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Points de vue - Page 86

  • L'Europe contre l'Union européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'une conférence de David Engels donnée le 3 décembre 2021 à l’occasion du colloque “How to Reform the Union for the Future of Europe” (« Comment réformer l’Union pour le futur de l’Europe »), publiée sur le Visegrad Post et consacrée aux valeurs historiques de l'Europe.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine et président de la société Oswald Spengler, David Engels, qui vit en Pologne, est devenu une figure de la pensée conservatrice en Europe et est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    L’Europe contre l’UE : comment ancrer les valeurs historiques de l’Occident dans la constitution d’une future confédération européenne ?

    L’Europe traverse une crise profonde, car elle est confrontée simultanément à des défis aussi divers que : mondialisation, migration de masse, désintégration de la famille, Cancel Culture, déclin démographique, déchristianisation, désindustrialisation, dégâts environnementaux, polarisation sociale, chômage, crise de la dette, guerres asymétriques, dé-démocratisation, islamisation, fondamentalisme, délabrement des infrastructures, terrorisme, hédonisme, obsolescence, relativisme juridique, ultralibéralisme, idéologie LGBTQ, augmentation des dépenses sociales, criminalité, bureaucratie dysfonctionnelle, folie des genres, etc. – pardonnez-moi cette longue énumération, mais ce n’est que lorsque nous aurons pris conscience de toute l’ampleur de notre déclin que nous pourrons réfléchir à des solutions adéquates.

    Cette crise n’est pas imposée de l’extérieur, elle est faite maison. Ce que craignaient déjà les pères fondateurs comme Robert Schuman, à savoir qu’une Europe unie ne doit pas rester une entreprise économique et technocratique, se paie aujourd’hui : il lui faut une âme, une prise de conscience de ses racines historiques. Sans identité commune, il ne peut y avoir de solidarité européenne en période de bouleversements comme aujourd’hui ; une telle identité doit toutefois se référer à autre chose qu’aux droits de l’homme universels, mais doit tenir compte de ce qui est propre à l’Europe et aux Européens : une vision occidentale de l’homme profondément enracinée dans la tradition et l’histoire. Si une telle entreprise échoue, il n’y a que deux possibilités : l’éclatement en États-nations, qui seront alors à la merci de puissances telles que la Chine, la Russie, le monde islamique ou les États-Unis, ou bien un centralisme bureaucratique et sans âme.

    Bien sûr, les partisans de l’actuelle UE politiquement correcte affirment que tout scepticisme à l’égard de l’UE est « conservateur » et donc condamnable, car il devrait automatiquement entraîner un retour au nationalisme, à l’autoritarisme d’extrême droite et finalement à la guerre et au génocide. Pourtant, le nombre de ceux qui veulent combiner patriotisme conservateur et défense de l’identité occidentale pour faire face aux nombreuses menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur notre civilisation ne cesse de croître. Les pays de Visegrád sont sans aucun doute à la pointe de ce mouvement à l’heure actuelle, ce qui explique pourquoi il s’agit précisément d’une institution polonaise, l’Association des artistes pour la République (Stowarzyszenie Twórców dla Rzeczypospolitej), qui a pris l’initiative, sous la présidence de Zdzisław Krasnodębski, de commander en 2020 un préambule pour une future constitution d’une « confédération de nations européennes ». Cette constitution doit pouvoir servir de point de ralliement à tous les conservateurs qui veulent s’efforcer de défendre l’Occident, indépendamment des familles politiques auxquelles ils peuvent appartenir au Parlement européen. L’objectif du préambule était d’inscrire fermement dans la Constitution les valeurs conservatrices attaquées par l’UE actuelle, en éliminant les erreurs idéologiques fondamentales de l’ancien projet de Constitution de Valéry Giscard d’Estaing.

    Ce fut un grand honneur pour moi de pouvoir rédiger en ce sens ledit « préambule », qui, entre-temps, a été publié dans de nombreuses langues européennes et paraîtra également sous forme de livre dans les prochains mois, et qui s’inscrit pleinement dans la continuité de l’idéologie de l’hespérialisme telle que je l’ai développée en 2019 dans le livre Renovatio Europae. L’idée de base de l’« hespérialisme » est très simple : il est grand temps de revenir aux valeurs qui ont jadis fait la grandeur de l’Occident, si nous voulons éviter les pires scénarios. La défense de la famille naturelle, une régulation stricte de l’immigration, le retour au droit naturel, la protection d’un modèle économique socialement responsable, la mise en œuvre radicale de la subsidiarité, la renaissance des racines culturelles de notre identité et le renouvellement de notre sens de la beauté – tels sont, en résumé, les piliers d’une telle nouvelle Europe « hespérialiste ». Si l’Europe veut survivre en tant que civilisation au 21e siècle, elle doit revenir aux valeurs et traditions historiques qui l’ont façonnée depuis le Moyen-Âge et réduire drastiquement la tendance bruxelloise au centralisme. En même temps, elle doit garantir un partenariat étroit entre les nations européennes dans certains domaines politiques clés, tels que la protection des frontières, la recherche, la lutte contre la criminalité, les infrastructures, la défense, les ressources stratégiques ou les normes juridiques. L’exemple idéal d’une telle communauté d’États n’est donc pas les États-Unis ou la République fédérale d’Allemagne, mais plutôt les grands empires pré-modernes comme l’Union polono-lituanienne ou le Sacrum Imperium, le Saint Empire romain germanique.

