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Points de vue - Page 92

  • Une campagne d’opinion manipulatoire en faveur de l’immigration massive...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Tormenen, cueilli sur Polémia et consacré aux campagnes officielles de désinformation en faveur de l'immigration "économique"...

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    OIM : Organisation internationale pour les migrations

    Source : ONU Info, 18 janvier 2021

     

    Économie. Une campagne d’opinion manipulatoire en faveur de l’immigration massive

    L’immigration est-elle une nécessité pour pourvoir les besoins en main-d’œuvre de l’économie française ? Sans aucun doute, oui, si l’on en croit l’intense campagne d’opinion organisée dans ce sens.
    Pour peu, on en oublierait que la France sort à peine d’une des plus graves crises économiques de son histoire.
    En 1841, Chateaubriand soulignait dans ses Mémoires d’outre-tombe les écueils de la formation des opinions : « Tout mensonge répété devient une vérité. » La période récente illustre l’entreprise de conditionnement des esprits visant à faire accepter aux Français une immigration extra-européenne massive, une entreprise qui confine à la saturation cognitive. Les exemples qui suivent en témoignent : c’est une nouvelle fois par la répétition que la nomenklatura veut faire accepter aux Français ce que la majorité d’entre eux refuse, comme en attestent les nombreux sondages réalisés à ce sujet.

    L’immigration massive est indispensable, selon la Commission européenne

    La position de la Commission européenne est constante en la matière : les pays européens doivent accueillir plus d’immigrés.

    En 2008, les bureaucrates européens estimaient déjà que « suite au vieillissement rapide de la société, l’Europe n’a désormais plus d’autres choix que celui de prendre des décisions courageuses, y compris dans le domaine de l’immigration, si l’on veut garantir la croissance économique et la richesse aux générations futures. […] Pour remédier [à la baisse prévisible, NDLR] de la taille de la population en âge de travailler, l’UE devra, à l’avenir, attirer plus d’immigrants et ce, à chaque niveau de compétence et de qualifications ».

    Les successeurs de Jacques Delors, de Manuel Barroso et de Jean-Claude Juncker n’ont pas dévié de la ligne tracée par leurs illustres prédécesseurs.

    En mars 2017, le commissaire européen aux migrations et aux affaires intérieures, Dimítris Avramópoulos, s’exprimait dans le journal suisse Le Temps : « Les Vingt-Sept auront besoin à l’avenir de 6 millions d’immigrés. »

    Plus proche de nous, le 23 septembre 2020, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, était tout aussi catégorique : « L’immigration fait partie de ce qui rend notre continent prospère. Nous avons beaucoup d’immigration à destination de l’UE. Et nous avons besoin de ces gens, notre société vieillit. Mais nous avons aussi besoin de nouvelles voies d’immigration légale. »

    Mais professer des opinions en la matière n’est pas suffisant. Plusieurs études parues durant le premier semestre 2021 visent à donner à ces positions un vernis scientifique. Il s’agit autant de produire un travail argumenté que de communiquer : ces travaux ont dépassé le cadre des cercles dirigeants et ont été très largement médiatisés. C’est un véritable festival.

    Le livre vert de la Commission européenne sur le vieillissement

    La Commission européenne a lancé le top départ en rendant public le 27 janvier 2021 un « livre vert sur le vieillissement ». Si ce rapport vise à mieux prendre en compte le vieillissement de la population dans l’Union européenne, il n’en oublie pas pour autant de souligner que l’une des « manières de prévenir ou de limiter les conséquences négatives du vieillissement sur notre société » est de « favoriser l’immigration légale ».

    Les clefs pour préserver notre modèle social, selon le haut-commissariat au plan

    La conviction de la nécessité de recourir à une immigration massive est également partagée par nos « élites » nationales. Le 16 mai, le haut-commissaire au plan, François Bayrou, rendait public un « pacte pour la démographie » afin de sauver le modèle social français.

    L’avenir démographique de la France ne serait plus assuré compte tenu de la baisse de l’augmentation de la population (!). Deux solutions cumulatives sont proposées par la haut-commissaire au plan pour faire face à ce problème : avoir plus d’enfants et… « accueillir des personnes d’autres pays ».

    Ignorant toutes les conséquences sociales et culturelles de l’organisation d’une immigration extra-européenne massive, le haut-commissaire ne cesse dans son rapport de vanter l’intérêt que la France devienne un « champion démographique » en Europe. Ceci afin notamment de « mieux peser au sein de l’Union européenne ». Mais à aucun moment François Bayrou ne s’interroge sur l’identité d’un pays dont la composition serait modifiée en profondeur. Peser, oui, mais qui pèsera et dans quel sens, compte tenu de l’immigration majoritairement de culture musulmane qui arrive en France ?

    Le Center for Global Development, le vernis scientifique de l’immigrationnisme

    Alors que le haut-commissaire au plan se base sur des chiffres de l’INSEE pour préconiser de recourir à davantage d’immigration, c’est à partir de chiffres fournis par l’ONU que deux économistes tentent de répondre à la question « L’Europe peut-elle éviter l’imminente crise du vieillissement ? » dans une étude publiée le 14 juin par le Center for Global Development.

    Le constat est sans appel : « la faible immigration est un problème croissant ». 22 millions d’emplois risqueraient d’être vacants en 2050 dans l’Union européenne et au Royaume-Uni. Le continent européen doit redoubler d’efforts pour attirer des immigrés, en ouvrant les universités, en acceptant un grand nombre de réfugiés pour attirer encore plus de migrants ensuite, etc.

    Cela n’étonnera personne qu’au rang des généreux donateurs du think tank américain figure en bonne position la Commission européenne.

    Le mentor d’Emmanuel Macron préconise « d’aller chercher des étrangers, européens ou non »

    Le mentor d’Emmanuel Macron, Jacques Attali, ne manque jamais une occasion pour dispenser ses précieux conseils. Le 18 juin, il s’interrogeait sentencieusement sur son blog : « on fait comment » pour exercer « des métiers pour lesquels il n’existe pas, aujourd’hui, en France, assez de gens compétents pour les exercer » ?

    L’activation des dépenses sociales, ou, pour dire de façon plus directe, remettre les chômeurs au travail, est balayée d’un revers de main : cela serait « compliqué », cela pourrait être « contourné » et « la formation des chômeurs est encore un désastre dans la société française ».

    En fidèle allié de la superclasse, l’ancien conseiller de Mitterrand préconise « d’aller chercher des étrangers, européens ou non ».

    Joignant les actes aux paroles, dix dirigeants de grandes sociétés annoncent se mobiliser à partir du constat que « les réfugiés sont des talents pour nos entreprises » dans une tribune parue dans le JDD du 19 juin.

