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déclin - Page 7

  • L'apocalypse de la modernité...

    Universitaire et auteur de nombreux ouvrages sur le fascisme, dont plusieurs ont été traduits en français, comme La religion fasciste ou Qu'est-ce que le fascisme ?, Emilio Gentile vient de publier chez Aubier un nouvel essai intitulé Apocalypse de la modernité - La grande Grande Guerre et l'homme nouveau.

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    "Le 11 novembre 1918, lorsque prennent fin les quatre années de combats, de sacrifices et de massacres qui ont bouleversé l'Europe, les hommes, hébétés, contemplent les ruines. Ces ruines, ce sont celles d'une époque: celle de la modernité triomphante. où les maîtres mots étaient progrès. science. culture, et où l'on avait foi en l'avenir de l'humanité. Beaucoup, alors, diagnostiquent le déclin de la civilisation européenne, et s'interrogent avec angoisse sur la destinée de l'homme moderne. Ces réflexions, révèle Emilio Gentile, étaient cependant loin d'être nouvelles: elles étaient en germe. déjà, dans les années précédant la Grande Guerre. L'Europe de la " Belle Epoque", que l'on se représente resplendissante, sûre d'elle. conquérante, était minée par des courants sombres: isolées d'abord, puis de plus en plus nombreuses. des voix s'étaient fait entendre, qui prophétisaient la fin de la civilisation et appelaient à la régénération de l'homme par la guerre. En nous invitant à les écouter, l'historien italien dévoile pour la première fois une Belle Epoque traversée de cauchemars, rongée par l'angoisse, et entraînée malgré elle dans la spirale apocalyptique de l'autodestruction."

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  • Oswald Spengler !

    Le numéro 59-60 de la revue Nouvelle Ecole est disponible !

    Comme annoncé, il est centré sur Oswald Spengler et sa philosophie de l'histoire. On y trouvera une introduction à l'oeuvre de Spengler, par Alain de Benoist, des articles de Michel Lhomme, Emmanuel Mattiato et Domenico Conte, le meilleur spécialiste italien du philosophe, qui lui a consacré de deux ouvrages Introduzione a Spengler (Laterza, 1997) et  Albe e tramonti d’Europa. Su Jünger e Spengler (Edizioni di Storia e Letteratura, 2009).

    A côté du dossier sur Spengler, on trouvera aussi un article consacré à la tradition bulgare de la danse sur les braises, un article et un entretien sur Ramiro de Maeztu, écrivain espagnol, défenseur de l'hispanité, mort fusillé pendant la guerre civile, et la suite et la fin de l'étude de Gérard Zwang, débutée dans le numéro précédent, consacrée à la sexologie. 

    Il est possible de se procurer ce numéro sur le site de la revue Eléments.  

     

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    Au sommaire :

    Oswald Spengler. Une introduction (Alain de Benoist)

    Oswald Spengler après « Le déclin de l’Occident » (Domenico Conte)

    Oswald Spengler et l’idée de « développement » (Domenico Conte)

    Perspectives d’histoire universelle dans l’œuvre de Spengler (Domenico Conte)

    Le double visage de la Russie et les problèmes de l’Allemagne à l’Est  (Oswald Spengler)

    Oswald Spengler et le IIIe Reich (Alain de Benoist)

    Carl Schmitt, lecteur de Spengler (Emmanuel Mattiato)

    Oswald Spengler et l’Amérique latine (Michel Lhomme)
     
    Le parcours espagnol et européen de Ramiro de Maeztu (Pedro Carlos González Cuevas)
     
    « Maeztu a élaboré une veritable théorie de l’hispanité » (Entretien avec Pedro Carlos González Cuevas)
     
    La valeur de l’hispanité (Ramiro de Maeztu)
     
    La sexologie (II) (Gérard Zwang)
     
    La danse de braise des Nestinari (Entretien avec Valeria Fol)
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  • Etats-Unis : la chute ?...

    Nous reproduisons ici un article stimulant publié par Mecanopolis et consacrés aux scénarios de déclin des Etats-Unis. A l'horizon 2025, la fin du "siècle américain" ?... 

     

    La disparition des Etats-Unis en tant que puissance mondiale

    Un atterrissage en douceur pour les Etats-Unis d’ici quarante ans ? N’y pensez pas ! La disparition des Etats-Unis en tant que superpuissance mondiale pourrait survenir bien plus vite que ce que l’on imagine. Si Washington rêve de 2040 ou de 2050 comme date de fin pour le « Siècle Américain », une estimation plus réaliste des tendances aux Etats-Unis et dans le monde laisse penser qu’en 2025, exactement dans 15 ans, tout pourrait être pratiquement terminé.

    Malgré l’aura d’omnipotence que la plupart des empires projètent, un regard sur leur histoire devrait nous rappeler que ce sont des organismes fragiles. L’écologie de leur pouvoir est si délicate que lorsque les choses commencent à aller vraiment mal, les empires se désagrègent généralement à une vitesse incroyable : juste une année pour le Portugal, deux années pour l’Union Soviétique, 8 pour la France, 11 pour les Ottomans, 17 pour la Grande-Bretagne et, selon toute vraisemblance, 22 ans pour les Etats-Unis, à partir de la cruciale année 2003.

    Les futurs historiens identifieront probablement l’invasion irréfléchie de l’Irak par l’administration de George W. Bush, cette année-là, comme le commencement de la chute de l’Amérique. Cependant, à la place du bain de sang qui a marqué la fin de tant d’empires du passé, avec des villes qui brûlent et des civils massacrés, cet effondrement impérial du 21ème siècle pourrait survenir de façon relativement discrète, par les circonvolutions invisibles de l’effondrement économique ou de la guerre cybernétique.

    Mais n’ayez aucun doute : lorsque la domination mondiale de Washington prendra irrémédiablement fin, il y aura des souvenirs quotidiens douloureux de ce qu’une telle perte de pouvoir signifie pour les Américains de tous les milieux. A l’instar de ce qu’une demi-douzaine de nations européennes ont découvert, le déclin impérial tend à avoir un impact remarquablement démoralisant sur une société, apportant ordinairement des privations économiques pendant au moins une génération. Au fur et à mesure que l’économie se refroidit, la température politique monte, déclenchant souvent de sérieux troubles.

    Les données économiques, éducatives et militaires disponibles indiquent, pour ce qui est de la puissance mondiale des Etats-Unis, que les tendances négatives s’accumuleront rapidement d’ici à 2020 et atteindront probablement une masse critique au plus tard en 2030. Le Siècle Américain, proclamé si triomphalement au commencement de la Deuxième Guerre Mondiale, sera réduit à néant et s’éteindra d’ici à 2025, dans sa huitième décennie, et pourrait être relégué définitivement au passé d’ici 2030.

    Fait révélateur, en 2008, la Commission Nationale Américaine des Renseignements [US National Intelligence Council] a admis pour la première fois que la puissance globale des Etats-Unis suivait vraiment une trajectoire déclinante. Dans l’un de ses rapports périodiques sur le futur, Global Trends 2025 [Tendances Mondiales 2025], cette commission a cité « le transfert brutal de la richesse mondiale et de la puissance économique, actuellement en cours, de l’Ouest vers l’Est », et « sans précédent dans l’histoire moderne », comme premier facteur du déclin de la « force relative des Etats-Unis – même dans le domaine militaire ». Toutefois, comme beaucoup à Washington, les analystes de cette commission ont anticipé un atterrissage très en douceur et très long de la prééminence mondiale américaine, et ils ont nourri l’espoir que d’une façon ou d’une autre les Etats-Unis « garderaient longtemps une capacité militaire unique… afin de projeter leur puissance militaire sur le monde » pour les décennies à venir.

    Pas la moindre chance ! Selon les projections actuelles, les Etats-Unis se retrouveront en deuxième position derrière la Chine (déjà deuxième économie mondiale) en terme de production économique, aux alentours de 2026, et derrière l’Inde d’ici à 2050. De même, l’innovation chinoise suit une trajectoire qui conduira la Chine au leadership mondial en science appliquée et en technologie militaire entre 2020 et 2030, juste au moment où les nombreux scientifiques et ingénieurs brillants de l’Amérique actuelle prendront leur retraite, sans pouvoir être adéquatement remplacés à cause d’une nouvelle génération mal instruite.

    D’ici 2020, selon les prévisions actuelles, le Pentagone se lancera dans un va-tout militaire d’un empire mourrant. Il lancera une triple couverture spatiale létale, constituée de robotique avancée et qui représente le dernier meilleur espoir de Washington de maintenir son statut de puissance mondiale, malgré son influence économique déclinante. Toutefois, dès cette année-là, le réseau mondial de satellites de communication de la Chine, soutenu par les super-ordinateurs les plus puissants du monde, sera également entièrement opérationnel, procurant à Pékin une plate-forme indépendante pour la militarisation de l’espace et un puissant système de communication pour ses missiles – ou attaques cybernétiques – dans tous les endroits de la planète.

