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capitalisme - Page 3

  • Sommes-nous toujours dans un régime capitaliste ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Guillaume Travers, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré au triomphe de l'idéologie marchande.

    Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et a déjà publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), un petit essai de réfutation des thèses de l'économiste Thomas Piketty, ainsi que Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020), Capitalisme moderne et société de marché (La Nouvelle Librairie, 2020) et Corporations et corporatisme (La Nouvelle Librairie, 2021).

    Capitalisme_Rapport marchand au monde.jpg

    Sommes-nous toujours dans un régime capitaliste ?

    Il y a des raisons d’en douter : dans l’immense majorité des pays, en Europe mais pas uniquement, les dépenses publiques représentent autour de 50 % de la production nationale (PIB), un taux qui n’a aucun précédent dans l’histoire (on estime ce taux autour de 10 % au moment de la Révolution française) ; le volume des codes, normes, et réglementations diverses a connu une inflation considérable dans quasiment tous les domaines ; depuis la crise financière de 2008-2009, les banques centrales ont racheté des trillions d’euros d’actifs divers, de sorte que les prix sur les marchés financiers sont aujourd’hui assimilables à des prix administrés ; avec la crise de la Covid-19, les gouvernements ont pris en charge des pans entiers de l’économie, arrosant les entreprises d’aides diverses, payant les salaires des travailleurs mis au chômage forcé ; enfin, dans le monde, on assiste à un regain de protectionnisme et de nationalisations sur fond d’oppositions géopolitiques. Que reste-t-il du marché libre, du capitalisme dans tout cela ?

    Le rapport marchand au monde

    L’idée selon laquelle la montée en puissance des États et autres institutions publiques (banques centrales, etc.) marquerait la fin du capitalisme repose sur l’hypothèse que ces institutions obéiraient par nature à une logique non marchande. Le champ des interactions économiques s’organiserait donc selon une polarité État/marché, de sorte que toute croissance de l’État se ferait au détriment du marché. Dans cette perspective, le capitalisme serait défini avant tout par ses institutions matérielles, c’est-à-dire par le fait que les biens, services ou titres financiers, circulent directement entre individus (sur le « marché libre ») ou via la médiation de l’État. Dans les grandes lignes, cette vision est celle qui aujourd’hui domine le débat public.

    Dans les pages qui suivent, la perspective que nous adoptons pour comprendre le capitalisme est tout autre. À nos yeux, suivant la terminologie de Max Weber ou de Werner Sombart, le capitalisme est avant tout un « esprit », une manière pour l’homme de voir le monde : le capitalisme est avant tout considéré comme l’âge historique (qui s’ouvre au XVIIIe siècle et s’accentue depuis lors) au cours duquel toute chose dans le monde vient à être considérée comme une marchandise, comme des biens disponibles pour satisfaire des besoins individuels, pour être consommés. C’est ainsi que, au cours des trois derniers siècles, de nombreux biens qui échappaient à l’échange marchand y ont progressivement été soumis : on a commencé à acheter et vendre la terre, puis les charges de noblesse, puis la force de travail, pour finir aujourd’hui avec la vente d’organes et location du ventre des femmes (via la gestation pour autrui). Dans cette perspective, le marché n’est donc pas tant une institution matérielle, un mode concret de circulation des biens, qu’un rapport au monde. La mentalité capitaliste est celle qui, vis-à-vis de toute chose – une tradition séculaire, un paysage naturel, etc. – se demande constamment où est son plaisir personnel, son profit immédiat. Tant les biens que les rapports entre individus ne valent donc que pour leur utilité, pour leur valeur monétaire.