    L’association chargée de la formation professionnelle des adultes (l’AFPA) a pris de l’avance : elle communique dans un tweet paru le 21 juin sur le fait que « 12 réfugiés viennent de terminer avec succès leur parcours dans le cadre du programme HOPE à l’AFPA Vesoul. Formés au métier de préparateur de commandes, leurs compétences répondent à besoin important de recrutement sur le territoire. Ils intégreront PSA à Vesoul dès le 22 juin ! ».

    On ne pouvait trouver plus belle illustration de ce qui est présenté depuis plusieurs années comme une évidence : la France a un ardent besoin de main-d’œuvre étrangère.

    Patatras, le lendemain, le tribunal de commerce de Dijon annonçait la liquidation de la fonderie MBF Aluminium à Saint-Claude, qui devrait se traduire par la suppression de 300 emplois.

    Cette annonce nous rappelle une triste réalité, bien éloignée des messages véhiculés par certains grands dirigeants et intellectuels dogmatiques : la France est en voie de désindustrialisation accélérée. Les fermetures d’usines comme celle de Bridgestone à Béthune ou de MBF Aluminium à Saint-Claude sont de véritables catastrophes pour les bassins d’emplois concernés. Pire, ce sont des emplois tertiaires d’ingénieurs, de comptables, etc. qui sont désormais délocalisés, en Irlande, en Pologne, en Inde, etc.

    Cela fait des décennies que, en s’appuyant sur des exercices hasardeux de prospective, nos dirigeants essayent de convaincre les Français que l’immigration est une nécessité. Pendant ce temps, le nombre de chômeurs et de bénéficiaires des minima sociaux ne fait qu’augmenter. Le cynisme de ceux qui considèrent le « stock » des chômeurs de longue durée comme quantité négligeable est sans limite.

    Paul Tormenen (Polémia, 1er juillet 2021)

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  • Afghanistan, Pakistan : l’échec américain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel, cueilli sur Geopragma et consacré à l'échec américain en Asie centrale... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

     

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    Afghanistan, Pakistan : l’échec américain

    Le 4 juillet 2021, jour de  l'« independance day », les Etats-Unis achèveront leur retrait d’Afghanistan mettant un terme à 20 ans de guerre, la plus longue de leur histoire au cours de laquelle au 13 avril 2021  ils avaient perdu 2 349 soldats et avaient déploré 20 149 blessés.

    Pour effectuer un retrait de leurs troupes d’une façon honorable, le 12 septembre 2020, les Américains ont lancé la nième négociation intra afghane avec les Talibans. Mais pas un seul observateur de bonne foi peut croire que les Talibans voudront les poursuivre après le 4 juillet. Pourquoi ? Parce qu’en Afghanistan les Etats-Unis ont fait face à une guerre révolutionnaire dans laquelle les objectifs religieux des talibans « instaurer un ordre islamique et vertueux pour remplacer l’ordre païen et corrompu » se sont entremêlés avec les objectifs mafieux des trafiquants de pavot. En effet, devant la nécessité de financer leur guerre et de s’attacher la complicité des campagnes, les Talibans ont décidé de faire des producteurs et des trafiquants de pavot, leurs compagnons de route alors qu’avant l’invasion américaine ils les exécutaient. Cette interdépendance nous la retrouvons dans nos banlieues. Elle est la cause des échecs de la politique de réconciliation que le Président Kasaï a tenté plusieurs fois de négocier. Pour les Talibans il n’est pas question de composer avec un pouvoir corrompu, pour les trafiquants, la paix est synonyme de développement économique et donc de fin de leur business alors qu’en temps de guerre, la culture du pavot et leur trafic sont une condition de survie pour la population rurale.

    Même la représentante spéciale de l’ONU Mme Lyons n’y croit pas. Tout en saluant diplomatiquement les avancées dans les pourparlers de paix entre l’Afghanistan et les Talibans, puisque les deux parties ont annoncé le 2 décembre 2020 « qu’elles avaient formé un comité de travail chargé de discuter de l’ordre du jour », elle s’est inquiétée d’une violence incessante qui reste « un obstacle sérieux à la paix ». 

    En effet, entre le 13 juillet et le 12 novembre 2020, 9600 atteintes à la sécurité attribuées aux Talibans à Al Qaida ou à Daech ont été recensées dans tout le pays. En octobre et novembre 2020, les engins explosifs improvisés ont ainsi causé 60% de victimes civiles de plus qu’à la même période en 2019. Et au dernier trimestre 2020, le nombre d’enfants victimes de violences a augmenté de 25% par rapport au trimestre précédent.  Les attaques contre les écoles ont été multipliées par quatre.

    Même à Kaboul, les Américains et les forces gouvernementales n’arrivent pas à assurer la sécurité.  Le 8 mai 2021, deux mois avant le retrait total des forces américaines, une explosion devant une école pour filles à Kaboul fait au moins 85 morts et des centaines de blessés ; 8 jours plus tard le 15 mai 2021, un attentat revendiqué par Daech dans une mosquée soufi, a occasionné plus de 60 morts et plusieurs centaines de blessés.  

    Comment expliquer cet échec de la première puissance militaire et économique du monde.

    La première cause de cet échec est l’inadaptation totale de la politique de défense, de la stratégie opérationnelle et de l’armée américaine à la menace.

    La première erreur stratégique des conseillers de Bush junior a été de croire que l’on pouvait gagner cette guerre sans modifier la doctrine d’emploi de leurs forces classiques prévue pour des combats de haute intensité. Conformément à la doctrine militaire américaine, ils ont mené comme en Irak jusqu’en 2009 une guerre à distance sans mobiliser et entrainer des troupes locales et en causant des pertes considérables à la population.

    L’inadaptation de cette stratégie opérationnelle est résumée par le colonel Michel Goya dans ses « impressions de Kaboul », je cite : « une mission moyenne de deux heures de vol, sans tir, d’un chasseur bombardier américain équivaut presque à la solde mensuelle d’un bataillon Afghan ».

    Bien plus, Michel Goya dans « les armées du chaos » donne un exemple édifiant de l’inefficacité de cette guerre à distance, je cite : « des statistiques montrent qu’il faut aux américains une moyenne de 300 000 cartouches pour tuer un rebelle en Irak ou en Afghanistan ». Le chef de bataillon d’Hassonville du 2ème REP écrivait en écho dans le Figaro du 20 avril 2010 : « L’une des clés du succès du contingent français dans sa zone de responsabilité est d’être parvenu à contrôler nos ripostes et de ne tirer que pour tuer des cibles parfaitement identifiées ».

