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  • Pour que rien ne change au sein de l’UE...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au cap politique choisi par l'Union européenne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Pour que rien ne change au sein de l’UE

    Les eaux calmes et les saisons tranquilles sont propices au « en même temps ». Tout se concilie, tout s’arrange, tout s’accorde, et qu’importe si le bateau se déroute, il arrivera à bon port ! Tout se complique si le vent forcit et la mer se creuse. Le luxe du « en même temps » n’est plus permis, les choix s’imposent, avec les renoncements qu’ils appellent et la dureté qui tranche.

    L’Union européenne mesure-t-elle la dureté des temps qui s’annoncent ? Quelles que soient la poursuite et l’issue du conflit en Ukraine, et même si les efforts pour arriver à un cessez-le-feu, puis à un accord de paix devaient déboucher rapidement, le confort du « en même temps » ne lui est plus permis. Sur quatre points au moins, l’Union doit sortir rapidement de l’ambiguïté, corriger le cap et se remettre en ordre de marche.

    Le financement de la défense

    Le projet de mise sous contrôle de toutes les activités économiques, connu sous le nom de « taxonomie », subordonne les capacités d’accès au marché des capitaux et de la dette, comme à l’assurance, des entreprises selon leur activité. Il était entendu que les industries d’armement seraient exclues de la liste des entreprises « vertes » — de celle que l’investisseur finance avec bonne conscience. Mais voilà que l’invasion russe change tout.

    L’Union envoie des armes défensives et létales par centaines de millions d’euros à l’Ukraine, l’Union veut investir dans sa Défense, l’Union se convertit à l’urgence de réarmer. À l’évidence, la taxonomie ne doit pas et ne peut pas paralyser l’effort de défense de l’Union. Même la coalition au pouvoir en Allemagne en convient. La parade qui consiste à corriger temporairement, ou à exclure de la taxonomie, le secteur de l’armement n’est pas satisfaisant. C’est tout le dispositif qui doit être revu, cette taxonomie qui favorise les grands groupes au détriment des PME, cette taxonomie qui sera un enfer administratif, cette taxonomie qui heurte directement la liberté d’investir, et demain peut devenir un carcan sur les libertés individuelles. Car quid d’activités industrielles non directement liées à l’armement, mais qui conditionnent la Défense, comme l’énergie ?

    C’est toute la logique de la taxonomie qui est à revoir. Et il y a urgence. Les financements de marché en fonds propres comme en crédit bancaire doivent permettre le développement de l’autonomie européenne de Défense dans les pays qui ont conservé tout ou partie de leur industrie d’armement. Ceux qui investissent dans l’industrie de Défense de leur Nation doivent non seulement ne pas être pénalisés, mais durablement incités à allouer leurs capitaux à la sécurité collective, aussi bien qu’à la production d’énergie et à l’autonomie alimentaire.

    La fourniture d’énergie abondante et sûre.

    Le projet dit : « Fit for 55 » est basé sur un lien erroné entre la consommation totale d’énergie et le dégagement de GES. C’est faux. Accroître la production d’énergie nucléaire, par exemple, ne signifie pas augmentation du dégagement de GES. C’est surtout malthusien ; limiter la fourniture d’énergie, c’est limiter la réindustrialisation de l’Europe, au moment même où il n’est plus besoin de démontrer combien notre sécurité dépend du raccourcissement des chaînes d’approvisionnement et de la relocalisation massive d’activités sur le territoire européen.

    Les stratèges chinois l’ont dit ; « un pays qui n’a pas d’industrie ne gagne pas les guerres ». J’ajouterais ; un pays qui ne met pas à disposition une énergie abondante, constante et bon marché n’a pas d’industrie. La sortie allemande du nucléaire n’est pas seulement une erreur, c’est une faute contre la sécurité des Nations européennes dont l’Allemagne doit payer le prix. Et voilà pourquoi la révision du projet « Fit for 55 » est urgente. Ici encore, il s’agit de la sécurité des Nations européennes, et de leur capacité à reconstruire les moyens de leur autonomie industrielle.

