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crise - Page 24

  • Un autre monde ?...

    Alain Chauvet, consultant et professeur à l'Ecole centrale de Paris et à l'Essec, vient de publier aux éditions Lethielleux, Un autre monde - Protectionnisme contre prédation, un essai dans lequel il préconise la réorganisation du monde en grands espaces politiques économiquement autocentrés. Il avait déjà publié en 2009 Après l'Occident - Pour un protectionnisme intelligent aux éditions Desclée de Brouwer.

     

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    "Est-on au bord d'un effondrement de la civilisation occidentale ? La disparition des Etats-providence est elle inéluctable ?

    Comment arrêter les guerres, remettre l'argent à sa place, et éviter le chaos auquel nous destinent les prédateurs financiers ?

    Peut-on rompre la fatalité du cycle millénaire des civilisations grecque, romaine et chrétienne ?

    Comme dans « Après l'Occident » (2009), Alain Chauvet fournit une lecture nouvelle de la mondialisation et de la crise, à partir d'une analyse de l'histoire de l'Humanité.

    Constatant l'impossibilité de mettre en place un gouvernement mondial qui régulerait la planète et éliminerait la prédation, il propose une solution contre-dogmatique : découper le monde en dix grandes civilisations totalement protectionnistes. Dix petits mondes se partageraient la planète et réguleraient chacun l'économie et la vie politique de leur territoire.

    Seule l'Europe, avec son passé social-démocrate et sa puissance économique, peut réussir la première dans cette voie."

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  • Intervention en Libye : un cruel révélateur...

    Nous reproduisons ci-dessous un éditorial du quotidien Le Monde (dimanche 12 - lundi 13 juin 2011) qui pose quelques bonnes questions sur la défense française et européenne... De renoncements en renoncements, diposerons-nous encore dans quelques années des instruments nécessaires à la souveraineté ?...

     

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    Le cruel révélateur de l'intervention en Libye

    Il ne faudrait pas que l'affaire libyenne dure encore plusieurs mois. Pour le peuple libyen martyrisé par son dictateur, bien sûr. Mais pas seulement. Les lendemains risquent d'être douloureux pour les armées européennes qui participent à cette intervention.

    Trois nations en donnent le tempo : les Etats-Unis, acteur hors catégorie par sa puissance, la France et le Royaume-Uni. Seize autres pays jouent les seconds rôles, pour ne pas dire les figurants.

    Il ne faut pas leur en vouloir, a tenu à dire le secrétaire américain à la défense, Bob Gates, le 9 juin, qui, pour la énième fois, appelait les Européens à "partager le fardeau" de la sécurité mondiale : "Franchement, bon nombre de ces alliés restent à l'écart, non parce qu'ils ne veulent pas participer, mais simplement parce qu'ils ne peuvent pas. Les moyens militaires ne sont tout simplement pas là."

    La France s'est vantée d'avoir été la première à frapper, le 19 mars. Elle fait remarquer à ses alliés plus frileux qu'elle assume ses responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Nos avions et nos bateaux sont partis à l'heure, avec des hommes prêts à servir, disent les chefs militaires. Mais demain, préviennent-ils, ce sera une autre affaire. Ainsi, comme l'admettent sans fard les responsables de la marine nationale, si le porte-avions Charles-de-Gaulle est engagé en Libye jusqu'à la fin de 2011, il devra s'arrêter totalement en 2012.

    Car les armées européennes, pourtant ultramodernes et ultra-coûteuses, ne savent plus durer. Les Rafale français dépendent des ravitailleurs américains. Les F16 danois n'ont plus de munitions après deux mois de frappes. Les Typhoon britanniques n'ont pas assez de pilotes qualifiés. Plus traumatisant pour cette grande puissance maritime, une bonne part de ses navires actuellement au combat dans le monde sont voués à la casse dans le cadre de la réforme budgétaire en cours.

    L'Irak (pour le Royaume-Uni), l'Afghanistan, le Liban, les conflits africains, ont placé aux limites de leurs capacités de déploiement des appareils militaires soumis aux sévères cures d'amaigrissement de l'après-guerre froide.

    Derrière, les entrepôts sont vides. L'effort du moment, très important, entame la préparation de l'avenir, comme le coureur finit par consommer sa masse musculaire. Le hiatus entre les ambitions affichées et les moyens de les réaliser est donc cruellement mis à nu.

