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Points de vue - Page 88

  • Vous avez dit médecine ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au fiasco américain en Afghanistan.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Vous avez dit médecine ?

    Un vent mauvais souffle sur la France. Jamais la parole publique n’a été aussi discréditée. Rarement les Français ont été aussi divisés. Au-delà de la polémique pour ou contre le pass sanitaire, les questions de libertés publiques qu’il suscite et la corruption massive qu’il suggère ; la question posée est celle que j’avais initiée dans : « L’Avènement du Corps » (Gallimard, 2006) : que se passe-t-il dans une société qui fait de la longue vie, sans accident, sans maladie et sans souffrance, son objectif majeur ? Que se passe-t-il dans une société qui a pour modèle de vie d’en profiter à fond, le plus longtemps possible, avant le déluge ?

    L’évolution de la médecine et du corps : une révolution

    Au-delà des polémiques actuelles, l’évolution de la médecine vaut attention. Car elle fournit une réponse, la seule ; la société de la longue vie est prête à abdiquer toutes ses libertés pour un souffle de plus. A payer sans limites. Et les industriels de la santé, de la pharmacie et du numérique l’ont bien compris. Car c’est une révolution analogue à celle qui a vu la chasse aux sorcières et la destruction de l’héritage paîen-magique qui a lieu, sous l’égide de la santé numérique, du «Big Pharma», et de la privatisation de la santé. Les bûchers s’allument tous les jours pour les sorcières qui s’obstinent à proposer autre chose que la vaccination ; faut-il se réjouir que ces bûchers ne soient encore que médiatiques, ou s’inquiéter d’un climat de persécution et de délation qui rappelle les sombres temps de l’Inquisition, ou des régimes totalitaires, ceux des vérités révélées, de la censure des idées et des procès d’opinion?

    La dérive française vaut intérêt. Car elle nous concerne tous. Avez-vous vu combien d’homéopathes ferment les portes de leur cabinet sans être remplacés ? Le déremboursement a frappé fort, les interdictions professionnelles menacent. Hors de l’industrie pharmaceutique, pas de salut. Les pratiques millénaires, de l’acupuncture aux massages, n’ont qu’à bien se tenir. Que va devenir le laboratoire Boiron, français, et leader mondial de l’homéopathie ?

    Savez-vous que les pharmaciens ont perdu la liberté de préparer ces concoctions d’herbes médicinales qui ont fait la santé florissante de tant de famille, sans rien payer à la mafia des «Big Pharma» mondiaux ? Et savez-vous que la liberté de prescrire et de conseiller qui a fait la grandeur et la richesse du métier de médecin vient de subir les plus rigoureuses restrictions, depuis qu’un Conseil soumis au gouvernement, c’est-à-dire aux intérêts privés qui le gouvernent, a la capacité de supprimer l’autorisation d’exercer de tout médecin qui n’appliquerait pas la politique de santé du gouvernement — c’est-à-dire des intérêts privés de l’industrie de la santé ?

    J’entendais la semaine dernière cet officier avouer que le médecin de famille leur avait recommandé d’attendre avant de se faire vacciner, puis conseillé divers produits pour renforcer leur immunité naturelle. Il fait perdre des revenus à Pfizer, Sanofi, Astra-Zeneca, etc. doit-il être interdit d’exercer la médecine ? Cette pharmacienne voisine m’a en douce conseillé d’acheter une potion à base de produits naturels, substitut efficace aux antibiotiques des laboratoires. Doit-elle être interdite d’exercice pour ôter des dividendes aux amis de M. Macron, et aux experts en délocalisations, captation de fonds publics et évasion fiscale, comme Moderna ou Pfizer qui ont imposé des contrats léonins à la Commission européenne — tous les bénéfices pour nous, tous les risques pour le patient et le contribuable !

    J’ai acheté un produit venu des abeilles serbes, présenté comme un élixir, dois-je être condamné parce que les abeilles serbes n’enrichissent pas Sanofi ? Et que penser de la mise à la retraite de Didier Raoult, de la censure médiatique imposée à des chercheurs, des médecins, des pharmaciens, comme les professeurs Montagnier ou Perronne, dont le seul tort est d’apporter des informations qui contredisent la propagande des laboratoires et la main basse sur la santé de l’industrie numérique ?

    La liberté de prescrire est morte, mais pas seulement

    Le débat n’est pas français. Devant la mise en place d’un oligopole mondial de la santé, l’Union européenne doit réagir. Elle en a les moyens, mais la volonté ? Cet automne, le Parlement européen va devoir se prononcer sur l’application de la directive « Reach » aux huiles essentielles. La directive « Reach » est l’une des réussites écologiques de l’Union. Elle soumet les produits chimiques, issus de l’industrie, à des critères rigoureux concernant la santé humaine, les impacts, environnementaux, le recyclage, etc. Elle demeure incomplète, en partie incontrôlée, elle a fait pousser les hauts cris à l’industrie chimique, notamment allemande, elle constitue une référence mondiale ; Reach est une avancée européenne à saluer. Mais voilà ! L’industrie a trouvé sa revanche ; pourquoi ne pas soumettre les produits naturels, ces herbes, ces fruits, ces fleurs, ces « huiles essentielles », aux contraintes qui sont imposées  au glyphosate ou au chlordécone ?

    Et voilà le mouvement qui se dessine ; la soumission absolue de la médecine et de la pharmacie aux intérêts de l’industrie. La prise de pouvoir d’une industrie qui procède par data et par mécanique, au détriment de la relation personnelle et du sentiment humain — qui réduit le corps humain à une mécanique de pièces et de cellules. L’antériorité d’usage, par exemple de la chloroquine ou de l’ivermectine, interdites de prescription, d’accès et de mise en concurrence, les traditions établies par l’histoire et l’expérience, n’auront plus cours ; la raison de la data, des algorithmes et des nombres dispose d’elles.

    La fin de la médecine libérale, de la pharmacie d’officine, indépendants et responsables, est prononcée. Le silence l’entoure. Que sont ces médecins, ces pharmaciens, qui prétendent soigner ? Ils sont là pour prescrire les produits de l’industrie. Dans une note de 2018, un analyste de Goldman Sachs a tout dit ; un remède qui guérit fait perdre des occasions de profit, l’idéal est un médicament qu’il faut prendre en permanence. Et voilà pourquoi il faudra un vaccin annuel contre le Covid (Israël semble ouvrir la voie à la vaccination semestrielle), et voilà pourquoi l’industrie pharmaceutique prend le contrôle de la médecine, et voilà pourquoi le numérique entend se substituer à ce fossile vivant qu’est le médecin de famille, le médecin libéral, celui qui agit en son âme et conscience — éclatent de rire ceux qui n’ont pour âme et conscience que leur intérêt individuel.

    Révolution de la santé, en effet. Fin de la liberté de prescrire, de soigner et surtout de guérir ; le médecin comme le pharmacien sont au service du capital investi dans l’industrie de la santé. Fin de la liberté individuelle de choisir de se faire soigner ou non, examiner ou non, la surveillance permanente des outils numériques sera là pour contraindre, inquiéter, consulter — et malheur à qui ne disposera pas de son autorisation sanitaire.