    La maîtrise des chaînes logistiques et des ressources vitales.

    Au moment même où le petit nombre de pays soumis aux États-Unis annonçait des sanctions « comme nous n’en avons jamais vu » à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie, la commission du commerce international au Parlement européen (INTA) continuait comme si de rien n’était à vanter les mérites du libre-échange et à se vouer à la globalisation. Qui peut échapper à la violence de la contradiction ? L’aveuglement géopolitique est éclatant ; qui ne voit que la logique des sanctions est la plus opposée qui soit au libre-échange, et que l’Union européenne sacrifie le mode de vie des Européens et le pouvoir d’achat à l’urgence politique qui lui est dictée ?

    Qui peut échapper au constat désolant que rend éclatant la séparation du monde qui se déroule sous nos yeux ; parce qu’il appelle l’uniformisation des règles, des lois et des mœurs, parce qu’il signifie en finir avec la liberté des peuples de se donner leurs lois et leurs règnes, et in fine parce qu’il sacrifie la liberté politique à de supposés avantages économiques dont la majorité ne verra rien, ou subira les dommages, le libre-échange, avec son corollaire qu’est la liberté de mouvement des capitaux, appelle la guerre, entraîne la guerre, commande la guerre — et, de fait, provoque la guerre planétaire dont l’Ukraine est le trompe l’œil.

    Les représentants d’une Union européenne qui n’a à la bouche que les mots de paix, de démocratie et de liberté semblent ne pas se rendre compte des paradoxes et des contradictions dans lesquels ils se prélassent, sans voir que le confort des mots se paie — et commence déjà à se payer.

    Qui mesure à quel point le projet d’une taxe carbone aux frontières est une provocation à l’égard d’un monde en développement dont le moins disant environnemental est l’un des avantages compétitifs majeurs, et qui comprend combien les dispositions qui affaiblissent les Nations européennes, pénalisent les productions industrielles et protègent les rentes, contribuent à un désarmement qui est à la fois militaire, national et environnemental ?

    Green Deal

    Le Green Deal est l’enfant condamné de la fin de l’histoire, de la chute d’un Occident étendu au monde, et de la globalisation comme utopie du capitalisme totalitaire. La question n’est pas que la guerre prend le pas sur l’environnement, le climat et la santé humaine. La question est que les priorités de défense, de milieu de vie et de libertés de choix s’accordent pour appeler une révision drastique du Green Deal et des orientations imposées, faut-il le rappeler, sans consultations des électeurs et sans réel débat démocratique dans les Nations concernées.

    Elles s’accordent pour faire de la relocalisation massive des activités industrielles sur le sol des Nations européennes une priorité absolue — ce qui signifie, entre autres, une énergie abondante et produite en Europe. Elles s’accordent pour exiger que l’Europe retrouve son autonomie alimentaire, retrouvent la maîtrise du vivant, végétal et animal, en même temps qu’elle retrouve la biodiversité qui a si longtemps constitué l’une de ses richesses et de ses assurances. L’Europe doit produire à la fois plus et mieux, elle doit permettre au plus grand nombre d’exprimer sa préférence pour les produits locaux, artisanaux et aussi recréer les conditions de l’autoproduction familiale.

    Elles s’accordent pour faire de l’économie circulaire un facteur clé de notre autonomie, imposant la réparabilité des biens d’équipement, pénalisant l’obsolescence programmée, établissant les circuits de production à partir des déchets et rebuts — de la production d’énergie à la récupération des composants — et le système de collecte des objets en seconde ou troisième vie. et elles s’accordent à faire de la sécurité des modes de vie de nos concitoyens la priorité, opposée aussi bien à une écologie punitive devenue folle, qu’aux aberrations des chaînes logistiques étendues à la planète en raison d’un coût du transport artificiellement négligeable.