    A l'aube de la campagne présidentielle, les responsables militaires ne se privent donc pas d'interpeller la nation. C'est, si l'on ose dire, de bonne guerre pour tenter d'obtenir des moyens d'action plus consistants et convaincants.

    Mais, au-delà de ce classique plaidoyer pro domo, des questions cruciales sont posées : la France veut-elle conserver un modèle d'armée cohérent et complet ? Est-elle prête à en payer le prix ? Quelle indépendance stratégique entend-elle défendre ? Faute de réponses sérieuses, les ambitions affichées sur la scène mondiale ne feront pas longtemps illusion.

    Le Monde (12-13 juin 2011)

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  • Euro : nouvelles du front...

    Vous pouvez visionner ci-dessous sur Realpolitik.tv un entretien avec Hervé Juvin sur la crise de l'euro. 

     


    Euro : nouvelles du front par realpolitiktv

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  • Le concombre victime des cornichons médiatiques ?...

    La "crise du concombre tueur" qui a secoué l'Europe au cours de ces derniers jours a inspiré ce petit texte mordant, publié sur Polémia, à Michel Geoffroy.

     

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    Le concombre victime des cornichons médiatiques

    Les anciens se souviendront sans doute que le sinistre Furax, héros de l’émission radiophonique et burlesque « Signé Furax » diffusée dans les années 1960, avait inventé le gruyère qui tue. Mais en 2011 la réalité médiatique dépasse désormais la fiction. En effet, les médias viennent d’inventer le concombre qui empoisonne.

    L’affaire du concombre espagnol tueur d’Allemands est exemplaire, en effet, à plus d’un titre.

    L’emballement médiatique à l’œuvre

    Exemplaire d’abord des mécanismes de l’emballement médiatique. Ce sont toujours les mêmes : l’orchestration « d’informations » sur un mode accusatoire mais qui ne sont pas bien vérifiées, et qui va crescendo, car aucun média ne veut être en reste dans la course à l’audimat. Alors on en rajoute dans la simplification. On l’a vu dans l’affaire des prétendus espions chinois de Renault, dans celle de l’ophtalmo « raciste » ou dans la présentation de la catastrophe nucléaire imminente de Fukushima. A chaque fois ce qui compte c’est le sensationnel de la révélation médiatique du Mal. Pas la vérité de faits établis. Et le Mal a toujours un responsable, un coupable potentiel que l’on va, vite, jeter en pâture aux lecteurs et aux spectateurs, pour renouveler l’intérêt. Un coupable, cela rassure. Pas question donc de donner la parole à la défense. Encore moins à ceux qui doutent.

    Dans cette affaire rien n’arrête le torrent médiatique. Car il va à la vitesse de la lumière. Il emporte les responsables politiques allemands, puis la Commission européenne à la suite des autorités sanitaires de Hambourg. En Europe on s’inquiète. Dans nos marchés on boude les légumes, d’autant qu’ils ont déjà pu subir le passage du nuage radioactif de Fukushima, n’est-ce pas ? Les Russes menacent de fermer leurs importations de légumes en provenance d’Europe de l’Ouest.

    Personne parmi le courageux Establishment politique occidental ne veut courir le risque, en effet, d’être accusé un jour – par les médias et donc par un juge – de ne pas mettre en œuvre le fameux principe de précaution. On voulait nous vacciner contre une épidémie de grippe imaginaire. On nous protégera donc du terrible concombre et de sa « bactérie tueuse ». Pour notre bien.

    Déni de cohérence ensuite

    Mais, une semaine après, on ne sait toujours pas ce qui s’est passé ni qui a empoisonné qui. Il paraît maintenant que l’on suspecterait des… germes de soja produits en Basse-Saxe. Bravo à « la société de l’information » !

    Les Espagnols sont à juste titre furieux : les conséquences économiques de cet embargo de fait seront lourdes pour leur pays déjà en situation extrêmement difficile. Il paraît qu’ils vont porter plainte à Bruxelles. Mais l’indifférence à l’égard des conséquences est la marque du système médiatique : il ne vit que dans l’instant. Il ne cherche qu’à capter notre attention pour diffuser les bons messages publicitaires, pas à générer notre réflexion ni à augmenter notre savoir.

