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crise - Page 20

  • La dynamique chaotique de l'été 2011...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de Bernard Wicht, cueillie sur Le Polémarque, le site de Laurent Schang, et consacrée aux évolutions chaotiques de la crise en cours. Spécialiste des questions stratégiques, Bernard Wicht est l'auteur de L'OTAN attaque (Georg, 1999) et de Guerre et hégémonie (Georg, 2002). Il a aussi publié récemment un court essai intitulé Une nouvelle Guerre de Trente ans ? - Réflexions et hypothèses sur la guerre actuelle (Le Polémarque, 2010). 

     

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    La dynamique chaotique de l'été 2011

    L'été 2011 a été riche en péripéties à l'échelle mondiale. Dans l'ordre économico-financier, on a assisté successivement au quasi-défaut de paiement du trésor américain, à un quasi-krach boursier et à la poursuite de la chute vertigineuse de la monnaie européenne. Dans un ordre plus politique, on a assisté à l'escalade de la violence dans le monde arabo-méditerranéen, aux protestations massives en Espagne et en Israël, aux émeutes en Grèce et aux révoltes à Londres. L'été touchant à peine à sa fin, on peut s'attendre peut-être encore à d'autres événements de cette envergure.

    Alors que dire ? Peut-on dégager une interprétation d'ensemble de ces événements au-delà des commentaires déjà fournis par la presse ? Un tel exercice semble difficile. Car, finalement ces événements ne font que confirmer ce que nous savions déjà, c'est-à-dire l'instabilité des États (y compris les plus avancés) et la fragilité croissante de leur base. La confirmation de cette analyse est sans doute un élément important qui valide la pertinence des réflexions antérieures et de l'approche développée à ce sujet[1]. On pourrait ainsi se contenter d'un « je vous l'avais bien dit ! » et de toute l'autosatisfaction l'accompagnant.

    Mais, en matière de prospective stratégique, l'autosatisfaction est généralement mauvaise conseillère ; c'est un oreiller de paresse particulièrement pernicieux en période de transformation rapide. Essayons donc de dépasser cet état d'esprit. Que peut-on déceler derrière les événements de cet été ? De notre point de vue, ceux-ci mettent en évidence trois paramètres de base : 1) la théorie du chaos, 2) la réduction du citoyen, 3) l'effondrement de l'espace méditerranéen.


    1. La théorie du chaos

    Cette succession d’événements en l’espace de moins de quatre semaines nous renvoie à la théorie du chaos telle que formulée par les scientifiques depuis quelques décennies. Cette théorie postule en effet que le chaos n’est pas si « chaotique » et qu’il recèle son ordre propre qu’il convient de découvrir[2]. Cet ordre n’étant pas donné a priori, les scientifiques l’appréhendent de la manière suivante : 1) les phénomènes apparaissent à première vue aléatoires, sans lien les uns avec les autres, 2) seule une observation attentive permet de distinguer, à la longue, la mise en place d’une certaine logique, 3) l’accumulation de ces phénomènes finit par atteindre un seuil critique, au-delà duquel une simple perturbation peut entraîner des conséquences disproportionnées (effet papillon).

    À la lumière de cet été 2011, on saisit immédiatement tout l’intérêt de cette théorie. Dans la série d’événements susmentionnés, il ne semble pas y avoir de liens ni de corrélations les reliant les uns aux autres : la chute de l’euro n’est apparemment pas reliée aux révoltes de Londres, elles-mêmes n’ayant semble-t-il aucun lien avec le printemps arabe, et ainsi de suite. On comprend en revanche, dans ce contexte, combien une « perturbation mineure » pourrait déclencher…. une catastrophe !

    Pour le stratège, c’est une situation très difficile à gérer. Le déclencheur peut paraître insignifiant, anodin… et pourtant se révéler décisif, si le seuil général des perturbations a atteint un niveau critique : on serait donc tenter de faire référence à la formule biblique, « sois prêt car tu ne sais pas quand le jour viendra ».


     

    2. La réduction du citoyen ?

    Dans le monde occidental, que ce soit les émeutes grecques, le mouvement espagnol des indignés, les manifestations israéliennes ou les révoltes londoniennes, grosso modo deux types d'acteurs semblent se dessiner dans ces affrontements. D'un côté, on voit des couches de populations sans participation effective au pouvoir, aspirant à une « vie meilleure » mais sans projet ni ambition politiques. Leurs rassemblements sont spontanés, endémiques, au gré de l’actualité – vite réunis, vite dissous. C'est un peu ce que certains sociologues nomment des « mobilisations dans l'urgence » sans véritable plan ni programme[3], c’est-à-dire des agitations, des affoulements ou encore des éclatements tels que ceux que l’on retrouve dans les sociétés postmodernes, en matière musicale notamment (techno, metal, rave party). Les révoltes de Londres indiquent également qu’une partie de ces populations est très volatile et que l'embrasement peut intervenir de manière presque instantanée, sur la base d'un simple incident (par exemple un contrôle policier qui tourne mal). De l'autre, c'est l'État et son appareil sécuritaire « musclé » ; à Londres comme ailleurs la logique n'est pas celle de la négociation, du dialogue social et des réformes mais bel et bien uniquement celle de la répression. Dans tous les cas, l'essentiel des forces policières et militaires est déployé à l'intérieur du pays. Ce redéploiement en direction de la sécurité intérieure caractérise l'évolution générale de l'État moderne depuis la fin de la Guerre froide: c'est le passage de l'État militaro-territorial (orienté vers l'ennemi extérieur commun) à l'État pénal-carcéral (tourné vers le maintien de l'ordre à l'intérieur)[4]. En Europe occidentale ce schéma semble devoir se solidifier au gré des manifestations, des protestations violentes, des émeutes et des révoltes, conduisant à une centralisation accru de l'appareil étatique, au renforcement de son pouvoir coercitif au nom du maintien de l'ordre tandis qu'à l'opposé, une partie de la population va échapper de plus en plus à son contrôle en s'enfonçant dans les labyrinthes de l'économie grise et informelle, des zones de non-droit et des autres formes de marginalité.

