Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue - Page 97

  • Chine : la nouvelle guerre a commencé...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Yves Montenay, cueilli sur MetaInfo et consacré à la confrontation entre la Chine et l'Occident.

    Centralien, diplômé de Sciences-po et docteur en démographie, Yves Montenay a eu une carrière internationale de cadre, conseil et chef d'entreprise dans 12 pays.

    Etats-Unis_Chine.jpg

     

    Chine : la nouvelle guerre a commencé

    Donald Trump avait entamé une guerre commerciale avec la Chine. Joe Biden y a ajouté une guerre des valeurs face à la multiplication des brutalités chinoises : répressions, atteintes à la liberté d’information, politique étrangère brutale.

    Les espoirs des derniers idéalistes occidentaux ont disparu : le développement capitaliste de la Chine n’a pas mené à la démocratie comme en Corée du Sud ou à Taïwan.

    La guerre politique s’est ajoutée à la guerre commerciale

    Le clash entre la Chine et les États-Unis a empiré avec l’arrivée de Joe Biden, comme on a pu le constater lors de la réunion d’Anchorage. On y a vu l’Amérique affirmer vigoureusement ses valeurs démocratiques et donc attaquer la Chine pour les persécutions des Ouïghours du Xinjiang et l’asservissement de Hong Kong.

    D’où une longue et violente riposte des officiels chinois : « Nous faisons ce que nous voulons chez nous et vous, Américains, ne respectez pas les droits de l’homme chez vous ». Ce « chez nous » des Chinois comprend évidemment Hong Kong malgré le traité passé avec la Grande-Bretagne, et Taïwan. Quant au Tibet, tout le monde semble l’avoir oublié.

    Bref la nouvelle guerre froide a commencé…

    Et « guerre froide » n’est peut-être pas le nom le plus approprié si on se souvient que la précédente était en vérité très chaude…

    La « guerre froide » URSS/Occident a été sanglante

    Ce terme de « guerre froide » entre l’URSS et le monde occidental, guerre froide qui a duré de 1947 à 1990, vient de ce qu’il n’y a pas eu de guerre proprement dite en Europe entre ces deux blocs.

    Mais c’est oublier que ce conflit « froid » fut néanmoins sanglant.

    En Europe il y eut les répressions par l’armée rouge de la révolte est-allemande de 1953 et surtout de la révolte hongroise de 1956. Cette révolte a pu être médiatisée et présentée aux Occidentaux, notamment en France par Paris-Match dont le reporter a été tué.

    En Asie, il y a eu la guerre civile gagnée par Mao contre Tchang Kaï-chek, allié des Américains, avec pour conséquence des millions de morts en Chine avant et après la victoire communiste, dont l’exécution de 5 millions de propriétaires terriens, sans compter plus tard les dizaines de millions de morts du « grand bond en avant » et de la révolution culturelle.

    Toujours dans la rubrique des violences de la guerre froide, on peut évoquer l’épisode Khmer rouge au Cambodge (1975 – 1979) avec ses 2 ou 3 millions de morts, les rebellions communistes aux Philippines et en Inde (variante maoïste) qui ne sont toujours pas terminées, sans parler de la répression par l’URSS des populations afghanes à partir de 1979, des guerres civiles de Cuba et d’Amérique centrale auxquelles on peut aujourd’hui rajouter le Venezuela.

    Il y a eu enfin la guerre du Vietnam avec l’appui de l’URSS puis de la Chine contre la France (1945–1954) puis contre les États-Unis (1954–1976) avec les massacres des populations civiles trop tièdes vis-à-vis du communisme, notamment à Hué en 1968.

    Importance de la guerre médiatique

    Cet épisode mérite quelques mots pour expliquer l’importance de la guerre médiatique qui fait rage aujourd’hui entre la Chine et l’Occident : cette année-là, le Viêtcong (l’armée communiste du Nord-Vietnam) a tenté de soulever la population de la ville de Hué contre le gouvernement du Sud-Vietnam, et devant son manque d’enthousiasme, a massacré quelques dizaines de milliers de personnes.

    Quelques jours après les troupes sud-vietnamiennes et américaines chassaient les nord-vietnamiens de la ville. Néanmoins l’offensive médiatique du Viêtcong, relayée par quelques artistes américains, a fait que l’image de cet épisode vu des États-Unis était celle d’une victoire viêtcong et surtout a déclenché chez les Américains des réflexions du genre « mais que faisons-nous là-bas ? ». Ce sentiment s’est traduit quelques années plus tard par le départ des Américains du Vietnam et la répression de la population du Sud-Vietnam par les envahisseurs du Nord.

    Bref une vigoureuse campagne de communication a transformé une défaite cinglante des communistes vietnamiens en victoire stratégique.

    Par contre la différence entre cette guerre froide et celle qui commence actuellement est le contraste entre la fermeture économique quasi-totale de l’URSS de l’époque, et l’ouverture  de la Chine post-maoïste à la mondialisation.

    Mais cette ouverture est remise en question aujourd’hui.

    Une Chine qui investit moins à l’étranger

    Cette fermeture récente de la Chine se manifeste notamment par la chute des investissements chinois à l’étranger.

    Mesurés en nombre de contrats signés, ils sont passés par un maximum en 2016 et sont retombés en 2020 au niveau de 2005, époque à laquelle la Chine avait beaucoup moins de moyens aujourd’hui.

    Il faut dire que ces dernières années les grands capitalistes chinois avaient été pris d’une frénésie d’acquisition à l’étranger, dont certaines se sont révélées malheureuses. Certains investisseurs semblent y avoir vu des « bateaux de secours » au cas où ils deviendraient mal vus en Chine.

    Sage précaution… mais Pékin tente ensuite de rattraper ces investisseurs fuyant la Chine en les faisant extrader pour détournement de fonds… détournements pas toujours imaginaires puisque les justices occidentales donnent parfois raison au gouvernement chinois.

    Et se méfie de ses propres champions

    Toujours est-il que l’État chinois a imposé une « remise en ordre » à de nombreuses entreprises privées internationales.

    Pékin attire l’attention des récalcitrants sur les ennuis de Jack Ma ou l’exécution en janvier 2021 de Lai Xiaoming. Leurs entreprises auraient financé des investissements refusés par les banques publiques… une insupportable atteinte au pouvoir de du parti–État !