    Le principe de l’information contemporaine reste « Circulez, il n’y a rien à voir ! »

    Curieusement, parmi ces « experts » médiatiques qui nous expliquent en permanence les bienfaits de la suppression des frontières et du commerce, de préférence mondial, aucun ne relève que le fait d’importer des concombres dans des pays tempérés qui pourraient très bien en produire (les concombres cela pousse partout, même en Russie) n’est peut-être pas un optimum social ni même économique. Ces mêmes médias nous expliquaient aussi, pour justifier leur discours cosmopolite, que « les frontières n’arrêtent pas les épidémies ». Pas de chance : le premier réflexe des autorités – d’abord allemandes – dans ce genre de situation est justement de rétablir des frontières sanitaires. Pour un tout petit concombre, au surplus. Ainsi les frontières cela marcherait aussi ? Et cela pourrait nous protéger ? Diable !

    La mise en scène du Mal

    Ce petit concombre révèle enfin que nos sociétés occidentales ne peuvent plus se passer de la mise en scène du Mal. N’importe lequel, pourvu qu’il fasse peur. Guerres (si possible loin), catastrophes (si possible avec beaucoup de morts), accidents (nucléaires, bien sûr), crimes (si possible odieux ou contre l’humanité), idées politiquement incorrectes (surtout si elles renvoient aux « heures sombres de notre histoire »), violences (si possibles urbaines) : tout est bon.

    L’orchestration du Mal a, en effet, une fonction politique bien précise dans un système qui repose sur l’idée que s’il est imparfait, d’autres seraient bien pires encore. G. Orwell, dans son roman 1984, montrait que dans cet univers totalitaire les citoyens étaient régulièrement invités à célébrer « le quart d’heure de la haine » : celui où ils étaient conviés à voir le visage de leur ennemi, le visage du mal. Pour mieux aimer leur triste présent.

    C’est pourquoi le Système médiatique produit en permanence des images du Mal, réel ou supposé. Fabriqué au besoin. Car la peur engendre la soumission vis-à-vis du pouvoir, vis-à-vis du Système et de ceux qui l’incarnent.

    Exit Ben Laden. Voici maintenant le terrible concombre espagnol qui va tous nous empoisonner. Et ce légume inquiétant n’aurait-il pas déjà contaminé aussi nos salades, nos tomates, nos villes et nos campagnes ? Ah ces satanés Espagnols !

    C’est qu’à l’ère des cornichons* médiatiques, les concombres sont rois.

     

    Michel Geoffroy (Polémia, 7 juin 2011)

    (*) Petit concombre cueilli avant maturité et utilisé comme condiment.

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  • Risques et crises en Terra Incognita...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte passionnant de Patrick Lagadec, directeur de recherches à l'Ecole Polytechnique et spécialiste des questions liées à la gestion des crises et des risques. 

     

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    Risques et crises en Terra Incognita

    Le Feu tue, les idées périmées aussi.
    Foch
    Our current system for homeland security
    does not provide the necessary framework to manage
    the challenges posed by 21st-Century catastrophic threats.

    The White House,
    The Federal Response to Hurricane Katrina – Lessons Learned, 2006

     

    Ruptures
    Les dernières décennies ont vu un essor extraordinaire des sciences et techniques de la maîtrise des risques, de la gestion des crises. Et pourtant, un doute s’installe : et si nos références, nos compétences n’étaient plus les bonnes ?
    • Ce sont les tempêtes de 1999 en France : elles détruisent plus de forêts que toutes les tempêtes cumulées depuis deux siècles. Discontinuité.
    • C’est le cri d’un officier du NORAD le 11-Septembre : “This is not a kind of war we know! We are not ready for this!”). Rupture.
    • C’est le diagnostic de l’Amiral Thad Allen, dix jours après le choc de Katrina: “It was not a hurricane, but nobody understood that. It was a weapon of mass destruction without criminal dimension”. Dislocation.
    • C’est la consternation du Sénateur Reid (Leader de la Majorité), qui déclare le 18 septembre 2009 en pleine débâcle financière: “No one knows what to do. We are in a new territory here. This is a new game. You can ask Bernanke, you can ask Paulson, they don’t know what to do.” Sidération.