    On peut se demander pourquoi l’Europe a besoin d’une véritable constitution, car d’une part la dernière tentative d’élaborer une constitution explicite s’est soldée par un véritable fiasco, tandis que d’autre part, les conservateurs semblent justement plutôt favorables à une réduction, voire à un démantèlement des institutions européennes et s’opposent donc généralement à toute constitution commune contraignante. Mais c’est une erreur : d’abord, l’opposition de nombreux citoyens n’était clairement pas dirigée contre l’idée générale de l’unification européenne, mais contre sa forme concrète et très problématique ; pui, la Constitution envisagée ici ne doit pas livrer les Européens encore plus qu’avant à l’administration bruxelloise et à son idéologie de plus en plus gauchiste, mais plutôt à les en protéger : notre projet est certes une Constitution « pour » l’Europe, mais une Constitution « contre » l’UE.

    Notre Constitution veut refonder une Europe forte, fière et patriotique, qui défend son identité au lieu de la salir ; qui respecte les nations au lieu de les fusionner ; qui honore son héritage historique au lieu de le soumettre au multiculturalisme ; qui combat la polarisation sociale au lieu de faire de la politique pour les élites ; qui protège et met en œuvre la démocratie au lieu de déléguer le pouvoir à des institutions internationales sans âme et non démocratiques ; qui défend l’importance de notre continent dans le monde au lieu de le brader. Cette Europe, nous devons la reconquérir – avec les citoyens, contre ses élites actuelles. L’union politique de toutes les vraies forces conservatrices et patriotiques autour d’un tel objectif commun est un premier pas dans cette voie – espérons donc que l’histoire s’écrira aujourd’hui dans ce sens.

    David Engels (Visegrád Post, 12 décembre 2021)

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  • La Nation, l’État, le droit ou le désordre juridique européen...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au conflit juridique entre l'Union européenne et certaines des nations qui la composent.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    La Nation, l’État, le droit ou le désordre juridique européen

    Le futur de l’Europe se joue-t-il en Pologne ?

    L’actualité le suggère. Depuis l’arrêt de la Cour de justice polonaise du 7 octobre dernier considérant les articles 1 et 19 du traité de l’Union européenne contraires à la Constitution polonaise, la Pologne est sous le feu des maximalistes de l’Union européenne, au nom du principe ; « toujours plus d’Union » contre lequel nul ne saurait s’élever. Il est tentant de reprendre la longue histoire d’arrêts contradictoires, depuis « Costa contre Enel » de la Cour de Justice des Communautés européennes de 1964 établissant en effet le principe de supériorité des traités européens sur les lois nationales passées et à venir, jusqu’aux arrêts des trois plus hautes juridictions françaises limitant cette supériorité aux domaines de la compétence européenne (principe de la compétence des compétences), et aux arrêts successifs de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe rappelant le principe essentiel ; la souveraineté in fine appartient au peuple. Mais à quoi bon ? Derrière les arguties juridiques, c’est de politique qu’il est question. Si la décision des juges polonais a suscité une réponse agressive de l’Union, c’est qu’elle touche à l’essentiel sur trois points au moins.

    La légitimité du droit

    Le premier est la source du droit. D’où procède le droit, quelle est la source des lois, et où se fonde la légitimité du droit ? Le général de Gaulle aurait donné à Jean Foyer, premier garde des Sceaux de la restauration gaulliste de 1958, la consigne définitive que rapporte Alain Peyrefitte ; «  D’abord la Nation. Ensuite l’État. Après, le droit ». Nous en sommes loin. Figure obligée de l’Union, « l’état de droit » entend précisément que la Nation et l’État soient soumis au droit. Il s’agit d’en finir avec la raison d’État, de borner le débat et le suffrage, d’encadrer la démocratie.

    Et il s’agit d’instituer une autonomie du droit à l’égard des pouvoirs politiques nationaux. C’est ainsi que l’État français est poursuivi pour ne pas remplir ses « obligations » concernant la lutte contre le changement climatique — quelles obligations au juste ?

    C’est ainsi qu’un tribunal a jugé que la réforme de l’assurance chômage enfreignait le droit — mais quel est ce droit à la main des juges qui s’imposerait au gouvernement de la France ? La question de la source du droit, et de cet « état de droit » devenu le « Sésame ouvre toi » de la bonne réputation politique, est savamment évitée. Car d’où vient ce « droit » qui s’imposerait aux Nations et aux États, et pourrait invalider le suffrage universel ? Qui a donné aux juges, aux Cours et à l’Union l’extraordinaire pouvoir de dire le droit ? Si la source du droit n’est pas la volonté des peuples exprimée par le suffrage universel, où est-elle ? Tour à tour, ou conjuguant leurs efforts, des organisations internationales, des institutions supranationales, comme l’Union européenne, des ONG et des Fondations, des Cours constitutionnelles et des magistrats entendent dire le droit, décider du droit des Nations, et imposer leurs jugements contre la volonté des peuples, notamment en interprétant à leur guise des « déclarations des droits », texte lyrique, proclamations de combat, jamais conçus pour être traduits en droit positif.

    Il faudra pourtant le reconnaître ; chaque fois que l’Union en appelle aux « valeurs », chaque fois qu’elle invoque « l’état de droit », et la primauté des traités, chaque fois la liberté des peuples recule, l’autonomie des Nations s’étouffe, et le gouffre du droit s’ouvre devant l’Union.

    Restreindre toujours plus les nations

    Le second est la hiérarchie des normes. La tentative de l’Union européenne d’étendre sans cesse le domaine du droit interroge l’affirmation de Carl Schmitt selon laquelle celui qui détient le pouvoir est celui qui peut décréter l’état d’urgence. Toute occasion est bonne, du COVID19 au réchauffement climatique, de la crise des migrants à celle des dettes publiques, pour une Union avide d’ôter aux Nations ce qui demeure leur privilège ; la capacité d’agir. L’Union entend décréter et gérer à leur place l’état d’urgence. Elle empiète ainsi sur les compétences qui demeurent celles des États, selon les termes mêmes des traités ; défense et sécurité, diplomatie, culture, éducation, santé, justice et droit de la nationalité — des compétences sans cesse remises en cause par les ingérences de la Cour européenne de Justice, opérant selon le principe «  tout ce qui est l’Union est à l’Union, tout ce qui est aux Nations est à prendre ».