    Cette dérive vers l'État policier et son affrontement avec les strates sociales précitées pose la question du citoyen. Qu'advient-il de lui dans cet affrontement ? Certes ce dernier attend de l'État qu'il garantisse l'ordre afin de pouvoir vaquer à ses activités quotidiennes. Mais au-delà de ces préoccupations immédiates, qu'en est-il de sa liberté : il semble évident que sa marge de manœuvre se réduise à celle d'un simple contribuable sous le regard des caméras de surveillance. Dès lors quid de son avenir en tant qu'acteur politique ? Pour reprendre une image cinématographique, c'est un peu le Troisième homme, après l'État et ses adversaires précités.

    Pour mémoire, dans l'histoire de l'État moderne le citoyen s'est vu reconnaître des droits et des libertés généralement « par négociation », c'est-à-dire lorsqu'il a pu représenter une force économique (pas d'impôt sans représentation) ou militaire (citoyen-soldat) dont l'État ne peut se passer et pour laquelle il est prêt à faire des concessions. C'est ce marchandage, selon le principe do ut des (impôt) ou do ut facias (service militaire), qui est au fondement de la participation politique du citoyen au pouvoir. Par conséquent, on peut se demander quel est le marchandage que le citoyen peut faire fonctionner aujourd'hui pour re-trouver ses droits et ses libertés politiques. Là aussi, la réponse n'est pas aisée parce que, si le citoyen paie toujours ses impôts, l'élite politique au pouvoir censé le représenter a d'ores et déjà quitté le cadre national pour rejoindre l'espace global de l'hyper-classe mondiale. Désormais, les préoccupations de cette élite ne sont plus celles du citoyen ; ce sont celles de sa propre image médiatique, de sa place sur le marché global que ce soit en tant que leader d'opinion, « faiseur de roi », top manager, « touche-à-tout génial », courtisan de haut vol et autres nouveaux métiers de la communication (au sens large) créés dans le sillage de la mondialisation[5]. Quant au service militaire, il n'est pas réaliste d'envisager le retour des armées de conscription ; aujourd'hui pour faire la guerre l'État n'a plus besoin du citoyen, il recourt à des professionnels... tour à tour commandos ou gendarmes.

    Dans ces circonstances, la question de la liberté citoyenne est posée. Précisons que nous entendons ici par « citoyen » non pas un cortège ou une foule défilant dans les rues de la capitale pour demander l'augmentation des allocations chômage, la limitation du temps de travail ou le respect des conventions salariales. Dans notre perspective, de telles démarches s'apparentent à celles de sujets réclamant « du pain et des jeux » à leur souverain et obtenant de celui-ci la réponse bien connue, « le peuple n'a plus de pain, qu'il mange de la brioche ». La notion de citoyen à laquelle nous nous référons ici est celle liée à la res publica, la participation effective à la gestion des affaires communes. Où se trouvent aujourd’hui les réactions citoyennes de cette sorte ?

    Cette question demeure pour l’instant sans réponse.

     


    3. L’effondrement de l’espace méditerranéen

    À la faveur de l’été, le printemps arabe semble s’être transformé en automne, voire en hiver ! Il ne s’agit pas là, malheureusement, d’une simple formule de style mais d’une réalité qui risque de toucher, au-delà du monde arabo-musulman, l’espace méditerranéen dans son ensemble. En effet, alors que la façade sud de la Méditerranée s’enfonce dans une anarchie durable (on ne distingue aucun élément structurel – économie, commerce – susceptible de donner à ces sociétés une stabilité et une durabilité minimales), la façade nord « ne va pas mieux » : Portugal, Espagne, Italie, Grèce (sans parler de l’espace balkanique) sont en pleine déconfiture, au bord de la faillite. Certes, les plaies de la façade nord ne sont pas liées à celles du sud, mais la conjugaison des deux peut provoquer l’effondrement de toute la zone : non pas une crise, une urgence complexe que l’on peut résorber à court terme moyennant interventions et programmes internationaux d’assistance, mais un marasme persistant s’étalant sur plusieurs décennies et transformant l’ensemble de cet espace en une vaste « Somalie »[6]. Car, que ce soit la banqueroute des États de la façade nord ou la déliquescence du printemps arabe, cette double évolution est de nature historique et institutionnelle : dans le cas du nord, la fin du cycle de l’État-nation ; dans le cas du sud, la fin sans lendemain des nationalismes arabes nés de la décolonisation.