    Dans cette perspective, l’opposition État/marché devient relativement secondaire. En effet, un rapport marchand au monde peut bien sûr être le fait des individus et des entreprises privées, mais il peut aussi bien être entretenu par l’État lui-même. Il y a plus encore : quand l’esprit capitaliste devient dominant, il y a de grandes chances pour que l’État lui-même devienne une entreprise capitaliste presque comme les autres. Ses décisions ne seront plus motivées avant tout par des valeurs extra-économiques (rayonnement culturel d’un peuple, approfondissement de ses particularités civilisationnelles, etc.), mais par les seules valeurs marchandes. En un mot : le principal objectif politique, la première jauge pour mesurer le succès ou l’échec d’un gouvernement, sera le taux de croissance de l’économie ou des indicateurs similaires. Ce thème peut être décliné à l’infini. Les politiques sociales, par exemple, ne viseront pas à donner un statut aux plus démunis, à les intégrer dans un corps collectif, mais seulement à s’assurer que nul ne soit exclu de la société de consommation. Le pauvre doit être un consommateur comme les autres ! Les interventions des banques centrales, quand bien même elles perturbent la formation des prix « libres » sur les marchés financiers, ne visent rien d’autre qu’à fluidifier ces marchés, à leur permettre de tourner à plein régime pour qu’il y ait davantage de crédit, une hausse des valorisations boursières…

    Quant aux débats publics sur le rôle de l’État, ils ne visent pas à déterminer quelles sont les fins d’intérêt commun qui doivent être soustraites à l’empire du marché. Ils ont le plus souvent pour objectif de calculer le ratio coûts/bénéfices des activités publiques, de manière à progressivement éliminer toutes celles qui ne sont pas « rentables ». Les églises et les châteaux coûtent trop cher à entretenir ? Laissons-les se dégrader en silence. Les forêts ne sont pas assez rentables ? Privatisons-les. Notre propos n’est évidemment pas de dire que l’État doit être une grosse machine dont toute considération d’efficacité doit être exclue. Mais les considérations d’efficacité doivent porter sur les moyens, non sur les fins. Il faut s’interroger sur les meilleurs moyens de protéger le patrimoine naturel et culturel, déterminer si tel ou tel outil au service de cette fin est efficace ou pas. Mais c’est une chose bien différente de savoir si la fin elle-même – la protection du patrimoine – est une « bonne affaire » ou non. La détermination des fins de l’action publique doit échapper aux considérations marchandes. Et c’est précisément quand elle ne peut plus y échapper que l’État devient un acteur capitaliste presque comme les autres.

    Une telle vision des choses nous semble permettre une compréhension plus juste de la situation actuelle que les spéculations sur la « sortie du capitalisme ». Où que l’on regarde, on ne voit certes pas toujours de marché « libre », au sens de Ludwig von Mises, de Friedrich von Hayek ou de Milton Friedman, mais on voit des valeurs capitalistes : la quasi-totalité des décisions publiques qui sont adoptées, quand bien même elles sont très intrusives dans l’économie, le sont au nom de la « croissance », de la « relance de la consommation », de l’« efficacité », de la « flexibilité », etc. Nous sommes donc en plein dans le capitalisme, mais un capitalisme qui se passe de plus en plus de l’institution du marché libre. Rétrospectivement, ce dernier n’apparaîtra peut-être que comme un trait contingent du capitalisme, non comme sa caractéristique fondamentale.

    Quelques leçons historiques

    Nous pouvons même aller plus loin. Historiquement, on sait que la croissance de l’État et celle du marché sont allées de pair. Pour lever davantage d’impôts, les États modernes ont dû fiscaliser toute forme d’échange. Ce qui faisait obstacle à ces échanges (douanes intérieures au Moyen Âge, etc.) a dû être supprimé : ce sont les États qui, au sein de leurs frontières, ont forcé la création de marchés intérieurs à l’orée de l’époque moderne. Ce sont encore les États qui, pour fiscaliser les échanges, ont dû s’efforcer de les faire passer de l’économie informelle (troc donc et contre-don, solidarités communautaires diverses, etc.) vers l’économie monétaire. Plus généralement, pour prendre de l’ampleur, les États – dont la France est ici l’exemple le plus parlant – ont dû briser les attaches communautaires, régionales, faire table rase de tout ce qui séparait les individus et l’État. Il a été maintes fois montré, par exemple par Alain de Benoist, que l’anthropologie qui sous-tend le libéralisme est très proche de celle qui justifie la centralisation étatique : dans les deux cas, il s’agit d’extraire l’individu de ses appartenances concrètes, pour que rien ne s’interpose plus, soit entre l’atome humain et l’État, soit entre les atomes humains les uns vis-à-vis des autres. Depuis son bureau de Manhattan, le président d’une multinationale voit le monde à partir de statistiques abstraites portant sur des millions de consommateurs indifférenciés. Le ministre-technocrate d’un État moderne a les mêmes statistiques abstraites, les mêmes chiffres, les mêmes taux de croissance, pour le guider.