    Ce choix initial a entrainé des pertes considérables dans la population tant en Afghanistan qu’au Pakistan. L’étude « Body count » menée par des médecins légistes anglo-saxons, que l’on peut télécharger sur le web, chiffre entre 2003 et 2011 à au moins de 150 000 civils tués par les frappes américaines en Afghanistan et de l’ordre de 50 000 au Pakistan.

    Cette analyse est confirmée par le Général Stanley Cristal qui, prenant le commandement du théâtre d’opérations en juin 2009, déclare dans son premier discours aux troupes américaines « je crois que la perception causée par les pertes civiles est un des plus dangereux ennemis auquel nous devons faire face ».

    La seconde raison de cet échec est que Washington a cru qu’il pourrait gagner ce conflit local sans adapter sa stratégie diplomatique et militaire mondiale qui considérait la Chine et la Russie comme les deux menaces principales. C’est une erreur récurrente des Américains, ils croient toujours qu’ils peuvent ménager la chèvre et le chou.

    Ainsi depuis le début du XXIème, les Etats-Unis confrontés à la montée en puissance de la Chine, ont initié un partenariat stratégique avec l’Inde. En 2005, les deux pays ont signé un accord-cadre de défense de dix ans, dans le but d’étendre la coopération bilatérale en matière de sécurité. Ils se sont engagés dans de nombreux exercices militaires combinés et l’Inde a acheté d’importantes quantités d’armes américaines ce qui fait des États-Unis l’un des trois principaux fournisseurs d’armement de l’Inde après la Russie et Israël.

    Ce partenariat stratégique avec leur ennemi héréditaire, a inquiété les stratèges pakistanais qui ont revu à la baisse leur engagement aux côtés des Etats-Unis au moment même où les américains avaient besoin d’une collaboration sans faille du Pakistan pour gagner la guerre en Afghanistan.  En effet, les Talibans sont majoritairement des Pachtounes qui représentent 40% de la population afghane et leur ethnie est présente de part et d’autre de la frontière avec le Pakistan. Ainsi les Américains n’ont jamais pu obtenir une coopération efficace pour éviter que le Pakistan ne constitue une base arrière pour les Talibans. En effet les dirigeants pakistanais, obnubilés par leur conflit avec l’Inde, doivent prendre en compte la possibilité que les Talibans puissent revenir un jour au pouvoir à Kaboul. Or l’Afghanistan est pour eux un allié vital car il leur offre la profondeur stratégique qui leur manque face à l’Inde.

    De même, en se rapprochant de l’Inde, les Américains ouvraient la porte à la Chine qui s’est empressée de nouer un partenariat stratégique avec le Pakistan.  Il s’est rapidement concrétisé par une très importante coopération militaire et économique. Le New-York Times du 19 décembre 2018 écrit je cite : « depuis 2013, année de lancement des routes de la Soie le Pakistan est le site phare de ce programme : le corridor industriel actuellement en travaux à travers le Pakistan – environ 3 000 kilomètres de routes, de voies ferrées, d’oléoducs et de gazoducs – représente à lui seul un investissement de quelque 62 milliards de dollars ». 

    Pour la partie chinoise, un double impératif stratégique a guidé sa signature : la sécurisation de ses voies d’approvisionnement en pétrole et en gaz en bâtissant une voie terrestre d’acheminement évitant le détroit de Malacca et pouvant à terme aller jusqu’à l’Iran et la lutte « contre les trois fléaux » qui menacent le Xinjiang chinois : terrorisme, extrémisme, séparatisme. Trois mois après cette signature Ben Laden était exécuté par des navy seals américains ; coïncidence troublante quand on sait qu’il était l’instigateur de nombreux attentats islamistes en Chine.

    Depuis cette coopération stratégique n’a fait que se renforcer. En mai 2019, le vice-président chinois Monsieur Wang a effectué une visite au Pakistan au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président et le Premier ministre pakistanais du renforcement des relations bilatérales. M. Wang a déclaré que la Chine et le Pakistan étaient des “amis de fer”.

    Par ailleurs les Américains ont rejeté avec dédain l’aide des Russes que Poutine a proposée juste après le 9/11. Le 2 octobre Poutine avait rencontré le secrétaire général de l’OTAN à Bruxelles et lui a proposé l’aide de la Russie contre Al-Qaida notamment au Tadjikistan où stationnait la 201 division de fusiliers motorisés russe ; en Ouzbékistan où ils possèdent une base aérienne à Ghissar. Mais pour le complexe militaro-industriel américain l’opposition avec la Russie était à l’époque vitale car elle leur permettait de justifier un budget militaire qui était pourtant dix fois supérieur à celui de la Russie alors que la menace militaire chinoise était alors insignifiante.

    20 ans plus tard pour Biden et ses conseillers, il est temps de tourner la page et d’éviter une alliance stratégique de la Russie avec la Chine et je partage l’analyse de Renaud Girard qui dans Figaro vox met la rencontre Biden-Poutine du 16 juin 2021 à Genève sous la raison de leur intérêt commun : freiner l’ascension de la Chine. Certes cela ne se fera pas en un jour mais cela permet d’identifier que l’absence de vision stratégique à long terme des hommes politiques occidentaux et par conséquence l’absence de prise en compte des conséquences des stratégies mondiales des grands acteurs internationaux sur les théâtres d’opération régionaux ne permet pas de gagner les guerres régionales.

    Macron devrait s’en inspirer et, plus que l’appui significatif des européens que nous recherchons désespérément sans succès depuis 10 ans, c’est de celui de la Russie dont nous avons besoin au Sahel. J’ai publié en 2011 un livre intitulé « Russie alliance vitale » où je montrai que ce pays était notre meilleur allié face à l’islamisme et à la montée en puissance de la Chine. Malheureusement Sarkozy, Hollande et Macron, vassaux zélés de Washington, se sont lancés en Libye, Syrie et Sahel dans des opérations extérieures sans mettre en place le contexte diplomatique qui aurait permis de transformer nos victoires militaires en succès politiques.

    En conclusion :

    Le retrait américain marque la fin de la domination anglo-saxonne sur l’Asie centrale que les britanniques avaient établis depuis le milieu du XIXème siècle et une preuve de plus de la montée en puissance de l’Asie face à l’Occident. La France qui se prépare à modifier sa stratégie dans le Sahel devrait tirer les leçons de cet échec américain en Afghanistan et au Pakistan.

    Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 28 juin 2021)

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  • Corriger les faux principes politiques !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque l'essai d'Ernest Renan, écrit à la suite de la défaite française de 1870 et intitulé La Réforme intellectuelle et morale...

