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Points de vue - Page 95

  • Pouvoir pastoral et nouvelle théologie de la santé...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia dans lequel il évoque l'organisation de notre société autour de "l'impératif de santé". Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011) et  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015).

     

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    Les médecins experts...

     

    Covid-19. Pouvoir pastoral et nouvelle théologie de la santé

    Au cours des dernières années, et surtout avec la crise sanitaire du Covid-19, nous avons assisté à une augmentation du pouvoir médiatique, social et politique des savants, des experts, comme si la sphère politique, dont la tâche consiste à déterminer et à protéger les intérêts nationaux et le bien-être général de la communauté, avait cédé la place à une nouvelle caste de scientifiques qui ont colonisé l’espace public médiatique quotidien.

    Les experts ont toujours existé ; cependant, tout au long de l’histoire, leur statut social et leur place dans la société ont changé en fonction de la vision du monde politique et social dominante. La notion d’expertise est étroitement liée à l’émergence de la modernité et à la complexité croissante des relations sociales et du fonctionnement économique de la société. Le discours légitimant en faveur de l’expertise, qui adhère au principe général de la gouvernance technocratique au niveau de la « gouvernance mondiale », est que la complexité des défis de la mondialisation libérale impose aux acteurs politiques de transférer leur pouvoir de décision à la société civile et aux autres acteurs non étatiques du marché, étant donné que seuls les professionnels possédant des compétences spécifiques peuvent obtenir des résultats optimaux. Dans ce contexte, le cœur du problème de la technocratie et de l’expertocratie est dans leur incompatibilité avec les principes fondamentaux de la démocratie, puisqu’ils ne détiennent aucune légitimité populaire et représentative issue des élections.

    Technicisation du politique et règne du « scientifiquement correct »

    La crise du Covdi-19 a mis en lumière le clivage politique entre partisans de la « technicisation » du pouvoir politique qui s’appuie sur des experts et les « populistes » qui cherchent à renforcer le rôle du peuple dans le processus décisionnel. Avec l’avènement du nouveau langage néo-orwellien du pouvoir biopolitique, qui a émergé dans le cadre de la médicalisation de l’espace public, un nouveau politiquement correct a émergé, le prétendu « scientifiquement correct » imprégné de technoscientisme, afaiblissant les thèses alternatives en les reléguant au répertoire complotiste. Cependant, il faut garder à l’esprit que les experts ne forment pas un bloc monolithique, et la notion de « consensus scientifique » semble de plus en plus vague et difficile à atteindre, alors que de nombreux experts parlent de « populisme scientifique » en se référant à des thèses alternatives et critiques. Les racines philosophiques de l’expertocratie, tout comme celles de la technocratie, se retrouvent dans le constructivisme mécaniciste des Lumières puis chez les « socialistes utopiques » du xixe siècle et dans l’idéologie du saint-simonisme. Les thèses saint-simoniennes trouveront plus tard un terrain fertile dans la « gestion » et la technocratisation graduelle de la politique décrites par James Burnham dans La Révolution managériale. La notion d’expertise, née en Grande-Bretagne au xvie siècle à travers les figures d’experts médiateurs, entre progressivement dans la sphère scientifique à travers les sciences sociales contemporaines dans le cadre des études scientifiques et technologiques qui analysent les relations entre technologie et pouvoir.

    La technocratisation du politique est en même temps un processus de désessentialisation de l’activité politique. Les politiciens se désengagent de plus en plus des questions délicates et complexes, transférant la responsabilité aux « experts » qui ne sont pas seulement là pour des conseils mais aussi pour formater idéologiquement l’opinion publique. Il ne faut pas oublier qu’aucune science n’est totalement neutre et qu’elle est elle-même le fruit d’un processus idéologique complexe. Transférer la responsabilité de la sphère politique publique aux experts revient à dépolitiser la politique, ce qui s’apparente à un déni du politique. Depuis Aristote et Platon, l’homme s’interroge sur la place et le pouvoir de la politique dans la société. Aujourd’hui, la confusion des rôles et des fonctions est favorisée comme dans de nombreux autres segments sociaux, et l’action publique et politique est soumise au paradigme du « solutionisme », au répertoire technique, ce qui signifie que la prise de décision politique est réduite au niveau du choix d’une solution particulière.

    Dans ce contexte, « le gouvernement des choses remplace le gouvernement des hommes » : l’expertise est en fait le reflet de notre époque moderne où l’expert autonomise et s’approprie de plus en plus la fonction politique en fragmentant notre environnement social en domaines de spécialisation technocentrique. La politique en tant que res publica, « chose publique », sera toujours orientée vers le but suprême et la dernière fin (telos), alors que la science, l’expertise, ne pose jamais la question des buts ultimes car elles relèvent de l’ordre instrumental, des moyens. Parce que la politique technocratique moderne néglige et supprime la question du « pourquoi » et des buts ultimes, approuvant exclusivement la question des méthodes et des moyens, on peut dire qu’elle est une forme de despotisme technocratique. Le pluralisme sans véritable pluralisme, la démocratie soumise à des procédures et des décisions d’experts, l’apologie du « consensus scientifique » au nom de la complexité se transforment progressivement en leviers idéologiques technocratiques de chantage et de domination. Max Weber a établi une distinction classique entre scientifiques et politiciens (Le Savant et le politique) : la politique est le domaine de la prise de décisions souveraines tandis que la science et le savant analysent les structures politiques et sociales. Dans le contexte d’une menace pour la santé et d’une menace « inconnue » comme le virus, l’éthique de responsabilité weberienne du politique et l’éthique des convictions du scientifique devraient être des domaines de responsabilités séparées.