    De la folie des renouvelables à l’impasse du véhicule électrique, l’Union doit tout reprendre, tout repenser, tout refaire. Les facilités du « en même temps » ne nous sont plus permises. Baisse du pouvoir d’achat, remise en cause de nos modes de vie, ruptures d’abondance pour plusieurs ressources vitales ; si l’Union européenne a quelque chance de retrouver une légitimité compromise, c’est bien en acceptant ses erreurs, en corrigeant les faiblesses et par-dessus tout, en reconnaissant les limites d’arbitrages et de choix qui échappent au suffrage des citoyens des Nations européennes, mais pas aux intérêts de ceux qui les prennent pour cibles. Une seule certitude doit nous guider ; rien de durable ne se fera contre la volonté des Nations, les identités nationales, et le désir des citoyens de bien vivre.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 5 avril 2022)

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  • Réindustrialisation : reprendre son autonomie ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Anais Voy-Gillis à Thinkerview, consacré à la question de la réindustrialisation. Anaïs Voy-Gillis est docteur en géographie à l'Institut Français de Géopolitique et a participé à un ouvrage collectif intitulé Vers la renaissance industrielle (éd. Marie B, 2020). Ses travaux portent notamment sur les modalités de la réindustrialisation de la France.

     

                                            

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  • Autonomie nationale et détention du capital...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à la protection des actifs stratégiques nationaux.

     

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    Autonomie nationale et détention du capital

    La réflexion stratégique doit s’étendre à la protection et au développement des activités et institutions essentielles pour la communauté nationale. La crise de la Covid nous a par exemple rappelé l’importance d’assurer la sécurité d’approvisionnements qualifiés justement de stratégiques. Mais en matière économique, il n’y a pas que les échanges commerciaux ; il y a aussi les mouvements financiers et les rapports technologiques ; et il y a le pouvoir, le contrôle des entreprises. La prise de contrôle d’une entreprise, surtout d’une certaine taille ou jouant un rôle particulier dans la vie collective, ne peut être considérée comme une opération neutre. Cela implique évidemment une contrôle minimal par l’autorité publique sous forme d’autorisation de cette cession, lorsque l’activité de cette entreprise le justifie. Mais la réflexion ne peut s’arrêter là. Elle doit porter plus généralement sur le l’ensemble des modalités de détention des entreprises : droit de vote, statuts, composition des actionnariats.

    Un préalable : la prise en charge de l’activité nationale

    La disparition de pans entiers ou de segments vitaux de la production aboutit à des bouleversements, par disparition d’emplois et parfois de pans entiers d’activité (compensés plus ou moins par d’autres, mais n’affectant pas les mêmes personnes). Pour en évaluer le sens, deux faits sont à considérer. D’un côté, les théories économiques classiques sur les bienfaits du commerce international (spécialisation sur les avantages comparatifs) sont simplistes. Non seulement on n’est jamais dans le cadre du schéma théorique ; mais en outre les avantages comparatifs sont loin d’être des données immuables ; ils dépendent largement de l’histoire et de la volonté humaine. Se résigner à une position résultant des données du moment est peu rationnel. Mais d’un autre côté il serait absurde de viser une forme d’autarcie ; non seulement parce qu’une grande partie des biens nécessaires ne peuvent être produits sur place (matières premières, spécialités chimiques, technologiques ou autres), ou pas de façon aussi économique, mais aussi parce que l’échange porte en soi ses bienfaits. Il se déduit de tout ceci qu’une attitude intelligente est intermédiaire : une forme d’ouverture raisonnée et contrôlée. Mais elle est difficile à assurer politiquement de façon rationnelle (on ferme la frontière par démagogie là où on devrait rester ouvert, mais on ouvre là où on manque d’ambition).

    Ceci est aggravé par la mobilité du capital financier. Sans parler des crises que cela peut causer ou aggraver, elle distend de façon encore plus forte le lien entre actionnaires et entreprises. Il paraît donc que le degré de protection ou de contrôle sur les mouvements de capitaux, notamment sur les actions (fonds propres) devrait être plus strict que sur celui des marchandises. La question clef est donc l’élaboration d’un mode de gestion collective pragmatique, visant à la protection de la communauté et notamment du travail, mais sans fermeture méthodique, combinant détention largement locale/nationale des entreprises, culture appropriée des actionnaires et des travailleurs, et intervention publique judicieuse.