    C’est ainsi que l’Union s’est saisie du COVID19 pour se mêler de la santé publique, alors même que la santé demeure une prérogative des États membres — mais l’occasion de négocier des commissions avec les « Big pharma » était trop belle ! C’est ainsi que des ONG, des mouvements divers, relayés par l’Union européenne, ont décrété l’état d’urgence contre les gouvernements polonais et hongrois, essentiellement coupables de vouloir décider des lois et des mœurs pour lesquels ils ont été élus, et peu importe si l’Irlande a vécu hors de maintes prétendues « valeurs » européennes » pendant longtemps, du droit à l’avortement au mariage gay.

    Les mêmes sont accusés de réformer un système judiciaire notoirement infiltré par les globalistes — et peu importe si le mode de désignation des juges polonais ressemble à s’y méprendre au processus de désignation des juges en Allemagne (élus sur proposition de la coalition au pouvoir). C’est ainsi que l’Union décide d’un état d’urgence écologique, concrétisé dans un « Green Deal » aux conséquences sociales dramatiques, aux conséquences politiques non maîtrisables, mais qui assure à Mme Van der Leyen de parader dans les cénacles internationaux et d’étaler sa bien-pensance. Et voilà l’un des enjeux de la confrontation entre la Pologne et l’Union ; l’affirmation d’une compétence générale qui ne figure nulle part dans les traités, au nom d’invocations lyriques à l’état de droit, aux Droits de l’homme, aux valeurs européennes, dont le Président E. Macron est d’autant plus adepte qu’elles donnent un chèque en blanc à qui les mobilise, qui justifient toutes les ingérences dans les compétences exclusives des États, et vont jusqu’à délégitimer le suffrage universel, la démocratie représentative, et cette manifestation impitoyable de la volonté populaire qu’est le referendum.

    Le Brexit a effondré le mythe européen

    Le troisième est politique. Le Brexit a ébranlé les certitudes des européistes, et démontré que les Nations qui ont choisi d’entrer dans l’Union peuvent tout aussi bien décider d’en partir. Certains comme Nicole Gnesotto, invitant la Pologne à quitter sans délai l’Union européenne (lire « Le 1 Hebdo », 27 octobre) l’ont bien compris ; l’Union n’est pas une prison, et le serait-elle qu’elle se condamnerait elle-même. Désormais, de même que les États-Unis entreprennent de répondre à l’effondrement de l’universalisme libéral, de même l’Union européenne doit-elle dépasser la formule totalitaire «  toujours plus d’Union » pour donner des limites à son projet, faute de se condamner à l’explosion. De même doit-elle entreprendre de répondre à l’incertitude qui subsiste quant à la forme politique qu’elle entend se donner.

    Car le fédéralisme n’est plus à l’ordre du jour. La déclaration de Jean Claude Juncker selon laquelle « il ne peut y avoir de décision démocratique hors des traités » résonne en arrière-plan des décisions de la Cour de Justice européenne, des mises en demeure du Conseil et de maintes déclarations au Parlement ; c’est de construire un État Nation européen dont il s’agit quand il est question de « souveraineté européenne », de « Défense européenne », de « gouvernement économique européen », même si le mot est tabou et si la chose demeure indéfinie — qui croit vraiment qu’existe un peuple européen ? L’alternative n’est pas la fédération d’États Nation, ni l’Empire, mais bien la définition d’une institution supranationale gouvernée par les États-Nations européens, qui lui délèguent en toute souveraineté les compétences qu’ils définissent et qu’ils peuvent toujours reprendre, et qui en conviennent par des traités qui s’imposent à leurs lois nationales dans les domaines expressément définis, sans qu’il soit porté atteinte à leur identité constitutionnelle, et sans que puisse être remise en cause ou limitée la source unique de légitimité du droit, des lois et des traités ; la volonté populaire exprimée par le suffrage universel et par la voie des représentants élus des Nations ou par referendum.

    Le message est clair ; ce qu’un traité a fait, un traité peut le défaire. Bénéficiaires nets des fonds européens, dont la Pologne a été et demeure de loin la grande gagnante, Pologne et Hongrie sont facilement désignées comme les cibles idéales d’une Union en mal de réaffirmer son autorité et de retrouver une dynamique. Tout serait bien différent si un Etat membre de l’Union, contributeur net, entreprenait de ramener à la raison, à la démocratie et à la légitimité les apprentis sorciers des cours européennes. Pas seulement parce que l’Union serait privée de l’arme de dissuasion que constitue la blocage des financements. Mais bien plutôt parce que l’Union serait contrainte d’argumenter et de se justifier sur le fond. Sortir du système fermé sur lui-même, autoréférentiel, savamment construit pour que l’Union refuse tout débat dont elle n’aurait pas fixé les termes, et soient soustraites à tout jugement dont elle ne déterminerait pas la cause, les arguments recevables, et le jugement final. Accepter que souffle sur les Parlements clos et les Commissions étanches le grand vent des libertés citoyennes. Voici à tout le moins ce qui devrait constituer le cœur d’un projet crédible pour une Union qui accepte ses limites, se confronte à ses résultats, et soit jugée par les seuls légitimes à le faire ; les peuples des Nations d’Europe.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 21 novembre 2021)

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  • Est-il encore possible de « vivre ensemble » dans la France de 2021 ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de Julien Dir, cueillie sur Breizh-Info et consacrée à l'échec du "vivre-ensemble"...