    Enveloppée dans sa prétention démesurée impériale, comme Whitehall ou le Quai d’Orsay avant elle, la Maison Blanche semble toujours imaginer que le déclin américain sera progressif, modéré et partiel. Dans son Adresse à l’Union en janvier dernier, le Président Barack Obama a donné la garantie qu’il « n’accepte pas la deuxième place pour les Etats-Unis d’Amérique ». Quelques jours plus tard, le Vice-président Joseph Biden, a tourné en dérision l’idée même que « nous sommes destinés à réaliser la prophétie de [l’historien Paul] Kennedy, selon laquelle nous serons une grande nation qui aura échoué parce que nous avons perdu le contrôle de notre économie et que nous nous sommes trop agrandis ». De la même manière, Joseph Nye, le gourou néolibéral en politique étrangère, s’exprimant dans le numéro de novembre du journal institutionnel Foreign Affairs, a balayé toute idée d’essor économique et militaire de la Chine, rejetant « les métaphores trompeuses de déclin organique » et niant qu’une détérioration de la puissance globale des Etats-Unis était en cours.

    Les Américains ordinaires, voyant leurs emplois se délocaliser à l’étranger, ont une vision plus réaliste que leurs dirigeants qui, eux, sont bien protégés. Un sondage d’opinion d’août 2010 a mis en évidence que 65% des Américains pensaient que leur pays était désormais « en état de déclin ». Déjà, l’Australie et la Turquie, des alliés militaires traditionnels des Etats-Unis, utilisent leurs armes fabriquées en Amérique pour des manœuvres aériennes et navales conjointes avec la Chine. Déjà, les partenaires économiques les plus proches des Etats-Unis s’éloignent de la position de Washington et se tournent vers la devise chinoise, dont les taux sont manipulés. Alors que le président [Obama] revenait d’Asie le mois dernier, un gros titre sinistre du New York Times résumait ainsi le moment fort de son voyage : « Sur La Scène Mondiale, La Vision Economique d’Obama Est Rejetée, La Chine, La Grande-Bretagne Et L’Allemagne Contestent Les USA, Les Pourparlers Commerciaux Avec Séoul Ont Egalement Echoué ».

    D’un point de vue historique, la question n’est pas de savoir si les Etats-Unis perdront leur puissance globale incontestée, mais juste à quelle vitesse et avec quelle brutalité se produira leur déclin. A la place des désirs irréalistes de Washington, prenons la propre méthodologie du National Intelligence Council pour décrypter l’avenir, afin de suggérer quatre scénarios réalistes (accompagnés de quatre évaluations associées de leur situation actuelle) sur la manière, que ce soit avec fracas ou dans un murmure, dont la puissance globale des Etats-Unis pourrait toucher à sa fin dans les années 2020. Ces scénarios futuristes comprennent : le déclin économique, le choc pétrolier, la mésaventure militaire et la Troisième Guerre Mondiale. Même si ces scénarios sont loin d’être les seules possibilités en matière de déclin – voire même d’effondrement – américain, ils offrent une fenêtre sur un futur qui arrive au pas de charge.

    Le déclin économique

    La situation actuelle

    Aujourd’hui, trois menaces principales existent vis-à-vis de la position dominante des Etats-Unis dans l’économie mondiale : la perte de l’influence économique grâce à une part du commerce mondial qui se rétrécit, le déclin de l’innovation technologique américaine et la fin du statut privilégié du dollar en tant que devise de réserve mondiale.

    Dès 2008, les Etats-Unis sont déjà tombés au troisième rang mondial pour les exportations, avec 11% des exportations mondiales, comparés à 12% pour la Chine et 16% pour l’Union Européenne. Il n’y a aucune raison de croire que cette tendance va s’inverser.

    De la même façon, le leadership américain dans l’innovation technologique est sur le déclin. En 2008, les Etats-Unis étaient encore numéro deux derrière le Japon en matière de dépôts de brevets, avec 232.000, mais la Chine se rapprochait très vite avec 195.000 brevets, grâce à une augmentation foudroyante de 400% depuis l’an 2000. Un signe annonciateur d’un déclin supplémentaire : en 2009, les Etats-Unis sont tombés au plus bas, au cours de la décennie précédente, parmi les 40 pays étudiés par la Fondation pour l’Innovation et l’Information Technologique, en termes de « changement » dans la « compétitivité mondiale en matière d’innovation ». Ajoutant du corps à ces statistiques, en octobre dernier, le Ministère de la Défense chinois a dévoilé le super-ordinateur le plus rapide du monde, le Tianhe-1 A, si puissant, selon un expert américain, qu’il « fait voler en éclat les performances de l’actuelle machine n°1 » aux Etats-Unis.

    Ajoutez à cette preuve limpide que le système éducatif américain, qui constitue la source des futurs scientifiques et innovateurs, est passé derrière ses concurrents. Après avoir été à la tête du monde pendant des décennies sur la tranche d’âge des 25-34 ans possédant un diplôme universitaire, ce pays a sombré à la douzième place en 2010. Le Forum Economique Mondial, la même année, a classé les Etats-Unis à une médiocre 52ème place sur 139 pays, en ce qui concerne la qualité de ses universités de mathématiques et d’instruction scientifique. Près de la moitié de tous les diplômés en sciences aux Etats-Unis sont désormais des étrangers, dont la plupart rentreront chez eux, et ne resteront pas aux Etats-Unis comme cela se passait autrefois. Autrement dit, d’ici 2025, les Etats-Unis se retrouveront probablement face à une pénurie de scientifiques de talent.

    De telles tendances négatives encouragent la critique acerbe croissante sur le rôle du dollar en tant que devise de réserve mondiale. « Les autres pays ne veulent plus adhérer à l’idée que les Etats-Unis savent mieux que les autres en matière de politique économique », a observé Kenneth S. Rogoff, ancien chef économiste au FMI. A la mi-2009, avec les banques centrales qui détenaient un montant astronomique de 4.000 milliards de dollars en bons du trésor américain, le Président russe Dimitri Medvedev a insisté sur le fait qu’il était temps de mettre fin au « système unipolaire artificiellement maintenu » et basé sur « une devise de réserve qui avait été forte dans le passé ».

    Simultanément, le gouverneur de la banque centrale chinoise a laissé entendre que l’avenir pourrait reposer sur une devise de réserve mondiale « déconnectée des nations individuelles » (c’est-à-dire, le dollar américain). Prenez tout ceci comme des indications du monde à venir et comme une tentative possible, ainsi que l’a soutenu l’économiste Michael Hudson, « d’accélérer la banqueroute de l’ordre mondial militaro-financier des Etats-Unis ».

    Un scénario pour 2020

    Après des années de déficits croissants, nourris par des guerres incessantes dans des pays lointains, en 2020, comme l’on s’y attend depuis longtemps, le dollar américain perd finalement son statut spécial de devise de réserve mondiale. Soudain, le coût des importations monte en flèche. Incapable de payer des déficits allant crescendo en vendant des bons du Trésor à présent dévalués, Washington est finalement obligé de réduire considérablement son budget militaire boursouflé. Sous la pression de ses citoyens et de l’étranger, Washington retire les forces américaines de centaines de bases à l’étranger qui se replient sur un périmètre continental. Cependant, il est désormais bien trop tard.

    Face à une superpuissance qui s’éteint et qui est incapable de payer ses factures, la Chine, l’Inde, l’Iran, la Russie et d’autres puissances, grandes ou régionales, défient et provoquent la domination des Etats-Unis sur les océans, dans l’espace et le cyberespace. Pendant ce temps, en pleine inflation, avec un chômage qui croit sans cesse et une baisse continue des salaires réels, les divisions intérieures s’étendent en violents clashs et en débats diviseurs, souvent sur des questions remarquablement hors sujet. Surfant sur une vague politique de désillusion et de désespoir, un patriote d’extrême-droite capture la présidence avec une rhétorique assourdissante, exigeant le respect de l’autorité américaine et proférant des menaces de représailles militaires ou économiques. Le monde ne prête quasiment pas attention alors que le Siècle Américain se termine en silence.

    Le choc pétrolier

    La situation actuelle

    Une victime collatérale de la puissance économique déclinante de l’Amérique a été son verrouillage des approvisionnements en pétrole. Accélérant et dépassant l’économie américaine gourmande en pétrole, la Chine est devenue cet été le premier consommateur mondial d’énergie, une position détenue par les Etats-Unis depuis plus d’un siècle. Le spécialiste [américain] de l’énergie Michael Klare a exposé que ce changement signifie que la Chine « donnera le rythme pour façonner notre avenir mondial ».

    D’ici 2025, la Russie et l’Iran contrôleront près de la moitié des réserves mondiales de gaz naturel, ce qui leur octroiera potentiellement un énorme effet de levier sur une Europe affamée d’énergie. Ajoutez les réserves pétrolières à ce mélange, ainsi que le National Intelligence Council a prévenu, et dans juste 15 ans, deux pays, la Russie et l’Iran, pourraient « émerger comme les chevilles ouvrières de l’énergie ».