    Il convient donc de s’interroger sur la signification d’un tel effondrement du point de vue historique. On a tendance à l’oublier, l’équilibre de l’espace méditerranéen est d’une grande importance pour l’Europe et les historiens s’en sont périodiquement fait l’écho dans leurs travaux. Or, dans cette optique, il est intéressant de se remémorer l’ouvrage de l’historien belge Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne[7]. Quelque peu éclipsée par les travaux de Fernand Braudel, l’étude de Pirenne mérite néanmoins toute notre attention dans le climat actuel. L’historien avance en effet que la conquête arabe au temps de Mahomet a provoqué la fermeture de ce qui constituait jusqu’alors le centre de gravité du monde de l’époque. Cette fermeture conduit alors l’Europe à se détourner de la Méditerranée pour regarder vers le nord et commencer à construire ainsi les bases de son identité occidentale : selon Pirenne, Charlemagne – le grand empereur d’Occident – ne se comprend pas sans Mahomet et la fermeture de l’espace méditerranéen engendré par celui-ci. En l’occurrence, la question intéressante soulevée par Pirenne n’est pas tant celle de la conquête arabe ou du grand empereur d’Occident, mais la mise en évidence de l’interaction géo-historique existant entre l’Europe et la Méditerranée, la dépendance géopolitique de l’Europe vis-à-vis de cet espace et l’impact que sa transformation peut avoir sur l’évolution de notre continent.

    C’est cette relation qui nous intéresse ici : que peut signifier de nos jours une telle fermeture ? On objectera sans doute qu’à notre époque la Méditerranée ne revêt plus du tout la même importance qu’elle pouvait avoir au début du Moyen Âge, notamment en matière d’échanges économiques et commerciaux ; elle n’est pas non plus le pivot géographique de la globalisation. Mais la question qui nous intéresse n’est pas celle-ci, à savoir l’importance économique et commerciale de cet espace pour l’Europe contemporaine. C’est en revanche celle de la transformation de cet espace en une vaste zone de chaos avec la coupure que cela implique. La réflexion de Pirenne prend donc tout son sens. Selon lui en effet, c’est précisément cette coupure qui provoque la naissance de l’identité occidentale, voire la renaissance carolingienne. En d’autres termes, Pirenne voit dans cette coupure, à terme plutôt une naissance, un nouveau départ et non un repli.

    La rupture de la zone méditerranéenne qui se profile aujourd’hui à l’horizon, laisse-t-elle entrevoir un nouveau départ pour l’Europe ? A première vue, on serait tenter de dire non : la crise de la monnaie unique et les difficultés qui en découlent pour les grands États (France, Royaume-Uni, Italie, Espagne), le risque de désindustrialisation de l’Europe que comporte cette crise ne devraient pas s’améliorer avec l’écroulement de la façade sud de la Méditerranée… au contraire ! L’afflux de réfugiés, l’économie grise et les trafics de tous ordres qui se mettront immanquablement en place devraient représenter un défi et une charge supplémentaires pour les États européens déjà gravement affaiblis. Dès lors, l’affaissement du sud de l’espace méditerranéen devrait surtout accentuer celui de l’Europe occidental… dans un premier temps en tout cas ! Mais ensuite… ?

    Le monde occidental est probablement à la veille d’un changement macro-historique d’outil de production : le passage de la société industrielle (en crise depuis les années 1970) à la société de l’information. Or une telle transition signifie également la mutation des modes d’organisation sociale, économique et sans doute politique ; la fin des grandes structures hiérarchiques au profit de structures plus petites, plus flexibles, moins hiérarchisées dans lesquelles l’individu peut à nouveau avoir le sentiment de jouer un rôle, de s’engager en faveur d’une cause, de participer à la promotion d’une idée ou d’un projet… bref, de re-prendre son destin en main. On pense ici notamment au système open source, au travail coopératif de type wiki, aux formes d’organisation « sans tête », à l’importance du story telling au détriment de la gestion proprement dite. C’est le rapport homme-machine qui change radicalement et, comme le dit Karl Marx, lorsque l'outil de production se transforme, « ce sont tous les rapports de production qui changent, donc les rapports des humains entre eux, et c'est en définitive, la vision (Weltanschauung), bref les valeurs de base et les structures de la société qui se transforment »[8].

    Avouons que cette perspective du changement d’outil de production éclaire d’un jour nouveau la rupture de l’espace méditerranéen : non plus uniquement un défi supplémentaire mais aussi en quelque sorte une opportunité, celle de se re-construire, par exemple en termes d’identité et de dynamique nouvelle.

    Précisons notre propos. Institutionnellement les États européens sont dans l’impasse ; ils sont incapables de se réformer et restent prisonniers des structures et des formes de gouvernance héritées de l’ère industrielle, en particulier tout l’appareil bureaucratique lié à l’État-providence. Cependant, à l’intérieur de cette instance, de ce cadre étatique apparemment figé, la substance se recompose : des bassins de dynamisme et de prospérité économiques et commerciales se distinguent grâce au patient développement d’un dense réseau de PME tournées vers la qualité et l’innovation, de banques privées de taille moyenne, de petits instituts de recherche. On trouve de tels pôles de croissance principalement en Italie du Nord, en Alsace, en Flandres, en République tchèque et en Suisse. Alors que les États cherchent désespérément à conserver les acquis du passé, les sociétés précitées vivent déjà dans le monde de demain. Pour elles, l’ère de l’information avec ses structures souples est déjà une réalité. De notre point de vue, ces sociétés sont annonciatrices d’une renaissance[9] !