     

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    Une société de l’anathème et du refus de tout débat ne peut mener qu’à la guerre civile

    Est-il encore possible de « vivre ensemble » dans la France de 2021 ? Poser la question, c’est déjà dresser un large constat d’échec de toutes les politiques menées depuis des décennies qui ont amené le pays dans le gouffre dans lequel nous sommes aujourd’hui.

    Il ne se passe plus une journée désormais sans « polémique » sur les réseaux sociaux, mettant aux prises politiques, journalistes, militants, lanceurs d’alertes… ou simples citoyens. Polémiques suivies d’agressions verbales, de menaces, d’anathèmes, de poursuites judiciaires, de lynchages médiatiques et parfois même, de plus en plus souvent, d’agressions ou de menaces physiques…

    Comment en sommes-nous arrivés là ? Tout simplement parce que nous avons plongé dans une société où l’anathème est roi, où le débat, le vrai, semble avoir totalement disparu ou à défaut, être devenu impossible.

    La cause ? Tout d’abord il faut le dire, des lois qui, depuis la loi Pleven (puis Gayssot, Fabius, Taubira…) empêchent les gens de s’exprimer librement sur tous les sujets, et, pire encore, les empêchent même de penser librement y compris parfois dans une sphère privée (la peur du « regard et du jugement de l’autre » face à une pensée qui aujourd’hui, vaut procès en sorcellerie). On a interdit aux individus de cultiver l’art du débat, mais y compris de l’impertinence. « Qui sème le vent… ».

    Mais au-delà de ces lois scélérates, la cause de la disparition progressive du débat dans nos sociétés occidentales est à rechercher à la fois du côté de l’individualisme poussé à l’extrême, qui amène chacun à se penser au-dessus des autres, et à vouloir être son propre roi sans plus aucun sens de la communauté. Mais aussi du côté des projets sociétaux si différents et même contraires dans un pays qui compte des millions d’individus.

    Si l’on rajoute à cela la question de l’immigration et du changement progressif de population, qui rend nos sociétés totalement hétérogènes, avec des masses trop différentes culturellement, civilisationnellement, religieusement, il y a tout pour être sérieusement inquiet sur la capacité de millions d’individus à demain vivre ensemble de manière pacifique.

    Jusqu’ici, les classes dirigeantes s’étaient parfaitement accommodées du fait qu’une partie importante de la population n’avait pas droit à la parole. Malgré les votes, malgré les sondages, malgré certains mouvements de colère dans les rues de France, des millions d’autochtones de ce pays étaient relégués, depuis des décennies, à se taire, à taire les sentiments qu’ils portaient au plus profond d’eux. Notre société du spectacle n’était alors partagée qu’entre un faux échiquier politique, une petite oligarchie dominante se transmettant les postes clés génération après génération.. Et une opposition en carton ayant fait son fonds de commerce de « l’antifascisme » et du « ventre de la bête immonde toujours fécond », empêchant toute contestation réelle du pouvoir en place.

    Ce temps a duré plusieurs décennies. Mais les crises successives qui ont eu lieu depuis le début des années 2000 (émeutes de banlieue, montée de l’islamisme, immigration devenue impossible à cacher, influence de plus en plus marquée de certains lobbys sociétaux, déconstruction en règle de l’Instruction publique…), puis l’apparition et la montée des médias alternatifs, puis les mouvements sociétaux qui ont occupé la rue un certain temps (Manif pour tous, Gilets jaunes, Bonnets rouges en Bretagne…), ont commencé à réveiller une partie de la population endormie.

    La candidature Zemmour finalement, ne fait que révéler au grand jour, en 2021, le fait qu’il y a dans ce pays une partie importante de la population, cantonnée au silence, aux brimades, à l’humiliation depuis tant et tant d’années, et qui aujourd’hui, pense avoir retrouvé un porte-parole digne de ce nom. Il a sans doute raison lorsqu’il dit que les idées qu’ils portent sont, pour beaucoup d’entre elles, majoritaires dans ce pays.

    Tous les sondages le montrent. Toutes les dernières élections montrent un profond dégoût, un ras-le-bol pour des institutions politiques vérolées, pour des politiciens et élus de tous bords qui n’ont fait que croquer du biscuit durant des décennies, sans améliorer la vie de leurs administrés.

    Cette candidature n’est que l’aboutissement d’un réveil d’une population qui sent bien qu’il n y plus beaucoup d’autres alternatives aujourd’hui entre la dormition, puis la mort certaine, ou bien le réveil, brutal et décomplexé.

    Non pas que cette candidature, aussi décomplexée qu’elle soit sur certains sujets, soit le seul agrégateur de ce réveil et une fin en soi.

    Mais elle en est un symbole fort, marquant. Et le fait qu’elle vampirise actuellement quasiment tout le débat politique et médiatique le montre. Le fait que certaines grandes fortunes aient commencé à investir dans cette « offre politique » et dans ces visions de la société proposées par une chaine comme Cnews depuis quelques années montre également qu’il y a une volonté importante d’écouter, de lire, d’autres sons de cloche que ceux servis depuis 50 ans.

    Et au final, qu’est-ce que l’on observe ? Que les tenants de l’oligarchie et leurs chiens de garde nommés « antifascistes », ont perdu une forme de monopole des cerveaux et des esprits qu’ils avaient depuis des décennies. Et que face à ce changement, face à ce réveil, ils n’ont plus le moindre argument à fournir que celui de la violence, de l’anathème, de la persécution judiciaire, politique, médiatique.

    Malheureusement, on observe aussi que dans le « camp du réveil », les mêmes armes qu’ont utilisé nos fossoyeurs sont en train d’être utilisées et notamment celles de la victimisation permanente, ou du refus du débat. On bloque, on moque, on agresse celui qui ne pense pas totalement comme nous. On diffame, on prend à partie sur la place publique, on fabrique de nouveaux procès en sorcellerie qui étaient jusqu’ici l’apanage des dominants. On parvient, avant même d’avoir accédé à la moindre parcelle de pouvoir, à semer les germes d’affrontements et de guerre, au sein même de son propre « camp ».