    Malgré leur ingéniosité remarquable, les principales puissances pétrolières vident actuellement les grands bassins de réserves pétrolières qui s’avèrent être des extractions faciles et bon marché. La véritable leçon du désastre pétrolier de « Deepwater Horizon » dans le Golfe du Mexique n’était pas les normes de sécurité laxistes de BP, mais le simple fait que tout le monde ne voyait que le « spectacle de la marée noire » : l’un des géants de l’énergie n’avait pas beaucoup d’autre choix que de chercher ce que Klare appelle du « pétrole coriace », à des kilomètres sous la surface de l’océan, pour maintenir la croissance de ses profits.

    Aggravant le problème, les Chinois et les Indiens sont soudainement devenus des consommateurs d’énergie beaucoup plus gourmands. Même si les approvisionnements en pétrole devaient rester constants (ce qui ne sera pas le cas), la demande, et donc les coûts, est quasiment assurée de monter – et, qui plus est, brutalement. D’autres pays développés répondent agressivement à cette menace en se plongeant dans des programmes expérimentaux pour développer des sources énergétiques alternatives. Les Etats-Unis ont pris une voie différente, faisant bien trop peu pour développer des sources énergétiques alternatives, tandis qu’au cours des dix dernières années, ils ont doublé leur dépendance sur les importations du pétrole provenant de l’étranger. Entre 1973 et 2007, les importations de pétrole [aux Etats-Unis] sont passées de 36% de toute l’énergie consommée aux Etats-Unis à 66%.

    Un scénario pour 2025

    Les Etats-Unis sont restés si dépendants du pétrole étranger que quelques événements défavorables sur le marché mondial de l’énergie déclenchent en 2025 un choc pétrolier. En comparaison, le choc pétrolier de 1973 (lorsque les prix ont quadruplé en quelques mois) ressemble à un avatar. En colère face à la valeur du dollar qui s’envole, les ministres du pétrole de l’OPEP, se réunissant en Arabie Saoudite, exigent les futurs paiements énergétiques dans un « panier de devises », constitué de yen, de yuan et d’euro. Cela ne fait qu’augmenter un peu plus le coût des importations pétrolières américaines. En même temps, tandis qu’ils signent une nouvelle série de contrats de livraison à long-terme avec la Chine, les Saoudiens stabilisent leurs propres réserves de devises en passant au yuan. Pendant ce temps, la Chine déverse d’innombrables milliards pour construire un énorme pipeline à travers l’Asie et finance l’exploitation par l’Iran du plus grand champ gazier au monde, à South Pars, dans le Golfe Persique.

    Inquiets que l’US Navy pourrait ne plus être en mesure de protéger les bateaux-citernes naviguant depuis le Golfe Persique pour alimenter l’Asie Orientale, une coalition entre Téhéran, Riyad et Abu-Dhabi forme une nouvelle alliance inattendue du Golfe et décrète que la nouvelle flotte chinoise de porte-avions rapides patrouillera dorénavant dans le Golfe Persique, depuis une base dans le Golfe d’Oman. Sous de fortes pressions économiques, Londres accepte d’annuler le bail des Américains sur la base de Diego Garcia, située sur son île de l’Océan Indien, tandis que Canberra, contrainte par les Chinois, informe Washington que sa Septième Flotte n’est plus la bienvenue à Fremantle, son port d’attache, évinçant de fait l’US Navy de l’Océan Indien.

    En quelques traits de plume et quelques annonces laconiques, la « Doctrine Carter », selon laquelle la puissance militaire étasunienne devait éternellement protéger le Golfe Persique, est enterrée en 2025. Tous les éléments qui ont assuré pendant longtemps aux Etats-Unis des approvisionnements illimités en pétrole bon marché depuis cette région – logistique, taux de change et puissance navale – se sont évaporés. A ce stade, les Etats-Unis ne peuvent encore couvrir que 12% de leurs besoins énergétiques par leur industrie d’énergie alternative naissante, et ils restent dépendants du pétrole importé pour la moitié de leur consommation d’énergie.

    Le choc pétrolier qui s’ensuit frappe le pays comme un ouragan, envoyant les prix vers de nouveaux sommets, rendant les voyages une option incroyablement coûteuse, provoquant la chute-libre des salaires réels (depuis longtemps en déclin) et rendant non-compétitif ce qui reste des exportations américaines. Avec des thermostats qui chutent, le prix des carburants qui bat tous les records et les dollars qui coulent à flot vers l’étranger en échange d’un pétrole coûteux, l’économie américaine est paralysée. Avec des alliances en bout de course qui s’effilochent depuis longtemps et des pressions fiscales croissantes, les forces militaires américaines commencent finalement un retrait graduel de leurs bases à l’étranger.

    En quelques années, les Etats-Unis sont fonctionnellement en faillite et le compte à rebours à commencé vers le crépuscule du Siècle Américain.

    La mésaventure militaire

    La situation actuelle

    Contrairement à l’intuition, tandis que leur puissance s’éteint, les empires plongent souvent dans des mésaventures militaires inconsidérées. Ce phénomène, connu des historiens spécialistes des empires sous le nom de « micro-militarisme », semble impliquer des efforts de compensation psychologique pour soulager la douleur de la retraite ou de la défaite en occupant de nouveaux territoires, pourtant de façon brève et catastrophique. Ces opérations, irrationnelles même d’un point de vue impérial, produisent souvent une hémorragie de dépenses ou de défaites humiliantes qui ne font qu’accélérer la perte de puissance.

    A travers les âges, les empires assaillis souffrent d’une arrogance qui les conduit à plonger encore plus profond dans les mésaventures militaires, jusqu’à ce que la défaite devienne une débâcle. En 413 av. J.-C., Athènes, affaiblie, envoya 200 vaisseaux se faire massacrer en Sicile. En 1921, l’Espagne impériale mourante envoya 20.000 soldats se faire massacrer par les guérillas berbères au Maroc. En 1956, l’empire britannique déclinant détruisit son prestige en attaquant Suez. Et, en 2001 et en 2003, les Etats-Unis ont occupé l’Afghanistan et envahi l’Irak. Avec la prétention démesurée qui marque les empires au fil des millénaires, Washington a augmenté à 100.000 le nombre de ses soldats en Afghanistan, étendu la guerre au Pakistan et étendu son engagement jusqu’en 2014 et plus, recherchant les désastres, petits et grands, dans ce cimetière nucléarisé des empires, infesté par les guérillas.

    Un scénario pour 2014

    Le « micro-militarisme » est si irrationnel et imprévisible que les scénarios en apparence fantaisistes sont vite surpassés par les évènements réels. Avec l’armée américaine étirée et clairsemée de la Somalie aux Philippines et les tensions qui montent en Israël, en Iran et en Corée, les combinaisons possibles pour une crise militaire désastreuse sont multiformes.

    Nous sommes au milieu de l’été 2014 au sud de l’Afghanistan et une garnison américaine réduite, dans Kandahar assailli, est soudainement et de façon inattendue prise d’assaut par les guérillas Taliban, tandis que les avions américains sont cloués au sol par une tempête de sable aveuglante. De lourdes pertes sont encaissées et, en représailles, un commandant militaire américain embarrassé lâche ses bombardiers B-1 et ses avions de combat F-16 pour démolir tout un quartier de la ville que l’on pense être sous contrôle Taliban, tandis que des hélicoptères de combat AC-130 U « Spooky » ratissent les décombres avec des tirs dévastateurs.

    Très vite, les Mollahs prêchent le djihad dans toutes les mosquées de la région, et les unités de l’armée afghane, entraînées depuis longtemps par les forces américaines pour renverser le cours de la guerre, commencent à déserter massivement. Les combattants Talibans lancent alors dans tout le pays une série de frappes remarquablement sophistiquées sur les garnisons américaines, faisant monter en flèche les pertes américaines. Dans des scènes qui rappellent Saigon en 1975, les hélicoptères américains portent secours aux soldats et aux civils américains depuis les toits de Kaboul et de Kandahar.

    Pendant ce temps, en colère contre l’impasse interminable qui dure depuis des dizaines d’années à propos de la Palestine, les dirigeants de l’OPEP imposent un nouvel embargo pétrolier contre les Etats-Unis pour protester contre leur soutien à Israël, ainsi que contre le massacre d’un nombre considérable de civils musulmans dans leur guerre en cours dans tout le Grand Moyen-Orient. Avec le prix des carburants qui monte en flèche et ses raffineries qui s’assèchent, Washington prend ses dispositions en envoyant les forces des Opérations Spéciales saisir les ports pétroliers du Golfe Persique. En retour, cela déclenche un emballement des attaques-suicides et le sabotage des pipelines et des puits de pétrole. Tandis que des nuages noirs s’élèvent en tourbillons vers le ciel et que les diplomates se soulèvent à l’ONU pour dénoncer catégoriquement les actions américaines, les commentateurs dans le monde entier remontent dans l’histoire pour appeler cela le « Suez de l’Amérique », une référence éloquente à la débâcle de 1956 qui a marqué la fin de l’Empire Britannique.