    Le changement du permis de conduire, qui perd sa forme « papier », assuré à vie, pour prendre une forme numérique soumise à validation périodique, pourrait bien obliger les conducteurs lors de chaque renouvellement (tous les cinq ans ?) à un contrôle de santé pour obtenir le renouvellement de leur permis de se déplacer, et instaurer au nom de la santé l’ordre biométrique auquel tout nous conduit.

    La médecine libérale sera-t-elle la première victime collatérale de la pandémie ? Le seul complot qui ait jamais fonctionné est celui d’intérêts convergents, et puissants. Pour la fin de la médecine comme savoir guérir et de la santé comme liberté, des intérêts puissants sont en jeu, puisque la santé est la première industrie mondiale — et que je n’ai que cette vie. Un financier dirait ; en matière de santé, l’effet levier est infini. Cette situation pose une question. Si le vaccin était national, produit par une entreprise nationale, propriété de tous les Français, le débat qui entoure la vaccination aurait-il lieu ?

    Et comment expliquer le silence abyssal des économistes sur ce sujet majeur pour nos sociétés, nos démocraties, et notre consentement aux politiques de santé publique ; la santé peut-elle être un service comme un autre, les médicaments des produits comme les autres, l’hôpital une entreprise comme une autre, au moment même où dans nos sociétés débarrassées du sacré, du religieux et de l’espoir politique, rien ne vaut plus qu’une vie, ce qui signifie que plus aucune des règles de la concurrence et du marché ne s’applique entre celui qui peut mourir et celui qui lui offre de vivre — que chacun est prêt à tout donner, à tout payer au nom du dernier impératif catégorique : « une minute encore, Monsieur le Bourreau » ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 5 septembre 2021)

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  • Décors de carton-pâte...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur son blog personnel et consacré à l'optimisme de commande répandu par le gouvernement pour masquer la gravité de la situation de notre pays.

    Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014).

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    Décors de carton-pâte

    Le sentez-vous aussi? l’optimisme est de retour dans l’air du temps. La France est supposée bénéficier d’une belle reprise économique. La crise sanitaire serait pour l’essentiel dernière nous.

    Le « bel hommage » à Belmondo expression d’une France en cours de rassemblement autour de son toujours jeune et brillant président. A quelque sept mois des présidentielles, l’espérance revient dans les éditoriaux et les commentaires.

    Foutaise: un nouvel écran d’illusion et de mensonge est en train de s’étaler sur la France.

    Le pays est plus malade qu’il n’a jamais été depuis au moins 60 ans. La violence et la délinquance se répandent et la quasi suppression du thermomètre statistique n’y change rien. Les flux migratoires atteignent des sommets. La dette publique gigantesque atteignant 120% du PIB écrase l’économie française. Le déficit commercial de 85 milliards € souligne le démantèlement en profondeur de l’industrie française.

    Le chômage et le désœuvrement rongent le pays dans ses profondeurs. Les statistiques de pôle emploi, au plus près de la réalité parlent de 3,5 à 6 millions de personnes en recherche d’un emploi. A cela s’ajoute plus d’un millions de personnes indemnisées au chômage partiel – de fait privées elles aussi de travail. Le pays compte aussi 2 millions de RSA et environ 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. La situation des « territoires perdus de la République » est effroyable et les médias se contorsionnent pour dédramatiser une réalité explosive et son déchaînement de violence.

    Dans la complaisance générale, l’épidémie de covid 19 s’est traduite par l’effondrement des principes de civilisation les plus élémentaires à l’image de cet abominable passe sanitaire dont nul n’a jamais démontré le moindre soupçon d’utilité et qui se traduit par le bannissement d’une partie de la population.

    Le grand sourire de l’optimisme s’étale de nouveau béatement sur les ruines d’un pays en perdition. Le naufrage de la politique dans le culte de la personnalité, de Macron à le Pen, et sa noyade dans la houle quotidienne des sondages et des scandales, paravents de cette débâcle, n’y changeront rien. Une grande vague d’illusions et de mensonges à commencé à déferler sur le pays dans la perspective d’avril/mai 2022, sur le terrain propice d’un abrutissement médiatique général et de la crétinisation due à l’effondrement du niveau scolaire et intellectuel.

    La solution ne tient pas pour l’essentiel aux gesticulations en cours autour du sacre élyséen. Elle passe par une prise de conscience à long terme du pays dans ses profondeurs et un travail de restauration de l’intelligence sur 2 ou 3 décennies, pas moins… Que faire? Au moins (au moins) ne pas être dupe, ne pas être idiot, avoir pleinement conscience de ce qui se passe: tout commence par là.

    Maxime Tandonnet (Blog de Maxime Tandonnet, 10 septembre 2021)

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  • La France de Macron, une dictature post-démocratique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy consacré à la dérive autoritaire du régime.

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020) et tout dernièrement Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    La France de Macron, une dictature post-démocratique

    Depuis le forum de Polémia consacré à cette problématique en novembre 2019, la question de la dictature, en particulier de la dictature sanitaire, s’est invitée dans le débat politique, au grand dam du pouvoir et de ses soutiens. Emmanuel Macron a même cru bon de s’en défendre à plusieurs reprises [1].
    Pourtant un sondage IFOP réalisé pour le JDD les 11 et 12 août dernier, montre que pas moins de 43 % des personnes interrogées estiment que la France devient une dictature, du jamais vu dans notre pays. De même, durant tout le mois d’août – ce qui est également tout à fait nouveau –, des centaines de milliers de manifestants défilent chaque samedi dans de nombreuses villes de France, au cri de « liberté », contre l’instauration du passe sanitaire et la vaccination obligatoire des enfants.
    Manifestement, la question de la dictature ne se réduit pas à un fantasme complotiste…

    Circulez, il n’y a rien à voir !

    Vivons-nous donc désormais en dictature ?

    Non, répondent à l’unisson les intellectuels médiatiques, fidèles soutiens du système.

    Dans Le Parisien, Raphaël Enthoven a donné le ton : « Tant qu’Emmanuel Macron n’aura pas aboli le droit de vote, je tiendrai les gens qui disent qu’on vit en dictature pour des illuminés. C’est-à-dire des obscurantistes [2]. 

    Des exemples parmi d’autres, mais significatifs.

    L’argumentation consiste en effet à déduire du fait que, comme le pouvoir ne revêt pas en France les formes prises par les totalitarismes européens des années trente ou par les pronunciamentos sud-américains, nous ne vivons pas en dictature.
    En d’autres termes, nous ne vivons pas en dictature parce qu’Emmanuel Macron ne porte pas un uniforme ni une petite moustache comme Hitler, parce que les opposants ne sont pas envoyés au goulag ou parce que les chemises brunes ou les gardes rouges ne patrouillent pas dans les rues, la matraque à la main.
    Les défenseurs de la macronie affirment aussi que nous ne vivons pas en dictature parce que les libertés individuelles seraient garanties dans notre pays par le fameux état de droit. En somme, nous ne vivons pas en dictature parce que nous avons le droit de « venir comme nous sommes » comme chez McDonald’s ou parce que nous pouvons rouler à vélo sur les trottoirs.