    Mais sérieusement, si l’on prend un peu de recul, que l’on se détache des choses, comment peut-on ne pas être inquiet ? Comment peut-on franchement espérer que tout cela se termine bien, dans un pays où les citoyens, trop nombreux, trop différents, n’étant plus que des atomes agrégés de force autour d’un projet qui n’en est pas un (La République française) et étant les fils de l’individualisme, de l’enfant roi, de familles brisées, désagrégées, semblent ne plus accepter de s’écouter, de se parler, de dialoguer ?

    Le problème semble insoluble. D’où les risques réels de guerre civile qui pointent à l’horizon. Le climat de violence politique qui existe depuis des décennies (et savamment entretenu notamment par l’extrême gauche qui a toujours pensé détenir le monopole de la violence politique légitime) est un indice. Et réprimer cette violence politique (dissoudre, emprisonner, arrêter…) n’y changera rien. Il semble impossible qu’au sein des sociétés ouest européens, nous retrouvions une homogénéité qui amène à de nouveau « faire peuple », c’est-à-dire agréger des millions d’individus se sentant un destin commun.

    Alors que faire pour ne pas sombrer dans le désespoir ? Tout simplement, dans son clan, autour de soi, continuer à agir et à penser comme des Hommes libres, exemplaires, à la fois impertinents et ouverts d’esprit. Éduquer ses enfants dans la même veine. Ne jamais céder à la lâcheté physique, intellectuelle, ou à la facilité. Faire le dos rond. Encaisser les coups si nécessaire, les rendre aussi. Et espérer avec la plus intime conviction que demain, après quelques décennies de sacrifices de nos générations, un grand changement surviendra. Parce que les Européens viennent de loin, et qu’ils n’ont pas l’intention de sortir de l’Histoire subitement.

    Le soleil reviendra.

    Julien Dir

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  • Rap, Cannabis, Mangas... Qu'avons-nous fait de nos enfants ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur A moy que chault ! et consacré à la déculturation de la jeunesse française.

    Animateur du site Paris Vox, rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur de deux recueils de chroniques intitulés Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016 et la Nouvelle Librairie, 2019), d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019) et, dernièrement, d'Hécatombe - Pensées éparses pour un monde en miettes (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    Rap, Cannabis, Mangas... Qu'avons-nous fait de nos enfants ?

    Les maux qui nous accablent ne viennent pas tous de l’extérieur, certains, hélas, nous rongent intérieurement et ces derniers sont peut-être plus terribles encore car plus insidieux et pernicieux. La déculturation de la jeunesse et son addiction aux drogues sont de ceux-là et font peser sur l’avenir de lourdes inquiétudes si ces tendances ne sont pas efficacement et énergiquement combattues.

    Ainsi, le rap, cette musique d’origine afro-américaine devenue le « mode d’expression » des cités de l’immigration de l’Hexagone, est-il devenu la musique la plus écoutée, et de loin, par la jeunesse française, quelle que soit son origine ethnique ou sociale. Ainsi n’est-il pas rare désormais de voir des minets de Passy se dandiner au son du « gangsta rap » made in Trappes ou la Courneuve, quand bien même celui-ci appelle-t-il à « bolosser les babtous » (tabasser les bancs) ou à « niquer la France ». Les rappeurs dominent aujourd’hui notamment les écoutes sur Spotify, l’un des plus gros fournisseurs de musique en ligne, en trustant l’intégralité des places du « top 10 » 2021.

    Ces « poètes de la rue » (pour Libé) sont notamment Jul, suivi par Ninho, SCH, Damso, Naps, Booba, PNL, Djadja & Dinaz, PLK et Nekfeu… Ils représentent collectivement des dizaines de millions d’écoutes. Un phénomène qui ne pourrait être qu’une affaire de « goûts » si, au-delà de la violence et du racisme anti-blancs de certains titres, ce « rap français » ne se révélait pas être d’une totale indigence (onomatopées, borborygmes, sous-argot banlieusard, éloge des drogues, du fric…) sombrant souvent dans la débilité pure et simple. Plus qu’inquiétant pour les neurones de ces millions de fans qui ingurgitent cette soupe émétique à doses pluri-quotidiennes !

    Parallèlement, on apprenait que le « chèque culture », ces 300 euros généreusement distribués par le gouvernement à tous les Français de 18 ans pour leurs « achats culturels », avait provoqué une véritable ruée sur les « mangas », les bandes dessinées japonaises, à tel point que certains libraires l’ont rebaptisé le « pass mangas ». Les mangas représenteraient en effet près de 80 % des achats réalisés grâce au dispositif gouvernemental. S’il ne s’agit pas de dénigrer cet art populaire nippon, dont certaines créations sont d’une grande qualité (mais les acheteurs en question ont plutôt tendance à se tourner vers les médiocres « bockbusters » comme One Piece ou Demon Slayer), cette tendance lourde démontre de façon criante la déculturation croissante d’une jeunesse coupée de la littérature classique, voir plus globalement du livre, et de la culture nationale et européenne.

    Pour parfaire le tableau, le baromètre santé 2020 de Santé publique France nous rappelle que le cannabis reste la drogue illicite la plus consommée en France et que son usage est largement banalisé notamment dans les couches les plus jeunes de la société.

    Ainsi, à 17 ans, plus de 40 % des adolescents indiquent en avoir consommé dans l’année, et chez les 18-24 ans, ils sont près de 26 %. La France est par ailleurs le pays qui compte le plus de consommateurs de cannabis parmi les pays de l’Union européenne.