    La Troisième Guerre Mondiale

    La situation actuelle

    Au cours de l’été 2010, les tensions militaires entre les Etats-Unis et la Chine ont commencé à croître dans le Pacifique occidental, considéré autrefois comme un « lac » américain. Même un an plus tôt, personne n’aurait prédit un tel développement. De la même manière que Washington a exploité son alliance avec Londres pour s’approprier une grande part de la puissance mondiale de la Grande-Bretagne après la Deuxième Guerre Mondiale, la Chine utilise à présent les profits générés par ses exportations avec les Etats-Unis pour financer ce qui risque probablement de devenir un défi militaire à la domination américaine sur les voies navigables de l’Asie et du Pacifique.

    Avec ses ressources croissantes, Pékin revendique un vaste arc maritime, de la Corée à l’Indonésie, dominé pendant longtemps par l’US Navy. En août, après que Washington eut exprimé un « intérêt national » dans la Mer de Chine méridionale et conduit des exercices navals pour renforcer cette revendication, le Global Times, organe officiel de Pékin, a répondu avec colère, en disant : « Le match de lutte entre les Etats-Unis et la Chine sur la question de la Mer de Chine méridionale a fait monter les enchères pour décider quel sera le futur dirigeant de la planète. »

    Au milieu des tensions croissantes, le Pentagone a rapporté que Pékin détient à présent « la capacité d’attaquer… les porte-avions [américains] dans l’Océan Pacifique occidental » et de diriger « des forces nucléaires vers l’ensemble… des Etats-Unis continentaux. » En développant « des capacités offensives nucléaires, spatiales et de guerre cybernétique », la Chine semble déterminée à rivaliser pour la domination de ce que le pentagone appelle « le spectre d’information dans toutes les dimensions de l’espace de combat moderne ». Avec le développement en cours de la puissante fusée d’appoint Long March V, de même que le lancement de deux satellites en janvier 2010 et d’un autre en juillet dernier, pour un total de cinq [déjà mis sur orbite], Pékin a lancé le signal que le pays faisait des progrès rapides en direction d’un réseau « indépendant » de 35 satellites pour le positionnement, les communications et les capacités de reconnaissance mondiales, qui verra le jour d’ici 2020.

    Pour contrôler la Chine et étendre mondialement sa position militaire, Washington a l’intention de construire un nouveau réseau numérique de robotique aérienne et spatiale, de capacités avancées de guerre cybernétique et de surveillance électronique. Les planificateurs militaires espèrent que ce système enveloppera la Terre dans un quadrillage cybernétique capable de rendre aveugles des armées entières sur le champ de bataille ou d’isoler un simple terroriste dans un champ ou une favela. D’ici 2020, si tout fonctionne selon son plan, le Pentagone lancera un bouclier à trois niveaux de drones spatiaux – pouvant atteindre l’exosphère depuis la stratosphère, armés de missiles agiles, reliés par un système modulaire de satellites élastique et opérant au moyen d’une surveillance totale par télescope.

    En avril dernier, le Pentagone est entré dans l’histoire. Il a étendu les opérations de drones à l’exosphère en lançant discrètement la navette spatiale non habitée X-37 B, la plaçant en orbite basse au-dessus de la planète. Le X-37 B est le premier d’une nouvelle génération de véhicules non-habités qui marqueront la militarisation complète de l’espace, créant une arène pour les futures guerres, contrairement à tout ce qui a été fait auparavant.

    Un scénario pour 2025

    La technologie de la guerre spatiale et cybernétique est tellement nouvelle et non-testée que même les scénarios les plus bizarres pourraient bientôt être dépassés par une réalité encore difficile à concevoir. Toutefois, si nous employons simplement le type de scénarios que l’US Air Force a elle-même utilisés dans son 2009 Future Capabilities Game, nous pouvons obtenir « une meilleure compréhension sur la manière dont l’air, l’espace et le cyberespace coïncident dans l’art de la guerre » ; et, commencez alors à imaginer comment la prochaine guerre mondiale pourrait réellement être livrée !

    Il est 23h59 en ce jeudi de Thanksgiving 2025. Tandis que les foules se pressent dans les cyberboutiques et qu’elles martèlent les portails de Best Buy pour des gros discounts sur les derniers appareils électroniques domestiques provenant de Chine, les techniciens de l’US Air Force, au Télescope Spatial de Surveillance de Maui [Hawaï], toussent sur leur café tandis que leurs écrans panoramiques deviennent soudainement noirs. A des milliers de kilomètres, au centre de commandement cybernétique au Texas, les combattants cybernétiques détectent rapidement des codes binaires malicieux qui, bien que lancés de façon anonyme, montrent l’empreinte numérique distincte de l’Armée de Libération Populaire de Chine.

    Cette première attaque ouverte n’avait été prévue par personne. Le « programme malicieux » prend le contrôle de la robotique à bord d’un drone américain à propulsion solaire, le « Vulture », alors qu’il vole à 70.000 pieds au-dessus du Détroit de Tsushima, entre la Corée et le Japon. Il tire soudain tous les modules de fusées qui se trouvent en dessous de son envergure gigantesque de 135 mètres, envoyant des douzaines de missiles létaux plonger de façon inoffensive dans la Mer Jaune, désarmant ainsi efficacement cette arme terrible.

    Déterminé à répondre coup pour coup, la Maison Blanche autorise une frappe de rétorsion. Confiant que son système de satellites F-6, « fractionné et en vol libre » est impénétrable, les commandants de l’Air Force en Californie transmettent les codes robotiques à la flottille de drones spatiaux X-37 B qui orbitent à 450 kilomètres au-dessus de la Terre, leur ordonnant de lancer leurs missiles « triple terminator » sur les 35 satellites chinois. Aucune réponse. Proche de la panique, l’US Air Force lance son véhicule de croisière hypersonique Falcon dans un arc de 160 kilomètres au-dessus de l’Océan Pacifique et ensuite, juste 20 minutes plus tard, envoie les codes informatiques pour tirer les missiles contre sept satellites chinois en orbite basse. Les codes de lancement sont soudainement inopérants.

    Au fur et à mesure que le virus chinois se répand irrésistiblement à travers l’architecture des satellites F-6 et que ces super-ordinateurs américains de deuxième classe ne parviennent pas à cracker le code diablement complexe du programme malicieux, les signaux GPS, cruciaux pour la navigation des navires et des avions américains dans le monde entier, sont compromis. Les flottes de porte-avions commencent à tourner en rond au milieu du Pacifique. Des escadrons d’avions de combat sont cloués au sol. Les drones moissonneurs volent sans but vers l’horizon, se crashant lorsque leur carburant est épuisé. Soudain, les Etats-Unis perdent ce que l’US Air Force a longtemps appelé « le terrain élevé de combat ultime » : l’espace. En quelques heures, la puissance mondiale qui a dominé la planète pendant près d’un siècle a été vaincue dans la Troisième Guerre Mondiale sans causer la moindre victime humaine.

    Un nouvel ordre mondial ?

     Même si les événements futurs s’avèrent plus ternes que ce que suggèrent ces quatre scénarios, toutes les tendances importantes pointent vers un déclin beaucoup plus saisissant de la puissance américaine d’ici 2025 que tout ce que Washington semble maintenant envisager.

    Alors que les alliés [des Etats-Unis] dans le monde entier commencent à réaligner leurs politiques pour rencontrer les puissances asiatiques montantes, le coût de maintien des 800 bases militaires ou plus à l’étranger deviendra tout simplement insoutenable, forçant finalement Washington à se retirer graduellement à contre-cœur. Avec la Chine et les Etats-Unis qui se trouvent dans une course à la militarisation de l’espace et du cyberespace, les tensions entre les deux puissances vont sûrement monter, rendant un conflit militaire d’ici 2025 au moins plausible, voire quasiment garanti.

    Pour compliquer un peu plus les choses, les tendances économiques, militaires et technologiques exposées brièvement ci-dessus n’agiront pas de manière clairement isolée. Comme cela s’est produit pour les empires européens après la Deuxième Guerre Mondiale, de telles forces négatives se révèleront sans aucun doute synergiques. Elles se combineront de façon complètement inattendue, créeront des crises pour lesquelles les Américains ne sont absolument pas préparés et menaceront d’envoyer l’économie dans une spirale descendante soudaine, reléguant ce pays dans la misère économique, pendant une génération ou plus.

    Tandis que la puissance américaine s’estompe, le passé offre un éventail de possibilités pour un futur ordre mondial. A un bout de ce spectre, la montée d’une nouvelle superpuissance mondiale, même si elle est improbable, ne peut pas être écartée. Toutefois, la Chine et la Russie manifestent toutes deux des cultures autoréférentielles, des écritures abstruses non-romaines, des stratégies de défense régionales et des systèmes légaux sous-développés, leur contestant les instruments clés pour la domination mondiale. Alors, dans ce cas, aucune superpuissance de semble pouvoir succéder aux Etats-Unis.

