Les éditions Kontre Kulture viennent de rééditer un essai de Werner Sombart intitulé Le Bourgeois. Économiste, historien et sociologue connu dans le monde entier, disciple de Marx dans sa jeunesse, Werner Sombart (1863-1941) a exercé une influence profonde dans les années 1920 sur une partie des auteurs conservateurs révolutionnaires. Plusieurs de ses œuvres, dont Les Juifs dans la vie économique et Le socialisme allemand, ont été traduites en français.
" La figure du Bourgeois est celle qui représente le mieux l’esprit de notre époque, dont la genèse commence avec les premiers siècles du Moyen Âge, lorsque la mentalité économique pré-capitaliste s’est transformée de façon radicale sous l’influence des peuples germano-slavo-celtiques en esprit capitaliste. Cet esprit capitaliste, qui a renversé l’Ancien Monde, n’a cessé d’enfler, s’engouffrant petit à petit dans tous les interstices de la vie : « C'est l'esprit de nos jours, l'esprit qui anime aussi bien l'homme aux dollars que le marchand ambulant, l'esprit qui préside à toutes nos pensées et à tous nos actes et exerce une influence irrésistible sur les destinées du monde. » Dans la genèse de cet esprit se trouvent « l'esprit d'entreprise et l'esprit bourgeois, sans la réunion desquels l'esprit capitaliste ne serait jamais né ». Mais qu’est-ce que l’esprit d’entreprise ? C’est « une synthèse constituée par la passion de l'argent, par l'amour des aventures, par l'esprit d’invention ». Et qu’est-ce que l’esprit bourgeois ? Il se compose de « qualités telles que la prudence réfléchie, la circonspection qui calcule, la pondération raisonnable, l'esprit d'ordre et d’économie ». C’est ainsi, par la fusion de deux esprits apparemment antinomiques, qu’a pu naître « le tissu multicolore de l'esprit capitaliste », l'esprit bourgeois formant « le fil de laine mobile, tandis que l'esprit d'entreprise en est la chaîne de soie ».
Mais pour que le capitalisme puisse s’épanouir pleinement, pour que du bourgeois « vieux style », travailleur et entreprenant, naisse le bourgeois « moderne » devenu décadent et rentier, « l'homme naturel, l'homme impulsif devait disparaître et la vie, dans ce qu'elle a de spontané et d'original, céder la place à un mécanisme psychique spécifiquement rationnel : bref, l'épanouissement du capitalisme avait pour condition un renversement, une transmutation de toutes les valeurs ». "