    Cet accablant état des lieux ne peut pas être uniquement imputé à « l’époque », au matraquage publicitaire et médiatique ou à une quelconque « fatalité », il est aussi d’évidence le fruit d’une démission collective, notamment éducative et parentale. Il est plus que temps de réagir et la période de Noël peut justement être l’occasion, notamment au travers de cadeaux utiles et intelligents, de tenter d’orienter positivement les plus jeunes et de les éveiller à autre chose qu’à la sous-culture mondialisée dans laquelle ils se complaisent.

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 3 décembre 2021)

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  • Le wokisme est-il un produit du marxisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Collin cueilli sur Figaro Vox et consacré aux origines du "wokisme".  Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Denis Collin est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la philosophie, à la morale et à la pensée politique, dont Introduction à la pensée de Marx (Seuil, 2018) et Après la gauche (Perspective libres, 2018).

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    « Le wokisme est-il un produit du marxisme ? »

    L'idéologie « woke » et les différents mouvements qui s'en inspirent prennent une place croissante dans l'espace universitaire et médiatique, multipliant interdits et censures, hier contre la représentation d'une pièce d'Eschyle, le lendemain contre la statue de Colbert, réclamant la démission de professeurs « mal pensants ». Les porte-parole de ce mouvement ont table ouverte sur les radios du service dit, par habitude, public. Comme les vieux réflexes ne se perdent pas, pour dénoncer le « wokisme », il est parfois de bon ton d'y voir une nouvelle manifestation d'un marxisme, pourtant mal en point. On peut évidemment dire mal du marxisme, mais s'il est bien une accusation infondée, c'est celle qui en fait le père putatif du mouvement « woke ». En réalité, l'idéologie « woke » se présente comme une véritable arme offensive contre le marxisme (sous toutes ses formes) et contre le vieux mouvement ouvrier syndical.

    Le mouvement woke est comme le Coca-cola et halloween un produit d'importation américaine. Mais ses origines idéologiques se situent dans la « french theory », c'est-à-dire chez les philosophes français « post-modernes » ou les théoriciens de la « déconstruction » - un terme qui constitue le principal slogan du mouvement « woke ». Or, ces penseurs sont tous des adversaires résolus du marxisme. S'ils adoptent volontiers un discours « anticapitaliste », ils refusent la centralité de la lutte des classes autant que la figure de la classe ouvrière en tant sujet historique. Chez tous la classe ouvrière et ses organisations sont « ringardisés » : trop de conservatisme, trop de stéréotypes. On leur préférera les schizophrènes (Deleuze), les « taulards » (Foucault), les minorités notamment les immigrés (Badiou destitue très tôt la classe ouvrière française de tout rôle révolutionnaire au profit de la figure rédemptrice de l'immigré), les mouvements féministes, la « queer attitude » (encore Foucault). Tous ces courants, qui ont fleuri dans les années post-soixante-huit, considèrent, comme Michel Foucault, que la question du pouvoir d'État comme question centrale est dépassée et qu'il est nécessaire de s'opposer d'abord aux « micro-pouvoirs « et aux « disciplines » qui domestiquent l'individu. C'est encore chez Foucault et son élève américaine Judith Butler qu'est revendiquée la nécessité des « identités flottantes » contre les « assignations sociales » à une seule identité sexuelle. Remarquons enfin que, comme Foucault admirateur de la « révolution islamique » de Khomeiny, l'idéologie « woke » sacralise l'islam, considéré comme l'allié du mouvement contre les mâles blancs hétérosexuels.

    Cette antinomie entre marxisme et « french theory » se retrouve dans toutes les orientations du mouvement « woke ». Le marxisme est universaliste et considère que les particularités des différents peuples et des différentes religions sont appelées à passer à la moulinette du développement mondial du mode de production capitaliste. Au contraire le « woke » est relativiste et dénonce l'universalisme comme le masque de la domination « blanche ». Marx et Engels, tout en condamnant les méthodes et les exactions terribles de la colonisation y voyaient une de ces ruses de l'histoire grâce à laquelle les peuples colonisés allaient sortir de leur sommeil et prendre place dans la lutte aux côtés des autres prolétaires de tous les pays. Ils étaient franchement européo-centrés et considéraient que la civilisation européenne montrait la voie. C'est encore Lénine qui affirmait que le socialisme moderne était l'héritier de la philosophie allemande, de l'économie politique anglaise et du socialisme français, lui-même issu des Lumières. On se demande bien pourquoi les censeurs « woke » n'exigent pas le retrait immédiat des ouvrages de ces penseurs horribles.

    Les marxistes sont antiracistes et antiesclavagistes, cela va de soi. Marx rédigea l'adresse de l'Association Internationale des Travailleurs au président Lincoln, à l'occasion de sa réélection en 1864 et le qualifia d'« énergique et courageux fils de la classe travailleuse », qui sera capable de « conduire son pays dans la lutte sans égale pour l'affranchissement d'une race enchaînée et pour la reconstruction d'un monde social. » La lutte contre l'esclavage et les discriminations raciales s'inscrit pour les marxistes dans le sillage des grandes révolutions « bourgeoises » du XVIIIe siècle. Oublieux du caractère révolutionnaire de la bourgeoisie, les « woke » font de la traite négrière une tache indélébile qui condamne par avance tous les « blancs », oubliant que la plus grande traite négrière fut organisée par les Arabes et les Ottomans sous le drapeau de l'islam avec l'aide et un peu plus que la complicité des chefs des peuples d'Afrique.

