils civils et militaires résultant de l'activité des deux premiers. Il s'agit de maintenir sous contrôle les travailleurs de la base fournissant, contre un salaire minimum, les valeurs ajoutées qu'utilise l'entité.

    Certains objectent que désormais, les minorités dominantes américaines ne sont plus seules à développer ces instruments de pouvoir et de contrôle. Illusion. Certes d'autres apparaissent, mais les Google, Darpa, DOD disposent d'une avance considérable, qui s'auto-entretient et se développe spontanément, d'une façon que nous mêmes, du fait que nous sommes instrumentalisés par elle, ne nous représentons pas clairement. Ne dit-on pas que s'est déjà mis en place du fait de leurs efforts de conquête un cerveau global aux ambitions quasi-cosmologiques. Tous les jours nous lui apportons les valeurs-ajoutées produites par nos petits cerveaux, heureux, lorsque nous ne sommes pas au chômage, de survivre grâce aux SMIC qui nous sont concédés. Or ce cerveau ne sera pas européano-centré, russo-centré, sino-centré. Il est déjà et restera américano-centré.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 1er décembre 2014)

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  • "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec à l'hebdomadaire Marianne et consacré à l'affaire de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral à la Russie. Olivier Zajec est maître de conférences en science politique à l'université de Lyon 3 et a notamment publié La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique (Editions de l’œuvre, 2011).

     

     

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    "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"

    Marianne : La France a suspendu sine die la livraison du Mistral « Vladivostok » à la Russie. Que vous inspire cette décision et quelles seraient selon vous les conséquences stratégiques et économiques d’une non-livraison de ces bateaux ?
    Olivier Zajec* : Je suis en faveur de la livraison de ce bâtiment, et j’ai peur que le report décidé le 25 novembre ne soit à la fois impolitique, masochiste et décrédibilisant. Impolitique, car nous avons intérêt, sur le long terme, à une relation plus adulte avec la Russie, et ce n’est pas en reniant notre parole que nous y parviendrons.  Masochiste, car nous fragilisons notre industrie de défense, l’un de nos atouts les plus solides sur le plan industriel. Décrédibilisant, car la valeur ajoutée de l’offre française d’armement sur le marché export réside justement dans une alternative à la vassalisation technologique et normative américaine. C’est ce que recherche un client comme l’Inde. Avec cette décision qui ravit les paléo-atlantistes, nous manifestons notre soumission à des postures stratégiques qui ne servent pas nos intérêts (et je ne parle pas seulement de la France, mais de l’Europe). Livrer le Mistral n’empêcherait nullement la France de jouer son rôle dans la crise en cours en Ukraine, qui doit absolument être dénouée. Tout au contraire, en réalité, car cette manifestation d’indépendance lui conférerait le rôle de tiers, ce qui lui permettrait d’arbitrer le pugilat grotesque qui oppose les nostalgiques de l’URSS que l’on rencontre parfois au Kremlin, et les hystériques russophobes qui semblent avoir pris l’ascendant à l’OTAN. Notons tout de même que beaucoup de ceux qui s’élèvent contre cette vente sont les mêmes qui dansaient de joie lors de l’entrée des Américains dans Bagdad en 2003. À défaut d’autres qualités, il faut leur reconnaître une certaine constance dans l’aveuglement. 