    Médicalisation de la société

    L’omniprésence médiatique d’experts médicaux est également un symptôme du processus de médicalisation de la vie quotidienne publique et privée. Ce processus, qui se manifeste à travers un large éventail de mesures sanitaires et biopolitiques, est le résultat d’un long processus d’émergence de la médecine moderne et de sa consécration en tant qu’institution sociale. Présentée comme une innovation positive et un progrès social qui réduit le taux de mortalité, la médicalisation a produit une pathologisation des comportements sociaux et des problèmes sociaux comme la médicalisation de la criminalité. Ce phénomène a rencontré diverses critiques qui portent sur les excès de la médicalisation : l’invention de nouvelles maladies et la consommation excessive de médicaments., l’acharnement thérapeutique. Le philosophe Georges Canguilhem critique le réductionnisme biomédical, estimant que le corps humain ne peut être réduit à des mécanismes physico-chimiques, tandis que son disciple Michel Foucault décrira la domination de l’autorité médicale dans la sphère privée, utilisant le terme de « médicalisation » pour démontrer l’importance dominante de la médecine dans la vie sociale. La marchandisation de la santé se développe parallèlement au processus de médicalisation de l’existence, qui fait de la santé une sorte de religion séculière où le corps a définitivement remplacé l’âme selon la clé « biopolitique » de Michel Foucault. Nous trouvons les racines idéologiques de la médicalisation dans l’idéologie hygiéniste qui, en exploitant la tendance hypocondriaque des individus, aboutit à un contrôle croissant des habitudes de vie, conciliant puritanisme moral et homogénéisation conformiste des comportements, avec l’acceptation de modèles et de pratiques politiques et économiques néfastes. Les grandes « croisades » de marketing et « les guerres publiques » contre l’alcool ou le tabac, fondées sur les textes quasi sacrés de la santé publique, s’inscrivent dans cette biopolitique qui instrumentalise le « droit au bonheur » afin de standardiser les comportements en les intégrants dans la logique de consommation du marché.

    L’impératif de santé, de la performance corporelle comme levier néo-darwinien d’homogénéisation sociale, est le reflet de la règle de la biocratie, une forme de règle basée sur une « vie saine », c’est-à-dire sur la maîtrise de la « vie nue » évoquée par Giorgio Agamben (Homo sacer). Bien sûr, bien que la santé soit une catégorie existentielle significative et désirable, elle ne peut jamais être une valeur absolue en soi, car nous la perdons tous tôt ou tard, et aujourd’hui elle est fixée comme valeur ultime à partir du moment où l’homme est matériellement émancipé et privé de transcendance, pour être finalement réduit au produit du marché. Le même impératif de santé est le reflet de la démonisation de la mort, le dernier démon que la société moderne cherche à exorciser à travers des mesures palliatives et thérapeutiques de prolongation artificielle de la vie. Cette foi aveugle dans la science et les experts révèle la survivance d’un résidu de l’ancienne pensée magique. La figure moderne faustienne du « savant fou » aujourd’hui prend la forme du « médecin démiurge », d’un expert-magicien, un techno-chamane miraculeux au jargon hermétique (éco, psycho, médico techno-quelque chose), qui s’appuie un réseau médiatique qui l’invite et le chouchoute régulièrement.

    Il n’est pas étonnant aujourd’hui, comme le souligne l’écrivain allemand Arnold Stadler, que les virologues se substituent aux théologiens, car nous avons complètement négligé voire refoulé la dimension existentielle de la mort, dans la lutte constante pour la santé et contre les virus. Selon lui, les experts sont devenus omniprésents comme « les grands prêtres de la nouvelle religion de la santé, qui est terrestre et laïque ». La conception théologique chrétienne de la santé est substantiellement opposée à la version moderne de la théologie sécularisée de la santé, le corps et la santé se situant dans le contexte d’une perspective eschatologique de salut. En outre, un nouveau catéchisme anthropocentrique, vérifiable à l’heure du Covid-19 avec une panoplie d’injonctions ritualisées : distance sociale, port du masque, etc. intronise l’impératif de santé en véritable nouvelle religion laïque, la maladie et la mort étants perçues en tant que péchés. L’obsession de la forme physique, du bien-être, le bougisme sportif, le fanatisme végan et du produit « bio-good food », sont les leviers du nouveau hip-consommatisme du capitalisme vert. En effet, la responsabilité à l’égard de la santé se transforme en devoir qui sous-entend la culpabilité, la mauvaise conscience d’être malade, et puis on en vient peu à peu à des dispositifs de repentance, de confession qui sont au cœur du pouvoir pastoral.

    Pouvoir pastoral et gouvernement des âmes

    La gestion de la crise sanitaire du Covid-19 révèle l’existence d’un pouvoir qui n’est plus seulement étatique et identifiable, mais aussi l’omniprésence de techniques d’assujettissement douces, moléculaires, singulières, méthodes diffuses de pouvoir que Michel Foucault appelle le « pouvoir pastoral ». On se souvient que, depuis l’avènement des Lumières, un bon nombre de concepts et règles qui relevaient de l’ordre religieux et théologique ont été sécularisés, modifiés, adaptés afin de légitimer non seulement le principe séculier de la raison d’État aux xvie et xviie siècles, mais aussi l’État-providence à la fin du xixe et au début du xxe siècle avec l’État gestionnaire et technocratique. C’est ainsi que le mode de gouvernementalité libérale, loin d’être exclusivement profane et areligieux, fait appel à des techniques de pouvoir « moléculaires », indolores, et discrètes, qui au lieu de soumettre les citoyens à l’ordre démocratique ou au souverain par l’exercice du monopole de violence légitime, entend gouverner la conscience, et recueillir l’adhésion volontaire et passive des sujets. Dans le cadre du pouvoir pastoral, l’ensemble des théories et des pratiques classiques de la souveraineté (du roi, du prince, du peuple), les principes de philosophie politique de commandement de l’arkhè, tout comme les théories marxistes et juridiques, font défaut, dans la mesure où les techniques de direction et de gouvernement des âmes et consciences échappent aux formes modernes de commandement et d’obéissance. Tout comme le faisait remarquer Michel Foucault, « gouverner », ce n’est pas la même chose que « régner », ce n’est pas non plus la même chose que « commander », ce n’est pas, enfin, la même chose que « faire la loi ».