    On n’évoquera enfin que de façon incidente ceux qui glosent à l’infini, pour noyer la question, sur le terme dictature en rappelant que, sous l’Antiquité, celle-ci n’avait qu’un caractère fonctionnel et non pas péjoratif. La belle affaire !
    Ces arguties ne sauraient masquer ce que tout le monde comprend de nos jours sous le terme dictature : comme l’écrit le dictionnaire Larousse, c’est bien « le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire ».

    Mais finalement tous ces commentateurs officiels nous disent la même chose : circulez, il n’y a rien à voir !

    Une vision simpliste de la dictature

    D’abord, on objectera que cette façon d’analyser la dictature est totalement réductrice et montre surtout que, pour l’oligarchie au pouvoir, la reductio ad Hitlerum reste l’horizon indépassable de sa communication, sinon de sa réflexion.

    C’est oublier que les totalitarismes du xxe siècle ne se réduisent pas à l’usage de la violence physique ; et que toute dictature repose sur une certaine acceptation, même tacite, de la population. C’est oublier aussi que les dictateurs n’ignorent pas les élections, bien au contraire, puisque en général ils se font élire à une majorité écrasante, ce que semble oublier M. Enthoven…

    C’est surtout oublier que l’oppression peut prendre des formes variées et que l’histoire ne s’est pas arrêtée en 1945.
    Il est d’ailleurs savoureux de voir tous ces intellos issus de la gauche éclairée et qui prennent aujourd’hui la défense de la « démocratie » macronienne oublier l’école de Francfort dont ils se montraient si friands dans les années 1960. Une école de pensée influente qui, après la Seconde Guerre mondiale, affirmait mettre en lumière la persistance des comportements autoritaires en Occident (avec notamment l’analyse de la « personnalité autoritaire ») malgré la fin des fascismes.
    Pourquoi donc un tel « oubli » ? Emmanuel Macron n’incarnerait-il pas justement un nouvel avatar de cette fameuse « personnalité autoritaire » ?
    Pourquoi oublier aussi le livre prophétique que Roland Huntford publie au début des années 1970 et intitulé : Le Nouveau Totalitarisme [4]. Huntford analyse en effet la social-démocratie suédoise pour démontrer que les libertés personnelles sont tout aussi menacées par l’intrusion de l’État-providence dans l’intimité des personnes, le conformisme, l’hygiénisme, le fiscalisme, la réduction du rôle éducatif de la famille et la « libération des mœurs [5] » que par la violence des milices en chemise noire ou rouge.
    Certes, ce nouveau totalitarisme ne tue plus, mais il étouffe, il réduit au silence ou au suicide. Quel progrès !

    L’avènement de la post-démocratie autoritaire

    Les défenseurs de la « démocratie » macronienne se gardent bien en effet de reconnaître que notre système politique et social a profondément changé depuis la fin du xxe siècle et singulièrement depuis la chute de l’URSS. Ils continuent d’invoquer la république sur l’air des lampions, pour faire croire que nous serions toujours sous un même régime. Mais en réalité nous en avons changé, pour entrer dans l’ère de la post-démocratie autoritaire, qui est une soft dictature.

    Car, si l’on définit, comme le dit la Constitution de la Ve République, la démocratie comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, force est de constater que nous ne vivons justement plus dans un tel régime.

    La post-démocratie repose en effet sur des principes tout différents : d’abord et avant tout sur la suprématie des droits des « minorités » sur ceux des majorités – réduites au silence –, sur l’idéologie des droits de l’homme et la marginalisation de la citoyenneté qui en découle, sur la suprématie des juges sur les législateurs, sur la supranationalité et sur la dérégulation de l’économie et de la finance [6].

    Car la post-démocratie tire la conclusion politique de la révolution intervenue en Occident après la fin de la guerre froide et qui a vu l’émergence d’un pouvoir économique et financier mondialisé, délocalisé et dérégulé, indifférent au bien commun, désormais plus riche et plus puissant que les États, lesquels se trouvent au contraire en phase de déconstruction avancée et réduits au rôle d’exécutant des desiderata de cette nouvelle oligarchie.

    Sur le plan idéologique, la post-démocratie correspond au fait que le libéralisme – en fait le capitalisme – s’est désormais séparé de la démocratie, mettant fin à la parenthèse des Lumières. Comme le disait si bien l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Parce que justement l’Union européenne se conçoit avant tout libérale avant d’être démocratique.

    La fin des libertés collectives, terreau de la soft dictature post-démocratique

    Ceux qui vantent les libertés individuelles dont nous bénéficions, pour récuser la dictature, oublient opportunément également que les libertés collectives – et au premier chef la souveraineté des peuples – ont été déconstruites par les post-démocrates libéraux. Lesquels ne conçoivent la liberté que comme un individualisme absolu, indifférent au bien commun, c’est-à-dire dans un sens exclusivement libéral et marchand car on n’autorise que ce que le marché peut satisfaire.

    Or, quand les libertés collectives disparaissent, les libertés individuelles ne peuvent durer longtemps, comme le démontre le sort des « démocraties populaires » soumises au régime de la souveraineté limitée soviétique.

    Ce que démontrent aussi de nos jours la déconstruction des frontières et la dérégulation de l’immigration, qui conduisent de plus en plus à réduire la liberté d’opinion des autochtones. En France, le gouvernement a dissous l’association Génération identitaire sous le prétexte que sa critique de l’immigration constituait, selon le parquet, une incitation à la haine, créant un précédent redoutable. Car, vis-à-vis de l’immigration, les autochtones n’auront désormais plus qu’un droit : celui de se taire et d’accueillir toujours plus d’immigrants.

    En post-démocratie, le peuple autochtone lui-même devient suspect, coupable de tous les crimes historiques : Emmanuel Macron ne se prive d’ailleurs pas d’allonger la liste des prétendues fautes imputables aux Français ! En post-démocratie, donner la parole au peuple – ce qui est de plus en plus rare – se trouve dévalué sous le vocable « populisme ». Et lui donner la priorité devient hautement discriminatoire !

    Un nouveau pouvoir sans limite

    L’avènement de la post-démocratie, qu’incarne l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, signifie surtout que les catégories classiques de la science politique n’ont plus cours en France : les principes d’équilibre et de séparation des pouvoirs, de souveraineté populaire, de responsabilité politique, de suprématie de la loi sont devenus obsolètes. Dans ces conditions, invoquer les élections ou la république pour réfuter la dictature, comme si nous étions en 1958, repose sur une supercherie.

    Car l’autorité est désormais de plus en plus économique et technologique, et non plus politique : ce qui signifie qu’elle n’est plus limitée par les contraintes inhérentes à la responsabilité politique et à l’adhésion populaire. En d’autres termes, on se trouve confronté à un pouvoir que de moins en moins de pouvoirs viennent refréner, à rebours de ce que préconisait Montesquieu.
    La crise du coronavirus a renforcé cette tendance à la marginalisation des institutions politiques, réduites au rôle de chambre d’écho des prescriptions des « experts » médicaux, des médecins de plateau télé, des comités Théodule et de Big Pharma.