    Comment évaluez-vous les conséquences d’une brouille avec Moscou notamment en ce qui concerne les négociations avec l’Iran ou sur la Syrie ?
     Moscou est un acteur incontournable du jeu moyen-oriental, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette. M. François Hollande, étant donné la complexité du puzzle régional et suivant l’impulsion américaine, est en passe, bon gré mal gré, de se convertir au réalisme sur le dossier iranien, ce qui était hors de question il y a encore peu de temps. Puisque cette lucidité bienvenue s’applique désormais vis-à-vis de Téhéran, qui redevient un interlocuteur, pourquoi ne pas l’appliquer – même provisoirement – à Damas, étant donné la nature de l’adversaire commun ? Bachar el-Assad n’est pas la menace immédiate. La fourniture d’armes aux islamistes syriens fut une faute majeure de notre diplomatie. Agir stratégiquement, c’est aussi hiérarchiser les priorités et coordonner les fronts : que se passerait-il si le régime syrien s’effondrait aujourd’hui ? Il suffit d’observer la Libye post-kadhafiste pour le comprendre. L’intervention militaire peut être une solution, il ne faut jamais l’exclure a priori. Mais à condition qu’elle ne perde jamais de vue le contexte de l’engagement. « Frapper » n’est pas une fin en soi, mais seulement le préalable ponctuel et maîtrisé d’un nouvel équilibre instable des forces politiques. L’État islamique n’est pas sorti tout armé des enfers du soi-disant « terrorisme global ». Ce n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il est comptable d’une histoire longue qui plonge ses racines dans l’échec du nationalisme laïc arabe. Cet échec a des causes internes, à commencer par la haine qui sépare Sunnites et Chiites, et les réflexes claniques des élites arabes. Mais aussi des causes externes, en particulier l’incroyable légèreté avec laquelle certaines puissances (et d’abord les États-Unis) ont, depuis des décennies, détruit les fragiles équilibres de la région en jouant l’obscurantisme pétro-rentier contre l’autoritarisme laïc, et le wahhabisme contre la puissance iranienne. Les Occidentaux, de ce point de vue, ont aussi besoin de Moscou pour parvenir à une solution sur place, qui prenne en compte l’intérêt de tous les acteurs.

    Pourtant lors du récent G20 de Brisbane, Poutine a été à l’unanimité, par les médias comme les politiques, présenté comme « isolé » sur la scène internationale...
    « Si tout le monde pense la même chose, c’est que quelqu’un ne pense pas ». Cet unanimisme, sur un sujet aussi complexe, n’est certainement pas un très bon signe pour la pensée stratégique et politique française. Vladimir Poutine est moins isolé sur la scène mondiale que François Hollande sur la scène européenne. Tout est question de focale, d’échelles d’analyse, et en l’occurrence, c’est une myopie persistante qui caractérise le commentaire journalistique occidental.

    Lors du dernier sommet de l’APEC (un forum de coopération économique dans la région Asie-Pacifique, ndlr), Moscou et Pékin ont eu, de leur côté,  plaisir à mettre en scène leur rapprochement entre « isolés » de la scène internationale. Ce rapprochement est-il viable et peut-il marquer un changement majeur dans les équilibres internationaux ?

     Très certainement. Mais il ne faut surtout pas surestimer ce rapprochement. Pékin et Moscou se méfient l’un de l’autre. Cependant, sur ce sujet comme sur d’autres (politique spatiale, énergie, défense du principe de non-ingérence dans les relations internationales), Russes et Chinois semblent poussés les uns vers les autres par un certain unilatéralisme moraliste occidental. 

    Beaucoup de commentateurs considèrent que l’objectif de Poutine est de reconstituer un empire soviétique. On retrouve également tout un discours sur les supposés « réflexes de guerre froide de la Russie ». Comment percevez-vous l’agitation de ce spectre d’une nouvelle guerre froide  ? 
    J’y discerne le signe que le logiciel de certains experts est resté bloqué en 1984, et que leur appréhension diplomatique est celle qui prévalait sous Ronald Reagan. Les saillies de M. John McCain sont typiques de ce blocage générationnel : « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, dit-il, pour empêcher que les ténèbres du monde de M. Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Sans nier la vigueur des réactions russes en Ukraine, il faut remettre les choses dans leur contexte, car cette crise procède d’éléments de nature différente : la profonde corruption des élites ukrainiennes, pro et antirusses confondus ; l’extension ininterrompue de l’OTAN aux marges de la Russie, depuis plus de vingt ans, alors que la main tendue s’imposait ; la méfiance atavique des Baltes et des Polonais vis-à-vis de Moscou, qui ne cesserait que si les Russes rentraient dans l’OTAN (et encore n’est-ce pas sûr) ; enfin, la propension américaine à jouer sur les divisions européennes. La France et l’Allemagne, qui ont tout à gagner à une relation apaisée avec la Russie, sont les premiers perdants du mauvais remake de John le Carré auquel nous assistons. 