    Que les divers mouvements « woke » n'aient aucun rapport avec le marxisme et la lutte des ouvriers, il suffit encore pour s'en convaincre d'écouter ses principaux héraults. Mme Houria Bouteldja, égérie du mouvement des « Indigènes de la république » ne déclarait-elle pas que l'ouvrier blanc est son ennemi ? Mme Rokhaya Diallo est une figure de la « jet-set ». Elle est une « intellectuelle organique » de la « classe capitaliste transnationale », très bien décrite voilà plus de deux décennies par Leslie Sklair. Mme Traoré est devenue la coqueluche des grandes marques à la mode. La promotion du lumpenproletariat et des petits voyous des « cités » au rang de mouvement révolutionnaire n'a rien à voir avec le marxisme : Marx et Engels disaient pis que pendre de ce « lumpen » rassemblant tous les débris des différentes classes sociales.

    Pour terminer, rappelons que les marxistes ne portaient guère dans leur cœur l'idéologie libérale-libertaire qui s'est déployée après 1968. En vieux mâle blanc hétéro, Marx condamnait le travail de nuit des femmes comme contraire à la pudeur féminine. Il ne réclamait pas l'abolition de la morale mais dénonçait le capitalisme comme un système qui balayait toutes les barrières morales !

    On peut critiquer le marxisme, en n'oubliant pas de distinguer le marxisme et le penseur Marx, mais en aucun cas, on ne peut le rendre responsable du mouvement woke. S'il y avait encore dans ce pays des marxistes sérieux, nul doute qu'ils seraient à la pointe du combat contre ces folies qui trouvent dans certains secteurs du capital une oreille complaisante mais sont dirigées d'abord contre les ouvriers, ces « salauds de pauvres, ces « beaufs » qui savent bien que le travail reste la question centrale pour nos sociétés.

    Denis Collin (Figaro Vox, 4 décembre 2021)

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  • Diplomatie casquée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au retour du commerce des armes comme instrument de la diplomatie.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Diplomatie casquée

    Que nous dit de l’état de l’Europe et du monde la récente et très amicale rencontre Sanchez-Erdogan ? Les marins de la bataille de Lépante (1571) acceptent-ils le basculement espagnol du côté turc, la fourniture de porte-hélicoptères ou de sous-marins par les chantiers espagnols à la flotte turque ? Et, de leur côté, que pensent les Russes d’une alliance entre la Turquie et l’Ukraine qui se traduit entre autres par la livraison des fameux drones TB9 et Anka, ceux qui ont tant contribué à l’écrasante victoire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie au Nagorno-Karabakh, et qui pourraient donner aux Ukrainiens la bien mauvaise idée d’aller titiller les troupes russes massées de l’autre côté d’une incertaine frontière avec le Donbass ? Sans doute comprennent-ils bien l’intérêt du jeu turc, un coup à l’Est, un coup à l’Ouest, mais toujours en brandissant l’étendard de l’Islam, et toujours en quête de l’industrie des hélicoptères et des propulseurs navals que l’Ukraine a héritée de l’URSS…

    Le temps de la diplomatie armée est revenu. L’Union européenne a-t-elle les yeux ouverts sur une réalité qui a toujours été déterminante dans la structure du commerce international ? Les diplomates suivent les marchands d’armes, comme c’est le cas en Italie, au Qatar et ailleurs. Ou bien les marchands d’armes et les industriels suivent les directives de l’État, comme en France, en Russie ou en Espagne, où les chantiers navals sont 100 % propriété d’État… Et les grands contrats d’armement suivent ou précèdent les alliances, pour les concrétiser, pour les affermir, ou pour les renverser ; la France aura-t-elle tirée toutes les conclusions de l’affaire australienne, et de l’écart qui la sépare des « five eyes » ? Mais contrats d’armement et diplomatie se sont singulièrement rapprochés.

    Qu’il s’agisse des alliances en Méditerranée orientale, formidablement réarmée, avec d’un côté la Grèce, Chypre, l’Égypte et la France, de l’autre la Turquie, le Qatar, la Lybie, la Russie, avec Israël, les USA et la Chine en invités permanents. La montée en qualité et en quantité des armes est partout, qu’il s’agisse de la Grande-Bretagne et de son agressivité contre la Russie portée par diplomates, services et industriels de l’armement, avides de réarmer la Pologne avec les missiles fabriqués par MDBA GB venant compléter les Patriot américains, avec des bateaux fabriqués dans les chantiers britanniques pour l’Ukraine en Mer Noire, qu’il s’agisse d’une Allemagne qui risque de concourir encore plus à la subordination totale des industries de la défense et des exportations à l’OTAN, le constat est à une imbrication croissante de la politique et des contrats d’armement, et à des transformations d’alliance remarquables, spectaculaires et parfois déroutantes, la montée en puissance de la Turquie en Afrique, en Méditerranée et en Europe de l’Ouest n’étant pas la moindre.

    La plus spectaculaire est pourtant britannique. La Grande-Bretagne renoue avec des stratégies de la tension, de la division et de la zizanie qui lui sont familières. Finie la comédie de l’adhésion à l’Union européenne et du rattachement au continent eurasiatique, l’alliée des États-Unis en ajoute et en rajoute dans la provocation permanente à l’égard de la Russie et aussi de la Chine. Il suffit de lire les éditoriaux de The Economist pour s’en persuader ! Les colons qui ont pillé, corrompu et détruit l’Empire chinois ne pardonnent pas à ceux qui ont refait l’unité de la Chine et de Hong Kong. Les ennemis héréditaires de l’indépendance européenne et de la puissance continentale, qui ont toujours su diviser pour régner, ont un compte à régler avec l’Union européenne, encore plus avec une Union devenue allemande — pour une large part au service de la puissance et des intérêts industriels et commerciaux allemands.