    La question de l’actionnariat

    Un point essentiel soulevé par tous les critiques de notre système économique est la financiarisation. Notamment, le marché devient le moyen de tourner la caractéristique principale de l’actionnariat : l’engagement à risque dans l’entreprise sur la longue durée, puisque les actionnaires peuvent vendre leurs titres à tout moment. En un sens donc, le marché boursier est devenu trop souvent le lieu du refus de l’engagement. D’où son court-termisme et la déformation que cela imprime au fonctionnement des entreprises, obsédées par le seul résultat financier observé instantanément. Le symptôme est particulièrement aigu dans le cas des OPA (offres publiques d’achat) : elles permettent en effet de changer radicalement l’orientation d’une entreprise, y compris contre sa direction (OPA hostile). Mais c’est aussi un moyen pour ses actionnaires de récupérer leur argent en totalité, et au prix fort. Le désengagement du capital est alors total. En amont, la menace ou la possibilité permanente d’une telle OPA est en outre un moyen puissant pour les actionnaires et pour le marché de dicter une conduite aux dirigeants.

    La question se pose avant tout dans le cas des sociétés commerciales. Il ne s’agit pas ici de remettre en question leur principe, et donc celui de l’actionnariat. Il est logique que celui qui prend l’essentiel des risques liés à l’entreprise soit celui qui prenne les décisions, en assume les profits et les pertes, et en soit donc au sens propre le propriétaire. Le modèle de la société commerciale (par actions) est donc légitime, même s’il n’est pas le seul, et s’il comporte aussi des devoirs. Il reste que, dans le cas de l’actionnaire d’une société cotée, qui a la possibilité de vendre son action à tout moment, le lien risque d’être beaucoup plus lâche – même si pour vendre il doit trouver un acheteur qui se substitue à lui. Et cela peut donner lieu à de multiples excès, par court-termisme, financiarisation etc., et plus généralement non-respect de l’intégrité de l’entreprise, de sa raison d’être et de son rôle collectif. D’où l’intérêt majeur de favoriser la détention sur longue durée ainsi que l’engagement actif des actionnaires.

    Les voies d’action possibles

    La première voie vise à privilégier avec détermination la détention à long terme. Certes, il serait difficile et illogique de contraindre directement l’ensemble des investisseurs, notamment financiers, à se passer de toute liquidité. Mais plusieurs moyens sont disponibles pour les inciter à détenir les titres sur une certaine durée : par exemple, en donnant des droits de vote différenciés selon la durée de détention, soit après coup, soit par un engagement pris à l’avance. Cela conduit logiquement et au minimum à une mesure simple : supprimer les droits de vote en cas de détention sur courte durée – ce qu’on fait pourtant fort peu. De même lorsque le gestionnaire ne poursuit pas dans sa gestion le bon fonctionnement de l’entreprise, comme dans le cas de la gestion passive ou indicielle. Le gérant se borne alors à suivre l’indice. Il est alors absurde qu’il exerce un droit de vote.

    Une deuxième famille de réflexion vise à structurer l’actionnariat en favorisant un noyau dur et stable, par exemple la famille fondatrice, ou les fondateurs en général, ou des actionnaires liées par un pacte (avec des droits de vote accrus, des pouvoirs de veto etc.), ou par des fondations dédiées comme on va le voir. Ce qui se relie évidemment avec la considération de la raison d’être de l’entreprise, qu’on va évoquer. Mais cela peut conduire à la mise en place d’un nouvel investisseur public, avec des moyens conséquents – ressemblant éventuellement aux fonds souverains de certains pays. A l’Amafi j’avais proposé la réactivation à cette fin du Fond de réserve des retraites créé par Jospin, et stupidement mis en liquidation progressive sous Sarkozy.

    Une troisième famille de réflexion consiste à décourager certaines OPA jugées nocives, soit par des dispositifs externes (examen par les pouvoirs publics ; pression de l’environnement de l’entreprise, etc.), soit par des mécanismes financiers telles les ‘poison pills’ américaines. Une intervention publique peut notamment se justifier lorsqu’un changement d’actionnariat modifie profondément l’orientation de l’entreprise, notamment au profit d’intérêts étrangers à la communauté nationale.