    Aujourd’hui, les réalités, sur tous les fronts, au quotidien ou presque – les «cygnes noirs» se font de plus en plus «normaux», obligent à tolérer cette perspective dérangeante, et à se mettre en quête d’une nouvelle alliance avec le risque. La gravité des phénomènes «accidentels» ne cesse de s’alourdir ; la qualité intrinsèque des dynamiques en cause échappe de plus en plus à nos paradigmes, à nos logiques de pilotage et de gouvernance. Nous devons nous donner les moyens – intellectuels et stratégiques – de piloter les risques et les crises dans un monde de plus en plus marqué par le bouleversement des repères. Car, comme le dit Sun Tsu : «Qui ne connaît pas ses risques sera défait à chaque bataille».

    Risques et crises : retour à « l’état sauvage »
    Il est courant – c’est d’ailleurs même là un réflexe identitaire dans de nombreux milieux – de proclamer qu’il n’y a rien de nouveau en ce domaine des vulnérabilités et des crises. Et de se défendre, à chaque Katrina, BP, ou autres Pakistan, en arguant que, «là, c’était exceptionnel». Trêve d’évitement. Il est urgent de commencer à accepter la réalité des nouvelles donnes à affronter, même s’il faut pour cela quitter les paradigmes qui ne fonctionnent plus. Il est vital de cesser de justifier la désertion sous des protestations «d’optimisme» : l’optimisme authentique consiste à poser que l’on a les capacités à affronter les défis de son temps. Cela commence par la lucidité sur la cartographie.

    Nouvelles frontières
    Les risques et les crises sont désormais marqués par des dimensions génériques qui bouleversent le théâtre d’opérations.

    Le hors-échelle : par convention, les phénomènes accidentels sont tenus comme d’importance marginale par rapport à la taille et la robustesse des systèmes en cause. Katrina dévaste un territoire grand comme la Grande-Bretagne ; les victimes vont désormais se compter par millions ou dizaines de millions. Nous entrons dans l’ère des méga-crises.

    La globalisation : nous avons conservé des visions «locales», il va nous falloir comprendre que les phénomènes sont désormais rapidement globaux. La sacrosainte «indépendance» des risques, sur laquelle sont fondés nos outils essentiels, va devenir une miraculeuse exception.

    Les réseaux : nos activités sont toutes dépendantes du fonctionnement imbriqué de vastes réseaux vitaux. Une faille majeure a désormais des effets systémiques. La vitesse : en quelques heures, le SRAS passe de Hong-Kong à Toronto ; en quelques minutes, voire dizaines de secondes, une coupure électrique ou d’internet peut mettre un continent dans le «noir».

    L’ignorance : l’incertitude était notre stimulant compagnon de route, nous voici confrontés à bien plus sévère. Le problème n’est plus de savoir ce qui n’est pas encore tout à fait connu, mais de pouvoir discerner ce qui, dans nos connaissances, peut encore avoir de la pertinence.

    L’hypercomplexité : nous avons été formés à compartimenter les domaines, à apporter des solutions optimales à chaque parcelle de difficulté dûment isolée. Nos plans de crise, tout particulièrement, sont le plus souvent pensés pour des situations bien sériées. Nous voici aux prises, comme à Katrina, avec des enchevêtrements de dynamiques impossibles à séparer.

    L’information pulvérisée : les tsunamis informationnels, à partir de nuées de points d’émission, nous emportent à des années-lumière de la sacro-sainte interview du grand journal télévisé d’il y a vingt ans.

    L’inconcevable : c’est la sortie radicale de nos systèmes de représentation. Ainsi : l’attaque des centres économiques et militaires des Etats-Unis avec des cutters et des avions de lignes américains décollant du territoire national ; l’attaque à l’anthrax, dont le levier principal est la technologie des systèmes de tri postal ; la première grande pandémie du 21ème siècle, avec une grippe peu virulente dont la première victime a été la crédibilité des instances mondiales et nationales, etc. Dans des systèmes refusant toute approche véritablement décalée (l’inconcevable n’est inconcevable que pour des systèmes interdisant le questionnement hors cadres conventionnels), cette dimension de «l’impensable» est le facteur d’échec le plus décisif.