    Dans une version noire contre-utopique de notre futur mondial, il est concevable qu’une coalition d’entreprises transnationales, de forces multilatérales comme l’OTAN et d’une élite financière internationale puisse élaborer un réseau supranational instable qui ne donnerait plus aucun sens à l’idée même d’empires nationaux. Tandis que des entreprises dénationalisées et des élites multinationales dirigeraient de façon usurpée un tel monde depuis des enclaves urbaines sécurisées, les multitudes seraient reléguées dans des terres, rurales ou urbaines, laissées à l’abandon.

    Dans Planet of Slums [planète bidonvilles], Mike Davis offre au moins une vision partielle du bas vers le haut d’un tel monde. Son argument est que le milliard de personnes (deux milliards d’ici 2030) déjà entassées dans des bidonvilles fétides de type favelas autour du monde, feront « les villes sauvages et en faillite du Tiers Monde […] l’espace de combat caractéristique du 21ème siècle ». Alors que l’obscurité s’installe sur quelques super-favelas futures, « l’empire peut déployer des technologies orwelliennes de répression », tandis que « les hélicoptères de combats de type hornet chassent des ennemis énigmatiques dans les rues étroites des bas-quartiers… Tous les matins, les bidonvilles répliquent par des attentats-suicides et des explosions éloquentes ».

    Au milieu de ce spectre de futurs possibles, un nouvel oligopole pourrait émerger entre 2020 et 2040, avec les puissances montantes chinoise, russe, indienne et brésilienne collaborant avec des puissances en déclin comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Japon et les Etats-Unis, en vue d’imposer une domination globale ad hoc, semblable à l’alliance approximative des empires européens qui ont dirigé la moitié de l’humanité aux alentours de 1900.

    Une autre possibilité : la montée d’hégémons régionaux dans un retour à quelque chose rappelant le système international en œuvre avant que les empires modernes ne se forment. Dans cet ordre mondial néo-westphalien, avec ses perspectives sans fin de micro-violence et d’exploitation incontrôlée, chaque hégémon dominerait sa région immédiate – le Brésil en Amérique du Sud, Washington en Amérique du Nord, Pretoria en Afrique méridionale, etc. L’espace, le cyberespace et les profondeurs maritimes, retirés du contrôle de l’ancien « gendarme » planétaire, les Etats-Unis, pourraient même devenir des nouvelles parties communes mondiales, contrôlées au moyen d’un Conseil de Sécurité onusien élargi ou d’une autre institution ad hoc.

    Tous ces scénarios extrapolent des tendances futuristes existantes, sur la supposition que les Américains, aveuglés par l’arrogance de décennies de puissance sans précédent historique, ne peuvent pas prendre ou ne prendront pas les mesures pour gérer l’érosion incontrôlée de leur position mondiale.

    Si le déclin de l’Amérique suit en fait une trajectoire de 22 années entre 2003 et 2025, alors les Américains ont déjà gaspillé la plus grande partie de la première décade de ce déclin avec des guerres qui les ont détournés des problèmes à long-terme et, de la même manière que l’eau est bue rapidement par les sables du désert, des trillions de dollars terriblement nécessaires gaspillés.

    S’il reste seulement 15 ans, les risques de les gaspiller tous reste toujours élevé. Le Congrès et le président [des Etats-Unis] sont à présent dans une impasse ; le système américain est submergé par l’argent des grandes entreprises qui bloquent les usines ; et peu de choses laissent penser que toute question d’importance, y compris les guerres américaines, l’Etat national sécuritaire bouffi de l’Amérique, son système éducatif démuni et ses approvisionnements énergétiques archaïques, sera traitée avec assez de sérieux pour assurer la sorte d’atterrissage en douceur qui pourrait maximiser le rôle et la prospérité des Etats-Unis dans un monde en changement.

    Les empires d’Europe sont révolus et le pouvoir suprême des Etats-Unis se poursuit. Il semble de plus en plus improbable que les Etats-Unis obtiendront quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la réussite de la Grande-Bretagne, pour façonner un ordre mondial réussi qui protège leurs intérêts, préserve leur prospérité et porte la marque de leurs meilleures valeurs.

    Alfred W. McCoy

    Traduction : Questions Critiques

    Alfred W McCoy est professeur d’histoire à l’Université de Wisconsin-Madison. Auteur régulier pour TomDispatch, il préside également le projet “Empires in transition”, un groupe de travail mondial de 140 historiens, provenant d’universités issues de quatre continents.

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  • Les snipers de la semaine (6)

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    Au sommaire :

    - sur le blog du Choc du mois, Julien Jauffret mouche avec intelligence et courage le libéral droitier Claude Goasguen ; 

    Solidarité avec les sans-papiers ?

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    - sur Mécanopolis, Jean-Marc Desanti ajuste Sarkozy et sa stratégie du déclin.

    La stratégie du déclin

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  • Vers la fin du monde moderne ?...

    Nous avions annoncé la parution aux éditions Res Publica de La fin de monde moderne, un essai d'Alexandre Rougé, journaliste vinicole et engagé, dont on peut lire les talentueux  articles dans Le Choc du Mois. Nous reproduisons ici la préface que lui a donné, pour cet essai, Alain de Benoist. Bonne lecture !

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    Préface à La fin du monde moderne

    Au XVIIIe siècle, la modernité, dont les racines sont beaucoup plus anciennes, a trouvé sa légitimation théorique dans l’idéologie du progrès. Celle-ci, formulée notamment par Condorcet (Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, ouvrage posthume paru en 1795), s’articule autour d’une affirmation simple : l’humanité, depuis ses débuts, est engagée de manière unitaire dans une perpétuelle marche en avant qui associe l’amélioration de ses conditions d’existence à l’amélioration continuelle de l’homme. Il en résulte que la nouveauté (le novum) vaut pour elle-même au seul motif qu’elle est nouvelle. Cette marche en avant équivaut à un affranchissement du passé. Les sociétés traditionnelles déterminaient en effet leurs règles et leurs principes en fonction de ce qui paraissait avoir fait ses preuves dans le passé (la tradition, les ancêtres) : le terme grec archè renvoie aussi bien à l’« archaïque » qu’à ce qui fait autorité. C’est même l’ancienneté des coutumes qui en garantissait en quelque sorte la valeur. Convaincues de la réalité du progrès, les sociétés modernes se légitiment au contraire par une promesse d’avenir. Elles ne sont pas plus libres – bien qu’elles pensent souvent l’être –, mais déterminées par la certitude de « lendemains qui chantent » : l’hétéronomie par le futur remplace l’hétéronomie par le passé. C’est pourquoi elles tendent à ne voir que « préjugés » et « superstitions » dans la façon de faire des Anciens. Elles aspirent, elles, à un Homme nouveau, émancipé de tout ce qui, auparavant, faisait obstacle à la grande marche en avant du progrès.

     

    L’idéologie du progrès est un historicisme. Reprenant la conception unilinéaire et vectorielle d’une histoire ayant un début et une fin absolus, qui provient de la Bible, mais en l’énonçant sous une forme profane (l’avenir remplace l’au-delà, tandis que le bonheur se substitue au salut), elle adhère de ce fait à l’idée de nécessité historique : l’histoire se dirige nécessairement dans une direction, et son trajet la porte nécessairement vers le meilleur. Mais c’est aussi un universalisme, car il s’agit d’une histoire globale, à laquelle tous les peuples sont également appelés à participer, certains d’entre eux pouvant seulement accuser du « retard », tandis que d’autres sont plus « en avance », ce qui autoriserait les seconds à presser les premiers de les rejoindre (et d’adopter leur modèle), fût-ce au prix de mesures coercitives. Comme déjà chez saint Augustin, l’humanité est regardée comme un seul et même organisme, indéfiniment perfectible et qui ne cesse de grandir.

     

    Bien entendu, après Condorcet, les théoriciens du progrès, libéraux ou « progressistes », se diviseront sur la direction du progrès, le rythme et la nature des changements censés l'accompagner, éventuellement aussi sur ses acteurs principaux. Mais tous seront d’accord pour définir le progrès comme un processus accumulant des étapes, dont la plus récente est toujours jugée préférable et meilleure, c'est-à-dire qualitativement supérieure à celle qui l'a précédée. Cette définition comprend un élément descriptif (un changement intervient dans une direction donnée) et un élément axiologique (cette progression est interprétée comme une amélioration). Il s'agit donc d'un changement orienté, et orienté vers le mieux, à la fois nécessaire (on n'arrête pas le progrès) et irréversible (il n'y a pas globalement de retour en arrière possible). L'amélioration étant inéluctable, il s'en déduit que demain sera toujours meilleur.