    Plus fondamentalement, une quatrième famille de réflexion consiste à préciser la ‘raison d’être’ de l’entreprise, qui doit aller au-delà de l’intérêt pécuniaire des actionnaires. C’est ce que propose de façon un peu timide la loi ‘Pacte’ française. Dans l’optique qui est la nôtre, elle devrait s’insérer dans une préoccupation de bien commun et conduire à de vrais engagements. Car l’entreprise est d’abord une communauté humaine, certes partielle, mais réelle, qui vise à réaliser ensemble une œuvre : fournir aux autres, à la société, certains biens ou services. Le calcul économique est une des composantes de cette action, mais pas son centre exclusif. Celui qui achète une telle action sait alors clairement quelles sont les orientations de l’entreprise concernée. Bien entendu, la question se pose du respect ultérieur de cette « charte fondatrice » en cas de changement massif de l’actionnariat. C’est même un enjeu essentiel, notamment pour des sociétés cotées à large actionnariat, car il est tentant pour des prédateurs de s’emparer d’une société gérée de façon éthique pour en tirer à court terme des superprofits en vivant sur la bête, ou même, plus modestement, pour des actionnaires de chercher à les gérer dans une perspective purement financière. Outre diverses méthodes juridiques (majorité très renforcée pour changer la raison d’être, etc.), une proposition attractive de Colin Mayer est d’utiliser des fondations : un conseil de mandataires (‘trustees’) est chargé de veiller au respect par les dirigeants (et les actionnaires) de cet objet social, selon des modalités librement déterminées par les parties intéressées. Soit avec des droits spécifiques, soit en étant un actionnaire particulier.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 21 juin 2021)

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  • La mobilité comme liberté de bouger ou l’autonomie comme vraie liberté ?...

    Nous reproduisons c-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré à l'autonomie comme liberté supérieure. Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015) et dernièrement Achever le nihilisme (Sigest, 2019).

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    La mobilité comme liberté de bouger ou l’autonomie comme vraie liberté

    Nous sommes, en ce moment de confinement, privés de mobilité. Mais si la mobilité est une liberté, elle n’est pas toute la liberté. Il y a une liberté supérieure, qui implique de pouvoir être mobile, mais de pouvoir choisir aussi d’être immobile. Cette liberté supérieure, c’est l’autonomie. Et au-delà de la liberté de circuler, dont nous ne pouvons être durablement privés, la grande question qui se pose est celle de reconquérir une liberté comme autonomie, perdue depuis la révolution industrielle et les sociétés de masse.

    Dés le XIXe siècle, les inconvénients des sociétés de masse avaient été relevés par Tocqueville, puis par Nietzsche : instinct grégaire, perte du sens de l’initiative et de la responsabilité, Le paradoxe de la situation actuelle est que le confinement de masse fait suite à la mobilisation de masse. Le contraste est fort entre l’incitation à la mobilité, il y a encore deux mois (« Bougez-vous »), et l’assignation à résidence, à 1 km maximum de son domicile (« Restez chez vous »). Et pourtant, une question se pose : et si la logique était la même ? Sachant que ce sont en tout cas les mêmes qui nous reprochaient « de ne pas traverser la rue pour trouver un travail » qui nous demandent maintenant de ne pas traverser la rue, sauf pour des courses de première nécessité. Jusqu’à la mi-mars, la mobilité était louée, elle était au service de la mobilisation de toutes les énergies au service de l’économie. Nous devons maintenant nous croiser le moins possible, ce qui, dans sa forme extrême, donne l’injonction « Restez chez vous », la distanciation sociale étant rabattue sur l’enfermement chez soi. Nous nous apercevons alors que presque rien n’est possible sans déplacement. Et nous prenons la mesure de notre vulnérabilité. Dans la France périphérique, celle des campagnes, mais aussi celles des grandes banlieues, où les petits commerces ont disparus, il faut faire des km pour rejoindre le supermarché. Un peu partout, pour voir ses amis, et sa famille, il faudrait faire un trajet excédant les limites autorisées. La mobilité perdue fait partie de nos libertés. Mais en a-t-il toujours été ainsi ?