    Michel Foucault énonce l’originalité de ce pouvoir pastoral qu’il caractérise comme « micro » et le distingue des pratiques et des théories modernes du pouvoir qu’il désigne comme « macro ». Le pouvoir pastoral est « une étrange technologie de pouvoir traitant l’immense majorité des hommes en troupeau avec une poignée de pasteurs ». À la différence de la souveraineté, il ne s’exerce pas sur un territoire (cité, royaume, principauté, République), mais sur une « multiplicité en mouvement » (« troupeau » pour les pasteurs de l’Église et « population » pour les élus de la République). Le pouvoir pastoral, tout comme le biopouvoir des corps et le gouvernement de « la vie nue » chez Giorgio Agamben, s’applique aux « sujets vivants », leurs comportements quotidiens, leur subjectivité et leur conscience, en établissant des rapports complexes et sociétaux. Alors que la gestion de la crise sanitaire met en exergue la montée en puissance de l’expertocratie et de la médicalisation de la vie quotidienne, refait surface la figure emblématique et sacerdotale du pasteur qui, selon Foucault, n’est fondamentalement ni un policier, ni un juge, ni un juriste, mais un « médecin » qui use d’un pouvoir « bienfaisant ». Il soigne à la fois le troupeau et les brebis du troupeau, qu’il prend en charge une à une. À la différence de la souveraineté politique et de l’ordre juridique fondés sur la soumission à la loi, ce pouvoir pastoral s’exerce de manière collective, et de manière « distributive » (« d’individu à individu »). Le pouvoir pastoral a recours à des techniques d’individualisation, par le biais d’une « économie subtile des âmes » qui combine des mérites et les fautes-omissions, créant une relation de dépendance intégrale, un rapport de soumission non pas à la loi ou à des principes « raisonnables », en privant l’individu de sa libre volonté. Ce pouvoir pastoral qui ne s’appuie pas sur les technologies répressives est vérifiable dans le milieu de la santé, où la pratique de la confession, des techniques de l’aveu, de l’examen de conscience, est largement utilisée à des fins de normalisation en agissant sur la sensibilité de chaque sujet. Ainsi, le pasteur doit « rendre compte de tous les actes de chacune des brebis, de tout ce qui a pu leur arriver à chacune d’entre elles, de tout ce qu’elles ont pu faire à chaque moment de bien ou de mal ».

    Parallèlement à la gouvernance biopolitique qui s’exerce au niveau global, visible et normative, le pouvoir pastoral, lui, s’exerce au niveau microlocal, hors de l’espace public. D’autre part, par-delà les hiérarchies d’argent, de richesse, de statut ou de naissance propre aux oligarchies libérales et capitalistes au niveau global, le pouvoir pastoral, qui opère dans l’opacité de la relation privée (d’individu à individu, d’institution à individu), dans le quotidien de l’usine, de l’école, de l’hôpital, génère des relations de pouvoir des hiérarchies, plus subtiles et beaucoup moins transparentes, qui sont à la base de la servitude volontaire, dans la mesure où il soumet le sujet qui renonce à toute forme de volonté autonome à des réseaux où chacun asservit l’autre, et où tout le monde est asservi à tout le monde.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 13 avril 2021)

     

    Notes

    Giorgio Agamben, Homo Sacer – I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, éditions du Seuil, 1997.

    Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, Paris, Seuil, 2004.

    Michel Foucault, « Omnes et singulatim », in Dits et écrits, tome II.

    Michel Foucault, « Histoire de la médicalisation », C.N.R.S. Editions, « Hermès, La Revue », 1988/2, n° 2.

    François-Bernard Huyghe, Les Experts ou l’Art de se tromper de Jules Verne à Bill Gates, Paris, Plon, 1996.

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  • « L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Robert Redeker cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'écriture inclusive.  Philosophe, Robert Redeker est notamment l'auteur de Egobody (Fayard, 2010), Le soldat impossible (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Le progrès ? Point final. (Ovadia, 2015), L'école fantôme (Desclée de Brouwer, 2016), L'éclipse de la mort (Desclée de Brouwer, 2017) ou dernièrement Les Sentinelles d'humanité (Desclée de Brouwer, 2020).

     

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    «D’un point de vue civilisationnel, l’écriture inclusive est comparable à la destruction des paysages»

    Il arrive à notre pays une catastrophe qui le blesse à mort, qui le blesse dans son âme, qui est littéraire ; cette catastrophe porte un nom: l’écriture inclusive. La langue est cette réalité qui rapporte chaque homme à son peuple. Le développement de l’écriture inclusive est appelé à changer la nature du fait d’être français.

    Après l’écriture inclusive, l’on ne pourra plus être français de la même façon qu’avant son despotisme. Les politiciens qui dans certaines municipalités essaient de la propager sont parfaitement conscients de l’objectif politique à long terme: changer le fait national français. L’écriture inclusive signe la fin de l’intime compagnonnage de la France avec sa littérature.

    Pour que l’écriture inclusive s’impose, il a fallu d’abord que la langue ait été affaiblie par la déconstruction. Et surtout, qu’elle ait subi la plus infamantes des accusations, celle d’être fasciste. Gilles Deleuze et Roland Barthes se sont chargés de la dénonciation préparatoire à la liquidation

    Selon le livre de Deleuze, écrit en duo avec Guattari, Mille Plateaux, en 1980, l’essence de la langue tient dans le mot d’ordre. Retenons-en quelques citations croustillantes: «Le langage n’est pas fait pour être cru, mais pour obéir et faire obéir» ; «une règle de grammaire est un marqueur de pouvoir, avant d’être une règle syntaxique» ; «le langage est transmission du mot fonctionnant comme mot d’ordre, et non communication d’un signe comme information». Le langage n’informe pas, ne communique pas, il ordonne.

    Barthes de son côté, affirme avec un sérieux de procureur en procès stalinien ou maoïste, dans sa Leçon inaugurale au Collège de France, prononcée en 1977: «la langue n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste, car le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire». Passons sur le fait que cette définition du fascisme - «obliger à dire» - soit particulièrement faible.

    Au Moyen Âge l’anthropomorphisme traînait des animaux devant le tribunal. Deleuze et Barthes poussent le ridicule beaucoup plus loin: c’est la langue qui comparaît devant un tribunal révolutionnaire, à cause de sa fusion supposée avec toutes les formes de la domination.

    Mais l’obscurantisme est ici le même que dans les procès médiévaux. Sans cette mise en accusation de la langue, qui passera pour involontairement comique auprès de tout esprit doué de bon sens, qui pourrait passer pour une farce si elle n’était ce qu’elle est, une condamnation réelle émise depuis les hauteurs pédantes de l’esprit de sérieux, l’écriture inclusive n’aurait jamais pu voir le jour.

    Une fois la langue condamnée comme fasciste, tout devient possible: elle ne mérite plus ni respect, ni vénération.