    Une fois ces fondements posés, il est aisé de voir que l’idée selon laquelle l’État est assimilable à une entreprise n’est pas nouvelle – quand bien même cette histoire reste largement à écrire. Dès la naissance du mercantilisme aux XVIe et XVIIe siècles, les États ont été considérés par un nombre croissant d’auteurs comme des domaines qu’il fallait administrer pour en maximiser la valeur. Parmi d’autres, l’histoire des diverses Compagnies des Indes est là pour témoigner de l’imbrication étroite entre intérêts politiques et grand commerce privé. La conception économique de l’État se couplait alors à beaucoup d’autres, qui faisaient primer la puissance politique ou le rayonnement culturel. Le germe était néanmoins dans le fruit ; et la pensée de l’État comme acteur économique, comme entrepreneur, comme grand facilitateur des processus de production et de consommation n’a fait que gagner en ampleur. À un stade avancé dans le déploiement de l’idéologie marchande, il est probablement inévitable que l’État lui-même devienne un pur acteur marchand : pour liquider ce qui reste d’entraves aux intérêts capitalistes (valeurs traditionnelles, institutions fondées sur le don, etc.), utiliser la puissance « publique » devient nécessaire. Autrefois, le politique absorbait des ressources pour les consommer, cela faisait le rayonnement des peuples : c’est ainsi qu’ont été gagnées des terres, construits des palais et financés des artistes. Aujourd’hui, l’État fait consommer. On exagère à peine en disant que sa principale préoccupation est que chacun ait son téléphone, son écran de télévision, son supermarché et un fast food à moins de dix minutes. Tout ce qu’il pourrait dépenser à des fins proprement politiques, culturelles, civilisationnelles est scruté d’un œil suspicieux. Rénover Notre-Dame de Paris partie en flammes semble coûter une fortune, alors que sauver périodiquement le système bancaire ne soulève guère d’objections.

    États marchands contre États politiques

    La transformation des États en entreprises capitalistes ne touche cependant pas de manière égale tous les pays de la planète. La tendance est la plus vive en Europe, en raison notamment de l’influence exercée par l’Union européenne dans le démantèlement de tout ce qui reste d’institutions non marchandes. En revanche, dès que l’on élargit le regard vers d’autres aires continentales, on s’aperçoit vite que tous les États n’entretiennent pas un rapport purement marchand au monde. Les exemples sautent aux yeux de pays (Russie, Chine, Turquie, etc.) qui démontrent qu’ils sont portés par une solide conscience historique, civilisationnelle.

    Plus que dans l’intervention croissante des États dans le fonctionnement de l’économie, c’est dans la formation de blocs géopolitiques, dans la renaissance de nations anciennes que nous voyons peut-être poindre la fin du capitalisme. L’Europe est malheureusement la grande absente de ce processus. Un exemple : la France privatise ses forêts, pas assez rentables, quand la Chine rachète les terres agricoles européennes. Que nous restera-t-il quand nous aurons tout vendu ?

    Guillaume Travers (Institut Iliade, 2 juillet 2021)

     

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  • Le juteux business de la lutte contre les discriminations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Benjamin Sire, cueilli sur le Figaro Vox et consacré aux relations intéressées entre capitalisme et lutte contre les discriminations... Musicien, dramaturge et journaliste, .Benjamin Sire est également un des animateurs du Printemps républicain.

