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clausewitz - Page 2

  • L'impasse ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré à l'impasse de la guerre en Ukraine.

    Jean-Philippe Immarigeon est avocat, docteur en droit public, essayiste et historien, il collabore à la Revue Défense Nationale depuis 2001, a publié de nombreux articles et plusieurs essais dont American parano et L’imposture américaine (Bourin, 2006 et 2009), La diagonale de la défaite (Bourin, 2010), et Pour en finir avec la Françamérique (Ellipses, 2012).

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    L'impasse ukrainienne

    Faut-il que l’Ukraine gagne sa guerre contre la Russie ? Cette question peut sembler incongrue, elle est pourtant posée par de nombreux analystes en France, en Asie et même aux États-Unis. On peut ainsi citer un long article publié et mis en ligne récemment par le magazine Harper’s, « Why are we in Ukraine ? » [1].

    Tous tournent autour de l’impasse où les pays de l’OTAN s’engluent aussi sûrement que dans la raspoutiza, que la contre-offensive ukrainienne échoue ou qu’elle réussisse. C’est une sortie diplomatique indépendante du facteur militaire qui est envisagée, c’est ce qu’on obtient également comme réponse lorsqu’on interroge ChatGPT – qui, sauf à être programmé par le FSB sur le narratif russe, est une synthèse de tout ce qui est publié : « Même si une victoire militaire est possible, la solution à la crise en Ukraine ne peut être que politique et doit être basée sur la volonté de toutes les parties concernées de travailler ensemble pour trouver un compromis mutuellement acceptable et respectueux des droits et des intérêts de toutes les parties. »

    Purgeons d’emblée la question : il y a un agresseur, la Russie, et il est vain de se lancer dans une rétrodiction stérile et d’invoquer, comme on dit en droit pénal, une excuse de provocation. Toutes les analyses sérieuses y consacrent pourtant de longs développements au risque de prêter le flanc à des accusations incongrues prétendant éluder tout débat. Sacrifions-y à notre tour et à ce risque, pour rappeler que les Russes avaient prévenu et motivé leur projet, qu’ils ont fait ce qu’ils avaient annoncé, et qu’il n’y avait rien de moins surprenant ni de moins inattendu que cette agression.

    Drang nach Osten

    Il a été sassé et ressassé que la Russie se cabre, depuis la disparition de l’URSS, à chaque avancée de l’OTAN vers ses frontières ; que ni l’Organisation ni les États-Unis n’ont tenu leurs promesses répétées de n’en rien faire ; que cette avancée a été dénoncée comme une faute majeure par les plus brillants stratégistes américains, dont Henry Kissinger ; que la France et l’Allemagne ont elles-mêmes longtemps mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine, mais qu’elles ont capitulé lorsque, le 10 novembre 2021, Kiev et Washington ont signé un accord de partenariat ; que Lavrov a proposé le 17 décembre 2021 la tenue d’une conférence sur la sécurité en Europe et deux drafts de négociation, et qu’on l’a envoyé promener ; qu’en conséquence, lors d’une réunion tenue au Kremlin le 21 décembre 2021 et dont la teneur est toujours en ligne sur son site, Poutine a annoncé la suite, et qu’on l’a laissé faire deux mois durant alors que les troupes russes se massaient sur le Don et en Biélorussie.

    Certes on peut, après avoir dénoncé ces dernières décennies l’erreur qui consiste à ne pas tenter de se mettre dans la peau de l’adversaire, s’étonner que les Russes se sentent agressés, qu’ils abordent l’OTAN comme une machine de guerre et non une aimable ONG à but humanitaire, ou qu’ils refusent de voir que les États-Unis sont la puissance du Bien (À Global Force for Good, pour citer un petit clip de l’US Navy). Mais l’article de Harper’s rappelle fort à propos que depuis le Kosovo, la Libye ou la Syrie, notre discours n’est plus crédible. Et ce n’est pas ce que les communistes nommaient dans les années 1950 le revanchisme allemand, qui exsude depuis 18 mois de chacune des interventions de Mme von der Leyen au nom de l’UE, qui est susceptible de les faire changer d’avis. Qu’ils se méprennent sur nos intentions ou qu’ils cèdent au discours de propagande du Kremlin, c’est un fait et ça n’a rien à voir avec un sentiment d’humiliation. La stratégie commence alors par le choix des mots, et il faut prendre les Russes dans les rets de leur propre discours.