    L’écriture inclusive est en réalité le contraire de ce qu’elle affirme d’elle-même: elle est exclusive, elle exclut la langue de son histoire. Elle l’expulse la langue de son passé, de sa tradition, de son logis, de sa logique. Toute langue est une vision du monde. Sa logique - qu’on appelle grammaire - est la mise en ordre de cette vision du monde, sa structuration.

    Bref, toute langue est un cosmos, au sens étymologique du mot. Comprenons: l’écriture inclusive arrache la langue à la vision du monde dont elle est l’une des expressions, elle en détruit le cosmos. L’écriture inclusive est un séparatisme: il s’agit pour elle de séparer la langue française d’avec ce que fut la France jusqu’ici. D’avec la manière française de voir le monde, de l’écrire et de le parler.

    L’affaire n’est pas seulement de séparer la langue d’avec la nation ; elle est surtout de garantir la colonisation de la langue par une idéologie, le post-féminisme. La nation, jusqu’à nos jours et depuis plusieurs siècles, au moins depuis les poètes de la Pléiade, du Bellay, Ronsard, depuis La défense et illustration de la langue française, l’important livre de Joachim du Bellay, était l’âme de la langue française ; avec l’écriture inclusive, l’âme de notre langue ne sera plus la nation, mais une idéologie.

    L’écriture inclusive véhicule le mythe ultrarévolutionnaire de la tabula rasa: du passé de la langue l’on doit faire table rase, afin de se laisser habiter par les fantasmes de ses adversaires. La substitution, de 1792 à 1806, du calendrier révolutionnaire au calendrier traditionnel, s’est faite dans un état d’esprit analogue, quoique pour d’autres motifs.

    Deux aspects frappent dans la propagande en faveur de ce type d’écriture: le refus d’assumer un héritage, doublé de la non-reconnaissance d’une dette envers le passé. Le mythe de la tabula rasa ne chemine jamais sans son alter ego: le mythe de l’auto-engendrement.

    La langue française nouvelle, inclusive, libre de toute dette devant le passé, dégenrée, désexualisée, dépatriarcalisée, déblanchie, déracisée, intersectionnalisée, est supposée s’engendrer elle-même à partir des énoncés et prescriptions idéologiques dont on persille la langue française traditionnelle.

    Une nation est une entité qui apparaît dans l’histoire, une entité dont l’essence est d’apparaître. La langue n’est pas «la nation même», comme le croyait Guillaume de Humboldt, elle est la visibilité d’une nation. Identifions dans la littérature, aussi bien orale qu’écrite, le lieu où cette visibilité atteint son degré d’intensité indépassable.

    La langue de Shakespeare, de Keats, de Shelley, rend à jamais la nation anglaise visible à l’univers. La langue de Racine, de Molière, de Bossuet, rend, elle aussi, visible la nation française. La langue rend une nation visible, à la fois à ceux qui la composent, qui lui appartiennent, et aux autres nations.

    Existent également de par le monde force nations sans État, qui restent visibles par la perdurance de leur langue. La langue est la visibilité de l’histoire d’une nation, si bien que la parler procure le sentiment de faire partie de cette histoire, ainsi que de faire partie d’une communauté qui plonge ses racines dans le passé. La langue rend visible une continuité, l’inscription de chacun dans une continuité qui implique de recevoir un héritage et de payer, sous la forme du respect, une dette.

    C’est cette visibilité que l’écriture inclusive cherche à mettre à mort. L’écriture inclusive se propose d’invisibiliser ce que la langue visibilise: la nation. Abîmer la langue est rendre la nation plus invisible, la plonger dans de l’invisibilité, dans la nuit ; c’est aussi abîmer le lien national, montrer le chemin à l’anomie et au séparatisme. Abîmer la langue n’est pas seulement un acte linguistique, c’est un acte politique.

    Promouvant une néolangue persillée d’idéologie - quand on lit un texte en écriture inclusive, l’on s’imagine confronté à du français persillé, mais, au lieu d’être persillé d’une autre langue, il l’est d’idéologie - destinée à remplacer le français, l’écriture inclusive se veut à la fois a-historique (elle se prend pour la vérité de la langue indépendamment de son histoire), et post-historique (elle suppose l’histoire, c’est-à-dire la domination, enfin dépassée par le progrès linguistique avec lequel elle s’identifie).

    Elle se veut la victoire sur la nation et son histoire en les rejetant toutes deux non dans la mémoire, qui impliquerait une dette, obligerait à du respect, mais dans l’enfer de l’oubli.

    L’écriture inclusive est, d’un point de vue civilisationnel, exactement la même chose que la destruction des paysages, cet autre héritage des siècles: les éoliennes rendent le paysage invisible, effaçant le passé de la nation. L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage.

    Excluant la langue de son histoire, détruisant sa logique, arrachant sa langue au peuple pour lui imposer le sabir des nouvelles précieuses ridicules, expulsant le peuple de sa langue, l’écriture inclusive est l’écriture la plus exclusive qui se puisse envisager.

    Robert Redeker (Figaro Vox, 13 avril 3021)

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  • Algérie, Rwanda... : l'impossible pacification des mémoires...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan cueilli sur son blog et consacré à la naïveté de la politique française de "pacification des mémoires" face à l'Algérie et au Rwanda.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020).

     

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    Pourquoi il est illusoire de s’obstiner à continuer de croire qu’une « pacification des mémoires » avec l’Algérie et le Rwanda est possible

    Emmanuel Macron s’obstine à refuser de voir que la France, l’Algérie et le Rwanda ne parlent pas de la même chose quand est évoquée la question mémorielle. Pour Paris, l’histoire est une science permettant de connaître et comprendre le passé. Pour Alger et pour Kigali, il s’agit d’un moyen servant à légitimer les régimes en place à travers une histoire « arrangée ». L’incommunicabilité étant totale, les dés sont donc pipés dès le départ. D'où le naufrage du « Rapport Stora » et du « Rapport Duclert ».