    En janvier également le groupe HNA a été déclaré en faillite (donc politiquement condamné) pour avoir investi tous azimuts, notamment dans les hôtels Hilton et la Deutsche Bank. Un des patrons du groupe HNA est mort mystérieusement en France.

    La presse officielle a rappelé la formule de Mao disant que les capitalistes voulaient non seulement contrôler la vie matérielle des Chinois mais aussi leur vie culturelle. Un site populaire vidéo a même lancé un « A bas Jack Ma ».

    On a noté aussi un appel des salariés chinois du privé se révoltant contre le « 996 » (travailler de neuf heures du matin à neuf heures du soir six jours par semaine). Or cette revendication populaire n’a pu être diffusée qu’avec l’accord du parti, et est donc un signal supplémentaire au privé.

    Bref Pékin rappelle à ses capitalistes « qui est le patron »

    Simple remise en ordre ou anticapitalisme de l’état Chinois ?

    Vraisemblablement pragmatisme politique : le parti d’abord, sauf bonne occasion. Car la Chine n’est pas toujours contre les grands financiers, quand cela l’arrange : elle ne semble pas regretter l’acquisition de l’entreprise chimique Suisse Syngenta et d’autres entreprises de haute technologie, en robotique par exemple.

    On abandonne Wall Street pour Hong Kong

    Hong Kong est maintenant devenu « patriotiquement chinois ». En effet la toute nouvelle réorganisation des règles électorales par la Chine y annule presque complètement les élections directes, et les candidats aux quelques postes élus restants doivent être agréés par la police

    Il est donc « politiquement correct » de s’y faire coter. De nombreuses sociétés chinoises abandonnent donc Wall Street et les actionnaires américains, pour l’argent chinois collecté à Hong Kong. Kuaishou, la start-up de vidéos courtes la plus populaire en Chine derrière TikTok, compte y lever jusqu’à 6 milliards de dollars.

    Bref l’économie chinoise devient moins internationale, conformément d’ailleurs au plan de 5 ans qui vient d’être établi et qui s’appuie sur la consommation intérieure.

    Et cette moindre mondialisation de l’économie chinoise est renforcée par la crainte de l’Occident devant la multiplication des achats de leurs entreprises par les Chinois.

    Une Chine qui se cache

    Les Chinois répètent que la chute du communisme en URSS est la conséquence de la relative libéralisation de l’information décidée par Gorbatchev. Et ils en déduisent de ne pas recommencer cette erreur. La transparence peut être mortelle !

    D’où une action sur deux axes : la propagande et l’occultation de ce qui se passe en Chine.

    La propagande

    Pour la Chine, comme jadis pour URSS, il faut susciter des articles laudatifs. Soit directement par la propagande gouvernementale dont nous avons un peu perdu l’habitude en Occident, soit en faisant publier des articles admiratifs par des « idiots utiles », comme Sartre et bien d’autres l’ont été un certain temps avant d’en prendre conscience et de changer de camp.

    L’occultation de ce qui se passe en Chine

    Les exemples sont multiples. Avec l’Australie qui a critiqué la politique chinoise et qui a vu ses exportations interdites ou surtaxées vers ce pays, c’est l’arrestation en février d’une journaliste australienne. Deux autres journalistes australiens ont dû quitter rapidement du pays.

    C’est aussi l’expulsion d’au moins 18 journalistes étrangers de Chine en 2020, selon l’enquête annuelle menée par le Foreign Correspondents Club of China (FCCC)  dont ceux du Washington Post, du New York Times et du Wall Street Journal. Parallèlement la durée des visas des journalistes n’est plus maintenant que de un à six mois.

    La pression s’accroît aussi sur les collaborateurs chinois des médias occidentaux. Haze Fan de chez Bloomberg, a été interpellée en décembre 2020 et a disparu.

    Chacun cherche des alliés.

    La Chine a conclu en 2020 le « partenariat régional économique global » (RCEP) avec ses voisins, et le 30 décembre avec l’Union Européenne « l’accord global sur les investissements » qui devra être ratifié par le parlement européen.

    Ce 27 mars, la Chine et l’Iran ont signé un accord de 25 ans (!). L’ennemi commun visé par cet accord c’est bien sûr les États-Unis. La Chine a besoin du pétrole iranien, surtout si l’Arabie et autres alliés des Américains, font des difficultés pour l’approvisionner. L’Iran a besoin de marchandises puisque le reste du monde et notamment les Européens n’osent pas commercer avec ce pays de crainte des sanctions américaines. On se souvient de la condamnation de la BNP à une amende de 10 milliards de dollars par la justice américaine.

    La Chine courtise de nombreux autres pays.

    Elle est déjà bien installée en Algérie et dans d’autres pays africains. En Europe c’est en Serbie, et dans l’Union Européenne sa tête de pont est le port du Pirée en Grèce. Et même l’Allemagne est sensible à l’intérêt du marché intérieur chinois pour ses entreprises.

    Un point clé est de voir si la Chine réussira à attirer la Russie dans son camp, évolution bien commencée. Joe Biden a traité Poutine de « tueur ». L’intéressé a fait semblant de s’en offusquer, mais l’insulte américaine s’ajoute aux sanctions européennes contre la Russie, notamment à propos de sa guerre contre l’Ukraine.

    Tout cela pousse la Russie du côté chinois. Il est amusant de constater que lors de la 1re guerre froide c’étaient les communistes chinois qui avaient cherché la protection de l’URSS, jusqu’à leur brouille autour des années 1960.

    Les Américains aussi

    De leur côté les Américains se rapprochent de l’Inde qui est menacée par la Chine sur sa frontière nord. Mais aussi à l’ouest, car la Chine est en bons termes avec le Pakistan, autres adversaires de la Chine. A l’est de l’Inde il y a la Birmanie qui compte sur l’appui chinois, tandis que la Chine y cherche une base sur l’océan Indien.

    Voilà l’Inde quasi encerclée, et heureuse de voir arriver l’Amérique.

    Joe Biden essaie également de réchauffer ses liens avec l’Europe qui ont été distendus par Trump.