    De même, les médias, devenus propriété des puissances économiques et financières, ne jouent plus leur rôle de contre-pouvoir mais, désormais, d’instrument du pouvoir, ce qu’ont d’ailleurs très bien compris les Gilets jaunes ou les manifestants anti-passe sanitaire ! Car les médias servent désormais à façonner l’opinion dans le sens que souhaite l’oligarchie, et non à défendre les libertés publiques.
    Or un pouvoir que plus rien ne vient refréner bascule tôt ou tard dans la dictature et l’oppression. Nous sommes justement en train de vivre ce moment.

    Les élections ne sont pas interdites : elles sont inutiles !

    Revenons à Raphaël Enthoven.

    Certes Emmanuel Macron n’a pas supprimé les élections. Mais l’ordre post-démocratique qu’il représente les a rendues inutiles puisqu’elles restent sans effet sur le cours des choses.

    Les élections ne servent plus à rien puisque les gouvernants obéissent non plus aux électeurs mais à l’oligarchie qui se réunit à Davos. Et qu’ils conduisent la même politique quel que soit le parti élu.

    Les manifestations ne sont pas interdites, mais elles n’ont aucune influence sur le pouvoir lorsqu’elles vont à rebours de l’idéologie du système. Qu’on se souvienne du « grand débat national » ou des cahiers de doléances censés répondre aux attentes des Gilets jaunes : pour quel résultat concret ? Aucun.

    Les élections deviennent inutiles dès lors que les gouvernants et les législateurs ont perdu les moyens de garantir le bien commun, en abdiquant l’essentiel de leurs pouvoirs à la BCE, à la Commission européenne, à l’OTAN, aux banques, aux grandes entreprises et aux juges. C’est pourquoi l’abstention électorale progresse.

    C’est pourquoi aussi le concept de « majorité » parlementaire ou présidentielle ne correspond plus à rien de nos jours : LREM ne représente plus, depuis les élections régionales, que 10 % du corps électoral en France. Ce qui ne l’empêche pas de faire la loi au Parlement ! Et Emmanuel Macron lui-même doit plus son élection présidentielle de 2017 au parquet national financier et aux médias qu’au choix populaire.

    La privatisation de la dictature

    Les défenseurs attitrés de la république macronienne ont beau jeu de vanter le caractère libéral de nos institutions ou le fait que l’état de droit limiterait la malévolence de l’Etat, selon le vieux credo libéral.

    Mais, ce faisant, ils passent sous silence que la restriction des libertés provient de nos jours beaucoup plus, et de façon croissante, des grandes entreprises privées, des associations et des ONG que de l’État.

    Les GAFAM, alors qu’Internet est devenu incontournable [7], n’hésitent plus à censurer les dissidents, voire les présidents qui leur déplaisent. Ce qui s’est passé lors de l’élection présidentielle américaine en 2020 marque sur ce plan un tournant important pour l’analyse du phénomène dictatorial en Occident. En France, Facebook et Twitter censurent allègrement les opposants à la macronie, mais beaucoup moins les islamistes !

    De même, de nombreuses entreprises prennent de plus en plus ouvertement des postures politiques, sous prétexte de respecter leurs « chartes des valeurs », lesquelles déclinent à l’infini, par un heureux hasard, le politiquement correct. Et ajoutent à la précarité économique la répression politique.

    Rappelons-nous ces entreprises [8] ayant décidé de boycotter toute publicité sur CNews – donc de discriminer – sous prétexte que cette chaîne donnait la parole à Éric Zemmour. Rappelons-nous ces dirigeants d’entreprise faisant profession d’antiracisme, de diversité ou d’écologie dans les médias, donc devenant prescripteurs idéologiques, pour avoir le droit… de licencier les autochtones en toute liberté. Rappelons-nous, aussi, les interdits professionnels de fait qui se développent en toute impunité à l’encontre des militants identitaires, du Rassemblement national, voire à l’encontre de leurs salariés se réclamant des Gilets jaunes et demain bien sûr ne se faisant pas vacciner.

    Pensons aussi à cette myriade d’associations, subventionnées par le contribuable, qui traquent les propos incorrects et désignent les dissidents à la vindicte médiatique et judiciaire. Et aux ONG qui encouragent l’immigration illégale.

    Contrairement à ce que certains affirment, le nouveau capitalisme libéral et mondialisé n’est en effet nullement axiomatiquement neutre comme au temps du « laisser faire, laisser passer » ; au contraire il ne cesse d’imposer de nouveaux dogmes, de nouveaux tabous qui correspondent à ses intérêts : sans-frontiérisme, déconstruction culturelle, culte de la diversité, féminisme puritain, écologie punitive, etc.

    En d’autres termes, l’État a privatisé la censure et la restriction des libertés, il a privatisé la dictature, tout comme il confie aux commerçants la charge de contrôler les passes sanitaires !

    Mais cela ne change rien au fait que les libertés se réduisent, bien au contraire, puisque ces censures privées ne sont susceptibles de quasiment aucun recours.

    Cachez cette dictature que je ne saurais voir !

    Résumons la problématique.

    Il n’y a pas de dictature en France, mais on a vidé la démocratie de son sens. Et les Français ne maîtrisent plus leur destin : ni leurs frontières, ni l’immigration, ni leur monnaie, ni leur économie, ni leur emploi, ni leur sécurité, ni leur législation.

    Il n’y a pas de dictature, mais les juges irresponsables politiquement censurent les lois qui vont à l’encontre du politiquement correct et ne trouvent rien à redire aux lois restreignant les libertés des Français, comme le Conseil constitutionnel vient d’en apporter une nouvelle preuve à propos de la loi instaurant le passe sanitaire.

    Il n’y a pas de dictature en France, mais le deux poids, deux mesures devient progressivement la norme judiciaire : la prison pour les identitaires de l’Alvarium ou pour celui qui gifle Macron, la liberté pour l’incendiaire de la cathédrale de Nantes ou l’impunité pour les black blocs.

    Il n’y a pas de dictature, mais en France c’est le juge et non l’historien qui fixe la vérité historique.

    Il n’y a pas de dictature, mais curieusement les opposants politiques à Emmanuel Macron font systématiquement l’objet de poursuites judiciaires surmédiatisées, dont François Fillon fut la première victime emblématique en 2017.

    Il n’y a pas de dictature en France, mais les opposants à la politique conduite par Emmanuel Macron et son gouvernement se voient de plus en plus souvent insultés, diabolisés, traités de malades ou de complotistes et censurés dans les médias.

    Il n’y a pas de dictature en France, mais depuis 2015 notre pays vit sous le régime de l’état d’urgence et les lois liberticides se multiplient.

    Il n’y a pas de dictature, mais la liberté d’expression ne cesse de se réduire : dans les médias [9], dans l’édition, dans le monde de la culture, de la recherche ou à l’université. Or sans libre débat, la démocratie s’avère impossible.

    Il n’y a pas de dictature en France, mais les médecins qui contredisent la politique sanitaire du gouvernement sont écartés [10], sanctionnés ou interdits d’antenne. Il n’y a pas de dictature mais le conseil de l’ordre des médecins de Martinique a décidé que les médecins exprimant publiquement une opinion contraire à la politique vaccinale du gouvernement seraient passibles de sanctions disciplinaires. Et les GAFAM censurent tout discours allant à l’encontre de la politique sanitaire des gouvernements occidentaux. Il n’y a pas de dictature mais on est en train de supprimer la clause de conscience des médecins.