     

                                            

     

     

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  • Face à la Turquie, la nécessité d'une stratégie géopolitique globale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christian Makarian cueilli sur Figaro Vox et consacré à la position de l'Union européenne face à la Turquie. Écrivain et journaliste, Christian Makarian est spécialiste des questions internationales et religieuses. Il a publié  Le choc Jésus-Mahomet (CNRS Éditions, 2011) et Généalogie de la catastrophe - Retrouver la sagesse face à l'imprévisible (Éditions du Cerf, 2020).

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    «L'Union européenne doit adopter une stratégie géopolitique globale vis-à-vis de la Turquie»

    Avec la maîtrise relative de la pandémie de Covid-19 en Europe et l'arrivée de l'été, saison plus propice aux déplacements de populations, le spectre de la question migratoire revient brusquement au-devant de l'actualité. C'était le sujet brûlant du sommet européen des 24 et 25 juin, dont il ne fallait pas attendre de grandes décisions mais qui est venu rappeler combien les grandes fractures du vieux continent contribuent à aggraver le problème.

    Si on a pu noter, au cours des derniers mois, une moindre circulation des flux migratoires en Méditerranée orientale, on constate en revanche une très forte augmentation en Méditerranée centrale et en Europe de l'est (des Balkans à la Lituanie). Durant les cinq premiers mois de 2021, on a dénombré 47.100 franchissements illégaux aux frontières extérieures de l'Union (chiffres Frontex), soit presque le double de la période équivalente de 2020, il est vrai caractérisée par l'irruption brutale de la pandémie et des échanges intercontinentaux. La situation totalement explosive qui caractérise depuis des années les camps de réfugiés en Libye, où l'on déplore de plus en plus de morts du fait des violences commises à l'intérieur de ces concentrations inhumaines, laisse augurer une montée inexorable des flux migratoires vers l'Europe. La cruauté de ce qui se passe en Libye constitue pour les migrants en souffrance une incitation définitive à traverser la Méditerranée fut-ce au péril de leur vie.

    Face à ce drame récurrent, aucune politique européenne coordonnée et solidaire n'existe réellement ; la proposition d'un «pacte global pour la migration», faite par la Commission en 2020, ne parvient pas à emporter l'adhésion des pays d'Europe centrale, particulièrement rétifs à la prise en charge de la part d'accueil et de financement qui leur incomberait.

    Dans ce contexte, la Grèce, notamment, fait une nouvelle fois figure de pays le plus vulnérable ; le mur d'acier en cours d'achèvement le long d'une partie de la frontière (200 km) qui sépare ce pays de la Turquie est le symbole criant de l'insuffisance accablante des mesures que l'UE a prises et accentue le besoin de celles qu'elle peine tant à prendre. Cette fortification ahurissante est prévue pour être dotée de tours d'observation munies de caméras, de dispositifs de vision nocturne et même d'un canon à bruit, dont le niveau sonore est supposé être insupportable aux oreilles humaines. Du reste, les refoulements de réfugiés qui ont lieu en Grèce, parfois violents, sont régulièrement dénoncés par Amnesty International. Mais comment oublier toutes les privations que la population grecque a elle-même subies depuis la crise financière de 2008? L'austérité, quand elle a atteint ce degré-là, se conjugue mal avec l'hospitalité.

    En réalité, la Grèce, montrée du doigt par les bonnes consciences, fait fonction de bouclier pour tout le reste d'un continent qui n'a pas envie de se salir les mains. D'une part, Athènes subit une énorme pression de la part de l'Union ; du reste, elle reçoit de Bruxelles des financements considérables pour réaliser sa grande muraille. D'autre part, les dirigeants grecs ont parallèlement fort à faire avec la Turquie, qui utilise l'arme des migrations pour poursuivre de tous autres objectifs résolument hostiles à la Grèce. Pour mémoire, en février 2020, le gouvernement turc avait soudain laissé plus de 15.000 migrants s'acheminer vers la Grèce du nord en provoquant une panique indescriptible qui avait contraint les autorités grecques à les repousser vigoureusement. De nombreux indices ont prouvé que l'opération avait été méthodiquement préparée par la Turquie. L'occasion a permis aux dirigeants turcs de tester la faible capacité de réaction de l'UE, d'amplifier la discorde existant entre les 27 et, surtout, de rappeler que le désordre serait total sans la fonction de «retenue» remplie par la Turquie. On a rarement assisté à un tel exemple de cynisme diplomatique sur le dos de milliers d'êtres humains aussi déshérités qu'instrumentalisés. Emmanuel Macron lui-même a résumé le danger lors d'une interview accordée à France 5, le 23 mars 2021: «Si vous dites du jour au lendemain: nous ne pouvons plus travailler avec vous, ils ouvrent les portes et vous avez 3 millions de réfugiés syriens qui arrivent en Europe.» De quoi confirmer l'efficacité des manœuvres d'intimidation organisées par Erdogan.

    Depuis l'accord migratoire conclu entre l'UE et Ankara, le 18 mars 2016, l'Europe est enserrée dans une relation paradoxale. Elle a besoin de manière irremplaçable de la Turquie, laquelle accueille 3,7 millions de réfugiés sur son sol, majoritairement en provenance de Syrie (mais pas seulement). C'est, selon l'ONU, un record mondial qui mérite sans doute que l'on dialogue courtoisement avec le dirigeant turc, Recep Tayyip Erdogan, avec tous les égards dus à un partenaire. Il n'y a aucun mal à reconnaître l'effort accompli par la Turquie et cela peut, ou doit, légitimement engendrer des compensations et des solidarités financières.

    L'Union européenne, conformément à l'accord du 18 mars 2016, aura bien versé l'intégralité des 6 milliards d'euros promis à la Turquie (plus précisément 4,1 milliards déboursés, 2 milliards à venir) ; mais les sommes ont été allouées à des organisations humanitaires. Les négociateurs turcs réclament depuis le début que cet argent soit directement attribué à l'État turc et prétend avoir dépensé jusqu'à 40 milliards pour les migrants présents sur son sol. D'autres demandes pressantes sont faites par Ankara (sur les visas pour les ressortissants turcs, sur la modernisation de l'accord douanier entre l'UE et la Turquie, sur l'évolution des conditions d'adhésion à l'Union)… En contrepartie, la Turquie n'a pas respecté la stricte équivalence (à laquelle elle s'était engagée par l'accord de 2016) entre le nombre de clandestins renvoyés par l'Union européenne et le nombre de réfugiés envoyés à partir du sol turc - la disproportion est flagrante.