    Les agressions chinoises

    En face les représentants de la Chine, priés de se transformer «loups guerriers », multiplient les provocations. Mais plus la diplomatie chinoise sera belliqueuse, plus elle renverra certains pays vers les États-Unis.

    Cette agressivité de la Chine pourrait même porter préjudice à ses intérêts économiques, en compromettant les accords commerciaux qu’elle recherche activement par ailleurs et en incitant les investisseurs occidentaux à regarder avec plus de circonspection les « fabuleuses opportunités » du marché chinois.

    Sur le plan territorial, Pékin a annexé en avril 2020 toute la mer de Chine méridionale, en en faisant un district administratif alors que le droit de la mer la découpait au bénéfice de tous les pays riverains. Elle s’est mis sur le dos les opinions publiques de ces pays.

    Cette annexion a alimenté le mouvement des « thé au lait » (#milkteaalliance).

    Le mouvement des #milkteaalliance

    De Taiwan à la Thaïlande la jeunesse des pays voisins de la Chine fulmine sur les réseaux sociaux et défend les valeurs « occidentales » que la Chine rejette comme non-universelles et décadentes. Les deux camps, les « libéraux asiatiques » d’un côté, les Chinois de l’autre, se souviennent de Tiananmen, les premiers pour reprendre les idéaux des étudiants chinois, et le second pour tuer dans l’œuf ce genre de mouvement.

    Début mars, la Chine s’est abstenue au Conseil de sécurité de l’ONU de condamner le coup d’état militaire en Birmanie. Les manifestants birmans ont alors incendié des dizaines d’usines chinoises dans le pays.

    Les cyber-attaques chinoises

    Bref, si le canon ne parle pas ou pas encore, les incidents graves de cette nouvelle guerre froide se multiplient. Quelques exemples :

    Microsoft s’est fait attaquer par Hafnium, groupe de pirates soutenus par le gouvernement chinois. Il estime que plus de 60 000 de ses clients ont été victimes d’intrusion en passant par ses logiciels, dont des PME, des banques et des fournisseurs d’électricité. C’est un mouvement mondial qui frappe les entreprises de tous les pays, France comprise  et « il n’y a aucune raison pour que les cyberattaques se calment », selon un expert du Cesin, interrogé par Les Echos du 20 février 2021(édition abonnés).

    La riposte américaine

    Joe Biden prolonge et accentue les actions commencées par Donald Trump.

    Le 22 mars, les États-Unis, le Canada et l’Union européenne ont pris des sanctions individuelles contre des responsables chinois de la répression des Ouïgours.

    En sens inverse, le 23 décembre 2020 les États-Unis interdisent 103 sociétés chinoises ou russes lié à l’armée, dont AVIC avionneur chinois militaire et civil (concurrent d’Airbus et Boeing). Elles s’ajoutent aux 275 entreprises chinoises déjà ciblées, dont SMIC le principal fabricant chinois de puces électroniques.

    Le cas Huawei et l’avènement de la 5G

    Le cas de l’entreprise Huaweil est le plus connu : Le 1er décembre 2018 est arrêtée au Canada Meng Wanzhou, de nationalité chinoise, directrice financière de cette entreprise et fille de son fondateur. Elle est accusée de commerce avec l’Iran, en infraction aux sanctions américaines contre ce pays. Meng Wanzhou est toujours en résidence surveillée aujourd’hui. Cela au moment où l’on prend conscience de l’importance de la 5G, dont Huawei est le champion mondial.

    En effet, la 5G, contrairement à ce que l’on pense en France, n’est que très accessoirement un accélérateur de chargement des téléphones portables.

    C’est d’abord un outil permettant de piloter les usines, les salles d’opération, les aéroports et les véhicules de tout genre.

    Huawei est un des grands succès du capitalisme chinois lancé par Deng Xiaoping. Ses équipements permettent un espionnage mondial. Or tout Chinois, entreprises compris, s’oblige d’après la constitution à fournir les renseignements demandés par le gouvernement. Donc un devoir d’espionnage.

    Une Europe surprise par la violence chinoise

    L’Amérique ayant multiplié les interdictions aux activités de Huawei et même à son approvisionnement, reste l’Europe comme champ de bataille… Voir notamment sur ce sujet « La guerre mondiale des ondes» de Sébastien Dumoulin.

    Du côté de l’Union européenne, on est habitué à distribuer les sanctions, à l’égard de la Russie, de la Biélorussie ou des militaires birmans, et maintenant de la Chine. Mais la Chine riposte violemment : lorsque l’UE a déclaré persona non grata quatre responsables chinois du Xinjiang, Pékin sanctionne dix Européens et quatre institutions.

    Quand un chercheur français critique le régime chinois sur Twitter, la Chine le traite de « petite frappe » et de « hyène folle ». Et quand l’ambassadeur de Chine est convoqué pour s’en expliquer, il ne vient pas, tandis que l’ambassadeur de l’UE à Pékin est convoqué, lui, en pleine nuit.

    « L’Europe n’est pas un paillasson », proclame-t-on alors.

    Mais pourquoi avoir signé avec la Chine accord global sur les investissements le 30 décembre 2020, alors que Trump était encore au pouvoir et l’Allemagne présidente de l’Union jusqu’à minuit ?

    Il s’agissait d’ouvrir davantage le marché chinois aux entreprises européennes, principalement allemandes.

    Mais il est probable que le parlement européen ne ratifiera pas ce traité dans l’ambiance actuelle

    Conclusion

    La Chine et les États-Unis se sont donc déclarés la guerre. Il serait étonnant qu’elle reste froide. Comme la précédente, si mal nommée, qui ne l’était pas davantage.

    Les fronts sont nombreux : l’environnement, les droits de l’homme, l’économique, le militaire le cyberespace et le spatial

    Ce qui est nouveau dans ce conflit, c’est la pression des entreprises internationales qui rappellent que cet affrontement nuit à leurs intérêts.

    Nos gouvernements occidentaux vont-ils se révéler « vendus aux capitalistes » ou « à la finance internationale » ?