    L’Algérie et le Rwanda ne veulent en effet pas d’une « pacification des mémoires » au sens où l’entend la France puisque toute normalisation passerait obligatoirement par des concessions mémorielles qui feraient exploser les fausses histoires sur lesquelles reposent les « légitimités » des deux régimes. Le président algérien Tebboune l’a d’ailleurs plus que clairement reconnu quand il a déclaré que « la mémoire nationale ne saurait faire l’objet de renonciation, ni de marchandage ».
    En définitive, la France recherche une paix mémorielle fondée sur une connaissance scientifique des évènements du passé quand l’Algérie et le Rwanda exigent son alignement sur leurs propres histoires fabriquées.

    Avant de se lancer d’une manière évaporée dans le processus de mise à plat des mémoires, Emmanuel Macron aurait peut-être pu entrevoir la considérable différence d’approche des pays concernés, ce qui lui aurait alors permis de comprendre que sa démarche était vouée à l’échec. Mais, pour cela, il lui aurait fallu demander conseil aux véritables spécialistes de l’histoire de l’Algérie et du Rwanda, aux connaisseurs des mentalités leurs dirigeants. Or, et tout au contraire, pour le dossier algérien le président français a choisi de s’adresser à un historien militant signataire d’une pétition de soutien aux dérives islamo-gauchistes de l'UNEF, et, pour le dossier rwandais, à un historien totalement incompétent en la matière. Benjamin Stora s’inscrit dans la ligne de l’histoire officielle algérienne écrite par le FLN quand la thèse de Vincent Duclert portant sur « L’engagement des savants dans l’affaire Dreyfus », ne fait pas de lui un connaisseur de la complexe alchimie ethno-historique du Rwanda… et ne l’autorise pas à oser parler, contre toute la culture régionale, d' « absence d’antagonismes ethniques dans la société traditionnelle rwandaise » (!!!).

    Comment Emmanuel Macron pouvait-il d’ailleurs attendre une « avancée » de la part du « Système » vampirique pompant la substance de l’Algérie depuis 1962 quand celui-ci veille avec un soin plus que jaloux à ce que l’histoire légitimant sa domination sur le pays ne soit pas remise en question ? Il en va en effet de sa survie. L’homologue algérien de Benjamin Stora n’a ainsi fait aucune proposition de révision historique, laissant au chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, le soin de faire monter les enchères avec la France en évoquant, contre l’état des connaissances, des « millions de martyrs  de la guerre d’indépendance »… D'une phrase, la pauvre tentative élyséenne de rapprocher les points de vue entre la France et l’Algérie était ainsi pulvérisée. De plus, tout en dynamitant la relation de confiance établie entre les présidents Macron et Tebboune, le général Chengriha montrait clairement que le président algérien n’est qu’une marionnette et que c’est l’institution militaire qui gouverne et  impose sa loi.

    Maîtres du temps, les généraux algériens vont maintenant faire pression sur Emmanuel Macron, exigeant de lui qu’il livre ou qu’il expulse quelques grandes figures de l’opposition actuellement réfugiées en France… L’éthérée et idéologique recherche d’un consensus historique aura donc abouti à une déroute française.

    Dans le cas du Rwanda la situation est carrément caricaturale car le « Rapport Duclert » va encore plus loin que le « Rapport Stora » dans la mesure où il s’aligne quasi intégralement sur les positions de Kigali, légitimant ainsi la fausse histoire sur laquelle repose la « légitimité » du régime du général Kagamé. Une histoire ancrée sur trois principaux postulats :
    - La France a aveuglement soutenu le régime du président Habyarimana.
    - Ce furent des Hutu qui, le 6 avril 1994, abattirent en vol l’avion du président Habyrarimana afin de faire un coup d’Etat permettant de déclencher le génocide.
    - Le génocide des Tutsi était programmé.

    Or, tout au contraire :

    - Alors que la tragédie du Rwanda fut provoquée par l’attaque lancée depuis l’Ouganda au mois d’octobre 1990 par des Tutsi réfugiés ou déserteurs de l’armée ougandaise, le « Rapport Duclert » affirme, comme le fait Kigali, qu’entre 1990 et 1993, la France a aveuglement soutenu le régime  du Rwanda. Or, chaque intervention militaire française fut subordonnée à une avancée obtenue du président Habyarimana dans le partage du pouvoir avec ceux qui lui avaient déclaré la guerre au mois d’octobre 1990… La différence est de taille.

    - Tournant le dos à l’état des connaissances et s’alignant là encore sur la thèse officielle de Kigali, le « Rapport Duclert » laisse entendre que ce seraient ses propres partisans qui, le 6 avril 1994, auraient abattu l’avion du président Habyarimana. Une hypothèse que même les juges Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux, en charge de l’affaire de l’attentat, ont estimé n’être étayée par aucun des éléments du dossier. De plus, s’ils avaient pris la peine de s’intéresser véritablement aux travaux du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), et non d’en parler à travers des lectures de seconde ou de troisième main, les auteurs du « Rapport Duclert » auraient appris que ce tribunal qui a travaillé plus de vingt ans sur la question, a clairement écarté toute responsabilité des Hutu dans l’attentat déclencheur du génocide.

    - Pour les rédacteurs du « Rapport Duclert », tout cela n’a d’ailleurs pas d’importance car, selon eux, et toujours ainsi que le soutient Kigali, comme le génocide était programmé, il aurait eu lieu de toutes les façons, même sans l’attentat… Or, et une fois encore, il a été plus que clairement établi devant le TPIR que le génocide était la conséquence de l’assassinat du président Habyarimana…

    Grâce au « Rapport Duclert», voilà donc désormais Kigali en position de force  pour exiger de la France des excuses officielles qui devront être soutenues par le versement d’espèces « sonnantes et trébuchantes »… Et si Paris se montrait indocile, comme le « Rapport Duclert » a, contre toute vérité historique, reconnu une part de responsabilité française dans la genèse du génocide, conseillé par l’un ou l’autre cabinet juridique d’Outre-Atlantique, le Rwanda pourrait alors décider de poursuivre la France devant un tribunal international… Un nouveau chantage pourrait donc s’annoncer. Résultat de la faiblesse française et de la volonté du président Macron de mettre à plat le contentieux avec le Rwanda, c’est désormais la France qui est à plat ventre…

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 9 avril 2021)

     

    Bibliographie
    - Pour tout ce qui concerne la critique de l’histoire officielle de l’Algérie popularisée en France par Benjamin Stora, on se reportera à mon livre Algérie, l’Histoire à l’endroit.
    - Pour tout ce qui concerne la critique de l’histoire officielle du génocide du Rwanda reprise dans le « Rapport Duclert », on se reportera à mon livre Rwanda, un génocide en questions et à mes rapports d’expertise devant le TPIR intitulés Dix ans d’expertises devant le Tribunal Pénal international pour le Rwanda (TPIR)

    - Pour tout ce qui concerne la repentance en général, on se reportera à mon livre Répondre aux décoloniaux, aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance.