    Relire Staline

    La stratégie, ça reste également de la géographie, même à l’heure des espaces fluides, et la géographie c’est savoir lire une carte. On considère que la Russie est un pays à l’échelle d’un continent, mais ça, c’est pour les panneaux Vidal-Lablache accrochés aux classes de notre enfance. C’est une erreur de perspective de lui prêter une profondeur stratégique allant jusqu’à l’Oural et même au-delà, car la ligne ultime de repli n’a pas changé depuis 1812 ou 1941, elle est tracée par la diagonale Saint-Pétersbourg – Smolensk – Voronej – Rostov. Au-delà, la Russie n’existe plus comme puissance.

    C’est cette ligne que trace Staline fin juillet 1942, au lendemain de la chute de Rostov et de la poussée de Manstein vers la Volga et le Caucase, en signant le fameux Ordre n° 227, celui du slogan Plus un pas en arrière qu’a repris Poutine. Cette formule n’est pas un sursaut de vanité, mais une nécessité, et ce texte est un des rares qui décrit sur le moment la situation périlleuse dans laquelle se trouvent à cette date les Alliés sur le Don, dans l’Atlantique, aux portes du Caire ou dans le Pacifique. S’il est impossible de reculer davantage, motive la Stavka, c’est que non seulement nous sommes à un point de rupture au-delà duquel même l’industrie américaine ne pourra rattraper la situation, mais qu’en termes de territoire, c’est la Russie utile qui va disparaître.

    Si l’OTAN, déjà dans les États baltes, demain en Finlande, avance de nouveau après-demain dans le Donbass puis en Biélorussie, cette ligne de repli ultime devient une ligne de front, mettant Saint-Pétersbourg et Volgograd (Leningrad et Stalingrad) à une minute des missiles occidentaux. Le Don ne sera plus ce paisible fleuve intérieur de la littérature et du cinéma russes, mais une coupure d’eau qui marquera la frontière militaire. Or une des grandes obsessions des Russes depuis le XVIIIe siècle est d’avoir des marches stratégiques, de l’espace en-avant – en-arrière ne leur sert à pas grand-chose – indépendamment de l’annexion de territoires, et c’est aussi à cela que servait le Pacte de Varsovie : les perdre serait revenir trois siècles en arrière. Poutine ou pas, ils ne l’accepteront pas, et à leur place nous ne l’accepterions pas. Ne pas le comprendre et même le refuser, c’est prendre notre billet pour dix, vingt, trente ans de guerre. Or plutôt que de tenter d’anticiper la suite, l’après-défaite ou l’après-victoire, plutôt que de définir ce que seraient les conditions d’une victoire et raisonner stratégiquement, nous nous sommes laissés entrainer dans un délire eschatologique par incapacité voire refus de penser cette guerre.

    Le degré zéro de la pensée stratégique

    La guerre d’Ukraine est en ce sens le premier conflit du XXIe siècle, non pas parce que, anticipé comme un cyber-conflit, il se résout en rattenkrieg dans des caves inondées et des faubourgs en ruine, mais parce qu’il a pris la forme d’un conflit civilisationnel, les deux camps s’invectivant dans d’hystériques outrances. À la résurgence de la vieille antienne anti-occidentale de préservation d’une identité slave et au retour de la censure brejnévienne, répondent l’interdiction de solistes ou de sportifs, l’autodafé d’ouvrages coupables d’être les agents propagateurs de visées impériales – malheureux Pouchkine, pauvre Gogol ! – et l’accusation de vouloir détruire la liberté et la démocratie. Mais prêter à Poutine, qui cherche aujourd’hui son armée comme Soubise une lanterne à la main, et à ses généraux la folie d’avoir voulu conquérir et occuper un pays de 40 millions d’habitants avec 200 fois moins de soldats, et au-delà ses voisins jusqu’à la Place de la Concorde comme on s’en inquiète aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés, relève d’un ridicule dont on en est certain qu’il ne tuera jamais personne. Les gens du Kremlin sont assurément des fous furieux, certainement pas des débiles [2].