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    Assa Traoré partenaire de Louboutin: «Le juteux business de la lutte contre les discriminations»

    En ce 17 juin 2021, partout, les masques tombent. Pas seulement ceux censés nous prémunir contre la pandémie de Covid, et que nous portons de manière discontinue depuis plus d'un an, mais également ceux qui entourent le juteux petit business de la lutte contre les discriminations, porté par de gentilles et inclusives businesswomen, qui seraient bien en peine de voir le motif de leurs affaires disparaître.

    Ainsi, pour prospérer dans l'antiracisme, il est nécessaire de voir le racisme perdurer, mais également de le débusquer là où il ne se trouve pas et d'assigner les personnes autoproclamées «racisées» à résidence identitaire, faisant de leur couleur de peau une sorte d'état civil. Il en est de même dans la lutte contre le sexisme ou contre l'homophobie et l'ensemble des atteintes visant des catégories déterminées.

    Ainsi, qu'elle ne fut pas, hier, la surprise de nombreuses et candides bonnes âmes de la gauche en apprenant, via nos confrères de Marianne, qu'Assa Traoré, dont le combat pour rétablir sa vérité, davantage que la vérité, concernant la mort de son frère Adama, survenue lors d'une arrestation mouvementée, venait de signer un partenariat avec la marque de chaussures de luxe Louboutin. Rappelons que l'entreprise française est aujourd'hui valorisée au-delà des 2 milliards d'euros, depuis l'entrée de la famille Agnelli dans son capital, via sa holding Exor, en début d'année.

    Bien entendu, notre pasionaria, en lutte contre le racisme d'État et les violences policières, précise que les fruits de cette collusion baroque avec un mastodonte capitaliste, désormais allié à un groupe rarement célébré pour son souci de la justice sociale, seront intégralement versés à des associations de lutte «contre les violences policières, le racisme, la discrimination», comme le rappelle Marianne. Dont acte. Ce serait donc maintenant les multinationales qui porteraient haut et fort le combat contre les discriminations, sans aucune arrière-pensée commerciale, comme on peut bien l'imaginer. Parfait. On attend néanmoins de voir les représentants de Nike, BMW, ou encore Mastercard, brandir leurs pancartes contre les inégalités sociales et le capitalisme dans un cortège du NPA, ainsi la boucle serait bouclée. Nous y reviendrons.

    Cette manœuvre de rapprochement entre le marketing, l'appât du gain et les combats identitaires n'est pas nouvelle, mais franchit chaque jour de cocasses pas supplémentaires. On ne résiste pas au plaisir de rappeler les mésaventures de Patrisse Cullors, cofondatrice de Black Lives Matter, portant son marxisme en bandoulière comme d'autres un sac Louis Vuitton, récemment épinglée pour s'être offert une maison de luxe dans un quartier résidentiel blanc de Los Angeles, lui permettant de fuir le voisinage de ses frères et sœurs de couleur. Dans le même registre on pense inévitablement à la chanteuse Yseult, à la pointe des combats mentionnés plus haut, menés depuis son nouvel exil fiscal belge, qui, mécontente d'un portrait brossé par le quotidien Le Monde , a fait republier le papier, transformé en véritable publirédactionnel, par un média ami, avant de lancer une campagne de harcèlement numérique contre la pauvre journaliste Jane Roussel, auteur de l'article. Il faut dire que le papier incriminé ne manquait pas de mettre en exergue la fascination de la diva pour le business, son ego surdimensionné, et sa manière peu amène de considérer ses interlocuteurs.