    Mais, c'est tout le problème, le président turc va très au-delà de la question humanitaire ; il exploite le flux humain que son pays héberge sur son sol dans le cadre d'une stratégie globale de puissance. De sorte qu'on en arrive à tout lui passer au nom de la frayeur qu'inspirent ces flux de déshérités qui frappent à la porte de la riche Europe - alors même qu'Erdogan agit délibérément contre l'Europe sur d'autres fronts.

    Ce que l'Union voit comme une entente nécessaire, une forme de bon voisinage et d'intelligence mutuelle, Erdogan le conçoit comme une ligne de force pour obtenir bien davantage, selon de tout autres considérations ou sous de tout autres cieux. Un nouvel exemple de cette relation paradoxale a été encore fourni le 23 juin 2021, la veille même du jour où le Conseil européen s'est réuni à Bruxelles pour reconduire l'accord de 2016. Le ministre des Affaires étrangères turc se trouve alors à Berlin pour évoquer la situation en Libye ; la conférence réunit 16 pays et quatre organisations internationales pour convaincre «toutes les forces étrangères et les mercenaires» de «se retirer sans délai» de Libye afin de mettre fin à la déstabilisation qui ravage ce pays. La Turquie, qui est présente en Libye au terme d'un accord conclu avec les autorités de Tripoli, à la fois sous la forme de forces régulières (base aérienne d'Al-Watiya, bases navales de Misrata et de Khoms) et des groupes de mercenaires syriens qu'elle finance (environ 5.000 hommes aguerris) a tout fait pour écarter la moindre référence aux «forces étrangères», mention qui contrarie ses ambitions militaires. L'objectif d'Ankara était de cantonner le débat aux forces irrégulières pour pouvoir écarter toute éventualité d'un accord international portant sur le retrait des troupes régulières sur place. La Turquie n'a pas finalement obtenu gain de cause ; mais au cours des discussions les États-Unis ont clairement soutenu la partie turque, en grande partie pour contrer l'implantation des Russes en Libye (la Russie soutient en effet le camp du maréchal Haftar, maître de Benghazi, ennemi juré des hommes du clan pro-turc de Tripoli). Répétons-le: la situation en Libye n'est en rien déliée de la question migratoire, elle en est un des abcès les plus à vif.

    En réalité, depuis la rencontre entre Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan, lors du dernier sommet de l'OTAN à Bruxelles, le 14 juin dernier, le président turc s'emploie à effectuer un nouveau virage sur l'aile. Durant les dernières années, il avait laissé les Occidentaux mesurer à quel point son glissement vers la Russie de Vladimir Poutine présentait des dangers potentiellement irréparables. Changement brusque de décor: après l'éviction de Donald Trump, ami précieux d'Erdogan, le leader turc n'a pas tardé à se rapprocher de Biden. Soutien à l'Ukraine (pour plaire aux Américains), cessation des attitudes agressives de la marine turque en Méditerranée orientale, accalmie et reprise des négociations avec la Grèce au sujet du contentieux maritime… Le pragmatique reis néo-ottoman parle maintenant de «nouvelle ère» entre Ankara et Washington, au-delà des différends qui opposent toujours les deux pays sur divers sujets (achat par Ankara du système de défense antiaérien russe S-400, soutien américain aux Kurdes de Syrie). Au point que Moscou s'inquiète désormais de cet épisode imprévu et que des signes de refroidissement apparaissent entre les deux complices ultra-autoritaires (notamment en Syrie, mais aussi en Libye).

    Il ne s'agit pas là d'une clarification: ceux qui songent au retour à l'alignement atlantiste qui était celui de la Turquie kémaliste de naguère ne seront pas exaucés. Erdogan continuera de jouer sur les deux tableaux, tantôt Washington, tantôt Moscou, au gré de ses intérêts évolutifs. Mais il existe un partenaire qui apparaît presque secondaire et qui aura du mal à suivre cette danse du ventre: l'Europe. Ce batelage permanent, cette manie de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, cette alternance de camouflets et de paroles mielleuses, de provocations offensantes et de faux rapprochements, forment une spécialité reconnue d'Erdogan. Pourquoi y renoncerait-il tant ce comportement lui a procuré des avantages tactiques et tout en forçant l'UE à le courtiser de nouveau?

    C'est sous cet angle, vraiment global, qu'il faut envisager la relation avec la Turquie. La question des migrations qui hante les consciences européennes s'inscrit, elle aussi, dans une dimension géopolitique sans laquelle on ne peut pas négocier équitablement avec Erdogan. On sait combien Angela Merkel est soucieuse de ne pas conclure son bilan politique, assez remarquable par ailleurs, sur une crise avec la Turquie. Or c'est bien moins l'obsession du consensus qui devrait guider l'UE qu'un sens aigu de ses intérêts stratégiques at large, ce qui appelle une vision beaucoup plus vaste et ambitieuse qu'un bras de fer grimaçant entre le visage mou qu'affiche Bruxelles et la mâchoire serrée qui caractérise Ankara.

    Christian Makarian (Figaro Vox, 25 juin 2021)

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  • Décroissance et puissance sont-elles compatibles ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Olivier Rey, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré à la question capitale de la compatibilité de la décroissance avec une politique de puissance...

    Chercheur au CNRS et enseignant en faculté, Olivier Rey est l'auteur de plusieurs essais comme Une folle solitude - Le fantasme de l'homme auto-construit (Seuil, 2006), Une question de taille (Stock, 2014), Quand le monde s'est fait nombre (Stock, 2016), Leurre et malheur du transhumanisme (Desclée de Brouwer, 2018) ou dernièrement L'idolâtrie de la vie (Gallimard, 2020).

     

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    Décroissance et puissance sont-elles compatibles ?

    Le monde moderne a très mal compris le mythe de Prométhée. Dans le mythe grec, le titan Prométhée, après avoir dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes, est condamné par Zeus à être attaché à un rocher où un aigle lui dévore le foie. Plus tard, Héraclès libère Prométhée, qui se réconcilie avec Zeus et lui apprend ce dont il doit s’abstenir pour ne pas être détrôné, comme l’ont été avant lui Ouranos et Cronos. À la révolte contre le donné et ses limites, le mythe donne sa place, mais cette révolte n’est qu’un moment, inscrit dans un horizon ordonné qu’elle a fait évoluer mais dans lequel, finalement, elle se résorbe. Les modernes ne voient pas les choses ainsi. Pour eux, la révolte contre le donné n’a d’autre horizon qu’elle-même, sa vocation est d’être permanente, de se poursuivre à l’infini. La suite que les modernes donnent à Prométhée enchaîné n’est pas, comme chez Sophocle, Prométhée délivré, mais Prométhée toujours plus déchaîné.