    Paradoxalement cependant, ces pôles de dynamisme et d’innovation tournés vers l’avenir sont aussi les principaux foyers de ce qu’on appelle de nos jours le « populisme » et que l’on qualifie habituellement comme une réaction de repli identitaire face à la mondialisation, une volonté de retour à un passé idéalisé. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent et cette qualification du populisme est trompeuse : car pour pouvoir se projeter ainsi dans l’avenir, pour affronter avec succès le jeu « sans pitié » de la globalisation, pour avoir la volonté de gagner et d’avancer sans cesse, ces pôles ont besoin d’un projet collectif fort, apte à les mobiliser et à les distinguer des « autres ». Or avec la disqualification des valeurs nationales et l’omniprésence des références globales dominées par le « politiquement correct », un tel projet collectif doit forcément rechercher ses repères à l’échelle locale : d’où le recours à une langue (respectivement un dialecte), une culture et des traditions régionales. Ceci d’abord – comme c’est le cas de tout projet collectif – dans le but de se distinguer des « autres », de désigner un « extérieur » vis-à-vis duquel on pourra ensuite se rassembler. Dans le contexte de la mondialisation, de la californisation des goûts et des terroirs, de l’uniformisation des valeurs, il faut donc considérer que la « fermeture » et plus encore la recherche d’autonomie ne sont pas les caractéristiques des sociétés qui se replient et reculent, mais plutôt de celles qui avancent et se positionnent pour l’avenir. Pas étonnant dès lors que la plupart de celles-ci soient animées, culturellement ou politiquement, de sentiments séparatistes ou, dans le cas de la Suisse, d’un refus d’adhérer à l’Union Européenne[10].

    Si maintenant, on met cette dynamique en parallèle avec l’effet exposé par Pirenne quant à la fermeture de l’espace méditerranéen, alors on pourrait bel et bien obtenir, ce retournement, ce « nouveau départ » que l’historien belge mentionne dans son analyse de la relation Mahomet-Charlemagne…, par exemple une entrée décisive dans l’ère de l’information et, par ricochet, une opportunité nouvelle pour le citoyen actuellement réduit à sa fonction de simple contribuable…

    …dans quel délai ?

    L’été 2011 n’est-il qu’une répétition générale, les grands bouleversements sont-il à venir ? Difficile de se prononcer, on peut néanmoins garder à l’esprit l’équation suivante : les sociétés complexes sont fragiles, les sociétés fragiles sont instables et les sociétés instables sont imprévisibles.

    Bernard WICHT

    Privat-docent, Institut d’études politiques et internationales

    Université de Lausanne

    [1]Cf. notamment nos études intitulées : « Une révolution militaire en sous-sol : le retour du modèle Templiers », Stratégique, no 93-96, avril 2009, p. 709-731 ; « État failli et faillite de l’État », G. Csurgaï ed., Les enjeux géopolitiques des ressources naturelles, Lausanne, l’Âge d’Homme, 2006, p. 34-68

    [2]Pour un bref aperçu, cf. James GLEICK, La théorie du chaos : vers une nouvelle science, trad., Paris, Flammarion, 1988.

    [3]Cf. en particulier, Michel MAFFESOLI, La part du diable : précis de subversion postmoderne, Paris, Flammarion, 2002.

    [4] Sur la recomposition de l’État moderne, cf. notamment, Michel FORTMANN, Les cycles de Mars : révolutions militaires et édification étatique de la Renaissance à nos jours, Paris, Economica, 2010 ; Loïc WACQUANT, Punir les pauvres : le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, Paris, Agone, 2004.

    [5]L’affaire DSK en fournit une bonne illustration.

    [6] Cf. en particulier, « La Libia può diventare una nuova Somalia », Limes : rivista italiana di geopolitica, http://temi.repubblica.it/limes/la-libia-puo-diventare-una-nuova-somalia/24408?printpage=undefined (consulté le 29 septembre 2011).

    [7]Henri PIRENNE, Mahomet et Charlemagne, Paris, PUF, 2005 (Quadrige). Sur les controverses qui ont entouré cet ouvrage, voir l’entrée « Henri Pirenne » sur Wikipédia.

    [8] Cité chez, Marc LUYCKX GHISI, Surgissement d’un nouveau monde, Monaco, éditions Alphée, 2010.

    [9]Il faut s’être promené une fois sur le campus de la société Novartis à Bâle pour prendre conscience que le terme « renaissance » n’est pas utilisé à la légère : près de 8'000 chercheurs de toutes nations s’y côtoient dans un espace de plusieurs km², dessiné par les plus grands architectes, où chaque bâtiment fait l’objet d’une conception spécifique tout en s’harmonisant avec le plan d’ensemble. En d’autres termes, une sorte de « cité idéale » au service de la science, du savoir et de l’innovation. http://www.novartis.ch/fr/about-novartis/basel-campus/index.shtml

    [10]En particulier, Hervé JUVIN, Le renversement du monde : politique de la crise, Paris, Gallimard, 2010 ; cf. également Alain TOURAINE, Après la crise, Paris, Seuil, 2010. Il est intéressant de relever que deux auteurs, l’un américain et l’autre israélien, aboutissent à des conclusions très similaires lorsqu’ils s’interrogent sur les causes du développement exponentiel des start-up de très haut niveau en Israël plutôt que dans d’autres pays développés plus grands et mieux équipés : leur réponse principale touche la culture d’un petit pays constamment en lutte et sous pression. C’est ce « climat » et cet état d’esprit qui constitue, selon eux, le moteur de la compétitivité, de l’innovation et de l’esprit d’entreprise. Si l’étude comporte certes un certain plaidoyer pro domo, les facteurs culturels qu’elle met en évidence sont pleinement pertinents (ennemi commun, nécessité de survie stimulant l’esprit de compétition, étroite imbrication des modes de vie civile et militaire). Dan SENOR/Saul SINGER, Start-up Nation : The Story of Israel’s Economic Miracle, New York, Twelve, 2009.