    C’est en tout cas ce que pensent les Chinois (« les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons »), mais aussi une grande partie du grand public occidental. Nous verrons…

    Après l’URSS, les Chinois finiront-ils par comprendre que leur système ne peut pas durer longtemps sans ses fameux capitalistes et les échanges commerciaux ou intellectuels avec l’extérieur ?

    Le Parti saura-t-il éviter de sacrifier la croissance à son autorité de plus en plus totalitaire ?

    Yves Montenay (MetaInfo, 6 mai 2021)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Le "New Space" : un univers spatial en transformation accélérée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen, cueilli sur Geopragma et consacré à l'espace comme nouveau champ de déploiement de la puissance et de la conflictualité. Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique. 

     

    Station spatiale.jpg

    Le New Space : un univers spatial en pleine transformation accélérée

    Il semble opportun, au moment où l’humanité célèbre le soixantième anniversaire du premier homme Yuri Gagarine à voyager dans l’espace, le lancement réussi de la fusée Space X pour transporter quatre astronautes à la Station spatiale internationale (ISS) et en ramener quatre autres hier via le module Space X, de se pencher sur ce phénomène qu’est le New Space.  Même si en apparence c’est un contraste avec le Old Space, dominé alors par les superpuissances géostratégiques et militaires concurrentes qu’étaient les Etats-Unis et l’URSS, il révèle en fait l’émergence fracassante du New Space ; et il convient sans doute de non pas parler d’un New Space mais des New Space. En réalité, il s’agit de plusieurs phénomènes qui se conjuguent et concourent à une dynamique globale.

    Qu’est-ce que le New Space ? C’est la transformation du Old Space en New Space autour de quatre axes majeurs : l’ouverture de l’espace à de nouveaux acteurs essentiellement privés, à de nouveaux pays, à de nouveaux champs d’application y compris militaires, et afin de poursuivre de nouveaux objectifs y compris financiers. Le Old Space, c’est l’industrie spatiale telle qu’on la concevait il y a quelques années encore : les acteurs étaient avant tout des monopoles d’Etat, les objectifs étaient pour l’essentiel des objectifs politiques et stratégiques avec un lien très étroit entre les enjeux militaires nationaux et les aspects scientifiques des missions spatiales. Ils étaient cantonnés à des tâches d’observation de la Terre, d’étude de l’univers, d’exploration, de démonstration de technologie et d’une activité humaine en orbite basse. Et la maîtrise des coûts et la profitabilité n’étaient pas du tout une priorité. 

    Les nouveaux acteurs sont des milliers d’entreprises, pour le moment américaines pour la plupart, qui visent à conquérir l’espace. Cela se traduit dans les faits par la privatisation de l’accès à l’espace et à l’arrivée dans l’économie spatiale d’acteurs de la Silicon Valley et des GAFAM. Ces nouveaux entrants dans un secteur d’activité qui était jusqu’alors réservé aux Etats et Institutions publiques font bénéficier au spatial traditionnel des innovations et des technologies issues d’autres domaines comme celles du numérique ou de la Big Data. Jeff Bezos (fondateur de Blue Origin et patron d’Amazon) voit son rôle comme bâtisseur d’infrastructures spatiales afin que « la prochaine génération puisse bénéficier d’un environnement entrepreneurial dynamique dans le domaine spatial. »

    Les partenariats public-privé se multiplient également : l’abandon de la navette spatiale américaine en 2011 a contraint la NASA à ouvrir le marché du ravitaillement de l’ISS au secteur privé avec Space X, car elle dépendait depuis lors de la fusée russe Soyouz pour transporter les astronautes américains jusqu’à la station orbitale. Space X n’est pas la première à avoir mis sur le marché un lanceur réutilisable (la navette spatiale américaine ayant cet honneur) ; toutefois, c’est effectivement la première société à avoir réussi à recycler un lanceur… et à réduire ainsi drastiquement les coûts (avec une réduction, semble-t-il, de près de 30% du coût habituel). 

    L’impact capital lié au New Space sont les réactions entraînées par l’irruption de ces start-ups et de ces nouveaux acteurs dans le domaine spatial. Cette irruption n’est pas sans lien avec la conception de la nouvelle fusée Ariane 6, plus économe, car se voyant légèrement bousculée, cet acteur traditionnel se voit contraint d’innover à son tour avec un lanceur réutilisable. Pour l’Europe, l’Agence Spatiale Européenne a démontré que l’on devait compter sur elle. ArianeSpace, fondée en 1980, est devenue non seulement le premier « opérateur de transport spatial privé » mais est restée leader du marché de façon incontestable jusque très récemment. Et elle a permis à un grand nombre de pays de lancer leur premier satellite de télécommunications.

    Pour les pays en développement et en accélération, cette nouvelle ère est aussi une opportunité inédite dans l’histoire de la conquête spatiale. Le Japon a procédé avec succès au lancement de sondes lunaires et pour explorer aussi des astéroïdes. La Chine avec les missions lunaires Chang’e et son rover Lapin de Jade qui a pu parcourir la surface de la Lune, en a fait l’un des rares pays à avoir réussi un tel exploit. En outre il y a quelques jours, la Chine a réussi le lancement d’un des trois modules qui constitueront sa future station spatiale orbitant la Terre. Et elle vise elle aussi des missions sur Mars. L’Inde est également extrêmement dynamique : déploiement d’un orbiteur autour de la Lune, mise en orbite autour de Mars d’une sonde, et une autre mission lunaire comprenant un orbiteur, un atterrisseur et un rover.

    Enfin, Israël procède régulièrement au lancement de satellites de basse orbite grâce à son lanceur Shavit.

    La multiplication des acteurs étatiques et l’émergence d’acteurs privés ont abouti à la constitution de l’embryon de ce nouvel âge spatial.

    À l’ère du New Space, ce n’est pas parce qu’une destination existe qu’elle est un objectif. Elle doit correspondre à des objectifs commerciaux, ce qui impose de réfléchir aux débouchés sur les marchés dès l’étude de chaque programme. Ce faisant, à la différence du Old Space, le New Space pense en premier lieu aux besoins du client et des utilisateurs de la donnée.

    L’économie du New Space fait de la donnée spatiale un produit à forte valeur ajoutée. Pour rentabiliser les investissements consentis, elle doit être immédiatement disponible et utilisée pour une très grande variété d’applications et de services commerciaux, y compris dans des domaines jusqu’ici réservés aux acteurs gouvernementaux, tels que la recherche scientifique ou l’exploration spatiale.