    Tout le savoir-faire du pays qui a inventé la diplomatie européenne est à la manœuvre en Pologne, en Hongrie, en Roumanie et ailleurs. Avec trois objectifs manifestes, outre celui de montrer aux États-Unis à quel point l’Angleterre sera toujours prête à prendre le grand large et à combattre contre le continent. D’abord celui de diviser l’Europe, en utilisant la vieille tactique de la provocation ; pousser l’Union à réaffirmer le principe «  une Union toujours plus étroite », c’est tout simplement tôt ou tard la condamner à subir la réaction violente de peuples qui n’acceptent de se voir déposséder de leurs compétences que jusqu’à un certain point — et la Grande-Bretagne s’emploie à ce que ce point soit dépassé, par exemple sur les migrations, sur les mœurs, sur l’éducation.

    Ensuite, en sapant la politique allemande qui fait de la Russie, de la Chine et plus largement de l’Eurasie, ses partenaires commerciaux naturels, la source de ses excédents exceptionnels, et un champ d’expansion industriel, financier et aussi politique pratiquement sans limites — si les États-Unis ont eu leur Far West, l’Allemagne a son far east. Enfin, en développant sur le modèle américain un ensemble hétérogène, mais structuré de Fondations, d’ONG, de fonds d’investissement et de fonds de pension, d’entreprises, de sociétés de service, qui assurent à la Grande-Bretagne à la fois le contrôle de technologies décisives, l’information sur des entreprises clé, une vision en profondeur des flux commerciaux et financiers, et les moyens de manipuler l’information, d’orienter le débat public et de mobiliser les opinions publiques. L’histoire dira la part que Grande-Bretagne et USA jouent dans l’obsession militaire polonaise qui conduit à payer pour accueillir une base américaine, multiplier les achats d’armements — avec des fonds européens ? — et doubler les effectifs permanents de son armée, jusqu’à anticiper sur les plus chers désirs de l’OTAN.

    Elle dira la part d’intérêts marchands et de réalisme politique qui conduit à un surarmement de l’Ukraine, à un conditionnement permanent de la population de l’Ouest ukrainien, et aussi voire surtout de la diaspora ukrainienne aux États-Unis et au Canada, au point qu’à tout moment, une escalade est possible que seule, la placidité maîtrisée de l’ours russe laisserait sans sa conséquence légitime — une correction militaire que subiraient les forces ukrainiennes, les Britanniques envoyant comme ils savent bien le faire, en Syrie comme en Afghanistan, les autres se faire tuer à leur place.

    Une seule question l’emporte. Les armes sont-elles faites pour servir ? « Si vis pacem, para bellum » place sur toute réflexion sur ce sujet, et il est certain que l’équilibre des forces, c’est-à-dire l’incertitude sur l’issue d’un conflit, est le plus puissant facteur de paix qui soit. A deux conditions ; d’abord, que la décision soit celle d’acteurs rationnels, qui pèsent froidement les conséquences d’un conflit et acceptent que le prix à payer soit trop élevé pour être risqué, celle de dirigeants suffisamment forts pour ne pas se laisser emporter par des opinions publiques aisément manipulées. Ensuite, qu’aucun belligérant ne se laisse enfermer dans la position où il fera la guerre pour d’autres, enverra ses hommes et ses armes livrer une guerre que d’autres ne veulent pas risquer, et compter les morts que d’autres auront envoyé se faire tuer pour leur propre politique et leurs propres intérêts. Certaines des Nations de l’est européen, longtemps tributaires de l’Empire ottoman pour les unes, assujetties au Reich allemand ou à l’Empire russe puis soviétique pour d’autres, membres de l’Empire austro-hongrois pour d’autres encore, ou souvent les mêmes, ont une longue et tragique expérience d’une telle situation de dépendance stratégique, une expérience sacrificielle dont la Serbie comme la Pologne traînent les cicatrices.

    La situation actuelle suggère moins une réponse que d’autres interrogations. D’abord, celle de l’absolue primauté des intérêts nationaux et des logiques nationales. Seule face à la Turquie, la France a payé pour le savoir ; la diplomatie des armes reste nationale. En matière d’armements comme en matière de conduite de la guerre, et quelles que soient les prétentions de l’OTAN, les Nations demeurent, les Nations décident et les Nations poursuivent les intérêts qui leur sont propres, par des moyens qui leur sont propres. Quelle peut être l’utilité et quelles sont les compétences de l’Union dans ce domaine ? Question ouverte, et à laquelle nul ne répond.

    Ensuite, celle du contrôle des exportations d’armement. Non seulement l’Union européenne n’a rien entrepris pour protéger l’indépendance de ses industriels et combattre leur mise sous tutelle par le complexe américain auquel l’OTAN sert de faire-valoir, mais l’alignement atlantiste de la nouvelle coalition rouge-vert Allemande fait peser les plus graves menaces sur la capacité commerciale d’un des derniers secteurs industriels puissamment exportateurs de la France — ici encore, l’Union se trompe de combat ; lutter contre la règle « ITAR » et l’extraterritorialité du droit américain, plutôt que contre les capacités de ses industriels ! Enfin, le lien entre diplomatie, armement, et interventions directes.

    Le succès israélien dans ce domaine est largement lié à la présence sur le terrain, et sur le front, de « conseillers » et « d’experts » qui ne se contentent pas de démonstration dans les salons internationaux et de signature de contrats dans les bureaux, mais qui participent au déploiement, à l’adaptation et à la mise en œuvre des armes ou des systèmes d’arme qu’ils vendent. Inutile de dire que Russes et Américains, par des biais divers, savent accompagner leurs armes sans fausse pudeur. L’Union européenne se veut pleine de bonnes intentions, sans en prendre les moyens. Elle paralyse davantage les Nations européennes qu’elle ne les aide à développer leurs légitimes stratégies industrielles et militaires. Mais est-il dans son intérêt de refuser de voir cette réalité en face ; dans un XXIe siècle qui ne ressemble pas à ce qu’il devait être, la diplomatie suit les armes, et les armes font la diplomatie ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 22 novembre 2021)

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