    Article publié sur le site Le Polémarque (15 octobre 2011)

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  • Avant la tempête...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur le site de l'agence de presse russe RIA Novosti et signé par Hugo Natowicz, journaliste français installé à Moscou, dont le blog Impressions de Russie mérite d'être visité.

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    Avant la tempête

    En 2007, le journal espagnol El Pais publiait un supplément week-end consacré au "miracle islandais". Le ton du journal était empreint d'une grande bienveillance: économie, société, l'Islande était à la pointe de l'humanité. Je me rappelle surtout d'un trait d'esprit du journaliste qui mettait en opposition, classements à l'appui, ce petit paradis avec la lie de l'Europe: la Russie. Un pays miné par la grisaille, la déprime et la vodka. Ces lignes, ce ton, m'avaient indigné, même si je ne pouvais deviner le krach qu'allait connaître le "miracle islandais", et bien d'autres miracles tout aussi illusoires, comme celui de l'Espagne ou encore des "tigres baltes".

    Le temps passant, c'est désormais l'ensemble du "miracle européen" qui est au bord du gouffre. A mesure que le système sur lequel s'est érigée la prospérité de l'après-guerre se fissure, la crise nous renvoie à une question essentielle: sur quoi repose réellement la richesse des nations? N'étant pas économiste, je ne cherche nullement à dresser ici une analyse technique de la situation mondiale dans ce domaine. Toujours est-il qu'une rencontre fortuite m'a poussé à y réfléchir.

    La scène se passait dans un café du centre de Moscou. Je liai la conversation avec mon voisin de table, un homme d'affaires russophone originaire des républiques baltes qui s'était reconverti dans la vente d'or. Je lui fis remarquer que les affaires devaient bien marcher dernièrement. Après avoir évoqué la ruée vers l'or actuelle des épargnants, il fit une remarque assez juste, que je résumerai comme suit: "L'or est indépendant de toutes les magouilles d'un marché dont la valeur ne repose sur rien et s'écroulera prochainement. Vous autres Européens allez particulièrement souffrir. Vos dirigeants ont fait le choix de former des générations de nantis qui ont perdu tout contact avec la réalité, le concret. En Russie, les gens ont connu un défaut de paiement il y a 13 ans, et n'ont pas encore confiance dans le système financier. Ils auront moins de mal à prendre une bêche, un râteau et à aller cultiver le jardin de leur datcha".

    Cette vision un peu apocalyptique de notre futur proche possède néanmoins une part de vérité. J'ai toujours considéré qu'en France, l'attachement aux bienfaits octroyés par l'Etat-providence avait atteint un niveau pervers, bridant le développement de la société. Gâtés par un système fondé sur des privilèges en tous genres, les Français donnent souvent l'impression de s'agripper à leurs acquis au point d'en perdre toute initiative. Retraite, chômage, allocations, et j'en passe: la prospérité est une manne qui rappelle à de nombreux égards une drogue dure. Une drogue qui a dans une large mesure précipité les gouvernements dans la spirale de la dette. Les graves problèmes de l'économie mondiale risquent de malmener l'édifice social de l'Europe, et de ramener ses citoyens vers une dure réalité.  

    Retard salvateur?
    C'est un fait: l'équilibre actuel des pays occidentaux, caractérisé par une économie réelle déconnectée d'un système financier devenu fou, ne peut durer ad vitam aeternam. Une partie importante de la prospérité actuelle est fondée sur un leurre: le crédit, unissant un club de pays s'empruntant les uns aux autres. La crise aidant, il se pourrait fort bien qu'un ou plusieurs maillons lâchent. Et que la corne d'abondance de cet argent "fictif" tarisse. Il est symptomatique de constater que la Russie, pour de multiples raisons historiques, reste en marge de la mondialisation. Une circonstance qui pourrait s'avérer cruciale, à l'heure où différents économistes sérieux augurent un krach historique dans un avenir proche.

    Suite au défaut de paiement de 1998, qui provoquait une ruée vers les banques et la ruine de nombreux épargnants, la Russie a dû remonter la pente en s'astreignant à la plus grande austérité. Riche de ses matières premières, le pays bénéficie d'un vaste excédent commercial. Refusant de vivre au-dessus de ses moyens et de recourir à l'endettement à outrance, la Russie affiche certes un "retard" sur l'Occident en termes de progrès et de bien-être social. La contrepartie, c'est qu'elle a largement échappé au piège d'une financiarisation à outrance de son économie. Cause ou conséquence? L'attachement des Russes aux bienfaits de la société moderne reste moins important qu'à l'ouest de l'Europe.

    Je citerai à nouveau le cinéaste russe Andreï Konchalovski, qui évoque mieux que quiconque le "retard salvateur" qu'affiche la Russie au sein du monde moderne: "Huxley a dit que l’Ouest allait vers la crise en Rolls Royce, et les Russes en tramway. Et comme nous sommes en tramway, il nous reste quelques valeurs du XIXe siècle : l’amour pour le théâtre, pour les livres, on lit, on se dispute, on discute du sens de la vie. Il y a belle lurette qu’on ne parle plus de ces choses en Europe! Au temps de Herzen ou de Dostoïevski on n’en parlait déjà plus! On ne parle que d’argent. Mais en Russie il reste un besoin pour les choses spirituelles, qui ne pénètre pas partout de façon homogène dans la société, mais reste très fort. Et c’est précisément parce que nous sommes en retard que nous sommes forts".