    L’un des catalyseurs essentiels pour le New Space repose sur la miniaturisation des satellites : les microsatellites et nanosatellites permettent à de nouveaux acteurs de « se payer » leur satellite, les coûts de lancement et de mise en orbite payés par les clients dépendant avant tout du poids de la charge utile à transporter. De plus petits satellites se traduisent par des satellites plus légers – ils ne se mesurent plus en tonnes et mètres mais en kilos et centimètres – et sont donc moins chers.

    Cela permet également de transporter plus de satellites à la fois : ce seul mois de mars 2021, plus de 360 satellites ont été mis en orbite. 

    En d’autres termes, des dizaines de milliers de satellites, dont le lancement par grappes a déjà commencé, vont peupler l’espace. Ils seront d’ailleurs au cœur du projet Starlink qui vise à construire un réseau très puissant et global et qui rendra l’Internet accessible à des utilisateurs qui aujourd’hui n’y ont pas accès dans les contrées les plus reculées de notre planète.

    Ce foisonnement d’innovation va entraîner la conception d’usines spatiales, le minage lunaire et d’astéroïdes,  le tourisme spatial et suborbital, des stations spatiales privées, les missions d’exploration spatiale de « l’espace lointain », mais aussi des entreprises spécialisées dans l’information financière sur le marché spatial. On peut sans doute parier que cette nouvelle industrie pèsera des centaines de milliards de dollars d’ici quelques décennies …

    De façon un peu plus nouvelle, l’Espace n’est plus seulement un vaste lieu où affirmer sa puissance symbolique ou militaire. C’est devenu un enjeu pour gagner de l’argent, ce qui implique une politique de réduction des coûts de l’accès à l’espace afin d’être compétitif. Cette réduction des coûts a pour conséquence un plus grand nombre d’acteurs pouvant se lancer dans l’exploitation commerciale de l’espace et de gagner ainsi des parts de marché, tout en suscitant une demande plus importante. Néanmoins, les Etats restent de très gros clients et ils soutiennent parfois avec énormément de fonds publics « leur » industrie spatiale – que serait Space X sans le financement de la NASA ? La prochaine étape sera l’essor de sociétés commerciales financées uniquement par des fonds privés. La structure du marché est donc appelée à évoluer encore, allant en grossissant si l’écosystème s’avère viable, et devenir autonome par rapport aux Etats au fur et à mesure de cette croissance.

    Enfin, un autre champ d’application prioritaire est militaire, comme en témoigne la création par le président Trump du US Space Force, rejoint par la France avec le Commandement de l’espace basé à Toulouse. Le US Space Force constitue une nouvelle branche et sera composée de 16 000 militaires et civils déjà employés de l’US Air Force. Le secrétaire à la Défense américain a résumé l’enjeu ainsi : « L’US Space Force protégera les intérêts nationaux des Etats-Unis en se concentrant uniquement sur l’espace. Conformément à notre stratégie de défense nationale, l’US Space Force veillera à ce que nous soyons compétitifs, dissuasifs et gagnants en position de force, en protégeant notre mode de vie et notre sécurité nationale.“ Il est certain que d’autres puissances s’engageront dans cette voie, la Chine et la Russie étant les candidats les plus évidents. Même si cette évolution est sans doute inévitable, elle est inquiétante car le Traité de 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, interdit le placement dans l’espace d’armes et prône donc des activités pacifiques. Mais ce traité important à sa signature parait totalement insuffisant à notre époque avec la multiplication des acteurs, le changement des intérêts et l’évolution des technologies spatiales. En effet, les missiles envoyés depuis la terre pour détruire des objets spatiaux sont hors du champ d’application de ce traité. De plus, ce traité ne fait pas mention des armes par destination ;  en effet, n’importe quel satellite peut devenir une arme s’il est placé en orbite et envoyé sur un satellite ennemi. Il devient urgent donc de renégocier ce Traité d’une époque bien lointaine. 

    Avec le New Space, un foisonnement d’innovations sont donc à attendre dans les années à venir, mais aussi l’extension des rivalités géopolitiques terriennes à l’espace, notamment entre les Etats-Unis et la Chine. On ne peut que regretter que l’Europe, ayant abandonné ses programmes d’exploration humaine de l’espace, soit désormais reléguée au rang de partenaire junior. 

    Christopher Coonen (Geopragma, 3 mai 2021)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • La tentation du chaos ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré au choix que pourrait faire Emmanuel Macron de la fuite en avant pour échapper à une possible défaite...  

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020) et tout dernièrement Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

    Paris_Chaos.jpg

    Emmanuel Macron. Face à l’impopularité, la tentation du chaos ?

    Napoléon affirmait que « la nation française est la plus facile à gouverner quand on ne la prend pas à rebours… Elle distingue à l’instant même ceux qui travaillent pour elle ou contre elle [1] ». L’impopularité d’Emmanuel Macron et de son gouvernement le confirme.

    Selon le dernier sondage BVA pour RTL et Orange réalisé les 21 et 22 avril 2021, 61 % des personnes interrogées excluent désormais de voter pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 s’il se représente, une majorité d’entre elles le considérant comme « un mauvais président ».
    Un autre sondage réalisé par Redfield & Wilton Strategies révèle un résultat pire encore : seulement 16 % des répondants déclarent qu’ils voteraient pour Emmanuel Macron lors de la prochaine élection présidentielle.

    Une continuité dans la défiance

    Certes les élections ne se réduisent pas aux sondages.
    Mais il faut néanmoins les prendre en considération quand ils confirment la plupart des enquêtes d’opinion depuis 2018 : globalement deux Français sur trois – voire trois sur quatre selon les questions posées –, manifestent leur désapprobation de la politique conduite voire de la personnalité même du président de la République.

    En d’autres termes, l’impopularité d’Emmanuel Macron ne fait que se confirmer depuis 2018. Et le président n’a pas réussi en quatre années de pleins pouvoirs à créer une dynamique électorale en sa faveur : en réalité le « parti » présidentiel, minuscule et aphone, n’a pas gagné une seule élection nationale !