    Après quelques siècles d’un tel déchaînement, le monde naturel comme le monde humain se trouvent en piètre état. Le monde naturel : de nos jours, l’humanité est en passe d’épuiser des ressources qui avaient mis des millions d’années à se constituer et sollicite trop la nature pour que celle-ci parvienne encore se régénérer. Hésiode, dans sa Théogonie, parlait de « Gaïa aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants » : aujourd’hui, la pauvre Gaïa n’en peut plus. Trop martyrisée, elle risque de devenir stérile. Au demeurant, les progressistes qui, naguère encore, promettaient, grâce à l’empire humain sur la nature, l’advenue du paradis sur terre, reconnaissent eux-mêmes le caractère critique de la situation. Un exemple parmi d’autres : pour promouvoir le maillage du territoire par la 5G, le président Emmanuel Macron ne prétend pas que ladite 5G améliorera notre condition, mais qu’elle est nécessaire pour relever les « défis que nous avons sur tous les secteurs », indispensable pour affronter « la complexité des problèmes contemporains [1] ». Plus question, on le voit, de lendemains qui chantent : seulement de survivre, par l’innovation technologique, aux « défis » et à la « complexité des problèmes » légués par les progrès antérieurs.

    Le monde naturel n’est pas le seul à être menacé, abîmé. L’état du monde humain est tout aussi grave. Du fait qu’il appartient à la vocation humaine de prendre ses distances d’avec la nature, certains en ont déduit que plus l’homme s’éloignait de la nature, plus il était humain. L’être humain, cependant, n’est pas seulement un être d’arrachement, il est aussi un être de lien. Pour reprendre une expression de Péguy : l’arrachement doit demeurer raciné. On peut se rappeler, une fois encore, un mythe grec, celui du géant Antée, invulnérable tant que ses pieds touchaient le sol, et qu’Héraclès étouffa en le soulevant de terre. Les peuples sont comme Antée : quand les modes de vie s’artificialisent à outrance, ils meurent en tant que peuples. Ils se défont en amas d’individus et de groupes antagonistes, sans héritage ni héritiers.

    Des individus non seulement privés, de par la dissolution des peuples qui, du même coup, dissout l’existence politique, d’une dimension essentielle de l’humanité, mais qui de plus, en tant qu’individus, n’ont pas fière allure. Des individus très à cheval sur leurs « droits », mais complètement dépendants, dans tous les aspects de leur vie, du dispositif général en dehors duquel ils ne savent plus rien faire. Prenons, à titre d’exemple paradigmatique, la numérisation de tout, dont le président de la République nous dit qu’elle est impérative pour relever les « défis que nous avons sur tous les secteurs » : la 5G ne fera pas qu’augmenter par cent ou mille le débit des données, elle rendra les individus encore plus impotents en dehors d’un branchement continu au réseau, elle accélérera la baisse déjà avérée des capacités physiques (qui, chez les jeunes, ont décru d’un quart en quarante ans, selon une étude relayée par la fédération française de cardiologie), et des capacités intellectuelles (le QI moyen baisse depuis vingt ans).

    Pour conjurer ces maux, on ne voit d’autre solution sensée que de mettre certaines limites au déploiement technologique – ce qui implique, l’exubérance technologique étant le principal « moteur de la croissance », une forme de décroissance. Reprocher à une telle attitude son caractère « négatif » est stupide : c’est comme si, à quelqu’un qui a atteint 150, 200, 250 kilos, il fallait s’abstenir de conseiller une cure d’amaigrissement parce que « perdre du poids » est une idée négative. Il ne s’agit pas de maigrir pour maigrir, mais de maigrir pour retrouver la santé. Cela étant, la méthode présente un sérieux inconvénient. Il se trouve que, depuis deux siècles, le « développement » économico-techno-industriel est le principal dispensateur de puissance. D’où le risque encouru par tout groupe humain qui s’engagerait dans la décroissance, pendant qu’autour de lui d’autres groupes persévéreraient sur la voie de ce qu’on appelle la croissance : le danger de se trouver dominé, asservi, écrasé par eux. Il n’est, pour mesurer l’ampleur de la menace, que de songer au sort des peuples qui, au XIXe siècle, vivaient tranquillement sur leurs territoires et selon leurs coutumes traditionnelles, et se trouvèrent brutalement colonisés, simplement parce que les moyens dont ils disposaient ne leur permettaient pas de contrer la puissance de leurs assaillants, armés par la technique moderne. L’industrialisation fulgurante du Japon, à partir de l’ère Meiji, fut la conséquence directe d’un constat : sans la puissance de la technique moderne, le Japon serait irrémédiablement asservi. Du côté chinois, voici ce qu’un lettré, en 1899, écrivait à un missionnaire jésuite : « Les superbes inventions des pays occidentaux nous sont, pour la plupart, inconnues et nous semblent incroyables… Mais, mon grand frère, peut-être allez-vous demander si toutes ces choses presque miraculeuses rendent les hommes plus heureux ? C’est une question très difficile à résoudre. Je ne sais pas ! Tout ce que je sais, c’est que ces machines travaillent cent fois plus vite que le manœuvre. Vous allez me demander si la vitesse est un bonheur… Je ne sais pas. Je suis seulement persuadé que sans ces inventions techniques et cette vitesse, on ne peut acquérir aucune puissance. Si on ne l’atteint pas, on reste plongé dans l’humiliation. Si l’on veut pouvoir se défendre, il faut absolument être en possession de cette science matérielle. Et c’est tout [2]. » Pour les Chinois, la période qui s’étend des années 1840, avec la première guerre de l’opium, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, est le siècle de l’humiliation. On ne peut pas comprendre la frénésie technologico-croissantiste qui s’est emparée de la Chine si on ne se rappelle pas de tels faits. Telle est notre situation : tout « retard » pris dans le processus de transformation du monde enclenché depuis deux siècles expose aux menées des plus « avancés », toute indifférence à l’égard de la croissance expose au danger d’être assujetti à ceux qui y vouent toutes leurs forces.