     

    Longtemps défendue comme un article de foi, l’idéologie du progrès ne s’en heurte pas moins aujourd’hui à des doutes qui ne cessent de s’étendre. Les totalitarismes du XXe siècle et les deux guerres mondiales ont sapé l'optimisme qui prévalait au siècle précédent. Les désillusions sur lesquelles se sont fracassées bien des espérances révolutionnaires ont suscité l'idée que la société actuelle, si désespérante et privée de sens qu'elle puisse être, est malgré tout la seule possible : la vie sociale est de plus en plus vécue sous l'horizon de la fatalité. L'avenir, qui apparaît désormais imprévisible, inspire plus d'inquiétudes que d'espoirs. L'aggravation de la crise paraît plus probable que les « lendemains qui chantent ».

     

    Il n’y a plus grand monde aujourd’hui pour croire que le progrès matériel rende l'homme meilleur, ou que les progrès enregistrés dans un domaine se répercutent automatiquement dans tous les autres. Dans la « société du risque » (Ulrich Beck), le progrès matériel apparaît lui-même comme ambivalent. On admet qu'à côté des avantages pratique qu'il confère, il a aussi un coût. On voit bien que l'urbanisation sauvage a multiplié les pathologies sociales, et que la modernisation industrielle s'est traduite par une dégradation sans précédent du cadre naturel de vie. La destruction massive de l'environnement a donné naissance aux mouvements écologistes, qui ont été parmi les premiers à dénoncer les « illusions du progrès ». On redécouvre qu’il y a dans tous les domaines des limites ou des frontières. Les réserves naturelles ne sont pas inépuisables, et aucun arbre ne peut monter jusqu’au ciel. Même dans le domaine sportif, la recherche de la performance quantifiée atteint ses limites, puisque la plupart des records ne sont plus battus désormais que par des dixièmes ou des centièmes de seconde. Le développement de la technoscience, enfin, soulève avec force la question des finalités. Le développement des sciences n'est plus perçu comme contribuant toujours au bonheur de l'humanité : le savoir lui-même, comme on le voit avec le débat sur les biotechnologies, est considéré comme porteur de menaces. Dans des couches de population de plus en plus vastes, on commence à comprendre que plus n'est pas synonyme de mieux. On distingue entre l'avoir et l'être, le bonheur matériel et le bonheur tout court.

     

    Pourtant, la thématique du progrès reste prégnante, ne serait-ce qu'à titre symbolique ou mythique. La classe politique continue d'en appeler au rassemblement des « forces de progrès » contre les « hommes du passé », et de tonner contre l'« obscurantisme médiéval » (ou les « mœurs d'un autre âge » de telle ou telle catégorie de population). Dans le discours public, le mot « progrès » conserve globalement une résonance ou une charge positive (« c’est quand même un progrès »). L'orientation vers le futur reste également dominante. Même si l'on admet que ce futur est chargé d'incertitudes menaçantes, on continue à penser que, logiquement, les choses devraient globalement s'améliorer dans l'avenir. Relayé par l'essor des technologies de pointe et l'ordonnancement médiatique des modes, le culte de la nouveauté reste plus fort que jamais. On continue aussi à croire que l'homme est d'autant plus « libre » qu'il s'arrache plus complètement à ses appartenances organiques ou à des traditions héritées du passé. L'individualisme régnant, conjugué à un ethnocentrisme occidental se légitimant désormais par l'idéologie des droits de l'homme, se traduit par la déstructuration de la famille, la dissolution du lien social et le discrédit des sociétés traditionnelles, où les individus sont encore solidaires de leur communauté d'appartenance. Mais surtout, la théorie du progrès reste largement présente dans sa version productiviste. Elle nourrit l'idée qu'une croissance indéfinie est à la fois normale et souhaitable, et qu'un avenir meilleur passe nécessairement par l'accroissement constant du volume de biens produits, que favorise la mondialisation des échanges. Cette idée inspire aujourd'hui l'idéologie du « développement », qui continue à regarder les sociétés du Tiers-monde comme (économiquement) en retard par rapport à l'Occident, et à faire du modèle occidental de production et de consommation l’exaltant destin de toute l'humanité.

     


    *

     

    L’idéologie du progrès a également été critiquée d’un point de vue théorique, cette critique s’étendant souvent (mais pas toujours) au monde moderne, puisque celui-ci a trouvé son principal vecteur dans cette idéologie. Pour résumer les choses de façon rapide, on peut dire que cette critique a, dans l’histoire des idées, emprunté deux formes principales.

     

    La première est d’ordre métaphysique, et s’opère généralement au nom de la Tradition. Ceux qui en ont donné la formulation la plus rigoureuse, ou du moins la plus ambitieuse, se réfèrent en général à une Tradition primordiale, dont les hommes se seraient progressivement écartés. L’image de l’Age d’Or, reformulant la croyance au Paradis terrestre, n’est pas loin. En un lointain passé, les hommes auraient vécu dans l’harmonie résultant de leur respect ou de leur conformité à des principes éternels. Après quoi, par une série d’étapes s’enchaînant les unes aux autres de façon quasi nécessaire, ils auraient entamé une longue déchéance. « Comme la chute se continue jusqu’à épuisement des possibilités les plus inférieures de l’état terrestre, écrit Jean Borella, la société est forcée d’accroître les contraintes obligatoires. Les lois prolifèrent, tachant, sans y parvenir, de combler par leur démultiplication réticulaire le vide de plus en plus béant qu’engendre l’effacement des principes dans le cœur humain ». Il y a donc bien eu évolution, mais cette évolution, à partir d’une sorte de péché originel (l’entrée dans l’histoire ?), est en fait une involution. On remarquera qu’ici l’idée de nécessité historique, si présente dans l’idéologie du progrès, est conservée, mais que son sens est strictement inversé. Ce que les uns regardent comme progrès toujours plus accentué serait à interpréter comme déclin toujours plus affirmé. Dans cette perspective, le monde moderne est considéré comme l’apothéose du déclin, le point d’aboutissement d’une dissociation, d’une dissolution généralisée. (D’autres parleront de « fin de cycle », la nécessité historique gouvernant selon eux des cycles appelés à se succéder éternellement). L’homme a pris la place de Dieu, et finalement ce sont les objets qui ont pris la place de l’homme.

     

    Telle est par exemple la critique formulée par Julius Evola (Révolte contre le monde moderne, 1934) et, plus encore, par René Guénon dans deux ouvrages célèbres (La crise du monde moderne, 1927 ; Le règne de la quantité et les signes des temps, 1945), où l’opposition temporelle du monde traditionnel et du monde moderne rejoint l’opposition spatiale entre l’Orient et l’Occident. Pour Guénon, la « dégénérescence spirituelle de l’Occident » résulte d’un « éloignement des principes » accéléré par l’« action de dissolution » exercée par certains milieux.

     

    La seconde critique, incontestablement plus terre à terre, mais peut-être aussi plus réaliste, s’opère sous un angle historique et sociologique. Ses tenants se bornent à constater que l’avènement du monde moderne va de pair avec un certain nombre de phénomènes sociaux et politiques observés de longue date : la promotion de la classe bourgeois aux dépens des classes populaires et de l’aristocratie, la montée de l’individualisme aux dépens des solidarités organiques propres aux sociétés traditionnelles, l’épanouissement des valeurs marchandes aux dépens des valeurs non négociables, la montée de l’indistinction due à la diffusion de l’idéologie du Même, la perte des repères qui en résulte, la toute-puissance de la technoscience (définie par Heidegger comme « métaphysique réalisée », surtout depuis que la pensée cartésienne a posé l’homme comme maître souverain d’une nature transformée en pur objet de sa maîtrise), l’appauvrissement spirituel qui va de pair avec l’enrichissement matériel, l’avènement enfin du système de l’argent, ce dernier n’étant pas pris seulement comme un moyen d’échange, mais comme l’équivalent universel qui permet d’estimer et de retraduire toutes les qualités dans le langage de la quantité. « L’argent est tout, domine tout dans le monde moderne », disait Péguy. La modernité a remplacé le sentiment par la sentimentalité, la morale par la « moraline », l’humanité par l’« humanitaire », la sensibilité par la sensiblerie. La modernité, c’est la logique de l’avoir contre celle de l’être. Et en même temps le « tout à l’ego ».

     

    Cette seconde critique a été le fait d’un nombre considérable d’auteurs, appartenant à des horizons politiques plus différents qu’on ne le croit souvent. Après Georges Sorel (Les illusions du progrès, 1908), elle est présente chez Péguy – « Tout le monde est malheureux dans le monde moderne […] La misère du monde moderne, la détresse du monde moderne est une des plus profondes que l’histoire ait jamais eu à enregistrer » –, et après lui chez Bernanos. On la trouve, au tournant des années 1930, chez des auteurs ayant subi l’influence plus ou moins marquée de René Guénon (André Breton, René Daumal, Roger Caillois, Raymond Queneau, Antonin Artaud, etc.), mais aussi chez des précurseurs de l’écologisme contemporain, comme Bernard Charbonneau. C’est d’ailleurs dans l’entre-deux guerres que le sentiment d’une « crise » du monde moderne commence à se répandre : Freud écrit Malaise dans la civilisation (1931), Paul Valéry publie ses Regards sur le monde actuel (1931), tandis que Husserl s’interroge sur La crise des sciences européennes (1935). Une critique analogue se retrouve chez un contempteur du « système technicien » comme Jacques Ellul qui, dénonçant avec force le fondement idéologique du positivisme, montre que l’homme croit se servir de la technique, alors que c’est lui qui la sert, mais aussi chez Martin Heidegger, avec sa critique du Ge-stell, ou dispositif général d’arraisonnement du monde.

