« Sleepy Joe » ? Non, « Super Biden » !
Dans nos milieux, on aime bien se moquer du président américain Joe Biden et notamment de son gâtisme supposé. Ne prend-il pas l’air absent quand on l’interroge ? Ne tombe-t-il pas de vélo devant les caméras ? Ne se prend-il pas les pieds dans les escaliers ? Pourtant ces péripéties ne doivent pas faire oublier que, si Joe Biden est certes âgé, sous sa présidence, les États-Unis accumulent les succès stratégiques d’envergure. Sleepy Joe ne cacherait-il pas un Super Biden ? Explications.
Premier succès : le découplage durable de la Russie avec l’Union européenne
Les États-Unis ont toujours eu la hantise d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » qu’ils ne contrôleraient plus. Ils ont hérité en cela de la diplomatie anglaise, qui a toujours veillé à diviser les nations d’Europe pour mieux les dominer.
Zbigniew Brzezinski avait donc théorisé la nécessité d’empêcher tout rapprochement entre les parties orientale et occidentale du continent européen : dans ce grand jeu d’échecs, il fallait détacher l’Ukraine de la Russie pour empêcher cette dernière de retrouver sa puissance d’antan.
En 2014 le coup d’État d’Euromaïdan, plaçant à la tête de l’Ukraine des équipes pro-américaines a constitué la première étape de ce plan. La répression kiévienne contre les populations russophones du Donbass qui a suivi, la seconde étape.
Les opérations militaires spéciales de la Russie contre l’Ukraine en 2022 permettent d’achever la manœuvre grâce à la complicité de l’Union européenne et à l’alignement de la France macronienne. Le Parlement européen désigne même la Russie comme « État terroriste » !
Biden vient donc de réaliser le programme de Brzezinski : un nouveau rideau de fer sépare désormais l’Europe et la Russie !
Second succès : le renforcement de l’OTAN en Europe
L’OTAN est l’instrument du leadership militaire américain en Europe. Il est donc vital pour l’Oncle Sam de maintenir cette organisation.
Emmanuel Macron affirmait en novembre 2019 que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ». Mais la guerre en Ukraine l’a manifestement ranimée d’entre les morts.
Mieux, des pays neutres envisagent même de rejoindre l’OTAN, comme la Suède ou la Finlande. Adieu, l’Europe de la Défense que préconisait une France de plus en plus isolée !
L’industrie américaine de l’armement peut donc se féliciter des choix diplomatiques de Biden : l’Europe, qui vide en outre ses arsenaux au profit de l’Ukraine, continuera d’acheter du matériel américain pendant longtemps, à l’instar des Polonais.
Bien joué Biden !
Troisième succès : la destruction de l’industrie européenne
Les États-Unis sont nos « alliés », mais à la condition que nous achetions leurs marchandises et qu’ils nous dominent.
Or les sanctions annoncées par les États-Unis et reprises par l’Union européenne contre la Russie ont justement pour effet principal de détruire ce qui reste d’industrie européenne.
D’abord par un renchérissement massif du coût de l’énergie, puis des matières premières importées – l’aluminium ou les phosphates, par exemple. En effet, l’Europe, ayant adopté une politique libre-échangiste, importe l’essentiel de ses ressources. Les antinucléaires ont refermé le piège en obligeant à investir massivement dans des énergies dites renouvelables, mais de faible rendement et très coûteuses. Résultat : la France autrefois exportatrice d’énergie nucléaire se prépare donc maintenant à des coupures de courant cet hiver ! Et l’Allemagne rouvre les centrales à charbon. Bravo, les stratèges européens !
Les États-Unis n’avaient jamais caché aussi leur opposition aux projets Nord Stream, sous prétexte de la trop grande dépendance vis-à-vis de l’énergie russe qu’ils provoqueraient pour l’Europe. Désormais, ces projets sont sabotés et l’Europe se coupe du pétrole et du gaz russes avec entrain ! Ouvrant une voie royale à l’achat du gaz de schiste américain !
Et si les sanctions ne semblent pas avoir eu l’effet attendu sur la Russie, en revanche elles ferment le marché russe aux producteurs européens, ce qui touche particulièrement l’Allemagne, la première puissance économique européenne. Enfin, elles sapent la crédibilité de l’euro comme monnaie de réserve, puisque les Européens n’ont pas hésité à bloquer les avoirs russes, après avoir fait de même avec tous les pays désignés comme ennemi par l’Oncle Sam. Comment faire confiance à l’euro dans ces conditions ?
Bravo, Biden !
Quatrième succès : les États-Unis vont se retirer du conflit ukrainien, sans pertes
Super Biden n’est pas si gâteux qu’on ne le dit : il a su conduire les Européens là où il voulait, en se servant de l’Ukraine comme d’un appât.
Et maintenant que l’Union européenne se trouve dans une impasse, les États-Unis commencent à négocier avec la Russie une sortie du conflit, sans les Ukrainiens bien entendu, dont ils se contrefichent. Les élus républicains trouvent même, outre-Atlantique, que Zelensky est un peu trop jusqu’au-boutiste…
Désolé pour BHL, l’Oncle Sam ne fera pas la guerre à la Russie pour le Donbass ! Il pourra ainsi se préparer à affronter, le moment venu, la Chine, son principal concurrent, dans les meilleures conditions possible.
Pendant que les chômeurs européens s’éclaireront à la bougie.
Qui est le plus gâteux ?
Emmanuel Macron peut bien « macroner » devant les caméras, comme disent ironiquement les médias russo-ukrainiens, ni l’Europe ni la France, tombés tête baissée dans le piège ukrainien, ne jouent plus dans la cour des grands.
Macron peut bien tenir papy Biden par les épaules, il n’obtient rien de lui.
Finalement, lequel des deux est le plus débile ? Le jeune bobo immature ou le vieux roublard yankee ?
Michel Geoffroy (Polémia, 11 décembre 2022)