    Socles et contextes structurellement « crisogènes »
    Le plus décisif n’est cependant pas dans « l’événement », mais dans les socles et contextes globaux. Nos systèmes – quels que soient le domaine – sont désormais sujets à dynamiques de «liquéfaction» susceptibles d’emporter nos meilleures défenses. Comment «négocier» avec quelqu’un qui recherche la mort ? Que deviennent nos théories sur le décideur rationnel, quand les ancrages ont muté ? Que deviennent nos logiques d’interventions lorsque seules les mafias et autres groupes terroristes montrent une agilité stratégique et tactique en phase avec les situations chaotiques ? Comment traiter une canicule, une épidémie, lorsque la clé tient à des solidarités sociales qui soudain apparaissent minées ? Autant de questions étrangères à nos approches nominales des risques et des crises, toujours fondées sur le «toutes choses égales par ailleurs», la «normalité» de bon aloi, et une rationalité de convenance si nécessaire à la modélisation d’excellence.

    Nouveaux repères d’intelligence et de pilotage
    La grande question – qui s’applique à tous les pays – a été posée par la Chambre des Représentants dans son rapport sur Katrina : “Why do we continually seem one disaster behind?”. Ce n’est pas une question de «planification», de «coordination», ni de «communication» – même si des progrès à la marge doivent toujours être réalisés. Les échecs vitaux – failure of imagination, failure of initiative, failure of leadership – ont des causes plus profondes. Nos conceptions du risque et des crises sont à refonder ; nos logiques de gouvernance et de pilotage à réinventer. Et comme toujours avec les vraies ruptures, le tableau d’action est tout entier à reconsidérer.

    Une rupture culturelle et psychique
    Nous restons universellement sous la bannière protectrice des naturalistes du XIIIème siècle. «Des causes dont l’effet est rare, violent et subit ne doivent pas nous toucher, elles ne se trouvent pas dans la marche ordinaire de la Nature ; mais des effets qui arrivent tous les jours, des mouvements qui se succèdent et se renouvellent sans interruption, des opérations constantes et toujours réitérées, ce sont là nos causes et nos raisons» (Buffon, 1749).

    Uriel Rosenthal, pionnier de l’étude des crises en Europe, l’a souligné : “Scientists feel uncomfortable with phenomena that seem beyond the scope of the neatly crafted theories which have been developed on the basis of normal circumstances and events. Crises seem to be in total opposition to the very foundations of modern social science”. Thomas Schelling le disait déjà de façon magistrale à propos de Pearl Harbor : “There is a tendency in our planning to confuse the unfamiliar with the improbable. The contingency we have not considered seriously looks strange; what looks strange is thought improbable; what is improbable need not to be considered seriously” Et Alvin Weinberg a consacré la formule : Science deals with regularities in our experience. Art deals with singularities.

    Ce ne sont pas là que pures postures théoriques. Exclure par principe premier le singulier, le discontinu, c’est d’abord se mettre en protection – et c’est bien là la source essentielle des blocages rencontrés. Edgar Morin l’a bien identifié dans ses réflexions sur la complexité : «La science classique avait rejeté l’accident, l’événement, l’aléa, l’individuel. Toute tentative de les réintégrer ne pouvait sembler qu’anti-scientifique dans le cadre de l’ancien paradigme. Mais rien de plus difficile que de modifier le concept angulaire, l’idée massive et élémentaire qui soutient tout l’édifice intellectuel. Car c’est évidemment toute la structure du système de pensée qui se trouve bouleversée, transformée, c’est toute une énorme superstructure d’idées qui s’effondre. Voilà à quoi il faut s’apprêter.»

    Il ne faudrait surtout pas croire que ces postures sont secondaires. Ce sont elles qui commandent les évitements récurrents, les refus de questionnements, les blocages dans la veille comme dans la formulation des réponses. Le premier travail consister donc à ouvrir et légitimer ce chantier de l’appréhension du hors-norme.

    Des pilotages réinventés
    Nous disposons d’un corpus impressionnant dans le domaine de la gestion des risques et des crises. Ces «best practices» restent utiles, tout au moins pour les situations relativement conventionnelles. Pour les circonstances chaotiques, de plus en plus «normales» désormais, le problème n’est plus d’appliquer les meilleures techniques validées à un problème connu, mais d’inventer de nouvelles lignes de compétence.