    Une certaine idée de la déconstruction

    Une telle continuité dans la défiance augure mal de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2022, voire de sa simple candidature.
    D’autant que le locataire de l’Élysée continue obstinément de narguer les Français par ses déclarations à l’emporte-pièce : la dernière en date, une interview en anglais à CBS, où, sous prétexte de revenir sur son passé colonial, notre pays devrait « déconstruire son histoire ».

    Homme du Système, Emmanuel Macron n’a que mépris pour la France et le peuple français qu’il ne connaît pas et qu’il perçoit avant tout comme un obstacle à la mise en œuvre de l’agenda dont l’oligarchie l’a chargé.
    De Gaulle affirmait se faire une certaine idée de la France ; Emmanuel se fait, lui, une certaine idée de la déconstruction de la France, la nuance est de taille.

    Comme Biden ?

    Comme Joe Biden aux États-Unis, Emmanuel Macron mise sur les « minorités » et l’action conjuguée du patronat, de l’extrême gauche, des médias et des GAFAM pour l’emporter en 2022. Et bien sûr aussi sur l’éparpillement des autres candidatures, notamment à droite. Et peut-être aussi sur quelques manipulations électorales.
    Malheureusement, une telle stratégie, de plus en plus visible, ne donne pas forcément le résultat attendu.

    D’abord, nos concitoyens ressentent de plus en plus le parti pris officiel en faveur des immigrants, des musulmans, des minorités ou des racailles comme une insupportable injustice.
    Ensuite, plus la macronie fait du sociétal, de la déconstruction, ou de l’immigration, plus elle augmente l’insécurité culturelle de la population et plus elle suscite l’inquiétude et le mécontentement.
    Ce que la macronie gagne en répondant aux lubies des minorités activistes, elle le perd en révoltant la majorité de la population.

    L’homme du passif

    En outre, à la différence de Joe Biden, Emmanuel Macron incarne un bilan, un passif particulièrement lourd.
    En particulier dans le domaine de la sécurité des biens et des personnes, qui se dégrade à une vitesse vertigineuse en France. Or il s’agit d’une question essentielle au pacte civil : un État incapable d’assurer l’ordre et la paix civile devient tout simplement un état illégitime.

    Sur le plan économique et social, Macron présente un bilan tout aussi mauvais : notre pays devient la lanterne rouge de l’Union européenne, accumulant les mauvais résultats, de plus en plus à la traîne derrière l’Allemagne.

    La gestion de l’épidémie de Covid n’a pas non plus convaincu nos concitoyens.

    La présidence Macron se caractérise enfin par un catastrophique bilan liberticide : état d’urgence intégré dans le droit commun, prolongation permanente de l’état d’urgence sanitaire, censure de l’information sous prétexte de lutter contre les fake news, opposition parlementaire muselée, renforcement des pouvoirs de police, répression féroce du mouvement des Gilets jaunes, accord passé avec les GAFA et YouTube pour censurer les dissidents, conservation générale des données de connexion en contravention avec le droit européen [2], harcèlement judiciaire des opposants, attaques contre la liberté d’association et la liberté d’enseignement sous prétexte de lutter contre l’islamisme, etc.

    La France porte un masque obligatoire depuis 2020, une France bâillonnée donc : quel symbole de la macronie !

    Impasse Macron

    À un an de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron se trouve donc dans une impasse.

    Il a épuisé son capital politique et usé sa parole : le « en même temps » a perdu toute crédibilité. La « majorité » LREM à l’Assemblée nationale fond lentement mais sûrement. Le Premier ministre fait rire les Français.

    Un discours présidentiel désormais inaudible tant il s’écarte de la réalité française ; comme lorsque le président affirme sans rire : « Je me bats pour un droit à la vie paisible [3] », dans un pays en proie aux violences et aux agressions quotidiennes !

    Moi ou le chaos ?

    Emmanuel Macron ne peut espérer une réélection que si un événement extraordinaire le plaçait dans la position du recours, dans un pays en proie au chaos. Ou lui permettait de suspendre les élections…
    Une nouvelle et opportune pandémie ? Un conflit en Ukraine ? Un attentat particulièrement meurtrier ? Des émeutes ethniques entre les deux tours de la présidentielle ? Une catastrophe financière mondiale ?
    D’une certaine façon, le chaos qui s’installe en France du fait de l’action et surtout de l’inaction gouvernementale n’entre-t-il pas aussi dans une telle stratégie ?

    Cependant Emmanuel Macron a tellement entamé sa crédibilité et son capital de confiance qu’il devient chaque jour plus improbable qu’il apparaisse comme un recours français.

    Le tour de passe-passe macronien, ouvert en 2017 par le coup d’État des médias et du parquet national financier, ne pourra pas durer éternellement.

    En 2022, il faudra bien que l’oligarchie lui trouve un remplaçant ou que le peuple français retrouve sa liberté et sa fierté et referme la parenthèse Macron.

    Michel Geoffroy (Polémia, 30 avril 2021)

     

    Notes :

    [1] Cité par Thierry Lentz, Pour Napoléon, Perrin, 2021, page 75.

    [2] Autorisée par le Conseil d’État dans sa décision du 21 avril 2021 malgré la décision contraire de la Cour de justice de l’Union européenne.

    [3] Interview au Figaro du 18 avril 2020.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Merde aux médiocres !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy dans laquelle il évoque la polémique autour de la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte...

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

     

                                           

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Covid 19 et État providence...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux conséquences désastreuses de la crise sanitaire sur les classes moyennes.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels, qui est devenue une figure de la pensée conservatrice en Europe, est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

    Covid_Classes moyennes.jpg

    Covid 19 et État providence

    Quels seront les effets du confinement sur l’idéal de l’État providence en Europe ? Pour dire les choses simplement : le confinement détruit la classe moyenne et fait largement le jeu des super-riches. Alors que les propriétaires des petits et moyens commerces, entreprises, restaurants ou hôtels sont ruinés, ceux qui bénéficient d’une manière ou d’une autre de l’expansion exponentielle des grands monopoles dans les domaines de la big-tech, du big-data, de la big-pharma, de l’approvisionnement de masse et des transports deviennent chaque jour plus riches – une dynamique qui était déjà évidente avant les multiples crises liées à l’apparition du Covid-19 qui doivent être considérées comme un simple catalyseur de tendances préexistantes. Une fois la période de confinement terminée, la classe moyenne sera ruinée, et les entrepreneurs devront soit vendre leurs biens et devenir, au mieux, des simples employés des nouveaux propriétaires, soit accepter des subventions publiques sans fin qui les maintiendront juste au-dessus de la limite de la faillite et donc dépendants de l’État.