    Si les risques sont grands pour l'économie occidentale sur le court terme, c'est aussi l'ensemble du système politique et moral que celle-ci soutenait qui pourrait s'effondrer. Les forces de l'histoire menacent, comme elles l'ont fait avec l'empire romain et d'autres, une architecture qui il y a peu semblait indestructible. La crise pourrait alors pousser l'homme à regarder en face sa condition, et à adopter un nouveau paradigme de pensée.

    Dans cette vaste réorganisation, la Russie, "forte" de son retard, pourrait constituer un important réservoir d'inspiration pour l'avenir.

    Hugo Natowicz (RIA Novosti, 21 octobre 2011)

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  • Survivre à l'effondrement économique ?...

    Piero San Giorgio, auteur d'un essai intitulé Survivre à l'effondrement économique, qui vient d'être publié aux éditions Le Retour aux Sources, répond aux question du site Mécanopolis. Piero San Giorgio, de nationalité suisse, est cadre supérieur dans l'industrie de pointe. 

     


    Survivre à l'effondrement économique par Mecanopolis

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  • Souvenirs d'un monde qui chavirait...

    Les Cahiers de la Revue Défense nationale publient sous le titre Souvenirs d'un monde qui chavirait (2001-2011), un recueil des articles publiés par Jean-Philippe Immarigeon dans la revue au cours des dix dernières années. Jean-Philippe Immarigeon est l'auteur de plusieurs essais d'une grande lucidité comme American parano (Bourin, 2006), Sarko l'Américain, (Bourin, 2007) ou L'imposture américaine (Bourin, 2009).

     

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    "Collant au plus près de l’actualité, l’auteur affine son analyse d’une crise aiguë du modèle de la puissance qui restera la marque de cette décennie qui s’achève : la guerre totale contre un terrorisme érigé à tort en déterminant de l’histoire, l’affichage sans retenue de la puissance militaire et son mauvais usage, le piège irakien, l’imposture d’une forme de guerre en Afghanistan, la fuite en avant face aux ambitions déçues, soit dix ans d’échecs répétés sur fond de divergence structurelle franco-américaine et de déliaison d’une civilisation atlantique qui a fait son temps.

    Par delà le style clair et alerte qui sent la plaidoirie, derrière l’autopsie documentée de l’histoire américaine, ce qui ressort de ces textes est qu’une fois de plus il n’y aura eu de surprise stratégique que pour ceux qui auront refusé de voir la nouvelle réalité déjà à l’œuvre au soir des attentats de 2001 : pour ceux qui n’auront pas voulu élaborer les doctrines, les outils et les postures d’une capacité collective capable de garder entre nos mains les clés d’un destin qui fût longtemps confondu avec celui des Etats-Unis, et qui auront perdu dix ans en atermoiements et postures contre-productives."

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  • Maternelle, ton univers impitoyable !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Natacha Polony, publié sur son blog Eloge de la transmission et consacré à l'instauration d'une évaluation en classe de grande section de maternelle. Une mesure qui ne fait qu'illustrer la crise de notre système éducatif dans sa globalité...

     

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    Maternelle, ton univers impitoyable

    Le monde éducatif est en ébullition. Une fois de plus, sont convoquées les « heures les plus sombres de notre histoire », le « fichage » et le « tri », la « stigmatisation ». Le ton est dramatique, les fronts sont plissés, les voix altérées par l’émotion. D’autant plus qu’il s’agit cette fois d’enfants de maternelle. Ce que nous avons de plus cher. L’innocence même.

    Quel est donc ce texte ministériel porteur de noirs desseins ? Le protocole qui met en émoi syndicats et fédérations de parents fut présenté jeudi matin par la direction de l’enseignement scolaire à des inspecteurs de l’Education Nationale. Il préconise des évaluations pour les élèves de grande section de maternelle. Des évaluations destinées à repérer les élèves « à risque » ou « à haut risque » dans quatre domaines, comportement (joue-t-il avec les autres, exécute-t-il le travail prescrit … ?), langage (prononce-t-il correctement, sait-il construire des phrases complexes… ?), motricité (sait-il découper des formes… ?) et conscience phonologique (sait-il distinguer les sons, a-t-il conscience de la structuration de la langue en phonèmes ?). Bref, tout ce qui détermine la capacité de l’enfant à devenir un élève de CP, apprendre à lire et écrire, à se concentrer… L’idée est de repérer dès le mois de novembre les enfants en difficulté, pour utiliser les heures d’aide personnalisée afin de combler leur lacunes et de remédier à leurs problèmes.

    La crispation du milieu éducatif se focalise sur divers points : les uns accusent les exercices répétitifs proposés pour faire travailler les élèves en difficulté d’être « normatifs », ce qui vaut condamnation immédiate. Les autres font remarquer que l’évaluation du comportement apparaît en premier dans le document du ministère ; entendez que l’on veut repérer – et « ficher » - les élèves « déviants », dans la droite ligne du rapport de l’Inserm de septembre 2005 sur le repérage des « troubles de conduite » dès trois ans. A cet âge, répondent syndicats et psychologues, il peut s’agir d’un simple retard de maturité. Et le destin d’un enfant n’est pas scellé dès la maternelle.