    C’est d’ailleurs étrangement cette absence de perspective d’une guerre de haute intensité qu’on lit dans la Loi de Programmation Militaire discutée actuellement au Parlement. On aurait pu parier à l’avance que, quelque soient le conflit, le lieu et les protagonistes, on nous resservirait le prêt-à-réchauffer d’un nouvel âge de la guerre avec du cyber, du spatial, et le concept fourre-tout d’hybridation. Loin de tirer une quelconque leçon tant de l’échec de Barkhane que du retex du Donbass, le texte ne sert qu’à justifier les choix de ces dernières années et l’apriorisme d’une conflictualité très hollywoodienne, réduisant le nombre de nos avions, de nos blindés et de nos frégates, de ce matériel que Kiev nous réclame à cor et à cri parce que la guerre, ça reste encore et pour longtemps une affaire d’avions, de blindés et de corps-à-corps, pas de drones ni de numérisation.

    De Munich à Munich

    La France est en outre à côté de la plaque par incapacité à prendre parti et à choisir le seul camp envisageable : le sien. Elle surjoue la solidarité atlantiste, faisant passer les revendications de tel de ses partenaires et les caprices de tel autre avant ses propres intérêts stratégiques [3]. Et après avoir défendu sa singularité d’autre puissance nucléaire européenne – que lui rappela Poutine quinze jours avant l’agression –, donc d’arbitre ultime en cas de montée aux extrêmes, elle l’a abdiquée lors de la réunion de février 2023 à Munich, une ville et un nom qui ne nous portent décidément pas chance.

    Mais quel intérêt avons-nous à cautionner la marche de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Moscovie ? Quel avenir la perspective d’une guerre pérenne réserve-t-il à la France, interlocuteur de la Russie depuis Tilsitt ? L’article de Harper’s susmentionné s’étonne que notre vieille nation millénaire assiste sans réagir et même accompagne le détricotage de décennies d’efforts diplomatiques et commerciaux, elle qui devrait parler en son nom et d’égale à égale avec la Russie plutôt que de servir de go-between – rôle qui, par absence de positionnement clair, a fini par lui échapper, puisqu’après avoir affirmé qu’elle ne laisserait ni la Turquie ni la Chine jouer ce rôle, elle vient de supplier cette dernière d’en endosser la tunique.

    L’article de Harper’s va même plus loin : comme dans cette scène d’un western de Sergio Leone où le héros explique à son acolyte qu’il y a d’un côté ceux qui ont un pistolet chargé et de l’autre ceux qui creusent, c’est à la France de négocier par-dessus ses partenaires européens sans mésuser de leur souveraineté qui, en l’absence de l’arme nucléaire, est très relative, comme l’est par exemple celle du Canada [4]. D’aucuns se récrieront puisqu’ils ne savent que crier, mais sans nous expliquer comment reprendre aux Russes leur victoire autrement qu’en précipitant l’Europe dans une nouvelle conflagration.

    Borodino

    Car si les hostilités cessaient maintenant, les Russes auraient gagné, à un prix humain, matériel et économique certes considérable – Poutine remplacera Pyrrhus dans le langage populaire – mais assumé. Car contrairement à nos analystes qui s’épuisent depuis plus d’un an à comptabiliser les morts et les chars pulvérisés, ils ne confondent pas tactique et stratégique. Lorsqu’à la fin des défilés sur la Place Rouge, l’orchestre s’avance vers la tribune pour entonner a capella un chant de la Seconde Guerre vantant, dans le refrain, l’esprit de Borodino de 1812, c’est que, victoire tactique pour nous, ce fut pour eux une victoire stratégique. Et en 2023, à défaut d’avoir réussi à s’avancer jusque tout le long du Dniepr du fait de leur échec à prendre Kharkov, ils ont tout de même atteint l’essentiel de leurs objectifs : sécurisation de la mer d’Azov, éloignement de la ligne de front du Don, rebond en avant en Biélorussie renucléarisée et sanctuarisation de l’oblast de Kaliningrad lui aussi nucléarisé, ce poignard au cœur de la Hanse, de la Baltique et de l’UE.

    Les Polonais sont inquiets, les Suédois tout autant, les États baltes cauchemardent sur le corridor de Suwalki, mais tous préfèrent soutenir les projets ukrainiens de reconquête de quelques positions au Donbass plutôt que de se concentrer sur le Festburg de l’antique Königsberg, bastion désormais imprenable d’où les missiles russes pourraient clouer au sol toute la défense européenne. Déconcertante inversion de priorité, à croire que plus personne ne sait lire une carte.