     

    La critique de la modernité, ou tout au moins de certains de ses aspects, s’observe aussi chez Karl Marx, avec sa dénonciation du fétichisme de la marchandise et de la « réification » (Verdinglichung) des rapports sociaux en régime capitaliste. Il y a d’ailleurs une critique du monde moderne d’inspiration marxiste, qui naît en France en 1926 autour de la revue Philosophies, avec des hommes comme Georges Friedmann et Paul Nizan, et se développe en Allemagne avec les travaux de Theodor Adorno et Max Horkheimer sur La dialectique de la raison (1944). Dans une période plus récente, il faudrait encore citer Ivan Illich, qui s’en prend aux formes de « contre-productivité » sécrétées par la civilisation industrielle, et plus récemment les théoriciens de la décroissance qui, tel Serge Latouche, plaident contre l’hybris, la démesure et la négation des limites qui caractérisent l’hyperconsommation marchande et le productivisme contemporain.

     

    A laquelle de ces deux critiques s’identifie le plus Alexandre Rougé ? Il me semble qu’il se situe un peu à l’intersection des deux. Il est plus proche de la première quand il parle du monde moderne comme le résultat d’une « grande profanation », quand il décrit l’homme comme un « animal avant tout religieux », quand il prône un retour ou un recours au sacré (tout en qualifiant de « pléonasme » l’expression « croyance illusoire »), enfin quand il appelle ses contemporains à redécouvrir l’importance de l’amour, injonction qui n’est d’ailleurs pas dénuée d’équivoque (s’agit-il d’éros ou d’agapè ?). Il est en revanche plus proche de la seconde quand il condamne avec brio les tares de la société marchande, décrit le libéralisme comme l’« idéologie moderne par excellence », stigmatise l’idéologie du « développement » et rappelle que le capitalisme, avant d’être un système économique, déploie tout un système anthropologique fondé sur une conception bien précise de l’homme (l’Homo œconomicus qui cherche en permanence à maximiser son meilleur intérêt matériel) et de la vie sociale (comme sphère soumise à l’expansion illimitée de l’accumulation du capital sur une planète tendanciellement transformée en un vaste marché homogène).

     

    Alexandre Rougé annonce par ailleurs la « fin du monde moderne ». C’est même le titre de son livre. « Ce qui prend fin aujourd’hui, écrit-il, c’est la vision profane du monde et de la vie ». « La modernité, ajoute-t-il, succombe à sa propre logique, poussée à l’extrême ». Elle se « liquéfie » – ce qui n’est pas faux, puisque nous sommes entrés à tous égards dans une société « liquide » (Zygmunt Bauman), faite de flux et de reflux, de vagues éphémères et transitoires, qui ne laissent plus rien apercevoir de ferme ou de durable.

     

    Il y a là un certain optimisme. En un sens, le plus dur est passé, puisque le monde moderne se termine ! Dans l’un de ses livres, René Guénon écrivait pour sa part que, « si tous les hommes comprenaient ce qu’est le monde moderne, celui-ci cesserait d’exister ». Formule saisissante s’il en est, mais qui laisse songeur. Comme l’a bien noté Jean Borella, « toute critique est un savoir de l’illusion. Mais le savoir de l’illusion n’équivaut pas à sa disparition ». Annoncer la fin du monde moderne n’est-il alors qu’une proclamation de principe, un effet de rhétorique ? Ou bien peut-on dire qu’objectivement, le monde moderne touche à sa fin parce que ses principes (ou son absence de principes) ont épuisé tout ce sur quoi il pouvait déboucher ? Prophète du présent, Alexandre Rougé fait-il une description objective ou se borne-t-il à exprimer sa conviction que c’est fini, tout simplement parce que ça ne peut plus durer ? Le débat reste ouvert, évidemment.

     

    Mais il faut aussi réaliser que nous habitons nous-mêmes le monde moderne. En proclamer la fin montre que nous lui sommes étrangers, mais c’est encore en son sein que nous sommes condamnés à vivre cette « étrangèreté ». Nous ne nous reconnaissons pas dans le monde moderne, et en même temps il est notre monde, notre univers, le décor de nos existences. Autre question, enfin : la fin du monde moderne est-elle de nature à permettre un retour en arrière ? Permettrait-elle de retrouver par exemple des formes sociales et spirituelles que nous avons depuis longtemps oubliées ou perdues ? Ou bien faut-il contraire, battant en quelque sorte la modernité sur son propre terrain, miser sur l’après-modernité – la postmodernité au sens plein du terme – plutôt que sur l’avant-modernité ? Là aussi, le débat est ouvert.

     

    C’est en tout cas ce genre de questions stimulantes que l’on est amené à formuler à la lecture de l’essai d’Alexandre Rougé. Elles sont autant de raisons de le lire. Peut-être l’auteur n’échappe-t-il pas à un certain style incantatoire, qui abonde en affirmations « définitives » et, en leurs diverses guises, cent fois répétées. Mais il faut avant tout y voir un cri du cœur. Derrière la tristesse et l’amertume, parfois la rage, on sent dans ces pages une aspiration à un plus-être, à une récupération de ce dont l’homme a été méthodiquement spolié et dépouillé.

     

    Certains cris du cœur sont contagieux, et c’est peut-être ainsi que l’on en finira avec les tares de la modernité. N’oublions pas que même le béton le plus dur finit par se fissurer, que même la nuit la plus noire contient la promesse d’une lumière, que même la boue la plus envahissante finit un jour par sécher.

     

    Alain de Benoist

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  • La France perd la mémoire...

    Initialement publié en 2006, La France perd la mémoire, essai de l'historien Jean-paul Rioux, vient d'être réédité en format poche dans la collection Tempus de chez Perrin. Nous reproduisons ici la recension qu'en avait fait la (défunte ?) revue Horizons stratégiques, publiée par le Centre d'analyse stratégique du gouvernement, sous la plume de Julien Winock.

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    Jeune retraité de l'Inspection générale de l'Éducation nationale, Jean-Pierre Rioux est l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire culturelle du XXe siècle. Ses travaux ont renouvelé l'approche des temps forts du siècle dernier par une analyse approfondie des répercussions sociales et culturelles des mutations politiques. Dans cet essai percutant, empreint d'inquiétude et d'interrogation, il interroge le rapport que nous entretenons avec notre passé depuis une trentaine d'années. Entre le milieu des années 1970 et les années 2000, la France a vécu les « Trente Mémorieuses » qui ont « laissé prospérer une mémoire convulsive et virale ; elles ont médiocrement suivi ces Trente Glorieuses qui de 1945 à 1975 avaient, elles, installé la croissance et le mieux être sans se soucier de discordance des temps, sans regret, hiatus, ni latences, sans coups d'œil inutiles sur le rétroviseur  ». Le grand récit national a laissé place à une floraison de mémoires sur un mode d'abord bon enfant puis, pour certaines d'entre elles, revendicatif et dénonciateur. Or pour l'historien cet essor des mémoires est bien la conséquence d'une « démission de notre histoire  ».

     Transformée par trente années d'expansion économique et de bouleversements sociaux, la France du milieu des années 1970 s'est tournée vers son passé au moment où la modernité galopante en effaçait les traces à vive allure. Entre nostalgie, engouement pour le « rétro » et quête d'une authenticité perdue, les Français ont plébiscité nombre de témoignages, enquêtes et récits évoquant la vie de la campagne, la France des terroirs, le souvenir des métiers disparus... Certains succès tels Le Cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Hélias, vendu à 2 millions d'exemplaires, relèvent du phénomène de société. Ce « culte des racines très sage » n'alimentait alors aucune revendication identitaire. Dans les années 1980, « la crise s'est mise à broyer et non plus seulement à exhumer les valeurs héritées que l'on tenait encore pour constitutives et patrimoniales  ». La mémoire ne fut alors d'aucun secours pour affronter la fragmentation de la société, la désertification des campagnes, la désindustrialisation et l'épuisement du modèle d'intégration républicain.