    Il n’y a pas de dictature, mais les officiers généraux du cadre de réserve qui expriment une opinion sur la situation de la France dans une lettre ouverte font l’objet de poursuites disciplinaires.

    Il n’y a pas de dictature en France, mais la technique numérique permet désormais un traçage de la population, dont le passe sanitaire constitue une première étape et auquel se préparent déjà les grandes entreprises[11].

    Il n’y a pas de dictature, mais l’État a délégué le droit d’opprimer à des milliers de petits dictateurs de proximité qui font respecter les gestes barrières, qui vérifient si vous portez correctement votre masque, qui contrôlent les passes sanitaires, qui imposent des couvre-feux, qui interdisent la vente d’alcool ou qui dénoncent leurs voisins et les dissidents.

    Il n’y a pas de dictature, mais, comme le relevait à juste titre Marion Maréchal, il se produit « un véritable changement de société, où la norme n’est plus la liberté mais la contrainte, où la solidarité nationale s’efface au profit d’une société de défiance et de contrôle, où la culpabilisation et la délation sont devenues la norme dans les rapports sociaux. […] Il y a une dérive évidente, avec une radicalisation de ceux qui détiennent les instruments de pouvoir[12] ».

    N’en déplaise à Raphaël Enthoven et ses émules, la dictature post-démocratique existe bien et de plus en plus de Français la rencontrent au quotidien ! Et de plus en plus de Français, justement, s’en inquiètent.

    Michel Geoffroy (Polémia, 31 août 2021)

     

    Notes :

    [1] Ainsi, sur Radio J le 23 janvier 2020, Emmanuel Macron a déclaré : « Aujourd’hui s’est installée dans notre société et de manière séditieuse, par des discours politiques extraordinairement coupables, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie, qu’une forme de dictature se serait installée. » Et de lancer : « Mais allez en dictature ! Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décident des lois. Une dictature, c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c’est cela, essayez la dictature et vous verrez ! La dictature, elle justifie la haine. La dictature, elle justifie la violence pour en sortir. »
    [2] Le Parisien du 26 novembre 2020.
    [3] Le 8 février 2021.
    [4] Fayard 1975 pour l’édition française.
    [5] On pourra penser sur ce plan aux romans uchroniques de Jean-Claude Albert-Weil, mettant en scène un quatrième Reich délirant, qui fait supporter sa domination en encourageant une sexualité débridée pour tous…
    [6] Notamment la fameuse « indépendance des banques centrales ».
    [7] Selon une récente étude, les Français passeraient un tiers de leur temps sur Internet…
    [8] Ferrero, Decathlon, Maif, Groupama, Monabanq, Maaf, PSA, Maître Coq, Lipton, Aramisauto, Autosphere, Atlantic, BlaBlaCar, Direct Assurance, Leboncoin, Société générale, Skoda, Solocal, l’Institut Pasteur, Volkswagen, Novotel.
    [9] 76 % des personnes interrogées jugent que « les médias ont tendance à tous dire la même chose » et que « la diversité des opinions dans les médias s’est réduite ces dernières années ». La méfiance (55 %) est le premier sentiment ressenti par les Français face aux médias, devant la colère (18 %), le dégoût (17 %) et l’intérêt (16 %) (sondage IFOP Opinion pour Flint-Média réalisé les 1er et 2 juin 2021).
    [10] La direction des Hôpitaux universitaires de Marseille annonce que le médecin réanimateur Louis Fouché, figure de l’opposition aux restrictions sanitaires contre le Covid-19, ne sera plus salarié de l’institution à partir du 19 octobre 2021. De même l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM) confirme que « le profil du Pr Didier Raoult n’est plus compatible avec ses fonctions en raison de ses prises de position sur le Covid19 ». Sans oublier le professeur Pérronne, démis de ses fonctions de chef de service des maladies infectieuses de l’hôpital de Garches pour « propos considérés comme indignes de la fonction qu’il exerce » en décembre 2020.
    [11] Voir à cet égard l’article d’Éric Verhaeghe, fondateur du Courrier des Stratèges, sur Polémia.

    [12] Interview dans Valeurs actuelles le 16 juillet 2021.

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  • La tradition, remède au nihilisme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque la question de la tradition au travers des essais de Dominique Venner, Histoire et traditions des Européens et Un samouraï d'Occident...

     

                                             

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  • L’Afghanistan, éternel « tombeau des empires »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Conrad, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et et consacré à la défaite américaine en Afghanistan.

    Agrégé d'histoire et professeur à l’École de guerre, successeur de Dominique Venner à la tête de la Nouvelle revue d'histoire, Philippe Conrad est l'auteur de nombreux ouvrages dont Histoire de la Reconquista (PUF, 1999), Le Poids des armes : Guerre et conflits de 1900 à 1945 (PUF, 2004), 1914 : La guerre n'aura pas lieu (Genèse, 2014) et dernièrement  Al-Andalus - L’imposture du «paradis multiculturel» (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    L’Afghanistan, éternel « tombeau des empires »

    « Combattre en Afghanistan est très dur pour des raisons géographiques, nationales et religieuses. Avant de lancer une opération militaire, il faut tenir compte de nombreux éléments et prendre une décision mûrement réfléchie, la tête froide. » Auteur de ces lignes, le général Boris Gromov commandait, en février 1989, le retrait soviétique d’Afghanistan. En 2001, au moment où, en réponse aux attentats du 11 septembre, l’Amérique chassait le pouvoir taliban de Kaboul, il avertissait les responsables américains des difficultés qu’ils allaient rencontrer face au régime islamiste installé depuis 1996.

    Ces hautes terres enclavées forment une région difficile que les envahisseurs successifs n’ont jamais pu maîtriser totalement. Voie d’invasion en direction du subcontinent indien et carrefour placé aux périphéries de plusieurs grands espaces de civilisation – l’Inde au sud-est, le monde des steppes d’Asie centrale au nord, le plateau iranien à l’ouest – l’Afghanistan a été convoité par tous les grands empires qui tentèrent de contrôler l’Asie centrale et méridionale.

    Le pays ne fut généralement conquis que de manière éphémère. Les puissances mondiales qu’étaient l’Angleterre au XIXe siècle, l’URSS au XXe et les États-Unis au XXIe y ont même subi de sanglants échecs.

    Une voie de passage et d’invasions depuis la nuit des temps

    Quinze siècles avant notre ère, les Aryens ouvrent la voie. Ils seront suivis par les Perses, les Macédoniens d’Alexandre, les Saces, les Huns hephtalites, les Arabes, les Mongols de Gengis Khan, les Turco-mongols de Tamerlan puis de Bâbur…

    L’Himalaya et les jungles de Birmanie barrant au nord et à l’est l’accès terrestre à l’Inde, c’est par l’ouest que les envahisseurs, les marchands ou les pèlerins bouddhistes chinois se dirigeaient vers les grandes et riches cités du bassin indo-gangétique. À certaines époques, la région – où se développera, au IVe siècle, le royaume d’Avagana (qui donnera leur nom aux Afghans) – apparaît même comme le centre de gravité de la puissance dominante du moment.