    Que pensez-vous justement de l’absence totale d’identité stratégique de l’Europe, sinon l’alignement aveugle sur Washington ?
    Je crois sincèrement que les mots ont un sens. Il n’y a pas, en l’état, d’identité « stratégique » de l’Europe. Nous apportons simplement un appui tactique ponctuel à des opérations relevant d’une stratégie américaine, qui a intérêt à ce que l’Europe demeure un objet et non un sujet des relations internationales. Cette tutelle prolongée sur des alliés tétanisés permet à Washington de masquer sa propre perte d’auctoritas au niveau mondial. Plus généralement, les démocraties « occidentales » semblent s’ingénier à se placer dans le temps court du spasme moral, et non dans le temps long de la stratégie. S’il en était autrement, nos décisions sur les dossiers ukrainien, irakien, syrien, libyen et iranien auraient pris une autre tournure, moins tonitruante et plus réaliste. Pour avoir une stratégie, il faut avoir une conscience politique. L’Europe prise dans son ensemble n’en a pas, malheureusement. La France, elle, qui a la chance de disposer d’une armée extrêmement professionnelle malgré des budgets en baisse constante, a prouvé au Mali en 2013 et en Côte-d’Ivoire en 2002 qu’elle pouvait agir avec efficacité. Et qu’elle pouvait donc encore avoir une stratégie. Ce sont ces modèles, mesurés et dépourvus d’hubris, qu’il faut considérer en priorité.

    Olivier Zajec, propos recueillis par Régis Soubrouillard (Marianne, 1er décembre 2014)

     

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  • Poutine : le De Gaulle russe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son site J'ai tout compris et consacré à Vladimir Poutine...

     

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    Poutine : le De Gaulle russe ?

    La thèse que je soutiens  ici  est que Vladimir Poutine défend une vision gaullienne de l’Europe et du monde, ainsi que de la souveraineté de la Russie. Il se heurte logiquement à l’hégémonie de Washington et des pays anglo-saxons et, comme en son temps le Général de Gaulle, il est présenté comme un danger et un ennemi. Pourtant, c’est notre meilleur allié.

    La diabolisation de Poutine

    Le journaliste du Figaro Pierre Rousselet, dans un article intitulé « Le monde sans règles de Vladimir Poutine » (30/10/2014) nous explique, au terme d’une démonstration fumeuse, que Poutine « joue avec une habileté redoutable de sa capacité de nuisance dans un monde où les règles ont de moins en moins d’emprise ».  Il veut dire par là que le Kremlin viole le droit international  à la suite de la crise ukrainienne. Il se moque du monde et, peut-être sans le savoir, il utilise la méthode de la propagande stalinienne de l’inversion de la réalité. Cette méthode est celle, paradoxalement, de Washington et d’une Union européenne aux ordres.  Le monde de Poutine n’est pas ”sans règles”, au contraire, il est ”avec des règles”. Le monde sans règles est celui  de la politique étrangère US  depuis le bombardement de la Serbie par l’Otan et l’affaire du Kossovo. 

    Poutine est présenté comme le ”nouveau Tsar”, c’est-à-dire un autocrate non élu, alors qu’il a été régulièrement élu à la présidence avec une majorité plus importante que ses homologues occidentaux. La gauche socialo-trotskiste avait accusé en son temps le général de Gaulle d’être un ”fasciste” – en particulier en Mai 68. La même mouvance idéologique rabâche les mêmes éructations contre Poutine. Et ceux qui diabolisent Poutine et la Russie – notamment tous les milieux atlantistes et ”démocrates” – se satisfont parfaitement de bonnes ententes et d’alliances avec  divers régimes tyranniques à travers le monde.  

    La colère anti russe des Anglo-Saxons

    Exclu du G8, Poutine a été très mal accueilli au sommet du G20 de Brisbane en Australie les 15 et 16 novembre. Il a interrompu son séjour avant la fin de la réunion, ce qui est parfaitement normal pour un chef d’État qui est maltraité par ses pairs. Or les médias, renversant les torts, ont expliqué que Poutine « narguait » les Occidentaux et faisait de la « provocation ». Plus incroyable, le premier ministre australien Tony Abbott (lui aussi à la botte de Washington) a reproché, à l’ouverture de la réunion, à la Russie de « vouloir restaurer la gloire perdue du tsarisme ou de l’Union soviétique ». Et alors ? Ce propos est proprement scandaleux : la Russie serait donc illégitime à vouloir redevenir une grande puissance ! Sous-entendu : seuls les USA ont vocation à être une grande puissance et la Russie doit se contenter d’être une puissance régionale soumise à la ”pax” americana. Poutine subit de la part des Anglo-Saxons la même attitude d’hostilité que le Général de Gaulle, en beaucoup plus violent du fait de la taille de la Russie.