    A partir du moment où les hommes se sont sédentarisés, ils n’ont pu échapper à l’impôt, ni aux pouvoirs, royaux et féodaux. Mais une société de sédentaires est une société d’inégaux. Cela limite le pouvoir du souverain, car le souverain veut l’homogène, plus facile à contrôler, et rencontre l’hétérogène, plus insaisissable. Quant à l’ancrage de chacun dans sa terre, propriétaire ou aspirant à le devenir, il freine les possibilités de mobilisation par le souverain. Allez mobiliser des paysans en période de moisson ! Même Napoléon n’a pas trouvé à cela des solutions satisfaisantes. Le paysan n’aime pas être longtemps loin de chez lui. La terre donne une inertie. Et l’inertie limite le pouvoir. A partir du moment où le monde immobile de la terre s’est mis en mouvement, sous les coups de butoirs de la révolution industrielle, les choses ont changées. Première mobilité, l’exode rural a commencé quand le paysan n’a plus pu vivre de sa terre. Et avec l’industrie arriva la démocratie. Du moins le principe premier de toute démocratie : l’idée d’égalité des hommes qui les fait, à part égale, des citoyens. Chacun est alors légitime à participer à la vie politique, quelle que soit sa situation et sa position sociale.

    A partir de là, tout le monde peut désirer ce qu’a tout le monde. C’est même un moteur – la jalousie – dont le capitalisme a besoin. L’envie remplace le besoin (Franck Fischbach), l’envie étant plus flexible et plus souple que le besoin, et même que le simple désir, encore ancré dans le réel. Le besoin tend à se limiter désormais à un seul domaine, les rapports du capitalisme et de la terre, car le capitalisme a un besoin objectif d’un certain nombre de matières premières nécessaires à la production d’énergie, et se heurte à des limites objectives, la terre offrant des ressources non infiniment renouvelables.

    Mais, entre le capitalisme et les hommes, ce qui prédomine, ce sont désormais les valeurs mobilières (capitaux, placements…). La société industrielle devient à la fois de plus en plus mobile et de plus en plus marchande. Mais cette mobilité n’est plus le nomadisme des sociétés sans Etats étudiées par Pierre Clastres. Ce nomadisme connaissait des souverainetés éphémères, militaires, fragiles. La mobilité moderne est une mobilité sous contrôle. Elle l’est avec les permis de voyager que devaient porter sur eux les ouvriers du XIXe siècle (le « livret ouvrier »). Chacun est sous tutelle, et dépendant du système de l’argent : banques, crédit, assurances, centrales d’achat pour grandes surfaces, … .

    Dans ce système où chacun dépend d’une grande machine étatique et marchande lointaine, la liberté de mobilité n’est en rien une liberté comme autonomie. Cette liberté comme autonomie, c’est celle dont disposait le paysan dans une économie localisée, peu monétarisée. La liberté comme mobilité est en fait la liberté de devoir être mobile, de devoir être flexible, de devoir être adaptable, et interchangeable. C’est Spinoza interprété au premier degré : « La liberté, c’est l’intellection de la nécessité ».

    Confinés, nous voyons que l’on demande d’être encore plus flexible (le télétravail n’a plus d’heure et déborde sur toute la vie), de nous passer plus encore des services publics (réduits au minimum), de nous auto-contrôler plus encore (en nous délivrant à nous-mêmes des autorisations de sortie dérogatoire). La numérisation de tout le vivant et le traçage de tous à tout moment ont fait un grand pas, légitimés par la « santé », réduite au Covid-19, tandis que se multiplie les dégâts collatéraux (chômage, dépressions, violences, …) dus à la gestion de la crise sanitaire. A l’occasion du confinement, le gouvernement, faisant sortir notre pays de la démocratie parlementaire, multiplie les ordonnances, notamment sur le travail, et en profite pour affaiblir les protections sociales. Au même moment, les délais pour décider d’avorter sont encore allongés, après la suppression du délai de réflexion en 2015, et de la notification des droits de la femme enceinte, le ministre Olivier Véran s’étant inquiété, suite au confinement, de la baisse du nombre d’avortements : « Il y a une réduction inquiétante du recours à l’IVG », Public Sénat, 1er avril 2020, formulation pour le moins choquante, loin de l’esprit initial de la loi de Simone Veil. On voit par-là que le confinement n’empêche pas la marche du monde libéral de se poursuivre, et même de forcer l’allure. Toujours plus de mobilisation, toujours plus de « c’est mon choix », toujours plus d’individualisme.