    Car il va falloir démilitariser Kaliningrad, ce qui est autrement plus important que de grappiller quelques villages sur la mer Noire. Ce sera une négociation globale, celle qu’appelaient les Russes fin 2021, dans laquelle les Ukrainiens, comme l’anticipe Harper’s, seront neutralisés, quelque soient leurs gains ou leurs pertes sur le terrain, et même à proportion de leurs gains ou de leurs pertes mis sur la table. Pourquoi dès lors s’obstiner dans ce qui apparaitra plus tard une Unnecessary war, pour reprendre un mot de Winston Churchill ?

    La fin de l’OTAN

    L’hypothèse que Poutine serait tombé dans un piège américain est peut-être exacte, mais c’est l’OTAN qui se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé. Il y a certes une puissance militaire russe à genoux, ce qu’Européens et Américains attendaient depuis 1949. Mais précisément ; à quoi sert désormais l’Alliance et son soutien actif voire participatif à cette guerre ? À valider des choix technologiques et un infocentrage de prothèses numériques dispersées, mais qui sont autant de failles et de portes d’entrée en cas de perte entre les mains de l’adversaire – il est bien tard pour s’en apercevoir et dégrader en catastrophe le matériel livré, comme les chars Abrams ? À risquer de voir nos Wunderwaffe se ridiculiser aussi pitoyablement que les T-72 ex-soviétiques au printemps 2022 ? L’Ukraine n’a pas droit à l’erreur, l’Alliance atlantique ne lui pardonnerait pas. Et quand bien même parviendrait-elle à repousser les Russes sur leur ligne de repli, allons-nous parfaire sa victoire éphémère en l’intégrant dans l’OTAN et en installant nos bases à la frontière russe ?

    Rien n’est plus contraire à la tradition américaine que de se lier irrévocablement, c’est pourquoi l’article 5 du Traité de 1949, qui n’a pu être accepté par le Sénat américain qu’au prix du vote d’une résolution dite Vandenberg, est optionnel et facultatif. Du temps de la guerre froide, la bataille de l’avant permettait d’échanger de l’espace contre du temps. Cette marge de manœuvre disparaîtra si l’OTAN est au contact de la Russie, et sans même évoquer une nouvelle poussée vers l’ouest des armées russes une fois refaites, une méprise ou un incident – comme il y en a déjà eu par le passé – et la nécessité cette fois-ci d’arbitrer en quelques minutes voire quelques dizaines de secondes, nous placeront dans une situation de risque extrême.

    L’hubris des Américains, cette pulsion qui les pousse à ne pas savoir s’arrêter ni jamais s’empêcher, pour reprendre la définition de Camus, les entraîne bien trop loin, tout à la fois par aveuglement sur leur puissance que par incapacité à la dialectiser. La réponse de ChatGPT – ce pur produit de la modélisation managériale américaine – citée en début d’article est d’ailleurs la même que la question soit : « peut-on gagner cette guerre ? », ou : « faut-il la gagner ? ». Face au risque d’Armageddon, les États-Unis pourront toujours abandonner le jour venu l’Europe à son sort, comme ils l’ont fait du Viêt Nam ou de l’Afghanistan, ce que l’article 5 leur permet sans déroger pour autant et ce qui était, faut-il le rappeler, l’hypothèse du général de Gaulle.

    Pour prévenir cette nouvelle débandade, la constitution d’un glacis stratégique entre l’OTAN et la Russie couvrant la Finlande, les États baltes, Kaliningrad, la Biélorussie et l’Ukraine relève non seulement du bon sens, mais de l’intérêt bien compris de tous, Européens, Russes et Américains. Nous allons devoir en décider au prochain sommet de l’OTAN à Vilnius, le 11 juillet 2023 : intégrer l’Ukraine en guerre n’apportera aucune sécurité, y compris à celle-ci, et nous ramènerait à l’époque d’un continent en guerre permanente.

    La victoire des neocons

    Mais, après tout, peut-être n’est-ce que le but recherché. Il n’est qu’à lire la jubilation de la presse américaine au spectacle d’une Vieille Europe replongeant dans les affres de la conflictualité pour mesurer la défaite historique et philosophique que constitue cette guerre – et que le nom de Poutine soit maudit rien que pour cela. Les sarcasmes contre une Europe kantienne reproduisent, au mot près, les anathèmes lus et entendus il y a vingt ans au moment de l’invasion de l’Irak et de notre réticence à y contribuer.