    À la réunion de Brisbane, les quatre Anglo-Saxons (le président des États-Unis, les premiers ministres de Grande-Bretagne, du Canada et d’Australie, tous trois féaux de Washington) ont vilipendé Poutine et la Russie avec brutalité, accusant le président russe de violer le droit international, de trahir sa parole et d’agresser un pays voisin. Accusations complètement contraires à la réalité. Ils l’ont menacé d’aggraver les sanctions économiques et l’isolement de la Russie s’il continuait d’aider les séparatistes de l’Ukraine orientale – alors que c’est l’armée de Kiev, encouragée, armée et conseillée par les Anglo-Saxons, qui est responsable d’agression militaire.

    À côté de cela, le président français (M. Hollande) et surtout Angela Merkel ont longuement essayé à Brisbane de négocier avec M. Poutine pour calmer le jeu. Malheureusement, ni la France ni l’Allemagne, pratiquant une diplomatie molle et timorée, n’osent aller au bout de leur démarche. Elles sacrifient leurs intérêts pour complaire aux Anglo-Saxons. Répétons ici que l’affaire ukrainienne résulte d’une provocation américaine (voir autres articles de ce blog sur le sujet) et que les sanctions (illégales) contre la Russie, servilement acceptées par les Européens,  se font au bénéfice de l’Amérique et de la Chine et au détriment de l’UE.

    Le plus inadmissible est l’absence de l’ONU dans la résolution de la crise ukrainienne. Comme pour le Kossovo, comme pour les guerres d’Irak, l’ONU est écartée, en violation de sa Charte et de tous les traités internationaux. L’ONU est remplacée par l’unilatéralisme américain et son impérialisme décomplexé. Le Coréen du Sud, Ban Ki-moon, le Secrétaire général, est totalement absent de la diplomatie internationale. Tout le monde sait que ce personnage falot est une créature de Washington, ainsi que l’a avoué dans ses Mémoires John Bolton, ancien ambassadeur américain à l’ONU. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a été complètement marginalisé par Washington depuis la guerre des Balkans de 1999.  (1)      

    Le piège ukrainien  tendu à la Russie

    L’escalade militaire qui se produit en Ukraine a pour origine l’armée ukrainienne et non pas les séparatistes prorusses de Donetsk et du Donbass. Kiev avait procédé à des tirs d’artillerie, près de Chakhtarsk, sur le site du crash du vol  MH17 de la Malaysia Airlines abattu le 17 juillet, comme pour empêcher une enquête objective sur le terrain. En 7 mois, les affrontements ont fait 4.000 morts, en majorités civils. Le protocole de Minsk, prévoyant un cessez-le-feu, signé le 5 septembre par Kiev et les séparatistes a été violé par le gouvernement ukrainien. Ce dernier  est encouragé par une diplomatie washingtonienne et européenne irresponsable. Des militaires américains sont présents en Ukraine. Ils observent, pondent de faux rapports et attisent les braises. Ils poussent l’Ukraine à une guerre contre la Russie.

    On accuse actuellement la Russie de faire parvenir des chars, des armes lourdes et des combattants sans insignes aux insurgés russophones du Donbass et de Donetsk.  Vraie ou fausse, cette aide militaire me semblerait logique si j’étais à la place de Poutine : peut-on rester  insensible à  une agression contre des quasi-nationaux installés dans un pays voisin ? Plutôt que de se mettre autour d’une table de négociation pour résoudre tranquillement, dans le cadre des institutions internationales, la difficile question ukrainienne, l’Occident sous domination  américaine a choisi de créer la crise, tout en tenant un discours hypocrite pseudo-pacifiste.    