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  • Contre le féminisme et le virilisme, la Métaphysique des sexes...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque l'indispensable polarité du masculin et du féminin à partir de Métaphysique du sexe, une des œuvres essentielles de Julius Evola, le grand penseur traditionaliste italien.

     

                                                

     

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  • Culture victimaire et bataille mémorielle autour de Napoléon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Conrad, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré à la polémique lancée par les déconstructeurs autour de la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte.  

    Agrégé d'histoire et professeur à l’École de guerre, successeur de Dominique Venner à la tête de la Nouvelle revue d'histoire, Philippe Conrad est l'auteur de nombreux ouvrages dont Histoire de la Reconquista (PUF, 1999), Le Poids des armes : Guerre et conflits de 1900 à 1945 (PUF, 2004), 1914 : La guerre n'aura pas lieu (Genèse, 2014) et dernièrement  Al-Andalus - L’imposture du «paradis multiculturel» (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

     

     

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    Culture victimaire et bataille mémorielle autour de Napoléon

    Déjà en 2005, la France – alors présidée par Jacques Chirac – avait brillé par son absence aux commémorations de la bataille d‘Austerlitz, l’une des plus éclatantes victoires de Napoléon. Les autorités de l’époque avaient en effet cédé aux exigences d’un « historiquement correct » qui continue, depuis, à faire les dégâts que l’on sait. Au moment où s’imposent chez les Anglo-Saxons la cancel culture et l’idéologie woke, il n’est guère surprenant de voir la perspective du bicentenaire de la mort du prisonnier de Sainte-Hélène ranimer le débat autour de sa mémoire.

    Alors qu’il fut longtemps considéré comme l’un des héros de notre histoire nationale, il ne trouve plus grâce aujourd’hui auprès des « déconstructeurs » décidés à en finir avec un récit national dont il était l’une des plus brillantes figures. D’interprétations abusives en anachronismes grossiers, la relecture des deux décennies qui ont vu l’ascension fulgurante d’un jeune général victorieux — devenu empereur et fondateur à de nombreux égards de notre France contemporaine — vise à le présenter comme un conquérant criminel, esclavagiste et misogyne en laissant de côté les « masses de granit » sur lesquelles il a fondé durablement une France tout juste sortie du chaos révolutionnaire.

    Une figure incontournable du « récit national »

    Portée initialement par la « légende impériale » qui s’est imposée au cours du XIXe siècle, l’image du grand homme est devenue ensuite un élément à part entière de la conscience nationale. Bien au-delà des campagnes victorieuses et de la gloire qui a entouré le vainqueur de l’Europe, Napoléon a été perçu comme le bâtisseur de la France contemporaine et, pour l’essentiel, bon nombre des créations qui furent les siennes se sont avérées pérennes depuis deux siècles, du Code civil à l’administration préfectorale, d’un  système fiscal rigoureux et efficace à une organisation judiciaire renouvelée, des lycées à l’Université, d’un État fort à une armée capable de tenir tête à l’Europe d’Ancien Régime coalisée contre la France.

    Certes, les libéraux, puis les républicains dénonceront le caractère autoritaire d’un régime auquel les monarchies contemporaines n’avaient cependant rien à envier en ce domaine. Au sortir d’une crise révolutionnaire qui avait profondément divisé le pays, Napoléon s’est efforcé de réconcilier les deux France qui s’étaient alors affrontées, tout en maintenant l’essentiel de l’héritage révolutionnaire et la pertinence de ses choix est confirmée par la décision de Louis XVIII d’entériner également cet héritage au moment de la Restauration.

    Jusqu’à une époque relativement récente, le bilan glorieux de l’épopée napoléonienne — qui fascina autant à l’étranger qu’en France même — n’a guère été remis en cause et les festivités qui accompagnèrent en 1969 le bicentenaire de la naissance de l’empereur témoignèrent d’un très large consensus dans l’opinion, quelles que fussent les attaches partisanes d’alors. Tous les Français voyaient dans l’aventure exceptionnelle du jeune Corse porté au sommet à la faveur de la Révolution la marque de « l’énergie nationale » telle que l’avait définie Barrès à la fin du XIXe siècle à l’époque où les Français recherchaient dans cette époque glorieuse les repères et les modèles grâce auxquels ils entendaient surmonter les conséquences de la défaite de 1870.

    Le tragique dans l’histoire

    Le pacifisme et l’antimilitarisme du XXe siècle mirent tout d’abord en cause le chef avide de conquêtes, bien peu soucieux de la vie de ses soldats, l’artisan de guerres toujours recommencées au nom d’une vaine gloire. Ils oubliaient simplement que les guerres dites « napoléoniennes » n‘étaient que les conséquences inéluctables de l’affrontement engendré en Europe à partir de 1792 par une Révolution française bien décidée à exporter partout sa « lutte contre les tyrans » ; le résultat aussi de la volonté farouche de l’Angleterre d’empêcher par tous les moyens l’établissement de l’hégémonie française sur le continent.

    Les pertes humaines qui résultèrent de ces conflits furent, certes, considérables mais les chiffres astronomiques parfois avancés ne font guère de cas de la réalité. L’aventure de Napoléon s’inscrit, en tout état de cause, dans une histoire naturellement tragique, une réalité difficile à admettre pour les tenants d’un monde rêvé qui aurait évacué de son horizon les conflits et leurs violences. Ils oublient aussi que c’est la geste napoléonienne qui a favorisé l’éveil des nationalités : celles qui, comme en Espagne, se sont formées contre une présence française perçue comme une agression ou celles qui, comme en Pologne ou en Italie, ont vu dans l’épisode napoléonien la perspective d’une émancipation à venir.