    Toujours dans le même esprit, nous convoquerons aussi ici la délicieuse Camélia Jordana, qui nous parlait il y a peu «des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau», dont le sens du timing frôle la perfection, chacune de ses saillies militantes correspondant aux périodes où elle doit promouvoir un film ou un disque, quand ce n'est pas les deux à la fois. Rappelons néanmoins que notre damnée de la terre en lutte contre toutes les injustices ignore totalement à la fois le racisme, qu'elle n'a jamais subi, tout autant que les cités, dont sa bourgeoise origine lui a fait éviter la fréquentation.

    Peut être également fait mention de l'inénarrable Rokhaya Diallo, fashion victim élevée au grain de l'International Visitor leadership américain, dont la dénonciation du racisme et de la domination blanche au gré de sorties parfois baroques, lui permet d'assurer un joli train de vie grâce à sa présence continue sur les radios et télévisions de l'état raciste français, où elle dispense quotidiennement sa parole comme le plus parfait des dominants qu'elle dénonce. Il en est de même de bien de ses camarades entretenus par la méchante fonction publique française où, depuis leurs chaires universitaires en sociologie ou études de genres, ils peuvent diffuser à foison leur haine de leur pays. On ne se refait pas. Tous les combats sont bons, surtout quand ils font fructifier la notoriété et accessoirement le portefeuille.

    Mais tout cela est presque bon enfant au regard des activités de la papesse du mélange des genres que représente la militante «féministe» Caroline de Haas. L'ancienne secrétaire générale de l'UNEF (de 2006 à 2009), peu soucieuse à cette époque des affaires de harcèlement sexuel qui secouaient le syndicat étudiant de gauche, s'est lancée à corps perdu dans le business de la lutte contre les violences sexistes. Après avoir participé à la fondation de l'association Osez le féminisme, dont les combats à géométrie variable ne laissent de surprendre, elle a lancé en 2018 le collectif #NousToutes, lui-même centré sur les mêmes sujets, avant de franchir le pas entrepreneurial avec la création de la société Egaé, dont les activités et méthodes douteuses ont été dénoncées la semaine dernière dans une enquête d'Eugénie Bastié pour Le Figaro , également détaillées dans la dernière livraison de l'hebdomadaire Le Point.

    Chargée de proposer des audits, des formations et des procédures de signalement sur les violences sexistes à destination des entreprises et institutions, notre chevalier blanc de la dénonciation du patriarcat, dont l'absence de compétence et de qualification dans les domaines, notamment juridiques, qu'elle traite, fait froid dans le dos, a vu le chiffre d'affaires de sa société tripler entre 2015 et 2019, dépassant les 600.000 euros. Pour arriver à ses fins, nous apprend Le Point, Caroline de Haas, outre d'encourager ses clients à pratiquer la délation, le plus souvent fondée sur de simples rumeurs ou une volonté de nuire par inimitiés, mène des enquêtes à charge offrant de nombreux biais méthodologiques, fait disparaître les témoignages n'allant pas dans le sens souhaité, quand elle ne les bidouille pas intégralement de manière à leur donner un sens différent de celui envisagé par son auteur, bafouant au passage les règles élémentaires de la défense. Dans ce registre, l'affaire Emmanuel Tellier, du nom de ce journaliste de Télérama licencié «sans cause réelle et solide», selon un jugement du conseil de prud'hommes en date du 22 avril, par le magazine culturel, après une «enquête» de Egaé, est exemplaire. Bien décidé à laver son honneur, le journaliste, depuis, ne s'est pas démonté, et a régulièrement publié des tweets froids et techniques pointant les contradictions et malversations de l'entrepreneuse militante, dont le besoin de débusquer le maximum de violences sexistes, même imaginaires, est une nécessité impérieuse pour voir son chiffre d'affaires continuer à prospérer.