    Ce retour du discours hobbesien sur la naturalité de la guerre vue comme un tropisme immémorial – il guerre comme il pleut ou il neige – abolit la distinction entre violence et guerre et nous détourne de Rousseau et Clausewitz qui nous ont enseigné que la guerre est un choc de volontés, un acte politique de socialisation d’une violence sans doute primitive, mais qui n’était pas la guerre. Le projet européen, qui s’oppose en cela au naturalisme américain, serait définitivement invalidé sans que l’on comprenne pourquoi Bakhmout en 2023 serait davantage un identifiant de cet échec que Srebrenica en 1995.

    Un quarteron d’intellectuels en errance, se piquant d’historicité [5], s’est fait depuis seize mois l’ardent propagandiste de cette idéologie d’importation, annonçant la fin d’une Fin de l’Histoire à laquelle ils ont été les seuls à croire par incompréhension pour les uns, lecture biaisée ou incomprise de Fukuyama pour les autres. « Voici venu le temps de préparer la guerre qui vient pour retenir la paix qui s’en va », a ainsi pu écrire récemment l’un d’entre eux, comme si les aphorismes qui se veulent pascaliens pouvaient être laissés à la discrétion de ChatGPT. Les cicatrices que laissera cette nouvelle rétrogression de la civilisation européenne sont d’ores et déjà profondes. Unmitigated defeat, aurait pu encore dire Churchill. Disons plutôt : un naufrage.

    Jean-Philippe Immarigeon (Site de la revue Conflits, 28 mai 2023)

     

    Notes

    [1] Benjamin Schwarz & Christopher Layne, « Why are we in Ukraine ? On the dangers of American hubris », Harper’s Magazine, mis en ligne le 15 mai 2023, en version papier datée du 7 juin 2023, pp. 23-35.

    [2] « Far from expressing any ambition to conquer, occupy, and annex Ukraine (an impossible goal for the 190,000 troops that Russia eventually deployed in its initial attack on the country), all of Moscow’s demarches and demands during the run-up to the invasion made clear that “the key to everything is the guarantee that NATO will not expand eastward,” as Foreign Minister Sergey Lavrov put it in a press conference on January 14, 2022. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [3] « Il faut, diront certains, montrer notre solidarité avec nos partenaires. La question centrale sera alors évitée : les intérêts de ces partenaires et les nôtres sont-ils identiques ? […] Il se trouvera toujours des stratégistes pour argumenter – parfois brillamment – en faveur de cette tétanie volontaire, en opposant généralement la nécessité de respecter des valeurs et des principes pour éviter de procéder à une analyse sans concession de ce que sont les intérêts réels dans un contexte stratégique mouvant. Ce fixisme stratégique entraînera généralement une paralysie diplomatique – qui finit par se payer très cher une fois l’écart devenu insupportable, car trop visible, entre effort opérationnel et rendement stratégique. » Olivier Zajec, « Penser la stratégie. Une guerre dépolitisée est une guerre perdue d’avance », DSI, 11 mars 2022.

    [4] « Such a system would in fundamental aspects resemble a modern Concert of Europe, in which the dominant states of the E.U., on the one hand, and Russia, on the other, acknowledge each other’s security interests, including their respective spheres of influence. In practice, this would mean, for example, that the Baltic states and Poland would enjoy the same large, but ultimately circumscribed, degree of sovereignty as, say, Canada does. It would also mean that, while Paris and Berlin won’t find Moscow’s internal arrangements to their taste, they will resume economic and trade relations with Russia and build on myriad other areas of common interest. » Schwarz & Layne, op. cit.

    [5] « Ce discours de la guerre perpétuelle n’est pas seulement l’invention triste de quelques intellectuels longtemps tenus en lisière, joint à un savoir qui est parfois celui d’aristocrates à la dérive ; ce discours exclusivement historico-politique par opposition au discours philosophico-juridique est un discours sombrement critique, mais aussi intensément mythique. C’est celui des amertumes, celui des plus fous espoirs. Il est donc étranger, par ses éléments fondamentaux, à la grande tradition des discours philosophico-juridiques. Pour les philosophes et les juristes, il est le discours extérieur, étranger. C’est le discours, forcément disqualifié, que l’on peut et que l’on doit tenir à l’écart parce qu’il faut, comme un préalable, l’annuler pour que puisse commencer, comme Loi, le discours juste et vrai. » Michel Foucault « Il faut sauver la société », Cours au Collège de France, 1975-19

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  • Conduire la guerre...