    Face aux pollutions idéologiques de l’époque…

    Le féminisme radicalisé d’aujourd’hui reproche également à Napoléon sa supposée misogynie, mais c’est faire peu de cas de ce que sont les mentalités et les représentations de l’époque et il convient de rappeler que les « grands ancêtres » révolutionnaires n’avaient guère été meilleurs sur ce point. Faut-il rappeler également que les Françaises devront attendre 1945 pour bénéficier du droit de vote et 1974 pour disposer d’un compte en banque indépendant de celui de leur mari…

    L’antiracisme contemporain ne pouvait manquer de pointer le rétablissement de l’esclavage survenu en 1802, en oubliant toutefois l’abolition de la traite décrétée par Napoléon à son retour de l’île d’Elbe. Ce sont des raisons politiques et géopolitiques relatives aux destinées des Antilles et de l’affirmation d’une éventuelle France américaine qui expliquent le choix fait par le premier consul et celui-ci na jamais affirmé une « supériorité » biologique blanche permettant de justifier l’esclavage. Les décisions qu’il a prises alors s’expliquent par sa volonté d’en finir avec le chaos survenu aux Antilles après l’abolition de 1794 et par son souci de tenir tête à l’Anglais dans cette région du monde. Il a suffi de quelques années à un Chateaubriand — qui avait été un farouche opposant à l’Empire — pour reconnaître finalement la grandeur de Napoléon et au fil du temps, ceux qui n‘admiraient pas son régime n’en ont pas moins été séduits par cette figure exceptionnelle alliant génie militaire et vision politique.

    Réarmer mentalement les nations soucieuses de leur identité

    On peut donc s’interroger sur les raisons qui conduisent aux remises en cause d’aujourd’hui, à la volonté d’effacer des mémoires des générations à venir celui qui incarna, au delà de sa seule aventure personnelle, la grandeur de la France et son effort désespéré pour tenter de s’imposer à l’Europe de son temps.

    La tendance en cours s’inscrit dans le vaste mouvement qui affecte aujourd’hui la plupart des pays occidentaux où les héritiers du gauchisme d’hier ont désormais pris pour cibles les diverses histoires nationales — requalifiées abusivement de « romans » — et naturellement vouées à une déconstruction nécessaire, seule en mesure de faire disparaître les situations de domination dont seraient victimes les diverses « minorités », femmes, homosexuels, communautés ethniques issues des anciens territoires colonisés.

    La remise en cause de la figure de Napoléon trouve donc toute sa place dans ce vaste mouvement qui, sur fond de repentance obligatoire et de culpabilisation de toute volonté de puissance et de toute fierté nationale, vise à désarmer les nations soucieuses du maintien de leur identité. À ce titre l’histoire et, plus précisément, la mémoire d’un passé glorieux susceptible de cimenter dans les esprits et dans les cœurs une véritable communauté nationale, sont des ennemies qu’il convient de réduire au silence.

    Face à la guerre idéologique qui est ainsi sournoisement mise en œuvre, il convient d’engager le combat sur ce front nouveau mais décisif car « l’avenir appartiendra à ceux qui auront la mémoire la plus longue »…

    Philippe Conrad (Institut Iliade, 8 avril 2021)

     

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  • Les ennemis de mes ennemis sont-ils vraiment mes amis ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du syndicat étudiant La Cocarde, cueilli sur Polémia et consacré à la question des faux amis dans le combat contre l'islamisme.

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    Islamisation. Les ennemis de mes ennemis sont-ils vraiment mes amis ?

    Face à l’islamisme et aux indigénistes, sommes-nous vraiment dans le même camp que la gauche républicaine ?

    Un dangereux précédent : quand la droite devint libérale

    En pleine guerre froide, la France était géographiquement de facto dans le bloc occidental dès lors que les couloirs naturels est-ouest du continent européen formaient autant de trouées faisant de l’Hexagone un débouché des masses blindées du Pacte de Varsovie. La politique eut beau parfois freiner – et avec brio! ce déterminisme, l’idéologie s’y est rapidement pliée. Tandis qu’une généreuse fraction de la gauche espérait et recherchait un basculement de Paris aux côtes de Moscou ainsi que le triomphe du communisme sur tout le Vieux continent, la droite française, par dialectique, s’est largement rangée derrière la “défense de la liberté » face à une menace d’invasion ou de coup de force bolchéviques. Les historiens des idées ont depuis bien montré comment le libéralisme économique a colonisé les rangs de la droite, souvent à bas bruit, pour finir par triompher à la tête du RPR.

    Ce qui aurait pu n’être qu’une entente conjoncturelle entre droite et libéralisme s’est traduit, on le sait, par la digestion rapide de la première par le second, même si les vainqueurs ont toujours du mal à reconnaître leur victoire, et les perdants leur défaite.

    C’est ainsi que, face à une menace jugée existentielle, la droite s’est alliée à ceux qui tiraient dans la même direction qu’elle : les libéraux. Il fallait abattre le monstre étatique, collectiviste et totalitaire et tout ce qui pouvait de près ou de loin lui ressembler, jusque dans son propre camp. Mais elle ne s’est pas contentée de cela. Elle a voulu se rendre interopérable en reprenant le champ lexical, les concepts et les références intellectuelles du libéralisme qu’elle combattait jadis, et il est rapidement devenu impossible de les distinguer. Le communisme fut vaincu à l’extérieur et réduit à peu de chagrin à l’intérieur, mais la droite historique l’accompagna dans le tombeau malgré son triomphe dans les urnes.

    Si nous prenons le temps de ces quelques rappels historiques, c’est parce qu’il nous apparaît aujourd’hui que « notre camp » – c’est-à-dire, pour faire vite, ceux qui défendent le droit du peuple français à rester lui-même, la continuation de l’identité nationale et le maintien de nos principes civilisationnels – court le risque d’entrer dans une impasse tout aussi mortelle, cette fois dans la lutte qu’il mène contre l’islamisme et ses satellites indigénistes.