    Voie de passage, le pays sera aussi une base de départ pour les envahisseurs qui constitueront, à partir d’elle, des empires plus ou moins durables. Le sultan Mahmoud fait ainsi de Ghazni, au début du XIe siècle, une capitale musulmane rivale de Bagdad. Il peut ainsi lancer depuis l’Afghanistan des razzias répétées et dévastatrices vers l’Inde toute proche.

    Après lui, Bâbur se prétend l’héritier de Gengis Khan et de Tamerlan : il s’empare de Kaboul en 1504 avant de se lancer sur l’Inde pour y anéantir le royaume de Delhi. Repliés un temps sur leur refuge afghan, ses descendants bâtissent le brillant empire moghol. Au XVIIIe siècle, quand s’effondre la puissance de la Perse safavide, c’est Ahmed Shah qui construit le « grand Afghanistan » étendu de l’Iran à l’Inde.

    Vaincre par la terreur et le massacre

    Ce monde difficile fut le théâtre de l’un des épisodes les plus remarquables de l’épopée d’Alexandre. Parvenu dans la région de Kaboul, le conquérant macédonien fait remonter à son armée la haute vallée du Panshir jusqu’au col de Khawak (3548 m). Il le franchit en taillant son chemin dans la glace. En Transoxiane, six jours sont nécessaires pour traverser l’Oxus (l’actuel Amou Daria) en crue. Lors de la marche vers Maracanda (Samarcande), la capitale de la Sogdiane, Alexandre réussit la « pacification » par le massacre systématique des populations rebelles. Faute de pouvoir livrer des batailles rangées, les Macédoniens s’organisent en colonnes mobiles qui traquent et affament l’adversaire pour éradiquer la guérilla. Quand Alexandre marche vers l’Indus en juillet 327, il « nettoie » tout ce qui peut constituer une menace pour ses arrières.

    Seize siècles plus tard, Gengis Khan établit sa domination avec les mêmes méthodes. Balkh, Bamyan, Ghazni et Hérat sont alors rasées. Toute leur population est méthodiquement massacrée. Isolées, les formidables forteresses qui se dressent à proximité de Bamyan sont finalement prises en 1222. Elles étaient pourtant jugées inexpugnables. Un siècle et demi plus tard, Tamerlan sera le digne successeur du conquérant des steppes. Envahi en 1380, l’Afghanistan sort exsangue de ce nouveau cataclysme.

    Échec anglais puis russe aux XIXe et XXe siècles

    Solidement installés aux Indes au XVIIIe siècle, les Britanniques entendent protéger l’ensemble du subcontinent de toute menace venant du nord-ouest et doivent pour cela contrôler la passe de Khaïber (Khyber). Inquiets des visées russes sur la région et soucieux d’interdire aux tsars l’accès aux mers chaudes, les Anglais installent l’un de leurs protégés à Kaboul en 1839, mais une grande révolte éclate deux ans plus tard et le général Elphinstone doit négocier une humiliante retraite.

    L’Armée anglaise va connaître, une semaine durant, un véritable calvaire. Dans l’impossibilité de manœuvrer, elle subit le feu d’adversaires embusqués sur les hauteurs des points de passage obligés. Les pertes sont terribles : sur les seize mille cinq cents hommes (dont douze mille auxiliaires indigènes indiens) partis de Kaboul le 4 janvier 1842, un seul, le chirurgien Brydon, arrivera à Djalalabad une semaine plus tard ! La lenteur de la progression dans la neige épaisse, le froid terrible et les embuscades à répétition des Afghans ont eu raison de l’armée anglaise d’Afghanistan. Les Britanniques reviendront à Kaboul à la fin de la même année mais l’échec reste cuisant. Ils n’en ont pas fini avec les Afghans. Deux autres guerres les opposeront en 1878-1892 et en 1919.

    En décembre 1979, l’intervention soviétique a pour objectif la liquidation d’une fraction du parti communiste local au profit d’une autre, jugée plus apte à maîtriser l’insurrection islamiste qui gagnait de nombreuses régions. L’opération « Bourrasque 333 » va en réalité déboucher sur un terrible enlisement, annonciateur de l’effondrement de l’empire soviétique.

    L’Armée rouge avait choisi de ne contrôler que l’Afghanistan « utile » soit 20% du territoire correspondant  aux zones les  plus riches et les plus peuplées : les régions du nord frontalières de l’URSS (qui exploitait le gaz naturel local pour financer « l’aide » fournie aux Afghans), le tunnel de Salang, la région de Kaboul et les principales autres villes de la route contournant la masse d l’Hindou Kouch et conduisant de Kandahar à Hérat. Des régions entières furent donc abandonnées à l’ennemi. Ce choix facilita la vie et les déplacements de la résistance. Les occupants russes commirent aussi l’erreur de vouloir occuper le terrain avec un contingent permanent de cent vingt mille hommes (environ six cent mille furent ainsi, au fil des années, engagés en Afghanistan). Après dix ans d’occupation, ils auront perdu quatorze mille hommes et compteront trente cinq mille blessés.

    Plusieurs offensives lancées dans la vallée du Panshir contre les troupes du commandant Massoud échouèrent, les unités blindées et mécanisées soviétiques se révélant mal adaptées au combat en montagne. L’emploi des hélicoptères pour contrôler les hauteurs et y déposer des unités d’élite et pour appuyer les colonnes blindées dans les vallées ne connut pas plus de succès. Les bombes à effet de souffle, le napalm, les munitions chimiques, la dispersion massive de mines antipersonnel ne vinrent pas davantage à bout des moudjahidines. La répression mise en œuvre par le Khad (la police politique du régime de Kaboul) dressa encore davantage la population contre les envahisseurs et leurs collaborateurs locaux. L’aide américaine (quinze milliards de dollars d’armements) acheva l’Armée rouge, grâce notamment aux redoutables missiles sol-air Stinger.

    Et les Américains pour finir…

    L’échec subi à l’époque par les Soviétiques aurait dû donner à réfléchir aux responsables américains quand ils décidèrent d’intervenir au sol en 2001 pour favoriser l’émergence locale d’un système démocratique des plus hypothétiques.

    Pour parvenir à leurs fins, ils auraient dû se garder de s’installer au sol pour une longue durée. Ils savaient qu’ils avaient intérêt à faire combattre les Afghans par d’autres Afghans et à tenter de rallier certains chefs de tribus pachtounes pour s’opposer au pouvoir taliban, largement perçu comme étranger par certaines populations.

    Une connaissance insuffisante du terrain et des réalités afghanes, tout comme les illusions entretenues par le projet de nation building auront eu raison des plans concoctés par les officines néo-conservatrices de Washington. Dès 2001, le colonel russe Franz Klintsevitch – qui avait combattu en Afghanistan de 1986 à 1988 – prévenait :

    « En cas d’intervention des troupes terrestres, qu’il faut retarder le plus longtemps possible, les États-Unis doivent s’attendre à une guerre de plusieurs décennies, sauf à supprimer toute la population… »

    N’ayant rien voulu comprendre ni apprendre, comme toujours, les États-Unis subissent aujourd’hui une humiliation majeure.

    Vae victis.