    D’une manière ou d’une autre, le temps d’une société dont l’identité serait fondée sur l’existence d’une classe moyenne importante, indépendante et fière sera révolu, du moins en Europe occidentale, dont l’économie est beaucoup plus touchée par le confinement que l’Est.

    Cela signifie également que l’ancien système de protection sociale devra être fondamentalement transformé. Je m’attends à une simplification drastique de l’État providence par l’introduction d’un revenu de base inconditionnel qui remplacera aussi bien les allocations de chômage que les subsides familiaux et les pensions, ce qui signifiera, bien sûr, pour beaucoup de gens appartenant aux classes moyennes, une diminution drastique de leurs prestations.

    Et pire encore : pour payer ces énormes dépenses et maintenir en vie tous les secteurs frappés par le confinement, l’État devra continuer à imprimer de l’argent, ce qui entraînera non seulement sa dévaluation progressive et donc l’expropriation indirecte des petites fortunes, mais aussi un glissement croissant d’une économie de marché libérale vers une économie planifiée – « planifiée » en tout cas pour la grande majorité des citoyens dépendant d’une manière ou d’une autre des allocations de l’État…

    Il est difficile de prédire les différentes étapes par lesquelles cette évolution se fera au cours des prochaines années ; mais qu’il y ait un effondrement ou une lente transformation, à la fin, du moins en Europe occidentale et aux États-Unis, nous trouverons une société basée sur un modèle social et économique que j’ai appelé le « socialisme des milliardaires ». D’un côté, il y aura une grande masse de personnes survivant tout juste grâce à un revenu universel, obligées de travailler dur afin d’améliorer quelque peu leur mode de vie et de gagner ainsi l’argent nécessaire pour faire tourner la roue du capitalisme. De l’autre côté, nous trouverons une toute petite caste de milliardaires issus des big-tech, big-data, big-pharma et autres monopoles qui existeront en symbiose structurelle avec un système politique qui se fera passer pour démocratique alors qu’il est, en fait, plutôt oligarchique et technocratique – une situation pas si différente, d’un point de vue morphologique, de ce que nous connaissons déjà maintenant en Chine.

    Et comme en Chine, la numérisation de la société et les révolutions telles que le système de crédit social, le transhumanisme, l’abandon de la monnaie fiduciaire et l’introduction de l’intelligence artificielle rendront extrêmement difficile toute révolte contre un tel système, d’autant plus que les grandes masses sont actuellement soumises à une atomisation sociale systématique par l’immigration de masse, la destruction de la famille naturelle, la culture de consommation, l’idéologie de la bien-pensance et l’éradication du christianisme.

    Cependant, les systèmes oligarchiques sont fondamentalement instables, et si la société de l’Europe occidentale est déjà en grande partie affaiblie par l’évolution esquissée ci-dessus, l’Est, comme la Pologne ou la Hongrie, présente encore des communautés cohérentes et solidaires qui pourraient être considérées comme des exemples et des inspirations par ceux qui, à l’Ouest, n’adhéreraient pas au nouvel ordre. Des sources de conflits sont donc préprogrammées, à l’interne comme à l’externe, et ce en dépit des systèmes de contrôle mis en place par les gouvernements. Ainsi, tôt ou tard, il y aura donc des affrontements violents, que ce soit entre oligarques concurrents, que ce soit entre groupes ethniques rivaux en Europe, ou que ce soit entre les nouveaux empires tels que les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et, peut-être, l’Europe – et il est très difficile de dire quelle société émergera d’un tel conflit, sauf qu’elle sera très différente de nos anciennes  sociétés libérales et démocratiques dont les derniers vestiges sont en train d’être détruits par le confinement.

    David Engels (Visegrád Post, 27 avril 2021)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Russie-Europe : le grand écart...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Héléna Perroud, cueilli sur Geopragma et consacré à la fracture qui s'élargit entre Russie et Europe, fruit d'une politique de long terme menée par les stratèges occidentistes. Russophone, agrégée d'allemand, ancienne directrice de l'Institut Français de Saint-Petersbourg et ancienne collaboratrice de Jacques Chirac à l'Elysée, Héléna Perroud a publié un essai intitulé Un Russe nommé Poutine (Le Rocher, 2018).

     

     

    Russie_Europe.jpg

     

    Russie-Europe : le grand écart

    Un Européen perspicace, Winston Churchill, avait dit en 1939 de la Russie qu’elle est « un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme ». On oublie souvent la deuxième partie de sa phrase car il ajoutait : « Mais il y a peut-être une clé. Cette clé c’est l’intérêt national russe. » Les malentendus et l’incompréhension entre l’Occident et la Russie ne datent hélas pas d’hier mais ont atteint ces dernières semaines un point dangereux, se muant en franche hostilité : les bruits de bottes en Ukraine, la valse des renvois de diplomates, les soubresauts de l’affaire Navalny, les accusations de cyberattaques et les nouveaux trains de sanctions contre la Russie… 