     Dans la foulée de l'année 1980 qui lui est consacré, le patrimoine devient un nouveau mode de fidélité au passé : à côté des monuments nationaux et des édifices publics les plus emblématiques, les innombrables constructions anciennes souvent modestes font l'objet d'un attachement et d'un souci de conservation insoupçonnés auparavant. Tout ou presque acquiert le qualificatif de patrimoine tandis que le devoir de mémoire se généralise à tout propos aussi bien dans le cas de l'ancien résistant que de la petite-fille de lavandière. Le succès du phénomène n'a donc rien de réjouissant selon J.-P. Rioux pour qui la notion de patrimoine « a implosé, minée par l'absence de hiérarchie des signes et des traces, dilapidée aux quatre coins de la conscience médiatique des choses par la monotonie de son exhibition  ». Il faut y voir plus une « ambition par défaut  » qu'un renouvellement des formes du sentiment national, un « témoin visible d'un passé devenu lui-même invisible » selon l'expression de Pierre Nora. La « mémoire patrimoine  » apparaît plus animée par des aspirations identitaires, des considérations esthétiques ou une frilosité à l'égard d'un avenir inquiétant que par un attachement à la mémoire-Nation.

     Le bicentenaire de la Révolution française a révélé selon Rioux le tiède attachement d'un peuple pour l'événement fondateur de sa modernité politique et sociale. Les Français ont apprécié les manifestations commémoratives mais plus dans «  une expectative amusée que réflexive  ». Les sondages révélaient que les grandes œuvres de la Révolution occupaient dans la mémoire nationale une moindre place que certains événements postérieurs (instauration du suffrage universel, loi Ferry...). En définitive la dimension festive de ce bicentenaire triomphait aux dépens de son sens politique et civique comme le démontrait le succès rencontré par le défilé du 14 juillet organisé par Jean-Paul Goude  : « Ce point d'orgue fut donc cosmopolite et parisien, individualiste et grégaire, sans rapport clair et net avec la gravité et la force morale et civique qu'on pouvait encore porter au crédit des droits qu'on célébrait ».

    L'histoire de France a donc cessé, selon l'auteur, d'être ce pilier de notre identité collective. L'immense « capital symbolique et tutélaire [...] s'est délité et dissous sous nos yeux, sous l'effet de nos crises, nos doutes, nos impuissances, de notre difficulté à penser un avenir commun pensé dans un destin singulier ». La mémoire est entrée en compétition avec l'histoire pour réinterpréter notre passé. « Or, sans régulation par l'histoire, des mémoires parcellaires jouent, on le voit aujourd'hui avec la question coloniale et de l'esclavage, par défaut d'élan collectif, un rôle disproportionné dans l'écriture d'une partition nationale renégociée  ». Jusqu'aux années 1970, l'enseignement de l'histoire bénéficiait en France de plusieurs conditions qui en faisaient une discipline cardinale : l'importance qui lui était attribuée dans la formation de l'esprit et de la conscience nationale, les liens entre l'enseignement secondaire et la recherche universitaire et le couplage de l'histoire avec la géographie. L'histoire à l'école se heurte aujourd'hui aux «  nouveautés culturelles, générationnelles, sociales, internationales qui renouvellent et disloquent le sentiment d'appartenance, le goût d'agir ensemble, l'espoir de maîtriser un jour plus librement le cours des choses  ». Nous assistons selon J.-P. Rioux à une revanche du social sur le national. Les recommandations officielles entérinent cette évolution puisqu'il est désormais question à travers l'enseignement de l'histoire de « donner aux élèves une mémoire [...] aider à constituer ce patrimoine qui permet à chacun de trouver une identité  ».

    La place de notre histoire dans les cœurs et les consciences tenait également aux enjeux politico-idéologiques dont elle était investie. Depuis la Révolution, la « guerre des deux France » a opposé républicains et monarchistes, gauche et droite. Mais force est de constater aujourd'hui que « nous n'assistons plus à un affrontement aussi acharné ni aussi argumenté entre l'ordre et le mouvement, la gauche et la droite, les "gros" et les "petits", le Nord et le Sud, ou tout autre processus d'antagonisme binaire ». La disparition de cet antagonisme peut être vue comme le signe d'une maturité, celle d'un pays pacifié se reconnaissant enfin dans son régime politique et les grands principes régissant la société. Mais elle témoigne aussi d'un affaissement de la morale républicaine et d'une indifférence croissante pour la chose publique, y compris les grands enjeux. « Ainsi n'y eut-il ni débat ni affrontement en 1996 sur le passage à l'armée de métier et l'abandon du service national  ».

    Longtemps tabous ou au mieux noyées dans la globalité de la Seconde Guerre mondiale, la période de l'Occupation et la complicité du régime de Vichy dans la Shoah sont devenus l'angle quasi exclusif sous lequel la période est désormais envisagée. « La "victimisation" a rattrapé puis rélargi la nationalisation "franco-française" de l'enjeu. Les médias ont donné le meilleur écho à ce cours imprévu, les écoliers et leurs maîtres ont été invités à suivre massivement son mouvement sémantique et moral. » Ce devoir de mémoire a pris selon l'auteur « une densité sociale proportionnée aux hantises du présent autant qu'à la vivacité d'un passé qui ne "passe pas" ». Sans en contester la légitimité, l'historien nous met en garde contre son caractère obsessionnel qui en vient à rendre inopérante une recherche historique sereine fondée sur l'examen critique et raisonné des faits. À rebours d'une telle conception purement morale des faits, l'historien estime au contraire que « toute transmission utile et véridique passe d'abord par l'intelligence et la connaissance, et ensuite par la reconnaissance ».

    Faisant suite au débat sur l'Occupation, la question de la colonisation a récemment resurgi avec vigueur. J.-P. Rioux rappelle pourtant l'absence de vraie mémoire nationale de la guerre d'Algérie longtemps restée un «  fantôme, un tabou, une occultation avant que le pays consente à la nommer très tardivement une guerre, en 1999 [...] Le rappel de son souvenir a été tenu pour impossible et inutile parce qu'il a paru incompatible avec ce qui avait constitué la mémoire nationale. » Appelant de ses vœux le développement de la recherche historique sur l'esclavagisme et la colonisation, il estime légitime que d'aucuns se considèrent comme des victimes et invoquent un passé « fait de douleur et d'injustice » pour affirmer leur fierté collective mais « à condition, aussi bien que ce souvenir pourtant resté si horriblement singulier ne leur tienne pas lieu d'identité à jamais, ne les entretienne pas dans un perpétuel sentiment de malheur, d'exploitation et d'injustice ».

    Pourquoi notre mémoire commune est-elle devenue un Clemenceau, « un porte-gloire désarmé, un encombrant à recycler, une impureté immorale et assassine ? ». Aux yeux de l'historien, nous aurions changé de temporalité au point que le présent est devenu notre seul angle de vue : « le présent fait la loi ; l'accélération et l'émiettement de la temporalité dénient l'origine et la destination ». À l'origine de cette forme de dérèglement mental, Jean-Pierre Rioux incrimine tout particulièrement les médias et leur culte de l'instant, de l'immédiateté, de la vitesse et de l'émotion. Or selon lui, « le sens de l'intérêt général, le sentiment d'une appartenance collective, du goût même de la démocratie et de l'autorité s'apprennent, s'expérimentent, vivent de ruptures et de continuités. L'instantanéité les fragilise, un présent despotique les tétanise  ».

    Discrédité, notre passé ne plus être une source d'expérience et de sacré. Nous perdons du coup la possibilité de partager une croyance commune en notre pays et l'attachement à une forme de transmission à nos enfants.

    La multiplication des lois mémorielles aboutit à sanctuariser des « bouts d'histoire disjoints, des bribes de passé en charpie, pour apaiser des porteurs de mémoires  ». À ce titre, J.-P. Rioux incrimine sans ménagement le pouvoir politique qui a «  divorcé de l'autorité et de la durée pour s'ébattre dans la houle d'un présent en image et en abymes. Il n'a plus le souci premier d'une mémoire collective prête à commémorer, honorer, distinguer pour unir ; prête à mettre l'unité nationale sur pied de guerre et d'espérance ». La tyrannie du présent conduit par ailleurs à pratiquer en toute bonne conscience les anachronismes les plus grossiers : les faits du passé ne sont plus appréhendés en fonction de leur époque mais bien davantage selon nos conceptions présentes du bien et du mal.

    Face à cette perte de notre mémoire collective, Jean-Pierre Rioux en appelle en définitive à un « devoir d'intelligence ». L'homme contemporain se doit de renouer avec la grande règle de vie qu'est la concordance des temps : « Faute de se situer dans le passé et de se projeter dans l'avenir, une société est inintelligible, s'enferme dans son opacité, s'immobilise puis entre en convulsion, avant d'agoniser. Il lui faut aussi s'enchanter, se gorger de promesses et d'envies pour reverdir car, disait La Tour du Pin, "tous les pays qui n'ont plus de légende sont condamnés à mourir de froid" ». C'est également en réfléchissant davantage à notre époque que nous pourrons, selon lui, retrouver notre mémoire en soupesant de nouveau « l'héritage, la transmission et la promesse ».

     

     

    Julien Winock (Horizons stratégiques n°1, juillet 2006)

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