    Philippe Conrad (Institut Iliade, 25 août 2021)

     

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  • Libres réflexions sur le début et la fin du dernier conflit mondial...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue stimulant de Guy Mettan, cueilli sur son blog Planète bleue et consacré à la deuxième guerre mondiale.

    Responsable du Club suisse de la presse et ancien directeur-rédacteur en chef de la Tribune de Genève, Guy Mettan a notamment publié Russie-Occident : une guerre de mille ans (Syrtes, 2015) et Le continent perdu (Syrtes, 2019).

     

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    La Deuxième Guerre mondiale   est-elle vraiment terminée ?

    Libres réflexions sur le début et la fin du dernier conflit mondial

    « La deuxième Guerre mondiale a commencé le 1er septembre 1939 avec l’invasion de la Pologne par les troupes nazies et s’est terminée le 8 mai 1945 avec la capitulation du Reich. » C’est ce qu’on apprenait dans les manuels scolaires des années 1950-1960 dans les écoles suisses et françaises. Pendant cinquante ans, ces dates me semblaient coulées dans le bronze et il ne me serait pas venu à l’idée qu’on puisse les remettre en cause.

    Cependant, le Japon ayant été vaincu par les Etats-Unis après avoir reçu deux bombes atomiques, il a été assez vite admis qu’il fallait repousser la date de la fin de la deuxième Guerre mondiale au 2 septembre 1945, jour de la capitulation du Japon. Mais en Europe occidentale, cette date du 2 septembre est restée très abstraite. En effet, comme à cette époque on avait l’habitude de commémorer les dates du 11 novembre 1918, fin de la Première Guerre mondiale, et du 8 mai 1945, fin de la deuxième, c’est cette dernière date qui est restée gravée dans ma mémoire personnelle et dans la mémoire collective de la majorité des Européens occidentaux.

    Il a fallu attendre 1991, la dissolution de l’Union soviétique et le « retour » des pays est-européens dans le giron occidental pour découvrir qu’à l’est, et en Russie notamment, on célébrait la fin de la Victoire sur le Reich le 9 mai et non le 8, à cause du décalage horaire provoqué par la signature tard dans la nuit de l’armistice. Du coup, les célébrations de la victoire sur le fascisme intervenaient un jour plus tôt en Occident. Ce qui lui permettait de s’attribuer, en catimini, la totalité de l’honneur de la victoire, devant la Russie soviétique qui se trouvait condamnée à ne la célébrer que le lendemain, comme un comparse de deuxième rang, un allié de deuxième zone, alors même qu’elle avait été le principal artisan de la victoire !

    Cet effacement progressif de la contribution russo-soviétique à la victoire sur le nazisme a été puissamment renforcé par la montée en puissance de la date du 6 juin 1944, jour du Débarquement de Normandie, dont la commémoration a pris une importance de plus en plus marquée à la fin de la Guerre froide et après la disparition de l’Union soviétique. Il s’agissait pour les Occidentaux, de consolider l’Alliance atlantique, de renforcer le front « démocratique » contre le communisme et de réintégrer l’Allemagne dans le concert des nations européennes aussi bien au sein de l’Union européenne que de l’OTAN.

    La célébration du Débarquement avait donc l’immense avantage de permettre de mettre de côté la Russie, sous prétexte qu’elle n’était pas présente sur les plages de Normandie le 6 juin, et d’adopter la posture du vainqueur magnanime en invitant les vaincus, les Allemands, aux cérémonies. C’est ainsi que le 6 juin 2019, à l’occasion du 75e anniversaire du Débarquement, les « Alliés » ont invité Angela Merkel en Normandie mais pas Vladimir Poutine, dont le pays avait pourtant libéré l’Europe du nazisme au prix de 26 millions de morts ! Au diable les réalités de l’Histoire, quand on peut ajouter l’injure à la distorsion des faits…

    Naturellement cette forfaiture n’aurait jamais été possible du vivant des survivants du Débarquement. Les soldats alliés qui ont débarqué en Normandie, qu’ils aient été Anglais, Américains, Français ou Canadiens, savaient parfaitement qu’ils devaient leur vie et leur succès au sacrifice de dizaines de milliers de soldats soviétiques qui, pendant ces jours fatidiques, se faisaient tuer au combat sur le front de l’est pour empêcher Hitler de rapatrier ses blindés et ses troupes de choc en Normandie afin de faire échec au débarquement. Ils auraient été indignés que, pour des raisons politiques, la Russie fût exclue des festivités. Leurs témoignages sont très clairs à ce sujet. Mais aujourd’hui, les derniers survivants disparaissent, et avec eux l’esprit de justice et de fraternité des armes qu’ils défendaient.

    Il serait intéressant de faire un sondage d’opinion. Mais je suis convaincu qu’aujourd’hui, en Europe occidentale, la date du 6 juin 1944 concurrence et même précède celle du 8 mai 1945 comme date essentielle de la deuxième Guerre mondiale. Elle devance en tout cas largement la date de la bataille de Stalingrad dans la mémoire collective ouest-européenne, qui pense par ailleurs que ce sont les Etats-Unis qui ont permis de vaincre l’Allemagne nazie.

    Cela étant dit, la question des dates du début et de la fin de la 2e GM dépasse de loin ces considérations. On sait que pour les Chinois par exemple, la deuxième Guerre mondiale a commencé en 1937 déjà, avec l’invasion de la Chine orientale par les troupes japonaises, voire en 1931 si l’on remonte à l’occupation de la Mandchourie. Cette date n’est pourtant jamais retenue alors que la Chine, avec un bilan estimé entre 10 et 20 millions de morts, a payé le plus lourd tribut de la guerre après l’Union soviétique (Allemagne 7-9 millions, USA 0.4 million, Japon 2.5-3 millions).

    Inversement, dans d’autres pays comme la Russie et les Etats-Unis, la Deuxième Guerre mondiale ne commence que le 22 juin 1941 avec l’Opération Barbarossa et le début de la Grande Guerre Patriotique (au risque d’oublier l’occupation de la Pologne orientale et la guerre de Finlande en automne 1939) et le 7 décembre 1941 avec l’attaque de Pearl Harbour.

    On ne saurait pourtant réduire une guerre à ses seules batailles et opérations militaires. Si l’on pense avec Clausewitz que la guerre n’est que la poursuite de la politique par d’autres moyens, alors il faut aussi considérer les événements politiques. Et là, les choses se compliquent beaucoup. Les dates deviennent de moins en moins pertinentes, le choix dépendant fortement de l’idéologie et de l’origine géographique des auteurs.

    Certains auteurs antisoviétiques ou antirusses ont par exemple suggéré de faire démarrer les hostilités avec le Pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939, oubliant commodément les accords de Munich du 30 septembre 1938. Ce sont pourtant ces derniers accords qui avaient abouti à l’invasion des Sudètes en Tchécoslovaquie et qui, de façon discrète et pernicieuse, avaient aussi cherché à détourner les appétits de conquête de Hitler vers l’Union soviétique plutôt que vers la France et la Grande-Bretagne. Cet aspect des accords de Munich n’est jamais mentionné par les historiens occidentaux alors même qu’il a conforté le bellicisme de l’Allemagne nazie. Après Munich, Hitler n’avait plus à se demander s’il voulait attaquer d’abord à l’est ou d’abord à l’ouest. Ce serait l’est, ce que Staline avait parfaitement compris et l’amena à conclure le pacte Molotov-Ribbentrop.