    Les arguments sont recevables. Et le rapport de l’Inserm, fondé sur les outils de la psychologie behavioriste américaine semblaient réduire l’appréhension de l’humain à une dimension purement mécaniste. Pour autant, l’évaluation proposée par le ministère peut-elle être assimilée à ce genre de démarche ? La Direction générale de l’enseignement scolaire se défend de toute volonté « stigmatisante » et fait valoir que ce protocole s’appuie sur les travaux de Michel Zorman, du laboratoire de Sciences de l’Education de Grenoble, nouvelle référence éducative depuis que l’Institut Montaigne s’est chargé de mettre en avant ses expérimentations. Ajoutons à cela le « modèle québequois », en passe de remplacer le modèle finlandais dans le cœur des décideurs, et l’on comprend la filiation du projet.

    Le problème vient sans doute du fait que ces évaluations qui surgissent à tous les niveaux de l’Education Nationale emploient le vocabulaire de la « performance », des « scores » et des « items » chers au management. Les protocoles normalisés envahissent un domaine où, plus que partout ailleurs, l’humain devrait primer. L’humain, c’est-à-dire l’appréhension de la personne dans sa globalité, comme porteur d’une histoire à la fois collective et individuelle, loin de tout systématisme.

    Mais les belles âmes qui s’insurgent oublient trop souvent que cette évaluationnite aigüe qui saisit l’Education Nationale – comme chaque strate des sociétés occidentales – se nourrit de la destruction des savoir-faire anciens, en l’occurrence du métier d’instituteur (ah, la belle alliance objective des pédagos libertaires et des libéraux modernistes…). Il est de bon ton de couper court à toute discussion sur l’état de la maternelle d’un lapidaire : « le monde entier nous l’envie ! » Un peu succinct. D’autant que les difficultés que rencontrent les élèves dans l’apprentissage de la lecture, et qu’ils traineront tout au long de leur vie (des futurs illettrés à tous ceux, plus discrets, qui n’accèderont simplement jamais au statut de lecteur par plaisir), ces difficultés sont sans doute le résultat, non seulement des dérèglements sociaux importés dans l'école (précarité, omniprésence des écrans et absence de repères), mais aussi de méthodes défaillantes dans les petites classes. Activités qui échouent à cadrer dès le matin les enfants, à leur apprendre la concentration et le calme, privilège donné à l’« autonomie » des enfants plutôt qu’à la capacité à respecter des règles…

    Quelques rares instituteurs se sont élevés contre les carences de formation des jeunes professeurs de maternelle, et contre la déperdition d’un savoir-faire essentiel. Les avoir traités d’affreux réactionnaires ne suffit pas à occulter les échecs d’une école qui médicalise progressivement son incapacité à éduquer, inventant des cohortes d’« hyperactifs », de « dyslexiques » et autres « dyscalculiques ». Car les carences d’apprentissage en maternelle ont ceci de formidable qu’elles ne se voient que plusieurs années plus tard, quand les difficultés s’accumulent. Ni responsables ni coupables (d'aucuns s'évertuent à s'en émouvoir dans l'indifférence générale). La démarche de la Direction générale de l’enseignement scolaire a du moins le mérite de s’inquiéter de ce qui se passe dès le début de la scolarité, là où – chaque professeur un tant soit peu honnête le sait – on pressent les difficultés de certains enfants. Il est déplorable qu’elle s’appuie sur un petit remplissage de cases, réduisant à néant ce qu’on appelait autrefois l’ « intelligence du métier ». Mais cette intelligence-là se porte mal depuis bien longtemps déjà. Et de ne pas s’en préoccuper, de le nier même farouchement, on ouvre la voie à des protocoles « scientifiques » contestables, mais qui ne sauraient être franchement pires que le néant actuel.

    Natacha Polony (Eloge de la transmission, 14 octobre 2011)

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  • L'Euro n'est pas sauvé !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jacques Sapir, cueilli sur le site de Marianne et consacré à la crise de l'euro et de la dette européenne. Jacques Sapir a publié récemment un essai intitulé La démondialisation (Seuil, 2011) qui a rencontré un écho favorable.

     

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    Euro : pourquoi il est loin d'être sauvé

    Trop peu, trop tard !
    Dans les batailles mal préparées et tardivement engagées, ce constat sonne comme un glas quand il a cessé d’être un regret. 

    Trop peu :le Fond Européen de Stabilisation Financière a vu son montant fixé à 447 milliards d’Euros le 21 juillet. À l’époque, c’était déjà insuffisant. Aujourd’hui, alors que l’Espagne et l’Italie vont d’ici quelques semaines ne pas avoir d’autre choix que de demander de l’aide, ce sera encore plus évident. Ce sont des sommes de plus de 1000 milliards qu’il faudra alors engager.

    Trop tard : les Eurobonds (Euro-obligations) et surtout ma monétisation de la dette (le fait que les États puissent directement emprunter à la Banque Centrale Européenne) auraient pu être mis en œuvre si l’on s’y était pris à l’hiver 2009-2010. Les lecteurs de Marianne2 se souviennent sans doute de ma polémique avec Benoît Hamon en ces colonnes au début du mois d’octobre 2009. Aujourd’hui, nous allons nous heurter à l’obstacle de la Constitution allemande et à de longues négociations qui repousseront la monétisation au mieux à la fin du printemps 2012, c’est-à-dire trop tard.

    Car la situation est incontestablement grave. La déroute menace désormais sur trois fronts. 