    Tout cela pourrait être risible et anecdotique si cela ne mettait pas en valeur une tendance de fond, qui voit se rejoindre pour le meilleur et pour le fric, deux pendants d'un libéralisme que tout devrait pourtant opposer politiquement, à savoir le libéralisme sociétal, fondé sur la défense et mise en avant des identités, cher à la gauche américaine qui l'exporte partout, et le libéralisme économique qui voit dans la diversité l'occasion d'ouvrir autant de niches marketing qu'il existe de catégories à promouvoir. Nous en avons eu les premiers exemples avec le développement de la mode islamiste et les burkinis siglés Nike, entreprise dont on rappelle qu'elle ne possède aucune usine aux États-Unis et doit son succès à l'externationalisation de ses productions dans des pays comme le Vietnam ou la Thaïlande, où la main-d’œuvre ne bénéficie d'aucune protection sociale et s'affaire pour des salaires qui frôlent l'esclavage. Soyons inclusifs, mais ne regardons pas de trop près les conditions de travail des petits enfants asiatiques, pourvu que nous œuvrions pour la bonne cause.

    Ce phénomène avait été dénoncé pour la première fois par l'universitaire marxiste de l'Université de Chicago, Walter Benn Michaels, dans son livre La diversité contre l'égalité, qui avait fait grand bruit à sa sortie en 2006. Ainsi, selon ce professeur de lettres, «Au cours des 30 dernières années, les pays comme la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont devenus de plus en plus inégalitaires, économiquement parlant. Et plus ils sont devenus inégalitaires, plus ils se sont attachés à la diversité. […] Je pense que les gens se sont de plus en plus attachés à un modèle libéral de justice, dans lequel la discrimination — racisme, sexisme, homophobie, etc. — est le pire de tous les maux. Si ça marche, c'est à la fois parce que c'est vrai — la discrimination est évidemment une mauvaise chose — et parce que ça ne mange pas de pain— le capitalisme n'a pas besoin de la discrimination. Ce dont le capitalisme a besoin, c'est de l'exploitation», donc de nouvelles niches, comme il le confiait en 2009 à Bénédicte Charles dans Marianne. Il ajoutait, décrivant parfaitement la tendance observée: «Si vous prenez les 10 % de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de l'explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez qu'une proportion correcte d'entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n'avez pas généré plus d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe. Le patron de Pepsi a déclaré dans le New York Times il y a peu: "La diversité permet à notre entreprise d'enrichir les actionnaires"».

    Quelques mois plus tard, dans une conférence parisienne donnée à la Fondation Jean-Jaurès, à laquelle nous assistions, il rappelait que, si les quatre plus grandes universités américaines n'avaient jamais eu dans leurs rangs autant d'étudiants issus de la diversité, la très grande majorité des familles des élèves inscrits dans ces institutions revendiquaient plus de 200.000 dollars de revenus annuels, alors que dans les années 60, près d'un quart des étudiants en question provenait de familles modestes ayant réussi à monter dans l'ascenseur social figuré par l'american way of life. Édifiant.

    Alors, la diversité contre l'égalité, vraiment? Si le fait que les entreprises se soucient de questions sociales et investissent dans l'engagement et la RSE est sans doute une très bonne chose et peut permettre de prendre le relais d'États souvent peu agiles en la matière, cela ouvre aussi la porte à l'exposition de tous les cynismes dont le marketing a le secret, mais également à la confusion voyant des entrepreneurs identitaires se servir de leur caution militante à leur seul profit, ayant besoin de voir les discriminations proliférer et toucher des domaines en lesquels leur présence n'est pas évidente pour entretenir leur pactole grâce à la candeur de bonnes âmes réellement concernées par les injustices.

    Benjamin Sire (Figaro Vox, 17 juin 2021)

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  • La séduction pornographique...

     « Comme marchandise massive, signifiante et promotionnelle, la pornographie participe d’un façonnage anthropologique décisif, socialement dangereux, politiquement risqué. »

     

    Les éditions L'échappée viennent de publier un essai de Romain Roszak intitulé La séduction pornographique. Romain Roszak est professeur agrégé de philosophie. 