    Quoiqu’il en soit, la majorité des historiens s’accorde à penser que la principale cause de la Deuxième Guerre mondiale résulte du « Diktat » de Versailles, qui a imposé en 1921 des conditions excessivement dures à l’Allemagne et amplifié les frustrations qui ont encouragé le revanchisme nazi après la crise financière de 1923 et la crise économique de 1929.

    Soit. Mais si l’on remonte au traité de paix de 1921, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Une vision un peu plus large, ou plus distanciée, du 2e conflit mondial devrait remonter non pas à la conclusion provisoire de la Première Guerre mondiale mais à son déroulement. C’est ce que suggère la thèse de l’historien révisionniste allemand Ernst Nolte, pour qui la Deuxième Guerre mondiale n’est qu’une grande guerre civile commencée en 1917, lorsque la Première Guerre mondiale eut pour funeste conséquence de conduire à la révolution bolchévique. Pour Nolte, la Deuxième Guerre mondiale commence donc en Russie en 1917 pour s’achever en 1945. C’est en tout cas ce que reflète le titre de son ouvrage majeur « La Guerre civile européenne, 1917-1945 », dans lequel il défend l’idée que le nazisme s’est développé en réaction au communisme et au « judéo-bolchévisme ». Cette thèse contestable a provoqué dans les années 1980 ce qu’on a appelé la « querelle des historiens ». Les critiques de Nolte l’ont accusé, à juste titre, de relativiser la responsabilité des crimes nazis en les faisant remonter au communisme et en donnant du crédit aux comparaisons du style Staline égale Hitler (ou Hitler égale Staline), très en vogue aujourd’hui dans les cercles dirigeants occidentaux.

    Cette reconstruction a posteriori des enchainements chronologiques de la Deuxième Guerre mondiale et cette manière d’établir des équivalences sont évidemment très discutables. Si l’on postule que la Révolution bolchévique a engendré le communisme, et par là le nazisme, il faut alors s’interroger sur les causes et la nature de cette révolution. Et surtout il faut alors remonter au moins jusqu’en 1914 et à l’éclatement de la Première Guerre mondiale, laquelle n’a d’ailleurs pas seulement entrainé la chute du tsarisme mais aussi celle des régimes monarchiques allemand et autrichien.

    Mais cela n’est pas notre but ici. Si l’on élargit la perspective de Nolte en abandonnant tout biais idéologique, on peut accepter son idée de guerre civile européenne. Une guerre civile qui aurait commencé en 1914, se serait terminée en 1945 et qui se serait soldée par la ruine de la civilisation européenne. Une guerre de trente ans, comme celle qui a divisé l’Europe entre 1618 et 1648, mais avec des résultats beaucoup catastrophiques sur le long terme. Ou plutôt une guerre civile de trente ans comme la Guerre du Péloponnèse qui, entre 431 et 404 avant JC, a ruiné la Grèce antique au point de la faire sortir de l’Histoire.

    Comparaison n’est pas raison, surtout en histoire. Mais l’analogie entre les deux guerres mondiales et la guerre du Péloponnèse ouvre des pistes de réflexion intéressantes. Elle n’avait d’ailleurs pas échappé aux intellectuels de l’époque qui, comme Albert Thibaudet (La Campagne avec Thucydide, 1922), avaient été frappés par cette forme de suicide de la civilisation européenne qu’avait représenté la Première Guerre mondiale. Si cela a été vrai pour la Première, ça doit l’être a fortiori pour la Deuxième !

    Ces deux guerres civiles sont proches par leur durée, mais aussi par la géographie (deux archipels formés de petits Etats à la fois maritimes et terrestres et dotés d’un rayonnement commercial, culturel, économique et militaire remarquable), par leur nature (une guerre civile qui coupe le monde civilisé en deux alliances de force quasi égale) et par leur résultat (un des deux camps obtient la victoire mais celle-ci affaiblit aussi bien les vainqueurs que les vaincus et profite dans les faits à des puissances périphériques (Macédoine et Rome après la Guerre du Péloponnèse, Union soviétique et Etats-Unis après la Grande Guerre civile européenne).

    Nul ne peut contester qu’après la guerre du Péloponnèse, le foyer de la civilisation classique grecque qu’avaient représenté Athènes et Sparte s’est peu à peu étiolé, au profit de la Macédoine d’abord et de Rome ensuite. Voisine de la Grèce mais jugée non-grecque par beaucoup de Grecs, la Macédoine a tiré profit du conflit et, avec Alexandre le Grand, a même connu une brillante heure de gloire avant de s’effacer elle aussi devant la nouvelle puissance conquérante : Rome.

    Comment ne pas faire le rapprochement avec l’Union soviétique, qui connut aussi son heure de gloire dans les années 1960 avant de s’effacer devant les Etats-Unis ? Etats-Unis qui, comme Rome après la guerre du Péloponnèse, intervinrent dans les affaires européennes à la faveur des conflits internes (une première fois en 1917, une deuxième en 1941 et une troisième en 1947 avec la Guerre froide) et finirent par ne plus jamais quitter le sol européen. A l’imitation des Romains qui, profitant de l’affaiblissement et des divisions internes grecques intervinrent une première fois en 212, une deuxième fois en 180 puis une troisième fois en 146 avant JC, cette fois-ci pour y rester définitivement en réduisant la Grèce à l’état de colonie romaine.

    Arrêtons ici les analogies pour simplement suggérer que, si la date du début de la Deuxième Guerre mondiale peut beaucoup varier selon le point de vue des historiens, sa date de fin peut également être discutée. Certes, les armes se sont tues en 1945 sur le sol européen. Mais était-ce vraiment la fin du conflit ? La Guerre froide, pour retourner l’argument de Clausewitz, n’a-t-elle pas été la poursuite de la guerre chaude par d’autres moyens, moins meurtriers mais tout aussi efficaces ? Et les guerres de décolonisation, la guerre du Vietnam, et même le démembrement de la Yougoslavie et le bombardement de la Serbie, n’ont-ils pas été les ultimes batailles, éclatées et sporadiques, de la Deuxième Guerre mondiale ?

    Et comment être sûr que cette Guerre soit vraiment terminée ? La victoire revendiquée par les Etats-Unis en 1991, après la disparition de l’adversaire soviétique, a-t-elle clos le débat ? Pas si sûr. Car entretemps, un autre protagoniste de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale a brusquement ressurgi sur la scène internationale, la Chine, avec une montée en puissance si rapide et si spectaculaire qu’elle ébranle les certitudes du vainqueur autoproclamé, qui craint désormais d’être surclassé.

    On conclura donc provisoirement que la Deuxième Guerre mondiale s’est bien déroulée entre 1939 et 1945 mais que tant ses causes que ses conséquences sont loin d’avoir épuisé la réflexion. C’est le mérite des historiens de garder l’esprit ouvert et, à la lumière des faits, de soumettre à la critique et à la discussion des interprétations qui renouvellent le regard que l’on peut porter sur ce tragique événement.

    Guy Mettan (Planète bleue, 22 juillet 2021)

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