    On voit donc la tenaille dans laquelle nous nous trouvons pris. D’un côté, l’obligation de poursuivre sur le chemin de la croissance, sous peine de se trouver vassalisé. De l’autre côté, la conviction grandissante que cette course est désastreuse. Désastreuse pour tous. Pour emprunter les termes de René Girard : « Chacun se croit victorieux dans un univers où tout le monde est en pleine défaite et déroute [3]. » De plus, à supposer même qu’une nation parvienne à s’imposer aux autres, à quoi bon, si ce qui faisait sa substance doit se perdre dans le déploiement des moyens propres à assurer son succès ? Ce n’est plus elle qui gagne, mais une entité quelconque qui simplement porte son nom. Imaginons des antilopes à qui on proposerait de se transformer en hippopotames, afin de ne plus être la proie des lions. Accepteraient-elles ? Dans sa Somme théologique, saint Thomas écrit : « L’âne ne désire pas devenir cheval, car il cesserait d’être lui-même [4]. » Alors on se dit : mieux vaut périr comme on est que d’essayer de se tirer d’affaire en abandonnant son être. Juste après, on se dit : impossible de se laisser éliminer sans combattre. Or, pour combattre efficacement, il faut posséder la puissance matérielle. Et, pour posséder la puissance matérielle, il faut se vouer à ce qu’on nomme la croissance. Donc, trêve de discussion, en avant ! Ensuite, l’interrogation revient : à quoi bon chercher à s’en sortir si, à supposer qu’on y parvienne, ce doit être dans un champ de ruines ? Et si, chemin faisant, on doit renoncer à l’être qui valait qu’on se batte pour lui ? On ne cesse d’osciller entre les deux termes de l’alternative, l’un et l’autre calamiteux.

    On aimerait trouver une voie médiane. Continuer sur la voie présente, mais avec modération. Ce faisant on risque, malheureusement, de ne pas cumuler les avantages, mais les inconvénients. Confronté à des concurrents enragés, le coureur qui ménage ses forces se trouve vite irrémédiablement distancé, tout en s’étant malgré tout trop éloigné de son foyer pour y trouver encore abri. Un autre type de conciliation serait imaginable : non pas un moyen terme, mais la coexistence de deux attitudes contraires au sein d’une même nation. Pendant que certains continueraient la course technologique afin de conjurer le risque d’écrasement par des concurrents trop puissants, la possibilité serait ménagée à d’autres de vivre de façon plus « conviviale », au sens qu’Ivan Illich donnait à ce terme (par convivial, il faut ici entendre ce qui est proportionné aux facultés naturelles de l’homme, est à leur mesure, en contraste avec des dispositifs surpuissants qui humilient ces mêmes facultés). Au lieu d’une confrontation entre les « technologistes » et les « conviviaux », les « croissantistes » et les décroissants, une forme de coopération s’établirait entre les deux – les premiers étant les garants de la sécurité de tous tant que la dynamique actuelle se poursuit, les seconds constituant, du fait de l’autonomie supérieure de leurs modes de vie, un socle extrêmement précieux en cas de crise générale, sans compter la sauvegarde de facultés humaines fondamentales. Je suis conscient de ce qu’une telle proposition a d’utopique, pour toutes sortes de raisons. Reste que par rapport à l’utopie d’un salut par l’innovation à tous crins, ou celle d’un abandon général de la technologie, je trouve la mienne plus sensée.

    Olivier Rey (Iliade, 24 juin 2021)

     

    Notes :

    [1] « Discours du président Emmanuel Macron aux acteurs du numérique », 14 sept. 2020, Palais de l’Élysée.

    [2] Lettre de Hwuy-Hung (1899), citée par André Chih (prêtre chinois), L’Occident « chrétien » vu par les Chinois vers la fin du XIXe siècle (1870-1900), Paris, PUF, 1961.

    [3] « Le sens de l’histoire », entretiens avec Benoît Chantre à l’occasion de l’exposition « Traces du sacré » au Centre Georges Pompidou (2008) (33’05”).

    [4] Ia, quest. 63, art. 3.

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  • Les médias prostitués à outrance, ou la mandragore des pendus...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue  saignant de Modeste Schwartz, cueilli sur le site de l'Observatoire du journalisme, et publié initialement dans Antipresse, qui est consacré aux médias 2.0 qui ne survivent qu'en se prostituant au système... Normalien, agrégé, traducteur, linguiste et polyglotte, Modeste Schwartz a déjà publié deux essais,  Yin - L'Occident comme cunnicratie (Culture & Racines, 2020) et Le magicien de Davos : vérité(s) et mensonge(s) de la Grande Réinitialisation (Culture & Racines, 2021).

     

    Normalien, agrégé, traducteur, linguiste et polyglotte, Modeste Schwartz

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    Les médias prostitués à outrance, ou la mandragore des pendus

    Avant qu’une civilisation bizarre (la nôtre) ne dote ce terme d’une connotation étrangement positive, «l’avant-garde» n’avait rien d’élogieux. Et pour cause : en technique militaire, elle partageait avec l’arrière-garde (qui, elle en revanche, a raté cette promotion culturelle) la caractéristique d’être une troupe sacrifiée. L’avant-garde, parce qu’elle va au contact d’un ennemi encore frais, encore entier, encore au mieux de sa force de frappe. L’arrière-garde, parce que, couvrant l’avance ou la retraite du gros des troupes, elle affronte un ennemi qu’elle a pour seule fonction de retarder, mais ne peut en aucun cas vaincre – et a donc toutes les chances de se faire décimer. Dans les deux cas, on imagine mal un stratège averti sélectionner pour de telles troupes ses soldats les mieux formés, les plus prometteurs ou les plus fiables. On va, bien au contraire, envoyer des crevards : fanfarons, alcooliques, délinquants, usés physiquement et/ou psychologiquement. Des soldats qui, au moment de cette affectation, valent déjà plus cher morts que vifs.

    Le Great Reset, ou le tout pour le tout

    Telle est bien la situation, à la fin des années 2010, de ce que j’ai appelé ailleurs la «Galaxie Gutenberg 2.0» : les médias audiovisuels non-interactifs (notamment hertziens), et des débris de Galaxie Gutenberg 1.0 (GG1.0) qu’elle traîne encore dans ses fourgons (comme ces quotidiens papier régionaux intoxicant un dernier stock de retraités provinciaux, tirés sur des rotatives qu’on ne construit plus et ne remplace plus – réparant l’une avec les pièces prélevées sur le cadavre de l’autre). En termes d’influence, il était bien clair, dès les années 2000 au plus tard, que ces crevards ne passeraient pas l’hiver 2030. Cette constatation – jointe à la grande frayeur oligarchique de 2016, et aux fissures apparues à l’été 2019 dans l’édifice financier – n’est probablement pas étrangère à la décision (prise au plus tard en 2019) de précipiter la mise en œuvre du Great Reset : un programme dont on sait par ailleurs que certains de ses éléments sont anciens, mais dont l’exécution, à partir de mars 2020, s’est faite à marche forcée, sur le principe «ça passe ou ça casse». L’oligarchie occidentale, préférant risquer le tout pour le tout plutôt que de risquer d’avoir – même dans des circonstances relativement pacifiques – à passer la main, a visiblement décidé de «jouer son tapis».