    Il n’y a jamais eu d ’”annexion” de la Crimée, mais un référendum demandant le retour d’une province russe autoritairement détachée en 1954. Jamais le retour de la Crimée à la Russie n’a menacé l’ordre international. En revanche, l’invasion américaine de l’Irak a totalement déstabilisé l’ordre international et embrasé le Proche-Orient. Les donneurs de leçons de Washington sont ceux-là mêmes qui créent les désordres. À 25% par cynisme et à 75% par idéalisme naïf et stupidité.   

    Concernant les sanctions de l’Union européenne contre la Russie, en fait imposées par les USA, Renaud Girard note : « la Russie en souffre indiscutablement mais les Européens aussi ! L’Union européenne a perdu toute souplesse diplomatique, comme l’a montré son incapacité à répondre aux ouvertures de Poutine exprimées lors du sommet de Milan du 16 octobre 2014 » (Le Figaro, 11/11/2014). La raison de cette rigidité diplomatique est que l’UE n’a pas de diplomatie propre, celle-ci se décidant à Washington.

    La propagande US anti Poutine

    L’Américaine Fiona Hill, directrice de recherches à la Brookings Institution (antenne de la CIA), spécialiste de la Russie et coauteur d’un livre sur Poutine a tenu des propos russophobes très révélateurs. En gros on accuse Poutine des maux dont est soi-même coupable. Elle explique : « Poutine a interprété toutes nos actions comme une menace, ce qui l’a poussé à mettre en place une politique offensive de défense de ses intérêts, qui consiste à pousser  toujours plus loin les limites de ce qu’il peut faire ». Cette politologue gaffeuse admet donc que la Russie est illégitime à ”défendre ses intérêts” ! Seuls les USA ont le droit de ”défendre leurs intérêts”. Pas les autres.  Et que veut-elle dire par ”toutes nos actions” ? C’est un aveu. Il s’agit de l’agitprop menée par tous les réseaux US pour déstabiliser l’Europe centrale depuis 1991.

    Alors même que ce sont les USA qui recherchent une nouvelle guerre froide avec la Russie et qui essaient d’écraser dans l’œuf toute velléité d’indépendance et de puissance russe comme toute alliance euro-russe, la politologue américaine affirme que la Russie est une menace pour toute l’Europe et l’Occident. C’est ce thème romanesque qui est au centre de la propagande atlantiste actuelle. Diabolisant Poutine, elle expose : « Poutine n’est plus seulement un danger pour la souveraineté de l’Ukraine et la sécurité européenne mais un danger pour l’ordre politique européen. Très clairement, son but est de discréditer les institutions européennes et la démocratie. Il veut aussi discréditer l’Otan dont l’existence est vue comme un danger »

    Elle accuse Poutine, à la tête d’un « pouvoir dangereux et corrompu » issu du KGB, de manipuler les mouvements identitaires européens, de vouloir posséder « un droit de veto dans l’espace qu’occupait l’Empire russe et l’URSS » et –suprême délire–  de « mettre le ”gun” nucléaire sur la table, sous-entendant qu’il serait prêt à utiliser une arme nucléaire tactique ». Puis elle exhorte : « si nous ne montrons pas la force du lien transatlantique, nous perdrons, car Poutine cherche la division »

    Ce n’est pas ce ”lien transatlantique” qui compte pour l’Europe – il est source de soumission –, c’est le lien euro-russe. La propagande de Washington consiste à ahurir les Européens en construisant un ”danger russe” fantasmatique. Mais nous n’avons que ce que nous méritons : plutôt que d’être indépendants et forts afin de régler tranquillement avec la Russie, dans une ”Maison commune”, tous les problèmes continentaux qui peuvent se poser (comme l’Ukraine), nous avons préféré nous soumettre à Washington, ce faux protecteur, pour régler nos affaires à notre place.

    Or le but –compréhensible et logique – de l’Amérique est d’être notre suzerain, notre pseudo-protecteur, pour mieux nous soumettre. Dans un prochain article qui s’intitulera La  stratégie US contre la Russie et l’Europe, j’approfondirai ce point capital. La politique extérieure américaine cherche malheureusement à créer en permanence des conflits.  Toujours sous le prétexte de la ”paix et de la démocratie”. Mais ce n’est pas l’intérêt de l’Amérique elle-même, c’est-à-dire du peuple américain.