    Les éditions Perrin viennent de publier un ouvrage en forme de dialogue entre Jean Lopez et Benoist Bihan intitulé Conduire la guerre - Entretiens sur l'art opératif.

    Historien militaire, Jean Lopez dirige le bimensuel Guerres et Histoire est en particulier l'auteur, avec Lasha Otkhmezuri, du formidable Barbarossa - 1941 - La guerre absolue (Passés composés, 2019). Historien militaire et chercheur en études stratégiques au profit des Armées, Benoist Bihan a déjà publié La guerre : la penser et la faire (Jean-Cyrille Godefroy, 2020).

     

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    " Pourquoi, tout au long des siècles, les généraux ont-ils remporté tant de victoires qui n'amenaient pas la fin du conflit ? Pourquoi le sang versé servait-il si peu les objectifs assignés par le pouvoir à ses armées ? Pourquoi, pour prendre un exemple entre mille, les meilleures armées du monde ont-elles été réduites, entre 1914 et 1918, à un face-à-face aussi désespérant que stérile dans la boue des tranchées ? Conduire la guerre livre les clés de cette impasse et montre qu'un grand penseur soviétique oublié, Alexandre Svetchine, a montré la voie pour en sortir.
    Jean Lopez amène Benoist Bihan à exposer sa pensée sur ce digne héritier de Clausewitz, sa vie, sa pensée et son oeuvre, réflexion mûrie depuis quinze ans et nourrie d'une formidable érudition. Chemin faisant, les deux complices nous offrent une promenade à travers vingt-cinq siècles de conflits. Ils revisitent les batailles dites décisives et l'action de ceux qu'on a présentés comme de grands capitaines. L'ouvrage ne se contente pas d'être historique et critique. En décortiquant l’œuvre de Svetchine, il expose la solution – l'art opératif – pour que les combats deviennent pleinement utiles à la stratégie et s'harmonisent avec la tactique. Original dans son approche, puissant par ses arguments, plaisant à lire de par sa forme dialoguée, cet ouvrage est totalement original et devrait marquer la pensée militaire d'une pierre blanche.
    L’objectif ? Rien moins que le renouvellement de la pensée stratégique, un domaine apprécié du grand public mais qu’il fallait dépoussiérer et mettre à la portée de tous en trouvant le bon équilibre entre théorie et Histoire. "

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  • Quand notre société préfère les victimes aux héros vainqueurs...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque notre époque qui se caractérise par son cultes des victimes et des mémoires souffrantes. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et dernièrement Ernst Jünger entre les dieux et les titans (Via Romana, 2020) ainsi que La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    Alain de Benoist : « Les seuls héros qu’on admire aujourd’hui sont ceux qui se font tuer… »

    Naguère, le héros, le combattant, le sage et le saint étaient admirés et donnés en exemple. Aujourd’hui, les victimes semblent avoir pris leur place. Comme expliquer une telle mutation symbolique ?

    Deux causes fondamentales : le discrédit des valeurs héroïques, la montée de l’idéologie victimaire, lacrymale et exhibitionniste.

    Il est clair que les valeurs héroïques sont aujourd’hui perçues comme des valeurs d’une époque que l’idéologie dominante, avant tout hédoniste, individualiste et utilitariste, s’emploie à présenter de façon répulsive. Comme tout ce qui touche à la patrie, elles sont décrétées « ringardes », c’est-à-dire à la fois vieillottes et obsolètes. On admire à la rigueur les héros qui se sont fait tuer (le colonel Beltrame, les soldats français tombés au Sahel), car leur mort a fait d’eux des victimes, mais on se méfie des héros vainqueurs. Trop guerriers dans une époque qui rêve de paix universelle, trop virils à l’époque de la « masculinité toxique » (le « repos du guerrier » ayant déjà été mis hors-la-loi par les pétroleuses du mitou).

    Parallèlement, la sensibilité s’efface, mais la sensiblerie ne cesse de s’étendre. Il y a moins d’un siècle (en France, cette disposition n’a été abolie qu’en juin 1939), les exécutions capitales se faisaient en public, et les parents emmenaient volontiers leurs enfants y assister en raison des vertus “éducatives” du spectacle. Aujourd’hui, la vue d’un pigeon mort traumatise les shampouineuses et les bobos.