    L’implication personnelle : en crise grave, le vital déferle dans toute sa brutalité. L’essentiel va se jouer sur les convictions effectives, les visions partagées, la confiance insufflée. C’est le message du maire de New York, Rudolph Giuliani, aux commandes lors de l’attaque du 11-Septembre : “Have beliefs and communicate them. See things for yourself. Set an example. Prepare relentlessly. Underpromise and overdeliver”. La fonction du dirigeant va essentiellement consister à tracer des voies dans l’inconnu, à consolider les cohésions et la confiance, à travailler à l’invention de futurs possibles et partagés. Cela suppose des décideurs préparés à affronter la page blanche, avec d’autres, bien plus qu’à appliquer autoritairement des protocoles validés.

    Une autre culture du signal : du signal faible, au signal aberrant. Nous avons été éduqués à surveiller les «signaux faibles» ; il nous faut désormais donner la priorité aux signaux qui ne sont pas repérés au travers des grilles usuelles. Il ne suffit pas de les amplifier pour les percevoir et les comprendre. Cela signifie un questionnement ouvert sur les variables dormantes, les combinaisons et contaminations improbables, les événements non statistiquement significatifs, les convergences d’intuitions. Cela suppose d’autres sensibilités, d’autres tolérances à l’ambiguïté, d’autres conjugaisons de perceptions, d’autres outils.

    La démarche de Force de Réflexion Rapide : pour ouvrir lectures, options, initiatives, tous les grands systèmes doivent mettre sur pied ce type de groupe d’appui. Dans les crises désormais, le plus complexe est de cerner : 1°) le De quoi s’agit-il ?, 2°) les pièges à éviter, 3°) les cartes des acteurs à considérer, 4°) les initiatives qui permettront de favoriser des dynamiques positives. Une équipe de personnes d’horizons variés, rompues au questionnement et aux propositions hors-cadres doit être prête à venir aider ainsi au pilotage des systèmes.

    Une autre posture par rapport à l’expertise : la priorité sera d’interroger les limites de l’expertise : «Qui peut me dire quoi, dans quel délai, et avec quelle fiabilité ?». Les questions de qualification de l’expertise, de pertinence des évaluations deviennent essentielles si on ne veut pas se retrouver piégé par de fausses assurances, des logiciels décisionnels dépassés, des jeux de pouvoirs au sein du monde de l’expertise, et la sacro-sainte précision numérique si réconfortante et si trompeuse (on l’a vu jouer à plein dans l’épisode du H1N1).

    L’organisationnel : d’emblée, le dirigeant devra visualiser la complexité des entités concernées, et s’efforcer d’entrer dans un exercice de «meta-leadership» où il lui faut en permanence construire des ponts, des visées commune, de la confiance partagée quand tout concourt à ériger des Tours de Babel. Et tout faire pour ne pas se laisser piéger dans des règles d’engagement dont la seule force est la conformité aux pratiques «normales».

    Les tissus collectifs : le monde de la crise conduit le plus souvent à penser les dynamiques sociales dans des logiques de «panique», quand le plus important, à l’inverse, est de susciter de la confiance et de la créativité collectives. Cela suppose redistribution des informations, des leviers, et des moyens, loin de tout autoritarisme sommaire. Quand tout pousse à vouloir centraliser, il faudra au contraire penser «proximité», ce qui est aux antipodes de nos inclinations spontanées. C’est ici que les logiques d’empowerment se révèlent cruciales, quand elles sont et restent souvent bien étrangères au monde de la «gestion» des crises.

    La communication : le temps de la prise de parole permettant de «fournir toutes les réponses» est largement révolu. L’exercice est désormais à penser dans le cadre défini ci-dessus : une redistribution de données, de questions, de perspectives, de propositions permettant d’aider les systèmes à faire face de façon plus globalement créative à des enjeux vitaux. Cela suppose, bien entendu, que l’on n’en soit plus à la dissimulation archaïque, qui semble pourtant encore sévir en dépit des protestations de transparence. Les mots d’Abraham Lincoln sont ici des repères cruciaux, surtout et y compris pour les situations les plus difficiles : “Those in authority must retain the public’s trust. The way to do it is to distort nothing, to put the best face on nothing, to try to manipulate no one. Leadership must make whatever horror exists concrete. Only then will people be able to break it apart”.