    Le poutinisme,  ou le gaullisme russe

    Frédéric Pons, dans son essai consacré à Vladimir Poutine,  (Poutine,  Calmann-Lévy) montre bien que  – quelles que soient les opinions qu’on porte sur sa politique – cet homme est un vrai chef d’État, porteur d’une vision globale pour son pays et le monde et qu’il place le destin de son pays avant sa carrière personnelle. C’est un patriote, au sens étymologique, doté d’une vision et, comme De Gaulle, d’un grand pragmatisme. Il n’a rien d’un exalté ou d’un fanatique à la Robespierre, à la Lénine, à la Hitler. Il ne ressemble pas au catastrophique G.W Bush, caricature du cow-boy décervelé.  Rien à voir non plus avec les politiciens occidentaux (français en particulier) qui changent de convictions en fonction des sondages pour assurer leur carrière. Poutine, comme De Gaulle, est un homme d’État, c’est-à-dire qu’il est d’abord préoccupé par la dimension historique de sa fonction. 

    La diplomatie russe de Poutine et du ministre des Affaires étrangères Lavrov ressemble étrangement à celle du Général de Gaulle sur plusieurs points : 1) multilatéralisme et  opposition à l’hégémonie américaine ; l’Amérique n’a pas vocation à être le ”gendarme du monde” car cela n’aboutit qu’à des catastrophes ; 2) recouvrement du statut de grande puissance et de la souveraineté nationale ; 3) refus de l’ingérence américaine dans les affaires du continent européen ;  4) hostilité envers l’Otan ; 5) construction d’une espace économique euro-russe ; 6) préférence du lien continental sur le lien transatlantique ; 7) ajoutons, sur le plan, intérieur : défense de l’identité ethno-culturelle et des traditions liée à la puissance et à l’innovation techno-scientifiques.

     Entre Poutine et De Gaulle, les comparaisons sont nombreuses. La doctrine exprimée par  Poutine le 24 octobre lors de sa conférence devant le Club Valdaï est la réaffirmation de principes gaulliens des rapports internationaux et de la sécurité en Europe. Il ne s’agit nullement d’un ”nationalisme russe” comme le prétend la propagande US relayée par les médias et les politiques en Europe. Poutine accuse l’Occident sous direction US de mener des actions de provocation et de déstabilisation, de l’Ukraine au Moyen-Orient, qui menacent la paix mondiale. Ce n’est pas lui qui a violé l’accord d’Helsinki de 1975 fondant la stabilité en Europe, pour la ”détente” et la fin de la guerre froide, c’est l’Occident sous direction US. Objectivement, la diplomatie russe n’a jamais cherché l’hégémonie russe mais a toujours été défensive. En revanche, la politique étrangère américaine a toujours été offensive et belliciste.  Dire cela n’est nullement être hostile au vrai peuple américain.

    Conclusion : Eurorussie

    Nous devons chercher, nous autres membres de l’Union européenne, notre véritable souveraineté en alliance avec la Russie. Nous devons donc aussi réfléchir aux vraies menaces. La vraie menace sur l’Europe ne vient nullement de la Russie mais d’une incursion invasive migratoire sous la bannière d’un islam de plus en plus agressif et radical ; le second problème à résoudre est notre inféodation volontaire à une Amérique qui est pourtant en situation de déclin relatif. Un énorme soleil couchant qui fascine toujours mais qui est en train de s’éteindre, doucement.   

    Si la France était dirigée par un gouvernement authentiquement gaulliste, elle serait la première à vouloir régler le problème ukrainien de manière pacifique et à choisir l’alliance franco-russe, afin d’y entrainer nos partenaires européens. Sans hostilité contre les USA : qu’ils vivent leur vie. Notre seule chance, notre seule solution, c’est de réfléchir à l’hypothèse d’une alliance avec la Russie. Nous appartenons au même peuple, à la même civilisation, nous avons un destin commun.  

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 19 novembre 2014)  

     

    Note :

    (1) L’ONU  n’a strictement  aucun rôle diplomatique international sérieux. La France et la Russie, pourtant membres permanents du Conseil de Sécurité ont été incapables d’avoir une influence efficace à l’ONU, organisation manipulée par les USA ; pourtant, au Conseil de Sécurité, ce sont deux membres permanents. L’ONU devrait être refondée et avoir son siège en Suisse, à Genève, pas à New-York . 

     

     

     

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