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    " Si représenter la sexualité a longtemps été un défi à l’ordre établi, ce n’est plus le cas depuis les années 1970, époque où le capitalisme entre dans sa phase consumériste et sensualiste. La transformation des images pornographiques, mais aussi du dispositif dans lequel elles s’insèrent – pratiques, normes, lois, modalités d’accès –, répond à l’émergence des industries du loisir et du plaisir. Ces marchés du désir, chargés de redynamiser un mode de production à la peine, ne peuvent rencontrer leur clientèle qu’à cette condition : la vie heureuse doit être redéfinie comme la poursuite illimitée de la jouissance sexuelle. Manne économique inédite, et mieux servie que jamais par les technologies numériques, la pornographie constitue aujourd’hui le nouveau totem occidental, notamment pour une caste d’intellectuels qui la promeut à coups d’empowerment des femmes et d’alternative porn, et l’élève au rang de pratique culturelle avec les porn studies. Au point de balayer toute approche véritablement critique, d’inspiration marxiste ou féministe radicale. En dévoilant cette collusion inédite de la théorie, du marketing et de la propagande, ce livre se risque à briser le totem. "

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  • Corporations et corporatisme...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier, dans leur collection Longue mémoire, patronnée par l'Institut Iliade, un essai de Guillaume Travers intitulé Corporations et corporatisme.

    Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et a déjà publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), un petit essai de réfutation des thèses de l'économiste Thomas Piketty, ainsi que Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020) et Capitalisme moderne et société de marché (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

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    " Pendant des siècles, les corporations ont encadré l’exercice des activités économiques, leur donnant du sens et les orientant vers le bien commun. Les idéaux révolutionnaires et le capitalisme moderne ont détruit ces structures communautaires, laissant les travailleurs démunis, portés à ne plus voir la société que sous la forme d’une lutte des classes. Pourtant, l’idée corporative n’a jamais disparu. De nombreux penseurs du XIXe siècle l’ont ravivée, et quelques régimes du XXe siècle ont tenté de construire des « États corporatifs ». L’histoire de cette idée, de ses succès et de ses échecs, est ici retracée. "

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  • Capitalisme moderne et société de marché...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier, dans leur collection Longue mémoire, patronnée par l'Institut Iliade, un essai de Guillaume Travers intitulé Capitalisme moderne et société de marché.

    Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et a déjà publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), un petit essai de réfutation des thèses de l'économiste Thomas Piketty, ainsi que Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

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    " Le fait peut-être le plus saillant de notre époque que tout s’achète et tout se vend. Les anciennes relations communautaires se sont dissoutes pour ne plus laisser place qu’au libre déploiement des intérêts individuels. Tous les biens qui nous entourent ne sont plus que des marchandises disponible pour la consommation. Le hiérarchie de valeurs ne sont plus que des hiérarchies d’argent. Ce sont là quelques­-unes des manifestations de ce que l’on nomme «capitalisme», dont les origines et la dynamique ont ici décrites. Ce capitalisme moderne appelle de critiques fondamentales, qui sont également étudiées. "

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  • Comment le capitalisme uniformise le monde ?...

    Les éditions de la Nouvelle Librairie viennent de publier un court essai de Werner Sombart intitulé Comment le capitalisme uniformise le monde ? . Économiste, historien et sociologue connu dans le monde entier, disciple de Marx dans sa jeunesse, Werner Sombart (1863-1941) a exercé une influence profonde dans les années 1920 sur une partie des auteurs conservateurs révolutionnaires. Plusieurs de ses œuvres, dont Le socialisme allemand et Le Bourgeois, ont été traduites en français.

     

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    Werner Sombart fut le plus grand économiste de son temps. Sa magistrale analyse du capitalisme moderne n’a pas perdu une ride. Dans ce texte bref, il voit venir avec un siècle d’avance tout ce que nous avons aujourd’hui sous les yeux : la consommation effrénée de biens, jetés à peine achetés, le tourbillon frénétique des hommes dans les magasins, l’uniformisation des comportements et des modes de vie et… le rôle des femmes dans ce processus.

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