    L’épisode qui a commencé en 2014 autour de la Crimée et de l’Ukraine a ouvert une période dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. La Russie dans le rôle de l’agresseur, annexant la Crimée et voulant la partition de l’Ukraine est une des lectures possibles des événements qui se déroulent depuis 2014. Il est étonnant toutefois que dans les analyses faites dans les médias occidentaux, américains et européens, très peu d’observateurs se réfèrent à un ouvrage qui fait pourtant référence et que l’on doit à l’un des plus grands experts américains en matière de géopolitique : Le Grand Echiquier de Brzezinski, dédié à ses « étudiants, afin de les aider à donner forme au monde de demain ». Les dates ont leur importance. Cet ouvrage est sorti en 1997, à un moment où la Russie était à terre. Mal réélu en 1996, Eltsine était un intermittent du pouvoir et ne contrôlait plus grand chose, accaparé par ses ennuis de santé. Les salaires n’étaient pas payés, l’espérance de vie était au plus bas et des séparatistes tchétchènes faisaient la loi. Le fil directeur de l’ouvrage est qu’il faut contenir la Russie dans un rôle de puissance régionale pour asseoir la « pax americana » dans le monde et pour ce faire détacher d’elle un certain nombre de pays satellites : les républiques d’Asie centrale et les pays d’Europe de l’Est, le rôle principal revenant à l’Ukraine. Brzezinski l’écrit sans ambages : « L’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’OTAN est en cours. L’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces organisations. Pour renforcer son indépendance, il est vraisemblable qu’elle choisira d’adhérer aux deux institutions dès qu’elles s’étendront jusqu’à ses frontières et à la condition que son évolution intérieure lui permette de répondre aux critères de candidature. Bien que l’échéance soit encore lointaine, l’Ouest pourrait dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d’impulser ce processus. » 

    Si on connaît cet ouvrage, si on en comprend la philosophie, il est une autre lecture possible des événements de 2014 : l’application à la lettre de l’agenda défini par les stratèges américains, depuis la révolution orange de 2004 jusqu’aux événements de Maidan à l’hiver 2013-2014 avec la suite que l’on connaît et les 13000 morts du Donbass que l’on oublie trop souvent.

    Le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov le citait encore le 1er avril dans un entretien d’une rare franchise accordé à la Première Chaîne de la télévision russe, en réponse aux accusations de Joe Biden traitant Poutine de « tueur ».

    Dans la crise qui a éclaté ces jours-ci entre Prague et Moscou, on voit que les projecteurs sont braqués sur l’entreprise Rosatom et le vaccin Spoutnik V. Le motif officiel de la brouille réside dans les soupçons pesant sur l’implication de la Russie dans une affaire d’explosion dans un stock d’armement en République tchèque qui remonte à 2014 et qui éclate curieusement aujourd’hui. S’agissant du vaccin, si l’Union européenne rechigne à lui accorder droit de cité (même si trois pays de l’UE l’ont adopté à ce jour), il est autorisé dans une soixantaine de pays qui représentent un quart de la population mondiale.  Son efficacité, d’abord évaluée à 91,6 % par une étude publiée dans le Lancet se monterait aujourd’hui à 97,6 % sur la base des données provenant de 3,8 millions de personnes ayant reçu les deux doses, d’après une étude de l’Institut Gamaleïa qui l’a mis au point. A côté des déboires des vaccins occidentaux, on peut comprendre l’intérêt de certains à barrer la route au vaccin russe. Pour ce qui concerne Rosatom, qui était en lice avec d’autres concurrents pour une centrale nucléaire dans ce pays, il vient d’être exclu de l’appel d’offres. Peut-être faut-il regarder là du côté de l’Arabie Saoudite et de la tournée qu’a entreprise Sergueï Lavrov dans les monarchies du Golfe courant mars. Ce traditionnel allié des États-Unis resserre ses liens avec la Russie depuis quelques années, notamment depuis la visite historique – la première du genre – du roi Salman à Moscou à l’automne 2017. Et là aussi Rosatom est dans la course pour construire une centrale nucléaire et a passé avec succès les premières étapes, même si le terrain est bien occupé par la Chine, dont l’entreprise publique CNNC est engagée avec le ministère saoudien de l’énergie dans un programme d’extraction d’uranium. La Russie va ouvrir une représentation commerciale à Riyad à l’automne, une offre d’achat du système antimissiles russe S-400 est sur la table et l’inauguration du troisième réacteur de la centrale nucléaire d’Akkuyu en Turquie, dont le chantier a été confié à Rosatom, a eu lieu en grandes pompes en présence des présidents turc et russe le 10 mars, le jour même où Lavrov rencontrait son homologue saoudien… peut-être plus qu’une simple coïncidence.

    Le résultat de cette stratégie occidentale au long cours – américaine d’abord mais suivie à la lettre par les Européens – est maintenant là. Les Russes se sentent de moins en moins Européens. Un diplomate russe m’avait fait part en 2019 de sa préoccupation devant le gouffre qui s’élargissait entre l’Europe et la Russie depuis 5 ans, le temps moyen, disait-il, qu’un étudiant passe dans l’enseignement supérieur et se forge sa vision du monde. Un sondage du centre Levada (institut indépendant du gouvernement) rendu public le 18 mars dernier, sept ans après « l’annexion » ou « le rattachement » de la Crimée – à chacun de choisir sa vision – confirme cette tendance. Aujourd’hui 29% seulement des Russes disent que leur pays est européen. Ils étaient 52% en 2008. Fait notable : chez les plus jeunes ce sentiment d’éloignement de l’Europe est plus fort que chez leurs aînés : les plus de 55 ans sont 33% à estimer que la Russie est un pays européen, un taux qui tombe à 23% chez les 18-24 ans. Alors qu’en 2000, Poutine écrivait sans sourciller, en répondant à des questions de journalistes dans le premier ouvrage biographique qui lui était consacré en Russie « Première  personne »  : « Nous sommes Européens » – c’était le titre d’un chapitre entier . En août 2019 encore, il recevait au Kremlin l’homme fort de la Tchétchénie en le félicitant pour l’inauguration dans la ville de Chali de « la plus grande mosquée d’Europe » même si sur ces terres du Caucase on est un peu éloigné de l’univers mental européen.

    Vu de France, où un ennemi bien identifié nous a déclaré la guerre, emportant encore une vie innocente vendredi 23 avril à Rambouillet, en privant deux enfants mineurs de leur mère qui s’était engagée au service de ses compatriotes en choisissant d’entrer dans la police, il serait temps de changer de regard et de ne plus se tromper d’ennemi. Et même de comprendre que dans ce combat-là la Russie, dont 15% de la population est de confession musulmane, et dont le caractère multi-ethnique et multi-confessionnel échappe très largement au regard occidental, a peut-être quelque chose à dire aux vieux pays d’Europe de l’Ouest. 

    Héléna Perroud (Geopragma, 26 avril 2021)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!