    Pas plus en confinement qu’auparavant, l’économie n’est mise au service du bien commun. Le pouvoir de l’argent, et la jouissance malsaine de la transparence, de vouloir tout savoir sur tous, et de vouloir tout contrôler se sont réunis. Ils ont étendu leur emprise de la sphère économique à l’ensemble de la vie. Biopouvoir : le voilà. Si le confinement permettait à chacun de comprendre qu’il va nous falloir, collectivement, reprendre le pouvoir sur nos vies, il n’aura pas été totalement inutile.

    Pierre Le Vigan (Cercle Aristote, 1er mai 2020)

     

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  • Quand les Etats-Unis vassalisent la France...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien passionnant avec Christian Harbulot, réalisé par Edouard Chanot et diffusé le 21 novembre 2018 sur Sputnik, dans lequel il évoque la vassalisation de la France par les États-Unis. Directeur de l’École de guerre économique et spécialiste de l'intelligence économique, Christian Harbulot a récemment  publié Fabricants d'intox (Lemieux, 2016) et Le nationalisme économique américain (VA Press, 2017).

     

                                    

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  • Pour l'autonomie de la Corse !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question corse... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Je suis pour l’autonomie de la Corse, pas pour son indépendance ! »

    L’autonomie, voire l’indépendance de la Corse, cela est-il fondamentalement choquant, sachant qu’aucune frontière n’est à jamais gravée dans le marbre, à en juger par ce qui s’est récemment passé au Kosovo ou en Crimée ?

    Ce n’est pas une question de frontières, mais une question de peuples. Contrairement à ce qui s’est passé dans beaucoup d’autres pays, la nation française n’a pas été créée par un peuple, mais par un État. Elle est née de l’agrandissement progressif du « pré carré » capétien, au hasard des conquêtes, des annexions et des alliances matrimoniales. Le peuple français qui existe aujourd’hui est un peuple-résultat. Le problème est qu’en s’étendant, le domaine royal a recouvert des peuples différents, d’origines différentes (celtique, germanique, latine, basque, etc.), qui n’ont jamais abandonné complètement leur personnalité, en dépit des efforts de type colonial développés, sous la IIIe République notamment – l’époque où il était « interdit de cracher par terre et de parler breton » – pour faire disparaître leurs cultures et leurs langues.

    Ces peuples existent toujours, même si l’on ne veut pas le reconnaître, et je ne suis pas de ceux qui s’affligent de leur existence et de leur vitalité. Les régions à la personnalité culturelle la plus forte sont aussi les plus portées à défendre leur identité. Le cas de la Corse est, à cet égard, exemplaire, puisque c’est la seule région à n’avoir pas donné la majorité à Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle. Le peuple corse est autochtone dans son île depuis au moins trente mille ans. Occupée pendant cinq siècles par les Génois, contre lesquels s’était déjà dressé Sampiero Corso, la Corse fut indépendante à partir de 1755, sous la direction de Pasquale de Paoli, jusqu’à ce que Gênes la cède à la France en 1768. C’est l’époque où Rousseau rédige son Projet de constitution pour la Corse, qu’on serait bien avisé de relire aujourd’hui. Comme le peuple breton, le peuple basque et le peuple alsacien, le peuple corse continue à défendre sa langue et sa culture, et je trouve excellent qu’il le fasse. Prenons exemple sur lui plutôt que de le stigmatiser ! Souvenons-nous, d’ailleurs, qu’au XVIIIe siècle, quand la France atteignait au sommet de sa puissance et sa culture au faîte de sa gloire, les trois quarts de ses habitants ne parlaient pas le français.