    Depuis la fin de la Guerre froide, cette oligarchie avait peu à peu acquis un contrôle presque intégral de ces structures médiatiques surannées que j’appelle GG2.0 ; on pourrait presque dire qu’elle en avait hérité, rachetant à vil prix des titres que le consommateur médiatique ne désirait plus rémunérer – du fait d’un cercle vicieux du désintérêt et de la dépravation : vieille pute malmenée par la concurrence des jeunes nymphomanes à accès libre (la presse électronique, soit GG3.0), GG2.0, en se laissant «maquer» par l’oligarchie et en en relayant les mensonges, ne pouvait qu’augmenter jour après jour le mépris d’une clientèle populaire (notamment jeune) déjà de toute façon happée par GG3.0. Quelques vieux et de riches pervers qui lui demanderont, à terme, d’arnaquer ces quelques vieux : c’est là, hélas, le destin de bien des péripatéticiennes vieillissantes. La plupart réussissent néanmoins – à la différence de la presse occidentale – a vivre ce triste destin sans en profiter pour mettre le feu aux sociétés qui les ont produites.

    Philanthropie en bande organisée

    Vient alors pour GG2.0, en 2020, l’équivalent du bordel afghan (ou du semi-remorque saharien pour les semi-épaves plus automobiles) : l’arrière-garde covidiste. Depuis maintenant 14 mois, comme un seul homme, elle dénonce chaque mois comme «théories conspirationnistes» les avertissements proférés par divers lanceurs d’alertes, lesquels avertissements, au bout d’un laps de temps d’une durée moyenne de trois mois, deviennent généralement des nouvelles hautement officielles, qui s’intègrent à la très plastique «nouvelle normalité». Dans ces conditions, il est bien évident que le cycle du mensonge adopte un rythme débordant même les capacités d’amnésie du poisson rouge médiavore, et que, subséquemment, le rythme de vieillissement de GG2.0 a augmenté d’un ordre de grandeur au moins.

    Ce qui fait bien sûr les affaires de GG3.0, dont le boom actuel n’est probablement pas étranger aux «nouvelles» préoccupations de Davos : jadis si tourmentée par les menaces «virales», cette philanthropie en bande organisée dit aujourd’hui craindre surtout les «cyberattaques», tandis que ses marionnettes gouvernementales parlent désormais (usant d’un vocabulaire fort exotique dans leur bouche) d’un «Internet souverain» pour l’Europe. En d’autres termes : après pseudo-sinisation de la gestion du troupeau physique, via l’identité digitale chère à Bill Gates, préparez-vous à la pseudo-sinisation des communications électroniques occidentales. Il est, au fond, bien naturel que l’Etat-mère (abusive), désormais en charge de votre santé, veuille aussi imposer un contrôle parental à vos insomnies en ligne.

    Évidemment, si l’arrière-garde est un produit «à date courte», pour autant, elle n’est pas vraiment bon marché. On aurait tort de lésiner sur la solde d’un soudard qu’on envoie au casse-pipe – pas qu’il aille changer d’avis sur la dernière centaine de mètres, déserter, voire retourner ses armes (comme vient, me dit-on, de le faire le bon lansquenet Quatremer). Il fait au contraire l’objet d’une véritable averse de gratifications – d’autant moins avares qu’on sait bien qu’on n’aura plus à le payer très longtemps. C’est, paraît-il, en vertu d’une logique semblable que les pendus bandent, et éjaculent au moment du trépas : sachant d’instinct qu’il n’en aura plus l’usage, l’organisme s’auto-bombarde de toutes les hormones de bonheur qui auraient auparavant dû rétribuer un comportement utile à l’espèce, c’est-à-dire reproductif (ce qui explique en partie le fait que certains pervers en aient tiré des pratiques sexuelles d’étouffement plus ou moins contrôlé).

    C’est, me direz-vous, bien ce que fait (juste beaucoup plus lentement) cette jeunesse occidentale woke, stérile avant même d’être piquée, encore mieux vaccinée et tatouée que les chiens qui lui tiennent lieu de famille, en se branlant devant Netflix. Certes. Mais c’est aussi et surtout ce que font les nonagénaires de l’oligarchie occidentale finissante avec leur pute GG2.0, qui ne remarque probablement même pas qu’elle est déjà dans le fourgon qui mène au bordel afghan, tant ses vénérables souteneurs, entre temps, la soumettent à un véritable bukake de liquidités ; rappelons, à toutes fins utiles, quelques-uns de ces chiffres vertigineux : 4 738 019 € à Libération, 1 903 249 € au Monde, 318 225 € à L’Obs, 3 910 850 € à L’Humanité (qui, contrairement à ce qu’on prétendait il y a encore trente ans, n’accepte pas que les roubles), 470 861 € à Marianne… Non seulement Gates arrose comme un Siffredi de la propagande ce harem déjà gâté par l’oncle Soros, mais leurs porte-coton gouvernementaux y vont, en outre, de leur petit pourliche d’après-tournante. N’en jetez plus!

    Littéralement gavée de fric, GG2.0 se convertit sans le vouloir au sous-genre pornographique un peu trash du gagging. Ce qui rappelle cette scène d’exécution par irrumation d’une pute sur le retour, dont un cinéaste serbe nous avait gratifiés , actualisant un peu les intuitions du Pasolini des 120 Journées. Le sadisme est l’inévitable destin des libidos perverses, définitoirement stériles : quand la force génésique n’est pas au service de la vie, c’est donc qu’elle est au service de la mort. Et le moment libéral/libertaire de la séquence 1968–2020 – pour long qu’il nous ait semblé, à l’échelle d’une vie individuelle – n’aura finalement été que ça : le banquet qu’offrent les darons pervers à leurs jeunes victimes, avant de les immoler dans l’orgie finale, sadique et suicidaire. Un banquet de merde, certes : l’odeur des matières fécales servies dans cette argenterie droit-de l’hommiste aurait probablement dû nous alerter, nous laissant subodorer le dénouement des festivités. Il est maintenant trop tard : le pendu de Davos a éjaculé sur son arrière-garde de chair à canon médiatique, et de son foutre maudit va jaillir – comme, croyait-on jadis, la mandragore de celui des authentiques pendus – la fleur rouge du chaos. Fuyez, mes frères, fuyez si vous le pouvez !

    Modeste Schwartz (Antipresse, 13 juin 2021)

     

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