    Les dangers de l’illusion du consensus

    Face aux manifestations toujours plus pressantes de l’islam politique, face à l’inféodation de certaines fédérations religieuses à des puissances étrangères, face aux menaces qui pèsent sur les professeurs et l’enseignement de la laïcité, et face aux offensives « racialistes » dans nos universités, il se trouve qu’une bonne partie de l’échiquier politique tire plus ou moins sincèrement la sonnette d’alarme et soutient qu’il faut « faire quelque chose ». C’est même une partie non négligeable des journalistes et éditorialistes qui n’a désormais pas de mots assez durs pour ceux qui, depuis Paty, ne désignent pas clairement ce danger. Il suffit ici de penser au nombre d’occasions où les Insoumis et les Verts sont à juste titre pointés du doigt. Dans le discours au moins, l’anti-islamisme est aujourd’hui davantage rassembleur que clivant.  

    Alors quoi, ça y est, « nous » avons gagné, tout le monde s’est rallié à nos idées ? Non. Il se passe que, longtemps après qu’une poignée d’intellectuels et d’hommes politiques ait déclaré que l’islam représente une menace existentielle pour la France et le peuple français dès lors qu’il n’est plus le fait d’individus mais de masses, beaucoup se rendent compte aujourd’hui que la survie du projet républicain auquel ils sont tant attachés n’est plus assurée.

    Le casus belli n’est pas le même ! Ce qui inquiète par-dessus tout le Printemps républicain de Gilles Clavreul et de Laurent Bouvet, ce qui inquiète par-dessus tout Manuel Valls, Marlène Schiappa ou Élisabeth Badinter, ce n’est pas l’irruption d’une contre-civilisation sur notre sol français et européen, ce n’est pas la modification fondamentale de notre devenir historique en tant que peuple et la fin programmée de ce qu’ « être Français » veut dire. Ce qui les inquiète par-dessus tout, c’est que l’islamisme et ses sbires contreviennent à l’idée d’une société des individus libres de toute attache particulière, détachés de toute communauté, et ne partageant comme socle commun que l’adhésion à des « valeurs républicaines » vidées de toute substance. La gauche républicaine ne sonne pas la mobilisation générale pour sauver la patrie charnelle et défendre chaque coin de terre sur lequel nos ancêtres ont ferraillé face à l’ennemi. Elle ne fait pas briller ses boutons de guêtre pour sauver l’âme d’un peuple et sa continuité historique. Non, elle se raidit car son idée est en train d’être dévorée par l’enfant monstrueux qu’elle a elle-même engendrée !

    Nous le savons bien, et le disons en une phrase : la France ne sera plus la France si, demain, ceux qui la composent se rattachent majoritairement à une ou des autres culture(s), et ce alors même qu’ils respectent scrupuleusement les lois de la République. Sans les mœurs, la loi, quoique nécessaire, est insuffisante. Cela devrait nous interroger sur qui sont dès lors nos alliés.

    Comment offrir la victoire à ceux qui nous combattent

    Le déni des cultures, la certitude que le phénomène migratoire n’est qu’une simple addition « 1 individu + 1 individu », la dépossession de l’État des moyens de rejeter telle ou telle pratique culturelle dès lors qu’elle n’empiète pas sur « la liberté des autres », voilà comment la gauche républicaine – et la droite qui lui a servi de paillasson – a enfanté le « problème musulman » qui se pose à nous. Et elle prétend aujourd’hui le combattre farouchement au nom des mêmes principes qui lui ont donné naissance et ont permis son expansion. Engrenage infernal. Si nos armes pointent dans la même direction, c’est pour des motifs et des objectifs extrêmement différents.

    Il est urgent de se défaire de cette illusion rassurante d’avoir enfin beaucoup d’amis et peu d’ennemis. Les balles volent dans la même direction, mais ne sentez-vous pas ce bout du canon appuyé dans votre dos. Il s’appelle « tenaille identitaire ». Dans le schéma intellectuel de la gauche républicaine, vous n’êtes pas une case alliée, vous êtes l’autre partie du mécanisme qu’ils combattent, lequel forme un tout avec l’islamisme et l’indigénisme. Au mieux, vous êtes second sur la liste !

    Il faut cesser de croire que, parce qu’ils ne nous donnent pas tout à fait tort, parce qu’ils acquiescent à certaines de nos répliques, ils seraient prêts à nous serrer la main ou à nous prendre dans leurs bras dans une grande réconciliation. Quelle illusion ! Ils ne baisseront jamais la garde face à la Bête immonde et auront toujours une arme braquée sur nous.

    Et s’ils ne nous abattent pas directement par les ostracisations ou les tribunaux, ils nous avaleront par la puissance de leur morale, nous attirant à eux par l’attraction irrésistible d’être enfin accepté et toléré dans le cercle tant convoité de la Raison et du Bien. Ils tueront notre combat en le dénaturant, en le dépouillant, en l’aseptisant, en nous faisant reprendre à notre compte la défense de leurs idéaux. Que restera-t-il de nous, de ce pour quoi nous luttons, si la guerre contre l’islamisme et contre les ennemis de la France se fait au nom du Vivre-ensemble, de la Tolérance, de la République Inclusive, Universaliste et Laïque, de la Liberté pour chacun de « vivre comme il l’entend » ? Aucune victoire ne sera possible avec de telles munitions, et il serait sage qu’en faisant feu dans la même direction l’on ne se tire pas en même temps une balle dans le pied.

    Résistons à cette tentation qui nous pousse à reprendre l’étendard de l’universalisme républicain, laïc et progressiste abandonné par la gauche dans sa migration vers d’autres horizons multiculturels. Nous serions défaits si, dans le moment politique et historique où nous sommes, nous nous mettions à parler comme nos adversaires et à batailler à partir de leur logiciel idéologique. Ce ne serait alors pas « nos idées » qui seraient hégémoniques, mais celles de la gauche républicaine dont nous nous ferions les hérauts, aggravant encore l’étendue du mouvement sinistrogyre comme ce fut déjà le cas avec la conversion de la droite au libéralisme.  Ce qu’il faut, c’est marteler leur immense responsabilité dans le drame qui s’installe, c’est refuser que les agents de la débâcle puissent aujourd’hui donner des leçons de lucidité, c’est enfoncer les derniers clous dans le cercueil de cette gauche qui a rendu la France disponible à d’autres civilisations.

    Quand le Réel vient chaque jour valider les analyses que nous partageons, il est impensable que, par mégarde ou par facilité, nous enfilions l’uniforme des coupables et de ceux qui ont collaboré avec l’ennemi. « Dieu se rit des hommes … », vous connaissez la suite.

    La Cocarde (Polémia, 6 avril 2021)

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