    La Grèce tout d’abord, ou un défaut est inéluctable, et pourrait survenir dans les semaines qui viennent. L’économie Grecque est en fait à l’arrêt depuis la fin du mois d’août. Les impôts ne rentrent plus, une situation quasi-insurrectionnelle se développe et la fuite des capitaux y est intense. La chute du PIB y sera nettement plus importante que les -5,5% admis au début septembre par le gouvernement. Avec cette chute, nous aurons évidemment une chute plus que proportionnel des recettes fiscales et un déficit qui explosera.

    La contagion au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie ensuite qui s’accélère. Le gouvernement Portugais vient d’admettre le 1er octobre que le déficit sera bien plus important que prévu. En Espagne, la montée inéluctable du taux de défaut dans les banques laisse présager une nouvelle crise bancaire et la nécessité d’une nouvelle consolidation du système financier, qui demandera beaucoup d’argent. En Italie, qui jusqu’à maintenant était capable de financer sa dette mais qui, depuis le mois d’août ne le peut plus. La raison ici en est simple. Les grandes entreprises italiennes mais aussi les déposants riches ou aisés retirent leurs fonds des banques de la péninsule pour les placer qui en dollars qui en francs suisses (au grand dam de la Banque Centrale de Suisse qui tente désespérément d’éviter une réévaluation de sa monnaie par rapport à l’Euro). Le résultat de cette défiance des riches Italiens a été de faire monter rapidement les taux d’intérêts sur la dette Italienne ; ils sont désormais supérieurs à ceux de l’Espagne et s’approchent des 6% (taux à dix ans), limite qu’ils auraient franchi si la BCE ne rachetait pas en sous-main les titres de dette tant Italiens qu’Espagnols.

    La crise des banques en France et en Allemagne enfin, dont nous voyons se développer les effets à la Bourse, où elles ont perdu plus de 50% de leur capitalisation, depuis près de deux mois. Un mensonge énorme plane sur la situation des banques. Leurs dirigeants affirment que l’exposition au risque y est limitée. C’est certes vrai pour le risque direct, encore qu’il faille y inclure les pays qui sont susceptibles d’être touchés par l’effet de contagion (ou qui sont d’ores et déjà touchés). 

    L’entêtement dans l’erreur

    Euro : pourquoi il est très loin d'être sauvé


    On voit ainsi que le risque sur les trois pays les plus exposés n’est que de 16,93 milliards, et celui sur les pays de la zone de contagion se monte à plus de 100 milliards. 

    Mais, on oublie alors de parler des assurances de crédit (les Credit Default Swaps) qui ont été achetées massivement par les banques et les compagnies d’assurances. Il est vrai que ceci ne figure pas aux bilans des banques, et peut donc être passé sous silence.

    Mais, rien que pour la Grèce, on estime de 70 à 90 milliards d’Euros le montant de ces CDS qui deviendraient exigibles en cas de défaut du pays.

    La bataille qui est menée par le gouvernement pour tenter de sauver l’Euro est une bataille perdue, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Il n’était pas inévitable qu’il en soit ainsi. Cependant, à force de nier la réalité, de vivre dans le déni, on ne s’est résolu que sur des montants trop faibles, engagées trop tardivement. Les sorties de capitaux s’accélèrent, l’Euro est tombé en quelques semaines de 1,44 Dollars à 1,34 Dollars, et elles ne sont pas – de loin – toutes le fait des fonds spéculatifs américains. La panique commence à gagner les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, de ce drame.

    Il faut replacer cette bataille dans son contexte. Ce qui est en jeu, c’est le dynamisme économique de l’Europe (où la zone Euro a connu la croissance la plus faible depuis 2001) et le principe d’une coordination monétaire entre États européens. À s’acharner sur la défense de l’Euro, nous risquons de tout abandonner.

    S’il faut ici en appeler aux mânes des grands hommes, rappelons ce que De Gaulle disait le 18 juin 1940 : la perte d’une bataille n’est pas la perte de la guerre. Il n’y a rien d’inéluctable dans le chemin qui mène au désastre, au chacun pour soi, à la dépression ravageant nos économies et nos sociétés. Mais pour que ceci ne soit pas inéluctable, il faudra du courage.

    Faire acte de courage, c’est accepter de regarder la réalité en face. Il importe de penser un « plan B », en l’occurrence une dissolution ordonnée et coordonnée de la zone Euro qui laisse intacte certaine des institutions dont nous aurons besoin pour des accords collectifs une fois que nous aurons retrouvé nos monnaies nationales. Cette dissolution décidée de concert devrait s’accompagner de mesures communes, ou du moins réalisées par un certain nombre de pays, pour limiter la spéculation en réduisant drastiquement les mouvements de capitaux et en interdisant certaines opérations. Elle doit enfin permettre ce qui est interdit aujourd’hui, soit la possibilité pour les États de refinancer une partie de leur dette auprès de la Banque Centrale. 

    Cette dissolution s’accompagnera aussi d’une prise de contrôle des banques, qui permettra de les restructurer et d’en garantir la partie qui gère les dépôts de la population et qui fait les crédits, quitte à laisser mourir la partie engagée dans des opérations spéculatives qui ne font pas sens du point de vue d’un intérêt collectif.

    Nos partenaires doivent alors être avertis que nous mettrions en œuvre unilatéralement ces mesures si un accord ne pouvait être rapidement obtenu.

    Il est encore temps de se réveiller, de regarder la réalité et de se reprendre. Mais nos élites doivent savoir que faute de cela elles s’exposent à être balayées par une révolution citoyenne.

    Après tout, « dégage » est un mot français…

     

    Jacques Sapir ( Marianne, 3 octobre 2011)

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