    La « lutte-contre-toutes-les discriminations » relève elle aussi de l’idéologie victimaire. Le philosophe Denis Collin y voit à juste titre « un mot d’ordre creux qui sert à passer en contrebande de la camelote frelatée pour le plus grand bénéfice des classes dominantes ». Le tour de passe-passe consiste à confondre discrimination et injustice. Or, il y a des discriminations qui sont parfaitement justes : il est normal, par exemple, qu’un citoyen bénéficie de prérogatives qui ne sont pas accordées aux non-citoyens. Inversement, il y a des injustices qui n’impliquent aucune discrimination de race ou de sexe : les inégalités sociales ne procèdent pas de la discrimination, mais de l’exploitation du travail vivant par un système capitaliste peu regardant sur la source de la plus-value. L’aspiration au « safe place », en « non-mixité sans hommes cis-hétéro et sans personnes blanches », est l’ultime souhait des néoféministes et des indigénistes pour éviter les discriminations. L’idée, importée des États-Unis, est qu’il faut soustraire les victimes potentielles à tout contact avec les méchants aux intentions « pas claires ». On est loin du temps des héros !

    Désormais, dans tel ou tel conflit, au lieu d’analyser les motifs des belligérants, le poids de l’histoire et de la géographie, nos préférences paraissent réservées aux « agressés », négligeant le fait que l’« agresseur » puisse aussi avoir ses raisons. De plus, la compassion est également parfois à géométrie variable, selon la nature de l’agresseur ou de l’agressé. Une nouvelle étape dans le recul du politique ?

    Notons d’abord que la compassion est un sentiment, pas une vertu. Elle « peut devenir vertu, écrit Pierre Manent, si elle est guidée par ces vertus que sont le courage, la justice et la prudence. Sans cette éducation, elle fait plus de mal que de bien ».

    La guerre, comme l’a dit Clausewitz, n’est que la politique poursuivie par d’autres moyens. Or, en politique, il y a aussi des amis et des ennemis. Mais cette distinction n’est pas un critère moral. On savait bien autrefois que dans une guerre, chacun peut avoir ses raisons et que les débordements qu’elle engendre ne sont l’exclusivité d’aucun camp. Le respect du « juste ennemi » (justus hostis) était même le fondement de l’ancien droit des gens. Aujourd’hui, l’interprétation de la guerre est devenue manichéenne : elle est censée relever d’une morale juridique qui s’impose aussi au politique. La « juste cause » (justa causa) a remplacé le « juste ennemi », l’ennemi n’est plus une simple figure de l’adversité, mais l’incarnation du Mal. Les « agressés », comme les victimes, se situent nécessairement du côté du Bien. Bien sûr, comme vous l’avez observé, cette approche ne va pas sans partialité. Quand les victimes sont du côté des « agresseurs », on parle de crimes contre l’humanité ; quand elles sont du côté des agressés, ce sont des « dommages collatéraux ».

    Très logiquement, ce phénomène débouche sur ce que l’on appelle la « compétition victimaire », laquelle se déroule généralement en invoquant la « mémoire ». N’y a-t-il pas dans cette dérive quelque chose de malsain, sinon d’obscène ?

    Ah, la mémoire ! La mémoire de l’esclavage et la mémoire du génocide vendéen, la mémoire des camps, la mémoire des anciens jours, la mémoire des dieux et des héros. Vous observerez d’abord que cette mémoire est toujours subjective, raison pour laquelle elle se distingue fondamentalement de l’histoire, qui vise au contraire à l’objectivité. Tout naturellement, celui qui a beaucoup souffert a tendance à penser que personne ne peut avoir souffert autant que lui. Mais le statut de victime peut aussi s’avérer éminemment rentable : non seulement on est plaint, mais ça rapporte. Il suffit de susciter un sentiment de « culpabilité », d’en appeler à la « repentance » et de demander des « réparations ». Certains lobbies se sont spécialisés dans cette industrie, tels ces mouvements indigénistes qui prétendent parler au nom des « afro-descendants ». La société ne se compose plus de sujets-citoyens mais de victimes qui, tous à qui mieux mieux, demandent réparation pour des dommages souvent imaginaires, et exigent que ceux qui ne pensent pas comme eux soient envoyés devant les tribunaux.