    La « reconstruction » : jusqu’à présent, c’était là une phase ultime qui impliquait opérateurs, assurances, services sociaux. Désormais, l’ampleur de la tâche, l’ampleur des impact va faire de la vitesse de récupération un facteur décisif de la sortie de crise – ce qui suppose que la dimension «reconstruction» ait été intégrée très en amont dans le design des systèmes. Et même en cas d’anticipation exemplaire, la question sera moins le «retour à l’état antérieur», mais la discussion et le choix d’options pour des futurs voulus.

    La préparation : “When training, Federal officials should not shy away from exercising worst-case scenarios that “break” our homeland security system.” (The White House) Nous sommes là aux antipodes de toutes nos pratiques d’exercices dont la fonction quasi unique le plus souvent consiste à vérifier la capacité des participants techniques à appliquer les protocoles voulus, sur des scénarios classiques ; avec une touche de communication médiatique, puisque c’est désormais le point de plus en plus dominant. Il conviendrait d’ajouter à ces répétitions élémentaires pour personnel technique des préparations stratégiques pour dirigeants, en les plongeant dans des situations inédites, face à des pages blanches à écrire avec des acteurs non référencés. Pour l’heure, cela relève de la provocation et se voit traité comme tel – «il ne faut pas inquiéter les dirigeants». Il n’est donc pas étonnant que les pilotages se réduisent le plus souvent à des épisodes de tétanisation rapide, qui ne pourront bien évidemment faire l’objet d’aucun retour d’expérience quelque peu exigeant.

    En revanche, nous avons déjà à cette heure, dans quelques grands groupes internationaux, une pratique avancée de préparation des dirigeants et cadres supérieurs à l’anticipation, la prévention, le pilotage pour les situations hors cadres. Ce type de pratique requiert d’abord une volonté au plus haut niveau de mettre à l’agenda la prise en compte de ces nouveaux horizons en matière de vulnérabilités vitales, et l’exigence de progrès immédiats en compétence décisionnelle sur ces sujets. L’exigence peut être exprimée en une phrase : “Barriers in the mind, fiasco on the ground”. Mais si cette pratique commence à se répandre dans certaines grandes entreprises, elle reste ignorée, hélas, de la quasi totalité des gouvernements.

    Formation initiale et recherche : comme le souligne Christian Frémont, : «Les crises qui sont au-dessus de nos têtes sont des crises sans mode d’emploi. C’est difficile, c’est déstabilisant, mais il ne faut pas dire à des dirigeants ou à des jeunes dirigeants qu’on va leur donner la recette pour réagir à toute situation. Ce n’est pas cela qu’il faut leur apprendre. Il faut leur apprendre à vivre dans l’irrationnel, le non sûr, en environnement déstabilisé, et en général hostile.» Pour l’heure, les «manuels» proposés se contentent le plus souvent de présenter «clés de réussite» et «best practices». Comme le remarque Tod LaPorte, le problème n’est plus de connaître des outils pour éviter d’être surpris, mais de s’entraîner à être surpris. Pour l’heure, ce type de positionnement s’inscrit avec difficulté dans nos «cursus d’excellence».

    Nous nous retrouvons en vérité comme cette discipline de la santé publique au tournant du XIXème siècle aux Etats-Unis, quand on prit conscience du fait qu’il fallait bouleverser les repères fondamentaux si l’on voulait préparer les futurs responsables aux conditions qui se mettaient en place.

    Ce serait une faute historique de préparer les dirigeants de la nouvelle génération aux risques et aux crises du siècle dernier. Si, par convenance, on refusait pareille prise de risque (il est toujours plus confortable d’enseigner et de rechercher ce qui est déjà connu), on devrait alors se souvenir de Marc Bloch dont le message sur la débâcle française de juin 1940 peut se résumer par ces mots : «Ils ne pouvaient penser cette guerre, il ne pouvait donc que la perdre». Ou, des mots cruels prêtés à Bismarck : «Tant que l’Ecole de Guerre est à Paris, il n’y a aucun problème pour l’Allemagne».

    Patrick Lagadec (11 octobre 2010)

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  • Tour d'horizon... (8)

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    Au sommaire :

    - sur Marianne, Jacques Sapir revient, en trois articles, sur la crise grecque et les risques d'explosion de l'euro...

    Derrière la crise grecque, l'explosion de l'euro ?

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    - sur Causeur, Jérôme Leroy voit dans l'actualité quelques signes annonciateurs de la fin d'un monde...

    La saison sèche de la fin du monde

     

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