    Cela dit, si je suis pour l’autonomie de la Corse, je ne suis pas pour son indépendance. L’indépendance, de toute façon, ne veut plus dire grand-chose à une époque où les frontières ne garantissent plus l’identité des peuples et où même les « grands » États-nations ont d’ores et déjà perdu l’essentiel de leur souveraineté. Autonomistes et indépendantistes peuvent, certes, mener des combats communs, mais entre l’autonomie et l’indépendance, je ne vois pas une différence de degré mais une différence de nature. L’autonomie se fonde sur un principe de responsabilité, l’indépendantisme ne manifeste qu’une volonté de sécession.

    L’argument jacobin veut que la République soit « une et indivisible ». Mais à Wallis-et-Futuna, territoire français depuis 1888, cette même République reconnaît des chefferies traditionnelles pratiquant un catholicisme considéré de fait comme religion d’État…

    Le jacobinisme est la maladie française par excellence. De l’extrême gauche à l’extrême droite, que ce soit par patriotisme ou par fidélité à l’esprit révolutionnaire, presque tout le monde y sacrifie chez nous. La Suisse (avec ses trois langues officielles), la Russie et les États-Unis sont des États fédéraux et ne s’en portent pas plus mal, mais toute idée de remettre en cause la République « une et indivisible », d’appliquer le principe de subsidiarité (ou de compétence suffisante) en laissant aux différentes composantes de la nation la possibilité de décider par elles-mêmes et pour elles-mêmes, fait immédiatement surgir des fantasmes de « balkanisation » et de « dislocation » que je trouve absolument ridicules. Le centralisme jacobin n’a pas rendu la France plus forte, mais plus fragile. Un pays n’est fort que de la vitalité et de l’identité de ses composantes. Les jacobins veulent réaliser dans leur pays une « unité » qu’ils refusent à l’échelle européenne ou mondiale. Je ne verrais personnellement que des avantages à ce que la République « une et indivisible » soit remplacée par une République fédérale des peuples de France.

    Pour en revenir à la Corse, ce n’est pas en répétant que « la Corse, c’est la France » qu’on réglera le problème. J’ai connu l’époque où tous les hommes politiques proclamaient à qui mieux mieux que « l’Algérie, c’est la France ». L’Algérie se composait alors de trois départements français, avec dix préfectures. On sait ce qu’il en est advenu. Quant à ceux qui glosent avec des trémolos sur « le français, langue de la République », je leur rappellerais qu’à l’heure des talk shows, des fake news, du coaching, du fact checking, du packaging, du prime time, des smartphones et autres cold cases, ce ne sont pas les langues régionales mais la langue anglaise qui menace la langue française, sans qu’ils s’en émeuvent particulièrement.

    Après l’Écosse, la Lombardie, la Catalogne, la Corse, est-ce les peuples qui prennent leur revanche sur les États, ou y a-t-il des raisons plus extérieures à ces phénomènes ?

    Je pense que c’est une erreur de placer toutes ces régions sur le même plan. Ce sont des cas différents. La Corse est une île, ce que ne sont ni la Lombardie ni l’Écosse. L’histoire de la Catalogne est totalement différente de celle de la Flandre, et l’histoire de la Belgique n’a vraiment aucun rapport avec celle de l’Espagne. Les Flamands souhaitent se séparer des Wallons, mais certains d’entre eux ne refuseraient pas de rejoindre la Hollande pour recréer les grands Pays-Bas. Je pense qu’il faut juger concrètement, au cas par cas. On s’apercevra alors que les motivations sont, elles aussi, très différentes. Disons seulement qu’il est assez légitime que certaines régions veuillent d’autant plus préserver leur identité qu’elles voient bien que les entités plus vastes auxquelles elles ont appartenu jusqu’ici perdent la leur sans réagir.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 février 2018)

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