    La mémoire a ses mérites, mais elle peut aussi être encombrante, sinon paralysante. Sans tomber dans l’amnésie volontaire, il faut parfois se décharger l’esprit pour retrouver une certaine « innocence ». Nietzsche faisait de la « plus longue mémoire » le trait caractéristique de l’homme de l’avenir, qui était pour lui le pire des hommes. Il ne conviait pas à cultiver la mémoire, mais la volonté d’agir. « On ne ramène pas les Grecs, mais on peut s’en inspirer », disait-il encore. Heidegger dira après lui à peu près la même chose : il ne faut pas chercher à répéter le passé, et encore moins vouloir s’y réfugier, mais s’inspirer de ceux qui dans le passé ont su créer une culture nouvelle pour apprendre, à leur exemple, à œuvrer en vue d’un nouveau commencement.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 8 janvier 2021)

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  • Comment on formate un peuple...

    Le nouveau numéro de la revue Réfléchir & agir (n°67 - Automne 2020) est disponible en kiosque. Le dossier est consacré aux méthodes d'ingénierie sociale utilisée pour contrôler les peuples...

     

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    Au sommaire :

    Tour d'horizon

    Antipasti

    Jean Raspail, par Monique et Eric Delcroix

    DOSSIER 

    Comment on formate un peuple

    La mémétique ou comment pénétrer le cerveau humain, par Lucien Cerise

    La novlangue : un véhicule identitaire totalitaire, par Klaas Malan

    La publicité, entre idéologie du métissage et révolution arc-en-ciel , par Eugène Krampon

    L’IB, l'école de l'hyperclasse, par Klaas Malan

    La guerre des représentations, par Eugène Krampon

    La fabrique du consentement, par Jacques Riquen

    Grand entretien

    Yvan Benedetti

    Réflexion

    L'agrarisme völkisch de Walther Darré, par Thierry Durolle

    Hommage

    Ce que Saint-Loup m'a apporté, par Bruno Favrit

    Histoire

    Stay-behind, les réseaux secrets de l'OTAN, par Édouard Rix

    Littérature

    Flamberge au vent, par Michel Marmin

    Un livre est un fusil

    Carl von Clausewitz - De la guerre, par Klaas Malan

    Notes de lecture

    Les crimes du mois

    Dessin animé

    Sidonia, par Scipion de Salm

    Disques

     

     

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  • Stratégies militaires contemporaines...

    Les éditions Ellipses viennent de publier un manuel de David Cumin intitulé Stratégies militaires contemporaines. Maître de conférence en droit public et en sciences politiques à l'université Lyon III, David Cumin est un spécialiste de l’œuvre de Carl Schmitt et est l'auteur de Carl Schmitt - Biographie intellectuelle et politique (Cerf, 2005), d'une Histoire de la guerre (Ellipse, 2014) ainsi que d'un traité en trois volume, Le droit de la guerre (L'Harmattan, 2015).

     

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    " Le présent ouvrage offre un tour d’horizon comparatif des stratégies militaires contemporaines. Après avoir relaté l’évolution du concept de stratégie, il en retient l’acception militaire. Puis il rappelle la réflexion du maître de la pensée militaire : Clausewitz. Sur le fil conducteur clausewitzien, sont analysées, d’une part, les stratégies classiques (aéroterrestres), en retrait relatif, d’autre part, les stratégies nucléaires, les stratégies navales et aériennes, les stratégies subversives et contre-subversives (la guerre irrégulière et la contre-guerre irrégulière), les plus pratiquées depuis le second XXème siècle. Le champ des stratégies militaires s’en trouve systématisé et clarifié, étayé enfin par les principales références bibliographiques en langue française au XXIème siècle. On lit ainsi un manuel théorique général, didactique, en la matière. "

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  • Tour d'horizon... (186)

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    Cette semaine, on s'éloigne de l'actualité et on prend un peu de champ.

    Au sommaire :

    - dans la Revue d'Allemagne, un article d'Olivier Agard consacré à Arnold Gehlen, qui permettra de découvrir une facette de l'auteur de L'Homme - Sa nature et sa position dans le monde, essai dont la publication en français a été repoussée de quelques mois pour cause de crise sanitaire...

    Arnold Gehlen et les mutations du conservatisme en RFA

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    - dans la revue Stratégique, un article du politologue allemand Günter Maschke consacré à Clausewitz..

    La guerre, instrument ou expression de la politique. Remarques à propos de Clausewitz

    Maschke_Clausewitz.jpg

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